ÉTUDE SUR PLINE LE JEUNE

par

 THÉODORE MOMMSEN

TRADUIT PAR C. MOREL

1873

Avant-Propos.

Introduction.

PREMIÈRE PARTIE. — CHRONOLOGIE DES LETTRES DE PLINE.

DEUXIÈME PARTIE — RECHERCHES SUR LA VIE DE PLINE LE JEUNE.

APPENDICES.

 

AVANT-PROPOS.

Ce mémoire de M. Mommsen a paru en 1868 dans le troisième volume du Hermès, revue de Philologie classique, publiée à Berlin, chez Weidmann. La traduction était terminée en 1869. Il n'est pas besoin de rappeler les circonstances qui ont retardé sa publication. Pendant ces quatre années d'intervalle, la science a marché comme les événements et, sur mainte question de détail, il est devenu indispensable de modifier le texte de l'original.. M. Mommsen a bien voulu nous communiquer lui-même la plupart de ces modifications et relire les épreuves de notre traduction.
CH. M.

Introduction.

On admet généralement aujourd’hui que l’ordre dans lequel les lettres de Pline le Jeune nous ont été transmises n’est pas l’ordre chronologique. Il fut un temps où tous les savants n’étaient pas de cet avis : les fastes du règne de Trajan, tels que les a dressés Pauvinius, reposent sur une opinion toute contraire ; et le consciencieux Tillemont déclare que « les lettres de Pline sont à peu prés mises dans l’ordre du temps ; mais il est forcé d’admettre un grand nombre d’exceptions, qui condamnent d’autant plus la règle, qu’elles concernent précisément presque toutes les lettres dont la date peut se déterminer. Aussi les érudits qui sont venus ensuite, surtout Masson, dans son travail, d’ailleurs soigné et intelligent, sur la vie de Pline, ont-ils tous été d’un avis différent. On ne peut pas douter que leur opinion ne s’appuie sur ce fameux passage de la lettre à Septicius Clarus qui tient lieu de préface à la collection : collegi [epistulas] non servato temporal ordine (neque enim historiam componebam) sed ut quæque in manus venerat. Mais ne serait-il pas permis de supposer que Pline a eu pour but principal, en faisant cette déclaration, de donner à la collection de ses lettres, collection rédigée incontestablement avec le plus grand soin, un cachet de négligence agréable ? En tout cas ce passage ne prouve pas ce qu’on veut y voir, car il n’est pas établi que les différents livres de la collection n’ont pas été publiés séparément et successivement, et nette préface pourrait bien ne se rapporter qu’au premier livre.D’après le caractère même du recueil il parait certain que Pline a publié lui-même les neuf livras de ses lettres : on n’a, il est vrai, aucun témoignage formel à ce sujet ; mais quel éditeur, si prudent qu’il fut, eût été capable d’arranger d’une façon aussi peu compromettante un recueil de lettres posthumes, où sont loués tous ceux qui, au moment où l’auteur parle, ne sont ni morts ni exilés et qui, dans son ensemble, fait plutôt l’effet d’un manuel épistolaire a l’usage des classes élevées, que d’une véritable correspondance. Le premier, à Rome, Pline lut en public les lettres qu’il destinait à la publicité (VII, 17), et on ne peut douter qu’il ne les ait éditées lui-même, comme des modèles de style, honneur qu’elles méritaient bien d’ailleurs par la clarté et la grâce du langage. Or, à cette époque, la publication successive des différents livres composant une même œuvre était sinon la règle, du moins l’usage ordinaire. Les termes mêmes dont se sert Pline dans sa dédicace à Septicius : ita fiet ut eas quæ adhuc neglectæ iacent requiram et si quas addidero, non supprimam, paraissent indiquer un tel procédé, dont le recueil lui-même semble d’ailleurs avoir conservé quelques traces ; ainsi, dans sa lettre Cremutius Naso, IX, 49, Pline veut justifier sa lettre à [Lucceius ?] Albinus (VI, 10) et il débute par ces mots : significas legisse te in quadam epistula mea, ce qui fait supposer que, lorsqu’il écrivit ces mots, le sixième livre était déjà publié; et, ce qui est encore plus caractéristique, il se justifie dans son septième livre (lettre 28), contre le blâme qui lui était adressé par ses amis de louer trop et à chaque occasion, et il adresse cette justification à Septicius, à qui est dédié son recueil.

Le débat reste donc ouvert, personne ne le niera, et le sujet est digne d’un examen attentif ; car, si incomplète que soit l’image qui se reflète dans la correspondance de Pline, c’est celle du monde de son temps, et ce monde a conservé encore un caractère de richesse et de grandeur ; il nous a laissé en effet autre chose que les lettres de notre sénateur, morceaux de style limés et terre-à-terre, et les vers graveleux de son client badin, Martial : nous lui devons le Dialogue des Orateurs et l’Histoire de Tacite. A tous les traits qui établissent une certaine analogie entre Pline et Cicéron, on peut ajouter celui-ci, que tous deux nous ont donné, l’un de la vie républicaine, l’autre de la vie sous les empereurs, le tableau le plus net et le plus complet.Quelques inscriptions, découvertes pour la plupart dans notre siècle contiennent des renseignements importants, dont on n’a pas encore songé à tirer parti pour résoudre les problèmes qui nous occupent ; c’est ce qui nous a engagé à entreprendre cette étude. Notre exposé conservera un caractère un peu désordonné et n’épuisera pas toutes les questions ; le lecteur intelligent comprendra que ces inconvénients sont inhérents à la matière, et nous comptons sur son indulgence è cet égard.

 Quiconque jettera un coup d’exil, même superficiel, sur la collection, sera frappé de ce fait que toutes les lettres qui traitent d’un même sujet, ou du moins qui portent des indications suffisantes de contemporanéité, se trouvent, ou dans le même livre, ou dans deux livres qui se suivent. Cette observation ne s’applique pas seulement à un grand nombre de couples de lettres; on peut la faire aussi en relevant les allusions relatives aux mauvaises vendanges et à des circonstances analogues, allusions qui se retrouvent dans le VIIIe livre et dans le Ier. Cela déjà ne saurait être le fait du hasard puisque, au contraire, on ne rencontre dans tout le recueil aucun exemple de deux lettres notoirement de même date et qui soient séparées l’une de l’autre.Mais la publication successive des livres ressort avec une évidence bien plus grande encore du fait que, lorsqu’une lettre en suppose une précédente, ou en général lorsque la suite des événements peut se constater, en d’autres termes lorsqu’il se trouve des couples ou des groupes de lettres dont on peut établir l’ordre chronologique, cet ordre correspond absolument à la suite des livres. Ainsi, des deux lettres III, 4 et IV, 1, concernant la construction d’un temple à Tifernum, la seconde présuppose la première. Il en est de même des couples III, 20 et IV, 25, qui ont trait au scrutin secret dans les élections ; des couples VI, 10 et IX, 19, sur l’inscription funéraire de Verginius Rufus ; des couples VII, 24 et VIII, 6, concernant le monument de Pallas. On peut constater la même chose quand il s’agit d’une suite d’événements. M. Regulus, collègue et ennemi de Pline, est vivant dans les quatre premiers livres (I, 5 ; 20, 14 ; II, 11, 22, 20 ; IV, 2 ; 7) ; dans le sixième livre (ep. 2) il est mort ; son fils, vivant dans le second livre (ep. 20, 5, 6), est mort dans le quatrième (ep. 2, 7). Calestrius Tiro, ami et contemporain de Pline, préteur la même année que lui (VII, 16, 2), figure dans le sixième livre (ep. 22, 7) comme proconsul désigné de la Bétique, dans le septième (ep. 16, 23, 32) il passe par Côme en se rendant a son poste ; dans le neuvième (ep. 2) il administre sa province.

Quelque chose d’analogue s’observe dans les renseignements que contiennent les lettres sur les mariages et les alliances de Pline. Il s’est marié trois fois, deux fois sous Domitien, et sa seconde femme, belle-fille de Vettius Proculus, mourut en 97. Or, dans les trois premiers livres il n’est fait aucune mention de sa femme, mais seulement de sa belle-mère, la riche Pompeia Celerina tandis que ces relations cessent plus tard. Dans le quatrième livre nous voyons Pline remarié, depuis peu évidemment, avec Calpurnia. Dans la suite il est très souvent question, soit d’elle (ses fausses couches sont racontées au livre VIII, 10 ; 11 ; 19), soit des deux personnes qui lui tenaient lieu de père et de mère, c’est-à-dire de son grand-père Calpurnius Fabatus et de sa tante paternelle Calpurnia Hispulla.Les preuves que nous avons rassemblées ici ne sont que la plus petite partie de celles que nous possédons, et ce ne sont pasles plus concluantes ; la démonstration sera complétée dans le cours de ce mémoire, où nous avons essayé de déterminer plus nettement la chronologie des différents livres et celle de la carrière politique et littéraire de Pline.

Ajoutons cependant encore une observation générale : on remarque que le cercle des correspondants et des amis de Pline se modifie peu à peu, et qu’en général les hommes plus âgés disparaissent à mesure qu’on avance vers les derniers livres, tandis que les plus jeunes ne figurent pas dans les premiers. Ainsi Corellius Rufus et Verginius Rufus, dont la mort est rapportée aux livres I et II, sont, il est vrai, souvent mentionnés plus tard, mais toujours comme étant morts depuis longtemps. Ainsi encore Vestricius Spurinna, qui figure dans le troisième livre (I, 10) comme un vieillard de soixante-dix-sept ans, et Arrius Antoninus, également fort âgé è cette époque, ne sont plus cités après le cinquième livre, tandis que Fuscus Salinator et Ummidius Quadratus, les jeunes admirateurs et élèves de Pline, ne sont mentionnés qu’à partir du sixième livre. Les relations de l’auteur avec les hommes du même âge que lui, tels que Cornelius Tacitus, Cornutus Tertullus, Calestrius Tiro, se retrouvent dans tous les livres.Nous nous proposons dans ce qui va suivre, de démontrer, d’une part, d’une manière plus complète la publication successive des différents livres des lettres de Pline ; de tirer, d’autre part, de cette démonstration les résultats qu’on en peut obtenir pour l’histoire. Nous avons donc recueilli les données chronologiques fournies, soit par le recueil principal, soit par la correspondance avec Trajan, et nous avons cherché à déterminer, autant que cela était possible, l’époque de la rédaction et de la publication de chaque livre. Nous allons passer en revue, en nous appuyant sur ces données, les principaux événements de la vie de Pline ; nous discuterons ensuite, dans des appendices, quelques autres questions spéciales qui ne peuvent être développées que séparément.

PREMIÈRE PARTIE. — CHRONOLOGIE DES LETTRES DE PLINE.

A. CHRONOLOGIE DU RECUEIL PRINCIPAL.

Livre I.

Le premier livre parait avoir été écrit en 97, peut-être déjà à la fin de 96, et publié en 97. Il est a peu -près certain que, dans tout le recueil, il ne se trouve pas une lettre qui ait été écrite avant la mort de Domitien (18 septembre 96) ; et cela se comprend : le ton des lettres de cette époque ne pouvait être de nature à en permettre plus tard la publication. La cinquième lettre du premier livre est antérieure au retour d’exil de Junius Mauricus, retour qui eut lieu certainement après le 1er janvier 97 mais du vivant de Nerva (IV, 22, 4), et probablement peu après l’avènement de ce prince. La mort de Corellius Rufus (lettre 12) paraît aussi postérieure de peu de temps à la chute de Domitien mais ce personnage vivait encore lorsque Pline, en 97, parla au Sénat contre Publicius Certus, accusateur d’Helvidius.Tout, dans le reste du livre, s’accorde avec la date que nous lui avons assigne. L’empereur qui autorisa Titinius Capito (ep. 17) à élever une statue à L. Silanus serait donc Nerva, et rien ne s’y oppose, car, d’après une inscription bien connue, Capito fut secrétaire du cabinet impérial sous Domitien, Nerva et Trajan. Lorsque fut écrite la dixième lettre de ce livre Pline était revêtu d’une fonction publique : distringor officio, ut maximo, sic molestissimo ; sedeo pro tribunati, subnoto libellos, conficio tabulas, scribo plurimas, sed inlitteratissimas litteras ; et il ajoute qu’il est chargé de agere negotium publicum, cognoscere, judicare. Ces expressions peuvent se rapporter soit à la préfecture de l’ærarium militare, fonction que Pline exerça probablement, de 94 à 96 ou de 95 à 97, soit à celle de l’ærarium Saturni à laquelle il fut appelé au mois de janvier 98, comme nous le montrerons plus loin. Mais la première alternative doit être préférée comme s’accordant mieux avec l’ordre chronologique des lettres. Je ne trouve pas d’autres indices chronologiques dans ce livre ; on ne peut déterminer la date à laquelle un Gallus administra la Bétique, comme semblerait l’indiquer un passage de la lettre 7.

Livre II.

Le second livre comprend des lettres écrites de l’an 97 à l’an 100, et parait avoir été publié vers le commencement de cette dernière année. La première lettre, concernant la mort de Verginius Rufus, est certainement de la fin de 97 ou du commencement de 98 : on sait en effet que Rufus fut consul pour la troisième fois en 97 avec Nerva. Il avait alors quatre-vingt-trois ans ; il mourut des suites d’une chute qu’il fit dans la séance d’ouverture du Sénat, au moment où il se levait pour prononcer, selon l’usage, le discours de remerciements à l’empereur. Mais il ne mourut qu’après de longues souffrances, et même, après l’accident, il avait été question de le nommer membre d’une commission de finances qui venait d’être instituée; d’air l’on peut conclure que, s’il mourut avant Nerva, ce ne fut guère qu’à la fin de 97 ; en sorte que Tacite, qui prononça comme consul son oraison funèbre, doit avoir été consul pendant le dernier ou l’avant-dernier nundinum de l’an 97. Dans la lettre 13, on trouve une allusion à la mort récente de Nerva(janvier 98. Le commandement de Priscus, qui y est aussi mentionné, a été rapporté, par Borghesi, avec raison semble-t-il, à la légation de Pannonie de L. Neratius Priscus, que rien n’empêche de placer en 98 ou 99. La date des lettres 11 et 12 est également certaine, puisque le procès de Marius Priscus, qui y est mentionné comme l’événement du jour, fut jugé en l’an 100 par le Sénat présidé par Trajan, qui était alors consul pour la troisième fois. Dans la lettre 7 nous voyons l’empereur faire voter par le sénat une statue triomphale à Vestricius Spurina, pour ses victoires en Germanie. L’empereur dont il est ici question doit être Nerva et non pas Trajan. EA effet, l’événement qui donna lieu à l’érection de cette statue fut la réinstallation du roi des Bructères dans son royaume par Spurinna, légat de Germanie Inférieure, avec l’aide d’une armée romaine, à laquelle les Bructères ne purent résister. Gr cet événement est probablement le même que Tacite, dans son livre sur la Germanie (ch. 33), publié à la même époque (en 98), rapporte comme une chose toute récente, mais dans des termes un peu différents. Selon cet historien les peuples voisins avaient fait invasion chez les Bructères et en avaient massacré 60.000 sous les yeux des troupes romaines, en suite de quoi l’ancien territoire des Bructères avait été occupé par les Chamaves et les Angrivariens. Pour mettre d’accord ce récit avec celui de Pline, on peut supposer que, des troubles ayant éclaté chez les Bructères, un de leurs princes ou un prétendant y avait été ramené avec l’aide des peuples voisins et des Romains, et que ces derniers, selon leur habitude, avaient laissé les Germains se battre entre eux, restant simples spectateurs de la lutte ; enfin qu’après sa victoire le prétendant avait distribué des terres de son territoire à un grand nombre des étrangers qui l’avaient aidé à reconquérir son trône. Si cette explication est exacte, Spurinna, qui était à Rome à la fin de 96, dut être envoyé dans la Germanie Inférieure probablement par Nerva, en 97, et sa légation dut coïncider avec celle de Trajan dans la Germanie supérieure. D’autres faits mentionne dans ce livre, par exemple les débuts à Rome du rhéteur Isæus (lettre 3), qui n’est d’ailleurs pas inconnu, sont fixés chronologiquement par ce que nous venons de dire, mais ne nous apportent pas de renseignements utiles pour l’objet de nos recherches.

 Livre III.

Le troisième livre est de l’an 101, peut-être en partie de 102. Les deux lettres 13 et 18 accompagnaient l’envoi à Voconius Rufus et à Curius Severus du discours remanié et augmenté que Pline avait prononcé peu de temps auparavant, le far septembre de l’an 100, pour remercier l’empereur du consulat qu’il lui avait conféré (Panégyrique de Trajan). Ces deux lettres sont donc incontestablement de 101. On peut déterminer avec une exactitude encore plus grande la date des lettres 5 et 9 relatives au protes de Classicus ; elles doivent avoir été écrites dans l’automne de l’an 101. Il en est de même des deux lettres 8 et 9 de la correspondance avec Trajan ; elles sont antérieures de peu de temps à la lettre 5 du recueil principal, qui est du mois d’août de la même année. Cependant cette détermination demande à être justifiée. Pline a porte la parole dans cinq procès devant le Sénat : pour les habitants de la Bétique contre le procurateur Bæbius Massa ; pour les Africains contre le proconsul Marius Priscus ; pour les habitants de la Bétique contre le proconsul Cæcilius Classicus ; contre les Bithyniens pour le proconsul Aulius Bassus, enfin contre les mêmes pour le proconsul Varenus Rufus. Ces cinq discours sont énumérés par lui-même livre VI, lettre 29. Le premier fut prononcé du vivant de Domitien ; l’accusation existait déjà en août 93, à la mort d’Agricola. Pline soutint les deux accusations suivantes pendant qu’il était préfet de l’ærarium Saturni ; l’accusation contre Priscus indubitablement en 99, puisque le Sénat rendit la sentence définitive en janvier de l’an 100. Ce fut plus tard seulement que la cause de la Bétique contre Classicus lui fut confiée ; cela résulte d’abord d’une allusion formelle à l’affaire de Priscus, qui se trouve dans le récit du procès de Classicus, lequel venait de recevoir une solution, ensuite de ce que Pline mentionne ce procès comme étant la troisième des affaires dans lesquelles il avait plaidé, en exprimant l’espoir qu’il pourrait à l’avenir se récuser ; enfin, ce qui est plus décisif encore, nous noyons Pline, sollicité par le Sénat de plaider pour les habitants de l’Afrique contre Priscus, écrire à l’empereur que, depuis qu’il administre le trésor de l’État, il a cru convenable de s’abstenir de tout plaidoyer (advocationes), mais que, dans ce cas, il ne pense pas pouvoir se refuser à la demande du Sénat ; et l’empereur lui donne son approbation. Il est donc tout à fait évident qu’on ne peut admettre l’antériorité du procès de Classicus et que Pline n’a pas pu se charger en 99 de soutenir l’accusation contre ce dernier. Mais il n’a pu davantage le faire en l’an 100, car nous savons qu’au moment où il accepta l’affaire il était en villégiature en Etrurie pendant le mois de septembre. Or, au mois de septembre de l’an 100, il était consul en fonctions à Rome, et, le 18, il y célébra l’anniversaire de l’empereur. Il ne nous reste donc qu’à fixer à l’automne de l’an 101 les débuts de ce procès et à prolonger jusqu’à cette date la durée de la préfecture de Pline ; et en effet dans le troisième livre des lettres, il se désigne encore lui-même comme exerçant des fonctions publiques. Enfin la huitième lettre, adressée à Suétone, annonce à ce dernier que rien n’empêche de transférer à un de ses parents le tribunat militaire que Neratius Marcellus avait obtenu pour lui ; et la date de ce fait peut être assez exactement déterminée à l’aide d’un diplôme militaire où l’on voit que L. Neratius Marcellus était gouverneur de Bretagne le 19 janvier 103. Mais il ne faut pas perdre de vue que les privilèges mentionnés dans ce diplôme ont pli être accordés à la fin du gouvernement de Marcellus, tandis que la collation des grades militaires dans son armée eut lieu selon toute vraisemblance aux débuts de ce gouvernement, et même avant que Marcellus ne partit de Rome Or, la durée de la légation de Bretagne étant ordinairement de trois ans, cette lettre peut très bien dater de l’an 101.Cela nous fournit des renseignements utiles pour la biographie de divers personnages ; d’abord sur Suétone : nous y voyons en effet qu’en 101 il avait l’âge auquel les personnages appartenant à l’ordre équestre recevaient ordinairement le tribunat militaire. En admettant que cet âge fut celui de 25 ans environ, il était né vers l’an 77 et avait 15 ans de moins que Pline. Cela concorde avec ce que nous savons de ses débuta comme avocat, qui eurent lieu en 96, avec ses débuts comme écrivain vers l’an 105 et enfin avec le fait qu’en 112 il était marié, sans enfants, et regrettait de n’avoir pas le jus liberorum. La mort de Martial, dont il est parlé dans la lettre 21, pourra être placée, avec plus de certitude que jusqu’ici, à l’année 101 ; car la publication de ses œuvres ne va pas au delà de cette date (voyez l’appendice C.). Il en est de même de la mort de Silius Italicus (lettre 7), qui fut consul ordinaire en 68 et mourut aussi en 101, à l’âge de 75 ans ; et si l’on raconte qu’il ne put se décider à quitter sa villa pour assister à l’entrée de l’empereur à Rome, ce fait ne peut se rapporter qu’au retour de Pannonie en 99.

 Livre IV.

Le quatrième livre contient une lettre (IV, 29, 2) où est mentionné le préteur Licinius Nepos. Le même personnage est cité souvent, toujours comme préteur, dans le livre suivant, où il est nommé en compagnie d’Afranius Dexter alors consul. Un diplôme militaire découvert il y a quelques années a montré que C. Julius Basas et Cn. Afranius Dexter étaient consuls le 13 mai 105. D’après les règles alors en vigueur, et que nous exposerons plus loin, ils av aient été désignés le 9 janvier de cette année, et Nepos doit par conséquent avoir été préteur eu 105 ; d’où il suit que le quatrième livre a été publié la même année et qu’entre la publication de ce livre et celle du précédent il s’était écoulé un laps de temps assez considérable. Les autres données s’accordent bien avec cette estimation. Ainsi Pline n’est plus préfet de l’ærarium mais consulaire, et il reçoit de l’empereur la dignité d’augure, vacante par la mort de Sex. Julius Frontinus. Cela se rapporte à l’an 103 ou 104, soit parce que la collation d’un des quatre grands sacerdoces avait lieu, pour ceux qui n’étaient pas nobles, peu de temps après le consulat soit parce que la mort de Frontinus, déjà préteur en 70 et qui n’est plus nommé après son troisième consulat (en 100), doit se placer, selon toute vraisemblance en 102 ou 103. Toutes les lettres de ce livre supposent la présence de Trajan à Rome ce qui convient, également aux années 103 et 104, puisque l’empereur revint de la première guerre de Dacie à la fin de 102 et partit pour la seconde en 105.Il faut donc placer en 103 ou en 104 le procès de Bassus, qui, poursuivi sur la plainte des habitants de la Bithynie au sujet de l’administration de cette province, dont il avait été proconsul, fut défendu avec suces par Pline. C’est probablement le même C. Julius Bassus qui, comme nous venons de le voir, fut consul en louai 105, de sorte que le procès qui lui fut intenté ne peut l’avoir été cette année-là. On trouve cités dans Pline, comme consuls désignés de l’année où Bassus fut accusé, Bæbius Macer, C. Cæcilius Strabo et Cæpio Hispo, auxquels il faut ajouter encore Rubrius Gallus, qui, on en a la preuve, fut consul avec Cæpio Hispo Mais jusqu’ici on n’a pu déterminer plus exactement les dates de leurs consulats. Nous pouvons encore moins indiquer l’année du deuxième consulat d’Arrius Antoninus, grand père d’Antonin le Pieux, qui fut consul pour la première fois en 69, et qui est mentionné dans la troisième lettre de notre livre comme un homme fort âgé, qui avait été deux fois consul et proconsul d’Asie. Q. Sosius Senecio est cité dans la lettre 4 comme gouverneur d’une province ; la date de ce gouvernement ne peut non plus être déterminée exactement ; mais si elle se rapporte aux années 103 ou 104, elle se place, conformément à l’usage, entre les deux consulats.Un seul passage semblerait s’opposer à l’admission de l’année 105 comme étant celle où fut publié ce livre ; dans la lettre 15, Pline prie C. Minicius Fundanus si, comme il le suppose, ce dernier est nominé consul pour l’année suivante, de prendre pour questeur Asinius Bassus, qui était déjà questeur désigné. Or Fundanus fut en effet consul, mais seulement, selon toute apparence, en juillet et août 107 ou 108, avec C. Vettennius Severus. Mais cela n’empêche pas d’admettre que Pline ait écrit sa lettre en 104 et se soit attendu à la nomination de Fundanus pour l’an 105. Lorsqu’il l’écrivit, les questeurs étaient déjà nommés, mais non pas des consuls qui devaient être en fonctions en même temps qu’eux ; et cela est conforme aux règles générales : en effet, les questeurs qui devaient fonctionner en 104-105 étaient désignés dés le mois de janvier 104, tandis que les consuls de 145, abstraction faite desordinarii, ne le furent que le 9 janvier 105. Ainsi, de janvier 104 jusqu’en janvier 105, c’est-à-dire pendant près d’une année entière, on connaissait les questeurs de 104-105, mais non pas les consuls de 105 ; c’est dans cet intervalle que devra se placer la rédaction de la lettre en question et la publication du quatrième livre. Pline a sans doute annoncé, parce qu’il la croyait certaine, une nomination qui n’eut lieu réellement que quelques années après.

 Livre V.

Le cinquième livre comprend une lettre (13) mentionnant Afranius Dexter comme consul désigné, ce qui la fait remonter aux premiers mois de 105, et deux lettres (4 et 9) auxquelles la préture de Licinius Nepos assigne également, comme nous l’avons vu, la date de 105. Ce livre parait avoir été publié une année après le précédent, en 106. En général, tandis que la publication des livres I, II, III, IV a eu lieu à des intervalles assez éloignés, les cinq derniers se suivent très rapidement ; on peut le constater en suivant les récits concernant les procès de Bassus et de Varenus et le proconsulat de Tiro. Les autres détails contenus dans le livre V viennent à l’appui de notre opinion qu’il a été publié en 106 ; ainsi, nous trouvons de nouveau Pline investi d’une fonction publique qu’il ne précise pas et, peu après, Cornutus recevant un emploi analogue, à savoir celui de curateur de la voie Emilienne. La fonction de Pline était donc évidemment celle de curator alvei Tiberis et riparum et cloacarum Urbis, mentionnée dans ses inscriptions, d’autant mieux que cette cura était régulièrement confiée à des consulaires, et que Cornutus a aussi administré la sienne sans aucun doute en qualité de consulaire. Dans le cursus honorum de Pline cette charge prend place entre le consulat et le gouvernement de la Bithynie ; elle convient donc parfaitement aux années 105, 106 et suivantes. Il n’est jamais question de Trajan comme étant à Rome; c’est en effet l’époque de la seconde guerre de Dacie, qui commença probablement en 105 et fut terminée en 107, peut-être déjà en 106. — A la même époque commença le procès de Varenus Rufus, qui avait administré la Bithynie comme proconsul et qui, ayant été accusé devant le Sénat, fut défendu par Pline ; le Sénat décida que la faculté, accordée par la loi au plaignant seul, de forcer des témoins à comparaître, devait appartenir également à l’accusé. On n’a pas d’indications précises sur la date de ce procès ; mais on voit qu’il dut avoir lieu peu après la fin de celui de Bassus, ce qui concorde assez bien avec les déterminations que nous avons obtenues jusqu’ici. Le consul désigné Acilius Rufus, qui est cité à propos du premier vote sur la question, aurait donc été consul en 106 ; je ne connais d’ailleurs aucun autre moyen de fixer la date de ce consulat.

 Livre VI.

Le sixième livre contient la lettre (10) dans laquelle Pline se plaint que le monument de Verginius Rufus ne soit pas encore achevépost decimum mortis annum ; comme Rufus mourut à la fin de l’an 97, cette lettre fut écrite en 106 — Nous n’apprenons rien sur les affaires personnelles de Pline ; sa position officielle parait avoir été la même que dans le livre précédent. Par contre Trajan est mentionné d’abord comme étant absent, en Dacie, puis comme étant de retour à Rome après avoir accompli de grandes actions Cela se rapporte évidemment à la seconde guerre de Dacie, d’où l’empereur revint en 106 ou 107. Il est question aussi des ports construits à l’embouchure du Tibre. Le procès de Varenus continue, et dans ce livre in discute en divers sens sur la validité de la décision du Sénat concernant les témoins à citer. Ainsi la préture de Juventius Celsus doit se placer en 106 ou 107 ; il s’agit du plus jeune des deux célèbres jurisconsultes dont le nom complet était P. Juventius Celsus T. Aufidius Hœnius Severianus ; il figure pour la première fois dans l’histoire comme ayant pris part, vers l’an 93, à une conjuration contre Domitien, et, pour la dernière fois, comme consul iterum, en 129. Le consul désigné, Severus, à qui, selon la lettre 27, le discours de remerciements qu’il devait prononcer au Sénat selon l’usage, fournit l’occasion de célébrer les récentes victoires de l’empereur, pourrait bien être le même C. Vettennius Severus qui obtint les faisceaux en juillet et en août 107 et 108, en même temps que Minicius Fundanus ; dans ce cas leur consulat se placerait définitivement en 107 et la lettre en question serait du commencement de cette année. Cependant, vu la fréquence extrême du nom de Severus, il ne faudrait pas attacher trop d’importance à cette coïncidence. Calestrius Tiro est mentionné (lettre 22) comme ayant été désigné par le sort pour le proconsulat de Bétique Les trois derniers livres ont un caractère qui diffère un peu de celui des six précédents : ils parlent moins des affaires publiques du jour, en sorte que nous manquons de points d’appui suffisants pour en établir la suite chronologique d’une manière aussi positive que nous avons pu le faire jusqu’à présent. Nous avons déjà fait observer que ces livres se suivent rapidement.

 Livre VII.

Le septième pourrait bien remonter à l’an 147. Pline est toujours en fonctions et collègue de Cornutus, c’est-à-dire curator du Tibre, et l’empereur est toujours à Rome. Le procès de Varonus reçoit une solution, au moins devant le Sénat, la plaints ayant été retirée par la province ; mais les représentants de la Bithynie, chargés è l’origine de suivre l’affaire, contestent les pouvoirs des nouveaux envoyés et l’empereur évoque l’affaire à lui. Calestrius Tiro passe par Côme en se rendant dans la Bétique, dont il va prendre le gouvernement. Le Falco, gouverneur de province, auprès de qui Pline sollicite un tribunat militaire pour un de ses amis, est le même Pompeius Falca que nous trou-vous mentionné dans le premier livre (lettre 23), c’est-à-dire vers 97, comme tribun du peuple désigné, et qui, d’après les inscriptions que nous avons de lui, administra sous Trajan les provinces de Lycie et Pamphylie, de Judée et de Mésie-Inférieure, sous Hadrien celles de Bretagne et d’Asie. Comme, en qualité de gouverneur de Lycie et Pamphylie, il n’avait pas de troupes sous ses ordres et ne pouvait en conséquence proposer la nomination d’aucun officier, il est probable que la province qu’il gouvernait vers l’an 107 était la Judée.

Livre VIII.

Dans le huitième livre nous rencontrons une lettre qui ne peut avoir été écrite avant l’an 108 ; c’est la 230, dans laquelle Pline déplore la mort prématurée d’Avitus, édile désigné. Ce personnage ne peut guère être différent du Junius Avitus, à qui Dasumius fit, par son testament un legs, de même qu’à Pline, à Tacite et à plusieurs hommes marquants de cette époque ; ce testament est daté du consulat d’Hadrien et de Priscus, c’est-à-dire de l’été de 108. Il en résulte qu’Avitus ne peut être mort avant la première moitié de 108 et que la publication du huitième livre ne peut être antérieure à l’an 109, Ce livre ne contient pas d’autres renseignements bien utiles pour la chronologie. Les poètes apprêtent leurs lyres pour chanter en hexamètres grecs lés victoires de Trajan, si toutefois les noms par trop barbares des vaincus le permettent ; le double triomphe de l’empereur est formellement mentionné ; mais nous n’avons aucune indication sur ce que faisait Trajan à cette époque. Rien non plus sur des fonctions que Pline aurait remplies. Afranius Dexter, dont le consulat est mentionné au cinquième livre, a péri d’une mort violente, soit de sa propre main, soit sous les coups de quelques-uns de ses affranchis, et le Sénat rend un jugement définitif sur le crime et le châtiment de ces derniers. Cette mort semble remonter au consulat même de Dexter, c’est-à-dire au mois de mai ou de juin 105; mais il est facile d’expliquer pourquoi, dans ce cas, la sentence définitive n’a été rendue que plusieurs années après ; car, pour en arriver la, il avait fallu faire non seulement une enquête préalable assez longue, mais encore une modification de la loi relativement au meurtre d’un maître, afin que la question, qui n’était appliquée qu’aux esclaves et aux affranchis par testament, pût l’être aussi aux esclaves affranchis du vivant du maître. Il est certain que ce changement eut lieu sous Trajan et que la loi, ainsi modifiée, fut appliquée dans ce procès Il est donc très probable qu’elle fut rendue précisément è propos du cas fort compliqué dont il s’agit. Si cette décision du Sénat ne peut être rapportée à une année précise, il est encore plus difficile de fixer la date à laquelle le prétorien Maximus fut chargé d’une mission extraordinaire auprès des villes libres d’Achaïe, et celle de la mort du vieux Domitius Tullus.

 Livre IX.

Le livre neuvième et dernier est peut-être le plus pauvre en données chronologiques. Il ne nous apprend absolument rien ni sur les actes de Trajan, ni sur le rôle politique de Pline. La simple mention de Plotinene nous avance pas à grand chose. On peut en dire autant de la mention d’un gouverneur Sabinu et d’un consul Paulinus, car on ne peut même pas déterminer avec certitude leurs autres noms. Si Pline s’appelle encore un novice en poésie, cela prouve simplement qu’il n’y a pas un grand intervalle entre ce livre et le quatrième. Si, par contre, Tiro figure encore dans ce livre avec le titre de gouverneur de Bétique, cela peut donner è penser que la lettre qui le mentionne a été écrite dans le courant de 108, car les proconsulats étaient, dans la règle, annuels, et Tiro était arrivé dans sa province au milieu ou è la fin de l’an 107. Après cela on peut encore se demander si les deux derniers livres n’auraient point été publiés ensemble. Toutefois, en l’absence d’autres preuves nous devons nous contenter de la conclusion qu’ils n’ont pas été écrits avant 108 ou 109, et qu’ils ont probablement vu le jour vers cette époque.

B. CHRONOLOGIE DE LA CORRESPONDANCE AVEC TRAJAN.

On sait que la correspondance avec Trajan est indépendante du recueil principal qui n’a jamais compté plus de neuf livres. Les lettres y sont rangées à peu prés dans l’ordre chronologique, c’est ce qui est devenu évident depuis que Keil a rétabli l’ordre anciennement suivi, tel qu’il était dans les éditions d’Avancius et d’Alde.La première lettre, écrite peu après la mort de Nerva, contient Ies félicitations de Pline à Trajan à l’occasion de son avènement. La seconde est postérieure de peu de temps, à en juger d’après les mots : inter initia felicissimi principatus tui.Les lettres 3 à 11 forment entre elles un groupe. Dans la troisième Pline annonce à l’empereur que le Sénat l’a désigné comme avocat de la Bétique dans le procès de Marius Priscus, et demande de pouvoir, quoique préfet du trésor, accepter ce mandat. Ce procès ne fut terminé, après mainte péripétie, qu’au mois de janvier de l’an 100. La lettre peut donc avoir été écrite vers le milieu de 99. La quatrième a pour but d’obtenir de Trajan une élévation de rang qui avait été accordée en principe par Nerva ; elle est donc écrite peu après la mort de ce dernier. Les lettres 5, 6, 7, 10, 11, sont en connexion plus intime : la 5e parle de la maladie de l’an dernier ; la 11e de la maladie qui avait mis quelque temps auparavant en danger les jours de Pline ; ce doit être celle dont il souffrait peu de temps ayant la dernière maladie de Nerva, c’est-à-dire en 97. Ces lettres, la cinquième surtout, remontent donc à l’an 98. Ceci nous donne aussi la date, jusqu’ici inconnue, de la préfecture d’Égypte de Pompeius Planta.

Dans la sixième lettre, Pline adresse à l’empereur la prière de pouvoir aller au devant de lui lorsqu’il ferait son entrée à Rome. On sait en effet que Trajan ne vint pas à Rome immédiatement après la mort de Nerva et qu’il resta en Germanie et en Pannonie jusqu’au milieu ou à la fin de 99. — Les lettres 8 et 9 en revanche, dont noua avons parlé plus haut et qui ont trait au procréa de Classicus, appartiennent à l’été de 101. Ainsi les lettres 3-11 ont gela de commun qu’elles datent de l’époque où Pline était præfectus ærarii Saturni, mais elles ne sont pas dans un ordre rigoureusement chronologique.La douzième lettre ne peut pas se dater. La treizième contient la demande du septemvirat ou de l’augurat : Pline obtint ce dernier, comme nous l’avons vu, en 103 ou 104. La quatorzième félicite l’empereur à l’occasion d’une grande victoire. On pourrait la rapporter avec quelque vraisemblance à la victoire décisive remportée sur Décebale en 106 ou 107.Depuis la quinzième jusqu’à la fin de la collection, toutes les lettres qui contiennent quelque indice sur le lien où elles ont été écrites et sur la position de l’auteur, nous transportent en Bithynie et à la légation ale Pline dans ce paya. Et leur réunion semble n’être point l’effet d’un pur hasard, car le nombre de celles qui, ne renfermant aucune indication de ce genre, pourraient aussi avoir été écrites ailleurs, est extraordinairement restreint.On sait que nette correspondance politique ne nous fournit que très peu de données positives pour la chronologie et qu’elle a donné lieu aux appréciations les plus diverses quant à la date de la légation de Pline en Bithynie. Et pourtant elle nous donne une date, une seule date précise, qu’on n’a, il est vrai, pas encore remarquée. Il y est plusieurs fois question d’un autre gouverneur, dont le gouvernement est contemporain de celui de Pline, de Calpurnius Macer, qui commandait dans la groins la plus rapprochée et avait sous ses ordres des légions dont il détacha un centurion à Byzance pour surveiller les soldats de passage. Byzance était dans la province de Pline et celle que gouvernait Calpurnius ne peut avoir été que la Mésie Inférieure. Or, parmi les inscriptions de cette province il s’en trouve une dédiée à Trajan en 112, sous le gouvernement de P. Calpurnius Macer Caulius Rufus. Ainsi l’époque de la légation de Pline se trouve approximativement déterminée, puisque les légations impériales duraient en moyenne deux ou trois ans. Les autres données concordent avec ce témoignage positif. Lorsque Pline vint prendre le gouvernement de la Bithynie plus de deux années s’étaient écoulées depuis que Bassus l’avait quittée ; il ne peut donc y être venu avant l’an 106.

Pour quiconque connaît la manière de Pline et se rappelle combien de fois, dans le recueil principal, il fait allusion à son tribunat militaire en Syrie et aux affaires de Bithynie, -le silence qu’il y observe à l’égard de sa légation de Bithynie prouve que le recueil était déjà entièrement publié lorsque Pline fut investi de cette fonction. On en a une autre preuve dans le fait suivant : le grand père de la femme de Pline, Calpurnius Fabatus, le même qui fut poursuivi en 65, sous Néron, pour avoir caché certaine liaison incestueuse dont il avait connaissance est mentionné dans le recueil principal comme un homme fort âgé il est vrai mais jusqu’au VIIIe livre comme vivant encore ; or, dans la dernière lettre de la correspondance avec Trajan, Pline s’excuse d’avoir permis à sa femme de faire usage des postes impériales pour retourner en Italie auprès de sa tante ; ce voyage était motivé par la mort subite du grand père de sa femme. — Le recueil principal, tel que nous le possédons maintenant, n’ayant pu être terminé avant l’an 108, la légation de Bithynie doit être postérieure à cette date.D’autre part Pline, dans la grande inscription qui le concerne, est désigné comme envoyé en Bithynie ab. imp. Cæsare Nerva Trajano Aug. German [ico Dacico]. Or, depuis sa dix-huitième puissance tribunicienne, c’est-à-dire depuis 114, Trajan porte immédiatement après le nom principal, le surnom d’Optimus. L’absence de cet agnomen prouve donc que la légation remonte à une date antérieure à 114. Enfin, pendant toute la durée du gouvernement de Pline en Bithynie, Trajan reste dans la capitale, ce qui indique le milieu de son règne, c’est-à-dire le temps qui s’écoule entre la fin de la seconde guerre de Dacie (107) et le commencement de celle contre les Parthes (113), temps pendant lequel l’empereur s’occupait sans doute des constructions importantes qu’il a fait exécuter à Rome et dans les environs.L’époque de la correspondance de Bithynie est ainsi déterminée d’une manière approximative (109-113).

Le tableau ci-contre fera voir que les lettres sont rangées suivant l’ordre chronologique. Rappelons d’ailleurs que chaque lettre de Pline est suivie de la réponse de l’empereur, ce qui double le nombre des lettres dont la date relative se peut déterminer.

Il résulte de ce tableau que la correspondance forme une suite régulière, et s’étend du mois de septembre de l’an 111 (probablement)jusqu’au delà de janvier 113. L’anniversaire de la naissance de l’empereur, les nota du commencement de l’année et l’anniversaire de l’avènement de Trajan y figurent deux fois, chacun à leur place naturelle. Cette observation est corroborée par l’étude des localités : il ne faut pas oublier d’ailleurs que chaque lettre n’a pas nécessairement été écrite dans la ville même qu’elle concerneVenant d’Éphèse et de Pergame, Pline arrive d’abord le 17 septembre 111 à Prusa, ville frontière prés de l’4lympus, entre la province de Bithynie et celle d’Asie. De là il va, comme le dit la lettre St, à Nicée, puis à Nicomédie, capitale de la Bithynie ; c’est dans ces deux villes, qui étaient importantes et voisines l’une de l’autre, qu’il réside pendant l’hiver 111-112, tout en faisant des excursions à Byzance et probablement à Apamée, peut-être aussi à Claudiopolis, c’est-à-dire dans les villes situées dans l’ouest de son gouvernement.Au printemps ou en été 112 il entreprend une tournée dans les villes de l’est ; cette tournée est annoncée dans la lettre 67 et commencée lorsque fut écrite la lettre 74. Pline prit évidemment la grande route conduisant de Nicopolis à An" et à Antioche, visita Juliopolis (Gordieum), à la frontière de la Bithynie et de la Galatie, et toucha à la Paphlagonie, comme le prouve sa rencontre avec Maximus. Puis il entra dans sa seconde province, celle du Pont, se mit en relation personnelle avec le commandant de cette province et en visita les villes les plus importantes, les ports de Sinope et d’Amisus. De là il semble être revenu, probablement par mer, en touchant Amastris, à Nicomédie et à Nicée, d’où sont écrites les lettres du second hiver.

DEUXIÈME PARTIE — RECHERCHES SUR LA VIE DE PLINE LE JEUNE.

§ I. Noms et patrie de Pline le Jeune.

Les noms de Pline, tels qu’ils nous sont connus par quelques inscriptions postérieures è son adoption, sont les suivants : C. Plinius L. f. Ouf. Secundus.Lui-même nous apprend qu’il avait été adopté par Pline l’Ancien, frère de sa mère, mort à l’âge de 56 ans, le 24 août 79, lors de l’éruption du Vésuve. Dans ses lettres il appelle ordinairement le célèbre naturaliste son oncle (avunculus) ; une fois cependant il ajoute à cette désignation les mots : et idem per adoptionem pater (V, 8, 5).Toute adoption avait pour effet un changement de nom de la part de l’adopté. Il s’agit de savoir quels étaient les noms de Pline le Jeune avant son adoption, laquelle, nous le montrerons plus loin, avait eu lieu par testament et datait précisément de l’an 79.La solution de cette question ne nous est pas fournie par les inscriptions auxquelles nous venons de faire allusion. Elles ne nous révèlent que l’ancien gentilicium de Pline, Cæcilius, et le prénom de son père naturel, Lucius ; car son père adoptif portait le prénom de Gaius (C. Plinius Secundus).

Nous croyons que ses autres noms nous sont révélés par l’inscription suivante: L. Cæcilius L. f. Cilo IIII vir a(edilicia) p(otestate), qui testamento suo (sestertium) n(ummum) xxxx (milia) municipibus Comensibus legavit, ex quorum reditu quotannis per Neptunalia oleum in campo et in thermis et balineis omnibus quæ sunt Comi præberetur, t(estamento) f(ieri) j(ussit) et L. Cæcilio L. f. Valenti et P. Cæcilio L. f. Secundo et Lutullæ Picti f. contubernali. Aetas properavit ; faciendum fuit : noli plangere mater. Mater rogat quam primum ducatis se ad vos.

Selon toute apparence, les deux personnages nommés après Cæcilius Cilo sont ses fils. La femme dont il est ensuite question, et qui n’a pas le droit de cité, puisque son père n’est désigné que par un surnom, est sa contubernalis. S’il en est ainsi, rien n’empêche de reconnaître dans Cilo le père naturel de Pline le Jeune et dans le second de ses fils Pline le Jeune lui-même. Le style et l’écriture indiquent bien le premier siècle de notre ère. La provenance de l’inscription (Côme) et les noms (Cæcilius L. f. Secundus) s’adaptent aussi parfaitement à Pline. Et même, si, dès avant son adoption, et peut-être précisément en l’honneur de son oncle, il s’appelaitSecundus, on s’explique pourquoi plus tard il n’a pas d’autre cognomen que celui de son père adoptif.On pourrait objecter, il est vrai, que la mère de Pline le Jeune survécut à son mari et même à son frère, et que cependant cette inscription ne la nomme pas, mais même mentionne à sa place une contubernalis ; mais cela a peu d’importance, car, vu les mœurs de l’époque, on peut admettre sans invraisemblance qu’il y avait en divorce.Outre les rapprochements que nous avons déjà signalés, il en est d’autres assez frappants. L’inscription nous dit que Cilo mourut jeune (properavit ætas), peu de temps après avoir revêtu l’édilité et avant d’avoir rempli les fonctions supérieures de son municipe ; or nous savons d’autre part que le père de Pline mourut avant la majorité de son fils, c’est-à-dire avant l’an 78. Enfin nous voyons que Cilo fit des legs importants à sa ville natale, et Pline mentionne dans une de ses lettres, outre ses propres libéralités envers la ville de Côme, la liberalitas parentum.On peut donc admettre avec quelque vraisemblance (en pareil cas on ne peut jamais arriver a une certitude complète) que Pline s’est appelé jusqu’en 79 : P. Cæcilius L. f. Ouf. Secundus.

On sait que Côme était la patrie de Pline; on sait aussi qu’il appartenait à la tribu Oufentina, dans laquelle étaient inscrits les Comasques, et cela tant par son père naturel que par son père adoptif. Les Cæcilii étaient une ancienne famille établie à Côme dès l’époque de César, et Pline le jeune y possédait des biens qu’il avait hérités de son père. Mais les Plinii étaient également de Côme : Suétone le dit formellement de Pline l’Ancien et l’on peut le conclure aussi de ce que Pline le Jeune parle de propriétés que sa mère lui avait laissées en héritage et qui étaient situées sur le Lacus Larius. Ajoutons qu’à Côme les inscriptions des Pliniisont nombreuses.On a objecté, il est vrai, que Pline l’Ancien, au commencement de sa préface, appelle le Véronais Catulle son conterraneus. mais ce passage prouve au contraire que Pline n’était pas de Vérone ; en effet, terra est un terme trop large pour désigner le territoire d’une ville, et Pline a employé le mot conterraneus, qu’il reconnaît être un verbum castrense, précisément parce qu’il ne pouvait pas dire municeps. Il avait certainement en vue la terra Transpadana, et ne nommait Catulle son compatriote que parce que tous deux ils étaient originaires de la même région d’Italie.

Quant à la position sociale de Pline, nous voyons que son père appartenait à la noblesse municipale, peut-être même à la noblesse équestre, et qu’en tout cas, selon le témoignage de Tacite, son père adoptif avait la nobilitas equestris. Si Pline le Jeune lui-même espérait laisser à ses enfants non subitas imagines, cela n’implique pas que ses ancêtres eussent déjà eu des imagines ; cela veut dire simplement qu’il n’était pas un parvenu, et qu’il avait parcouru régulièrement tous les degrés des charges curules en commençant par les moins élevées, comme le prouve d’ailleurs l’étude détaillée de sa carrière politique.

§ II. De l’adoption de Pline et de l’adoption testamentaire chez les Romains.

Dans le paragraphe précèdent, on nous avons indiqué les résultats de notre étude pour ce qui concerne la famille et l’origine de Pline, nous avons dû préjuger plusieurs questions de détail, qui sont soulevées tout naturellement parles textes cités, et qui exigent une discussion rigoureuse.Cette discussion doit porter a la fois sur les noms de Pline avant et après son adoption, et sur les formes dans lesquelles cette adoption avait eu lieu. Ces deux questions sont intimement liées, car les noms romains, régis sous la république par des règles rigoureuses, donnent en quelque sorte l’état civil du citoyen, indiquent en détail sa position de famille ; et si, sous l’Empire ces règles allèrent se modifiant peu à peu et finirent pair tomber en désuétude, l’exemple de Pline nous offre, en ce qui concerne l’adoption, une occasion propice d’étudier cette transformation dans ses symptômes et dans ses causes.Nous relèverons d’abord dans les noms de Pline les symptômes d’une forme particulière de l’adoption, de l’adoption testamentaire, peu connue jusqu’ici et qui sera l’objet de ce paragraphe ; le suivant traitera des changements survenus sous l’Empire dans le système des noms.

La question de savoir si l’adopté appartenait a la tribu (c’est-à-dire au lieu d’origine) de son père naturel, ou a celle de son père adoptif, n’est pas éclaircie par le cas qui nous occupe, puisque la patrie de Pline était la même que relie de son père adoptif.En revanche cet exemple donne lieu à quelques observations sur une question analogue, sur celle de la manière dont on désignait le père dans la série des noms. En effet, Pline se nomme dans ses inscriptions L. f. ; et cette désignation, qui ne correspond pas au prénom de son père adoptif, ne peut se rapporter qu’à son père naturel. Cela est en opposition avec la nature de l’adoption et avec les anciennes règles. Suivant ces règles l’adoption modifiait, en même temps que la position de l’adopté dans sa gens primitive, les signes extérieurs de cette position, c’est-à-dire le prénom, le nom (gentilicium), le prénom du père et la tribu ; seul le cognomen, quine faisait pas partie du nom officiel proprement dit, pouvait être conservé ; ou bien encore un autre cognomen, rappelant l’anciengentile pouvait être ajouté. Ainsi, après l’adoption, le propre fils de L. Æmilius Paullus s’appelle P. Cornelius P. f. Scipio Æmilianus; celui de L. Licinius Lucullus s’appelle M. Terentius M. f. Varro Lucullus. Même sous l’Empire cette manière de procéder se maintint, au moins comme règle ; ainsi, dans Ies familles régnantes, les adoptés indiquent toujours comme père leur père adoptif.

Il serait superflu de réunir ici un plus grand nombre d’exemples ; mais il est bon de rappeler que, selon les anciens usages, l’adoption testamentaire elle-même ne faisait pas exception. C’est ce que démontre non seulement le cas bien connu d’Octave, mais aussi celui de T. Pomponius Atticus, lequel, après que son oncle maternel, Q. Cæcilius, l’eut adopté par testament, prit pour noms Q. Cæcilius Q. f. Pomponianus Atticus.On n’a encore fait aucune étude approfondie sur l’adoption testamentaire. Les juristes se contentent de l’identifier avec l’institution d’héritier sous la condition de changement de nom ; c’est bien en effet la forme que revêtit cette adoption dans la dernière phase de son développement ; mais à son origine elle avait une signification toute différente. Il est donc utile d’entrer dans quelques détails sur ce point.Il faudrait d’abord savoir si, pour que l’adoption testamentaire fût valable, il suffisait d’une part du testament de l’adoptant, d’autre part de l’acceptation par l’adopté donnée devant le préteur urbain en sa qualité de juge des successions ; ou bien si le plein effet juridique, surtout l’acquisition des droits de patronat, résultait seulement d’une décision confirmative des curies C’est la une controverse spéciale, qui existait sans doute dès l’antiquité. La seconde alternative était l’opinion la plus ancienne, la plus juste en principe. La première était plus récente ; mais, dès l’époque de Cicéron elle parait avoir été généralement acceptée et avoir prédominé dans la pratique. Quoi qu’il en ait été, les résultats absolument identiques de l’adoption testamentaire et de l’adoption entre vifs pour ce qui concerne le nom de l’adopté ne permettent pas de douter que, d’après les principes en vigueur sous la république, ces deux genres d’adoption ne fussent absolument identiques sous le rapport de leur valeur en droit et de leurs conséquences juridiques.

On en trouve une curieuse application dans l’adoption par les femmes. Si l’on examine les faits sans parti pris, on reconnaîtra que cette adoption était pleinement reconnue du temps de Cicéron et déployait dès lors tous ses effets. Et l’exemple de Galba prouve que, par cette adoption non seulement le gentilicium, mais aussi le prénom de l’adopté étaient changés ; c’est-à-dire que, la femme elle-même n’ayant pas de prénom, le personnage qu’elle adoptait prenait, tout comme celui qu’elle affranchissait, le prénom de son père à elle.Il est vrai que la portée de cette adoption par les femmes est assez difficile à déterminer juridiquement. D’abord elle ne figure pas dans les livres de droit qui nous sont parvenus, et qui ne parlent que de l’adoption inter vivos, interdite aux femmes pour des raisons de forme. Puis les suites essentielles de l’adoption n’ont, en fait, aucune application aux femmes : elles n’acquièrent pas la potestassur celui qu’elles adoptent, et ce dernier ne reçoit pas par l’adoption la qualité de suus. Il est probable qu’on considérait celui qu’une femme avait adopté par testament comme l’ayant été par le père de cette femme, en sorte que la dernière volonté exprimée par cette femme était considérée comme la dernière volonté de son père, et que, devant la loi, l’adopté devenait le frère adoptif de celle qui l’avait adopté, absolument comme la lemme mariée devenait, par la manus, la fille de son mari. Si l’on considère que, en droit, aucune adoption testamentaire ne devenait parfaite que par une décision des curies, c’est-à-dire par un acte du pouvoir législatif, on peut bien supposer que, dans le cas dont nous parlons, cette décision paraissait être une couverture suffisante pour faire disparaître l’imperfection de l’adoption testamentaire.

Ainsi, toute adoption et, sous la république, l’adoption testamentaire était, nous l’avons dit, parfaitement reconnue comme telle toute adoption, d’après les anciennes règles, faisait passer l’adopté de la famille dont il était issu dans celle de la personne par laquelle il avait été adopté, en sorte que, après l’adoption, on ne pouvait désigner comme père dans le sens légal de ce mot, que celui-là seul qui était constitué tel par l’acte d’adoption.Mais, dès les premiers temps de l’empire, les anciennes prescriptions relatives aux noms commencèrent à tomber en désuétude, surtout en ce qui concernait le cas d’adoption. La raison de ce changement est facile à comprendre. Les principes qui étaient à la base du droit civil : la soumission au chef de la famille, l’unité traditionnelle de la race, allaient s’affaiblissant de plus en plus devant la prépondérance que prenaient en pareille matière les considérations de fortune et de propriété.Si, à la fin de la république, nous voyons dans l’usage général la langue s’affranchir des règles officielles en ce qui regarde les noms, ce n’est là qu’une des nombreuses conséquences du changement que nous venons de signaler. Déjà Brutus, Metellus, Scipion, Atticus et d’autres personnages adoptés vers la même époque, sont désignés ordinairement par leurs anciens noms. Avec l’empire l’hésitation pénètre dans le langage officiel. Le gentilicium primitif est conservé sans changement à côté du nouveau. Comme père, on indique, non le père adoptif, mais le père naturel. L’exemple le plus ancien que je connaisse de ce fait est celui d’Auguste, qui marque, il est vrai, une sorte de transition : dans les fastes capitolins il est désigné, aux années 714 et 718, comme divi f. C. f. Cette désignation singulière, et qui, je crois, n’a pas encore été expliquée, ne peut être comprise qu’en admettant que le premier indiqué est le père adoptif, le second le père naturel. Il est bien certain que cette façon de désigner les deux pères à la fois n’a jamais été d’un usage général ; nous ne la rencontrons que dans ce seul document, et même, dans le second passage C. f. a été effacé plus tard.

Mais si, dans ce cas, le père naturel n’est indiqué qu’à côté du père adoptif et après lui, nous voyons en revanche que Livie, même après avoir été admise par le testament d’Auguste in familiam Juliam nomenque Augusti continua de s’appeler comme auparavant Drusi f.. La raison de cette désignation est évidente : les mots Augusti filia divi Augusti (uxor) auraient choqué ceux des amis dévoués de la dynastie qui n’étaient pas encore devenus insensibles è ce genre d’extravagances.Un autre exemple nous est fourni par les deux frères Tullus et Lucanus, qui furent adsumpti in nomeni par Cn. Domitius Afer, le célèbre orateur (mort en 59 après J.-C.). Lucanus, dont une inscription nous a conservé le nova complet, s’appela : Cn. Domitius Sex. f. Vel. Afer Titius Marcellus Curvius Lucanus ; ainsi il indiquait le prénom de son père naturel et non pas celui de son père adoptif. C’est exactement de la même manière que procéda, un peu plus tard, Pline le Jeune, qui, dans toutes ses inscriptions, indique aussi le prénom de son père naturel.Nous assistons évidemment ici à une modification qui s’opère dans le droit, à un changement qui ne se manifeste, a première vue, que dans les noms, mais qui, sans aucun doute, devait aussi affecter la position juridique des personnes. Il ne faudrait pourtant pas en conclure que, sous l’empire, tout individu adopté ait continué, même après l’adoption, à être regardé comme le fils de son père naturel et ait été désigné comme tel. Nous pouvons constater le contraire pour les adoptions qui eurent lieu dans la famille impériale, dans laquelle c’est toujours le père adoptif qui est cité comme père. Il suffit d’ailleurs, pour écarter toute supposition de ce genre, de rappeler la manière dont les livres de droit de cette époque traitent l’institution de l’adoption, et surtout la conséquence rigoureuse arec laquelle ils maintiennent le principe que l’adoption détruit non seulement la potestas primitive la où elle existe, mais encore et avant tout les liens d’agnation, à tel point que l’adopté, en même temps qu’il devient le fils de son père adoptif, devient l’agnat des agnats de celui-ci.

Il faut donc admettre que le changement dans la position juridique de l’adopté se restreignit au seul cas de l’adoption testamentaire. Les exemptes cités plus haut, dans lesquels l’adopté continuait à se désigner comme fils de son père naturel, se rapportent tous, en effet, à des adoptions testamentaires. C’est indubitable en ce qui concerne Livie et les Domitii, pour ne pas parler d’Auguste lui-même ; et c’est au moins très probable dans le cas de Pline le Jeune. Les textes de droit ne s’opposent nullement à ce qu’on admette que l’adoption testamentaire de cette époque ait été un simple changement de nom et n’ait modifié en rien l’état personnel de l’adopté. Ces textes sont même très favorables à cette hypothèse, car, s’ils ne considèrent plus l’adoption testamentaire comme une véritable adoption (ce qu’elle était sous la république), en revanche ils connaissent très bien la clause testamentaire imposant à l’héritier la condition de changer de nom pour pouvoir recueillir l’héritage.Cela une fois admis, nous pouvons nous rendre un compte exact des modifications successives intervenues dans le domaine des faits et dans celui du droit. D’après le droit ancien l’adoption entre vifs et l’adoption par testament étaient identiques quant à leurs conséquences juridiques, absolument comme la manumission entre vifs et la manumission par testament. Seulement il va de soi que l’adoption par testament ne plaçait pas l’adopté sous la potestas du père adoptif, pas plus que la manumission par testament ne plaçait l’affranchi sous le patronat du testateur ; mais les deux sortes d’adoption avaient ceci de commun qu’elles entraînaient un changement de gens. Il est clair que plus tard, lorsque le droit des gentes tomba en désuétude, l’adoption inter vivos n’en fut pas affectée, car le principal effet de cette adoption était l’établissement de la potestas, et le changement de gens n’en était que la suite secondaire. Pour l’adoption testamentaire, en revanche, le résultat fut qu’au lieu d’entraîner un changement de gem elle n’entraîna plus qu’un changement de nom ; et c’est ainsi qu’elle cessa d’être une forme de l’adoption proprement dite. Ici il y avait incontestablement une modification du droit : l’adoption testamentaire, tant qu’elle fut considérée comme une véritable adoption, donnait à l’adopté le droit d’hériter même des agnats et des affranchis de l’adoptant, tandis qu’elle le lui enlevait vis-à-vis de ses anciens agnats et affranchis. Lorsqu’elle fut réduite à un simple changement de nom, elle ne lui donna pas plus de droits que tout autre clause imposée à un héritier pour entrer en possession.

Ce changement opéré dans le droit répond au développement naturel des choses. Qu’il ait été le résultat d’une disposition légale ou qu’il se soit introduit par l’usage, c’était un pas important vers la destruction du principe de la gentilité d’abord, puis aussi du principe de l’agnation. Dans la pratique il pouvait être motivé par le fait que l’héritier institué ne pouvait recueillir les successions latérales du côté du testateur qu’en renonçant aux successions analogues auxquelles il eût pu prétendre dans sa famille naturelle, en sorte que souvent il eût préféré renoncer aux premières qu’aux secondes. Les jurisconsultes de l’empire paraissent donc avoir pris le parti d’abandonner l’adoption testamentaire comme forme de l’adoption, et de la considérer en droit comme une simple clause imposée par le testateur à l’héritier, et à laquelle ce dernier était censé satisfaire s’il changeait de nom, ou plutôt s’il intercalait les noms du testateur parmi les siens à la première et à la plus importante place, ce qui ne changeait d’ailleurs rien à la position qu’il occupait dans sa propre famille. De là il n’y avait qu’un pas à faire pour dispenser l’adopté par testament d’introduire parmi ses noms l’indication du père et des ascendants adoptifs et de leur tribu, ce qui était officiellement exigé dans le cas d’adoption véritable.

§ III. Le changement de nom de Pline et le système des noms romains sous l’empire.

Ainsi que nous l’avons vu, Pline s’appelait avant l’adoption, c’est-à-dire avant 79, P. Cæcilius L. f. Ouf. Secundus ; après l’adoption il s’appela C. Plinius L. f. Ouf. Cæcilius Secundus. Ainsi donc, lors de l’adoption, il abandonna son prénom et plaça son anciengentilicium parmi ses cognomina. Si connue que soit cette manière de procéder, il n’est pas sans intérêt de l’examiner de près au point de vue de la chronologie et du droit.Nous avons déjà dit que la conservation de l’ancien prénom et de l’ancien gentilicium, après l’adoption, était contraire à la nature même de cette institution et en général à tout le système de la gens et des noms chez les Romains. On ne pourrait citer aucun cas de ce genre dans des documents officiels remontant à la période républicaine ; et pourtant les exemples mentionnés plus haut de Brutus ; Metellus, Scipion, Atticus, prouvent ample ment que, déjà vers la fin de cette période, les anciens noms éliminés par l’adoption persistaient dans le langage ordinaire.Veut-on savoir quand cet usage pénétra dans le style officiel ? On peut s’en rapporter sur ce point aux fastes consulaires. Ici, pendant toute la période du règne d’Auguste, on ne rencontre qu’un seul exemple de double gentilicium, c’est celui du consul de l’an 742 u. c. = 12 av. J.-C., P. Sulpicius Quirinius, dont les noms ne peuvent s’expliquer que par l’hypothèse qu’un Quirinius avait été adopté par un Sulpicius.Nous avons d’autres exemples du même fait, dans les noms du beau-père d’Agricola : [T. Do]mitius T. f. Vel. Decidius, ainsi que dans ceux du consul de l’an 36 : Sex. Papinius C. f. Allenius, et ce dernier étant probablement de Padoue, où les Allenii étaient une famille ancienne et considérable l’origine de ce nom parait évidente. Dans un autre cas nous pouvons établir qu’une combinaison analogue de noms, adoptée d’abord par un personnage, fut désapprouvée et dut même disparaître des actes publics ; il s’agit du consul de l’an 13 ap. Jésus-Christ, C. Silius P. f. P. n. A. Cæcina Largus. Tels sont les noms qu’il porte dans les fastes d’Antium. Dans la liste consulaire de Dion Cassius et dans les fastes du Capitole il manque seulement le prénom A(ulus) ; mais dans ceux-ci les noms Cæcina Largos ont été effacés plus tard. Partout ailleurs, ce personnage, qui est souvent mentionné, est appelé simplement C. Silius. Ainsi que je l’ai démontré ailleurs, le martelage des noms Cæcina Largus prouve que Silius n’avait pas le droit de les porter, ou qu’il avait perdu ce droit plus tard ; la cause pourrait avoir été une damnatio memoriæ de relui dont il avait reçu ces noms. Mais il est beaucoup plus probable que Silius s’était permis, pour une raison ou pour une autre d’ajouter à ses noms ceux de A. Cæcina Largos, et que cette combinaison avait paru inadmissible dans la forme, et avait été annulée ; c’est ce qui eut lieu pour Auguste lorsque, après l’adoption, il voulut maintenir l’indication de son père naturel. Si une combinaison semblable put être tolérée pour Quirinius on peut l’expliquer soit par l’effet du hasard, soit à cause de l’obscurité de ce nom, tandis qu’il était plus choquant d’entendre employer comme cognomen un gentilicium aussi illustre que celui de Cæcina.

Viennent ensuite, dans l’ordre chronologique, les noms des consuls T. Rustius Nummius Gallus, 18 ap. J.-C. ; L. Livius Sulpicius Galba, 33 ap. J.-C. ; Sex. Papinius Allenius, 36 ap. J.-C. ; C. Petronius Pontius Nigrinus, 37 ap. J.-C. ; peu après C. Ummidius C. f. Durmius Quadratus enfin, sous Néron, l’orateur T. Clodius M. f. Eprius Marcellus. Ces exemples d’un double gentilicium, qui appartiennent à l’époque de la dynastie Julio-Claudienne, et qui étaient motivés sans doute par des adoptions, sont encore isolés. Mais à partir des premiers Flaviens, qui marquent l’avènement des hommes nouveaux et des idées nouvelles, les cas de ce genre apparaissent en masse et bientôt la confusion devient inextricable. Tandis que le système des noms républicains, avec sa clarté et avec les règles sévères auxquelles il était soumis, nous permet d’établir la généalogie de la plupart des grandes familles de la république, il semble qu’on doive renoncer b l’espoir de pouvoir faire un travail semblable pour l’époque impériale.Dans le renversement du système qui régissait autrefois l’organisation de la famille et jusqu’aux noms à donner à chaque individu, renversement qui, commencé b la fin de la république, s’acheva dans le cours du siècle suivant, on peut néanmoins constater qu’au commencement certaines règles continuèrent à être observées.Il est certain qu’on ne se départit pas d’abord des principes fondamentaux d’après lesquels un citoyen ne pouvant faire partie que d’une seule famille, un adopté ne pouvait se rattacher qu’à celle de son père adoptif. Aussi longtemps qu’une idée juridique domina dans ces matières, on estima que chaque personne devait avoir un seul nom et un seul prénom. Or il était reçu depuis longtemps qu’on pouvait avoir plusieurs cognomina (il faut même reconnaître que c’était dans la nature des cognomina de pouvoir être multiples) ; et c’est par la que la règle commença à être entamée. D’abord au concéda que l’ancien gentilicium ne fût pas modifié comme autrefois, mais simplement mis à la place des cognomina en conservant sa forme première, comme est le cas pour Pline le Jeune. Bientôt, probablement depuis Vespasien, on permit également que l’ancien prénom fût reproduit parmi les cognomina. Quant à l’ordre suivant lequel les noms devaient se suivre, il résulte de ce que nous avons dit plus haut, que le prénom et le nom provenant de l’adoption figuraient en tête comme seuls noms légaux. Venait ensuite la désignation du père (en cas d’adoption testamentaire celle du père naturel), puis la désignation de la tribu et enfin les cognomina, y compris l’ancien gentilicium et l’ancien prénom.Cette règle est confirmée par la plupart des inscriptions du premier siècle où nous pouvons expliquer la formation des noms, par exemple par celle de Domitius Lucanus et par celle de Pline le Jeune. Cependant, dès cette époque, il est des cas où la désignation du père ne suit pas le premier gentilicium ; ainsi dans une inscription de Trieste le consul de l’an 71 est appelé C. Calpetanus Rantius Quirinalis Valerius P. f Pomp. Festus ; ainsi on trouve encore dans une inscription grecque le nom de C. Antius A. Julius A. f. Quadratus, qui fut consul pour la seconde fois en 145. On comprend que mainte personne ait trouvé plus convenable de ranger parmi ses cognomina la désignation de son père naturel. Il est permis toutefois d’établir comme règle, au moins pour le premier siècle, que le premier prénom et le premier gentilicium sont ceux qui proviennent de l’adoption testamentaire ; ils prennent la place qu’occupaient l’ancien prænomen et l’ancien nomen, et c’est a eux que se rapporte la condicio nominis ferendi : d’où il résulte que l’insertion de ces noms à un rang postérieur n’eût pas été censée remplir la clause testamentaire, et que ce sont ces noms qui sont transmis aux enfants et aux affranchis Bientôt cependant l’arbitraire s’introduisit et la distinction entre les anciens éléments des noms se perdit peu à peu.Depuis que l’adoption et la quasi-adoption, au lieu d’entraîner un changement de nom, ne nécessitèrent plus que l’adjonction des nouveaux noms aux anciens, les noms des nobles romains augmentèrent dans une mesure telle qu’il devint indispensable de trouver un moyen terme entre le nom abrégé et le nom complet tel que le connaissait la république. Cela demande une explication : Dans l’origine les cognomina ne figuraient pas dans les documents officiels, mais, depuis qu’ils y eurent pris une place, l’usage s’introduisit peu à peu d’abréger les noms, surtout lorsqu’il s’agissait de donner une date. Et il ne pouvait en être autrement, car lescognomina n’avaient pas toujours un égal caractère de fixité, et dès les premiers temps il arrive qu’on en trouve plusieurs a la suite les uns des autres. Cependant, sous ce rapport, l’usage officiel, depuis Auguste jusqu’à Trajan, ne diffère pas beaucoup de celui de la république : en règle générale, on se servait, pour indiquer les dates, de deux noms, sauf qu’on ajoutait à volonté au prénom, qui manque rarement, tantôt le gentilicium, tantôt un des cognomina.

Mais lorsque certaines personnes se mirent à porter dix noms et plus, comme cela eut lieu dès l’époque de Trajan, la longueur de ces énumérations devint insupportable, et comme dans les actes privés, civils et officiels, un choix absolument arbitraire fait parmi ces noms eût présenté de graves inconvénients, on dut aviser ô un moyen pratique d’en distinguer légalement quelques-uns, comme étant les principaux. Sous ce rapport il semble y avoir eu réellement des lois fixes ; peut-être étaient-elles même reconnues endroit.Comme principe fondamental on en revint sans doute a l’ancienne règle que le Romain pouvait porter les tria nomina (prænomen,nomencognomen), et, dans quelques cas, ajouter un second surnom. Aussi voyons-nous que dans les actes publics, on ne donne généralement que trois noms, quatre au plus, aux personnes qui en avaient un plus grand nombre ; et, selon toute apparence, on donnait toujours les mêmes au même individu. Ainsi, dans les fastes, nous ne trouvons, pour chacun des personnages suivants que les trois noms en italiques :C. Calpetanus Rantius Quirinalis Valerius P. f. Pomp. Festus, consul en 71.L. Flavius Silva Nonius Bassus, consul en 81.Ti. Julius Candidus Marius Celsus, consul en 86 et en 105.L. Roscius M. f. Quir. Ælianus Mæcius Celer, consul en l’an 100.L. Julius L. f. Fab. Marinus Cæcilius Simples, consul l’une des premières années du règne de Trajan.Q. Roscius Sex. f. Quir. Cœlius Murena Silius Decianus Vibullus Pius Julius Eurycles Herculanus Pompeius Falco, consul dans l’une des dernières années du même règne.

A ces exemples, empruntés aux fastes de la période qui s’étend de Vespasien à Trajan, on peut ajouter celui du fils de ce mêmePompeius Falco, fameux par le nombre de ses noms, et qui avait été consul en 169. Dans une inscription honorifique, il s’appelle :Q. Pompeius Q. f. Quir. Senecio Roscius Murena Cœlius Sex. Julius Frontinus Silius Decianus C. Julius Eurycles Herculaneus L. Vibullius Pius Augustanus Alpinus Bellicius Sollers Julius Aper Ducenius Proculus Rutilianus Rufinus Silius Valens Valerius Niger Claudius Fuscus Saxa Uryntianus (?) Sosius Priscus, tandis que, dans d’autres inscriptions, il se contente des trois premiers et des deux derniers noms (Q. Pompeius Senecio Sosius Priscus), et plus souvent encore du premier et des deux derniers (Q. Sosius Priscus).Il faut rapprocher de cette manière d’abréger les noms, celle qui est usitée chez les auteurs de l’époque : au lieu des trois noms on y en trouve, presque sans exception, deux ; et régulièrement c’est le prénom qui est omis.Il n’est pas impossible cependant de reconnaître un certain ordre dans cet entassement de noms Les noms essentiels sont figes : il y a un prénom, un gentilicium, dans la règle aussi un cognomen unique ; ces noms occupent a côté des autres une place fixe, soit au commencement, soit à la fin. Ainsi qu’on peut le voir par la liste que nous avons donnée plus haut, le prénom du nom abrégé est toujours celui qui est en tête du nom complet et les deux noms employés dans l’usage ordinaire sont ou bien au commencement, ou bien à la fin, ou encore le premier au commencement, le second à la fin.Pour arriver à des résultats plus précis et plus importants, il faudrait soumettre a un examen détaillé tout le système des noms sous l’empire, mais l’espace ne nous permet pas de plus amples développements.

Pour en revenir à Pline, il est appelé dans Martial et dans les lettres qu’on lui adresse tantôt Plinius, tantôt, et cela le plus souvent(dans les lettres de Trajan toujours), Secundus. Mais si, en revanche, dans les en-tête de ses propres lettres, on lit ordinairement C. Plinius, cette désignation, que l’on rencontre aussi dans Sidoine Apollinaire, pourrait bien avoir été introduite par des grammairiens qui, s’appuyant de l’exemple de M. Tullius, la trouvaient plus choisie que le simple nom ou surnom ; mais elle ne répond paso l’usage de l’époque. Son ancien gentiliciumCæcilius, ne s’est maintenu que dans le nom complet, tel que le donnent les inscriptions honorifiques et les copistes du recueil de ses lettres dans les subscriptiones de plusieurs livres.

§ IV. Circonstances connues de la vie de Pline jusqu’à son entrée au sénat.

Il résulte des indications fournies par Pline lui-même, qu’il était dans sa dix-huitième année lors de l’éruption du Vésuve, le 24 août 79. Il était donc né dans la seconde moitié de 61 ou dans la première moitié de 62. Nous possédons de lui plusieurs inscriptions dont il sera question plus loin (Appendice A). La principale nous apprend que les débuts de Pline furent ceux de la plupart des fils de sénateurs où de chevaliers influents qui se proposaient d’entrer au sénat et de se vouer à la carrière administrative. Dés sa vingtième année, en 84 ou 81, il débuta dans le barreau et, avant d’entrer au sénat, il fut decemvir stlitibus judicandis, tribun militaire de la légion IIIa Gallica et sevir des chevaliers romains à des dates que nous ne pouvons pas préciser. On trouve aussi dans ses lettres une allusion au fait qu’il avait parcouru dans sa jeunesse les emplois par lesquels on se préparait b. revêtir la dignité sénatoriale, mais il n’y mentionne pas formellement le décemvirat et le sévirat. En revanche il parle souvent de son tribunat militaire et il résulte de ses indications qu’il en fut revêtu sous Domitien, c’est-à-dire après le 13 septembre 81, et qu’il exerça cette charge en Syrie, ce qui est pleinement d’accord avec ce qu’on sait des quartiers de la IIIa GallicaPas plus pour lui que pour les autrestribuni militum honores petituri, il ne saurait avoir été question d’un service militaire effectif : on sait, en effet, que le gouverneur de Syrie l’employa a la comptabilité, et qu’il trouva, à côté de ses occupations, le temps de suivre les leçons des principaux philosophes qui enseignaient alors dans ces contrées et de nouer des relations avec eux. Il est probable qu’il ne resta pas à l’armée plus longtemps que la loi ne l’exigeait, c’est-à-dire une année ou du moins plus d’un semestre.

§ V. Questure. Tribunal du peuple. Préture.

Il n’y a pas longtemps encore, on suivait, quant aux lois annales de l’époque impériale, la tradition assez peu fondée des érudits du XVIe siècle. Les recherches de Wex, et surtout celles de Nipperdey sont les premières qui reposent sur des bases plus certaines.Les principales règles suivies en matière d’avancement sont probablement les suivantes : 1° l’avancement dans les charges supérieures comprenait les quatre degrés de la questure, du tribunat du peuple ou de l’édilité (ces deux charges, depuis l’empire, étaient considérées comme étant du même degré), de la préture et du consulat, et, pour être revêtu de l’une de ces fonctions, il fallait nécessairement avoir passé par le degré précédent ; 2° entre chacune de ces fonctions il devait s’écouler un certain laps de temps (ne honores continuentur) ; 3° pour devenir questeur il fallait être entré dans sa vingt-cinquième année, pour devenir préteur dans la trentième. On ne sait s’il existait une règle semblable pour l’édilité ou le tribunat et pour le consulat, ou si l’on se contentait de la limite d’âge qui résultait implicitement des règles précédentes.La loi admettait cependant dans certains cas des exceptions ; ainsi Auguste décida que, pour chaque enfant vivant, on accorderait au candidat la dispense d’une année de l’âge légal.Le sens et l’application de la première et de la troisième règle n’ont rien que de clair et de simple ; il est assez difficile de déterminer exactement la portée de la seconde règle. Si, comme cela avait lieu dans les municipes, les fonctionnaires de tout rang étaient entrés en charge le même jour, le précepte ne honores continuentur eût eu pour toute conséquence qu’entre deux degrés il devait y avoir un intervalle d’un an. Mais parmi les fonctions dont il est ici question, la préture et l’édilité seules se trouvaient dans ce cas.Quant au tribunat du peuple, on sait que sous la République il expirait le 10 décembre, et probablement il en fut de même sous l’empire.

Il est plus difficile de savoir la date à laquelle expiraient les fonctions des questeurs. On sait bien que, sous la République, ces magistrats entraient en charge le 5 décembre, mais il semble que sous Auguste cette date fut modifiée. Il est certain, du moins, qu’un changement pareil eut lieu sous l’empire pour l’année proconsulaire, qui allait du 1er juillet au 31 juin ; or cette innovation devait, presque nécessairement, atteindre aussi les questeurs provinciaux, qui, après comme avant, n’étaient que les premiers employés des gouverneurs ; ils ne pouvaient guère entrer eu fonctions le 5 décembre, si les gouverneurs eux-mêmes étaient relevés de leur poste le 1er juillet. D’ailleurs, le motif allégué pour justifier le transfert de ces mutations à la saison d’été, à savoir la difficulté des voyages maritimes, existait aussi bien pour les uns que pour les autres. Des arguments plus positifs semblent confirmer l’hypothèse suivant laquelle les questeurs provinciaux seraient entrés en charge au 1er juillet. D’abord cette date se concilie mieux que celle du 5 décembre avec celle de leur désignation, qui avait lieu au 23 janvier. Puis, dans le décret de file de Sardaigne que j’ai commenté ailleurs et qui fut rédigé le 13 mars 68 après J.-C., c’est-à-dire à la fin de l’année proconsulaire, on trouve la signature du questeur du proconsul, qui s’intitule bien questeur et non pas proquesteur. Enfin, ce titre même de proquesteur, qu’on rencontre si fréquemment avant l’empire, disparaît depuis Auguste et l’on ne peut expliquer ce fait que comme une conséquence de la régularité plus grande qui s’introduisit à cette époque dans tout le système administratif.Sous l’ancien régime, il arrivait souvent que les questeurs provinciaux  n’étaient rendus à leur poste que lorsque déjà la moitié ou plus de la moitié de leur année administrative était écoulée ; puis, lorsque arrivait le terme légal de leur charge, ils devaient continuer leurs fonctions, avec titre de proquesteurs, jusqu’à ce que leur successeur, également en retard, vînt les en relever. L’empire dut faire cesser cette anomalie, et c’est afin d’y obvier qu’on transporta en été la date de l’entrée en charge des fonctionnaires provinciaux et qu’on les désigna assez longtemps à l’avance pour qu’ils pussent être rendus à leur poste au jour figé. C’était le seul moyen de faire coïncider l’administration effective de chacun avec son année administrative. On peut donc admettre sans invraisemblance que, sous l’empire, les questeurs provinciaux entraient en fonctions au 1er juillet.

Il s’agit maintenant de savoir comment s’appliquait la règle ne honores continuentur à ceux des fonctionnaires dont l’année administrative ne coïncidait pas avec l’année consulaire et prétorienne. Cette règle semble avoir été prise dans le sens strict qu’entre deux degrés il devait y avoir, non pas seulement un espace de temps où le personnage ne fut revêtu d’aucune dignité, mais bien une année complète du calendrier. En effet, si l’on compare l’espace de temps entre l’âge exigé pour la questure et celui qui était exigé pour la préture avec la succession légale des trois degrés, si l’on considère que ces conditions d’âge étaient certainement calculées dans la supposition d’un avancement régulier et d’une combinaison possible, on ne peut s’expliquer cette combinaison qu’en admettant des intervalles d’une année entière.Ainsi celui qui était né le 1er novembre 66, qui entrait par conséquent le 1er novembre 99 dans sa vingt-cinquième année et le 1er novembre 95 dans la trentième, pouvait, dans le cas le plus favorable, être questeur du 1er juillet 91 au 31 mai 92 ; puis, après un intervalle de dix-sept mois environ, soit tribun, du 10 décembre 93 au 9 décembre 94, soit édile, du 1er janvier 94 au 31 décembre 94 ; enfin, après un intervalle d’un peu plus d’un an ou d’un an juste, il était élevé à la préture le 1er janvier 96 et l’obtenait ainsi dans sa trentième année..

Pour bien se rendre compte de la portée de ces régies et des perspectives d’avancement qu’elles offraient à ceux qui se destinaient à la carrière administrative, il faut se rappeler qu’il y avait chaque année à répartir :20 emplois de 4e classe (questure).16  de 3e classe (dont 10 de tribuns et 6 d’édiles).10 à 18 emplois de 2e classe (préture).6 ou 12 places de 1e classe (consulat ; suivant qu’il durait 4 ou 2 mois).Mais, pour la 1re classe, le nombre des places à donner à l’avancement régulier était restreint encore par les itérations et par les consulats des empereurs. On voit qu’en pratique les compétitions les plus nombreuses devaient se produire pour la nomination des questeurs et des consuls ; et la lutte devait être particulièrement vive entre les candidats à la questure, vu la part que le sénat prenait à leur désignation. Par contre, une fois questeur, en était à peu prés assuré d’arriver au tribunat ou à l’édilité, puis à la préture ; car, en tenant compte des décès et des empêchements qui pouvaient survenir, le nombre des candidats ayant droit à l’avancement de la 4e à la 3e classe ne devait guère dépasser celui des places disponibles. Pour le passage de la 3e à la 2e classe il était même inférieur, si bien que, pour compléter le nombre des préteurs, on devait évidemment recourir à des moyens exceptionnels ; ces moyens consistaient soit en une dispense du tribunat et de l’édilité que l’empereur pouvait accorder aux questoriens, soit en une allectio inter tribunicios de gens qui n’étaient pas sénateurs. On a des exemples nombreux de ces deux manières de procéder.C’est d’après ces règles qu’il s’agit de déterminer la date des trois premières fonctions ordinaires remplies par Pline. Ce dernier, dans la lettre où il raconte sa visite au philosophe Artémidore nous apprend qu’à l’époque où il fit cette visite il était préteur, et que c’était précisément le moment où venait d’avoir lieu l’exécution de Herennius Senecio, de Junius Arulenus Rusticus et de Helvidius Priscus le Jeune, et où le frère de Rusticus, Junius Mauricus, Fannia, belle-mère de Priscus, et Arria, mère de celle-ci, venaient d’être bannis, que c’était enfin l’année même où Domitien expulsa de Rome les professeurs de philosophie. Cette catastrophe, que Tacite indique aussi comme marquant l’apogée de la tyrannie de Domitien, eut lieu peu de temps après la mort d’Agricola, survenue en août 93, et nous avons vu qu’à cette date le protes contre Bæbius Massa était encore pendant : or, ce procès fut soutenu et mené à bonne fin par Senecio de concert avec Pline avant que Senecio n’eût été accusé lui-même par Mettius Carus, puis mis à mort pour avoir écrit la vie d’Helvidius Priscus l’Ancien.On peut donc fixer la préture de Pline à l’année 93 ou 94, dates (surtout celle de 93) auxquelles semblent nous amener aussi les indications chronologiques que nous avons sur le second bannissement des philosophes de Rome; ce bannissement était d’ailleurs en connexion intime avec les condamnations dont nous venons de parler ; c’était une mesure de police succédant aux poursuites judiciaires. Toute cette persécution frappait l’opposition politique, qu’elle se manifestât dans la littérature ou dans l’enseignement, et, tandis que les principaux d’entre les écrivains et professeurs étaient mis à mort, les autres étaient en masse expulsés de la capitale.

Ainsi, lorsque Pline obtint la préture il était au moins dans sa trente et unième année, et il avait probablement atteint déjà la trente-deux ou trente-troisième. Il dit, il est vrai, en parlant de lui et de son ami Calestrius Tiro : simul quæstores Cæsaris fuimus : ille me in tribunatu liberorum iure præcessit, ego illum ira prætura sum consecutus cum mihi Cæsare annum remisisset (VII, 16). Ce récit pourrait donner à penser que les deux candidats avaient commencé leur carrière au minimum d’âge exigé et que, par suite de faveurs exceptionnelles, chacun d’eux avait été élevé à la préture un an avant le terme le plus court fixé par la loi. Pourtant cette explication rencontre des difficultés ; elle est en contradiction avec des faits authentiques et elle n’est pas la seule possible.Celui qui devenait questeur après la limite inférieure d’âge, n’en était pas moins tenu à observer les intervalles légaux dont il a été question plus haut. Mais, ici encore, on pouvait obtenir une dispense et la carrière pouvait, dans des circonstances particulières, être parcourue en 5 ans au lieu de 6. Si, par exemple, Tira et Pline furent questeurs ensemble du i- juin 89 au 31 mai 90 ; si ensuite Tiro, en vertu du jus liberorum devint tribun du peuple une année avant son tour, le 1er décembre 90 ; si Pline le devint, suivant la règle, le la décembre 91 ; si enfin tous deux, Tiro après l’intervalle légal, Pline par faveur spéciale, après quelques jours seulement, devinrent préteurs ensemble, le ter janvier 93, tandis que dans la règle ils n’eussent dû l’être que le 1er janvier 94, les indications de Pline sont également exactes. La dispense de l’année d’intervalle était sans doute tout à fait distincte de celle d’une année de l’âge légal qu’on accordait pour chaque enfant, et elle était peut-être soumise à des conditions toutes différentes, comme par exemple à la possession de trois enfants vivants. Nous n’avons aucun renseignement sur ce point, mais dans le cas présent, il nous semble absolument indispensable pour échapper à des difficultés insolubles, d’admettre qu’il existait aussi une dispense de ce genre, ce qui s’accorde d’ailleurs parfaitement avec la position privilégiée qui résultait de la paternité.

Ainsi Pline, suivant qu’il fut préteur en 93 ou en 94, dut être tribun le 10 décembre 91 ou 92, et questeur le 1er juin 89 ou 90. Or, comme on sait d’une part qu’en 93 il défendit les habitants de la Bétique contre Bæbius Massa et d’autre part qu’il s’abstint de plaider pondant son tribunat ; il ne reste qu’à placer sa questure du 1er juin 89 au 31 mai 90 ; son tribunat du 10 décembre 91 au 9 décembre 92 ; sa préture en 93, année de la mort d’Agricola, date qu’indiquent également, comme nous l’avons vu, les renseignements fournis par Eusèbe et Philostrate sur l’exil des philosophes. Nous démontrerons plus loin que la désignation des préteurs avait lieu le 9 janvier de l’année qui précédait l’entrée en charge ; celle de Pline remonterait donc au 9 janvier 92 et le décret par lequel Domitien le déclara éligible serait de la fin de 91 ou des premiers jours de 92. Tous les événements que nous avons rappelés plus haut : la fin du procès de Massa, le commencement et la fin de celui contre Senecio et ses complices, l’exil des professeurs, la visite de Pline chez Artémidore et l’appui accordé à ce dernier, doivent donc se concentrer dans les quatre derniers mois de l’an 93, après la mort d’Agricola. On peut admettre cela sans difficulté, puisque les derniers incidents du procès de Massa font déjà prévoir la dénonciation de Senecio par Carus Cette explication s’accorde aussi avec le passage on Pline nous dit que, dans les premiers temps du règne de Domitien, jusqu’au changement survenu dans les dispositions de ce prince par suite du procès de Senecio, il avait parcouru, pour ainsi dire à la course la carrière de l’avancement. Il pouvait parler ainsi alors même qu’il ne s’était présenté à la questure que quelques années après l’âge légal, en tant qu’il avait franchi avec une rapidité extraordinaire et même extra-légale le chemin de la questure a la préture. Enfin, la différence d’âge qui séparait Pline de Tacite, son aîné, est en rapport avec la distance qui sépare leurs prétures : le premier fut préteur en 88, le second en 93.Il reste peu de chose à dire sur chacune des fonctions de Pline en particulier. Comme le prouvent ses inscriptions et ses lettres, il eut dans sa questure le privilège de fonctionner comme quæstor imperatoris ce qui atteste la faveur dont il jouissait alors auprès de Domitien. Quoiqu’il n’ajoute pas les mots candidatus Augusti, était sans aucun doute l’empereur lui-même qui l’avait nommé, et non le sénat. On remarque, en effet, que les inscriptions omettent cette mention toutes les fois qu’il s’agit de questeurs de l’empereur ; la raison en est probablement que, pour cette catégorie de questeurs, il allait de soi que le prince devait présenter lui-même les candidats. Quant à son tribunat du peuple, il ne nous en apprend presque rien, sinon qu’il observa pendant sa durée le silence qui convenait, c’est-à-dire, d’après un passage que nous avons déjà cité, qu’il s’abstint de plaider afin d’éviter les collisions désagréables qui auraient pu se produire entre le pouvoir soi-disant inviolable dont il était investi et la réalité des choses. Enfin, sur sa préture, il ne dit rien ; il ne parle que des jeux qu’il donna et de la modestie dont il fit preuve, ce qui doit se rapporter précisément à la manière dont il donna ces jeux. Il est probable, à en juger par son silence à cet égard, que le sort ne lui apporta aucun emploi effectif, en sorte que la préture n’aura été pour lui, comme le tribunat, qu’un moyen d’arriver à une position supérieure, qui lui ouvrit l’accès de fonctions plus importantes dans la haute administration.Même dans les dernières années du règne de Domitien, Pline n’eut à se plaindre d’aucun retard dans son avancement, tandis que Tacite, qui avait été préteur en 88, n’était pas même consul désigné à la mort du prince, raison pour laquelle Nerva le comprit dans sa première création de consuls. Quant à Pline, qui avait été préteur en 93, s’il pouvait légalement prétendre aux faisceaux dès 95, il ne devait cependant pas se considérer comme lésé dans ses droits, s’il ne les obtenait pas dans l’une des trais années suivantes. Il ne dit pas d’ailleurs que Domitien l’ait retardé ; il dit simplement que, du moment où ce prince était devenu un despote absolu, son avancement, si rapide jusqu’alors, s’était ralenti ; et qu’au lieu de chercher à obtenir les plus grands honneurs par l’intrigue, il avait préféré suivre la voie régulière. Cela revient à dire que, s’il eût voulu imiter Carus et Messalinus, la faveur impériale eût pu le faire arriver au consulat comme il était arrivé à la préture, avant le terme légal, mais qu’il avait dédaigné de pareils moyens.

§ VI. Præfectura ærarii militaris.

Les inscriptions de Pline montrent qu’après sa préture (en 93) et avant d’être préfet du trésor public (en 98 et suiv.) il fut préfet de la caisse militaire. Ainsi cette charge se place entre 94 et 97, et comme, dans la règle, elle durait 3 ans, Pline doit l’avoir exercée, s’il n’y eut pas de circonstances exceptionnelles, soit de 94 à 96, soit de 95 à 97. Ce ne fut donc pas Nerva, mais Domitien qui le nomma ; preuve de plus qu’il eut la fortune de toutes Ies personnalités insignifiantes qui arrivent sans encombre dans tous les temps et dans toutes les circonstances. Nous savons par Dion Cassius que le collège des Præfecti ærarii militaris se composait de trois anciens préteurs nommés par l’empereur, et dans toutes les inscriptions nous voyons, en effet, que ces fonctionnaires sont de rang prétorien 

§ VII. Præfectura ærarii Saturni.

Pline assure que lui et son collègue Cornutus Tertullus avaient été désignés pour le consulat avant d’avoir été deux années entières préfets du trésor de l’État. Cette désignation eut lieu, comme on le verra plus loin, le 8 janvier de l’an 100 ; ces deux personnages doivent donc être devenus préfets du trésor peu de temps après le 9 janvier 98. La nomination fut faite par Nerva, comme Pline le dit formellement ; et si, dans un autre passage il indique Nerva et Trajan comme ceux qui l’avaient nommé, ce qui s’explique par le fait qu’à chaque change ment de prince les fonctionnaires de l’empire devaient être confirmés dans leur charge. Leurs prédécesseurs dans ces fonctions, Vettius Proculus et Publicius Certus, qui étaient certainement encore préfets en 97, sortirent probablement de charge à la fin de cette même année. Pline dit aussi formellement que lui et Cornutus continuèrent, même pendant leur consulat, à administrer le trésor ; cela s’accorde avec le fait déjà signalé que Pline était encore préfet en décembre 101. Ils paraissent avoir résigné ces fonctions peu après, vers la fin de l’an 101 ; en tous cas, lorsque fut écrite la lettre IV, 12, Pline ne les exerçait plus. Ainsi lui et Cornutus les exercèrent pendant 4 ans, de 98 à 101. Ce n’est sans doute pas un pur hasard si le moment de leur entrée en fonctions coïncide, a peu prés, avec le commencement de l’année ; comme les anciennes charges de la république se renouvelaient régulièrement à cette époque, il est naturel que Ies nouvelles charges urbaines et italiques créées par les empereurs aient été soumises à la même règle.Il faut encore noter que, quoiqu’il n’y ait jamais eu plus de deux præfecti ærarii, Pline parle pourtant de ses collègues dans ces fonctions ; ce qui doit probablement être entendu en ce sens que les deux præfecti ærarii Saturni et les trois præfecti ærarii militaris formaient ensemble un seul collège ; on sait qu’il en était de même, malgré la différence de leurs titres, des curatoreschargés de diverses branches de l’administration centrale. Les præfecti ærarii Saturni paraissent cependant avoir été plutôt supérieurs qu’égaux en rang aux præfecti ærarii militaris, puisque Pline exerça cette dernière charge avant la première ; c’est, du reste, le seul exemple que je connaisse d’un même personnage ayant exercé successivement ces deux charges. On peut voir d’ailleurs dans cette circonstance et dans le fait que Pline conserva longtemps la seconde préfecture, la preuve qu’il montra des aptitudes toutes particulières dans cette branche de l’administration.

§ VIII. Consulat.

Pline nous apprend qu’il fut élevé au consulat avec Cornutus Tertullus, l’année même (100), où Trajan fut consul pour la troisième fois, et qu’ils furent en fonctions au mois de septembre. On sait d’autre part que, le 29 décembre de cette année, L. Roscius Ælianus et Ti. Claudius Sacerdos étaient consuls en charge. A cette époque, la durée des fonctions consulaires n’était peut-être pas régulièrement de deux mois ; mais elle ne variait qu’entre deux et quatre mois. Or, les dates que nous venons de donner ne permettent pas d’admettre pour Pline et Tertullus un consulat de quatre mois, et leur consulat doit nécessairement se placer dans les mois de septembre et d’octobre de l’an 100. Le discours de remerciement qui nous a été conservé a donc dû âtre prononcé au sénat le ter septembre.A ce propos il est intéressant de chercher à déterminer autant que possible la date à laquelle avaient eu lieu la désignation et larenuntiatio des consuls, d’autant plus que sur ce point nous en sommes presque réduits aux indices fournis par Pline lui-même. Ces indices nous montrent qu’il pouvait y avoir à la fois plus de deux consuls désignés, et en particulier qu’au mois de janvier de l’an 100, il devait y eu avoir au moins quatre, parmi lesquels ceux qui furent en fonctions au mois de septembre. D’autre part, les monuments des empereurs montrent que le titre de COnSul DESignatus qui dans ce cas se rapporte naturellement toujours à un consulat ordinaire, est généralement pris dans l’année qui précède immédiatement ce consulat, et vers la fin de cette année. Nous voyons aussi que, lorsque Pline prononça son panégyrique comme consul, Trajan n’avait pas encore annoncé au sénat son intention d’exercer le consulat en l’an 101. Il résulte de ces deux  observations que la désignation des consuls ordinaires devait avoir lieu à la fin de l’année précédant leur consulat. Quant à celle des consuls suffecti, elle pouvait se faire soit en même temps, soit dans les premiers jours de l’année même. D’après tout ce que nous savons des comices sénatoriaux, c’est la seconde de ces alternatives qui doit être préférée. On sait, en effet, que les empereurs s’attribuèrent la nomination d’une partie des magistrats de la république : ces nominations prenaient la forme d’une recommandation adressée aux électeurs, c’est-à-dire au sénat, en faveur d’un certain nombre de candidats, recommandation qui avait force de loi Pour le consulat, on procédait de la même façon et la nomination à cette charge est indiquée formellement comme une suffragatio in curia. Seulement, l’empereur s’étant réservé toutes les nominations, il n’y a pas, à l’époque impériale, à distinguer comme cela doit se faire pour d’autres fonctions, entre les candidati principis et les magistrats nommés par la voie ordinaire : tous étaient nommés comme candidats du prince.Si donc on peut déterminer quand le sénat de cette époque procédait aux élections, on pourra aussi comprendre dans ces élections ladésignation des consuls. Du moins il est très vraisemblable que, des deux élections consulaires annuelles (celle des consuls du premiernundinum et celle des suffecti), l’une devait coïncider avec les élections générales des employés de l’année. Or, la date de ces élections générales résulte soit du Panégyrique de Pline, soit de l’usage suivi plus tard. Dans le Panégyrique, qui énumère avec beaucoup de détails et dans un ordre rigoureusement chronologique tous les actes accomplis par Trajan en sa qualité de consul, l’an 100, cette élection, précédée immédiatement de la communication à l’empereur de la liste des candidats, est mentionnée après les vota qui avaient lieu le 3 janvier, et avant la délibération sur Marius Priscus, qui eut lieu également en janvier.A l’appui de cette observation, on peut citer encore un document du Ve siècle, le calendrier de Silvius, qui porte, à la date du 9 janvier : suffecti consules designantur, sine prætores. Ainsi, déjà sous Trajan, on procédait à la désignation des consuls de la manière suivante : les consuls ordinaires étaient nommés à la fin de l’année précédente ; les suffecti, le 9 janvier de l’année de leur charge, et cela dans la curie, sur la proposition de l’empereur ; d’où il suit que Pline et Tertullus furent désignés le 9 janvier de l’an 100. Pline dit expressément que la désignation des consuls n’était pas suivie immédiatement des comices de pure forme qui avaient lieu au Champ de Mars et de la renuntiatio. Mais la renuntiatio, qui se faisait par le consul en charge et non par l’empereur, n’avait pas lieu lors de l’entrée en fonctions de chaque couple consulaire ; elle se rattachait plutôt à la désignation, si même elle n’avait pas lieu immédiatement après. On en trouve la preuve dans le fait que la renuntiatio de Pline a été faite par Trajan en personne et d’ailleurs le Panégyrique n’indique, entre la désignation et la renuntiatio des suffecti de l’an 100, qu’un court intervalle, dans lequel se place la délibération de trois jours sur le procès de Marius Priscus.On peut donc admettre que la designatio du 9 janvier fut bientôt suivie de la proclamation de tous les suffecti de l’année, et qu’en général cette renuntiatio avait lieu avant la fin de janvier.

 § IX. Augurat.

Nous avons vu que Pline devint augure vers l’an 103 ou 104, et que cet avancement répondait aux circonstances.

§ X. Cura alvei Tiberis et riparum et cloacarum urbis.

Nous avons montré que Pline avait probablement été revêtu de cette fonction en 105 et l’avait conservée jusqu’en 107. Son prédécesseur parait avoir été Ti. Julius Ferox, consul en 99, que nous trouvons en 101 comme curator. Son successeur, peut-être pas immédiat, fut C. Minicius Natalis, consul en 106 ou 107. Depuis Tibère, cette cura était confiée à un consulaire avec quatre assesseurs des rangs inférieurs du sénat (de même que la cura aquarum par un consulaire et deux assesseurs) ; mais il paraît qu’ordinairement, et surtout depuis Vespasien, le titre de curator alvei n’était porté que par le président de la commission, qui était toujours un consulaire.

§ XI. Légation de Bithynie.

Dans la plus importante des inscriptions qui le concernent, Pline prend le titre de legatus pro prætore provinciæ Pon[ti et Bithyniæ] consulari potestate in eam provinciam e[x s. c. missus ab] imp. Cæsare Nerva Trajano Augusto German[ico Dacico], et déjà plus haut nous avons fixé l’époque de ce gouvernement aux années 111 et 112 ou 112 et 113. La nomination à ce poste avait un caractère particulier et constituait une mission de confiance ; les termes dans lesquels est conçue l’inscription l’indiquent suffisamment, et, dans ses lettres à Pline, Trajan le répète à plusieurs reprises. Il est impossible de ne pas rapprocher ces indications du fait que la province de Bithynie et du Pont avait été administrée jusque-là par des proconsuls, c’est-à-dire par des sénateurs tirés au sort, tandis que Pline y était envoyé par l’empereur et en qualité de légat impérial. On ne sait s’il entrait dans les intentions de Trajan d’opérer un changement définitif ou non, de continuer après le retour de Pline à faire gouverner la province par des légats impériaux ou de lui rendre des proconsuls. Cependant la première alternative offre une plus grande vraisemblance, car, d’une part, on rencontre sous Trajan et après Pline un second légat impérial de Bithynie, d’autre part Trajan, s’il n’eût voulu prendre qu’une mesure temporaire, se fût contenu d’envoyer Pline dans la province comme proconsul citra sortem et peut-être avec des pleins pouvoirs extraordinaires.Il reste encore à examiner en quel sens on attribue à Pline comme gouverneur de Bithynie le pouvoir consulaire. On ne saurait y voir un titre appartenant de droit aux gouverneurs sénatoriaux, c’est plutôt une distinction personnelle accordée a Pline ; et l’on peut prouver que les légats impériaux, même ceux de rang consulaire, n’avaient point, en général, le pouvoir consulaire.Pour expliquer le sens qu’ont, dans le cas qui nous occupe, les mots consulari potestate, il suffit de rappeler que les gouverneurs impériaux ont tous le titre pro prætore et seulement cinq faisceaux, tandis que ceux du sénat s’intitulent tous pro console et ont six et même douze faisceaux, ainsi que je l’ai démontré ailleurs.Lorsque la Bithynie passa du sénat à l’empereur, celui-ci put trouver utile de laisser au moins au premier gouverneur nommé par lui, des insignes qui lui permissent de se présenter avec le même appareil et la même dignité que l’avaient fait jusqu’alors les proconsuls, surtout eu égard a la tâche spéciale dont Pline était chargé et qui consistait à réorganiser la province et à établir l’administration sur un nouveau pied. Si donc Pline, quoique legatus pro prætore, avait néanmoins les six faisceaux, la désignation convenable en pareil cas était bien celle de legatus pro prætore consulari potestate, alors même qu’a l’augmentation des insignes ne se fût pas rattachée une augmentation réelle de compétence, ce qu’il serait aussi difficile d’établir que de nier.Quant à la durée de la légation de Pline en Bithynie, nous savons seulement qu’elle fut de plus d’un an. Les dernières lettres ne contiennent même aucun indice d’un retour prochain, et pourtant le départ subit de sa femme, qui l’avait accompagné, lui fournissait une occasion toute naturelle d’en parler. Si l’on considère, en outre, que ces légations impériales, quoique conférées pour un temps indéterminé, duraient, dans la règle, plus d’une année, et souvent jusqu’à trois ans, il devient probable que Pline est resté dans sa province un peu au-delà du printemps de 112 ou de 113 (époque où s’arrête la correspondance), ou que du moins il devait y séjourner plus longtemps.

§ XII. Mort de Pline.

Nos renseignements sur la vie de Pline s’arrêtent avec sa correspondance ; ils ne vont pas même jusqu’à son départ de la province et à son retour à Rome. D’après le caractère même de ses lettres, il semble qu’on aurait dû y trouver, comme nous l’avons dit, quelques indications sur ses intentions et ses préparatifs de retour. Il faut donc admettre, ou bien que la fin de notre recueil manque, ou bien que Pline l’a publié pendant sa légation de Bithynie, ou bien encore que la mort le surprit pendant sa légation, loin de Rome, et que ces lettres, préparées peut-être par lui pour la publication, n’ont été mises au jour qu’après sa mort, par ses amis.Ce qui est certain, c’est qu’après sa légation il n’a rempli aucune autre charge, puisque l’inscription rédigée après sa mort mentionne cette charge en dernier lieu. Il est donc probable qu’il mourut avant l’an 114, par conséquent dans sa province ou peu après son retour.

§ XIII. Affaires municipales

Quoique les relations que Pline entretint avec Côme, sa ville natale, et avec d’autres communes, ne soient pas d’une grande importance au point de vue chronologique, il ne sera pas inutile d’y jeter un coup d’œil en terminant.Pline ne parle d’aucune fonction municipale ou sacerdotale qu’il aurait remplie dans sa patrie. Cependant, dans l’inscription que lui consacra à Côme la commune de Vercellae, il est appelé flamen divi Titi Augusti, et ce sacerdoce, qui n’est pas mentionné à côté de l’augurai, mais bien en dehors de toutes les charges publiques, ne peut être que municipal. Ajoutons qu’en général les sacerdoces de Rome relatifs au culte des divi étaient des sodalitates et que le titre de flamine, qui se rencontre, rarement il est vrai, parmi eux, a régulièrement pour complément un adjectif, tandis que la spécification par un génitif, comme nous la trouvons ici, prédomine dans les municipes. Il n’est pas non plus étonnant que Pline ait accepté un sacerdoce pareil dans sa ville natale ; nous trouvons en effet, à Côme même, le père de son beau-père, Calpurnius Fabatus, avec le titre de flamen divi Augusti; et un autre personnage considérable de rang équestre, avec celui de flamen divi Titi Augusti Vespasiani. On peut donc admettre, non sans vraisemblance, que, pour Pline aussi, ce sacerdoce se rapportait a Côme.Comme son père naturel et comme le grand-père de sa femme (V, 11), Pline fit à sa ville natale, soit de son vivant, soit par testament, diverses libéralités qui prouvent à la fois et sa richesse et son attachement tout italien à sa patrie.Les plus importantes de ces libéralités sont énumérées dans son inscription principale ; elle mentionne d’abord celles qui furent faites par testament, et rappelle ensuite accessoirement celles qui dataient de son vivant. L’antériorité de ces dernières résulte de ce qui est dit dans les Lettres, puisque d’après elles la promesse de la donation testamentaire fut faite en même temps.

Du vivant même de Domitien, Pline fit don à ses concitoyens d’une bibliothèque (I, 8) valant, parait-il, un million, et, en même temps, il léguait un capital de 100.000 sesterces pour l’entretenir et faire de nouvelles acquisitions. Cette donation et l’engagement pris par Pline de fournir le tiers du traitement alloué au professeur de rhétorique de Côme, montrent quelle importance il attachait au développement de l’instruction, et sont un des traits intéressants des tendances de son temps.La seconde donation, annoncée dans le discours même par lequel Pline inaugura la bibliothèque après son achèvement, consistait en un capital de 500.000 sesterces, destiné à élever des jeunes garçons et des jeunes filles de condition libre. Pour empêcher que cette somme ne fût détournée de sa destination, et pour assurer le service des intérêts, Pline fit abandon à la commune de l’une de ses terres, qu’il reprit ensuite, non à titre de propriétaire, mais en bail perpétuel, moyennant une redevance annuelle de 30.000 sesterces, soit de 6 p. 100 du capital, que lui, et après lui chacun de ses successeurs, avaient à payer à la commune. Nous pouvons aussi déterminer approximativement la date de cette donation, par le fait que le discours cité plus haut est déjà mentionné dans le premier livre des lettres, qui, nous l’avons vu, fut publié sous Nerva, en 97. Cette observation n’est pas sans importance, car elle confirme l’opinion de ceux qui rapportent l’institution des Alimentaires en Italie non à Trajan, mais déjà à Nerva.Les fondations testamentaires sont également au nombre de deux. La première a pour objet l’établissement à Côme de thermes. Une somme que nous ne connaissons pas est destinée à leur construction. Une seconde somme, d’au moins 304.000 sesterces, est donnée à la commune pour leur aménagement intérieur. Enfin, les intérêts d’un capital de 200.000 sesterces sont consacrés à l’entretien de l’édifice. Comme son texte l’indique, la grande inscription de Pline, transportée au moyen âge à Milan, décorait autrefois ces thermes.La seconde fondation consiste en un capital de 1.866.666 2/3 sesterces, soit (d’après le taux de 6 % indiqué plus haut par Pline), en une rente annuelle de 112.000 sesterces. La destination de cette rente est de fournir des aliments annuels à cent affranchis du testateur, ce qui fait pour chacun 1120 sesterces ; plus tard, c’est-à-dire sans doute après la mort de tous les affranchis, cette rente doit servir à un repas annuel pour toute la plebs.Ces fondations étaient très communes chez les riches Romains ; elles avaient pour but de subvenir à l’entretien, non seulement des domestiques, mais aussi du tombeau du testateur, et à la célébration annuelle de son anniversaire, conformément à l’usage. Nous rappellerons surtout le testament de Dasumius (qui, par le rang et l’époque du testateur, se rapproche le plus de celui de Pline) et celui de Flavius Syntrophus. Les savants qui ont publié ces documents ont recueilli beaucoup d’autres exemples du même genre.Nous signalerons comme jetant quelque lumière sur la question, deux dispositions conservées dans le Digeste. Suivant la première : L. Pitius libertis suis cibaria et vestiaria annua certorum nummorum reliquit. La seconde statue que les intérêts des sommes léguées aux affranchis doivent conserver leur destination jusqu’à la mort du dernier d’entre eux, post cujus decessum ad rempublicam Arelatensium pertinere volo.Pline devint en outre, dès sa jeunesse, patron de Tifernum Tiberinum, où sa famille avait de vastes propriétés ; il y fit construire à ses frais un temple, avec les statues des divi. De même, par suite de sa défense dans le procès de Massa, il était patron des habitants de la Bétique, ou des quelques villes de cette province qui avaient porté plainte. Avocat influent, il dut recevoir ce titre d’autres localités encore, mais les inscriptions sont muettes sur ce point.

§ XIV. Pline avocat et écrivain.

Nous n’avons pas l’intention de juger ici la valeur littéraire de Pline ; nous voulons seulement rechercher jusqu’à quel point on peut, sous ce rapport, déterminer la suite chronologique de ceux de ses écrits qui nous sont parvenus.Pline avait débuté comme avocat à l’avènement de Domitien, peut-être même déjà sous Titus ; cela concorde assez bien avec le fait que, dans les lettres, dont le premier livre a été publié seize ans plus tard, sous Nerva, il se pose déjà comme un avocat en vogue, protégeant les avocats plus jeunes et leur donnant des conseils ; le souvenir de ses premiers discours semble appartenir déjà à un passé lointain. Les affaires de successions, qu’il plaida devant les centumvirs, marquent le point central de son passage au barreau ; il parle peu des autres causes civiles dont il a pu être chargé et encore moins des procès criminels ordinaires devant les préteurs, probablement parce que le grand monde de la capitale y avait moins de part.C’était au sénat, dans les procès criminels intentés à des sénateurs, qu’on atteignait l’apogée de la carrière d’avocat.Pline avait déjà atteint cette période au moment où commence sa correspondance. Déjà il avait soutenu la plainte contre Bæbius Massa, en 93, et tenté, quoique sans succès, à la chute de Domitien, en 97, de faire mettre en accusation, Publicius Certus, le dénonciateur d’Helvidius Priscus.

Nous avons déjà souvent parlé des procès on il avait porté la parole en faveur de provinciaux contre les gouverneurs Priscus et Classicus, et de ceux où il plaida en faveur des gouverneurs Bassus et Varenus contre des provinciaux ; dans toutes ces causes, comme aussi dans l’affaire de Massa, il plaida sur la demande du sénat.En général, dès les premiers livres, l’auteur des lettres ex-prime son intention de se retirer du Forum et appelle de ses vœux le moment où les années lui permettront de prendre une retraite honorable ; et, en effet, dans les derniers livres il est rarement question de procès proprement dits.De son propre aveu, Pline fut un des premiers à lire devant un cercle d’amis (VII, 17), et avant de les publier, les discours qu’il avait prononcés. Mais ses débuts dans ce genre de conférences (recitationes) remontent à une époque antérieure à celle où commence notre recueil (II, 19 ; III, 18).De même, la publication des discours isolément, souvent après de longs intervalles, et avec de fortes additions et modifications, a commencé avant celle des lettres, et se continue pendant toute la période que ces dernières embrassent. Nous voyons Pline répondre à Titinius Capito, qui lui avait demandé de se vouer à l’histoire, qu’il veut d’abord publier ses discours.Outre ses travaux oratoires, Pline s’était essayé comme poète, mais seulement dans ses dernières années ; et l’on peut prouver qu’il ne s’est pas produit en public comme tel avant 101. Dans une épigramme accompagnant ses poésies et écrite probablement en 96 ou 97, Martial ne l’appelle que facundus (app. C). Dans ses trois premiers livres, c’est-à-dire jusqu’à l’an 101, Pline ne se donne à lui-même que le titre d’amateur de poésie et de patron des poètes. Il se qualifie expressément de poète depuis le IVe livre qui, nous l’avons vu, a été publié en l’an 105 : d’abord il envoie au vieil Arrius Antoninus des traductions de ses épigrammes grecques; ensuite on le voit s’occuper de la déclamation et de la publication d’un recueil spécial, auquel il donne le titre deHendekasyllabes, dont l’envoi, en lieu et place des discours habituels, excite l’admiration des destinataires, et le blâme de juges sévères qui, à leur grande stupéfaction, rencontraient tout à coup ce consulaire de quarante ans dans les sentiers de Catulle. Plus tard, Pline a encore publié un second recueil de petits poèmes, en vers de différents rythmes, ou du moins il l’a lu en public et en a préparé une édition ; il en est souvent question dans les deux derniers livres.Enfin, il n’est pas sans intérêt, au point de vue chronologique, d’étudier les relations entre Pline et Tacite. Ce dernier débuta aussi comme orateur, et, jusqu’à la mort de Domitien, il n’a probablement rien publié, en tout cas pas de travail historique. Les Histoires, qui traitaient de l’histoire de Rome depuis la mort de Néron a celle de Domitien, étaient annoncées d’une façon très vague dans l’Agricola, publié au commencement du règne de Trajan ; elles étaient achevées et publiées lorsque leur auteur commença les Annales, écrites vers l’an 115 ; elles ont donc été lues et publiées entre 98 et 115, probablement par livres isolés.Il vaut la peine de comparer ces données avec ce que Pline dit de Tacite dans ses Lettres. Les relations d’amitié qui unissaient ces deux hommes percent à chaque instant dans ce recueil. Un peu plus jeune que Tacite, Pline le considère en quelque sorte comme son modèle.Dans les quatre premiers livres (jusqu’en 105), il en parle uniquement comme d’un orateur célèbre. Dans le sixième livre (publié en 106 ou 107) on trouve par contre des détails sur des événements du règne de Titus, détails que Tacite avait demandés nomme matériaux pour écrire son histoire; dans le septième, ce sont des renseignements analogues relatifs aux derniers temps de Domitien, et dont Pline sollicite l’insertion dans les immortelles histoires Ainsi il est au moins très vraisemblable que est dans les années 106 et suivantes que Tacite a, sinon publié, du moins communiqué à ses amis et lu en public les premiers livres de ses Histoires, en même temps qu’il rédigeait les suivants, auxquels ces communications étaient destinées.Les livres de Tacite, que Pline, dans ses septième et huitième livres, dit lui avoir été envoyés pour les parcourir, ne peuvent être également que des livres isolés des histoires.Une lettre remarquable, que nous avons déjà citée à plusieurs reprises (V, 8), exprime, selon toute apparence, l’impression que la lecture des premiers livres des histoires devait nécessairement avoir produite sur les lettrés de Rome et sur Pline en particulier. Cette lettre est adressée à Titinius Capito, le Mécène du temps, qui avait conseillé à Pline de s’essayer comme historien. Pline refuse de se rendre, pour le moment, au désir de son ami ; mais les termes mêmes dont il se sert impliquent l’aveu qu’un grand succès littéraire ne peut être obtenu que dans le domaine de l’histoire. On y reconnaît les sentiments que devait éprouver l’auteur en voyant un de ses collègues, jusqu’alors son égal, prendre tout à coup son vol et, dans son puissant essor, laisser bien loin derrière lui tous ses anciens compagnons. Devant le succès obtenu par Tacite, il n’y avait plus place pour des sentiments de rivalité, il ne restait qu’à constater la grandeur de l’œuvre. Tout au plus pouvait-on, comme Pline, se consoler dans l’espoir de prendre une revanche plus tard.

APPENDICES.

APPENDICE A.

INSCRIPTIONS DE PLINE LE JEUNE.

Outre l’inscription citée plus haut, qui mentionne, selon toute apparence, le père naturel de Pline et ses deux fils, nous possédons encore de Pline quatre inscriptions que nous allons reproduire.

La première et la seconde sont postérieures à l’époque où il remplit les fonctions de curator advei Tiberis et antérieures à sa légation de Bithynie ; leur date se place par conséquent entre les années 105 et 110. La quatrième a été gravée après la mort de Pline.

1. Comi latitabat in ignobili domo grades inibi vicem præbens ; nunc in templi maximi exteriore structura posita est. Bened. Jovius. On voit encore la pierre à Côme, à l’angle de la cathédrale. Elle a été découverte par Benediet Jovius qui a rédigé en 1496 un recueil des inscriptions de Côme dont un grand nombre de copies nous ont été conservées, mais qui n’a jamais été imprimé. C’est sans doute à son instigation que l’inscription a été encastrée dans le mur où elle se trouve aujourd’hui. Elle a été publiée pour la première fois par Catanaeus, en tête de son édition de Pline qui parut à Milan en 1506, puis par Apian (80, 1) et par d’autres, mais elle n’a trouvé place dans aucune des collections générales d’inscriptions et n’a jamais été lue exactement.

2. Fegii quæ Cantuariensis pagi villa est, in semiruta Juliani æde nuper reperta. Alciat. Fecchio est un petit village près de Cantu, non loin de Côme. Plus tard, l’inscription a été transportée à Milan, dans la collection Archinti avec laquelle elle a passé récemment dans le musée connu sous le nom de Brera : Elle a été trouvée par Alciat qui la donne dans son recueil manuscrit des inscriptions de Milan, liv. II, fol. 42. Jovius la reproduit également dans sa collection avec la notice suivante : Andreas Alciatus primum reperit exscriptumque nobis transmisit ; deinde hoc anno, qui est 1532 Jo. Antonius Vulpius adolescens manu sua depinxit cum ipsis quoque rimis ac confracturis. L’inscription fut publiée d’après Alciat dans l’édition déjà citée de Catanaeus, dans le Recueil de Gruter (p. 454, 5) et dans beaucoup d’autres. Labus et les autres éditeurs modernes, par exemple Monti, Storia antica di Como (Milan, 1860), p. 184, ont donné seulement la moitié supérieure d’après I’original, ils ne semblent pas s’être doutés que la partie inférieure existe encore dans la collection Archinti. Ce que les copies anciennes donnent de plus repose évidemment sur des restitutions hypothétiques et mérite peu d’attention. On peut en dire autant de la singulière assertion des savants de Côme, qui prétendent que les Vercellenses qui dédient l’inscription ne sont pas les habitants de la ville bien connue de Vercellæ, mais ceux d’un village quelconque des environs de Côme.

3. Comi in ædis D. Mariæ veteris strato. Bened. Jovius.

Bened. Jovius dans le recueil déjà cité fol. 47, b. Ce fragment n’a pas été publié.

4. Apud Mediolanum ad antiquum Ambrosii... ædem marmoreas inter confractas fabulas ab interiori sepulchri parte compositas. Cyriaque d’Ancône dans Olivieri. — In S. Ambrosii fano in lapide marmoreo levissimo in IIII partes accisas diviso et in tumulum nunc constructo. Le même, dans le manuscrit de Parme et dans Marcanova. — In templo S. Ambrosii. Marmor in quattuor partes incisum et pro tumulo reginæ (ita vulgo votant) compositum nisi ab his qui sepulchrum ingrediuntur legi non potest, quia imperitissimus quadratarius extrinsecus eam mensæ partem apposuerit, quæ solida et nullis literarum formulis concisa erat. Alciat. — Aujourd’hui l’inscription est perdue, sauf le premier fragment qui a été retrouvé en 1858 dans l’église de Saint-Ambroise. La pierre sur laquelle elle était gravée a dû être apportée de Côme à Milan au moyen âge, soit par des tailleurs de pierre comasques, soit autrement ; c’est ce qu’a déjà reconnu l’auteur qu’on désigne ordinairement sous le nom d’Anonymus Laudensis : Animadvertendum est hanc marmoream mensam olim Comi fuisse et cum urbs illa... deleta a Mediolanensibus extitisset, illam uti inter prædam Mediolanum advectam.J’ai fait à Milan plusieurs tentatives infructueuses pour obtenir communication du fragment qui existe encore. Il est imprimé dans Monti, l. c., p. 479. Le texte s’appuie essentiellement sur la copie prise par Cyriaque en 1442. Je donne ici les variantes que présentent les cinq meilleurs exemplaires du recueil de Cyriaque, à savoir : l’édition des Commentaires publiée par Olivieri, p. 28, d’après un manuscrit qui a disparu aujourd’hui ; le manuscrit de Parme (f. 108) ; celui de Redi (f. 78) ; celui de Chigi (I, VI., 203, f. 41) et celui de Marcanova, à Modène (f. 406), On ne saurait douter qu’Alciat n’ait encore vu l’inscription ; l’auteur anonyme qu’on désigne sous le nom d’Anonymus Valerii, et qui, à mon avis, n’est autre qu’Alciat lui-même, cherche à réfuter l’opinion de ceux qui croient que la pierre a été transportée de Côme à Milan ; il s’exprime là-dessus en ces termes : Quod mihi nec verisimile fit, cum tabula ipsa, quæ has habet litteras, tantæ fuerit magnitudinis, ut nonnisi maximo labore potuerit moveri, et il ajoute : superioribus diebus nostro labore inventum est... epitaphium... mensa marmorea est incurie maiorum nostrorum in partes quattuor divisa et ideo quibusdam scalpello exesis notulis, quæ in divi Georgii ædicula Ambrosiani fani vicem cenotaphii præstat. Mais comme Alciat a connu aussi le texte de Cyriaque et comme, selon sa coutume, il traite fort arbitrairement l’inscription, comme il fait disparaître en particulier toutes les lacunes, on ne peut tirer grand parti de sa copie.Quant à Tristano Chalco, qui peut-être a aussi vu l’original, il n’y a aucun profit à faire de sa copie, non plus que de toutes les autres, qui reposent essentiellement sur les textes plus anciens. L’inscription a été imprimée pour la première fois par Catanaeus dans son édition des lettres de Pline de 1506, puis dans Gruter, p. 454, 3, 1028, 5 ; dans Orelli 1172 et mainte autre fois. L’essai de restitution que j’en ai donné dans les Annali dell’ Instituto, 1854, p. 42 (reproduit dans Henzen, t. III, p. 124, et dans Monti, l. c.) est le premier qui s'appuie sur les meilleures copies de Cyriaque, mais dans les détails il y aura peut-être encore plus d'une correction à lui apporter.

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APPENDICE B.

LA GUERRE SUÉVO-SARMATE DE DOMITIEN ET LA GUERRE SUÈVE DE NERVA.

Trois inscriptions font mention d’une guerre qui aurait eu lieu sous Domitien et à laquelle elles donnent le nom de guerre suévo-sarmate. On sait que dans les monuments qui rapportent l’obtention de décorations militaires, la désignation des guerres a un caractère fixe et officiel. Or, l’analogie (par exemple de la guerre arménio-parthique de L. Verus) montre que la désignation que nous rencontrons ici ne peut s’appliquer qu’à une double guerre commencée contre les Suèves et devenue ensuite une guerre sarmate.Bien que peu de chapitres de l’histoire présentent d’aussi nombreuses lacunes que celui des campagnes de Domitien, on arrive cependant à déterminer avec certitude, parmi les événements dont la tradition a conservé le souvenir, ceux auxquels se rattache la désignation en question.Au dire de Dion, les Lygiens, peuple de la Germanie indépendante, dont le territoire était situé probablement dams la Silésie actuelle, avaient sollicité le secours de Domitien contre les Suèves et ce prince leur envoya vent cavaliers. Cela aurait poussé les Suèves à s’allier arec les Jazyges et à traverser le Danube pour envahir le territoire romain. Ces Suèves étaient donc les habitants du royaume de Vannius, c’étaient les restes des Suèves ou Marcomans amenés en Bohême par Marbod et qui, après avoir perdu sous Tibère leurs chefs nationaux, et avoir été reconduits pour la seconde fois vers l’Orient, s’étaient fixés sur les rives du March où le Quade Vannius devint leur chef. D’autres auteurs font également allusion à cette guerre, parmi eux Tacite, qui dans l’aperçu général qu’on lit au début des Histoires, mentionne les coortæ in nos Sarmotorum et Sueborum gentes. Suétone et les poètes de l’époque parlent aussi d’une légion massacrée parles Sarmates ; et d’une fête célébrée par Domitien à l’occasion d’une victoire remportée sur eux. Les légions qui, d’après les inscriptions, prirent part à cette guerre, la II Adiutrix et la XIII Gemina sont du reste connues pour avoir fait partie de l’armée du Danube.Quant à la date de cette guerre suévo-sarmate, elle ne pourra être fixée plus exactement qu’après qu’on aura étudié en détail la chronologie du règne de Domitien. Nous voyons par Martial qu’elle fut postérieure à la révolte de Saturninus, qui eut probablement lieu vers 88, et à peu prés contemporaine des premiers engagements sérieux avec les Daces.

La guerre suévo-sarmate de Domitien nous permet de déterminer ce que fut la guerre suève sous Nerva. Elle est mentionnée uniquement dans l’inscription d’un tribun de la légion I Adiutrix, décoré à l’occasion de cette campagne. M. Henzen est le seul savant qui s’en soit occupé, et il en cherche le théâtre dans la Germanie Supérieure. Mais il y a des raisons sérieuses de douter de ente hypothèse. On ne voit dans cette période aucune peuplade du nom de Suèves figurer sur le Rhin. Depuis la guerre de Domitien contre les Chattes il n’est plus question d’aucune expédition contre les Allemands d’Outre-rhin ; car on ne peut compter pour une guerre l’assistance passive des troupes de Spurinna dans la catastrophe des Bructères. Le silence de Pline dans son Panégyriqueprouve que, sous Nerva, il n’y eut en Germanie ni guerre, ni danger de guerre, et que le titre de Germanicus, adopté en automne 97 par Nerva et Trajan, ne se rapporte pas à des événements survenus dans les provinces où Trajan commandait en personne ; car il est dit y prendre une part active.Par contre, nous venons de le voir, on s’était battu longtemps et opiniâtrement sous Domitien contre les Suèves, c’est-à-dire contre les Germains du Danube. Il faut donc rapporter le bellum suebicum de Nerva et l’adoption du titre de Germanicus à une reprise des hostilités sur le Danube. Un argument décisif en faveur de cette explication nous est fourni par un fait rapporté dans Pline, mais souvent mal expliqué. Suivant cet auteur, Nerva, le jour même où il adopta Trajan, en octobre ou novembre 97, reput la nouvelle d’une victoire ex Pannonia ; c’est évidemment à cette occasion qu’il prit le titre de Germanicus, titre qu’il conféra aussi à son fils adoptif. Trajan ne se rendit pas à Rome immédiatement après la mort de Nerva qui survint bientôt ; il passa sur le Danube l’hiver 98-99, et ce fait n’est pas non plus sans connexion avec les événements militaires dont nous venons de parler ; le prince voulut sans doute s’assurer, sur le théâtre même de la guerre, des résultats de la dernière campagne. Au même ensemble de faits se rattache encore la mesure en vertu de laquelle L. Iulius Ursus Servianus qui, en 98, à la mort de Nerva, était gouverneur de la Germanie Supérieure, passa immédiatement au gouvernement de la Pannonie. Cela était contraire à la règle, car d’abord le gouvernement de Germanie passait pour supérieur en dignité au second ; puis on ne confiait guère au même personnage l’administration de deux provinces aussi importantes sans qu’il se soit écoulé entre les deux gouvernements un certain laps de temps. Cette exception était sans doute motivée par l’agitation qui régnait sur le Danube et qui conduisit bientôt à une guerre plus sérieuse. Le 1er janvier de l’an 102, Servianus était de retour à Rome et, en conséquence de ses services sur le Rhin et sur le Danube, il était nommé consul pour la seconde fois.Il est encore un autre événement des premières années de Trajan qu’on pourrait être tenté de rapporter à ces guerres contre les Suèves, mais qui, en réalité, n’a aucune relation avec elles. Pline nous apprend que, sous Domitien, Trajan a conduit en Germanie les légions d’Espagne et que la route suivie conduisait par les Pyrénées, les Alpes et le Rhin. Ordinairement on rattache ce fait à la guerre des Chattes, mais il est évident que si c’était exact, les troupes eussent dû être dirigées de la frontière espagnole sur Mayence et ne pouvaient pas toucher les Alpes. Cette difficulté disparaîtrait, il est vrai, si l’on expliquait ce passage comme ayant trait à la guerre suévo-sarmate ; mais alors Pline eût dû faire marcher Trajan plutôt sur le Danube que sur le Rhin et nommer la Pannonie ou la Mésie plutôt que la Germanie qui était beaucoup plus près.

Dans les deux hypothèses, il reste à expliquer pourquoi il n’est question que d’une marche et nullement d’une participation au combat. Mais toute difficulté disparaît si l’on rapporte ce passage à la révolte de L. Antonius Saturninus, gouverneur de la Germanie Supérieure. En effet, le théâtre de cette révolte est placé par Suétone aux quartiers des deux légions de la Germanie Supérieure, quartiers situés en deçà du Rhin, puisque le combat décisif tourna au désavantage de Saturninus, grâce au fait que le fleuve, jusqu’alors couvert de glaces, se mit tout à coup en mouvement et empêcha l’arrivée des Germains que le gouverneur révolté avait appelés à son aide. Pour toute personne au courant de la question, il est évident qu’il s’agit de Vindonissa, car il est prouvé que, jusqu’aux Flaviens, les quartiers des légions de la Germanie Supérieure se trouvaient dans cette ville. Martial dit que le vainqueur de Saturninus, L. Anius Norbanus, était venu de Vindélicie et de Rhéti,e il était donc gouverneur de la Pannonie et, comme le plus voisin, arriva le premier sur le théâtre de la guerre, qu’on ne peut guère chercher ailleurs que dans les environs de Bregenz ou de Coire. C’est ce que semble indiquer le texte de Pline qui fait passer les troupes d’Espagne des Pyrénées aux Alpes et au Rhin. Comme, à la nouvelle de la révolte, Domitien lui-même partit de Rome avec la garde, on conçoit d’autant mieux que les légions d’Espagne aient aussi reçu l’ordre de marche. En tout cas cependant, elles arrivèrent trop tard, tout comme Domitien. On s’explique ainsi pourquoi Pline ne parle que d’une simple marche commandée par Trajan. Les légions qu’amenait ce dernier étaient probablement la I Adiutrix et la VII Gemina. On a des preuves certaines du séjour de la seconde en Germanie et rien n’empêche désormais de faire remonter l’époque de ce séjour au bellum Germanicum contre Saturninus. Pour la I Adiutrix nous n’avons pas d’indication analogue ; mais, comme nous renons de le voir, elle figure parmi les légions qui, sous Nerva, combattirent les Suèves sur le Danube ; il est donc permis de supposer qu’elle ne fut pas renvoyée de la Germanie Supérieure en Espagne, où l’on n’en trouve aucune trace postérieure à Domitien, et qu’elle fut employée dans la guerre contre les Suèves qui éclata peu de temps après. On ne sait pas exactement quelle était alors la position de Trajan ; il est probable qu’il était légat d’une des deux légions et que pendant la marche il eut le commandement en chef, soit par rang d’ancienneté, soit en vertu d’ordres spéciaux. La révolte de Saturninus eut lieu entre la guerre des Chattes et les guerres du Danube ; on peut en fixer la date avant 91 et probablement, comme l’a fait Tillemont, en 88, car Martial, dans le livre même où il y fait allusion, parle de la célébration des jeux séculaires. Enfin, si Trajan devint consul ordinaire en 94, c’est peut-être à cause de l’habileté et du dévouement dont il avait fait preuve. En tout cas, sa nomination doit être postérieure à l’expédition.

 APPENDICE C.

NOTE SUR LA CHRONOLOGIE DE MARTIAL.

La question de la chronologie de Martial est une des plus ardues qui se présentent en histoire littéraire. Elle a été traitée récemment par L. Friedlænder (Programmes de d’université de Kœnigsberg, 1862 et 1865) et par H.-F. Stobbe (Philologus, tome XXVI, 4e livraison). Je partage en générai les opinions émises par le premier, tandis que les conclusions du second me paraissent inadmissibles ; ainsi, par exemple, Stobbe admet que les poèmes de Martial vont jusqu’à la fin de 402 et cette détermination est en désaccord avec la date que nous avons fixée plus haut (p. 44) pour la mort du poète. L n’est donc pas superflu de résumer ici en quelques mots notre avis sur l’époque de la publication des trois derniers livres de Martial ; les épigrammes qui datent du règne de Domitien n’ont aucune relation avec le sujet qui nous occupe.Pour partir de ce qui est certain, nous rappelons d’abord que les deux savants dont nous venons de parier font dater avec raison la publication du onzième livre du commencement du règne de Nerva, c’est-à-dire de décembre 96, époque des Saturnales. Nerva, s’il n’a pas déjà revêtu son troisième consulat, pour l’an 97, est du moins déjà consul désigné (épigr. 4). Ce livre est dédié à Parthenius, dont l’assassinat par les prétoriens, au milieu de l’an 97, fut cause de l’adoption de Trajan, qui eut lieu en automne de la même année, Il n’y a aucune allusion à Trajan. Il est d’une licence sans exemple, même chez Martial, et se place expressément sous la protection des Saturnales (épigr. 2, 6, 45).Friedlænder et Stobbe ont également reconnu que la publication du onzième livre avait été suivie de la seconde édition du dixième; mais, si Stobbe fixe comme date de cette seconde édition le commencement de 99, nous pensons qu’elle se fit plutôt au milieu ou vers la fin de 98. Il n’est pas fait mention de Nerva, mais bien de Trajan (épigr. 6) et hème de quelques décisions prises par ce dernier. Ainsi ce livre est bien écrit après la mort de Nerva et L’avènement de Trajan. Mais la preuve qu’il est rédigé avant la fin de l’année résulte, à notre sens, avec évidence de ce que les pièces qui servent d’introduction et qui, selon l’habitude de Martial, sont toujours d’une actualité immédiate, parlent de Trajan comme étant encore sur le Rhin ; et il est établi que ce prince passa l’hiver de 97-98 sur le Rhin et celui de 98-99 en Pannonie, sur le Danube. — En outre, dans ce livre, il est question du second consulat de Frontinus, à qui cette distinction fut accordée par Nerva en 98. Je n’y trouve pas d’autre indice chronologique. On sait que ce livre a été écrit immédiatement avant le départ de Martial pour l’Espagne ; ce départ doit donc avoir eu lieu en 98, date à laquelle on pourrait rapporter également le présent offert par Pline au poète, avant que ce dernier fût de retour dans sa patrie. Ce présent fut sans doute motivé par la dix-neuvième épigramme, laquelle pourrait bien, dans l’origine, avoir accompagné l’envoi à Pline du onzième livre.

Le douzième et dernier livre des épigrammes a été publié en Espagne, après un intervalle de trois ans ; l’auteur le dit lui-même dans sa préface. Mais de quand faut-il faire dater cet intervalle ? Si l’on fait abstraction de la seconde édition du dixième livre, on obtient la date de 99 ; si l’on en tient compte. il faut descendre jusqu’à l’an 101. Cette seconde alternative est la plus vraisemblable, car le poète nous apprend que la seconde édition de son dixième livre se composait en majeure partie d’épigrammes nouvelles, et d’autre part cette solution est seule d’accord avec les autres indices chronologiques.Ce livre que l’auteur, déjà sur le déclin de l’âge, avait composé en Espagne, en peu de jours (paucicsimis diebus), pour célébrer l’arrivée d’un de ses avais de la capitale, a un caractère tout différent des autres : il a moins d’actualité et comprend beaucoup de pièces d’une époque antérieure. Ainsi, à côté d’une épigramme sur Trajan (épigr. 8) on en trouve d’autres sur Nerva (épigr. 6, cf. 5) et Parthenius (épigr. 12). La date exacte de la publication dépend surtout de celle du consulat de Stella mentionné dans la troisième épigramme. Ce dernier, poète nommé souvent dans Stace et dans Martial, y est cité aussi comme quindecemvir sacris faciundis et, dès le règne de Domitien, comme ayant des titres au consulat. C’est certainement le même L. Arruntius Stella qui, d’après le fameux décret de patronat de la commune de Ferentinum, a été consul avec L. Iulius Marinus, le 19 octobre d’une des premières années de Trajan, avant que ce prince eût pris le titre de Dacicus, c’est-à-dire avant 103. Pour déterminer l’année plus rigoureusement, il faut se rappeler que le décret honorifique en question fut rendu à l’occasion des fonctions relatives auxalimentaires confiées par Trajan à T. Pomponius Bassus. Or l’origine de cette institution remonte à Nerva ; mais Trajan ne parait s’en être occupé d’une façon sérieuse qu’après son retour en Italie, dans la seconde moitié de l’an 99. La nomination de Basses à l’emploi dont il s’agit ne peut en aucun cas avoir eu lieu avant la seconde moitié de l’an 100. En effet, avant Bassus, Cornelius Gallicanus avait occupé le même poste dans la même contréeet d’autre part il est certain que Bassus fut légat de Cappadoce et de Galatie au moins jusqu’à la fin de l’an 99. Il ne put dont revêtir de fonctions relatives aux alimentaires avant la fin de l’an 100, et il est même probable qu’il n’en fut chargé qu’en l’an 101. Il en résulte que le consulat de Stella et de Marinus ne peut être antérieur à l’an 101 : en l’an 100 il n’y a pas de place entre le consulat de Pline et Tertullus en septembre et celui d’Aelianus et Sacerdos en décembre. Mais, d’un autre côté, on ne peut pas descendre plus bas que 101 : rien ne s’oppose à ce qu’on fixe le consulat de Stella et de Marinus à cette date qui, seule, se concilie avec l’indication fournie par Martial sur les trois ans de loisir qu’il avait accordés à sa muse. Il n’était pas nécessaire que Stella fût déjà entré en charge lorsque le poète envoya à Rome son douzième livre, il suffisait qu’il fût désigné, et comme la publication parait avoir eu lieu en hiver ou au printemps on devra la faire dater des premiers mois de l’an 101, après qu’on pût connaître en Espagne les notas des consuls désignés le 7 janvier. D’après ce que nous venons d’exposer on s’explique aussi que Bossus figure dans le IVe livre de Pline comme un homme fort âgé qui, après une longue carrière, s’était retiré des affaires publiques ; il est probable qu’il venait alors précisément de résigner les fonctions qu’il avait occupées dans l’administration des Alimentaires.Si donc le dernier livre publié par Martial parut au printemps de 104, rien n’empêche de placer sa mort en cette année même, ainsi que nous l’avons lait plus haut.

 

APPENDICE D.

LES CONSULS ORDINAIRES DES ANNÉES 103 ET 104.

Dans ses dernières recherches sur la chronologie de Trajan, Borghesi était arrivé à des conclusions suivant lesquelles on aurait compté comme première année du règne de ce prince le laps de temps compris entra son association à I’empire en automne 97, et la mort de Nerva arrivée à la fin de janvier 98. Dans ce système les années de Trajan auraient été comptées dès lors à dater du jour de cette mort, de telle sorte que lorsqu’il cessa de vivre, en août 117, il aurait été dans la 21e année de son règne. Ce système est maintenant généralement adopté et moi-même j’en ai fait usage il y a peu de temps dans le Hermès (II, 61). Mais depuis j’ai eu quelques doutes et je me suis demandé si Trajan, comme le fit certainement son successeur, n’avait point compté les années de son règne à partir du premier janvier, et si, par conséquent, ce n’était pas le temps compris entre l’automne et le dernier jour de 97 qui devait être considéré comme sa première année. La différence réelle entre les deux systèmes est, on le voit, très petite et, sauf pour le mais de janvier, la coïncidence est à peu près complète. Cependant la question mérite d’âtre traitée à nouveau et en détail, parce qu’elle est an relation intime avec les problèmes chronologiques les plus compliqués que présente cette époque. Il est peu d’années dont les fastes consulaires présentent plus de désaccord que les années 103 et 104.

Faisons, comme de juste, abstraction des auteurs qui ont simplement extrait Prosper, Cassiodore et d’autres écrivains plus récents, et ne comptons Idatius et la Chronique pascale, issus d’une source commune, que comme un seul témoignage ; il reste encore trois listes qui, tout l’indique, sont indépendantes l’une de l’autre. Celle de Prosper, il est vrai, est gravement interpolée : nous y trouvons un faux consulat entre 103 et 104 ; mais la première et la seconde liste sont tout à fait dignes de foi. Ces deux témoignages sont ici en parfait accord ; s’en écarter sur des points importants et surtout sur la succession des consulats est une chose excessivement grave, nous dirons même inadmissible. Et pourtant c’est ce qu’on fait maintenant, puisque les savants s’accordent à placer en 104 au lieu de 103 le cinquième consulat de Trajan et inversement les éponymes de 104 en 103.Les auteurs de ce changement audacieux sont Noria et Fabretti ; ils citent, à l’appui de leur opinion une monnaie où Trajan porte les titres de Germ. Dacicus tr. p. VII, imp. IIII. cos. IIII. des. V. p. p., ce qui, on doit le reconnaître, est en contradiction avec toutes les listes que nous possédons. En effet, si Trajan prit son cinquième consulat en 103, il ne put revêtir alors qu’il n’était encore que cos. des. V, c’est-à-dire dans la seconde moitié de 102, sa septième puissance tribunicienne, mais bien la sixième. De quelque façon que l’on compte, on arrivera toujours à cette conclusion. Mais l’authenticité de la monnaie en question est-elle hors de doute ? Elle figure, il est vrai, chez Eckhel et chez Cohen, mais sur la seule autorité de Vaillant. Nous n’hésitons pas à la déclarer fausse.Cependant on donne en faveur de la transposition de consulats qui nous occupe un argument plus sérieux. Au commencement de ce siècle on a découvert en Angleterre un diplôme militaire daté du 19 janvier M’ Laberio Maximo II Q. Glitio Agricola II cos. Dans ce document l’empereur s’intitule Germanicus Dacicus trib. pot. VII. imp. IIII cos. V. C’est évidemment l’année désignée dans nos listes par Trajano V et Maximo II, ce qui nous apprend que l’empereur avait déjà déposé le consulat avant le 1er janvier et avait mis à sa place son vaillant compagnon d’armes, Glitius Agricola, tandis que l’autre éponyme, Laberius Maximus, général non moins distingué, avait pris la première place dans la date. Les partisans de l’ancienne théorie, suivant laquelle Trajan aurait compté ses puissances tribuniciennes d’automne en automne, tout comme ceux qui faisaient dater avec plus de raison les années de son gouvernement de la mort de Nerva, trouvèrent dans ce document une preuve évidente de l’inversion proposée par Noris. Et d’après leur fanon de compter ils ne se trompaient pas, car la septième puissance tribunicienne de Trajan allait pour les uns de l’automne 103 à l’automne 104, pour les autres de la fin de janvier 103 à la fin de janvier 104, et la date du 19 janvier tr. p. VII ne pouvait ainsi se rapporter qu’à l’an 104. Telle est la cause pour laquelle cette hypothèse a conservé faveur en dépit de toutes les hésitations de fa science sur la chronologie de Trajan.La difficulté qu’il y a à admettre l’inversion en question n’en est pas moins insurmontable. On ne la tourne qu’en supposant, comme nous l’avons fait plus haut, que Trajan a compté sa seconde puissance tribunicienne à partir du 1er janvier 98 et la septième compte ainsi à partir du 1er janvier 103. De ce côté tout serait en règle. Il n’en reste pas moins quelques difficultés, bien moins sérieuses il est vrai, mais qu’il faut signaler. II y a quelque chose de choquant, on ne saurait le nier, dans le fait que les années tribuniciennes des deux souverains qui exercent en même temps la puissance tribunicienne ne coïncident pas. Tibère et Titus, alors qu’ils étaient césars, ont tous deux daté leurs puissances tribuniciennes du même jour qu’Auguste et Vespasien. Si pour Néron il n’y a pas eu coïncidence, on s’explique aisément d’où provient, cette différence : ni Tibère, ni Titus ne furent associés à l’empire sous la pression des circonstances et ils purent faire dater leur avènement du même jour que l’empereur régnant ; il en fut autrement de Néron et, quant à Nerva, il avait de bonnes raisons après avoir adopté Trajan, en automne 97, pour ne pas retarder jusqu’au 18 septembre 98 les effets de cette adoption. Ce qui est certain, c’est que le défaut de coïncidence existe et qu’aucune combinaison ne réussit à fixer au même jour les puissances tribuniciennes de Trajan et de Nerva.

Mais les noms des consuls que les listes donnent pour l’an 104 soulèvent des difficultés plus considérables encore. Le premier est sans aucun doute ce même Suburanus à qui, selon Pline, Trajan confia le soin d’instruire à nouveau une affaire déjà jugée par L. Ursus Servanus cos. II en 102. Idatius nous a seul conservé le nom exact ; les autres listes l'ont défiguré en UrbanusSuriannus, Surannus. Borghesi admettait que le second était L. Neratius Marcellus, frère du célèbre jurisconsulte Neratius Priscus. Ce Marcellus a obtenu un second consulat en 129, ce qui correspondait assez bien, quant à l'intervalle, avec un premier consulat en 103 ou 104. L’hypothèse de Borghesi paraissait avoir toutes les probabilités en sa faveur. Mais ici le diplôme anglais dont nous avons parlé plus haut présentait un obstacle insurmontable. Ce diplôme, en effet, qui date, comme nous l’avons dit, du 19 janvier 103, indique précisément comme légat de Bretagne L. Neratius Marcellus. Or le Marcellus qui a été consul, et cela pour la première fois, en 104, ne saurait être le même personnage que ce légat, car le commandement supérieur des légions de Bretagne était donné régulièrement à un consulaire, et il faudrait admettre, contre toute vraisemblance, que Trajan l’avait confié par exception à un prétorien. D’ailleurs le surnom de Marcellus est si fréquent, il est usité dans tant de familles nobles que, renonçant à identifier comme Borghesi ces deux Marcelli, nous eussions dû abandonner l’espoir de déterminer plus exactement les noms des consuls de 104, chose à coup sûr moins regrettable que de faire subir à des listes concordantes et dignes de foi, des modifications arbitraires. Comme on le verra plus loin, une découverte récente vient de nous fixer sur le nom véritable des consuls de cette année.Si ce que nous venons de dire est exact, on peut en déduire, comme conclusion générale, qu’on ne saurait faire coïncider avec la tr. pot. III de Trajan (a. 99) que son second et non son troisième consulat ; avec la tr. p. IV (a. 100) que le troisième consulat et non le quatrième ; avec la tr. p. VI (a. 102) que le quatrième et non le cinquième ; avec la tr. p. XV (a. 111) que le cinquième et non le sixième. Il n’est pas surprenant que, dans le grand nombre des inscriptions de Trajan, il s’en rencontre qui semblent contredire cette règle ; mais celles que l’on connaît jusqu’ici sont toutes d’une lecture plus ou moins incertaine. On n’arrivera à des résultats positifs qu’après avoir soumis à un triage critique les riches matériaux que nous possédons, et qui ne sont pas tous d’une certitude absolue.Comme corollaire de ce qui précède nous pouvons encore ajouter que la première guerre contre les Daces, entreprise en 104, se termina, non en 103, mais bien dès 102. En effet, les premiers monuments de cette année (trib. pot. VI) donnent encore à Trajan le titre d’imp. II qu’il avait pris en même temps que Nerva, en 97, ce qui prouve que depuis son avènement jusqu’alors Trajan n’avait encore eu aucun succès militaire. La désignation imp. IIII nous apparaît pour la première fois sur des monnaies portant la mention tr. p. VI cos. IIII des V, appartenant par conséquent à la seconde moitié de l’an 402. Or, Trajan n’ayant jamais rempli le consulat absent, le fait qu’il avait annoncé vouloir le revêtir au premier janvier 103 prouve qu’il était certainement de retour à Rome, et avait achevé la campagne. Du reste on en a une preuve aussi concluante dans les distinctions qu’il accorda aux généraux sous ses ordres, Laberius Maximus et Glitius Agricola, auxquels il confia un second consulat pour l’an 103. Ainsi l’on s’expliquerait que Trajan ait pris le titre de Dacicus dès la fin de 102 et ce fait peut titre considéré comme acquis, si les monnaies qui mentionnent ce titre à côte de cos. IIII sont authentiques. Ici toutefois se présente une difficulté. Les monnaies d’Alexandrie datant de la sixième année de Trajan, année qui, d’après l’ère égyptienne, allait du 29 août 102 au 28 août 103, ne donnent à l’empereur que le titre deGermanicus et d’autre part il n’existe, à ma connaissance, aucune inscription qui réunisse le titre Dacicus au quatrième consulat. Nos amis numismates nous rendront donc un service signalé en soumettant à un examen minutieux l’authenticité encore douteuse des monnaies en question. Du reste la fixation de l’époque à laquelle Trajan prit le titre de Dacicus est indépendante de la question relative à la fin de la guerre et au retour de Trajan, car on sait que ce dernier n’avait pas l’habitude d’adopter de nouveaux titres à la première proposition que pouvait lui en faire le sénat. — Ainsi la seconde guerre de Dacie commença probablement en 103 et prit fin en 107, du moins c’est sur les inscriptions de cette année (tr. p. XI) qu’on rencontre pour la première fois le titre imp. VI, sans doute à cause des victoires remportées peu auparavant en Arabie et en Dacie.Faisons encore remarquer que, selon les témoignages les plus dignes de foi, Nerva a compté ses puissances tribuniciennes à partir du jour de son avènement, 18 sept. 96, et qu’à sa mort, fin janvier 98, il comptait la seconde. Le fait est mis hors de doute par de nombreuses monnaies portant la date tr. p. II imp. II cos. IIII et par des inscriptions concordantes qui, vu l’indication du quatrième consulat, sont bien certainement de l’an 98. Il ne serait cependant point impossible qu’il existât aussi des inscriptions de cette même année mentionnant la tr. p. III. Ainsi les meilleures copies de l’inscription aujourd’hui perdue du forum de Nerva ont :trib. potest. III imp. II cos. IIII, et un milliaire des marais Pontins semble donner les mêmes chiffres. S’il était démontré que ces chiffres sont authentiques, il faudrait en conclure, ou bien que Nerva avait déjà employé simultanément dans les derniers jours de sa vie les deux manières de compter, ou bien plutôt que Trajan, lorsqu’il inscrivait le nom de Nerva sur les édifices dont ce prince avait jeté les fondements, se servait du calcul adopté par lui-même pour dater les années de son règne. Il aurait ainsi attribué à Nerva la troisième puissance tribunicienne à dater du 1er janvier 98, et cela s’expliquerait par le désir de mettre d’accord après coup les années tribuniciennes du prince et celles de son associé à l’empire.Ces lignes étaient déjà à l’impression, lorsque M. Waddington m’a communiqué une inscription trouvée récemment à Éphèse par M. Wood, architecte anglais. Nous y trouvons enfin les noms complets des consuls de l’an 104 ; voici la date qu’elle porte : Σέξτω Άττίω Σουβουρανώ τό β’, Μάρκω Άσινίω Μαρκέλλω ύπάτοις πρό ή (?) καλανδών Μαρτίων. Il est donc absolument démontré que le consul Marcellus de 104 est différent du légat de Bretagne L. Neratius Marcellus. Je n’ai rien à ajouter à ce que j’ai dit plus haut deSexAttius Suburanus. Quant à M. Asinius Marcellus, c’est probablement le fils ou le petit-fils du personnage du même nom qui fut consul en 54 après J.-C. Du reste je ne crois pas qu’il soit mentionné ailleurs.

APPENDICE E.

LES ADOPTIONS DE CAMILLUS SCRIBONIANUS ET DE L’EMPEREUR NÉRON.

Parmi les exemples de doubles gentilicia datant du 1er siècle que nous avons réunis, on aura remarqué l’absence du consul de l’an 32 après J.-C. qui, selon Borghesi, s’appelait M. Furius Camillus Arruntius, noms auxquels il ajouta encore plus tard celui deScribonianus. On admet qu’il était fils de L. Arruntius, consul en l’an 6, et le fils adoptif de M. Furius Camillus, consul en l’an 8. Mais l’étude des renseignements que nous possédons sur son compte nous conduit à un résultat inverse. Dans les monuments contemporains qui indiquent ce Camille comme consul en 32 et dans ceux où son nom n’est ni effacé, ni omis, il s’appelleCamillus Arruntius, tout comme aussi dans la date fournie par Suétone. Ces deux mêmes noms doivent aussi avoir figuré dans les listes consulaires qui furent rédigées plus tard et dont on se servit généralement, car les listes abrégées ont coutume, on le sait, de ne conserver que le second nom porté sur les tables complètes et elles ne mentionnent ce consul que sous le nom d’Arruntius. Cependant, dans les nouvelles tables arvales de l’an 38, il est appelé cinq fois M. Furius Camillus, nom qui se retrouve aussi dans un autre fragment des mêmes actes connu depuis longtemps et concernant sa nomination en remplacement de son père : en comparant ce fragment avec la table découverte plus récemment, on voit qu’il doit être rapporté au temps de Caligula et à l’an 37. Dans les historiens qui citent ce personnage soit à propos de sa légation en Bithynie ou de sa mort en 42 ap. J.-C., il est appeléFurius Camillus ScribomianusCamillus Scribomianus, ou simplement Camillus ou Scribomianus. Enfin, dans Tacite le nom de son fils est Furius Scribomianus. Rien ne prouve donc qu’il ait porté à la fois les deux gentilicia et par conséquent, d’après les règles qui subsistaient encore à cette époque, on doit admettre qu’en 32 il s’appelait Camillus Arruntius, en 37 et plus tard M. Furius Camillus. Il était donc de naissance fils de M. Furius Camillus, consul en l’an 8, proconsul d’Afrique en l’an 18, qui mourut probablement comme nous l’avons vu, en 37. Il avait été adopté par L. Arruntius qui, dans les dernières années d’Auguste et dans les premières années de règne de Tibère, occupait presque la première place dans l’état par sa fortune et sa considération ; sa position lui permettait d’adopter le rejeton d’une ancienne famille patricienne. Il y a néanmoins dans le cas qui nous occupe une légère infraction à la règle. Le fils adoptif a conservé le surnom (Camillus) de sa famille naturelle comme prénom au lieu de le mettre au rang de cognomen, tandis qu’il eût dû prendre le prénom de son père adoptif. Mais ici cela s’explique par le fait que les Arruntii étaient une des familles qui n’avaient pas de cognomina, d’où il résulte que les noms L. Arruntius Camillusn’eussent pas été conformes à l’usage de la famille dans laquelle Camille entrait par adoption. Après la chute du vieil Arruntius et sa mort qui survint en 36, peu avant celle de Tibère, on comprend que son fils adoptif ait renoncé à son nom pour reprendre son ancien gentilicium qu’il transmit aussi à son propre fils. L’origine du nom de Scribonianus, que du reste les monuments ne nous ont pas fourni jusqu’ici, reste tout à fait inexpliquée.Si plus haut nous avons dit de l’adoption que, lorsqu’elle déployait tous ses effets juridiques, elle détruisait les anciens rapports d’agnation et que par conséquent dans les inscriptions des empereurs on ne nommait jamais que le père adoptif, il n’est pas superflu d’ajouter que Néron ne fait pas exception à cette règle. On sait que, dans les actes officiels, il indique comme son père l’empereur Claude, comme son grand-père Germanicus, comme bisaïeul Tibère, et comme trisaïeul Auguste. Mais il y a ceci de bizarre que, s’il indique comme père son père adoptif, pour les degrés plus éloignés ce sont les ascendants naturels qui figurent dans sa généalogie, et même ce ne sont pas les ascendants paternels, mais bien les maternels, et cela en tenant compte de nouveau des adoptions. Ainsi c’est Tibère qui est indiqué comme grand-père d’Agrippine, fille de Germanicus, c’est Auguste qui figure comme père de Tibère.Tout cela est conforme à la règle. On n’a qu’à se rappeler que l’adoption ne fait changer que le père et non la mère : Si filium adoptaverim, dit Paulus, uxor mea illi matris loto non est ; neque enim agnascitur ei ; propter quod nec cognata eius fit. Ainsi, même après l’adoption, Néron resta légalement le fils de sa mère (peu importe d’ailleurs qu’Agrippine ait été en même temps la femme de son père adoptif) et le descendant de ses ascendants maternels. Il est évident que ce furent des raisons politiques qui l’engagèrent à nommer de préférence ces derniers dans les degrés plus éloignés. De même que Caligula, en sa qualité de petit-fils d’Auguste, évinça le petit-fils de Tibère, qui en droit héréditaire était son égal, de même il est certain que Néron a été préféré, dans la succession au trône, au propre fils de Claude, qui était légalement son égal, parce qu’il était arrière petit-fils d’Auguste. Les titres qui s’étalent dans cette singulière généalogie de Héron sont ceux de la dynastie julienne, de la descendance, non ‘de César, mais d’Auguste, descendance qui semblait plus légitime à côté de celle des Claudiens. Et pourtant, dans cette généalogie rien ne contredit les principes du droit. Il n’y a d’anormal que le choix.

FIN DE L'OUVRAGE

Sur ce site : "Les Lettres" (ICI) et

le "Panégyrique de Trajan" (ICI)

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