Courses de Chars
Courses de chars :
Ce fut le sport le plus populaire à Rome, il déchaînait les passions, il entraînait des paris qui engloutirent maintes fortunes de particuliers. De l'empereur à l'esclave, il passionna toute la population.
" Dès sa plus tendancieuse, (Néron) aima les chevaux, et sa conversation favorite, quoiqu'on le lui défendît, roulait sur les courses du cirque. Un jour qu'il plaignait devant ses condisciples le sort d'un conducteur de la faction verte qui avait été traîné par son attelage, pour tromper son maître qui l'en réprimandait, il dit qu'il parlait d'Hector. Dans les commencements de son règne, il jouait tous les jours sur une table avec des quadriges d'ivoire, et s'échappait de sa retraite au moindre bruit d'un exercice dans le cirque, d'abord en secret, ensuite ouvertement, de manière à ne laisser ignorer à personne qu'il y assisterait au jour fixé. Il ne dissimula point l'intention qu'il avait d'augmenter le nombre des prix. Aussi le spectacle se prolongeait-il jusqu'au soir, parce que les récompenses se multipliaient au point que les chefs des factions ne consentaient à amener leurs bandes que pour la journée entière .Bientôt Néron voulut conduire lui-même les chars, et se donner souvent en spectacle. Après avoir fait son apprentissage dans ses jardins devant ses esclaves et le bas peuple, il se montra publiquement dans le grand cirque. Ce fut un de ses affranchis qui donna le signal du même lieu d'où les magistrats le donnent ordinairement. " Suétone, Néron, 22.
Ce sport avait tellement de succès que les empereurs qui ne l'appréciait pas étaient sifflés et hués (on reprocha à J. César ainsi qu'à Marc Aurèle de faire leur correspondance pendant les courses). On peut penser, comme P. Veyne, que c'était le lieu privilégié où le peuple pouvait exprimer son contentement ou son mécontentement sur la politique suivit par un empereur.
" Mais, lorsqu'il y assistait, il ne faisait pas autre chose, soit pour éviter les murmures, parce qu'il se rappelait qu'on avait blâmé César, son père, de ce qu'il lisait des lettres, et y répondait pendant le spectacle; soit qu'il fût captivé par le plaisir; car il ne dissimula jamais le vif intérêt qu'il prenait aux jeux, et plus d'une fois il l'avoua avec franchise. " Suétone, Auguste, 45.
On trouve son origine chez les Etrusques chez qui il était déjà très coté.
Dans l'ancienne Rome, ces courses se déroulaient durant des fêtes religieuses (comme les Consualia), c'est dire si la religion était proche des plaisirs festifs.
" De là vient que, dans l'origine, les jeux par lesquels on honorait Neptune furent appelés consuales ; car Neptune est aussi appelé Consus. " Tertullien, De Spectaculis, V.
Elles commençaient toujours par une procession (pompa) qui partait du Capitole pour aller jusqu'au Cirque. Ce majestueux défilé était mené par le magistrat qui offrait les Jeux, il était suivi par les auriges (conducteurs de char) et leurs équipes (palefreniers etc…), de musiciens et de danseurs, suivaient ensuite des prêtres qui portaient des représentations des dieux et déesses dont on célébraient la fête.
" Toutefois, ceux du Cirque surpassent tous les autres en magnificence : c'est pour eux que semble avoir été imaginé le mot pompe. À défaut de ce nom, la profusion des simulacres, l'armée des images, des chars, des litières, des brancards, des sièges, des dépouilles, le dirait assez. En outre, que de cérémonies, que de sacrifices précèdent, accompagnent, interrompent ces jeux ! Combien de collèges d'augures ! Combien de sacerdoces divers ! Combien de fonctions mises en mouvement ! Les habitants de cette ville où les démons ont établi le siège de leur empire ne l'ignorent pas. " Tertullien, De Spectaculis, VII.
Aussi étrange que cela puisse paraître, nous connaissons bien ces jeux grâce aux écrivains chrétiens et en particulier grâce à Tertullien. Ce sont ces mêmes écrivains qui s'élevèrent contre les courses qu'ils pensaient être le refuge du diable.
" L'origine des jeux étant obscure et inconnue à la plupart de nos frères, nous n'avons dû la chercher ni plus haut ni ailleurs que dans les monuments littéraires des païens. II nous reste plusieurs de leurs écrivains qui ont traité de cette matière. Quant à l'institution première des jeux, ils racontent, d'après Timée, que les Lydiens, sortis de l'Asie sous la conduite d'un Tyrrhénus, qui avait été contraint de céder le royaume à son frère Lydus, s'établirent dans l'Étrurie. Là, entre autres cérémonies superstitieuses, ils fondèrent des spectacles sous un voile de religion. Les Romains, après avoir appelé chez eux quelques-uns de ces étrangers, leur empruntèrent le spectacle…Mais qu'importe la question des noms, lorsque l'idolâtrie est le principe de la chose ?... Les jeux du cirque, quels qu'ils soient, offensent le Seigneur. On n'y promène qu'un ou deux simulacres, dites-vous ! L'idolâtrie réside dans une seule idole. On n'y traîne qu'un char. Fort bien ! Mais c'est le char de Jupiter. Toute idolâtrie, opulente ou pauvre dans son appareil, est riche et splendide en crimes. " Tertullien, De Spectaculis, VI et VII.
Les chars partaient de 12 stalles (carceres), six de chaque coté d'une porte (porta pompa) qui allait vers le forum boarium. Au dessus se tenait le magistrat qui offrait au peuple et présidait les jeux. Il donnait le signal du départ en laissant tomber un linge blanc. Il portait un costume en rapport avec sa fonction, il avait une tunique écarlate avec par-dessus une toge très ample, il tenait à la main un bâton d'ivoire et sa tête était surmontée d'une couronne de feuilles d'or (J. Carcopino, " la Vie Quotidienne à Rome à l'Apogée de l'Empire "). En face se trouvait une autre porte (porta triumphalis) qui en 80 après J.C. fut transformée en arche, commémorant la victoire de Titus sur Israël. Des œufs de bois, placés sur la spina, comptaient le nombre de tours restants à courir. Ils étaient placés au sommet d'une colonne et à chacun d'eux parcourus, il y en avait un que l'on faisait tomber à terre.
--- > Lampe à huile.
Les conducteurs de char ou auriges étaient divisés en 4 compagnies ou factions qui portaient chacune une couleur distinctive représentant une saison de l'année. Le vert était le printemps, le rouge : l'été, le bleu : l'automne et le blanc : l'hiver.
" Je ne m'étonne plus maintenant qu'ils aient couvert des livrées de l'idolâtrie les conducteurs de ces chars. Dans l'origine, ces livrées n'étaient que de deux couleurs, l'une blanche et consacrée à l'hiver, à cause de l'éclat de la neige ; l'autre rouge, et consacrée à l'été, à cause des rayons du soleil. Dans la suite, grâce aux progrès du plaisir et de la superstition, le rouge fut affecté à Mars, le blanc aux zéphyrs, le vert à la terre, mère du genre humain, ou au printemps ; l'azur au ciel, à la mer ou à l'automne. Mais Dieu ayant prononcé anathème contre toute espèce d'idolâtrie, il ne faut pas douter qu'il ne condamne aussi ces profanes consécrations aux éléments du monde. " Tertullien, De spectaculis, IX.
Domitien ajouta deux autres couleurs : la pourpre et l'or
" Aux quatre factions du cirque il en ajouta deux, la faction dorée et la faction de pourpre. " Suétone, Domitien, 7.
Ces factions ne furent jamais populaires et durèrent peu. Les autres étaient tellement connus du populus romain qu'il se forma des espèces de clubs rassemblant les partisans d'une même couleur.
" Ce sont les jeux du Cirque, or ce genre de spectacle ne m'intéresse absolument pas : aucune nouveauté, aucune imagination, rien dont on ne se lasse dès la première fois. Que tant de millier d'hommes s'amuse comme des enfants à voir courir des chevaux et des cochers debout sur leur char m'étonne d'autant plus. Si encore c'était la vitesse ou l'habileté des cochers qui les faisaient venir, on pourrait leur trouver une excuse. En fait ils défendent un chiffon, c'est ce chiffon qu'ils aiment. Imagine qu'au milieu de la course et en pleine compétition on change les couleurs : les passions et les paris changeront de camp et personne ne prêtera plus la moindre attention à ces cochers, à ces chevaux que l'on reconnaissait de loin et dont on criait le nom. Telle est la faveur, l'importance que prend une tunique sans valeur je ne dis pas pour la foule qui vaut encore moins que la tunique, mais même pour des personnes sérieuses. Quand je pense qu'ils restent là, à assouvir leur passion pour un spectacle nul, sans intérêt et répétitif, je prend un certain plaisir à ne pas partager ce plaisir. Je suis donc trop heureux de travailler pendant ces jours de fêtes que d'autres occupent à des tâches parfaitement vaines. Adieu. " Pline le Jeune, Lettres, 9, 6, trad. A. Flobert. GF Flammarion.
Les auriges, comme les gladiateurs étaient des esclaves ou des hommes libres de basse extraction recherchant la gloire et l'argent, en contrepartie ils étaient frappés d'infamie et se retrouvait au bas de l'échelle sociale. Le meilleur exemple est Diocles qui gagna 36 millions de sesterces sous les règnes d'Hadrien et d'Antonin le Pieux ; il commença de courir pour les blancs à l'âge de 18 ans, après 6 ans il les quitta pour les verts chez qui il resta 3 ans puis il partit chez les rouges, il arrêta la compétition à 42 ans, il avait gagné à peu près 1400 courses (informations données par une inscription funéraire). En comparaison avec d'autres conducteurs de char, sa carrière fut longue tandis que d'autres mourraient jeune dans le Cirque. En effet, ce métier était très dangereux. Les risques de tomber, d'être traîné à terre et piétiné, surtout à l'approche d'un virage à l'extrémité de la piste, étaient omni présents.
" Déjà la carrière est libre et les grands jeux vont commencer : le préteur vient de donner le signal, et les quadriges se sont élancés à la fois de la barrière. Je vois à qui tu t'intéresses ; quel que soit celui-là, il est sûr de vaincre. Ses coursiers semblent eux-mêmes deviner ton désir. Hélas ! Autour de la borne il décrit un vaste cercle ! Malheureux, que fais-tu là? Ton rival l'a rasée de plus près, et va toucher au but. Malheureux, que fais-tu ? Tu rends inutiles les voeux d'une belle ; de grâce, serre plus fortement la rêne gauche. Nous nous intéressions à un maladroit ; Romains, rappelez-le, et que vos toges, de toutes parts agitées, en donnent le signal. Voici qu'on le rappelle : mais, de peur que le mouvement des toges ne dérange ta chevelure, tu peux chercher un refuge sous les pans de la mienne.
Déjà la lice s'ouvre de nouveau, la barrière est levée, et les rivaux, distingués par les couleurs qu'ils portent, lancent leurs coursiers dans l'arène. Cette fois au moins, sois vainqueur, et vole à travers l'espace libre devant toi. Fais que mes voeux, que les voeux de ma maîtresse soient accomplis. Ils sont remplis, les voeux de ma maîtresse, et les miens ne le sont pas encore. Le vainqueur tient la palme ; il me reste à gagner la mienne. " Ovide, les Amours, III, 2, 65.
De plus, pour garder les mains libres, ils s'entouraient les reins des rennes de l'attelage, ils n'avaient à leur disposition, en cas de chute pour s'en dégager, qu'un petit poignard passé à la ceinture, très souvent, ils n'avaient pas le temps de s'en servir.
" C'est moi le grand Scorpus, gloire du Cirque assourdissant,
que Lachesis jalouse, m'enlevant à la vingt-septième,
comptant mes palmes, au lieu de mes ans,, crut être un vieillard. " Martial, épigramme, 10, 53.
Outre une énorme somme d'argent, l'aurige vainqueur recevait sur la spina une palme et une couronne.
Les courses se déroulaient le plus souvent avec des chars tirés par 4 chevaux (quadriges de quadrigae) mais il existait aussi des attelages de 2 chevaux (bigae) ou de 3 chevaux (trigae) ; on vit même des chars tirés par des chameaux.
" Il donna aux chevaliers une place séparée dans le cirque, et il y fit paraître jusqu'à des quadriges de chameaux. " Suétone, Néron, XI, 3.
Du temps d'Auguste, 10 ou 12 courses avaient lieu par jour, Caligula en doubla le nombre, le portant à 24, Domitien réduisit les tours à 5 mais augmenta la fréquence de ces courses.
" … pour qu'on achevât plus aisément les cent courses, il réduisit chacune de sept tours à cinq. " Suétone, Domitien, 4.
Donc jusqu'à Domitien le nombre de tours était de 7 ce qui équivalait à 7 kilomètres ½.
Dans un quadrige, les chevaux étaient répartis savement, deux se retrouvaient à l'extérieur et n'étaient pas harnachés mais seulement attelés par leurs rennes, les deux autres étaient au milieu, eux étaient harnachés au timon du char. Le meilleur d'entre eux était souvent mis à droite de façon à ce qu'il puisse guider les autres lorsqu'ils négociaient un virage très serré, tout l'art de l'aurige consistait à retenir le cheval de gauche et à lancer celui de droite pour tourner le plus sec possible autour des metae quitte à les frôler. Ces chevaux étaient de véritables vedettes, on connaissait leur nom, les paris étaient faits en fonction de l'aurige mais aussi en fonction des bêtes qu'il guidait. Ils ne pouvaient commencer de courir avant d'avoir 5 ans, les meilleurs venaient d'Afrique du Nord et d'Espagne, ils arrivaient à Ostie sur des navires spéciaux (hippago).
" Dans le cirque, les chevaux attelés aux chars montrent, d'une manière non douteuse, qu'ils sont sensibles aux exhortations et à la gloire. Lors de la célébration des Jeux séculaires dans le cirque , sous l'empereur Claude, Corax, cocher de la faction blanche, fut jeté à terre dès le départ : ses chevaux se portèrent en tête et y restèrent, barrant la route aux autres, y semant la confusion, et faisant contre leurs concurrents tout ce qu'ils auraient pu faire avec le plus habile aurige ; on rougissait de voir des chevaux l'emporter en habileté sur des hommes : eux, cependant, ayant achevé la course, s'arrêtèrent à la ligne de craie qui marquait l'arrivée. " Pline l'Ancien, H.N. VIII, 160.
Contrairement aux chars militaires qui étaient lourds, renforcés de plaques de métal, les chars de course étaient les plus légers possibles, fabriqué en bois.
Ces jeux durèrent jusqu'à ce que les Goths les abolissent, la dernière course qui eut lieu au Circus Maximus se déroula en 549 après J.C. Mais elles continuèrent d'exister dans l'Empire Romain d'Orient, à Constantinople, jusqu'à ce que la ville soit investie par les croisés en 1204.
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