Mariage : Matrimonium
Un mariage romain, comme beaucoup dans l'histoire de notre société moderne, n'était pas une affaire d'amour mais était considéré comme un lien économique ou politique entre deux famille (qu'il ait existé des liens sentimentaux entre la fille de César et Pompée, par exemple, n'était qu'un surplus). Sa fonction essentielle était la procréation. Et c'est pour cela que les familles de la classe aristocratique étaient plus instables que celle de la plèbe. L'amour conjugal n'était qu'un comportement de plus : « La bonne épouse est celle qui respecte la loyauté qu'elle doit à son mari. » (« La vie quotidienne du citoyen romain sous la République », par Florence Dupont). C'est seulement beaucoup plus tard, sous l'influence du stoïcisme, que le mariage devint, pour certains, une longue amitié. Il ne viendrait pas à l'idée d'un Romain d'avoir un geste tendre envers sa femme---voir l'épisode où Caton le Censeur raye un homme de l'album des sénateurs pour avoir embrasser sa femme en public---.
Cet acte de la vie courante n'était marqué par aucun lien public ; pas de registre de l'Etat Civil, pas de signatures, aucune cérémonie officielle n'était requise, seul le consentement devant témoins avait une très grande importance ; mais généralement, le mariage était prétexte à une fête comme l'écrivit Catulle (poème 61) présent sur ce site dans la partie « ouvrages ».
Pour qu'un mariage soit légal, il fallait être en possession du jus conubii que les alliés (les Latins) n'eurent qu'après les « guerres sociales ». En effet, le conubium rendaient automatiquement les enfants citoyens romains ; cette sorte d'union n'était donc possible qu'entre citoyens romains. L'inceste avait autant d'importance que maintenant : il était interdit d'épouser quelqu'un de son sang bien que l'empereur Claude ait démontré le contraire en se mariant avec sa nièce : Agrippine. Il fallut que le Sénat en pleine crise de servilité lui en donne l'autorisation.
« …et d'un amour illicite. Toutefois ils n'osaient pas encore célébrer la cérémonie nuptiale, parce qu'il était sans exemple qu'une nièce fût devenue l'épouse de son oncle…L'incertitude ne cessa que lorsque Vitellius eut pris sur lui de terminer l'affaire par un coup de son génie... Lui-même (Vitellius) se rend au sénat ; et, protestant qu'il s'agit des plus grands intérêts de la république… » Tacite, Annales, XII, 5.
Les esclaves ne pouvaient se marier ( comme il a été dit sur ce site, à l'article « esclavage » ), ils n'eurent droit qu'au contubernium (sorte de concubinage) qui devait avoir l'assentiment du maître et qui pouvait être rompu par sa simple volonté, Caton faisait payer ce droit à ses esclaves en prenant sur leur pécule. Les soldats, eux-aussi, ne pouvaient convoler ; ils vivaient en concubinage surtout s'ils étaient stationnés dans un camp fixe, le long des limes . Leurs concubines vivaient à l'extérieur dans des maisons que l'on nommait cabanae .
A l'origine, seuls les patriciens avaient le droit de se marier et ce n'est qu'en 450 avant J.C. que les plébéiens reçurent le jus conubii . C'est à cette époque qu'apparut le mariage sine manu lorsqu'ils purent épouser des patriciennes. Avec lui, le père gardait son pouvoir sur sa fille et sa dote. Il fut très vite généralisé et se retrouva être celui qui se pratiquera sous l'Empire.
Selon Gaius (un des plus connus juriste romain qui vécut et rédigea un code des lois au IIème siècle de notre ère) et ses Institutes , il fallait distinguer trois formes d'union de deux êtres ayant chacune un statu juridique particulier : la confarratio , le coemptio et le mariage per usum . En fait, la loi distinguait deux de grandes sortes : celui cum manu et celui sine manu . La femme qui se mariait cum manu était totalement sous l'autorité de son mari et celle qui le faisait sine manu restait sous l'autorité de son père d'où un besoin de tutelle puisque la femme était considéré comme une perpétuelle mineure ; seul cette dernière forme d'union permettait le divorce, Messaline en épousa un autre (Gaius Silius) parce qu'elle pensait avoir divorcé de Claude, même la femme pouvait donc se prononcer sur le devenir de son couple. La répudiation était l'apanage de l'autre ; cette idée juridique disparut peu à peu sous l'Empire et on n'en entendit plus parler du tout dans le Bas Empire.
Voyons en quoi consister ces trois formes. Le mariage per usum constatait une cohabitation qui devait remonter à plus d'un an. Celui qui était le plus ancien était la conferreatio . Il ne se pratiquait que dans les familles patriciennes en présence du « Flamine Dialis » et du « Grand Pontife ». Son nom viendrait de panis farreus , une espèce de gâteau d'épeautre que les époux se partageaient. Il devait être célébré en présence de 10 témoins. C'était la seule forme de mariage à comporter une cérémonie religieuse, en effet, il comprenait un sacrifice, généralement, on offrait un agneau à Jupiter et les mariés devaient s'asseoir sur la peau de la bête fraîchement écorchée. A la fin de la République , il avait pratiquement disparu, seuls les « flamines » (prêtres) avaient l'obligation de se marier de cette façon. Les historiens pensent que dans les premier temps de la royauté comme de la République , il n'y avait que cette forme d'union.
Puis venait le mariage dit : coemptio . Le terme venait du verbe emo = acheter car le fiancé achetait sa future femme au père de celle-ci. Il vendait fictivement sa fille en accomplissant la cérémonie de la vente ( mancipio ). Il s'agissait de prononcer la phrase : « Quirites, par l'airain et la balance, je transfère la propriété ». L'airain symbolisait le métal dans lequel était faite la monnaie. Il se faisait en présence de trois témoins.
Le mariage le plus courant était le coemptio dans lequel la mariée passait dans la manu de son mari. Dans les derniers temps de la République , la femme restait en possession de sa dot (les seuls revenus pouvaient être employés par le couple, du moins en théorie) et devait la gérer à travers un tuteur. Sous l'Empire, elle se retrouva sous l'autorité de son mari (très peu) et de son père (beaucoup) ou de son tuteur. Et elle devint indépendante, non pas de droit mais en réalité car trop d'autorité tue l'autorité. Le tuteur était le remplaçant du pater familias en cas d'empêchement de ce dernier, il devait veiller sur les intérêts de sa pupille. Il va peu à peu disparaître ; dès le commencement de l'Empire, son champ d'action va s'amenuiser avec la promulgation des lois sur la famille faites par Auguste en particulier la "lex Papia Poppaea". C'est ainsi qu'une mère de trois enfants n'était plus sujette à la tutelle et que les Sénateurs mariés se voient avantager dans leur carrière (cursus honorum).
Le mariage devait avoir lieu un jour propice, il fallait éliminer ceux qui étaient fériés (consacrés aux dieux = feriae ), les calendes, les nones et les ides de n'importe quel mois. Le moment idéal était la dernière quinzaine de juin.
La cérémonie que nous allons décrire ne concernait que des nouveaux mariés (pour la première fois), un remariage ne devait pas donner lieu à des réjouissances mais se pratiquait couramment, tout ce qui l'entourait était simplifié au maximum. La veille, la jeune future épousée passait de l'état d'enfant à celui d'adulte en laissant à son père sa « bulle » d'or et sa toge prétexte, symboles de l'enfance. Elle distribuait ses jouets aux enfants qui l'entouraient, signe qu'elle passait dans l'âge adulte. Puis, le lendemain, tout commençait par la prise d'auspices (comme tous les évènements dans la vie d'un Romain) chez la mariée. Elle était vêtue d'une tunique blanche et sa coiffure était semblable à celle des vestales, ses cheveux étaient divisés en six tresses ramenées autour de la tête, cachées par un voile orangé, symbole de la fécondation. Elle se devait d'être peignée avec le fer d'une lance et si possible avec une lance ayant trempée dans du sang humain :
COELIBARIS HASTA, aiguille dont on ornait la tête d'une mariée. Cette aiguille était faite d'un javelot tiré du corps d'un gladiateur renversé et tué. Elle signifiait que l’épouse devait être unie à l’époux comme le javelot avait été uni au gladiateur; peut-être aussi rappelait-elle que les matrones sont sous la protection de Juron Curite, ainsi surnommée de ce qu'elle portait le javelot appelé curis dans la langue des Sabins ; peut-être encore présageait-elle que l’épouse donnerait le jour à des hommes vaillants ; peut-être enfin signifiait-elle que, par le droit du mariage, l’épouse est soumise à l'époux, parce que le javelot et la lance résument toute l'armure et sont le symbole du commandement. C'est pour cette raison que l'on en fait présent aux hommes vaillants, et que l'on vend sous elle les captifs, que les Grecs appellent duru‹lvtoi et dorækthtoi. Festus.
Un des moments forts était l'union des mains des époux par le témoin de la mariée ( pronubia) , il s'agissait d'une femme dont le mari était toujours vivant et qui n'avait qu'un seul mariage à son actif, cette matrone se devait d'être pure donc de n'avoir eu de sexualité qu'avec son mari. Cette union des mains était très importante puisqu'elle était le symbole d'un acte de fides. Il associait deux êtres. Le tout se terminait par un banquet. Ensuite la nouvelle épousée était conduite dans sa nouvelle maison à la lueur des torches (à la façon d'un enlèvement peut-être en souvenir du rapt des Sabines ou tout simplement pour conjurer le mauvais sort) accompagné de joueurs de fluttes. Il y avait 5 torches (cereones), les nouveaux mariés les allumaient à celles des édiles, comme le raconte Varron.
Pourquoi ne souffrent-ils pas qu'une nouvelle mariée touche le seuil de la porte pour entrer dans la maison de son mari, et que les pronubes l'enlèvent dans leurs bras pour le lui faire franchir?
Cet usage vient-il de ce que les premières femmes qu'ils eurent n'y entrèrent pas volontairement et y furent transportées dans les bras de leurs ravisseurs. Est-ce qu'elles veulent avoir l'air de n'entrer que par force dans un lieu où elles doivent perdre leur virginité ? Est-ce pour leur faire entendre qu'elles ne doivent pas quitter la maison, à moins qu'elles n'y soient forcées, comme elles l'ont été pour y entrer? En Béotie, on brûle devant la porte du mari l'essieu de la voiture dans laquelle la nouvelle mariée a été conduite, pour lui apprendre qu'elle est obligée de rester à la maison, d'où on lui ôte les moyens de sortir. Plutarque, Oeuvres morales, questions romaines, 29. Traduction de Ricard, 1844.
Sur le parcours le cortège chantait des chansons grivoises, elle tenait à la main une quenouille et un fuseau. Le cortège qui l'accompagnait jetait des noix autour de lui.
Elle va marquer son intégration à son nouveau foyer par l'offrande de trois as, un à son mari ou plutôt à son genius , un aux « lares » de sa nouvelle famille (en le mettent sur le foyer) et le dernier en le jetant vers l'autel du carrefour le plus proche (signe de son intégration à un nouveau quartier). Elle va alors prononcer la phrase rituelle : « Ubi te Gaius, ego Gaia » (là où tu seras, Gaius, je serai Gaia) formule dont de multiples interprétations ont été données, c'est-à-dire que personne n'est d'accord pour en voir l'origine.
Une fois à l'intérieur de sa nouvelle demeure, dans l' Atrium , elle présentait à son mari l'eau et le feu, symbole de vie. Le mari devait s'approcher de son épouse dans le noir le plus complet. Le lendemain, elle offrait un repas à ses parents et pratiquait son premier sacrifice aux dieux lares de sa nouvelle maison. A partir de Marc-Aurèle, les nouveaux époux venaient au temple de Vénus et de Rome où un autel leur était spécialement consacrés pour y faire un sacrifice.
Il est curieux de constater que contrairement à l'époque actuelle, l'échange d'anneaux d'or se déroulait aux fiançailles. Le doigt était toujours le même que de nos jours, il était réputé pour avoir un nerf qui allait directement au cœur.
Qui dit mariage dit aussi divorce ou répudiation, ceux qui ont vécu une cérémonie religieuse divorcent suivant une cérémonie particulière : diffareatio. Les autres qui ont connu un mariage civil, se séparent, en présence de témoins devant le tribunal du préteur ; la dot doit être restituée moins 1/6 par enfant né du mariage.
Puis l'Empire va céder sous la pression des barbares, entre autres des Germains ; le droit germain va être superposé au droit romain. Ces Germains admettaient le concubinage et la polygamie, c'est ainsi qu'au V ème siècle de notre ère, la famille va connaître un tournant, le mariage aussi.