Esclavage
Comme toute société antique, Rome fut une civilisation dont l’économie reposait sur le monde servile. L’esclavage a toujours été proportionnel à l’étendue de son territoire. Ainsi suivant un texte de Denys d’Halicarnasse, on peut estimer la population servile, au début de la République, à 1/16 ème de la population libre puis le phénomène s’inverse et on trouve trace dans Tacite qui, parmi les dangers de son époque, compte l’accroissement des esclaves par rapport aux hommes libres.
« L'alarme (à Rome) y était déjà répandue, à cause de la multitude des esclaves qui croissait sans mesure, pendant que la population libre diminuait chaque jour. » Tacite, Annales, IV, 27.
« On fit jadis, dans le sénat, la proposition de distinguer par le vétement les esclaves des hommes libres; mais bientôt on sentit quels dangers nous menaceraient dès l'instant où nos esclaves commenceraient à nous compter. » Sénèque, sur la Clémence, I, 24.
A cette époque, l’esclave était considéré comme une nécessité économique. Mais au début de l’histoire de Rome, un citoyen n’avait que très peu d’esclaves, il était généralement agriculteur et cultivait lui-meme son champ (voir Cincinnatus et les envoyés du Sénat). « L'unique espoir du peuple romain, Lucius Quinctius, cultivait, de l'autre côté du Tibre, et vis-à-vis l'endroit où se trouve à présent l'arsenal de nos navires, un champ de quatre arpents, qui porte encore aujourd'hui le nom de "Pré de Quinctius". C'est là que les députés le trouvèrent, creusant un fossé, selon les uns, et appuyé sur sa beche, selon d'autres, derrière sa charrue; mais, ce qui est certain, occupé d'un travail champêtre. » Tite Live, III, 26.
L’état légal d’un esclave est de n’être rien. Il n’a pas de famille (il ne peut se marier mais seulement vivre en concubinage-contubernium), ses enfants, s’il en a, seront esclaves à leur tour, il ne peut avoir recours au droit (pas d’action devant les tribunaux etc…), il n’a que son pécule pour racheter sa liberté encore que son maître ait le droit de le lui prendre. Homme ou femmes tendent vers le néant. Ils ne sont plus qu’une chose dotée de la parole (Varron, économie rurale), un instrument animé, il ne dirige en rien son sort, son devenir lui échappe complètement, il n’a aucun loisir et est enfermé dans un cercle perpétuel qui le fait manger et dormir pour reconstituer ses forces en vue du travail. Il ne se définit que comme propriété de son maître, il n’est qu’une marchandise et la lex Aquilia est là pour le rappeler : un dommage corporel qui lui est infligé est considéré comme une atteinte envers le patrimoine du propriétaire.
Quelle était l’origine de cette main-d’oeuvre gratuite ? Son origine est très diverse.
Le débiteur pouvait etre réduit en esclavage (Adictus) s’il ne s’acquittait pas de sa dette. Mais il était différent des autres esclaves en ce sens que son obligation remboursée, il redevenait citoyen à part entière alors que l’esclave affranchi ne le pouvait pas, seul son fils l’était. A partir du IV°siècle avant J.C., un citoyen romain ne pouvait plus se vendre comme esclave pour rembourser une dette, avant un marché spécial se tenait de l'autre coté du Tibre, c'est à dire hors du territoire romain.
« Le débiteur donc, qui avait reconnu la dette ou avait été condamné, avait trente jours pour chercher la somme et s'acquitter. Ces jours furent appelés justi, légaux, par les décemvirs ; c'était, entre les parties, une sorte de treve légale, une suspension de toutes poursuites judiciaires. Le délai expiré sans payement, le débiteur était cité devant le préteur, qui l'adjugeait à celui en faveur de qui le juge avait prononcé ; on le liait avec une courroie ou avec des chaînes. Voici, je crois, le texte de la loi : « Que celui qui avoue ou est condamné légalement ait les trente jours légaux ; qu'on l'amène devant le magistrat. S'il n'exécute pas la condamnation, ou si personne ne se porte légalement caution pour lui, qu'il soit conduit dans la maison du créancier, lié avec une courroie ou avec des chaînes pesant quinze livres au moins, ou plus, si le créancier le veut…Le troisième jour, le débiteur était puni de mort, ou envoyé à l'étranger, au delà du Tibre, pour etre vendu…Si nous voyons aujourd'hui adjuger et lier maint débiteur, c'est que les hommes pervers ne redoutent aucunement la peine des fers. » Aulu Gelle, Nuits Attiques, XX, 1.
et de plus la lex petilia de 335 avant J.C. mit fin à l’esclavage pour dette.
---> Bas-relief représentant un esclave réprimandé par son maître.
Un enfant qui n’était pas reconnu par le Pater familias était exposé sur un tas d’ordures et pouvait devenir esclave suivant qui le recueillait. Certains Romains pour les revendre à bon prix et ainsi réaliser un coquet bénéfice se livraient à l’élevage des esclaves ; souvent, ils leur apprenaient un métier ; Caton le Censeur était connu pour avoir pratiqué ce genre d’opération. Ils étaient aussi fournis par les pirates qui les vendaient à Sida ou à Délos, marchés très importants. Ils leur arrivaient de débarquer sur les rivages de l’Italie pour s’emparer des habitants d’une ville.
« Quel homme s'est embarqué sans s'exposer à la mort ou à l'esclavage, quand il avait à craindre ou la tempete ou les pirates qui couvraient les mers ? Cette guerre si grave, si honteuse, si ancienne déjà, qui se divisait et s'étendait si loin, qui eût jamais pensé qu'elle pût etre mise à fin par tous nos généraux en une seule année, ou par un seul général au bout de longues années ? Quelle province avez-vous protégée, dans ces derniers temps, contre les attaques des corsaires ? Sur quel revenu avez-vous pu compter ? Quel peuple allié avez-vous défendu ? A qui vos flottes ont-elles porté secours ? Combien pensez-vous qu'il y ait eu d'îles abandonnées ? Combien de villes alliées désertées par crainte des pirates, ou prises par eux ? » Cicéron, Pro Man., XI.
Ceux qui étaient chargés de gouverner une province ne se privèrent pas d’envoyer en servitude des gens qu’il devait administrer et non pas pressurer. Un autre type d’esclave était l’enfant (verna) qui naissait d’esclaves, c’était le plus apprécié car le plus malléable ; et une femme esclave, engrossée par son maître, voyait sa progéniture être elle-meme esclave, un texte juridique dit même qu'un enfant esclave peut travailler dès 5 ans. Mais, c’est surtout du dehors que viennent les esclaves. Les guerres furent les principales sources d’approvisionnement des marchés. Les prisonniers le devenaient systématiquement, des marchands suivaient presque toujours les armées dans l’espoir de gros profit. On vit des généraux qui les convoquaient pour leur proposer d’acheter en masse des captifs, ayons quelques chiffres en tete, 150000 prisonniers pour Paul Emile, plus modestement que 53000 pour Jules César.
---> Colonne Trajan, prisonniers de guerre.L’antiquité ne connaissait pas la notion de prisonnier, un guerrier capturé devenait un esclave, c’est pour cela que le soldat romain préférait le suicide à la rédition. Une fois vaicus, les Cantabres (Espague) préférèrent le suicide à l'esclavage. Sur le marché aux esclaves, un captif suite à une guerre se reconnaissait au port d’une couronne.
« D'après une ancienne coutume, quand on exposait à la vente les esclaves pris à la guerre, on leur mettait une couronne sur la tete ; de là est venue l'expression vendre sous la couronne…L'expression : vendu sous la couronne, s'explique encore autrement, parce que les soldats commis à la garde de ces prisonniers formaient un cercle, corona, autour d'eux. Mais je préfère la première version, qui se trouve appuyée de l'autorité de Caton dans son ouvrage de l'Art militaire. J'y trouve ce passage : « Que les citoyens vainqueurs par leur courage ceignent leur front de la couronne pour aller rendre des actions de grâces aux dieux, et non pour etre mis en vente comme des vaincus. »
« Le lendemain le dictateur vendit les tetes libres à l'encan; et ce fut le seul argent qui rentra au trésor.
Postero die libera corpora dictator sub corona uendidit. Ea sola pecunia in publicum redigitur… » Tite Live, V, 22.
Tous ces etres humains étaient vendus aux enchères, par lot ou individuellement, suivant s’ils avaient une spécialité ou pas en un lieu qui se trouvait, pour Rome, au Forum, aux environs du temple de Castor et Pollux et près du Panthéon pour les gens "exotiques".. Ils étaient exhibés nus, sur une estrade ou dans une cage suivant leur valeur.
---> Tableau de Léon Gérôme, 1886.Ils avaient autour du cou un écriteau qui avertissait de leurs origines qui vantait leurs qualités et meme décrivait leurs défauts.
« Dans un arreté des édiles curules, à l'article qui a rapport à la vente des esclaves, on lit : Ayez le soin de dresser chacune de toutes les listes vente de manière qu'on puisse facilement voir les maladies, les vices des esclaves ; s'assurer s'ils sont fugitifs ou vagabonds, ou s'ils sont sous le coup d'une condamnation. » Aulu Gelle, Nuits Attiques, IV, 2.
Il y a aussi des esclaves que l’on vend sans aucune référence à leur passé, qui ne sont pas garantis par le vendeur et qui se reconnaissent au port d’un bonnet.
« Les esclaves que l'on mot on vente la tête couverts d'un bonnet sont ceux que l'on vend sans garantie. Telle est l'opinion de l'habile jurisconsulte Celius Sabinus. Cet usage vient, selon lui de ce que les esclaves de cette espèce ayant ce signe distinctif, les acheteurs sont à l'abri de l'erreur, de la fraude, et, sans s'occuper des conditions de la vente, ils voient du premier coup quelle espèce d'esclaves on leur offre. » Aulu Gelle, VII, 4.
Ils arrivaient au marché, les pieds enduits de craie blanche.
« Il en est encore une autre(de craie) de très peu de valeur, avec laquelle nos ancetres traçaient dans le cirque la ligne marque de la victoire, et blanchissaient les pieds des esclaves à vendre, amenés d'outre-mer… » Pline l’Ancien, Histoires Naturelles, XXXV, 58.
« …je n'avais d'yeux que pour les fresques qui ornaient le mur : un marché d'esclaves, avec leurs titres au cou… » Pétrone, le Satyricon, deuxième partie, XXIX.
Deux taxes existaient sur l’achat et la vente des esclaves : le portorium et la vectigal, taxes d’importation, affermées aux publicains. Ces impôts furent à la charge de l’acheteur. Les marchands d’esclaves aimaient beaucoup les royaumes asiatiques, (Bithynie, Cappadoce, Egypte, Syrie etc…) où l’asservissement était devenu un mal endémique.
---> Tableau de Léon Gérôme.L’ensemble du territoire romain était formé de villes et de terre agricoles, on va retrouver ce clivage dans les grandes familles (Familia venant de Famulus = asservis.) de la servitude. En premier va apparaître la Familia Rustica, c'est-à-dire l’ensemble des esclaves d’une exploitation agricole, le nombre de son personnel va s’accroître au fur et à mesure que la population libre va diminuer (exode vers les villes, le petit paysan devient militaire etc…). Parallèlement, les grands domaines (villae) appartenant à de grandes familles urbaines vont aller en s’accroissant et, bien entendu, vont etre exploités par des esclaves. Sur ces terres va etre pratiquer une culture intensive qui va faire appel à un grand nombre d’entre eux. Et va venir la Familia Urbana qui va regrouper les esclaves vivant à la ville. Puis, ceux qui vont etre au service de l’Etat (Servi publici), peut-etre les plus à plaindre, car parmi ceux-ci, outre ceux qui s’occupent des travaux publiques, on va en trouver qui oeuvrent dans les mines (argent, plomb etc…), c’est le dernier degré de l’asservissement, l’espérance de vie y est de deux ans. Polybe nous dit que de son temps, il devait y avoir 40 000 esclaves qui travaillaient dans les mines d’argent en Espagne. C’était l’avant dernière punition avant la croix, pour ceux qui y étaient envoyés par leur maître. Pour revenir à la Familia urbana, on peut en dire qu’elle est devenue une espèce de domesticité : la spécialisation est de règle. La vie reste très dure à la campagne dans les grands domaines. L’esclave, le soir, est enfermé dans une « ergastule » (espèce de cellule collective), il n’en sort le matin que pour aller sur son lieu de travail. Un maître à souvent les deux espèces de familles, il peut avoir un grand domaine et une domus à la ville. La servitude a la campagne va devenir la sanction d’une faut commise à la ville. Une multitude d’esclaves est nécessaire pour etre considéré comme un homme riche, l’inutilité ou l’hyperspécialisation est indispensable :
« Quant à ses domestiques, hé ! ma foi ! je ne pense pas, tant ils sont nombreux, qu'un sur dix connaisse le maître. » Pétrone, Satyricon, deuxième partie, XXXVII.
« …qu'un vil métier passa pour un art. Et pourtant toutes ces innovations étaient à peine le germe du luxe à venir. » Tite Live, XXXIX, 6.
Par exemple, dans un banquet (cena) des danseuses vont apporter une touche de sensualité, énervante pour les convives. Gadès, en effet, était une ville espagnole d’Andalousie connue pour en former énormément ainsi que des danseurs.
« Ce fut à cette époque qu'on fit paraître dans les festins des chanteuses, des joueuses de harpe et des baladins pour égayer les convives… » Tite Live, XXXIX, 6.
Mais il va y avoir des domaines qui vont apporter un plus à la vie courante, ne serait ce que l’instituteur ou le médecin, de façon générale de nationalité grecque ; Crassus entretenait une masse de 500 esclaves qui abattaient et reconstruisaient les habitations (insulae) incendiées qu’il avait, entre temps, rachetées à bas prix. Certains grands personnages en avaient pour plaire au peuple, c’est ainsi que Rufus Egnatius employa les siens pour éteindre les foyers d’incendie qui s’étaient allumés durant son édilité. S’il a des capacités brillantes, il va etre chargé de taches intellectuelles, par exemple comment comprendre la prodigieuse activité littéraire d’un auteur comme Pline l’Ancien si l’immense effort demandé par la préparation et la mise en forme d’une oeuvre comme « l’Histoire Naturelle » n’avaient été effectuées par ses esclaves ?
Un esclave, bien entendu, ne pouvait servir dans une armée, c’est pour cela que 21000 d’entre eux furent affranchis pour combattre aux cotés des Romains durant les Guerres Sociales. Mais, Hannibal fit tellement peur après la bataille de Cannes qu’on promit d’affranchir ceux qui serviraient comme soldats.
« Ses deux légions étaient en grande partie composées d'esclaves enrôlés volontaires. Depuis deux ans ils avaient mieux aimé mériter en silence la liberté, que de la réclamer hautement. Cependant en sortant des quartiers d'hiver, T. Gracchus avait entendu quelques soldats murmurer et demander s'ils ne combattraient jamais comme hommes libres. Il avait donc écrit au sénat, non pas tant ce qu'ils demandaient que ce qu'ils avaient mérité. "Jusqu'à ce jour, disait Gracchus, il les avait trouvés pleins de courage et d'ardeur, et pour etre de vrais soldats, il ne leur manquait que d'etre libres." Le sénat s'en remit à lui pour faire ce qu'il jugerait dans l'intéret de la république. Alors, avant d'en venir aux mains avec l'ennemi, Gracchus leur déclare "que l'instant est venu pour eux de conquérir cette liberté qu'ils avaient longtemps attendue; que le lendemain le combat allait s'engager dans une plaine sans accident de terrain, découverte de tous côtés, où, sans craindre aucune embuscade, le vrai courage déciderait la victoire: que celui qui rapporterait la tete d'un ennemi, il le déclarerait libre à l'instant meme; que celui au contraire qui fuirait, il le ferait punir du supplice réservé aux esclaves; chacun d'eux avait sa fortune entre les mains; et ce n'était pas lui seulement qui leur garantissait leur liberté, mais le consul M. Marcellus et le sénat tout entier s'en étaient remis à ce sujet à sa décision." Tite Live, XXIV, 14.
Autre exception, J.César raconta que Pompée en enrôla pour lutter contre lui.
« Il y fait (Pompée) venir de toutes parts les troupes nouvellement levées, arme les esclaves et les pâtres, et leur donne des chevaux: il forme avec eux un corps d'environ trois cents cavaliers. » César, de Bello civile, I, 24.
Les mauvais traitements étaient monnaie courante : « Mais voilà qu'au moment où tous en choeur nous levons le pied droit, un esclave dépouillé de ses vetements se précipite à nos pieds, en nous suppliant d'intercéder pour lui. La faute pour laquelle il est menacé est, affirme-t-il, très légère : pendant que le trésorier était au bain, il s'est laissé prendre ses habits, qui valaient à peine dix sesterces. » Pétrone, Satyricon, Deuxième partie, XXX.
Plaute, par exemple, s’en fait largement l’écho. La pensée commune à tous les maîtres est que l’esclave doit redouter en permanence les châtiments, meme s’il ne les mérite pas. Châtiments qui, souvent, prend une forme collective : on connaît, sous Néron, l’exemple des esclaves du préfet de la Ville, Pedianus Segundus, qui furent crucifiés, au nombre de 400, parce que un seul l’avait assassiné. En effet, le maître qui était tué par un esclave provoquait une réaction fatale contre tous ses serviteurs, la croix leur était à tous destinée.
« Peu de temps après, le préfet de Rome Pédanius
Sécundus fut tué par un de ses esclaves, soit qu'il eût refusé de l'affranchir
après etre convenu du prix de sa liberté, soit que l'esclave, jaloux de ses
droits sur le complice d'un vil amour, ne pût souffrir son maître pour rival.
Lorsque, d'après un ancien usage, il fut question de conduire au supplice tous
les esclaves qui avaient habité sous le meme toit, la pitié du peuple, émue en
faveur de tant d'innocents, éclata par des rassemblement qui allèrent jusqu'à la
sédition. Dans le sénat meme un parti repoussait avec chaleur cette excessive
sévérité, tandis que la plupart ne voulaient aucun changement…cent voix confuses
répondaient en plaignant le nombre, l'âge, le sexe de ces malheureux, et, pour
la plupart, leur incontestable innocence. Le parti qui voulait le supplice
prévalut cependant. Mais la multitude attroupée, et qui s'armait déjà de pierres
et de torches, arretait l'exécution. Le prince réprimanda le peuple par un édit,
et borda de troupes tout le chemin par où les condamnés furent conduits à la
mort. » Tacite, Annales, XIV, 42 et suivants.
Son témoignage n’a aucune valeur légale en lui-meme, mais en quelque sorte,
il sera autorisé par la torture. Il sera toujours torturé pour apporter un ou
des éléments à la connaissance des autres ; mais il ne pouvait en aucun cas
témoigner contre son maître sauf pour cas de trahison, quelques cas, cependant, durent exister car J.
César sentit le besoin de rendre une loi pour légaliser tout cela. Le droit
romain ne pouvait concevoir qu’un citoyen s’accusa lui-meme, ors son esclave
étant sa propriété, il est lui donc pas de témoignage possible ; une loi
d’Auguste décréta qu’il devait etre vendu pour pouvoir témoigner contre son
maître mais toujours sous la contrainte de la torture.
La seule espérance immédiate de libération qui lui reste est la révolte ou la fuite, il y avait meme des gens spécialisés dans la recherche et la capture des esclaves en fuites : les Fugitivarii. On peut etre surpris que les révoltes fussent si rares. En fait, il va s’en produire trois d’importance : deux en Sicile, de 136 avant J.C. à 132 avant J.C. et celle de 104 avant J.C. à 101 avant J.C. puis celle de Spartacus de 71 avant J.C. à 73 avant J.C. La toute première daterait de 501 avant J.C. : les conjurés voulurent s’emparer du Capitole et incendier la Ville, ils finirent en croix. Les guerres puniques amenèrent un moment l’espoir d’une liberté éventuelle mais il fut vite étouffé par les succès des Romains. Tite Live nous parle d’un point particulier qui se passa à cette époque : « …une révolte d'esclaves faillit éclater dans les environs de Rome. Les otages des Carthaginois étaient gardés à Sétia; comme fils des principaux citoyens, ils avaient avec eux une foule considérable d'esclaves. Le nombre en fut augmenté, à la suite de la dernière guerre d'Afrique, de quelques prisonniers carthaginois provenant du butin que plusieurs habitants de Sétia meme avaient achetés. Ces misérables formèrent un complot, et détachèrent des émissaires pour soulever les esclaves dans le territoire de Sétia, et dans les environs de Norba et de Circéi. Après avoir pris toutes leurs mesures, ils résolurent de profiter des jeux qu'on allait célébrer prochainement à Sétia, pour attaquer le peuple occupé tout entier au spectacle: lorsqu'à la faveur du désordre et d'un massacre ils seraient maîtres de Sétia, ils devaient surprendre Norba et Circéi. Cet infâme projet fut dénoncé, à Rome, au préteur urbain L. Cornélius Mérula. Deux esclaves se présentèrent chez lui avant le jour, et lui racontèrent avec détail tout ce qui avait été fait et tout ce qu'on devait faire. Le préteur les garda chez lui, convoqua le sénat, lui communiqua ce qu'il venait d'apprendre, et reçut l'ordre de partir pour rechercher les coupables et étouffer cette conspiration. Il prit avec lui cinq lieutenants, et, faisant preter le serment militaire à tous ceux qu'il rencontrait sur sa route, il les contraignit à prendre les armes et à le suivre. Il rassembla ainsi à la hâte deux mille hommes environ et se rendit à Sétia, sans que personne sût où il allait. Dès son arrivée il fit saisir les chefs du complot; et, comme les esclaves s'étaient enfuis de la ville, il envoya dans les champs à leur poursuite. La république fut redevable de cet important service à deux esclaves et à un citoyen libre. Ce dernier reçut, par ordre du sénat, à titre de récompense, une somme de cent mille as; chaque esclave eut vingt-cinq mille as et la liberté; le trésor public indemnisa leurs maîtres. Peu après on fut informé qu'un reste de cette conspiration menaçait Préneste. Le préteur L. Cornélius s'y rendit et fit exécuter environ cinq cents esclaves reconnus coupables. » Tite Live, XXXII, 26.
De véritables grandes rébellion se produisirent en Sicile qui, depuis sa conquete était devenue un grenier à blé pour Rome. Cette céréale était cultivée dans de vastes domaines agricoles mis en valeur par des esclaves fort maltraités et qui n’avaient meme pas le minimum vital dans leur vie quotidienne.
« Dans les commencements de Rome, une première guerre servile fut tentée à
l'intérieur meme de la ville par le Sabin Herdonius, alors que l'État était en
proie aux séditions tribunitiennes. Herdonius occupa le Capitole, qui fut repris
par le Consul. Mais ce fut une émeute plutôt qu'une guerre. Qui eût cru que plus
tard, lorsque l'empire s'étendait dans les contrées les plus diverses, une
guerre servile ensanglanterait la Sicile beaucoup plus cruellement que la guerre
punique ?
La province de Sicile est une contrée fertile ; c'était en quelque sorte un
faubourg de Rome, et les citoyens romains y possédaient de vastes domaines. Ils
y entretenaient de nombreux esclaves indispensables à la culture de leurs
terres, et ces cultivateurs à la chaîne furent la cause de la guerre. Un Syrien,
nommé Eunus - (la grandeur des désastres qu'il causa nous empeche d'oublier son
nom) - simula l'enthousiasme prophétique, et, jurant par les cheveux de la
déesse syrienne, appela les esclaves, comme par l'ordre des dieux, à la liberté
et aux armes. Pour prouver qu'il était inspiré par une divinité, il dissimulait
dans sa bouche une noix remplie de soufre allumé, sur laquelle il soufflait
légèrement, et il jetait ainsi des flammes en parlant. Ce prodige lui permit de
rassembler autour de lui d'abord deux mille esclaves qu'il avait rencontrés,
puis, les armes à la main, il brisa les portes des prisons et se constitua une
armée de plus de soixante mille hommes. Pour couronner ses forfaits, il se para
d'ornements royaux. Il désola par d'affreux pillages les petites forteresses,
les villages et les villes. Bien plus, et ce fut pour nous le comble de la
honte, il s'empara des camps de nos preteurs. Je ne rougirai point de les nommer
: c'étaient les camps de Manlius, de Lentulus, de Pison, d'Hypsée. Ainsi des
esclaves, qui auraient dû etre ramenés par des hommes lancés à leur poursuite,
poursuivaient eux-memes des généraux prétoriens qu'ils avaient vaincus et mis en
fuite.
Ils furent enfin châtiés par notre général Perperna. Il les vainquit près d'Henna,
finit par les bloquer dans la ville et les réduisit par la famine, qui fut
suivie de la peste. Ce qui restait de brigands fut chargé de fers et de chaînes,
et mis en croix. Perperna, leur vainqueur, se contenta d'une ovation, afin de ne
pas souiller la dignité du triomphe par l'inscription d'une victoire remportée
sur des esclaves.
A peine l'île avait-elle repris haleine, que tout de suite sous le préteur
Servilius la révolte recommença, non plus avec un Syrien, mais avec un Cilicien.
Le pâtre Athénion, après avoir assassiné son maître, délivre de leur prison ses
compagnons d'esclavage, et les range sous ses enseignes. Portant une robe de
pourpre et un bâton d'argent, le front ceint d'un bandeau royal, il rassemble
une armée au moins aussi nombreuse que celle de son fanatique prédécesseur, et,
comme s'il voulait le venger, il se montre encore beaucoup plus cruel, torturant
les maîtres et surtout les esclaves, qu'il traite comme des transfuges.
Il battit aussi des armées prétoriennes, prit le camp de Servilius, et le camp
de Lucullus. Mais Titus Aquilius, à l'exemple de Perperna, le réduisit à
l'extrémité en lui coupant les vivres et détruisit facilement par les armes des
troupes affaiblies par la faim. Elles se seraient rendues si la crainte des
supplices ne leur eût fait préférer une mort volontaire. On ne put meme infliger
à leur chef aucun supplice, bien qu'il fût tombé vivant entre nos mains.
Entouré d'une foule de soldats qui se disputaient cette proie, il fut, dans la
lutte, déchiré entre leurs mains. »
Florus, Hist. III, 20.
« Il faut avouer que, de toutes les guerres, celle de Spartacus est la plus juste, et peut-etre la seule juste. » Voltaire, dictionnaire philosophique.
Mais, il faut noter que les esclaves qui le suivirent étaient issus en majeure partie de la campagne. Ceux des villes ont peu réagi ce qui marque bien la différence de traitement entre Familia rustica et Familia urbana.
Petit à petit, sous l’influence des philosophies stoïciennes et épicurienne, on commença de penser que l’esclave était un etre humain : « Ils sont esclaves; mais ils sont hommes…ils sont des amis dans l'abaissement…Traitez les vôtres avec indulgence et meme avec familiarité; admettez-les à votre conversation, à votre confidence, à votre intimité…Il est donc très sage à vous de ne vouloir pas etre craint de vos esclaves, de ne les châtier qu'en paroles; les coups sont pour les brutes. » Sénèque, lettre à Lucillius, livre V, lettre 47.
La servitude va se trouver révolutionner par rapport à son état durant la République. Une nouvelle donne se met en place progressivement : celle de l’esclave responsabilisé.
A la place du vilici (intendant) d’un domaine qui ne fut qu’un agent d’exécution va apparaître l’intendant-esclave qui va gérer. A la ville, on va voir l’esclave-intendant qui, par exemple, va etre en charge de l’administration d’une insula. Au plus haut sommet de l’Etat, les empereurs vont essayer d’améliorer leur sort. Des lois vont chercher à assouplir leur vie quotidienne ; c’est ainsi que Claude interdit de les tuer s’ils deviennent incapables de travailler : « Quelques citoyens, pour s'épargner la peine de les guérir, avaient fait exposer leurs esclaves malades dans l'île d’Esculape (île tibérine). Claude décréta que tous ceux qu'on exposerait ainsi seraient libres, et qu'en cas de guérison, ils n'appartiendraient plus à leurs maîtres. Il ajouta que, si quelqu'un tuait son esclave au lieu de l'exposer, il serait tenu coupable de meurtre. » Suétone, Claude, 25.
Hadrien alla plus loin, il étendit la mesure et se prononHistoire Auguste, Vie d’Hadrien, trad. A. Chastagnol, col. Bouquins. ça contre son élimination pour quelque motif que ce fut. Il était déjà défendu de le vendre à un « laniste » contre son gré pour etre gladiateurs. Toujours sous l’Empire, on vit meme des esclaves riches qui eux-memes avaient des esclaves (vicarii).
« …ayant aperçu l’un d’entre eux (esclave) qui, sans le voir, se promenait entre deux sénateurs, il envoya quelqu’un lui donner une gifle et lui dire : « Ne te promène donc pas entre deux personnes dont tu pourrais etre l’esclave ! ». Histoire Auguste, Vie d’Hadrien, trad. A. Chastagnol, col. Bouquins.
On trouvait aussi des esclaves marchands d’esclaves.
L’apparition du christianisme dans l’Empire romain ne remettra jamais en cause la servitude (voir St Paul, Epitres aux Ephésiens, VI, 5, 7). Saint Augustin, au V ème siècle, ira meme jusqu’à dire qu’on est ou devient esclave à cause de ses péchés. « …l’étymologie latine, les esclaves étaient des prisonniers de guerre à qui les vainqueurs conservaient la vie, alors qu’ils pouvaient les tuer par le droit de guerre : or, cela meme fait voir dans l’esclavage une peine du péché. » Cité de Dieu, livre XIX.
« Les Évangiles ne mettent pas dans la bouche de Jésus-Christ une seule parole qui rappelle le genre humain à sa liberté primitive, pour laquelle il semble né. Il n’est rien dit dans le Nouveau Testament de cet état d’opprobre et de peine auquel la moitié du genre humain était condamnée; pas un mot dans les écrits des apôtres et des Pères de l’Église pour changer des betes de somme en citoyens, comme on commença à le faire parmi nous vers le xiiie siècle. S’il est parlé de l’esclavage, c’est de l’esclavage du péché…Il dit très justement que ce n’est pas la charité chrétienne qui a brisé les chaînes de la servitude, puisque cette charité les a resserrées pendant plus de douze siècles » Voltaire, dictionnaire philosophique.
Toutes ces diverses constatations faites sur l’esclavage amène à se poser une question : la servitude n’a-t-elle pas été un frein à la construction ou à la découverte de la technicité ?
Lecture sur l’esclavage.
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