Censeurs
Censeurs :
Les censeurs avaient une position particulière. Ils n'avaient d'imperium mais avaient droit à la chaise curule, ils n'avaient pas de licteurs, ils avaient un pouvoir inférieur à celui des consuls et des préteurs mais leur position sociale était regardée comme la plus haute de l'état. Et, ils avaient le droit d'être revêtu de la robe pourpre des triomphateurs à leurs obsèques. La censure était la seule magistrature à laquelle on ne pouvait pas se représenter une seconde fois.
---> Scène de recensement, 100 av J.C.
La censure connut une existence de 421 ans, de 423 avant J.C. à 22 avant J.C., mais à certaines périodes, elle ne fut pas exercée, notamment durant la dictature de Sylla.
Le mot " censure " viendrait du verbe censere qui voulait dire : " faire une estimation, décider de ".
" Cette même année vit l'établissement de la censure, qui, au début, n'eut pas grande importance, mais qui prit par la suite un tel développement, qu'elle eut entre ses mains la direction des mœurs et de la discipline romaine; qu'elle prononça souverainement sur l'honneur des sénateurs et des chevaliers, et qu'elle eut dans ses attributions l'inspection des lieux publics et particuliers, ainsi que l'administration des revenus du peuple romain. Voici dans quelles circonstances cette magistrature fut instituée. Le cens n'avait pas eu lieu depuis plusieurs années, et il n'était plus possible de le différer davantage : mais les consuls, au milieu de toutes les guerres qui menaçaient, n'avaient pas le temps de s'en occuper. Ils représentèrent au sénat que cette opération pénible et nullement consulaire réclamait un magistrat spécial, dont relèveraient les greffiers, qui aurait la garde et le soin des registres, et réglerait à son gré la manière de faire le cens. "
Tite Live IV, 8.
La tradition ancienne attribuait la fondation du cens à Servius Tullius :
"Le cens a été fait d'abord par le roi, — c'est au dernier des rois réguliers qu'on attribue la fondation de la censure et l'accomplissement des quatre premiers lustres" Mommsen, droit public romain, livre 2.
Elle avait comme utilité de mettre le citoyen " à sa place réelle dans la cité " (Claude Nicollet-Le Métier de Citoyen dans la Rome républicaine).
---> Ancienne monnaie représentant la Concorde et la Villa Publica
" Ce fut alors que, dans le loisir de la paix, il entreprit une œuvre immense; et si Numa fut le fondateur des institutions religieuses, la postérité attribue à Servius la gloire d'avoir introduit dans l'état l'ordre qui distingue les rangs, les fortunes et les dignités, en établissant le cens, la plus salutaire des institutions, pour un peuple destiné à tant de grandeur. Ce règlement imposait à chacun l'obligation de subvenir aux besoins de l'état, soit en paix, soit en guerre, non par des taxes individuelles et communes comme auparavant, mais dans la proportion de son revenu. Servius forma ensuite les diverses classes des citoyens et les centuries, ainsi que cet ordre, fondé sur le cens lui-même, aussi admirable pendant la paix que pendant la guerre. La première classe était composée de ceux qui possédaient un cens de cent mille as et au-delà; elle était partagée en quatre-vingts centuries, quarante de jeunes gens et quarante d'hommes plus mûrs. Ceux-ci étaient chargés de garder la ville, ceux-là de faire la guerre au dehors. On leur donna pour armes défensives, le casque, le bouclier, les jambières et la cuirasse, le tout en bronze; et pour armes offensives, la lance et l'épée. À cette première classe, Servius adjoignit deux centuries d'ouvriers, qui servaient sans porter d'armes, et devaient préparer les machines de guerre. La seconde classe comprenait ceux dont le cens était au-dessous de cent mille as, jusqu'à soixante-quinze mille, et se composait de vingt centuries de citoyens, jeunes et vieux. Leurs armes étaient les mêmes que celles de la première classe, si ce n'est que le bouclier était plus long et qu'ils n'avaient pas de cuirasse. Le cens exigé pour la troisième classe était de cinquante mille as : le nombre des centuries, la division des âges, l'équipement de guerre, sauf les jambières, que Servius supprima, tout était le même que pour la seconde classe. Le cens de la quatrième classe était de vingt-cinq mille as, et le nombre des centuries égal à celui de la précédente; mais les armes différaient. La quatrième classe n'avait que la lance et le dard. La cinquième classe, plus nombreuse, se composait de trente centuries : elle était armée de frondes et de pierres, et comprenait aussi les cors et les trompettes, répartis en deux centuries. Le cens de cette classe était de onze mille as. Le reste du menu peuple, dont le cens n'allait pas jusque-là, fut réuni en une seule centurie, exempte du service militaire. Après avoir ainsi composé et équipé son infanterie, il leva, parmi les premiers de la ville, douze centuries de cavaliers; et des trois que Romulus avait organisées, il en forma six, en leur laissant les noms qu'elles avaient reçus au moment de leur institution. Le trésor public fournit dix mille as pour achat de chevaux, dont l'entretien fut assuré par une taxe annuelle de deux mille as, payée par les veuves. Ainsi retombaient sur le riche toutes les charges, dont le pauvre était soulagé mais le riche trouva des dédommagements dans les privilèges honorifiques que lui conféra Tullius; car si, jusque-là, suivant l'exemple de Romulus et la tradition des rois ses successeurs, les suffrages avaient été recueillis par tête, sans distinction de valeur ni d'autorité, de quelque citoyen qu'ils vinssent, un nouveau système de gradation dans la manière d'aller aux voix concentra toute la puissance aux mains des premières classes, sans paraître toutefois exclure qui que ce fût du droit de suffrage. On appelait d'abord les chevaliers, puis les quatre-vingts centuries de la première classe. S'ils ne s'accordaient pas, ce qui arrivait rarement ou prenaient les voix de la seconde classe; mais on ne fut presque jamais obligé de descendre jusqu'à la dernière. Il ne faut pas s'étonner que le nombre des centuries, porté maintenant à trente-cinq, et par conséquent doublé, et celui des centuries de jeunes gens et de vieillards, ne se rencontrent plus avec le nombre anciennement fixé par Tullius; car il avait divisé la ville en quatre quartiers, formés des quatre collines alors habitées, et c'est lui qui donna à ces quartiers le nom de tribus, à cause, j'imagine, d'un tribut qu'il leur imposa et dont il proportionna la quotité aux moyens de chaque particulier. Ces tribus n'avaient rien de commun avec la division et le nombre des centuries. "
Tite Live I, 42 et suivants
D'abord de cinq ans (un lustre), Mommsen parle de 4 ans, s'appuyant sur une traduction délicate, leur charge se vit réduite à dix huit mois sur les desiderata du consul puis dictateur Aemilius Mamercus (lex Aemilia, 434 av J.C.) mais si cela était nécessaire, ils restaient dans leurs fonctions durant les cinq ans.
" Alors le dictateur voyant perdue pour lui l'occasion d'acquérir de la gloire par les armes, et voulant que son élection fût utile à quelque chose, résolut, pour laisser un monument de sa dictature, d'abaisser le pouvoir des censeurs; soit que ce pouvoir lui parut excessif, soit qu'il fût encore plus choqué de sa durée que de son étendue. Il convoqua donc une assemblée du peuple où il dit : "Que les dieux immortels s'étaient chargés des affaires extérieures et de la sûreté de la république; qu'il ne lui restait à lui qu'à veiller dans l'intérieur sur la liberté de Rome; que le plus ferme appui de cette liberté était dans le peu de durée des grandes magistratures; et qu'il fallait abréger celles dont on ne pouvait restreindre l'autorité. Tandis que les autres magistratures étaient annuelles, la censure était quinquennale. Il était dur de passer tant d'années une si grande portion de la vie sous la dépendance des mêmes hommes. Il proposerait une loi pour réduire à un an et demi la durée de la censure. Cette loi passa le lendemain avec l'approbation unanime du peuple. " Tite Live, IV, 24.
A l'origine, ils étaient chargés de classer les citoyens pour leur service au sein de l'armée. Plus tard, ils eurent un rôle politique et moral. Tous les cinq ans, ils devaient recenser les citoyens, les répartir entre les tributs et les centuries d'après la richesse de chacun ce qui permettait de définir leur apport en matière militaire comme fiscal. Chacun était tenu de se présenter devant eux sous peine de sévères sanctions. Ils devaient, en outre, établir la liste des membres du Sénat (album). Le cens leur faisait passer tout le monde en revue, à cette occasion de la moralité des gens. A cet effet, une maison avait été construite au Champ de Mars (villa publica), chaque chef de famille (pater familias) était tenu, obligé de se présenter devant les censeurs assis sur leur chaise curule. La présence de chacun était nécessaire, mais n'est ce pas une exception, plus tard les censeurs avaient envoyé des délégués dans les provinces pour estimer les citoyens romains à l'extérieure de la Ville. (cette exception est signalée par Claude Nicolet).
" La cérémonie du lustre fut retardée, car les censeurs durent faire rechercher dans les provinces les citoyens romains en campagne...Les censeurs de douze colonies apportèrent, ce qu'on n'avait jamais fait auparavant, le résultat du recensement aux censeurs de Rome, afin qu'ils gardent dans les registres de l'Etat le nombre de soldats et le chiffre de l'impôt " Tite Live, XXIX, 37. Tr. A.Flobert.
Ils pouvaient punir tel ou tel personnage pour telle affaire, cela allait d'une amende (infligée au tenant du célibat) à la rétrogation dans une classe inférieure, sanction qui était lourde à supporter pour un sénateur qui le lendemain se voyait refuser l'accès au Sénat, exclusion (nota) qui se faisait à la suite d'un blâme (voir Caton le Censeur qui le fit pour une peccadille).
---> Buste de Caton le Censeur
Il ne faut pas oublier, aussi, que les censeurs avaient une fonction de gérance des fonds publics. Leur première tâche, après avoir été nommés, était de désigner ceux qui allaient nourrir les oies sacrées et lustrer la statue de Jupiter Capitolin. Ils présidaient aux dépenses de l'Etat pour tout ce qui étaient édifices publics.
" Les censeurs inspectèrent minutieusement et avec la plus grande impartialité la restauration des bâtiments. Ils adjugèrent la construction d'une route...Ils décidèrent de lever un nouvel impôt sur la production annuelle du sel. " Tite Live XXIX, 37, tr.A.Flobert.
" ...les censeurs adjugent dans toute l'Italie une multitude de travaux de construction ou de réfection de bâtiments publics-on aurait peine à donner un chiffre, tant ces adjudications sont nombreuses-... " Polybe, Histoire, VI, 17.
Il est difficile de faire la distinction, sur ce sujet, entre la fonction d'édile et la fonction de censeur.
La fin du cens donnait lieu à des cérémonies ("fermer le lustre", telle était la formule), processions, prières et sacrifices.
Ils étaient élus par les comices centuriates.
La censure connut quelques résurgences du temps des empereurs mais sans grande signification. Domitien prit ses fonctions à vie ce qui en marqua la fin car elle n'avait de réalité que pour 5 ans.
---> Buste de Claude
" Claude exerça aussi la censure qui n'avait plus été donnée depuis Plancus et Paulus (22 avant J.C.). Mais il fit voir dans ses fonctions la même inégalité de caractère et de conduite. " Suétone, vie de Claude, 16.