De la langue latine

par

Varron

Nisard 1875

Livre 5

Livre 6

Livre 7

Livre 8

Livre 9

Livre 10

A CICERON

LIVRE V

1. J'ai entrepris d'exposer en six livres l'origine des mots latins. De ces six livres, j'en ai composé trois avant celui-ci, dans lesquels je traite de l'étymologie. Ils sont adressés à Septimius. Le premier contient ce qu'on a dit contre; le second, ce qu'on a dit pour; le troisième, ce qu'on a dit sur cette science. Dans les livres que je vous adresse aujourd'hui, je traite de l'origine des mots latins, et, entre autres, de ceux qui sont usage chez les poètes.

2. Dans chaque mot il y a lieu de considérer, 1° la chose d'où ce mot a tiré son origine; 2° la chose qu'il sert à designer. Ainsi veut-on faire connaître d'où dérive le mot pertinacia (obstination), on fait voir qu'il dérive de pertendere (tendre avec force vers une chose) ; veut-on faire connaître la chose à laquelle ce mot a été appliqué, on fait voir l'objet de la tendance obstinée, qu'on appelle pertinacia, et dont le contraire est la persévérance, qui consiste à persister dans une chose bonne. La science qui a pour objet la raison et l'origine des mots s'appelle chez les Grecs étymologie; celle qui a pour objet la chose désignée,  περὶ σημαινομένων. Je traiterai indistinctement de ces deux sciences dans cet ouvrage: mais, plus brièvement, de la seconde.

3. L'étymologie a ses obscurités, parce que l'origine des mots se perd dans la nuit des temps ou parce que leur dérivation n'est pas toujours exacte ou n'est pas demeurée pure par suite de l'altération des mots; ou bien encore parce que les mots de notre langue ne sont pas tous d'origine latine; enfin, parce que beaucoup de mots ont changé de signification, comme hostis, par exemple, qui désignait autrefois un étranger appartenant à une autre nation, et désigne aujourd'hui ce qu'on entendait alors par perduellis (ennemi avec qui on est en guerre). 

4. Quand le genre ou le cas d'un mot en indiquera plus manifestement l'origine, c'est sur ce genre ou sur ce cas que j'appuierai mes inductions. Pour justifier cette manière de procéder, je citerai seulement le mot impos (qui n'est pas maître de): il est évident qu'on aperçoit moins dans ce nominatif l'origine de potentia, que dans l'accusatif impotem; et, à son tour, impos est moins obscur que pos, qui semble plutôt synonyme de pons (pont) que de potens (puissant, maître de).

5. Le temps altère ou efface l'origine de beaucoup de mots. Cet homme que vous avez connu brillant de jeunesse et de beauté, vous le voyez aujourd'hui vieux et flétri par l'âge. Trois générations ont passé sur lui et l'ont rendu méconnaissable. Aussi, ce que le fleuve de l'oubli a entraîné dans son cours, et dérobé aux yeux mêmes de nos ancêtres, la perspicacité de Mutius et de Brutus ne saurait le découvrir dans les ombres du passé. Je ne m'arrêterai donc pas longtemps dans de vaines investigations : je me hâterai au contraire, autant du moins que me le permettront les difficultés du chemin ; car je vais m'engager dans les détours d'une forêt ténébreuse, infréquentée, et remplie d'obstacles qui peuvent m'empêcher d'avancer.

6. Tout change avec le temps : de là toutes ces discordances entre la signification ancienne et la signification actuelle des mots. Si l'on prend soin de constater d'abord les différentes modifications dont les mots sont susceptibles en passant par la bouche des hommes, on aura moins de peine à remonter à leur origine. L'altération des mots, comme je l'ai démontré dans les livres précédents, a huit causes principales. Elle résulte du retranchement ou de l'addition d'une ou plusieurs lettres, de leur attraction ou de leur changement, de l'allongement ou de l'abréviation des syllabes; enfin de... Comme, dans les livres précédents, j'ai démontré par des exemples assez nombreux les causes de cette altération, je me borne ici à les rappeler.

7. Je commencerai par l'origine des mots, laquelle a quatre degrés. Le premier est celui qui est à la portée de tout le monde. Qui ne voit en effet d'où viennent les mots arenifodinae (sablonnière) et viocurus (intendant des chaussées) ? Le second est celui auquel on s'élève pour étudier le vieux langage, et rechercher comment les poètes ont formé, composé, modifié chaque mot. A ce degré appartiennent les mots suivants de Pacuvius : rudentisibilus (sifflement des cordages), incurvicervicum pecus (le troupeau à la tête courbée), clamyde clupeat brachium (il s'arme de sa chlamyde en guise de bouclier).

8. Le troisième est celui où s'élève la philosophie pour découvrir l'origine des mots qui sont dans l'usage commun, tels que oppidum (fort), vicus (quartier, village), via (voie). Le quatrième est celui qui nous initie à la connaissance des principes des choses. Que si je ne parviens pas à l'atteindre, au défaut de science certaine je m'appuierai sur la conjecture, à l'exemple des médecins, qui quelquefois n'agissent pas autrement dans le choix des remèdes qu'ils conseillent aux malades.

9. Si je n'atteins pas ce quatrième degré, j'irai du moins au-delà du degré précédent, grâce au flambeau non seulement d'Aristophane, mais encore de Cléanthe. J'ai voulu aller plus loin que ceux qui se sont bornés à rechercher l'origine des mots créés par les poètes ; car il ne me semblait pas satisfaisant de rechercher l'origine d'un mot d'Ennius, et de négliger celle d'un mot du roi Latinus. La plupart des mots poétiques, en effet, sont plutôt faits pour mon plaisir que pour mon usage ; mais les anciens sont plutôt faits pour mon usage que pour mon plaisir. Les mots que nous a légués le roi Romulus ne sont-ils pas plus véritablement miens que ceux que nous a légués le poète Livius ?

10. Or, puisque les mots sont de trois espèces, latins, étrangers ou oblitérés, j'exposerai la raison des premiers et la dérivation des seconds, sans m'occuper de ceux dont la trace est perdue, en vous faisant part tantôt de mes découvertes, tantôt de mes conjectures. Dans ce livre je rechercherai l'origine des noms des lieux et des accesoires ; dans le livre suivant, des noms des temps, ainsi que des noms des choses qui se passent en mêmes temps; dans le troisième, de ces deux sortes de mots par rapport aux poètes.

11. Pythagore de Samos dit que le principe de toutes choses est double; qu'ainsi, par exemple que le fini et l'infini, le bien et le mal, la vie et la mort, le jour et la nuit, sont choses corrélatives et inséparables. Ainsi l'immobilité et le mouvement sont deux états corrélatifs. Ce qui se meut  ou reste immobile, c'est le corps; l'espace où se meut le corps, c'est le lieu; la durée du mouvement c'est le temps; le mouvement, c'est l'action. Un exemple fera mieux ressortir cette quadruple division : le corps est comme le courreur; le lieu, comme le stade où il court; le temps, comme la durée de sa course; l'action, c'est comme la course.

12. De là vient que presque toutes les choses impliquent éternellement quatre parties : point de temps sans mouvement, puisque le temps en est le mesure; point de mouvement sans corps qui se meuve, et sans un lieu où le corps se meuve; point de corps qui se meuve, sans action. Donc tout principe implique les quatre idées de lieu, de corps, de temps et d'action.

13. A ces quatre idées correspondent quatre espèces de mots. Je traiterai sommairement dans ce livre de ceux qui servent à désigner les lieux et les choses que contiennent les lieux, en suivant les ramifications de leur parenté, car il en est des mots comme des arbres, qui poussent souvent leurs racines dans l'héritage voisin. Ainsi, lorsque, en parlant des lieux, je viendrai du mot ager (champ) au mot agrosus (homme riche en terres), ou agricola (laboureur), et je ne croirai pas m'écarter de mon chemin. Les sociétés des mots sont très nombreuses : ainsi Vinalia(fêtes ou l'on faisait à Jupiter des libations de vin nouveau) conduit à vinum (vin); Calabra, nom d'une curie, à calatio (convocation).

14. Je commencerai par les lieux, et par conséquent par l'origine du mot locus. Le lieu (locus) est l'endroit où l'on peut placer (locare) quelque chose. Le mot collocare a aujourd'hui le même sens qu'autrefois, comme on le voit dans ce passage de Plaute: J'ai une fille nubile, qui n'a point de dot, et à qui je ne puis trouver de parti (inlocabilis); et dans cet autre d'Ennius : O terre de Thrace, où j'ai élevé (locavi) un temple à Bacchus au milieu de la ville.

15. Le lieu est aussi le point où l'on s'arrête : de là le mot locare, qui, dans les ventes publiques, signifie adjuger à celui dont l'enchère n'est point couverte. De là le mot locarium, qui désigne le prix du gîte dans une hôtellerie ou une taverne ; de là encore loci muliebres, pour désigner la matrice.

16. Les lieux de la nature, suivant l'ancienne division, sont, en général, au nombre de deux, le ciel et la terre, lesquels se subdivisent en une infinité d'autres. On appelle cieux les lieux supérieurs, le séjour des dieux; et terres les lieux inférieurs, le séjour des hommes. Comme l'Asie, le ciel se prend dans deux acceptions. En effet, l'Asie désigne en général la contrée, qui n'est pas l'Europe, et qui comprend la Syrie; on entend aussi sous ce nom une partie de l'Asie, qu'on appelle Asie mineure, et dans laquelle se trouvent l'Ionie et notre province.

17. De même le nom de ciel désigne et cette partie élevée ou sont les étoiles, et ce vaste espace que Pacuvius décrit dans le passage suivant : Vois cette sphère immense, au centre de laquelle est suspendue la terre, et que nous appelons ciel. Lucilius a adopté cette double division, qu'il indique au commencement de ses vingt et un livres: Je me propose d'étudier la saison féconde de l'éther et de la terre.

18. Ælius prétend que le mot coelum dérive de coelare (ciseler); ou, par antiphrase, de celare (cacher), parce qu'il est à découvert. Cette dernière étymologie est plus plausible que l'autre, parce que caelare viendrait plutôt de coelum que coelum ne vient de coelare; et même, sans recourir à une antiphrase, on pourrait dire que coelum dérive avec autant de raison de celare, parce que le ciel est caché pendant le jour, que parce qu'il n'est pas caché pendant la nuit.

19. Pour moi, je crois bien plutôt que chaos a formé choum, puis cavum, et enfin caelum, puisque le ciel, comme je l'ai dit, est une sphère concave, qui enveloppe la terre. Ainsi Andromaque dit à la Nuit: O toi qui parcours sur ton char étoilé la voûte du ciel; et Agamemnon : Sur le bouclier retentissant du ciel; car un bouclier est concave. Nous lisons encore dans Ennius : Les vastes voûtes du ciel.

20. Donc, de même que cavum a produit cavea (fosse, caverne), caullae (bergerie), convallis ou vallis convata (vallée creuse), ainsi coelum dérive de cavum, qui dérive à son tour de chaos, le chaos, d'où, suivant Hésiode, sont issues toutes choses.

21. Terra (terre) vient, ainsi que le dit Aelius, de terere (broyer, frotter) : c'est pourquoi, dans les livres des Augures, on trouve ce nom écrit avec un seul R. De la même racine dérivent 1°territorium(territoire), nom des alentours pubilcs des villes, parce qu'ils sont très fréquentés; 2° extermentarium, espèce de tunique, qui s'use au frottement du corps; 3° tritura, temps où l'on moud le blé, et trivolum, instrument propre à moudre le blé; 4° terminus (terme), nom des limites des champs, parce qu'elles confinent au chemin de passage. Dans certaines parties du Latium on ne dit pas terminus mais termen, que l'on trouve dans Accius; et de là les Grecs ont dit  τέρμων; peut-être même ce mot est-il d'origine grecque, car Evandre, qui vint s'établir sur le mont Palatin, était Arcadien.

22. Via (voie) vient de vehere (porter, charrier), de même que iter (passage) vient de ire (aller); actus, (droit de passage avec une bête de somme et un chariot), de vehere (conduire); ambitus de circumire (aller autour), car ambitus et circumitus (circuit) sont synonymes; et les interprètes des Douze Tables donnent à ambitus en parlant d'un mur, le sens de circuitus. Donc tera produit terra, et comme la surface de la terre est foulée par la plante du pied (solum), les poètes ont appelé solum cette partie extérieure de la terre.

23. Terra et humus sont regardés comme identiques: ainsi Ennius a dit, en parlant d'hommes tombés a terre: cubitis pinsibant (ils ont frappé de leurs coudes) humum, c'est-à-dire la terre. De la encore humatus, pour dtésigner un mort enterré, et inhumatus (qui n'a pas reçu la sépulture), pour désigner, suivant l'expression des pontifes, l'état du cadavre d'un Romain qui a été brûlé, mais qui n'a pas encore été couvert de la terre sépulcrale, ou dont la tête a été détachée pour servir aux purifications de la famille, laquelle est, pendant ce temps, considérée comme souillée. De là encore humilior, humillimus, pour désigner l'abaissement, parce que la terre est la plus basse partie du monde.

24. De humus vient humor (eau, humidité) : ce qui explique cette expression de Lucilius : la terre s'évapore en nuées et en pluie; et cette autre de Pacuvius : la terre exhale un air humide, c'est-à-dire imprégné de humus. De là, uliginosus ager (champ marécageux); udusuvidus; de là, sudor, parce que la sueur dégoutte vers la terre.

25. De là vient peut-être puteus (puits), si ce n'est plutôt de ce que les Éoliens disaient  πύτεος, dérivé de  πότος au lieu de  φρέαρ; de même qu'ils disaient  πύταμος au lieu de  ποταμός. De putei dérive le nom de la ville de Puteoli, parce qu'elle est entourée d'une grande quantité d'eaux froides et chaudes; à moins plutôt qu'il ne vienne de putor (puanteur), à cause des odeurs puantes de soufre et d'alun que la terre y exhale souvent. De putei dérive encore puticlio, sorte de fosses communes dans les environs des villes, à cause des morts qu'on y ensevelissait, ou plutôt puticulae, comme l'écrit Aelius, parce que c'était là que pourrissaient les cadavres des morts. Au-delà des Exquilies est un lieu public de cette espèce, que, dans une de ses comédies, Afranius appellesubluculi, parce que les cadavres y sont sans cesse exposés à la lumière du ciel.

26. Lacus (lac), grand bassin qui peut contenir de l'eau. Palus (marais), eau peu profonde (paululum), mais répandue visiblement (palam) sur un grand espace : stagnum (étang), du mot grec  στεγνὸν, qui n'a pas d'issue : aussi voit-on des étangs auprès des villae (fermes, métairies), parce qu'un bassin d'une forme ronde est plus propre à contenir l'eau qu'un bassin dont les bords sont à angles.

27. Fluvius et flumen (fleuve), ce qui coule, fluit : d'où ce qu'on lit dans la loi des héritages urbains : stillicidia fluminaque ut fluant ita cadantque. Il y a cette différence entre stillicidium (gouttière) et flumen, qu'une gouttière tombe goutte à goutte, (stillatim cadit), et qu'un fleuve a un écoulement continu, fluit.

28. Amnis, de ambitus (circuit), courant d'eau qui entoure quelque chose : de là le nom d'Amiterniniens donné aux habitants des alentours d'Aterne. De là encore le mot ambire, servant. à désigner l'action du candidat qui veut obtenir les suffrages du peuple, parce qu'il tourne autour des citoyens. Celui qui, dans ce cas, recourait à des moyens interdits par la loi, s'exposait à être accusé de ambitus indagabilis (brigue criminelle). Le Tibre est appelé amnis, parce qu'il roule autour du champ de Mars et de Rome. La ville d'lnteramne est ainsi nommée, parce qu'elle est située entre des fleuves interAntemnes doit aussi son nom à ce qu'elle a devant ellle (ante) l'Anio, rivière qui se jette dans le Tibre. Antemnes est aussi un vieux terme de guerre, que l'usage n'a point sanctionné.

29. L'étymologie du nom du Tibre n'appartient pas à la langue latine, quoique ce nom s'y soit introduit; car ce fleuve a sa source hors du Latium. J'en dis autant du Volturne, qui sort du Samnium; mais, de même que du nom de ce fleuve nous avons nommé Volturnum la ville située dans son voisinage sur les bords de la mer, nom qui est arrivé jusqu'à nous comme un mot latin, ainsi nous avons fait Tiberinus deTiberis. Nous avons en effet notre colonie Volturnum, et notre dieu Tiberinus.

30. Quant à l'origine du nom de Tibre, l'Étrurie et la Latium se le disputent : selon les Étrusques, Tibre viendrait du nom d'un petit roi de Véies, ville voisine, lequel s'appelait Thebris; selon les Latins, l'ancien nom du Tibre serait Albula, nom qu'il aurait perdu pour celui qu'il a aujourd'hui, en mémoire de Tiberinus, roi du Latium, mort dans les eaux de ce fleuve, qui est regardé comme son tombeau.

31. De même que la nature entière est divisée en ciel et en terre, ainsi la terre est divisée en deux parties correspondantes aux deux régions du ciel, l'Asie et l'Europe. L'Asie s'étend au midi, vers l'Auster, et l'Europe au nord, vers l'Aquilon. L'Asie tire son nom d'une nymphe aimée de Japet, et mère de Prométhée. L'Europe doit son nom à la fille d'Agénor, que, selon Mallius, un taureau enleva de la Phénicie : enlèvement qui est le sujet d'un admirable ouvrage en airain de Pythagore, sculpteur, de Tarente.

32. L'Europe est habitée par un grand nombre de peuples. La plupart de ses contrées portent le nom de leurs habitants, comme Sabini et Lucani, ou un nom dérivé de celui du peuple, comme l'Apulie et le Latium. L'Étrurie, appelée aussi Tusci, a un nom de chaque espèce. Le territoire où régnait Latinus a été, en général, appelé Latium, et a reçu des surnoms particuliers, tels que celui de Praenestinus, à cause de la ville de Préneste, et d'Aricinus à cause d'Aricie.

33. Suivant nos augures publics, il y a cinq sortes de territoires, dont les différents noms sont : RomanusGabinusPeregrinusHosticus, Incertus. Romanus dérive, comme Rome, de Romulus ; Gabinus dérive du nom de la ville de Gabies. Peregrinus, champ cultivé, séparé des deux territoires précédents, parce qu'on y prend les auspices d'une manière particulière. Le nom de peregrinus dérive de pergere (aller vers), parce que c'est là qu'on arrivait d'abord en venant du territoire romain. C'est pourquoi le territoire Gabinus est aussi peregrinus; mais parce qu'on s'y rend pour prendre des auspices particuliers, il forme une partie distincte. Hosticus dérive de hostis (ennemi). Le cinquième est appelé Incertus, parce que sa qualité est indéterminée, et participe à celle des quatre autres.

34. Ager (champ, territoire), de agere (conduire, mener), désigne une terre où l'on va et d'où l'on revient, avec ce qui est nécessaire à la culture; ou, selon d'autres, du mot grec  ἀγρός. Du même mot agere on a fait actus, pour désigner le lieu par lequel on passe avec bête de somme et chariot. La plus grande largeur du passage, appelé actus, a été fixée à quatre pieds, peut-être en considération du quadrupède avec lequel on a le droit de passer ; sa longueur a cent  vingt pieds, et sa contenance a cent vingt pieds carrés. Les anciens ont adopté en beaucoup de choses le nombre 12, qui est, par exemple, le nombre  des décuries.

35. Jugerum (arpent) dérive de iungere (joindre), parce qu'il se compose de la réunion des deux actus carrés. Le nom de centuria(centurie) fut originairement employé pour désigner cent arpents, puis pour en désigner deux cents, de même que tribus (tribus) sert à désigner les divisions du peuple au-delà de trois. De même que actus désigne le lieu par où l'on peut passer avec une bête de somme et un chariot, ainsi via (voie) dérive de vehere (charrier); villa (ferme, métairie) désigne le lieu où les fruits sont transportés (convehebantur), iter (passage) dérive de ire (aller), et semita (sentier) désigne un chemin où l'on marche à l'étroit et, pour ainsi dire, à demi.

36. On dit qu'un champ est cultus (cultivé), parce que les semences s'incorporent (coalescunt) avec la terre. Incultus (inculte) s'explique de même en sens contraire. De ce que l'usage était originairement de recueillir (capere) les fruits dans la plaine, on lui a donné le nom de campus (champ); mais, depuis, la culture s'étant étendue aux lieux qui la dominent, on appela ces lieux colles (collines), de colere (cultiver). Quant aux terrains que les propriétaires ne pouvaient cultiver, à cause des bois ou d'autres obstacles, mais où ils pouvaient faire paître leur bétail, l'usage auquel on les employait leur fit donner le nom de saltus. Les Grecs disent  νομαὶ, de  νέμω (paître), d'où est venu notre mot nemora.

37. Fundus (fonds de terre) dérive de fundamentum (fondement), parce qu'un champ est, en quelque sorte, un fondement de bestiaux et d'argent; ou bien de fundere (répandre, produire), parce qu'il produit beaucoup de fruits annuellement. Vineta et vineae, vignobles, dérivent de vitis (vigne) et multa (abondantes), vitis (vigne), de vinum (vin), qui dérive de vis (violence) ; et de là vindimenia (vendange), de demere (ôter, cueillir), et de vitisSeges (moisson), de satus, qui vient de semen (semence). Semer veut dire chose qui n'est pas pleinement ce qu'elle est ensuite; et de là seminaria (pépinière), sementis (semaille), et d'autres mots de la même espèce. Fruges désigne ce que la moisson produit (fert); fructus (fruit) vient de frui (jouir), spicae (épis) de spes  (espérance), culmus (tige) de culmen (sommet, élévation), parce que la tige se balance au-dessus du champ.

38. Area (aire) désigne le lieu où le blé coupé est battu et sèche (arescit). La ressemblance a fait donner le même nom à certains lieux vides de la ville. Ara (autel) a peut-être la même étymologie, à moins plutôt qu'il ne dérive de ardor (ardeur), l'autel étant la place du feu des sacrifices ; et, dans ce dernier cas, area et ara diffèrent peu, puisque la sécheresse a pour cause l'ardeur du soleil.

39. On appelle champ restibilis celui que l'on cultive et resème chaque année (restituitur ac reseritur); et novalis, de novare (changer, mettre en jachère), celui dont la culture est intermittente. Arvus (champ labouré) et arationes (id.) viennent de arare (labourer) ; sulcus (sillon), de ce que le fer de la charrue soulève la terre (sustulit); porca (sillon de terre) de proicere (jeter devant).

40. Prata (prés) vient de parare, parce qu'ils sont préparés sans travail. Le nom de rura a été donné aux champs, parce qu'il faut chaque année recommencer le même travail, pour recueillir de nouveaux fruits (rursum).  « Siccius s'empresse, dit Sulpicius, de concéder au peuple une vaste étendue de champs (rura) pour une place publique.  »  Praedia (héritages) et praedes (biens hypothéqués) viennent de praestare (fournir, donner), parce qu'ils garantissent, à titre de gage, la foi du vendeur.

41. Là où est aujourd'hui Rome, était autrefois le Septimontium ainsi nommé à cause des sept montagnes que Rome a depuis renfermées dans son enceinte. Au nombre de ces montagnes est le Capitole, qui a été ainsi appelé parce que, dans le même lieu ou l'on jetait les fondements du temple de Jupiter, on trouva, dit-on, une tête d'homme (caput). Cette montagne se nommait auparavant Tarpéienne, du nom de la vestale Tarpeia qui y périt sous les coups des Sabins, et y fut ensevelie, comme l'atteste encore maintenant le nom de roche Tarpéienne donné à une partie du Capitole.

42. La même montagne était originairement appelée Saturnienne, nom qu'Ennius a étendu à toute la contrée. On lit que dans l'antiquité on y voyait une ville appelée Saturnia, dont il reste encore aujourd'hui trois vestiges : un temple de Saturne dans les gorges de la montagne ; une porte nommée actuellement Pandana, et qui, selon Junius, s'appelait Saturnia, et était située au même endroit ; et enfin le nom de postici (de derrière), qui, dans les lois privées sur les édifices, est donné aux murs adossés au temple de Saturne.

43. Le nom de l'Aventin a plusieurs étymologies. Naevius le fait dériver de aves (oiseaux), parce que c'est là que les oiseaux se rendent des bords du Tibre ; d'autres veulent que ce mont ait été ainsi appelé du nom d'un roi Albain qui y aurait été enseveli ; d'autres enfin tirent ce nom de adventus (arrivée), parce que les Latins y venaient adorer Diane dans un temple commun, consacré à cette déesse. Je crois plutôt que ce nom dérive d'advectus, parce qu'autrefois ce mont était entouré de marais, et qu'on ne pouvait s'y rendre de la ville que sur des bateaux, comme semblent l'indiquer le nom de Vélabre, que porte aujourd'hui le lieu par où se faisait le transport, et la chapelle Vélabre, qu'on voit à l'extrémité de la nouvelle voie, à l'endroit du débarquement.

44. Vélabre vient de vehere (transporter ). Faire passer l'eau moyennant un salaire se dit aujourd'hui velaturam facereMerces vient de mereri(acquérir) et de aes (cuivre, monnaie). Le prix du transport était de trois deniers ou quart de l'as. Ainsi on lit dans Lucilius : quadrantis ratiti (d'une pièce à l'effigie d'un navire), par allusion au transport dont je parle.

45. Rome était originairement divisée en vingt-sept parties, comme l'atteste le nombre égal des lieux consacrés à la sépulture des Argiens. On croit que ce nom d'Argiens remonte à l'époque où l'Hercule argien vint, avec d'autres chefs, s'établir dans la terre de Saturne, au lieu où Rome fut bâtie. De ces différentes régions, la première est appelée Suburane, la seconde Exquiline, la troisième Colline, la quatrième Palatine.

46. La région Suburane est dominée par le mont Caelius, ainsi nommé de Caelius Vibennus, célèbre chef tusque, qui vint, dit-on, avec sa troupe secourir Romulus contre le roi Tatius. Plus tard ces auxiliaires, après la mort de leur chef, furent, dit-on, forcés par les Romains de descendre dans la plaine, parce qu'ils occupaient un lieu fortifié, qui les rendait suspects. De là le nom de Tusque, donné à un quartier de Rome où l'on voit la statue de Vertumne, divinité principale de l'Étrurie. Suivant la même tradition ceux des compagnons de Caelius qui n'avaient point paru suspects obtinrent la permission de résider dans un lieu appelé Caeliolus, qui fait aujourd'hui partie du Caelius.

47. A ce mont touchent les Carènes, qui renferment un lieu appelé Céroliensis, comme l'atteste l'inscription du quatrième sanctuaire de la quatrième région Ceriolensis, quarticeps circa Minerva etc. Ce lieu, d'abord appelé Carènes à cause de sa contiguïté, fut ensuite nommé Cerolia, parce que c'est là, près de l'oratoire de Strénia, que commence la voie Sacrée, qui aboutit à la citadelle (arx), par où les sacrificateurs passent tous les mois pour se rendre à la citadelle, et par laquelle les augures, venant de la citadelle, ont coutume d'inaugurer. On ne connaît communément de la voie Sacrée que la partie où l'on commence à monter en venant du forum.

48. A la même région appartient Subure, quartier ainsi nommé, parce qu'il est situé sous le mur de terre des Carènes. Dans ce quartier se trouve le sixième oratoire des Argiens. Junius fait dériver le nom desubure de sa situation sous l'ancienne ville (sub urbe); et en effet ce quartier s'étend au-dessous du mur, appelé mur Terreus. Pour moi, je crois plutôt qu'il faut dire Sucussa, et non Subure, nom dérivé du bourg Succusanus; car aujourd'hui encore, dans les inscriptions, la troisième lettre est un C, et non un B. Le bourg  Succusanus est ainsi nommé, parce qu'il vient après les Carènes (succurrit).

49. Le nom de la seconde région, Exquiles, vient, selon les uns, deexcubiae, parce que c'était là que campaient les sentinelles du roi Tullius; selon d'autres, de excolere (cultiver), parce que Tullius avait fait cultiver ce lieu; selon d'autres enfin, de aesculetum (chênaie). Cette dernière étymologie est la plus plausible; car on trouve, dans le voisinage, un bois Facutalis, un bois des Lares, un sanctuaire dit Querquetulanus, un bois dit Mefitis et de Junon Lucine. Tout cela est renfermé dans un espace étroit : ce qui ne doit pas étonner; car depuis longtemps la soif de posséder ne connaît plus de bornes.

50. Les Exquilies sont regardées comme formant deux montagnes, ainsi qu'on le voit encore aujourd'bui dans les livres sacrés, où, d'après leur ancien nom, les deux parties de cette région sont appelées, l'une mont Oppius, l'autre mont Cespeus. On lit dans les livres sacrés des Argiens: Le mont Oppius, dominant les Exquilies au-delà du bois Facutal, à gauche après le mur. Le mont Oppius, en deçà du bois Exquilin, à droite dans le Tabernola. Le mont Oppius, en deçà du bois Exquilin; à droite dans le quartier Figalinus. Le mont Cespius, en deçà du bois Poetilis... aux Exquilies. Le mont Cespius, près du temple de Junon, où habite ordinairement un gardien commis à la garde du temple.

51. La troisième région contient cinq collines qui ont reçu leurs noms de cinq temples, et dont les plus célébres sont les collines Vimimale et Quirinale. La colline Viminale est ainsi nommée de Jupiter Viminus, à qui on y a élevé des autels: suivant quelques-uns, de vimineta (oseraie). La colline Quirinale doit son nom au temple de Quirinus, ou, suivant quelques étymologistes, aux Quirites, qui vinrent de Cures à Rome avec Tatius, et établirent leur camp sur cette colline.

52. Le nom de Quirinale a effacé ceux des autres régions contiguës; on trouve dans les livres sacrés des Argiens plusieurs autres noms de collines, qui sont oubliés aujourd'hui : colline Quirinale, etc.; colline Salutaire, etc.; colline Martiale, etc.; colline Latiare. Ces dieux ont en effet dans la même région des autels qui portent leurs noms.

53. La quatrième région, le Palatium, est ainsi appelée, ou des Palatins, qui accompagnaient Évandre, ou des Palatins aborigènes qui vinrent du territoire de Réate, appelé Palatium, et s'établirent dans cette region. Selon d'autres, elle doit son nom à Palante, épouse de Latinus, ou rappelle le bêlement des troupeaux qu'on y faisait paître : ce qui expliquerait le nom de Balatium que lui donne Naevius.

54. Auprès du Palatium étaient le Germalum et Vélies, suivant ce qui est écrit : germalense, etc ; veliense, etc. Le nom de Germalum rappelle l'exposition des frères (germani) Romulus et Rémus, qui furent trouvés dans ce lieu sous le figuier ruminal, où le débordement du Tibre les avait transportés. Entre autres étymologies du nom de Vélies, on le fait dériver de vellera (toisons), parce que c'est Ià que les pâtres Palatins venaient arracher (vellere) la laine de leurs brebis, avant qu'on eût inventé l'art de les tondre.

55. Le territoire romain fut originairement divisé en trois parties, d'où le nom de tribus (tribus) des Tatienses, des Ramnes et des Lucères, ainsi appelées, selon Ennius, de Tatius, de Romulus, et, selon Junius, de Lucumon. Or, tous ces noms sont tusques, comme le disait Volnius, qui a composé des tragédies tusques.

56. Le nom de tribu fut aussi donné à cinq parties de Rome qui, suivant les lieux, furent appelées SuburanePalatineExquilineColline, et Romilie (sub Roma, sous Rome). Les trente autres reçurent de même différents surnoms, dont j'ai indiqué l'origine dans le livre des tribus.

57. Voilà ce qui regarde les lieux et leurs accessoires : je vais maintenant parler de ce qu'ils contiennent. Je traiterai des choses immortelles et mortelles, mais d'abord des immortelles. Les principaux dieux sont le Ciel et la Terre. Ce sont les mêmes que le Sérapis et l'Isis des Égyptiens, quoique Harpocrate commande, avec son doigt, de garder le silence sur Isis. Le Latium adorait les mêmes dieux sous les noms de Saturne et de Ops.

58. Car la Terre et le Ciel, comme l'enseignent les mystères des Samothraces, sont les grands dieux, dont je viens de citer les noms divers, et qu'il ne faut pas confondre, comme le fait le vulgaire, avec Castor et Pollux, dieux mâles, dont on voit les statues d'airain exposées publiquement  dans la Samothrace : ces grands dieux sont mâle et femelle. Ce sont encore ceux qui sont appelés dans le livre des Augures,les dieux qui ont la puissance, nom que leur donnent les Samothraces.

59. Le Ciel et la Terre correspondent à l'âme et au corps. Le corps a pour éléments l'humide et le froid ou la terre, et l'âme a pour essence la chaleur ou le ciel, selon ce que dit Ennius : L'oiseau produit l'oeuf, mais l'âme, qui vivifie l'oeuf, a un principe divin; ou Zénon de Citium, qui prétend que la semence des animaux n'est pas autre chose que le feu, c'est-à-dire, l'âme, la  vie. La chaleur vient du ciel, parce que le ciel est rempli de feux innombrables et immortels : ce qui a fait dire à Épicharme, au sujet de l'âme humaine: C'est un feu émané du soleil, lequel est une pure âme. L'humide et le froid émanent de la  terre (humus), comme je l'ai expliqué plus haut.

60. Le ciel et la terre ont tout produit, par le mélange du froid avec le chaud et du sec avec I'humide. Aussi est-ce avec beaucoup de justesse que Pacuvius a dit : L'éther accouple l'âme;  et qu'Ennius a dit aussi : La terre, qui est le corps s'ouvre pour concevoir l'âme, et n'éprouve aucune perte. La séparation de l'âme et du corps étant pour les êtres vivants une sortie de la vie (exitus), on a appelé la mort exitium, de même que l'on a donné le nom d'initium à la naissance, c'est-à-dire à l'union de l'âme et du corps (quom in unum ineunt).

61. C'est pourquoi tout corps, lorsqu'il est trop chaud ou trop humide, périt ou demeure stérile, comme on peut le remarquer dans les deux saisons contraires de l'année : en été, l'air est brûlant et l'épi se dessèche ; en hiver, la nature, refroidie et humide, attend pour produire le retour du printemps. Le feu et l'eau sont donc les deux causes de la naissance : c'est pourquoi on les dépose au seuil des nouveaux mariés comme symbole de l'union. Le feu représente la nature mâle, parce qu'en elle est la semence; et l'eau représente la nature féminine, parce qu'en elle est l'humidité qui développe le fruit de la conception.

62. Vénus est le lien qui unit ces deux éléments : de là ce mot d'un poète comique : huic victrix Venus, videsne haec? ce qu'il ne faut pas entendre dans le sens de vincere (vaincre), mais dans le sens de vincire(lier) ; car victoire est un mot qui vient lui-même de vincire, parce que ceux qui ont le dessous sont, en quelque sorte, liés. La poésie, qui donna le Ciel pour père à la Victoire et à Vénus, atteste la commune origine de leurs noms.  Εn effet, de l'antique mariage qui unit (vinxit) le Ciel et la Terre, naquit la Victoire. On la représente avec une couronne et une palme, parce que la couronne est le lien de la tête, et parce que la palme déploie de chaque côté des feuilles d'égale grandeur, unies entre elles avec symétrie : d'où est venu le mot vieri, qui a la même signification que vinciri (être lié), et qu'on trouve dans le Sota d'Ennius : Ils allaient voluptueusement tresser une couronne, symbole d'amour.

63. Suivant les poètes, Vénus naquit de l'écume de la mer, mêlée à une semence de feu tombée du ciel : ce qui donne à entendre que la puissance de Vénus consiste dans l'union du feu et de l'eau. Du mot vis(puissance, force) est issu le mot vita (vie), comme le dit Lucilius : La vie, c'est la force (vis), qui nous fait faire tout.

64. Le ciel étant le principe de toutes choses, Saturne fut ainsi nommé de satus (génération, semence) ; et comme il est aussi le feu, on présente des cierges aux vieillards. La terre fut appelée ops, parce que tout travail se fait sur la terre,  et qu'on a besoin d'elle (opus) pour vivre; et de là le nom de mère donné à Ops et à la Terre. La terre, en effet, suivant Ennius, enfante tous les animaux, les alimente, et les recueille, après la mort, dans son sein. Elle a été nommée Cérès, parce qu'elle porte des fruits (gerit), le C étant autrefois ce qu'est aujourd'hui le G.

65. Jupiter et Junon sont encore les mêmes dieux que le Ciel et la Terre.Notre Jupiter, dit Ennius, est le même dieu que les Grecs appellent Ἀήρ, c'est-à-dire le vent qui engendre les nuées, puis la pluie; d'où sort le froid, qui ramène le vent ou l'air. Or tout cela a été appelé Jupiter, c'est-à-dire le dieu qui fait vivre (juvat) les hommes et tous les animaux. Comme tout vient de lui et relève de lui, le même poète l'a appelé le père et le roi des dieux et des hommes. Le nom de pater (père) vient de patere (se manifester), parce que du père sort la semence, qui produit la conception et la vie.

66. L'ancien nom de Jupiter confirme cette étymologie; car on l'appelait anciennement Diopis et Diespiter, c'est-à-dire père du jour. De là les noms de Dies et Divos, et les expressions sub divoDius Fiditus. C'est pourquoi son temple est ouvert par le haut, afin que  par cette ouverture on puisse voir le ciel (divom). Quelques-uns prétendent qu'il n'est pas permis de jurer par lui dans un édifice couvert, Suivant Aelius, Dius Fidius veut dire fils de Diovis, de même que le surnom de  Διόσκορος, fils de Jupiter, que les Grecs donnent à Castor. Le même auteur pense que ce dieu est le Sancus des Sabins, et l'Hercule des Grecs. Jupiter est encore appelé Dis pater, en tant que dieu des lieux bas de la terre, où tout retourne après la vie; et comme il préside à la fin de l'existence (ortus), on l'appelle aussi Orcus.

67. De même que Jupiter est le ciel, la terre, son épouse, a été nommée Junon, parce qu'elle concourt avec lui à la vie (iuvat), et reine, parce que toutes les choses terrestres sont sous sa puissance.

68. Le soleil est ainsi nommé, ou parce que les Sabins rappelaient de ce nom, ou parce que seul (solus) il produit le jour. La lune tire son nom de lucere (luire), parce qu'elle luit seule pendant la nuit. C'est pourquoi elle est appelée Noctiluca sur le Palatium, où son temple resplendit pendant la nuit. De même qu'on a donné le nom d'Apollon au soleil, on a donné celui de Diane à la lune. Le premier est grec, et le second latin. La lune est aussi nommée Diviana, parce qu'elle parcourt le ciel en haut et en large. Ennius, dans son Épicharme, l'appelle encore Proserpine, parce qu'elle se cache souvent dans le sein de la terre. Le nom de Proserpine exprime le mouvement qu'elle décrit à droite et à gauche, comme un serpent ; car serpere et proserpere étaient autrefois synonymes, comme on le voit dans Plaute : Quasi proserpens bestia.

69. Les Latins semblent aussi lui avoir donné le nom de Junon Lucine, ou parce qu'elle est la terre, suivant les physiciens, et parce qu'elle luit; ou parce que, depuis le moment de la conception jusqu'à celui de l'accouchement, la lune aide au développement de l'enfant (iuvat) pendant un certain nombre de mois : de sorte que le nom de Junon Lucine aurait été formé de iuvare et de lux ( lumière). C'est pourquoi les femmes en mal d'enfant l'invoquent comme la mère des mois et la déesse tutélaire de la naissance. Les anciens ont sans doute en vue ces rapports ; car autrefois les femmes étaient dans l'usage de consacrer leurs sourcils à cette déesse comme l'offrande la plus agréable qu'elle pût recevoir, la partie du corps qui reçoit la lumière étant naturellement la plus digne de Junon Lucine.

70. Ignis (feu) dérive de gnasci (naître) parce que le feu produit tout ce qui naît. C'est pourquoi la chaleur est un des éléments de la vie et le froid un signe de mort. Volcanus (Vulcain dieu du feu) tire son nom devis (violence). Comme la nature du feu est de briller, fulgere (briller) a donné naissance à fulgor ou fulgur (éclair), fulmen (foudre), et fulguritum (ce que les dieux irrités ont frappé de la foudre).

71. Lympha rappelle le mol écoulement de l'eau (lapsus lubricus). La fontaine Juturna attire les malades par l'appât de son nom, qui dérive dejuvare (aider, soulager). Des divers noms des fontaines, fleuves, et autres eaux, ont été formés ceux des dieux qui y président, commeTiberinus de Titieris (Tibre), Velinia du lac Velinus, Lymphae Commotiae du mouvement (motus) qu'éprouve l'île du lac Cutiliensis.

72. Neptune a été ainsi nommé de nubere, qui chez les anciens signifiait se voiler, se couvrir, et d'où est dérivé nuptusnuptiae (noces), parce que la mer couvre la terre, comme les nuages couvrent le ciel.Salacia (reflux), de salum (mer agitée); venelia (flux), de vendre (venire) et du mot ventus, qu'on lit dans Plaute ; Quod ibi dixit, etc.

73. Bellone, autrefois Duellone, dérive de bellum (guerre), qui a remplacé l'ancien mot duellum. Mars est ainsi appelé parce que dans la guerre il préside aux mâles (maribus), ou par dérivation de Mamers, nom sabin. Quirinus, de Quiritesvirtus (vertu), de virilitas, virilité, force de l'homme; honos (honneur), de honus ou onus (fardeau). C'est pourquoi on appelle honnête ce qui est pesant, comme dans cette sentence : C'est un fardeau que l'honneur qui soutient la chose publiqueCastor est un mot grec. Le nom de Pollux, qui vient du grec, se voit écrit PollucesΠολυδεύκης dans les anciens livres latins.Concordia (concorde) vient de corcordis (coeur), et de congruere (qui sympathise).

74. FeroniaMinervaNovensides, sont des noms sabins. Hercule,VestaSalutFortuneFonsFides (foi), sont aussi des noms d'origine sabine. Les autels elevés à Rome par le roi Tatius portent également des noms qui sentent la langue des Sabins. On voit, en effet, dans les annales, qu'Il en éleva à Ops, à Flore, à VediusJupiter et Saturne, auSoleil, à la Lune, à Vulcian, à Summanus, à Larunda, à Terminus, à Quirinus, à Vertumne, aux Lares, à Diane et Lucine. Quelques-uns de ces noms tiennent des deux langues, comme des arbres plantés sur les confins de deux héritages mêlent et entrelacent leurs racines. Le nom de Saturne, en effet, peut avoir dans notre langue une autre cause que dans celle des Sabins; ainsi de Diane et des autres divinités dont j'ai parlé plus haut.

 75. Voilà ce qui regarde les êtres immortels : passons maintenant aux êtres mortels. Parmi ces derniers sont les animaux aériens, aquatiques et terrestres. Je commencerai par ceux qui hahitent la région la plus élevée. Leur nom général est aves (oiseaux), de ala (aile), et volucres, de volatus (vol). On les divise en plusieurs espèces, dont le plupart tirent leur nom de leur cri, comme la huppe, le coucou, l'hirondelle, la chouette (ululo), le hibou (bubo), le paon, l'oie (anser), le poule (gallina), la colombe.

76. Les noms de quelques autres ont d'autres causes, comme noctua, parce que l'oiseau qu'on appelle ainsi veille et chante pendant la nuit;lusciniola, parce que le chant plaintif (luctuosus) du rossignol rappelle les malheurs et la métamorphose de Progné. Ainsi galeritus (cochevis) et motacilla (hoche-queue) sont les noms de deux oiseaux, dont l'un a le tête surmontée d'une plume qui ressemble à un chapeau (galerus), et l'autre a la queue toujours en mouvement. Le merle est ainsi appelé, parce qu'il vole seul (mera) ; au contraire, le geai (graculus) tire son nom de ce que cette espèce d'oiseaux vole en troupe (gregatim), comme certains troupeaux que les Grecs appellent  γάργαρα. Ceux qu'on appelle ficedula (bec-figue) et miliariae (linot), ont été ainsi nommés, parce que les uns se nourrissent de figue et les autres de millet.

77. Les noms des animaux aquatiques sont en partie latins, en partie étrangers. Murena (lamproie), cybiumthunnus (thon), melandryaet uraeon, sont entièrement grecs. La plupart des poissons doivent leurs noms à quelque ressemblance avec des choses terrestres : anguilla(anguille), lingulaca (sole), sudis; d'autres à leur couleur : asellus(merlus), umbraturdus; d'autres à une certaine propriété : lupus (loup),canicula (chien de mer), torpedo (torpille.) Les noms de quelques coquillages sont également grecs, comme peloris (palourde), ostreae (huîtres), echinus (hérisson). Ceux qui sont latins tirent leur origine de quelque ressemblance, comme : surenaepectunculïungues.

78. II y a quelques animaux amphibies, dont les uns ont des noms grecs, comme : polypushippopotamoscrocodilos; et les autres des noms latins, comme : rana, (grenouille), à cause de son coassement; anas (canard), qui dérive de nare (nager), et mergus, qui vient demergere (plonger), parce que cet oiseau plonge dans l'eau pour y chercher sa proie.

79. Il y a encore d'autres noms, ou dérivés du grec, comme querquedula (cercelle), de  κερκουρὶς ; halcedo (alcyon), de  ἁλκυὼν, ou latins, comme testudo, parce que la tortue est couverte d'une écaille épaisse (testa) ; lolligo, poisson volant, dont le nom s'écrivait autrefois volligo, de volare. Dans le Latium, comme en Égypte, il y a des quadrupèdes amphibies, que nous appelons lytra (loutre) et fiber (bièvre) : le premier, parce qu'il scie, dit-on, les racines des arbres sur la rive et les coupe,  λύει ; le second, parce qu'il a coutume de se montrer sur les bords du fleuve, et que chez les anciens fiber signifiait extrémité : d'oùfimbriae, extrémité de la saie, et fibra fiber, extémité du foie.

80. Je parlerai d'abord de ce qui regarde les hommes, puis les animaux domestiques, puis les bêtes sauvages. Je commencerai par les titres publics. Le nom de consul désigne le magistrat chargé de consulter le peuple et le sénat, à moins plutôt qu'il ne faille entendre consulere dans le sens que lui donne Accius dans son Brutus : qui recte consulat, consul fuat. Ici consulere signifie juger avec sagesse. Le préteur est ainsi nommé, parce qu'il préside (praeit) à la justice et aux armées, d'où cette expression de Lucilius: L'office du préteur est de marcher devant

81. Le nom de censeur désigne le magistrat à l'arbritage duquel (ad censionem) le recensement du peuple est commis; le nom d'édile, celui à qui est confié le soin des édifices sacrés et privés. Le  nom dequesteur dérive de quaerere, parce que la fonction du questeur était de percevoir les impôts et d'informer des délits : fonction qui a été depuis conférée aux triumvirs. Plus tard, le même nom de questeurs fut donné aux magistrats chargé des jugements qui ordonnent la question. Les tribuns des soldats furent ainsi appelés parce que chacune des trois tribus des Ramnes, des Luceres et des Titienses envoyait à l'armée un homme revêtu de cette fonction. Ce même nom fut donné aux magistrats chargés de protéger le peuple parce que, lors de la retraite à Crustumerium, les premiers tribuns du peuple furent des tribuns militaires.

82. Le nom de dictateur dérive de dictum, parce que tout le monde était tenu d'obéir à la parole de celui que le consul investissait de la souveraine puissance. Le maître de la cavalerie a été ainsi nommé, parce qu'il exerce une souveraine autorité sur la cavalerie et sur les officiers, de même que le dictateur exerce une universelle autorité sur le peuple, et a été aussi appelé pour cette raison maître du peuple. Les autres fonctionnaires publics ont été nommés magistrats, parce que leur autorité est inférieure à celle de ceux qu'on appelle maîtres (magistri), de même que de albus (blanc) on a fait albatus (blanchi).

83. Le nom de sacerdos (prêtre, sacrificateur) dérive de sacra(choses sacrées). Suivant le souverain pontife Quintus Scaevola,pontifices (pontifes) dérive de posse (pouvoir) et  facere (faire). Je crois plutôt que ce nom vient de ponspontis (pont). Ce sont en effet les pontifes qui ont construit pour la première fois (car il a été souvent reconstruit) le pons sublicius, où, des deux côtés du Tibre, on célébre des sacrifices solennels. Le nom de curiones désigne les prêtres qui font les sacrifices dans les curies.

84. Les flamines ont été ainsi appelés parce que, dans le Latium, ces prêtres avaient toujours la tête voilée, entourée d'un fil. Ils ont différents surnoms, suivant les divinités qu'ils servent. De ces surnoms, les uns ont une dérivation manifeste, comme MartialisVolcanalis; les autres sont d'une origine obscure, comme Dialis et Furinalis, quoique Dialis vienne de Jupiter, qu'on appelle aussi  Diovis, et que Furinalis vienne de Furina, qui, suivant les Fastes, a donné lieu aux fêtes Furinales. II en est de même de Falarer, surnom du flamine consacré ou dieu Falacer.

85. Le nom des Saliens dérive de salitare, ces prêtres étant dans l'usage et l'obligation de danser au milieu du comice, dans les sacrifices qui s'y célébrent annuellement. Les Luperques ont été ainsi nommés de Lupercal, lieu où ils font  leurs sacrifices.  Les frères Arvales sont les prêtres qui font des sacrifices pour obtenir la fertilité des champs, et leur nom dérive de ferre (porter, produire) et arva (champs); selon d'autres, il dérive de fratria, mot grec qui désigne une certaine partie de la société, une confrérie, et qui est encore usité dans ce sens à Naples. Les prêtres qu'on appelle sodales Titii ont tiré leur nom des pigeons ramiers, dits aves Titiae, qu'ils consultent dans des augures particuliers.

86. Les féciaux sont ainsi appelés parce qu'ils présidaient à la foi publique entre les nations, comme arbitres de la guerre et de le paix. Avant la déclaration de guerre, des féciaux étaient députés pour demander satisfaction; et c'est encore aujourd'hui par eux que se conclut le traité de paix, foedus, qui, suivant Ennius, se prononçait fidus.

87. Dans l'ordre militaire, le nom de préteur désigne celui qui marche à la tête de l'armée (praeit). Le titre d'imperator fut donné au général victorieux, qui avait vengé l'injure faite par l'ennemi à  l'empire du peuple. On appela legati ceux qui étaient choisis publiquement, lecti, pour assister de leurs soins et de leurs conseils les magistrats en tournée, ou pour être les messagers du peuple et du sénat. Le nom d'exercitus (armée) dérive d'exercitare, parce que l'exercice aguerrit le soldat; celui de legio (légion), de legere, (choisir, enrôler).

88. Cohors (cohorte) désigne la réunion de plusieurs manipules, par un emploi métaphorique du même mot, qui au propre signifie la réunion de plusieurs bâtiments, appelée villa, et dérive de coercere, parce qu'on retient les troupeaux dans l'enceinte de la métairie. Cependant Hypsicrate prétend que ce mot, appliqué a une maison des champs, vient de (herbage), qu'on trouve dans les poètes grecs.Manipulus, de manus (poignée d'hommes), désigne la plus petite division de l'armée, marchant sous un seul étendard ; centurie, une troupe de cent hommes, marchant sous la conduite d'un seul chef, appelé centurion.

89. Originairement la légion se composait de trois mille hommes, dont chacune des tribus Titiensis, Ramnensis et Lucerensis envoyait un tiers : de là le nom de milites (soldats). On appela hastati ceux qui combattaient, en tête de l'armée, avec la lance; pilani, ceux qui combattaient avec le javelot; principes, ceux qui combattaient, au premier rang, avec l'épée. Depuis, la tactique militaire ayant changé, ces dénominations sont devenues moins importantes. Les pilani furent aussi nommés triarii, parce qu'ils combattaient au troisième rang et soutenaient(subsidebant) l'arrière-garde : de là le mot de subsidium, et la signification que Plaute donne au mot subsidere dans ce passage :Allons, prétez-moi tous main-forte (subsidite), comme font les triaires.

90. Auxilium (secours) a été formé de auctus (augmentation), parce que les auxiliaires étrangers augmentent la force de l'armée. Praesidium(garnison), de praesidere (être placé devant), désigne ceux qui sont placés hors du camp, pour en protéger les alentours. Obsidere (être auprès) a produit obsidium (siège), qui désigne la présence d'une armée campée auprès d'une ville, pour empêcher les habitants d'en sortir.Obsidium peut aussi venir de abscidere (couper), les assiégeants étant dans l'habitude de couper toute communication à l'ennemi pour l'affaiblir. On a appelé duplicarii ceux à qui l'usage est d'accorder double ration de vivres en récompense de leur courage.

91. Turma, formé de terima par suite du changement de l'e en u, vient du mot ter (trois fois), parce que l'escadron ainsi nommé était composé de trente cavaliers (ter deni), fournis par les trois tribus Titiensis, Ramnensis et Lucerensis. C'est pourquoi les chefs de chaque décurie furent appelés décurions, et sont encore aujourd'hui au nombre de trois dans chaque escadron. Ceux que les décurions choisissaient (adoptabant) pour aides de camp furent nommés optiones. Ce sont aujourd'hui les tribuns qui les élisent, à cause des brigues auxquelles le choix donnait lieu. Tubicines (qui sonnent de la trompette) vient de tuba (trompette) et de canere (chanter). Liticines (qui sonnent du clairon) a la même origine. Ceux qui sonnent du clairon et du cor pour appeler les classes à l'assemblée des comices, et qu'on appelle classici, tirent leur nom declasses (division du peuple). 

92. Parmi les noms qui servent à désigner la fortune et la condition, il y en a quelques-uns dont l'origine est assez obscure, comme pauper (pauvre), dives (riche), miser (misérable), beatus (bienheureux), etc. Pauper vient de paulus (petit), et lar (lare, foyer) ;mendicus (mendiant) de minus, parce que ce dont on a besoin est moins que rien. Dives, de divus, parce que celui qui est riche semble, comme un dieu, n'avoir besoin de rien ; opulentes, de ops, parce que l'homme opulent a tout en abondance. Inops (qui manque), copis et copiosus(abondant), dérivent du même mot  : pecuniosus (qui a beaucoup d'argent) de pecunia (argent), qui vient de pecus (bétail).  Ces mots ont pour origine pastor (pâtre), pascere (paître).

93. Les artistes tirent en général leur nom de l'art qu'ils exercent. Ainsi medicus (médecin) dérive de medicina (art de la médecine), sutor (cordonnier) de sutrina ( métier de cordonnier), et non des verbesmederi (guérir) et suere (coudre), qui ne sont que les extrémités de la racine des noms des arts ou métiers auxquels ils se rapportent. Je ne m'arrêterai pas sur cette sorte d'étymologie, qui n'a rien d'incertain.

94. Il en est de même de praestigiator (charlatan), monitor (souffleur),nomenclator (nomenclateur), cursor (coureur), natator (nageur), pugil(athlète qui se bat à coups de poing). Les mots de cette espéce ont, pour la plupart, une origine manifeste, comme legulus (qui cueille des fruits)... L'un vient de olea (olive), l'autre de uva (raisin); vindemiator(vendangeur), vestigiator (chasseur) venator (veneur) ont quelque chose de plus obscur. Cependant vindemiator ne peut venir que de legere vinum (recueillir le vin), ou de demere vinum de vili (ôter le vin de la vigne); vestigiator, de vestigia indigare ferarum (poursuivre la trace des bêtes sauvages) ; venator, de ventus (venue), qui se rattache à adventus(arrivée) et inventus (découverte).

95. Passons des hommes aux bestiaux. Pecus (bétail), d'où dérivepecunia, parce que la richesse des pasteurs consistait uniquement dans leur bétail, a une double origine : perpascere (paître) et pes (pied). Le pied est, en effet, la base sur laquelle repose ce qui est debout. Ainsi on appelle pes magnus (grand pied) l'aire d'un édifice. On dit encore que celui qui a commencé une chose a posé le pied. Par la même raison, pesa donné naissance à pecus, à pedica (lacet) et pedisequus (valet de pied). De là le nom de paeculia, servant à désigner les taureaux et les brebis, ou toute autre chose de cette nature ; car c'est en cela que consiste principalement le pécule. De là encore le nom de péculat, vol des deniers publics, parce que l'amende consistait autrefois en troupeaux.

96. Les bestiaux dont on tire le plus grand fruit sont les mêmes en Italie qu'en Grèce. Sus (porc) vient de  bos (boeuf), de  taurus (taureau), de ovis. (brebis), Il est possible que ces mêmes mots doivent leur origine, en latin comme en grec, au cri de ces animaux. Armenta (troupeau de gros bétail) dérive de arare (labourer), parce que les boeufs sont principalement destinés au labourage : de làarimenta, qui, par suite du retranchement de la troisième lettre, a produit armentaVitulus (veau) vient ou de l'ancien mot grec  ἰταλὸς, ou de vegetus (bien portant, vigoureux), vigitulusvitulusjuvencus, de juvare (aider, servir à), parce que le jeune taureau peut déjà servir au labourage.

97. Capra (chèvre) vient de carpere (brouter), d'où caprae omnicarpae;ircus (bouc), du mot sabin fircus, de même que edus (chevreau), qu'on écrit à Rome, et en beaucoup d'autres lieux, aedus, du mot sabin fedus.Porcus (porc) a aussi une origine sabine, qui est aprimo porcopor, à moins plutôt qu'il ne vienne du grec.

98. Aries (bélier) vient d'ancien mot grec, auquel correspond, chez les Latins, celui de arviga, d'où arvignus. Les victimes appelées arviges sont celles dont on fait cuire les entrailles dans une chaudière et non à la broche, comme on le voit dans Accius et dans les livres des pontifes. On appelle arviga la victime qui a des cornes, parce que le bélier, qu'on a châtré, n'en a pas : d'où le nom de vervex (mouton), ainsi appelé parce que sa nature a été, pour ainsi dire, renversée (versa).

99. Agnus (agneau) vient de agnasci (naître auprès) ; catulus (petit chien), de catus (fin), à cause de son odorat subtil : d'où le mot canis(chien), à moins que cet animal n'ait été ainsi appelé parce que, comme la trompette et le cor, il semble donner le signal (canere), ou parce que, soit en gardant la maison de nuit et de jour, soit en chassant, il donne le signal par ses aboiements.

100. Parmi les noms des bêtes sauvages, plusieurs sont également étrangers, comme panthera (panthère), leo (lion), et pantheris (panthère femelle), leaena (lionne) qui sont des mots grecs. Panther et leaena, noms d'une espèce de filets, ont la même origine. Tigris (tigre), nom d'une sorte de lion bigarré, qui n'a pas encore pu être pris vivant, est un mot arménien. Chez les Arméniens, en effet, ce mot désigne une flèche et le fleuve de ce nom, ainsi appelé à cause de sa rapidité. Dans la Lucanie, le nom de l'ours a la même origine que celui des habitants; dans le Latium, le nom de cet animal est imité de son cri. Camelus (chameau) est un mot qui nous est venu de la Syrie avec l'animal de ce nom, comme celui de camelopardalis (girafe), nom d'un quadrupède semblable au chameau pour la forme, et tacheté comme la panthère, qu'on a tout récemment amené d'Alexandrie.

101. Apri (sangliers) vient de asper (âpre), parce que ces animaux vivent dans les bois, à moins qu'il ne dérive du mot grec  κάπρος.Caprea (chevreuil), nom formé de capra, à cause de la ressemblance du chevreuil avec la chèvre. Cervi (cerfs), de gervi, mot employé par plusieurs auteurs, le g ayant été changé en c parce que les cerfs ont de grandes cornes. Lepus (lièvre) a pour origine  λέπορις, mot grec usité dans quelques parties de la Sicile. Les Sicules, suivant nos anciennes annales, étant issus de Rome, il est possible qu'ils aient porté ce mot en Sicile, après l'avoir laissé ici. Volpes (renard) dérive, suivant Aelius, devolare (voler) et de pes (pied).

102. Après les animaux viennent les plantes, (virgulta) qui, sans être animées, sont vivantes. Virgultum vient de viridis (vert), qui dérive de vis (force, vertu), et désigne cette nature humide, sans laquelle la plante se dessèche et meurt. Vitis (vigne) dérive de vinum, parce que la vigne produit le vin ; malum (pomme, fruit), du mot grec éolien  μᾶλον;pinus (pin) .... juglans (noix, fruit du noyer), de Jupiter et de glans(gland), parce que ce fruit, qui est très bon et très gros (optumus rnaximus), a été consacré à Jupiter, et ressemble à un gland avant d'être écalé. Nux (noix) vient de nox (nuit), parce que le suc de la noix noircit les mains, de même que la nuit obscurcit le ciel.

103. Les noms des plantes des jardins sont tantôt étrangers et tantôt indigènes. Au nombre des premiers sont ocimum (basilic), menta(menthe), ruta (rue), ,caulis (chou), lapathium (oseille), rapum (rave),  serpillum (serpolet), rosa (rose), où l's a remplacé le dcoriandron (coriandre), malachen (sorte de mauve), cyminon(cumin). De même lilium (lis) vient de malva (mauve), et sisumbrium (sorte de menthe) de  σισύμβριον.

104. Parmi les mots d'origine latine, je citerai latuca (laitue), qui dérive de lac (lait), parce que ce légume a du lait; brassica (chou), depraesicare, parce qu'il se dessèche peu à peu par la tige; asparagi(asperges), de asper (âpre), parce qu'on les récolte dans les broussailles, et parce que la tige de l'asperge est âpre et rude : à moins que ce mot ne vienne du grec  ἀσπάραγοςcucumeres (concombres), de curvor(courbure), comme qui dirait currvimeresFructus (fruits), dérivé deferre (porter), désigne tout ce que produit un fonds pour la jouissance du possesseur, ut fruamur. De là fruges (biens de la terre) et frumentum(froment). Frumentum peut encore venir de mola, gâteau composé de sel et de blé moulu (far molitum), qu'on plaçait sur Ies entrailles de la victime. Uvae (raisins} a pour racine uvor (humidité).

105. Je passe aux choses qui sont l'ouvrage de la main de l'homme, comme le vivre, le vêtement, les instruments, et tous les accessoires. Les aliments, le plus ancien est celui qu'on appelle puls(bouillie), mot dérivé du grec, ou, suivant Apollodore, du bruit que fait cette espèce d'aliment, quand on le jette dans l'eau bouillante. Le pain (panis) doit son nom à la forme qu'on lui donnait autrefois, et qui était celle d'un peloton de laine (panus). Depuis on a adopté d'autres formes. De panis et de facere (faire) on a formé panificium (boulangerie). Du même mot panis est issu panarium, qui désigne le lieu où l'on serre le pain ; de même que granarium, où l'on serrait le grain de froment.

106. Hordeum (orge) vient de horridus (hérissé); triticum (froment), detritus (broyé); far (farine), de farcire, parce que la farine remplit la boulangerie; milium (millet), libum (sorte de gâteau), de libare (offrir à une divinité), parce qu'on le déposait sur l'autel avant de le manger; testuatium (sorte de gâteau), de testu, vase de terre où l'on faisait cuire ce gâ:eau, comme le font aujourd'hui les dames romaines dans les fêtes appelées matralia; circulus (petit gâteau rond, composé de farine, de fromage et d'eau, de circuitus (circuit).

107. Ceux qui ne réussissaient pas à bien façonner ce gâteau reçurent le nom de lixulae ou semilixulae, qui est d'origine sabine : aussi ces deux mots sont-ils très usités chez les Sabins ; globus, gâteau en forme de boule, composé d'une poignée de farine délayée dans de l'huile, doit son nom à sa rondeur. Crusta, espèce de croûte qui se forme sur la bouillie et qu'on enlève comme une peau (ut corium exuitur), a produit crustulum (galette). La plupart des autres noms d'aliments ont été empruntés à la langue grecque, comme thrion et placenta.

108. Ce qu'on mangeait avec la bouillie fut appelé pulmentum, mot qui se trouve dans Plaute, et d'où a été formé pulmentarium. Le premier aliment de ce genre, le fromage (caseus), est dû aux bergers, et signifie lait coagulé (lac coactum). Plus tard, lorsque Ie goût de la simplicité naturelle se fut affaibli, ils firent cuire les fruits qui pouvaient perdre leur crudité; et du mot olla (chaudière) se forma celui d'olera (légumes), qui dans la suite désigna abusivement les fruits qui étaient crus, comme ceux qui ne l'étaient pas. Le légume appelé rapa (rave), par abréviation de ruapa, a été ainsi nommé parce qu'on l'arrache de terre (eruitur) pour le cuire. Olea (olive) vient du mot grec  ἐλαία. La grosse olive a été appelé orchitis.

109. Je passe aux noms qu'on a donnés à la chair des bestiaux. Comme le porc, dont la chair est appelée suila, chaque animal a donné son nom à sa chair. On distingue la chair rôtie, la chair bouillie, et la chair cuite dans son jus. Les hommes ont dû observer la même succession dans la manière de se nourrir. Assum (chair rôtie) dérive de assudescere, parce que la chair sue lorsqu'elle est soumise à l'action du feu. Uvidum vient d'humidum (humide), et ce qui n'est point humide manque de suc : d'où le mot sudare, c'est-à-dire distiller l'humidité; et de même que crudumsignifie ce qui a trop d'humidité, excoctum signifie ce qui a peu de suc. Elixum (chair bouillie) dérive de liquor (eau) ; et ex jure (chair cuite dans son jus) désigne la nature agréable (jucundum) d'une chair succulente.

110. Succidium (morceau de porc salé) vient de sus (porc) et de caedere(tuer), parce que l'usage est de tuer d'abord cet animal, et de le saler ensuite pour le conserver; tegus (peau du porc), de tegere (couvrir); perna (jambon), de pes (pied). Offula, diminutif de offa, désigne une partie de la panse. Insicia (saucisse) vient de caro (chair) et insecta(coupée), mot qui se retrouve dans le chant des Saliens, et servait autrefois à désigner la partie des entrailles qu'on appelle aujourd'huiprosectum ; murtatum (cervelas), de murta, parce que le cervelas est rempli de baies de myrte.

111. On appelle chair de Lucanie et ventre de Falisque deux sortes de boudins, dont nos soldats ont appris la recette chez les Lucaniens et les Falisques. Fundolum (sorte de boudin) vient de fundus (fond), parce que le boyau du boudin n'a qu'une seule lssue : ce qui l'a probablement fait appeler chez les Grecs  τυφλὸν  ἔντερον (intestin aveugle, bouché). Du mot fartura (action de farcir) on a formé farcimina, nom d'une partie des entrailles des victimes, préparées de la même manière. Les boudins ou saucissons faits avec les petits intestins du porc furent appelés hila, de hilum (petit point noir au bout de la fève de marais), mot dont s'est servi Ennius : neque dispendi facit hilum (elle n'éprouve aucune perte). Comme le boudin est terminé par un noeud qui a quelque ressemblance avec la houppe d'un bonnet (apex), on a donné à ce nœud  le nom de apexabo. Il y a encore une sorte de boudin qu'on appelle longavo, parce qu'il est plus long que deux saucissons (hila).

112. Augmentum, de augere (mettre sur l'autel), désigne la partie du foie de la victime immolée, que l'on coupe pour la brûler sur l'autel.Magmentum (mets de surcroît) dérive de magis (plus), parce qu'il est plus particulièrement en usage dans certains sacrifices. C'est pourquoi on a élevé dans des lieux particuliers des autels, appelés magmentaris où l'on offre aux dieux cette espèce de mets. Matteae (mets délicats) vient du mot grec  ματτύαι. De même chez les Grecs…

113. Lana (laine) est un mot grec, qu'on trouve dans Polybe et dans Callimaque. Purpura (pourpre) tire son nom de la couleur de la pourpre marine ; et  poenicum, variante de purpura, dérivé de Poenus(Carthaginois), rappelle le nom du peuple à qui on en doit l'importation. Stamen, de stare (s'arrêter), désigne le fil qui sert de chaîne au tisserand; subtemen, le fil qui passe au-dessous de celui qui sert de chaîne. Trama (vêtement de drap fin) dérive de transmeare (traverser), parce que le froid pénètre cette espèce de vêtement; densum (tissu serré), de dens (dent), parce que le tissu est frappé par les dents du peigne du tisserand. Filum (fil) a pour racine hilum (petit point noir au bout de la fève de marais), le fil étant la plus petite partie du vêtement.

114. Pannus (drap) est grec Panuvellum (navette), mot formé de pannus (drap) et de volvere filum (filer, tisser); tunica (tunique) de tueri(protéger), ou de induere (vêtir), par corruption de inducatoga (toge), de tegere (couvrir) ; cinctus (ceinture d'homme) et cingulum (ceinture de femme), de cingere (ceindre).

115. Arma (armes) vient de arcere (écarter, repousser) ; parma (bouclier), de par (égal), à cause de l'égale distance de tous les rayons du centre du cercle à la circonférence ; conum (cône), de cogere (rétrécir, rapprocher), parce que cette figure se rétrécit et se termine en pointe; asta (lance), de astare (se tenir droit), parce que cette arme se porte verticalement; jaculum (javelot) de jacere (jeter); tragula (hallebarde), de traicere  (traverser) ; scutum (sorte de bouclier), de sectura (coupure), comme qui dirait secutura parce que ce bouclier est formé de plaques très minces; umbones (convexité du bouclier), vient du grec  ἄμβων.

116. Gladius (glaive) vient de clades (destruction), le c ayant été changé en gpila. (trait, javelot), par contamination de perilum, dérivé de ferire (frapper); lorica (cuirasse), de lorum (cuir), parce que la cuirasse était faite de bandes de cuir. Depuis, tout en gardant le même nom, la cuirasse fut faite à la manière des Gaulois, en mailles de fer.Balteum (baudrier), ceinture de cuir ornée par des clous, appelée bulbaeOcrea (bottine) vient de crus, parce qu'elle entoure la jambe; galea (casque), de galerus, bonnet de peau qui était fort en usage dans l'antiquité.

117. Tubae (trompettes) vient de tubus (tube), nom que ceux qui sonnent de la trompette dans les sacrifices donnent encore aujourd'hui à cet instrument, cornua (cors), de cornu, parce que les instruments d'airain qu'on appelle ainsi aujourd'hui étaient anciennement faits de cornes de bœuf; vallum (retranchement), de varicare (écarter les jambes), parce que personne ne peut les franchir, ou de la forme des pieux des palissades où l'extrémité, terminée en pointe de fourche, ressemble à un v; cervi (chevaux de frise), à cause de la ressemblance avec des cornes de cerf. Les mots vineae (vigne), testudo (tortue), aries (bélier), instruments de guerre, ont la même similitude.

118. Cilliba était anciennement le nom de la salle à manger. Elle était carrée, comme celles dont on se sert encore aujourd'hui dans les camps. Ce mot dérive de cibus (nourriture). Depuis on a adopté la forme ronde. Mensa dérive peut-être du mot grec  μέσα (placée au milieu), ou bien de mensus (mesuré), parce que la plupart du temps les aliments sont mesurés. Trulla (petite cuiller à pot), diminutif de trua, d'où le mot grec  τρυήληTrua, de travolare (voler au-delà), parce que cette cuiller sert à verser l'eau de la cuisine dans l'évier. Du même mot est issu truleum, autre sorte de cuiller à pot qui a le même forme, mais qui est plus large, et dont le manche n'est pas creux celle qui sert à verser le vin.

119. De matula (sorte de vase) a été formé matellio, nom auquel l'usage  a substitué celui de aqualis (de aqua, eau), depuis que la forme du matellio eut cessé de ressembler à celle du vase matula. On a donné le nom de futis, de infundere (verser), au vase destiné à recevoir l'eau qu'on apportait dans la salle à manger. Le temps introduisit deux autres vases, dont l'un est appelé nanus, nom grec, et l'autre barbatus, dont la forme est grecque, et le nom latin. Pelvis (bassin), abréviation de pedeluis, a été formé de pes (pied) et lavare (laver). Candelabrum (candélabre), de candela (chandelle), parce qu'il soutient des torches ardentes. Plus tard on a formé le mot lucerna (lampe) de lux (lumière) ou du mot grec  λύχνος.

120. Les vases qu'on place sur la table à manger ont reçu différents noms. Celui dans lequel on servait la bouillie ou quelque autre mets liquide a été nommé catinus, de capere, contenir, ou du mot grec κάτινος, nom d'une sorte de plat ou les Siciliens servent la viande rôtie. Deux autres vases ont été appelés, l'un magida à cause de sa grandeur (magnitudine), l'autre langula à cause de sa largeur (latitudine). Patina(plat), formé de patulus (large, évasé), a pour diminutif patella (assiette). Tryblia (écuelle) et canistra (corbeille), qui passent pour être latins, sont d'origine grecque : on dit en effet  τρυβλίον et  κανοῦν. Je laisse de côté d'autres mots dont l'origine grecque est évidente.

121. La table ronde, où l'on met le vin, a été appelée cilibantum, nom encore usité dans les camps. Ce nom paraît dérivé du grec κυλικεῖονκύλιξ . Capis et son diminutif copula, noms d'une espèce de coupes, de capere (prendre), parce qu'elles avaient des anses, au moyen desquelles on Ies prenait. On voit encore aujourd'hui parmi les vases sacrés quelques-unes de ces anciennes coupes en bois et en terre.

122. Il y a aussi des coupes appelées patera, dont le nom dérive de patulus (large, évasé). On s'en sert encore aujourd'hui dans les festins publics, en mémoire des usages antiques, lors de la création des magistrats; et c'est dans une coupe de cette forme que, dans les sacrifices, le magistrat offre le vin aux dieux. Poculum dérive de potio (action de boire), d'où le fréquentatif potatio et repotia (repas du lendemain des noces). Ces mots peuvent encore venir du mot grec πότοςpotio.

123. Aqua (eau) dérive de aequus, parce que sa surface est plane. Fons(source, fontaine) désigne le lieu d'où l'eau vive s'épanche (funditur), de même que fistula désigne le tuyau par lequel l'eau se répand (fusus). Le grand vase à vin fut nommé sinum, de sinus (sein, concavité), parce qu'il était plus profond que les coupes ordinaires. On a donné aussi le nom de lepesta au vase destiné au même usage, que, dans les sacrifices sabins, on dépose encore aujourd'hui sur la table des dieux. J'ai trouvé dans les anciens écrivains grecs le nom de  λεπαστὴ, qui a probablement passé de là chez les Sabins et les Romains.

124. Ceux qui versaient le vin goutte à goutte ont créé le mot guttus, et ceux qui le prenaient goutte à goutte ont également formé de sumere (prendre) le mot simpulum. Ces deux vases ont été remplacés dans les repas par l'epichysis et le cyathus des Grecs; ce n'est que dans les sacrifices qu'on a conservé l'usage des vases nommés guttus et simpulum.

125. Il y avait une autre table pour les vases, qui s'appelait cartibulum : elle était en pierre, carrée, oblongue, et n'ayant qu'un seul pied. Dans mon enfance, on voyait dans plusieurs maisons, sous le compluvium, cette espère de table, sur laquelle étaient posés des vases en airain comme la table. De gerere (porter) on forma le mot cartibum, d'où plus tard celui de cartibulum.

126. Il y avait en outre une troisième table, également carrée, pour les vases, appelée urnarium, et sur laquelle on mettait dans la cuisine les urnes remplies d'eau : ce qui depuis a fait donner le même nom au vestibule des bains, où l'on plaçait ordinairement cette sorte de table. Le mot urna vient de urinare (plonger), parce qu'on plonge l'urne dans l'eau pour la remplir.

127. Imburvom, de urvum (courbure de la charrue), parce que ce vase se recourbe par en haut; calix (calice), de caldus, parce qu'on y versait la bouillie chaude ou quelque breuvage chaud. Le vase où l'on faisait cuire les aliments tira de coquere et de cibus le nom de caccabumVeru (broche) dérive de versare (tourner).

128. Sedere (s'asseoir) a produit sedessedilesoliumsella, seliquastrum, qui, à leur tour a donné naissance à subsellium. De même subripere désigne l'état d'un homme qui ne goûte pas ou ne goûte pas pleinement une chose, subsellium est un diminutif de sella. Un siège qui peut contenir deux personnes a été nommé biselliumArca désigne un coffre qui écarte les voleurs (arcet), parce qu'ils le trouvent fermé.Armarium (armoire) et armamentarium (arsenal) ont la même origine, mais par une dérivation différente.

129. Mundus muliebris (toilette, parure de femme) dérive de munditia (propreté). Ornatus (orné) a pour racines os (visage) et nasci (naître). C'est en effet du visage que les femmes ont leur principale beauté : de là l'usage des miroirs. Elles se servent aussi d'un fer chaud pour faire les boucles de leur chevelure : de là calamistrum, de calefacere. L'esclave chargé de ce soin fut appelé cinerarius (semblable à la cendre), parce qu'il plongeait le fer dans la cendre pour le faire chauffer. L'aiguille servant à partager les cheveux (discernere) fut appelée discerniculum. De explicare (démêler) vient le mot pecten (peigne) ; et de spectare (regarder, contempler), speculum (miroir).

130. Vestis (vêtement) vient de velum (voile) ou bien de vellus, toison, laine qui couvrait le corps de la brebis; vellus, de vellere. (arracher). Lanea, faite de laine. Reticulum, résille propre à contenir la chevelure, de rete (filet), de raritudo (interstice) ; capital, (bandeau), nom de la bandelette qui servait à retenir les cheveux, et que les prêtresses portent encore aujourd'hui; rica, de ritus (rite), nom d'une sorte de voile dont, selon le rite romain, les femmes se couvrent la tête dans les sacrifices. La mitre (mitra), et la plupart des autres ornements de la tête dont le temps a introduit l'usage, tirent leurs noms de la langue grecque.

131. Je vais toucher ce qui regarde les vêtements de dessous et de dessus (indulus et amictus). Je parlerai d'abord des premiers. Capitium, sorte de cape qui enveloppe la poitrine, de capere, pris dans le sens du verbe comprehendere, dont se servaient les anciens, c'est-à-dire contenir. Il y a deux vêtements de l'espèce appelée indutus : l'un nommésubucula, de subtus (dessous) ; l'autre, supparus, de supra (dessus), qui, du reste, est aussi un nom osque. Il y a de même deux vêtements de l'espèce appelée amictus : l'un nommé palla, de palam (extérieurement) ; l'autre intusium, de intus (intérieurement), dont parle Plaute :lntusiatam patagiatam (garni de clous d'or et de noeuds de pourpre) caltulam (robe de femme, de couleur jaune) ac crocotulam (robe de femme, couleur de safran). Le luxe a introduit beaucoup d'autres vêtements, dont les noms sont évidemment grecs, comme asbeston (a priv.,  σβέννυμι, consumer).

132. Amictus dérive de ambjectus, c'est-à-dire circumjectus (jeté autour). On appelle aussi circumjectus le manteau dont les femmes s'enveloppent par-dessus leurs vêtements ordinaires. La bande de pourpre qui entoure l'amictus lui a fait encore donner le nom de circumtextum (tissu autour). Ricinium était anciennement le nom du vêtement que nous appelons amictus, de rejicere, parce qu'on en rejetait la moitié en arrière, à cause de son ampleur.

133. Plus tard on en fit deux d'égale grandeur (par), d'où est venu le mot parilia, qui a produit pallia, l'ayant été supprimé par euphonie parapechia (habit de femme), chlamydes, noms grecs, ainsi que beaucoup d'autres. Laena (manteau des augures ou des soldats à la guerre), de lana (laine) : ce vêtement avait l'épaisseur de deux toges. Comme l'ancien ricinium des femmes, celui des hommes. était double.

 134. Instruments rustiques, propres aux semailles ou à la culture.Sarculum, de serere (semer) et de sarrire (sarcler). Ligo (hoyau), de legere (recueillir), parce que cet instrument est très commode, à cause de sa largeur, pour extraire ce qui est sous terre. Pala (bêche), de pangere (enfoncer) ,l'L étant aujourd'hui ce qu'était autrefois le G.Rustrum (sorte de bêche), de ruere (soulever).

135. Aratrum (charrue), de arare (labourer). Vomer (soc de la charrue), de vomere (vomir), parce que le soc est la partie de la charrue qui projette la terre. Dens, pointe du soc, qui mord la terre. Stiva, de stare(se tenir droit), nom de l'ais qui surmonte la charrue. L'ais posé transversalement sur l'autre a été nommé manicula, de manus, parce qu'il est tenu par la main du bouvier. Bura, espèce de timon auquel on attelle les boeufs, de bubus (boeuf). D'autres appellent cette partieurvom, de curvus (courbe). La partie vide, où aboutit le timon entre les deux boeufs, est appelée cous, de cavus (creux). Jugum (joug) et jumentum (bête de somme), de iungere (joindre).

136. Irpices (râteau, herse), de serpere (serpenter, ramper), pièce de bois armée de dents, que les boeufs traînent comme un chariot, pour enlever les herbes qui serpentent sur la terre. On disait autrefoissirpicesRastelli (serpette), instrument dont on se sert, après la fenaison, pour sarcler (radere). Rastri (râteau), instrument dont les dents raclent et soulèvent la terre, de ruere, rutum.

137. Falces (faux), de far (toute sorte de grains propres à faire de la farine), l'r ayant été changé en l. Dans la Campanie, cet instrument s'appelle secula, de secare (couper). La ressemblance a fait donner le nom de falces à des instruments destinés à un autre usage, tels que les faux appelées fenariae, de fenum (foin), et arboriae, de arbor (arbre), et les faux appelées lumariae et sirpiculae, dont l'origine est moins manifeste. Lumariae a pour racine lumecta (ronces), parce que cet instrument sert à couper (solvereluere) les ronces, qui, de luere, ont été appelées lumectaSirpicula vient de sirpare (cercler, lier), parce que cet instrument sert à préparer les cercles des tonneaux. On en fait usage, dans les vignobles, pour façonner des ligaments, des échalas, etc. ; les Chersonésiens les appellent zanclae.

138. Pilum, qui sert à piler le blé, de pisere (piler), d'où pistrinum, nom du lieu où l'on pile le blé, à cause de l'affinité de l's et de l'l. De là les mots de pistrina (boulangerie) et de pistrix (boulangère), qu'on lit dans Lucilius, et qui sont utilisés dans Rome. Trapetes (pressoir à olives), de terere (broyer) ; peut-être ce mot est-il grec. Molae (meules), de mollire (amollir). Vallum (van), de volare, parce que le van fait envoler les choses légères. Ventilabrum (van), de ventilare (agiter).

139. Instruments propres à porter les fruits et les choses nécessaires.Fiscina (corbeille), de ferre (porter). Corbis (panier), son diminutif corbula, de corruere (jeter dedans). Tragula (charrette), de trahere (traîner). Sirpea (sorte de voiture en osier, propre à transporter du fumier ou autre chose de même nature, de sirpare (natter, tresser).

140. Vehiculum, chariot léger, propre à transporter des légumes, de vimen (osier), ou de vehere (charrier). Cette sorte de chariots est aussi appelée arcera, nom ancien qu'on lit dans les Douze Tables, et qui dérive de arca, parce que, d'après les Tables il était fait comme un coffre. Plaustrum (chariot), espèce de chariot, ainsi nommé de palam (ouvert),  pace qu'il est ouvert de tous côtés et laisse voir  ce qu'on charrie, comme pierres, planches, poutres.

141.  Aedificia (édifices), nom commun à toutes sortes de bâtiments, et employé par synecdote comme beaucoup d'autres; car il dérive de aedes (temple). Oppidum (ville), de opes (force), parce qu'on fortifie une ville pour protéger les habitants, et parce qu'elle est nécessaire (opus est) pour les besoins de la vie publique. Moenia (fortifications), de munire (fortifier)  Aggeres (remparts), de exaggerare (amplifier). Moerus (mur), de moenus (matériau pour les fortifications), dérivé de moenire (fortifier).

142. Pinnae, nom donné par métaphore aux créneaux des murs, à cause de leur ressemblance avec les aigrettes qui ornent les casques de nos soldats et ceux des gladiateurs samnites. Turres (tours), de torvus (qui fait saillie) parce que les tours s'élèvent au-dessus des autres édifices. Porta (porte), de portare (porter) car une porte étant un passage ouvert dans les murs aux choses qu'on porte dans la ville.

143. La fondation des villes se pratiquait dans le Latium comme beaucoup d'autres choses, selon les rites étrusques. Avant de construire la ville et le mur, on traçait un sillon avec une charrue attelée de bœufs, entre lesquels on plaçait un taureau et une génisse. C'était un lieu consacré par la religion; le jour était désigné par les auspices. On appelait fossé l'endroit où l'on avait extrait la terre, et mur le tas formé par la terre en deçà du fossé. La  circonférence extérieure fut appelée principium; et la circonférence intérieure, postmoerum, point de circonscription des auspices urbains. L'amas de terre du pomeriumsubsiste encore autour d'Aricie et de Rome. De là la synonymie de oppidum et de urbs (ville). Urbs, en effet, dérive de orbis (cercle) et de urvum (courbe tracée par la charrue). C'est pourquoi, dans les livres anciens, toutes nos colonies portent le nom de urbes, parce qu'elles furent fondées comme la ville de Rome, c'est-à-dire enfermées dans une circonférence appelée pomerium.

144. La première ville romaine, fondée dans le Latium, fut Lavinium, asile de nos dieux pénates. Cette ville fut ainsi nommée de Lavinie, fille de Latinus, mariée à Énée. Trente ans après eut lieu la fondation d'Albe, ainsi nommée en mémoire d'une truie blanche (alba), qui s'était échappée du vaisseau d'Énée et réfugiée à Lavinium où elle avait mis bas trente petits. Le souvenir de ce prodige fit donner le nom d'Albe à la ville bâtie trente ans après le fondation de Lavinium et surnommée la Longue à cause de la disposition du lieu. Dans cette ville naquit Rhéa, mère de Romulus, dont le nom, dérivé de Rhéa, fut l'origine de celui de Rome.

145. Vicus (quartier d'une ville) vient de via (rue), parce que les deux côtés d'une rue sont bordés d'édifices. Fundula (impasse), rue sans issue, de fundus (fond). Angiportum (ruelle), de angustus (étroit) ou de agere (mener), et de portus, (passage). Forum de ferre, place où l'on porte ses procès ou ses marchandises.

146. Au nom de forum on ajouta différents surnoms, tirés de l'espèce de marchandises à laquelle une place était particulièrement affectée : de là le forum boarium (marché aux bœufs), le forum olitorium (marché aux légumes), qu'on appelait autrefois macellum. C'est le nom que les Lacédémoniens donnent encore aujourd'hui aux marchés, Les Ioniens donnent ce nom à l'entrée des jardins et des places fortes. Sur les bords du Tibre, auprès de Junius, il y a aussi le forum piscarium (marché aux poissons) ; ce qui a fait dire à Plaute : Apud piscarium ubi variae res. Dans le quartier des cornouillers est le forum cupedinis (marché aux comestibles), dont le nom vient de cupedium (friandises, mets délicats). Plusieurs disent cupidinis, qu'ils font dériver de cupiditas (désir).

147. Quand les marchands eurent adopté un seul et même lieu pour l'exposition et la vente des vivres, on construisit une halle qui fut appelée macellum, parce qu'auparavant il y avait là, suivant quelques uns, un jardin, ou, suivant d'autres, une maison surnommée macellus, dont les magistrats avaient ordonné la destruction, et dont les ruines servirent à édifier ce marché, qui dut à cette origine le nom de macellum.

148. Il y a dams le forum un lieu appelé le lac Curtius, qui, suivant une tradition généralement adoptée, doit son nom à un nommé Curtius. Quant à la cause qui lui a fait donner ce nom, Procilius, Pison et Cornélius Stilon ne s'accordent pas entre eux. Suivant Procilius, la terre s'étant entrouverte en ce lieu, le sénat en référa aux aruspices, qui répondirent que la volonté des dieux mêmes était qu'un citoyen courageux se précipitât dans le gouffre. Alors un citoyen courageux, nommé Curtius, monta tout armé sur un cheval, et, partant du temple de la Concorde, s'élança avec son cheval dans ce gouffre, qui se referma sur lui, et, en devenant son tombeau, laissa à ses concitoyens le souvenir de son dévouement et de la puissance des dieux.

149. Pison raconte dans ses Annales que, pendant la guerre des Romains et des Sabins, un Sabin très courageux, nommé Metius Curtius, voyant Romulus, à la tête des siens, se précipiter sur lui d'un lieu élevé, se jeta dans un marais, qui couvrait alors le forum avant la construction des égouts, et regagna le Capitole, où se trouvait l'armée sabine : ce qui fit donner à ce marais le nom de Curtius.

150. Cornélius et Lutatius ont écrit que, ce lieu ayant été frappé de la foudre, le sénat ordonna qu'il fût entouré d'une clôture; et que cet ordre ayant été exécuté par le consul Curtius, collègue de Marcus Génutius, le lieu reçut le nom de Curtius.

151. Arx (citadelle) vient de arcere (repouser) parce qu'une Citadelle est le lieu le plus fortifié d'une ville, et d'où l'on peut le plus aisément repousser l'ennemi. Carcer (prison), de coercere (contenir, renfermer). La partie souterraine de la prison de Rome, qu'on appelle Tullianum, a été ainsi nommée du roi Tullius qui la fit creuser. On appelle aussi cette prison Latumia, par dérivation de latomiae, nom des prisons de Syracuse, ou de lapis (pierre), parce que ce lieu était originairement une carrière.

152. Une partie du mont Aventin a été nommée Laurentum, soit en mémoire du roi Tullius qui y fut tué par les Laurentes et enseveli, soit à cause d'un bois de lauriers, qui fut remplacé par des maisons, dont l'emplacement garda le nom de Lauretum, de même que le quartier situé entre la rue Sacrée et le marché a conservé celui de Corneta, à cause des cornouillers qu'on y avait coupés. Ainsi Esculetum vient de esculus (chêne);  fagutal, de fagus (hêtre), d'où le  surnom de Fagutalis donné à Jupiter, qui a dans ce lieu un petit temple.

153. Armilustrurn (lieu où se faisait la revue religieuse de l'armée) vient de ambire (aller autour) et de lustrum (purification, revue). Le même lieu a été appelé grand cirque, parce qu'on construisit autour (circum) un amphithéâtre pour les jeux, et qu'on y plaça des bornes, autour desquelles (circum) se font les courses solennelles de chevaux. C'est dans ce sens qu'Il faut entendre ce que l'auteur de la pièce intilulée Cornicularia fait dire à une troupe d'hommes, dont l'arrivée d'un soldat a interrompu les jeux « Pourquoi cesser nos jeux? voici notre cirque. » L'endroit de l'enceinte du cirque, d'ou l'on fait sortir les chevaux, s'appelle carceres. Naevius lui donne le nom d'oppidumCarceres dérive de coercere, parce que c'est là qu'on retient les chevaux jusqu'à ce que le magistrat ait donné le signal. Ces écuries étant autrefois surmontées de créneaux et de tours, leur ressemblance avec les murs d'une ville a fait dire au poète : Dictator ubi... usque ad OPPIDUM.

154. L'intérieur du cirque est appelé ad Murcim, nom que Procilius faisait dériver de urceus (pot de terre), parce que ce lieu était entouré de potiers. Selon d'autres, il vient de murtelum, lieu planté de myrtes; et ce qui semble confirmer cette étymologie, c'est qu'il y a dans ce lieu un sanctuaire consacré à Venus Murtea. Le cirque Flaminien a été aussi appelé cirque, parce qu'il fut construit autour du champ Flaminius (circum), et parce que dans ce lieu il y a des bornes autour desquelles (circum) se font les courses de chevaux pendant la célébration des jeux Tauriens.

155. Comitium, lieu où s'assemblait le peuple par curies ou pour le jugement des procès, de coire (aller ensemble). Il y avait deux espèces de curies, celles où les prêtres s'occupaient (curarent) des choses divines, comme les curies anciennes, et celles où le sénat s'occupait des choses humaines, comme la curie Hostilienne, bâtie par le roi Hostilius. Devant cette curie sont les Rostres, ainsi nommés de rostrum, parce qu'on y plaça les éperons de navires pris sur les ennemis. A droite des Rostres en venant du comice est un lieu appelé, par synecdoche Grécotase, où les députés des nations étrangères attendent les audiences du sénat.

156. Au-dessus du Grécostase on rencontre le Senaculum, lieu des assemblées du sénat, près du temple de la Concorde et de la basilique Opimia. Senaculum vient de senior (vieillard), de même que, chez les Grecs,  γερουσία, de  γέρωνLautolae, de lavare (baigner, laver), parce qu'il y avait là, près de Janus Géminus, des eaux chaudes, qui formaient autrefois un marais dans le petit Vélabre. Le nom du petit Vélabrev enait, comme celui du grand Vélabre, dont j'ai parlé plus haut, de vehere (transporter), parce qui on traversait ce lieu sur des bateaux.

157. Aequimelium, nom de la place ou était la maison de Mélius, qui fut rasée en exécution de la sentence publique qui l'avait condamné comme coupable de haute trahison. L'Ossuaire Gaulois rappelle la délivrance de Rome et la défaite des Gaulois, dont les ossements furent rassemblés et ensevelis dans ce lieu. Près du grand égout est un autre lieu nommé Doliola, où il n'est pas permis de cracher, de doliolum, parce qu'il y a là des tonneaux cachés en terre. Il y a deux traditions sur le mystère de ce lieu : suivant les uns, il renferme des ossements; suivant d'autres, on y aurait enfoui, après la mort de Numa Pompilius, certaines choses qui avaient appartenu à ce roi, et que sa mémoire rendait sacrées. On n'est pas d'accord non plus sur l'origine du nom d'Argiletum, que les uns font dériver de celui d'un certain Argola ou Agrola, qui serait venu dans ce lieu, et y aurait été enseveli; les autres, de argilla, parce qu'en cet endroit la terre est argileuse.

158. La montée Publicius, ouvrage des édiles publics, doit son nom à son origine. Celles qu'on appelle Pullius et Cosconius ont également retenu le nom des intendants publics qui les avaient fait faire. La montée qui commence au temple de Flore s'appelle vieux Capitole, parce qu'il y a en cet endroit une chapelle consacrée à Jupiter, à Junon et à Minerve, et que cette chapelle est plus ancienne que le temple qui fut bâti sur le Capitole.

 159. Vicus Africus, quartier des Exquilies, ainsi nommé parce que c'est là, dit-on, que, pendant les guerres Puniques, on garda les otages envoyés d'Afrique. Celui qu'on appelle Cyprius vient de cyprum, mot sabin qui veut dire bon, parce que les Sabins, après la réunion des deux peuples, s'établirent dans ce quartier et lui donnèrent ce nom, comme étant d'heureux augure. Auprès est le vicus Sceleratus, dont le nom rappelle l'attentat impie de Tullie, femme de Tarquin le Superbe, qui ordonna à son cocher de faire passer son char sur le cadavre de son père.

160. Je passe des noms des quartiers à ceux des maisons.Domus est un mot grec, qu'on retrouve dans  πρόδομος et  ὀπισθόδομος, dont le premier désigne la partie des temples en deçà du sanctuaire, et le second, la partie qui est au-delà. Aedis (temple) vient de aditus, parce qu'on y allait de plain pied. C'est ce qui explique pour quoi, dans les funérailles, le crieur public se sert des mots ex aedibus efferri en annonçant sépulture du citoyen le plus pauvre, et pourquoi, dans le recensement, on donne le nom d'aedes à toutes les maisons des champs.

161. On appelle cavum le lieu couvert d'une maison, qui est commun à tous les habitants de cette maison. Si ce lieu ne reçoit le jour d'aucun côté, il prend le nom de testudo, à cause des ressemblances avec le toit d'une tortue, comme dans le prétoire des camps. S'il est ouvert par le milieu, la partie basse où la pluie tombe s'appelle impluvium, et la partie haute sur laquelle la pluie tombe, compluvium. Ce lieu fut aussi appelé Tuscanicum, parce que la forme en avait été empruntée aux Tusques. Le nom d'atrium vient, pour la même raison, de celui d'Atriates, nom d'un peuple tusque.

162. Autour du Iieu appelé cavum étaient des chambres qui, selon l'usage auquel elles étaient destinées, reçurent différents noms : cella, de celare (cacher); penaria, de penus (provisions de bouche); cubiculum, de cubare (coucher); cenaculum, de cenare (dîner, souper), nom usité encore aujourd'hui dans le temple de Junon à Lanuvium, dans le reste du Latium, à Faléries, à Cordoue. Depuis qu'on a adopté l'usage de prendre ses repas dans le plus haut étage de la maison, cet étage reçut le nom général de cenaculum. Le cénacle ayant été ensuite distribué en plusieurs parties, il y eut, comme dans les camps, le quartier d'hiver, hibernum...

163 . ....Porcius dit qu'Ennius habita le lieu consacré à la déesse Tutilina. Vient ensuite  la porte Naevia, ainsi nommée parce qu'elle se trouve dans les bois Naeviens : c'était là en effet qu'habitait Naevius. Puis la porte dite Rauduscula, parce qu'elle était en airain, raudus et aes sont synonymes, comme on peut le voir dans les anciennes lois sur la mancipation, où on lit: raudusculo libram ferito. Enfin la porte dite Lavernalis à cause du voisinage d'un autel dédié à la déesse Laverna.

164. En deçà des murs sont placées plusieurs portes. Sur le mont Palatin, la porte dite Mucion, de mugitus (mugissement), parce qu'on y faisait paître les bœufs autour de l'ancienne ville. La porte dite Romunala, de Roma (Rome), située dans la rue Neuve, et continuant par des degrés au sanctuaire de Volupia.

165. La troisième est la porte Januale, près de la statue de Janus, et qui, d'après l'institution de Numa, ainsi que Pison nous l'apprend dans ses Annales, devait être toujours ouverte en temps de guerre. Elle ne fut fermée que deux fois, la premère sous Numa, et la seconde sous le consulat de Titus Manlius, après la première guerre punique.

166. Voici ce que que j'ai découvert sur l'origine des noms des lits. Lectica (litière), de legere (rassembler, amasser), parce qu'une litière était faites d'herbe et de paille, comme celle des soldats dans les camps. Lecti (lits), de lignum (bois), parce qu'on les dressait sur des planches, pour éviter la fraîcheur de la terre, ou venant de l'ancien mot grec  λέκτρον. La litière a encore un autre nom, segestria, dérivé de seges (champ de blé), et usité encore aujourd'hui dans les camps, à moins plutôt qu'il ne vienne du mot grec  στέγαστρον (ce qui sert à couvrir). Feretrum (funéraire) vient également du mot grec φέρετρον.

167. L'espèce de lit appelé culcita, dont l'usage s'introduisit plus tard, a tiré son nom de calcare (fouler), parce que ce lit était formé de paille ou de jonc, ou de quelque autre chose de cette nature. Tout ce qu'on étendait dessus a été appelé stragulum, de sternerePulvinar (coussin) dérive de plures ( plusieurs) ou de populi (de petite dimension); operimentum (couverture), de operire (couvrir). Operculum, nom donné aux vêtements (pallia) qui servent de couverture de lit, a la même origine. Plusieurs de ces vêtements ont des noms étrangers, commesagum (saie), reno, qui sont gaulois, et comme gaunacum,amphimallum,qui sont grecs. Mais toral (sorte de couverture) est latin, et vient de torus (lit), qui à on tour dérive de torvus, parce qu'un lit est apparent. C'est par analogie qu'on a donné le nom de torulus à un ornement de tête dont les femmes font usage.

168. Le simple marchepied servant à monter sur un lit très bas a été appelé scabellum, de scandereScamnum, qui désigne un marchepied servant à monter sur un lit un peu plus élevé, a la même racine. Un marchepied qui a deux échelons a été nommé gradus, de gerere, parce qu'il transporte de haut en bas.  Περιστρώματα et  περιπετάσματα sont des mots grecs, ainsi que quelques autres, servant à désigner les couvertures dont on se sert dans les repas, comme gausape.

169. La monnaie a plusieurs noms. Elle est de cuivre et d'argent. As (livre de douze onces) vient de aes (cuivre); dupondius (monnaie de deux livres), de duo (deux), et pondus (poids) la livre ou as se nommait assipondium. De as on a formé les noms singuliers centussis (pièce de cent as), tressis ( pièce de trois as), nonussis (pièce de neuf as).

170. Au-delà de dix, on dit decussis (pièce de dix as), bicessis (pièce de vingt as), tricessis ( pièce de trente as), et ainsi proportionnellement jusqu'à cent. Au-delà de cent, le nom d'as n'entre plus dans la formation des noms de nombre, et ducenti (deux cents), trucenti ( trois cents), ne désignent pas plus des as que des deniers, ou toute autre chose.

171 . La plus petite partie de la monnaie de cuivre s'appelle sextula, parce qu'elle est la sixième partie de l'once. Semuncia (demi-once) mot composé de uncia (once) et de se, qui signifie moitié, comme dans selibra (demi-livre) et semodius (demi-boisseau). Uncia, de unus (un) ; sextans (sixième partie de l'as), de sextusquadrans ( quart de l'as), de quartustriens (tiers de l'as ); de tertius semis (demi-as), contraction de semiasseptunx ( sept onces), de septem.

172. Lee autres noms des parties de l'as sont un peu obscurs, à cause de la contraction des initiales et des finales, comme deunx (un as moins une once), dextans (un as moins un sixième ou dix onces), dodrans (un as moins un quart ou neuf onces ), et bes, autrefois des, (un as moins un tiers ou huit onces).

173. Nummus, nom de la monnaie d'argent, est un mot qui nous vient de la Sicile. Denarius (denier, valant dix as), de decem (dix) ; quinarius (pièce de cinq as), de quini (cinq ); sestertius (pièce de deux as et demi ), dont la composition implique l'idée de l'addition de trois nombres, c'est-à-dire 2 plus 1/2, et rappelle l'ancien usage de compter en commençant par le plus petit nombre.

174. La dixième partie du denier a été appelée libella, diminutif de libra (livre), parce qu'elle avait le poids d'un as, et était représentée par une petite pièce d'argent. Sembella (demi-livre), de semis et de libella; terruncius (pièce de trois onces), de tres et de uncis. De même que cette pièce est le quart de la livre, elle est aussi le quart de l'as.

175. On dit aussi dos (dot), arrabo (arrhes), merces (intérêt), corollarium (surplus), pour désigner différentes sortes de payement. Dos, ce qu'on donne à une fille en mariage,  vient de  δωτίνη mot grec usité en Sicile. Du même mot dérive donum (don), dont la racine est grecque comme l'indique issedonionδόμα et, dans le dialecte attique, δόσιςArrabo, du grec  ἀρραβών, ce qu'on donne pour assurance du payement du reste.

176. Damnum (perte), de demptio (diminution), lorsque la chose ne vaut pas ce qu'elle a coûté. Lucrum (gain), de luere (payer) ce qu'on a gagné au-delà du véritable prix d'une chose. Detrimentum, perte qu'on a éprouvée dans l'achat d'une chose usée, de deterere (user). Il faut rapporter à la même origine le mot de intertrimentum, qui désigne le détriment  que deux choses se sont causé par leur contact, ainsi que le mot intertrigo (blessure, écorchure).

177. Multa (peine pécuniaire imposée à un magistrat) implique la double idée d'unité et de multiplicité, parce que la simple amende, considérée somme unité, pouvait être augmentée, et devenait multiple. Autrefois unum et multi étaient synonymes ; et même encore aujourd'hui lorsque les gens de la campagne versent du vin dans un tonneau ou dans une outre, ils appellent la première urne multaPoena(peine) vient de punire (punir), ou de ce que la peine suit le crime (post peccatum). Pretium (prix d'une chose de peritus, parce que le prix d'une chose ne peut être justement déterminé que par des connaisseurs.

178. Merces (prix d'une chose ou d'une œuvre), de mereri (mériter). Manupretium (prix de la main-d'oeuvre), de manus et de pretium. Corollarium (ce qui est par-dessus), de corolla, petite couronne qu'on donne sur la scène aux acteurs qui ont bien joué. Praeda (proie, butin), de manus (main) et partus (acquis), par contraction de parida. Praemium (récompense), de praeda.

179. Mutuum (prêt), du mot sicilien  μοῖτον; ainsi on lit dans Sophron : μοῖτον  ἀνθύμῳMunus, (présent), de mutuus, parce que ceux qui se font des présents sont mutuellement bien disposés les uns envers les autres. Munus (charge, fonction), de munire (exécuter) : d'où municipes (compatriotes soumis à des lois communes).

180. Sacramentum (consignation judiciaire), de sacer (sacré). Le demandeur et le défendeur déposent au pont Sublicius, soit cinq cents as, soit une somme déterminée par la loi, selon la nature du procès. Celui qui gagnait sa cause recevait la consignation des mains du pontife; la caution de celui qui avait perdu sa cause était confisquée.

181. Tributum (tribut), de tribus (tribu), parce que les contributions étaient exigées par tiers à chaque tribu. De là le mot attributum (allocation de fonds) : de là encore le mot de tribuni aerarii, donné à ceux qui distribuent l'argent destiné à l'armée, aes militare.  Nous lisons dans Plaute : Le soldat se présente et réclame sa solde. Comme la solde se payait en monnaie de cuivre, les troupes stipendiées ont été nommées milites aerarii.

182. Stipendium (solde) vient de stips, nom qu'on donnait aussi à la monnaie de cuivre. Comme l'as pesait une livre, ceux qui en avalent reçu une grande quantité déposaient leur argent, non dans une cassette, mais dans quelque lieu convenable, où ils le rangeaient et l'entassaient, pour qu'il occupât moins de place; et de stipare on a fait stips. On pourrait voir aussi l'origine de stips dans le mot grec  στοιβή, qui a le même sens que stipatio. Ce qui autorise cette étymologie, c'est qu'on appelle stips l'offrande d'argent que, suivant l'usage antique, on dépose dans le tronc des temples, et que stipulari et restipulari se disent de ceux qui s'engagent à payer une somme. Stipendium est composé destips et de pendere (peser, payer).  On lit dans Ennius : Poeni stipendia pendunt.

183. Du même mot pendere est venu dispensator (payeur, trésorier). De là encore le mot expensum (dépense), qu'on emploie dans les registres ou dans les contrats, prima pensio (premier payement), secunda pensio (second payement), etc. Dispendium (dépense) implique l'idée de diminution du poids; compendium (épargne, gain, profit), celle d'accumulation ; impendium (intérêt) indique l'addition de l'intérêt au poids du capital. Usura, qui a le même sens, dérive de usus (usage) ; etsors (capital) désigne le bien dont le sort nous a donné la propriété. Le payement se faisait ordinairement au moyen d'une balance, comme l'indique celle dont on se sert encore aujourd'hui dans le temple de Saturne. Ærarium (trésor public), de aesaeris.

184. Je crois m'être étendu suffisamment sur les noms des lieux et des choses qui sont dans les lieux, parce que l'étymologie de la plupart de ces mots est manifeste, et en même temps parce que, en poussant plus loin mes recherches, je dépasserais les bornes de ce livre. Je vais donc traiter, comme je l'ai annoncé dans le premier livre, des noms qui regardent le temps.  Ce sera l'objet du livre suivant.

LIVRE VI

1. J'ai exposé, dans le livre précédent, les origines des noms des lieux, et des choses qui sont dans les lieux. J'exposerai dans celui-ci les origines des noms des temps, et des choses qui se font ou se disent dans le temps, comme de sedere (être assis ), ambulare (marcher ), loqui (parler). S'il se présente des mots de diverses espèces, j'aurai plutôt égard à leur affinité qu'à l'ordre qu'exigerait une critique sévère.

2. En cela je m'autorise de Chrysippe et d'Antipater, et de ceux qui, sans avoir autant de pénétration philosophique, étaient plus versés dans la science grammaticale (au nombre desquels sont Aristophane et Apollodore); et tous s'accordent à reconnaître que les mots dérivent les uns des autres, soit en prenant, soit en rejetant, soit en changeant une ou plusieurs lettres. Par exemple, turdus ( grive ), turdarius (qui engraisse des grives), et turdelix (petite grive), sont de la même famille. Ainsi les Grecs ont converti Lucienum en Λεύκίενον, Quintium en  Κοΐντον ; de même que les Latins ont dit Aristarchum au lieu de  Ἀρίσταρχον, Dionem au lieu de  Δίωνα. C'est ainsi, en un mot, que de veter on est arrivé à vetus ; de solu, à solum ; de loesebo à liberam ; de lasibus, à lares. Quoique le temps ait en partie effacé les traces de ces dérivations, je m'appliquerai à les retrouver.

3. Je traiterai des noms des temps préalablement aux noms des choses qui se font dans le temps, mais toutefois après avoir considéré en général la nature des temps; car elle a dû servir de guide à l'homme dans la création des mots qui servent à les désigner. On a dit que le temps est la durée du mouvement du monde. Le cours du soleil et de la lune a principalement servi à déterminer la division du temps : de là le sens de tempus, parce qu'il est la mesure du cours réglé (temperatus) de ces astres; et de tempus vient tempestiva. Pareillement, comme leur mouvement s'opère dans toute l'étendue du ciel, motus (mouvement) a produit mundus (monde).

4. Le soleil a deux mouvements. Le premier s'accomplit avec le ciel, d'orient en occident, et la durée de ce mouvement a été appelé dies (jour), du nom de ce dieu. Meridies (méridien) composé de medius (milieu) et dies que les anciens disaient medidies, et j'ai vu ce mot ainsi écrit sur un cadran solaire à Préneste. Solarium (cadran solaire) a été formé de sol (soleil) et de hora ( heure). C'est à Cornélius qu'on doit celui qu'on voit sur la basilique Emilienne et Fulvienne. Mane (matin) vient de manat parce que le jour naissant découle de l'orient ou plutôt de manus, mot ancien, qui avait la signification de bonus(bon), comme on peut l'induire de la périphrase  φῶς  ἀγαθὸν (dies manus), par laquelle les Grecs désignent religieusement l'aube du jour.

5. Suprema (soir) de superrimus (extrême). D'après les Douze Tables c'est le coucher du soleil : ce qui depuis a été confirmé par la loi Plaetoria, suivant laquelle le temps où le crieur public annonce dans le comice l'heure dite suprema, est le dernier moment du jour. Le temps qui suit le coucher du soleil a été appelé crepusculum (crépuscule), de creperus (douteux). Ce mot nous est venu des Sabins; et de là le nom de Crepusci donné par les Amiterniens à ceux qui sont nés à cette heure du soir, et celui de Lucii à ceux qui sont nés à l'aube du jour. Dans le territoire de Réate, crepusculum signifie douteux : ce qui a fait appeler creperae les choses douteuses, parce que le crépuscule n'est précisément ni le jour ni la nuit.

6. Nox (nuit) vient de nocere (nuire), parce que, comme le dit Catulus, les vapeurs glacées de la nuit congèleraient tout, si le soleil ne reparaissait; ou bien du mot grec  νύξ. Le moment où la première étoile se lève s'appelle chez les Grecs  Ἕσπερος, et chez les Latins vesper. Les Grecs ont donné à cette étoile le nom de  ἑσπέρα, et les Latins celui de vesperugo, qui se lit dans ce vers de Plaute : Neque vesperugo , etc. : Ni l'étoile du soir ni les Pléiades ne se couchent. Avant le lever du soleil , elle change de nom, et s'appelle jubar, parce qu'elle est rayonnante (jubata). On lit dans Pacuvius : Exorto jubare, etc. ; et dans Ennius : Ajax, quod lumen, jubarne, etc.

7. L'intervalle de temps qui sépare ces deux extrémités de la nuit est dit intempestus, mot que Cassius , l'auteur du Brutus, met dans la bouche de Lucrèce : Nocte intempesta, etc. Suivant Aelius, intempestus signifie inopportun pour agir. Le temps de la nuit est encore appelé concubium, parce que alors tous les êtres sont couchés, et silentium, parce que le silence règne partout. Plaute se sert du motconticinium, de conticescere (garder un silence général) : Videbimus : factum volo : reddito conticinio.

8. Le second mouvement du soleil est différent de celui du ciel. C'est celui qui a lieu entre le solstice d'hiver et le solstice d'été. Bruma (solstice d'hiver) vient de brevissimus, parce que les jours sont à cette époque les plus courts de l'année ; solstitium (solstice d'été ), de sistere, parce que le soleil semble s'arrêter, ou parce qu'il est alors très près de nous. Aequinoctium (équinoxe), époque où le soleil est à égale distance des deux solstices, de aequus et de nox, parce que les jours sont égaux aux nuits. Annus (année ), de anus (cercle), dont le diminutif est anulus (anneau), parce que le soleil décrit une espèce de cercle pour revenir au solstice d'hiver, c'est-à dire à son point de départ.

9. Le temps qui suit le solstice d'hiver a été appelé hiems, parce qu'il est très pluvieux (multi imbres) : d'où hibernacula (tentes d'hiver), hibernum (quartier d'hiver). Peut-être aussi ce mot vient-il de hiatus (ouverture de bouche), parce que dans l'hiver l'haleine est apparente. La saison suivante a reçu le nom de ver (printemps), parce que les plantes commencent à revivre (vivere), et l'année à tourner (vertere), à moins qu'on ne doive plutôt en reconnaître l'origine dans le mot ionien  ἦρÆstas (été) dérive de aestus (chaleur) ou du mot grec αἴθεσθαι (bûler) : d'où æstivum (lieu où l'on passe l'été). Autumnus (automne)....

10.... de sol (soleil), de même que messis (mois), espace de temps pendant lequel la lune s'éloigne du soleil et y revient. L'ancien nom de la lune, chez les Grecs, était  μήνη, qui a produit  μῆνες ( mois), racine de mensis. De mentis et de inter (entre) on a fait intermestris, intervalle d'un jour entre le mois qui finit et la nouvelle lune, et que les Grecs ont appelé plus exactement  ἔνη  καὶ  νέα (ancien et nouveau jour), parce qu'on peut voir à la fois dans ce jour intermédiaire la fin et le renouvellement de la lune.

11. Lustrum  (espace de cinq ans), de luere (payer), parce que tous les cinq ans les impôts et les contributions volontaires étaient répartis par les censeurs. Seclum (siècle), de senex (vieillard), parce qu'il est le terme le plus reculé de la vie humaine. Aevom, ensemble de tous les âges, de toutes les années, (aetasannus) : d'où aeviternum, et par contraction aeternum (éternel), en grec  αἰὼν, c'est-à-dire, suivant Chrysippe,  ἀεὶ  ὄν ( étant toujours). On lit dans Plaute : Toute la suite des âges est insuffisante pour apprendre ; et dans un autre poète :Les temples éternels du ciel.

12. Aux distinctions naturelles du temps se sont jointes des distinctions civiles. Je parlerai d'abord des jours consacrés aux dieux; puis de ceux dont la solennité est purement humaine. Agonales, jours pendant lesquels le roi des sacrifices préside au sacrifice d'un bélier dans le palais royal, de agone (frapperai-je?), parce que le chef de la cité adresse cette question au roi du sacrifice : après quoi le chef du troupeau est immolé. Carmentalia, sacrifices et fêtes en l'honneur de Carmente.

13. Lupercalia, fêtes célébrées par les Luperques dans le lieu appelé Lupercal. Lorsque le roi des sacrifices annonce la fête mensuelle des nones de février, il appelle februatus le jour où elle tombe. Februum, chez les Sabins, signifie purification; et ce mot est employé dans nos sacrifices ; car les Lupercales sont une purification (februatio), comme je l'ai démontré dans mon traité des AntiquitésQuirinalia, fêtes en l'honneur de Quirinus, qui viennent se confondre avec celles des Furnacales, dont la populace n'a pas encore achevé la solennité.Feralia, fêtes funéraires, pendant lesquelles on va déposer des aliments sur les tombeaux, de inferi (enfers) et de ferre (porter). Terminalia, fêtes du dernier jour de l'année; car le douzième mois était février, dont on retranchait les cinq derniers jours dans les années bissextiles, pour former un mois intercalaire. Equiria, consacré à des courses de chevaux (equus) dans le champ de Mars.

14. Liberalia, jour consacré à Bacchus (Liber), pendant lequel de vieilles femmes, assises dans tous les quartiers de la ville, la tête couronnée de lierre, brûlent des gâteaux sur un petit foyer, en invoquant la protection de Bacchus sur ceux qui achètent ces gâteaux. Dans les livres des Saliens ce jour est appelé Agonis, peut-être à cause du surnom de agonenses, que portent les prêtres.Quinquatrus est une fête qui ne devrait durer qu'un jour, et que la méprise causée par tous nous fait prolonger pendant cinq jours. Quinquatrus signifie cinquième jour après les ides, de même que dans le territoire de Tusculum sexatrus signifie sixième jour, et septimatrus, septième jour après la même époque, Tubulustrium, jour où les trompettes sacrées sont purifiées avec de l'eau lustrale dans un lieu consacré à cette cérémonie.

15. Megalesia, fêtes en'honneur de Cybèle, qui, suivant les livres sibyllins, furent introduites par le roi Attale de la ville de Pergame, où cette déesse avait son temple près du mur Mégalésien. C'est de là qu'elles ont passé à Rome. Fordicidia, sacrifice où l'on immolait publiquement dans les curies des vaches pleines, de fada (vache pleine) et de caedere (tuer). Forda vient de ferre (porter). Palilia, fêtes en l'honneur de Palès. Cerealia, fêtes en l'honneur de Cérès.

16. Vinalia, fêtes où l'on fait des libations de vin nouveau à Jupiter, et non à Vénus. Cette fête est l'objet d'une grande solennité dans le Latium, où autrefois, en certaines contrées, les prêtres présidaient publiquement à la vendange comme cela se pratique encore aujourd'hui dans le territoire de Rome. C'est un flamine diale qui inaugure la vendange : après avoir recueilli les grappes, il sacrifie une brebis à Jupiter, et, au cours de l'immolation et de l'offrande, il choisit la première grappe de raisin. Il est écrit dans les livres sacrés de Tusculum qu'on n'emmène point de vin nouveau à la ville avant la procession des Vinales. Robigalia, fête en l'honneur du dieu Robigus, qui a lieu au temps de la moisson, et pendant laquelle on fait des sacrifices à ce dieu afin qu'il garantisse les blés de la rouille.

17. Vestalia,  fête en l'honneur de Vesta; Vestale, prêtresse de Vesta. Quinquatrus minusculae, fête des ides de juin, semblable à celle des ides de mai, et pendant laquelle des joueurs de flûte errent par la ville, et se rassemblent dans le temple de Minerve. Le jour de Fors-Fortunae tire son nom du roi Servius Tullius, qui fit bâtir un temple à cette déesse sur les bords du Tibre, en dehors de Rome pendant le mois de juin.

18. Le jour appelé Poplifugia doit probablement aussi ce nom à une alarme qui aurait fait prendre le fuite au peuple ; car ce jour vient peu après celui où les Gaulois et d'autres peuples conjurés contre nous, tels que les Ficuléates et les Fidénates, abandonnèrent la ville. La fuite que l'on simule dans les cérémonies de ce jour semble confirmer cette origine, comme je l'ai fait voir dans mon traité des Antiquités Nones Caprotines, jour de fête où, dans le Latium, les femmes font des sacrifices à Junon Caprotine, sous un figuier sauvage, dont elles cueillent une branche...

19.  .... Neptunalia, fête en l'honneur de Neptune. Furrinalia, fête de la déesse Furrina, qui était très honorée des anciens. Ils avaient institué en son nom des sacrifices annuels, auxquels présidait un flamine. Le nom de cette déesse est aujourd'hui presque inconnu. Portunalia, fête en l'honneur de Portunus, en mémoire du jour où un temple lui fut élevé dans le port du Tibre.

20. Vinalia Rustica, fête des jardiniers, en l'honneur de Vénus, comme déesse des jardins. Elle a lieu le quatorzième jour avant les calendes de septembre, en mémoire de la dédicace du temple consacré à cette déesse. Consualia, fête en l'honneur du dieu Consus, pendant laquelle les prêtres célèbrent, dans un cirque autour de son autel, les jeux qui rappellent l'enlèvement des Sabines. Volcanalia, fête de Vulcain, pendant laquelle le peuple jette des animaux dans les flammes pour obtenir la protection du dieu.

21. Opeconsiva, jour consacré à Ops Consiva, qui avait un sanctuaire dans le palais royal : ce qu'on avait fait pour qu'il n'y entrât que les Vestales et le prêtre public. On y lit : Is cum eat, suffibulum haut habeatSuffibulum (sorte de voile), comme qui dirait subligaculum, de suffio (lier dessous). Vortumnalia, fête du dieu Vortumne.Meditrinalia, de mederi (guérir), jour férié du mois d'octobre, pendant lequel, suivant le flamine de Mars, Flaccus, on était dans l'usage de faire des libations de vin vieux mêlé à du vin nouveau, et d'en boire comme d'une manière de remède : ce que font encore aujourd'hui beaucoup de personnes, en disant : Je bois du vin vieux et nouveau ; je me guéris avec du vin vieux et nouveau.

22. Fontanalia, fête en l'honneur des nymphes des fontaines, pendant laquelle on jetait des guirlandes dans les fontaines et l'on couronnait les puits. Armilustrium, jour férié, qui doit ce nom au lieu appeléarmilustrium, où les soldats célèbrent des jeux sacrés, à moins plutôt que le lieu ne doive son nom à cette sorte de jeux ; mais, quelle qu'en soit l'origine, armilustrium dérive évidemment de ludere (jouer) ou de lustrare (parcourir), comme l'indique l'exercice auquel se livrent les soldats, et qui consiste à tourner en jouant, armés de boucliers. Saturnalia, jour consacré à Saturne, comme Opalia, fête qui doit son nom à Ops, et qui vient trois jours après les Saturnales.

23. Angeronalia, fête célébrée en l'honneur d'Angerona dans la curie Acculeia. Larentinal ou Larentalia, jour funéraire consacré à Acca Larentia...

24.... Ce sacrifice se fait dans le Vélabre, à l'entrée de la rue Neuve, où, dit-on, Acca fut ensevelie, et dans le voisinage d'un autre lieu où les prêtres sacrifient aux dieux Mânes Serviles. Ces deux lieux étaient autrefois hors de Rome, à peu de distance de la porte Romanula, dont j'ai parlé dans le livre précédent. Septimontium, jour férié, qui doit son nom aux sept monts dans lesquels est renfermée Rome, et qui n'est célébré que par les habitants de ces monts, de même que les Paganales (Paganalia) sont des fêtes de village particulières.

25. J'ai parlé des jours de fête fixes et déterminés : je passe aux fêtes mobiles, dont le renouvellement est annoncé tous les ans. Compitalia, fête en l'honneur des Lares Compitales, qui se célèbre dans les carrefours, place où aboutissent plusieurs rues (ubi viae competunt). Ce jour est désigné de nouveau tous les ans. Les féries latines sont aussi des fêtes mobiles qui doivent leur nom aux peuples latins, à qui le droit avait été accordé de venir du mont Albain partager la chair des sacrifices avec les Romains.

26. Les fêtes de semailles (sementinae) tirent leur nom de sementis. Ces fêtes sont également annoncées par les pontifes. Les fêtes Paganiques ont été instituées dans l'intérêt de l'agriculture : ce sont les fêtes de village (pagus). Il y a en outre des fêtes mobiles, qui ne sont pas annuelles, et qui n'ont pas de nom particulier, ou dont le nom est manifeste, comme Novendialis (qui dure neuf jours).

27. J'arrive aux noms des jours dont la distination se rapporte aux hommes. Le premier jour de chaque mois a été appelé Calendes, de ce que ce jour-là les pontifes annoncent si les nones commenceront le cinq ou le six du mois. Cette annonce se faisait au Capitole dans la curie Calabre, en ces termes : Dies te quinque calo Juno Covella. Septem dies, etc.

28. Le nom de Nones vient de ce qu'elles précèdent toujours les Ides de neuf jours, ou de ce que, de même que les Calendes de janvier sont appelées Nouvel an à cause du renouvellement du soleil, le commencement de chaque mois est appelé Nones à cause du renouvellement de la lune. Ce jour-là le peuple de la campagne se rendait auprès du roi. On retrouve les traces de ces anciens usages dans les cérémonies des Nones, qui ont lieu à cette époque dans la citadelle, lorsque le roi des sacrifices annonce au peuple les fêtes que doit ramener le mois. Idus (Ides) vient du mot étrusrque Itus, ou plutôt du mot sabin Idus (division).

29. Le lendemain des Calendes, le lendemain des Nones et le lendemain des Ides ont été appelés atri, parce qu'ils étaient, en quelque sorte, le vestibule de nouveaux jours. Les jours fastes sont ceux pendant lesquels le préteur peut impunément prononcer toute sorte de paroles (fari). Les jours dits comitiales dies sont ceux où le peuple s'assemble (coit) pour donner son suffrage, à moins qu'il ne se rencontre quelques fêtes mobiles, comme les Compitales et les fêtes Latines.

30. Les jours néfastes, au contraire, sont ceux où il est interdit (nefas fari) au préteur de prononcer les mots : do dico addico; de sorte que les plaidoiries sont suspendues, puisqu'il est impossible de faire un acte judiciaire sans se servir de quelqu'un de ces trois mots. Que si le préteur a par mégarde prononcé une manumission, l'affranchi est libre, mais contrairement à la loi; de même qu'un magistrat, irrégulièrement nommé, ne laisse pas de conserver le caractère de magistrat. Si le préteur a agi par mégarde, le sacrifice d'une victime expiatoire l'absout de sa faute; mais s'il a agi sciemment, Quintus Mucius doute que son crime soit susceptible d'expiation.

31. Les jours appelés intercisi sont ceux dont une partie est néfaste et l'autre faste, néfaste, le matin et le soir; faste, dans l'intervalle qui sépare l'immolation de la victime et la présentation des entrailles : d'où intercisum, de intercidere (couper par le milieu), ou de intercedere (intervenir). Le jour qu'on appelle Quando rex comitiavit, fas, a tiré son nom de ce que, ce jour-là, le roi des sacrifres se rend au comice, et que, pendant ce temps seulement, le travail est interdit; et en effet, l'action de la justice a souvent repris son cours dans la même journée.

32. Le jour appelé Quando stercum delatum, fas a tiré son nom de ce que, ce jour-là, on balaye les immondices du temple de Vesta, pour les transporter ensuite, par la voie dite clivus Captitolinus, dans un lieu determiné. Le jour dit Alliensis doit son nom au fleuve Allia, sur les bords duquel les Romains furent mis en déroute par les Gaulois, qui vinrent ensuite assiéger Rome.

33. Je passe des noms des jours à ceux des mois, dont l'origine est, en général, évidente,  si l'on commence à compter par le mois de Mars (Martius), qui, d'après l'institution de nos péres, est le premier mois de l'année. Martius, en effet, vient de Mars. Le second mois, Avril, tire son nom, suivant Fulvius et Junius, de Vénus, dont le nom grec est  Ἀφροδίτη mais comme je n'ai lu le nom d'Aphrodite dans aucun de nos anciens livres, je crois plutôt qu'Avril vient de aperire, parce que le printemps ouvre tout. Maius (Mai) vient de majores(vieillards); Junius (Juin), de juniores (jeunes).

34. Puis viennent Quintilis (Juillet), Sextilis (Août), etc, jusqu'à Décembre, des noms de nombre quintussextus, etc. Des trois autres, le premier a été appelé Januarius (Janvier), du nom du premier des dieux; le second, Februarius (Février), suivant les auteurs que j'ai cités plus haut, de ce que, pendant ce mois, on sacrifie aux dieux infernaux. Je crois plutôt que Februarius vient de Februatus, nom du jour expiatoire où les Luperques parcourent tout nus l'ancienne ville du mont Palatin, entourés de la foule du peuple.

35 J'en ai dit assez sur ce qui regarde les noms latins des temps; je vais maintenant rechercher l'origine des noms des choses qui se font dans le temps, de legisti (tu as lu), par exemple, de cursus (course), de ludens (jouant). A l'égard de cette espèce de mots, je signalerai d'abord leur variété infinie, et ceux dont l'origine est la plus obscure.

36. Les mots sont susceptibles de quatre sortes de modifications : ou ils ont des temps et n'ont pas de cas, comme lego (je lis), legis (tu lis), leges (tu liras); ou ils ont des cas et n'ont pas de temps, comme lectio (lecture) et lector (lecteur); ou ils ont des temps et des cas, comme legens (lisant), lecturus (devant lire) ; ou enfin ils n'ont ni cas ni temps, comme lecte (élégamment) et lectissime (très élégamment). Or, si les mots primitifs sont au nombre de mille, comme le dit Cosconius, les dérivés peuvent s'élever jusqu'au nombre de cinq cent mille, puisque chaque mot primitif est susceptible d'environ cinq cents espèces de modifications.

37. Les mots primitifs sont, par exemple, lego (je lis), scribo (j'écris), sto (je me tiens debout), sedeo (je suis assis), et tous ceux qui ne tirent pas leur origine d'un autre mot, mais qui ont une racine propre. Les mots dérivés, au contraire, sont ceux qui tirent leur origine d'un autre mot, comme legis (tu lis), legit (il lit), legam (je lirai), etc… Si donc on indiquait les origines des mots primitifs, ces mots étant au nombre de mille, on indiquerait en même temps les racines de cinq cent mille mots simples ; mais celui qui, sans remonter si haut, se bornerait à faire connaître les mots dérivés des mille mots primitifs, aurait encore assez fait pour la science, puisque les mots primitifs sont en petit nombre, et leurs dérivés innombrables.

38. Remarquons d'abord que les prépositions quoique peu nombreuses par elles-mêmes, multiplient et varient à l'infini les mots devant lesquels elles sont placées. Ainsi le verbe cedere donne processitrecessitaccessitabscessitincessitexcessitsuccessit,decessitconcessitdiscessit. Supposons qu'il n'y ait que ces dix prépositions : comme un seul mot est susceptible de cinq cents modifications, en multipliant par dix chacun de ces mots modifiés par l'adjonction d'une préposition, avec un seul on irait jusqu'à cinq mille; et avec mille, jusqu'à cinq millions.

39. Démocrite, Épicure, et les autres philosophes qui ont dit que les principes sont infinis, sans expliquer l'origine de ces principes, n'ont pas laissé de faire beaucoup en faisant connaître la nature de ces principes, et en expliquant par eux ce que nous voyons dans le monde. Il en est de même de l'étymologie qui demande qu'on la dispense de rendre raison de mille mots primitifs, mais qui ne sollicite pas la même grâce pour les dérivés : il est évident qu'elle ne laissera pas de donner l'étymologie d'une foule innombrable de mots.

40. Après avoir fait voir l'immensité de la science étymologique, je dirai un mot de son obscurité. L'étymologie des mots qui indiquent le temps est très obscure, parce que nous n'en avons emprunté qu'un très petit nombre aux Grecs, et que ceux à la formation desquels nous avons assisté ne sont pas primitifs. Je ne promets donc, comme je l'ai dit, que mes soins et mes efforts.

41. Je rechercherai d'abord ce qu'on entend par ago (je mets en mouvement). L'action est le résultat de la mise en mouvement : c'est pourquoi l'on dit agitare gestum (gesticuler), agitare quadrigas(conduire un char), agere pecus pastum (mener paître un troupeau). De là, angiportum, impasse, lieu ou l'en ne peut se mouvoir qu'avec peine; angulus (angle), lieu où tout mouvement est impossible, à moins que ce mot ne dérive de angustus (étroit).

42. Il y a trois sortes d'action : penser, parler, faire. La pensée précède les deux astres, puisqu'on ne peut parler et faire qu'après avoir pensé. Il est vrai qu'elle est vulgairement regardée comme nulle, et que la troisième passe pour la plus importante; mais sachons reconnaîltre que penser et parler sont des actions aussi réelles que faire. Aussi dit-on agere causam (plaider), augurium agere (augurer, prédire), quoique, dans ces deux cas, on parle plus qu'on ne fait.

43. Cogitare (penser) dérive de cogere (pousser devant soi, rassembler), parce que l'esprit rassemble ses idées pour choisir entre elles. Ainsi caseus (fromage) vient de lac (lait), et coactum(coagulé). De cogere on a formé aussi contio (assemblée du peuple), coemptio (achat), compitum (carrefour). Cogitatio a produit concilium (assemblée), d'où consilium (conseil, délibération). Conciliare est même un terme qui désigne l'action du foulon.

44. Reminisci (se ressouvenir) indique l'effort de celui qui rappelle une nation disparue de son esprit (mens) et de sa mémoire (memoria). De cum (avec) et de mens (esprit) a été formé comminisci(méditer, imaginer). Eminisci (énoncer sa pensée), meminisse (se souvenir), amens (déchu de sa raison, troublé), dérivent également demens.

45. Meminisse, rappeler une idée qui, après être entrée dans la mémoire, s'en est échappée, est peut-être composé de manere(demeurer) et de moveri (être mis dehors). Peut-être aussi le motmemoria est-il une contraction de manimoria. Sans doute ces mots du chant des Saliens, Mamuri Veturi, signifient vetus memoria (ancienne mémoire). De là monimenta, inscriptions gravées sur les tombeaux de la voie Flaminienne, par lesquelles les morts rappellent (admonent) aux passants qu'ils sont mortels comme eux. Ce mot désigne, en général, tout ce qui est écrit et fait pour transmettre la mémoire d'une chose à la postérité.

46. Curare (avoir soin) derive de cura (soin). Cura, de urere (brûler) et de cor (cœur). Recordari (se ressouvenir), de revocare rusrsus (rappeler de nouveau) et de corCuria, lieu où le sénat s'occupe des intérêts de la République (curat). Ce mot désigne encore le lieu où l'on s'assemble pour le soin (cura) des choses sacrées: d'où curio (prêtre de chaque curie).

47. Volo (je veux) vient de voluntas (volonté) et de volatus (vol), parce que l'âme est si lègère qu'elle vole en un instant au lieu où elle veut. Lubere (suivre son penchant, sa fantaisie), de labi (glisser), parce que l'âme se laisse aisément entraîner, lubrica prolabitur, comme on disait autrefois. De luberelibido (caprice, passion), libidinosusVenus Libentina et Libitina, etc.

48. Metuere (craindre), de motus (mouvement), parce que l'âme, en présence d'un danger, tressaille et s'enfuit. Formido, crainte excessive, qui met l'âme hors d'elles-même (foras). Pavor, peur, trouble de l'âme égarée (quum per avia it).

49. Metuere indique plus particulièrement l'état d'une âme émue (mota); et tremere, le frisson causé par la crainte : d'où tremor, frayeur qui se manifeste par le tremblement de la voix et même du corps, dont les poils se hérissent comme l'épi de l'orge.

50. Maerere (être triste), de marcere, parce que le chagrin refroidit le corps. De marcere est venu macer (maigre). Laetari (se réjouir), de ce que le bonheur dilate le coeur. Juventius a dit : Toutes les joies humaines réunies ensemble n'égaleront pas ma joie (laetitia). De là laeta (choses heureuses).

51. Narro (je raconte), de narum ou gnarum facere alterum (faire connaître à quelqu'un) d'où narratio, exposition qui nous fait connaître un fait. Je suis donc arrivé à la seconde partie de l'action, laquelle consiste à parler; et je vais expliquer l'origine des mots qui s'y rapportent, et appartiennent aux actions qui se passent dans le temps conjoint et dans le temps non conjoint. En voici, ce me semble, la source étymologique.

52. L'homme commence à parler (fatur), dès qu'il articule un mot significatif. Jusque-là l'homme est infans (qui ne parle pas). Fari (parler) est un mot imitatif, qui rappelle les premiers bégayements de l'entant. Fatum (destinée) doit son nom à l'époque de la vie, déterminée par les Parques, où l'enfant commence à parler. Du même mot fari on a fait facundus (qui parle avec facilité), fatidicus (qui prédit l'avenir). Vaticinari (prophétiser) a été formé de vesanus (qui est en délire), parce que ceux qui prophétisent sont transportés d'une fureur divine. Mais j'anticipe sur les mots poétiques, dont j'aurai à  parler plus tard.

53. Les jours pendant lesquels il est permis au préteur de prononcer certains mots judiciaires ont été appelés fasti, de fari; et ceux pendant lesquels il lui est interdit, sous peine d'expiation, de prononcer ces mots, ont reçu le nom de nefasti, de ne (adverbe négatif) et du même mot fari. De là effata, dernières paroles par lesquelles les augures annoncent hors de la ville la fin des auspices; effariaffari, mots sacramentels du même genre.

54. De là fana (temples), parce que les pontifes, en les consacrant, en annoncent la circonscription (fati sint finem); profanum (profane), la façade extérieure du temple, et profanatum, ce qui, dans les sacrifices est placé devant le temple. La dîme d'Hercule a été aussi appelée profanatum, parce qu'elle est vouée au temple. On l'appelle encore polluctum, de porricere (présenter). C'est pourquoi on consomait autrefois dans le temple tout ce qui était profane: ce que fait encore aujourd'hui le préteur en immolant publiquement une génisse à Hercule.

55. Du même mot fari on a fait fabula (pièce de théâtre, tragique ou comique); fassi et confessi (qui confessent ce qu'on leur demande);professi (promettant, avouant); fama (renommée); famosus (fameux). Il faut ajuster à ces dérivés fallere (tromper), falsum (fausseté) et fallacia (tromperie) : dont le racine fari implique l'idée d'une déception, causée par une parole, que le fait a démentie. Quand la déception ne repose que sur la chose, il n'y a pas là à proprement parler ce qu'on appelle fallacia, mais tralaticio (métaphore), comme dans pied de lit, et  dans poirée. Ajoutons enfin famigerabile (illustre) et autres mots composés, ou simplement comme déclinés comme fatuus (fat) et fatuae (devineresses).

56 Loqui (parler) vient de locus (lieu), puisque, suivant Chrysippe, autre chose est de parler des mots, autre chose de les émettre dans leur ordre et dans le lieu qui leur convient. Dans le premier cas, ce n'est point parler (loqui), mais bégayer (ut loqui, quasi loqui) ; et l'enfant ressemble alors au corbeau ou à la corneille, qui engendre des mots par imitation, mais qui ne parlent pas. Parler (loqui) est donc mettre sciemment chaque mot en son lieu (locus) : d'où proloqui, produire au dehors en parlant ce qu'on a dans l'esprit.

57. De là eloqui et reloqui, qui, dans les temples sabins, désignent l'action du dieu au fond du sanctuaire; loquax (qui parle de trop) eloquens (qui parle avec abondance); colloquium (entretien de plusieurs personnes). De là adlocutum ire (faire une visite de condoléance) mot en usage parmi les femmes; loquela (langage).Concinne loqui (être d'accord en parlant), de concinnus (concordant), parce que cet accord rappelle celui d'un chœur. Cette étymologie, du reste, n'est pas adoptée par tous les grammairiens.

58. Pronuntiare (prononcer) est composé de pro (devant) et enuntiare (énoncer), comme proludere (préluder). C'est pourquoi ce mot se dit des acteurs, parce qu'ils récitent souvent sur le devant de la scène les vers des poètes. Il est principalement applicable à ceux qui jouent une piece nouvelle. Car nuntius (nouvelle) vient de novus (nouveau), qui dérive peut-être du mot grec  νέος. Nos ancêtres disaient Novapolis au lieu du nom grec Neapolis.

59. De novus on a formé novissimus (dernier, extrême), que de mon temps, quelques vieillards, et entre autres Ælius, évitaient d'employer comme un mot trop nouveau. Novissimus est le superlatif de novus, comme veterrimus, par exemple, dont la racine est vetus (ancien). Novitas (nouveauté), novicius (novice), novalis (jachère), ont la même origine, ainsi que Sub novis, d'un quartier du Forum, qui est néanmoins très ancien, de même que le nom de rue Neuve, désigne une rue déjà fort ancienne.

60. Nominare (nommer) vient peut-être du même mot, parce que la connaissance (qui eas novissent) des choses nouvelles, qui étaient mises en usage, était suivie d'une dénomination. De là encore nuncupare (dédier, prononcer des vœux), parce que, dans les solennités religieuses, on se lie par de nouveaux vœux. Dans les actes judiciaires, nuncupare et nominare sont synonymes : on dit, par exemple, nuncupatae pecuniaeNuncupare a également le sens denominare dans ce vers d'un chœur : Énée ! car qui est-ce qui prononce mon nom (nuncupat) ? et dans cet autre : Qui es-tu, femme, qui m'as appelé d'un nom inaccoutumé (nancupasti) ?

61. Dico (je dis) vient du grec  δικάζω. On lit dans Ennius: Dico qui, etc. De dico on a formé dicere (dédier); judicare (juger), composé dedicere et de jus (droit, justice) ; judex (juge), qui rend la justice au nom de la loi, et en prononçant (dicendo) certaines paroles sacramentelles; dedicare (consacrer), parce que le magistrat qui consacre un temple en présence du pontife prononce également certaines paroles (dici). De là encore indicium (indice, denonciation);indicere duellum (déclarer la guerre); indicere funus (publier les funérailles); prodicere diem (assigner un jour); addicere iudicium(adjuger ou fixer le jour de jugement); dictum (bon mot d'une comédie); dictiosus (plaisant)) : dicta (commandement), terme militaire; didacta (ce qu'on dicte), terme d'école; dictator (dictateur), maître du peuple, nommé (dictus) par le consul; et autres mots anciens, comme : dicimonium (mendicité), dicis causa (pour la forme, par manière d'acquit), et addictus (assigné, enrôlé).

62. Docere (enseigner, faire connaître) vient, ou de dicere (dire), ou de inducere (introduire), parce que celui qui enseigne est comme le guide (dux ou ductor) de celui qui est enseigné. De docere on a fait discere (apprendre) et disciplina (discipline), qui n'en diffèrent que par quelques lettres, et documentum (document, précepte).

63. Disputalio (discussion) et computatio (calcul) viennent de putare (penser), qui, au propre, signifie purifier, éclaircir (purum facere). Les anciens disaient putus au lieu de purus. Celui qui émonde les arbres a été appelé putator, parce qu'il les éclaircit; et, par analogie, putare a servi à désigner l'action de penser, parce que la pensée éclaire, en quelque sorte, la raison. De là disputare, discuter, mettre une pensée dans un beau jour, à l'aide d'un discours dont les mots sont disposés avec ordre et clarté.

64. Disserrere (disserter) est une expression métaphorique, qui, au propre, signifie semer ou planter de coté et d'autre : d'où disertus (disert), parce que l'orateur ressemble au jardinier qui distribue avec ordre les semences et les plantes de son jardin. Sermo (conversation) dérive, je crois, de series (série, enchaînement): d'où serta (guirlandes), et sartum (raccommodé, cousu), en parlant d'un habit. Par conséquent sermo ne peut se dire dune seule personne, et implique l'idée d'interlocution. Serere (nouer, enchaîner) a produit conserere manum (en venir aux mains, livrer bataille), et la formule judiciaire : manum consertum vocare (appeler ad manum conserendam). De là aussi adserere manum in libertatem, mettre en liberté, ce qui se fait en prenant par la main celui qu'on affranchit. Les augures disent...

65.... et consortes (qui partagent le même sort), sortes (divinations), parce que le sort enchaîne les temps, les hommes et les choses. Desortes est issu sortilegi (devins). L'intérêt de l'argent a été appelésors, parce qu'il augmente le capital, de serere (unir, attacher).

66. Legere, cueillir, et, au figuré, lire, distinguer les lettres avec les yeux : d'où legati, magistrats choisis pour une mission publique;legulus, qui cueille des olives ou du raisin; legumina (légumes);leges (lois), parce que elles sont lues et annoncées au peuple afin qu'il ait à les observer; et legitima (formalités judiciaires). Collegae (collègues), de lecti (choisis) et cum (avec, ensemble); sublecti(substituts), de lecti et de sub (sous); allecti (adjoints), de lecti et deadcollecta (choses rassemblées de divers lieux en un seul), de cumet de legereLigna (bois) vient aussi de legere, parce qu'on recueille dans les champs le bois tombé des arbres pour en faire du feu. Ajoutons legio (légion), diligens (soigneux), et dilectus (chéri).

67. Murmurari (murmurer). mot imitatif, qui se dit d'une personne parlant à voix si basse, qu'elle semble plutôt vouloir faire entendre un son ou une parole inintelligible. De là murrnurantia litora (des rives murmurantes). Fremere (trembler), gemere (gémir), clamare (crier), crepare (retentir ), sont pareillement des mots imitatifs.  D'où : Arma sonant, FREMOR oritur; nihil me INCREPITANDO commoves.

68. Quiritare (plaindre publiquement), jubilare (appeler à grands cris), sont des mots analogues. Quiritare se dit de celui qui en appelle à haute voix aux Quirites. Quirites dérive de Curenses, qui étaient les habitants de Cures, qui s'associèrent avec le roi Tatius au peuple romain. Quiritare se dit des habitants de Rome; et jubilare, des gens de la montagne; ce qui a fait dire à Aprissius : Io bucco! — Quis me iubilat? etc. Triumphare (triompher) vient du cri : Io triumphe, que les soldats vainqueurs poussent dans la ville en accompagnant leur général au Capitole; ou bien du mot  θρίαμβος, surnom de Bacchus.

69. Spondere (promettre volontairement), de spons qui a le sens devoluntas (volonté). On lit dans Lucilius, parlant de Crétéa: cum ad se cubitum venerit sponte suapte  (de son plein gré), et spons a le même sens dans ce passage de Térence : Il vaut mieux faire le bien librement (sua sponte) que par crainte. Du même mot venant de la racine de spondere, on a formé respondere (répondre), desponsor(qui s'engage), sponsa (fiancée), etc., etc. Spondere se dit de celui qui s'engage le premier volontairement; et sponsor, de celui qui garantit cet engagement.

70. Sponsus (fiancé, qui s'engage à épouser) et consponsus sont synonymes. On lit, en effet, dans Naevius, consponsi (les fiancés ou du fiancé). Spondere se dit et de la dot et de la fille promise en mariage; car on lit dans les comédies : sponden tuam, etc.: promets-tu ta fille en mariage à mon filsSponsa désigne et la dot et la fiancée; sponsio, l'indemnité réciproquement stipulée pour le cas d'inexécution des conventions; sponsus, celui à qui une fille est promise en mariage; sponsalis, le jour des fiançailles.

71. Despondere (promettre sa fille en mariage), composé de spondere et de la préposition de, implique l'idée de démission de volonté; car celui qui promet sa fille en mariage est tenu d'exécuter sa promesse, sous peine d'être condamné par le préteur à ce que la loi ordonne, et par le censeur à ce que l'équité réclame. De là despondisse animum (se décourager), qui, comme despondisse filiam, suppose l'abandon de la volonté.

72. Respondere (répondre), composé aussi de spons et de dicere, indique par son étymologie que celui qui répond, obéit à la volonté (ad spontem) de celui qui interroge. C'est pourquoi l'on dit de celui dont les paroles ne satisfont pas d'une manière pertinente à la question qui lui a été adressée, qu'il n'a pas répondu; de même que ce n'est pas s'engager ni donner action contre soi, que de dire sans intention sérieuse : spondeo (je promets). Par exemple, dans ce passage d'une tragédie: Te souviens- tu de m'avoir promis ta fille en mariage? on sent qu'il ne s'agit pas d'une promesse sérieuse, qui puisse donner lieu à une action judiciaire.

73. Spes (espérance) vient peut-être aussi de spons, parce que l'espérance consiste à croire que ce qu'on souhaite (quod volt) peut arriver; car si l'on croit qu'il arrivera ce qu'on ne souhaite pas, on craint alors, on n'espère pas. Les personnages de l'Astraba, auxquels Plaute prête les paroles suivantes, sont dans ce dernier cas : Poursuis, Polybadiscus, poursuis; J'aspire à posséder l'objet de mon espérance. Je me hâte de toute l'ardeur qui m'entraîne vers toi, ô ma fiancée! Or, la volonté n'anime point ces paroles ; car le jeune homme n'espère pas véritablement ce qu'il dit, et la jeune fille n'est rien moins que sa fiancée et l'objet de son espérance.

74. Sponsorpraes et vas ont de l'analogie sans avoir la même racine. Ainsi on appelle praes celui à qui le magistrat adresse cette question : praesne es in publicum (êtes-vous caution envers le peuple)? et qui répond : praes. On appelle vas celui qui garantit la comparution d'un autre en justice. L'usage était autrefois de présenter un garant, lorsque par soi-même on n'était pas en état de satisfaire aux suites d'un procès ; mais depuis, pour prévenir les abus qui pouvaient résulter de cet usage, l'État prit des précautions contre ceux qui vendaient leur héritage pour n'avoir pas à fournir de cautionnement sur leurs biens; et la loi sur les mancipations interdit la faculté de présenter des garants.

75. Canere (chanter) et les composés accanit et succanit, ainsi que canto et cantatio, viennent de Camena (muse), dont la lettre m a été remplacée par nCantarecantitare sont des verbes fréquentatifs, qui dérivent de canereTibicen  (joueur de flûte), et les autres mots de cette espèce sont composés du nom de l'instrument et de canere (chanter), parce que les sons des instruments de musique tiennent du chant. Bucccinator (qui sonne de la trompette) est composé du même verbe et de bucca (bouche), parce que le son de la trompette ressemble à la voix.

76. Orare (dire, prier), perorare (pérorer) exorare (supplier), oratio (discours), orator (orateur) et osculum (baiser), dérivent de os (bouche). Omen (présage) et ornamentum (ornement) ont la même racine : omen, contraction de osmen, parce que les présages étaient originairement tirés du bec ou du chant des oiseaux; ornamentum, mot qui est aujourd'hui accompagné d'une préposition dans le langage commun, mais dont la plupart des auteurs dramatiques se servent, comme autrefois, sans préposition. De là encore oscines, nom des augures qui tirent des auspices du bec ou du chant des oiseaux.

77. Faire est le troisième degré de l'action. Ici la ressemblance entre agerefacere et gerere a fait croire communément que ces trois mots étaient synonymes. Cependant facere n'implique pas agere. Ainsi un poète facit fabulam (compose une pièce), non agit (il ne la joue pas) et réciproquement un acteur agit (joue une pièce), et ne l'a pas faite (facit). Gerere, à son tour, n'implique ni facere ni agere,  et se dit d'un général d'armée, qui porte (gerit) comme un fardeau le commandement qui lui a été confié.

78. Facere vient directement de facies (face, figure), parce que celui qui fait une chose la réalise par une figure. Il faut ranger dans la même classe fingere (façonner), informare (former) qui désignent l'action de donner à une matière la forme d'un vêtement, d'un vase, etc. Agere nous paraît, plutôt que facere , convenir à celui dont l'oeuvre ne tombe pas sous les sens ; mais comme, dans le langage usuel, on n'observe pas toujours l'acception rigoureuse de chaque mot, on se sert indistinctement de facere et de agere, et l'on dit par métaphore, d'un orateur qui parle: facit verba; et de celui qui applique son esprit à une action qui ne consiste pas proprement à faire : non est inficiens (il n'est pas oisif, il fait quelque chose).

79.... Lucere (luire) vient de luere (délier, dissoudre), parce que la lumière (lux) dissout les ténèbres. Lugere (porter le deuil), de lux, parce que le deuil a pour cause le regret de ceux qui ont perdu la lumière. Acquirere (acquérir) est composé de la préposition ad et de quaerere (chercher); et quaerere, de quae res, parce que celui qui cherche s'efforce de trouver quelque chose. Quaerere a produit quaestio (question) et quaestor ( questeur).

80. Video (voir) vient de vis (force), parce que la vue est le plus étendu des cinq sens. En effet, aucun des autres sens ne peut percevoir ce qui est au-delà de mille pas, tandis que la vue s'étend jusqu'aux étoiles. De videre on a fait visere (visiter), vigilare (veiller), vigilium (veille), et invidere (envier). Cette étymologie d'invidere est confirmée par le passage suivant d'Attius : Celui qui regarde une chose qui ne doit pas être vue (invidendum) la viole par les yeuxViolare (violer) dérive également de videre. On emploie ce mot, de préférence à vitiare (souiller), pour désigner l'outrage fait à la pudeur d'une vierge, de méme que cum muliere fuisse (avoir commerce avec une femme) est une expression plus réservée que concubuisse (coucher avec une femme ). 

81. Cerno a le même sens que video, témoin ce passage d'Ennius : Est-ce la lumière d'un astre que je vois (cerno) dans le ciel? et celui-ci de Cassius : Je vois (cerno) que les membres sont doués de sensibilité et de mouvement. Cerno vient de cereo, c'est-à-dire creo(créer), parce que ce qui est créé tombe sous le sens de la vue. Discrimen désigne la séparation faite par le peigne, et qui laisse voir chaque cheveu distinctement. Le mot cernito, employé dans les testaments, contient implicitement cette injonction : FACITO UT VIDEANT te esse haeredem (fais voir que tu es héritier.) C'est pourquoi dans l'acceptation de la succession (in cretione) on est tenu d'avoir des témoins. Le poète fait dire à Médée : J'aimerais mieux risquer trois fois ma vie (cernere vitam) sur un champ de bataille, que d'enfanter une seule fois. Dans ce passage, l'expression cernere vitam (combattre) s'explique par ce qui se passe dans un combat : lutte sanglante, où plusieurs voient la fin de leur vie.

82. Spectare (regarder) vient de l'ancien mot specio, qui se trouve dans Ennius : après que l'hôte vous eut regardé (spexit ). On le retrouve aussi dans spectio, terme employé dans les auspices, où l'on distingue les augures qui ont ce qu'on appelle spectio (inspection), et ceux qui ne l'ont pas. Avem specere est encore aujourd'hui un terme d'augure. L'usage a conservé cet ancien mot dans les verbes composés aspicioconspiciorespiciosuspiciodespicio, etc., au nombre desquels est exspecto (j'attends), c'est-à-dire spectare volo (je veux regarder). De là specula (lieu élevé, d'où l'on voit ce qui se passe au loin) ; speculum (miroir); speculator (éclaireur, qui va à la découverte); specillum, petit instrument à distiller dans les yeux, par lesquels nous voyons (quibus specimus).

83. Audio (entendre) et ausculto (écouter) paraissent venir de aures(oreilles). Auris (oreille), de aveo, parce que nous sommes continuellement avides d'apprendre quelque chose de nouveau. Ennius semble confirmer cette étymologie dans ce passage de la pièce intitulée Alexandre : Depuis longtemps mon âme et mes oreilles désirent avidement (avent avide), etc. C'est à cause de cette avidité que les théâtres sont toujours pleins. Ausculto vient de audio, et désigne l'action d'obéir à ce qu'on a entendu : ce qui a fait dire à un poète : audioausculto. Le changement d'une lettre a fait olor(senteur), de odor (odeur). Ces deux mots ont produit olere (exhaler quelque odeur), odorari (flairer), odoratus (odorat), et odora res (chose odoriférante).

84. Edo (manger), sorbeo (avaler, absorber), bibo (boire) et poto (id.) ont pour racine os (bouche). De là esculentum (aliment), esca (nourriture), edulia (comestibles). Gustat (goûter) vient de grec γεύεται.  Sorberebibere, sont des mots imitatifs, comme fervere (bouillonner). Du grec  πότος est encore venu potio (action de boire, bolsson) : d'où poculum (coupe), potatio (action de boire), repotia (repas du lendemain des noces). Puteus (puits) a aussi une origine étrangère, et vient de l'ancien mot grec  πύτεος, remplacé aujourd'hui par  φρέαρ.

85. De manus ( main) on a fait manupretium (prix de la main-d'oeuvre); mancipium (achat, esclave), composé de manus et decapere (prendre); manipulus (bataillon), composé de manus (poignée d'hommes) et de plures (plusieurs); manipularis (compagnon) ;manica (manche de vêtement); manubium (partie par où l'on prend certains instruments) ; mantelium (essuie-main).

86. Je citerai d'abord les registres des censeurs : Après avoir pris les auspices pendant la nuit, dans le temple de la  censure, ordre sera donné en ces termes au héraut (praeco) de convoquer le peuple :  «Au nom du peuple romain, à qui fassent les dieux que cela soit utile, propice et salutaire, ainsi qu'à mon collègue et à moi, convoque (voca inlicium) ici auprès de moi les citoyens de toute classe, etc.

87. Le héraut fait deux convocations : la première dans le temple, et la seconde du haut des murs.
A l'aube du jour, le censeur, les scribes, les magistrats, se parfument de myrrhe et de substances odiférantes.
Lorsque les préteurs, les tribuns du peuple et les autres magistrats convoqués, sont arrivés, les censeurs tirent entre eux au sort le nom de celui qui doit présider au lustre.
Ensuite le censeur, chargé de cette fonction rassemble le peuple dans le nouveau temple.

88. Je lis dans les archives consulaire : Celui qui doit commander l'armée dit au héraut (accensus) : Calpurnius, ordonne à tous les Romains de se rassembler ici auprès de moi (voca inlicium).
Le héraut dit : Romains, rassemblez-vous tous ici devant les juges (inlicium vos ite). Le consul dit : Calpurnius, convoque tous les Romains (voca ad conventionem), etc. Ensuite le consul dit aux soldats  : Je vous ordonne de vous rendre au lieu où  s'assemblent les centuries.

89. Praeco et accensus sont employés indistinctement pour désigner le héraut, parce que, de même que l'officier public appelé praeco, celui qu'on appelle accensus convoquait le peuple, acciebat, d'où accensus. Cette étymologie est attestée par le vers suivant de la comédie intitulée Boeotia, qu'on attribue à Aquilius : Dès que le héraut (accensus ) eut annoncé l'heure de midi. Cosconius dit aussi, en parlant des actes judiciaires, que le préteur a coutume d'ordonner au héraut, appelé accensus, d'annoncer la troisième heure, ainsi que celle de midi et la neuvième.

90. Un héraut était envoyé autour des murs (circum muros), pour inviter le peuple à se rendre dans ce lieu, d'où il pût lui signifier l'ordre de paraître, non seulement devant les consuls et les censeurs, mais encore devant les questeurs. C'est ce qu'indique un ancien acte de poursuite criminelle rédigé par le questeur M. Sergius Manius le fils, accusateur de Trogus, et dans lequel on lit :
Va prendre les auspices dans le temple, pour les communiquer au préteur ou au consul. Que le crieur public se rende sur les murs, et prie l'accusé de comparaître devant toi.
Que le héraut sonne du cor à la porte de la maison de l'accusé et dans la citadelle.

91. Dis à mon collègue de convoquer le peuple du haut de la tribune et d'ordonner aux banquiers de fermer leurs boutiques. Que les sénateurs te commettent pour rechercher et faire comparaître l'accusé. Que les magistrats décrètent que les consuls, les préteurs, les tribuns du peuple et tes collègues, se rassemblent, à ta voix, dans le temple, et que, après les avoir congédiés, tu  convoques l'assemblée du peuple.

92. A la fin du même acte d'accusation, on lit : Que les hérauts, chargés par les censeurs de convoquer les centuries au son de la trompette, aient soin que, le jour des comices, la trompette donne le signal dans la citadelle et autour des murs, ainsi qu'à la porte de la maison de l'accusé T. Quinto, Trogus, et qu'il ait à comparaître, à l'aube du jour, dans le champ de Mars.

93. II résulte évidemment de ce qui se passait entre l'envoi du héraut autour des murs (circum muros) et la convocation de l'assemblée publique, que ces deux actes n'avaient pas lieu dans un temps continu. Quant à l'assemblée des comices, elle est alors convoquée, parce que le questeur ne peut autrement réunir l'armée urbaine : ce que peuvent faire, au contraire, le censeur, le consul, le dictateur et le magistrat temporaire (interrex) ; et cela, parce que le censeur fait décréter, dans l'assemblée des centuries, la formation d'une armée quinquennale, à l'époque du renouvellement du lustre; et quant au dictateur et au consul de l'année, parce qu'ils peuvent commander l'armée partout où elle va : ce qui explique, à l'égard du questeur, la nécessité de convoquer l'assemblée des comices par centuries.

94. C'est pourquoi il n'est pas douteux qu'il n'y ait ce qu'on appelle inlicium (invitation, convocation), lorsque le héraut va autour des murs pour inviter le peuple à comparaître devant le magistrat, qui doit ordonner aux Romains de se rendre dans un lieu d'où la voix du héraut puisse être entendue. Inlici ( être attiré) et inlicis (tu attires), qu'on lit dans le choeur de Proserpine, ont donc la même origine, ainsi que pellexit qui se trouve dans ce passage de l'Hermione de Pacuvius : La possession d'un trône étranger l'a séduit (pellexit). Il faut de même reconnaître dans elicere (tirer de, faire sortir) le surnom de Elicius, donné à Jupiter, qui a, sous cette invocation, un autel sur le mont Aventin.

95. Contrairement aux usages anciens, un augure assiste le consul qui commande l'armée, et lui dicte ce qu'il doit dire. C'est à l'augure, et non à l'officier public dit accensus ou praeco, que le consul ordonne de convoquer l'armée. Cet usage est venu, je crois, de ce qu'il n'avait point de héraut auprès de lui, et que le choix de la personne chargée de ce soin importait peu. Cet ordre était accompagné, pour la forme, de certaines pratiques, qui variaient souvent. J'ai trouvé aussi, dans les actes de M. Junius, inlegiuminlexit, pris dans le même sens queinliciuminlexit : ce qui ne doit pas étonner, à cause de la grande affinité de la lettre I avec la lettre E, et de la lettre C avec la lettre G.

96. Comme, dans ce livre, je me suis beaucoup étendu sur l'étymologie d'un petit nombre de mots, je vais procéder d'une manière toute contraire, en me bornant à énumérer ceux qui passent pour avoir une origine grecque. Tels sont scalpere (gratter, sculpter), de  σκαλεῦσαιsternere (étendre à terre), de  στρωννύεινlingere (lécher), de  λιχμᾶσθαι; i(va), de  εἶite (aller), de  ἴτεgignitur(engendrer ), de   γίγνεταιferte (portez), de  φέρετεprovidere(prévoir), de  προιδεῖνerrare (errer), de  ἐρρεῖνstrangulare (étrangler), de  στραγγαλᾶν ; tinguere (tremper), de  τέγγειν;....malassare (pétrir, amollir), de  μαλάσσεινgargarissare (gargariser), d’ἀναγαργαρίζεσθαιputare (penser),  de  πυθέσθαιdomare(dompter), de  δαμάζεινmulgere (traire),  de  ἀμέλγειν ; pectere (peigner), de  πέξαι ; stringere (serrer étroitement), de  στραγγαλίσαι, qui vient de  στραγγαλὶς, de même que runcinare (raboter) vient derumina (rabot), qui a pour racine le mot grec  ῥυκάνη.

 97. Je crois avoir suffisamment approfondi les origines des mots qui font l'objet de ce livre; je m'arrêterai donc : et puisque je me propose de vous adresser trois livres sur cette matière savoir, deux livres sur les mots du langage prosaïque, et un livre sur les mots du langage poétique; et que de ces trois livres vous en avez déjà reçu deux, le premier sur les noms des lieux et des choses qui sont dans les lieux, et le second sur les noms des temps et des choses qui se font dans le temps, je traiterai dans le prochain livre des origines des mots poétiques.

LIVRE VII

1. …… La forme primitive disparaît; de sorte que, en perdant une ou plusieurs des lettres qui le composaient, un mot devient méconnaissable, et ne permet plus de retrouver, sous ses ruines, les traces de son origine. Il ne faut donc pas blâmer ceux qui, pour éclaircir la signification cachée dun mot, y ajoutent ou en retranchent des lettres, de même que, pour aider les yeux à voir plus distinctement les petits ouvrages de Myrmécide, on les entoure extérieurement de soies noires.

2. Cependant, malgré les efforts des grammairiens pour réparer ce que le temps a détruit, les mots dune origine obscure ne laissent pas dêtre très nombreux. Si les poètes, qui ont conservé beaucoup de mots anciens, en avaient en même temps expliqué la signification primitive, la lecture de leurs ouvrages serait infiniment plus utile; mais, en vers comme en prose, il nest pas possible de rendre raison de tous les mots; et même en lisant beaucoup, si la lecture nest pas accompagnée dune profonde étude de la grammaire, on ne doit pas espérer de faire de grandes découvertes. Un des plus savants grammairiens latins, Aelius, a essayé dinterpréter les Saliens; mais combien cette interprétation est superficielle! Que de mots anciens dont lorigine lui est restée cachée!

3. Cela na rien détonnant, puisque non seulement Epiménide, après avoir dormi pendant cinquante ans, ne fut reconnu, à son réveil, que par un petit nombre de personnes, mais encore Teucer (dans la tragédie de Livius) ne fut reconnu, après quinze ans, par aucun des siens. Or, quest-ce quun espace de quinze ans et même de cinquante ans, comparé à lâge des mots poétiques? En admettant même que les chants des Saliens ne remontent pas au-delà du règne de Numa, nous ne comptons pas moins de sept cents ans. Comment oseriez-vous reprocher à un écrivain de ne pas connaître le quadrisaïeul ou le père du quadrisaïeul dun homme célèbre, puisque vous-même vous ne sauriez nommer la mère de votre aïeul ou du père de votre quadrisaïeul? Or cette époque, où ne peut atteindre votre mémoire, touche à peine à la moitié du temps qui nous sépare de lépoque où furent composés les chants Saliens et les premiers essais de la poésie romaine.

4. Il faut donc, dans le jugement quon porte des étymologistes, voir plutôt ce quils ont fait que ce quils nont pas fait, leur savoir gré de ce quils ont découvert, sans leur faire un reproche de ce quils nont pu découvrir, puisquils sont les premiers à déclarer quil nest pas possible de rendre raison de tous les mots, dont, en effet, létymologie nest pas toujours aussi claire que celle de medicina  (médecine). Quoique je ne voie pas les racines du poirier, je puis dire néanmoins que la poire vient de la branche; la branche, de larbre; larbre, des racines. Ainsi létymologiste qui, sans savoir doù vient equus  (cheval), enseigne que equitatus  (équitation, cavalerie) vient de equites (cavaliers); equites de eques  (cavalier); eques de equus ne laisse pas davoir fait beaucoup pour la science, et de mériter quon lui sache gré de son travail.  J’essayerai donc de marcher sur ses traces.

5. Je rechercherai, dans ce livre, les origines des mots poétiques, en traitant 1° de ceux qui désignent les lieux; 2° de ceux qui désignent les choses qui sont dans les lieux; 3° de ceux qui désignent les temps; 4°de ceux qui désignent les choses qui se font dans le temps. Je moccuperai aussi quelquefois, par digression, des mots que lanalogie et laffinité me feront rencontrer sur mon chemin, en observant toutefois lordre distinct de ma quadruple division.

6. Je prends pour début le vers suivant: Unus erit etc. : Il sera le seul que tu transporteras dans les temples azurés du ciel (templa). Templum  se prend dans trois acceptions différentes, soit par rapport à la nature ou au ciel, soit par rapport aux auspices ou à la terre, soit par rapport aux enfers et par analogie. Dans lordre céleste, le mot templum  a le sens que lui donne ce vers dHécube : Vastes temples des dieux, dont la voûte est ornée détoiles étincelantes. Dans lordre terrestre, il a celui quindique le passage suivant de Péribée : Il approche des âpres rochers, temple de Bacchus. Enfin, par analogie, il désigne le monde souterrain, comme dans ce vers dAndromaque: Salut, temples achérusiens, profondes demeures de Pluton !

7. Templum  dérive de tueri  (voir, regarder), et désigne proprement tout lespace que peut embrasser la vue. Cest pourquoi le ciel a été appelé temple De là ce vers : Le vaste temple de Jupiter Tonnant a tremblé. On peut le définir, avec Naevius : Un hémisphère azuré. On distingue quatre parties du ciel : la gauche ou orientale; la droite ou occidentale; lantérieure ou méridionale; la postérieure ou septentrionale.

8. Le temple terrestre est lespace désigné, par certaines paroles sacramentelles, pour lobservation du vol des oiseaux. Ces paroles ne sont pas les mêmes en tout temps et en tout lieu.  Dans la citadelle, l’augure dit : Templa tescaque etc.

9.Le temple, comme on le voit, était un espace limité par des arbres, et dans lequel lobservation augurale était circonscrite. De là templum  (temple) et contemplare (contempler), qui ont pour racine tueri  (regarder), et qui se lisent dans ce vers de la Médée dEnnius: Contempla et templum etc. Contempla et conspicare  doivent donc être regardés comme synonymes. Cest pourquoi laugure employait ces mots dans la consécration du temple appelé conspicio laquelle consistait à déterminer lespace où le regard (oculorum conspectus était circonscrit. Cortumio  , composé de cor (cœur) et de tueri (regarder), indique cette vue de lurne, qui aide à celle des yeux (conspicio).

10. Tesca qui suit le mot templa, suivant les interprètes des mots peu usités, a le sens  de sancta  (saint); mais cette interprétation est fausse; car la curie Hostilienne est un temple, et nest pas sainte. Ce qui leur a fait penser quun temple est toujours saint, cest que dans Rome la plupart des édifices religieux sont à la fois des temples et des lieux saints, et que certains lieux agrestes, consacrés à quelque divinité, sont appelés tesca.

11. On lit en effet, dans le Philoctète dAccius : Qui es-tu, toi qui es venu dans ces lieux déserts et sauvages (tesca)?  Accius définit ce mot dans les vers suivants : Tu vois les rivages solitaires de Lemnos, et les sanctuaires témoins des antiques mystères des Cabires. — Tu vois, au pied de ces collines, le temple de Vulcain, qui fut, dit-on, précipité du ciel dans cette île. — Là est la forêt fumante, doù le feu a été dérobé pour être communiqué aux mortels. Cest donc avec raison quAccius a appelé ces lieux tesca non pas à cause de leur sainteté, mais parce que, là où lon célèbre des mystères, les assistants regardent (attuentur doù tuesca).

12. Tueri  a deux acceptions : il signifie 1° défendre, comme dans ces deux passages dEnnius : tueor te senex etc.; — quis pater... tueri 2° avoir soin de, protéger, comme dans bellum tueor, tueri villam doù vient que certaines personnes appellent le gardien dun temple  œdituus et non œditomus Du reste, lorigine dœditomus  a de lanalogie avec celle dœdituus car lorsque nous chargeons quelquun du soin de notre maison, nous lui disons : Tu domi videbis comme Plaute, dans ce passage Aie soin de lintérieur, surveille attentivement tout ce qui se passe. Cest ainsi que vestispica  (femme de charge, qui a soin des habits et du linge) vient de vestis (vêtement) et de spicere  (inspecter). Cest pourquoi templa  et tesca  viennent de tueri mais avec la différence que jai signalée.

13. Extemplo employé par Ennius dans ce vers : Extemplo acceptum etc. : tue-moi SUR-LE-CHAMP avec mon fils, a la même racine. Il a la même signification quecontinuo (de suite), parce que tout temple doit être continu et navoir quune entrée.

14. Passons à ces vers dAccius : Parcours le pôle, et les astres brillants qui composent les douze signes de la sphère céleste. Polus  est grec,et signifie le cercle du ciel; ainsi pervade polum  a le sens de vade  περὶ  πόλον (va autour du pôle). Signa  et sidera  sont synonymes : signa fait entendre que les constellations représentent quelque chose (significant , comme la Balance, qui désigne léquinoxe; sidera  vient de insidere (être assis), parce que les astres reposent sur la voûte céleste. Signa indique encore les rapports que les astres ont avec la terre, gomme signes de la grande chaleur ou de tout autre phénomène; ce qui a fait dire : La canicule est un signe funeste au troupeau.

15. Nous lisons dans un poète : Je parcourrai les sinuosités de la terre (anfracta).Anfractum  est composé de ambitus (circuit) et de frangere  (briser), et veut dire courbe ; cest en ce sens que ce mot est pris dans les lois, qui ordonnent quil y ait huit pieds en ligne directe, et seize pieds in anfracto cest-à-dire en ligne courbe.

16. Ennius a dit: Ut tibi Titanis Trivia etc. Titanis Trivia  est Diane, appelée Trivia, ou de ce que les Grecs placent ordinairement sa statue dans les carrefours, ou de ce que la lune se meut en hauteur, en largeur et en longueur, et parcourt ainsi trois chemins (tres viœ dans le ciel. Elle est surnommée Titanis parce quelle a pour mère Latone, fille de Titan. Latone, dit Manilius, est née du Titan Cœus.  On lit dans le même auteur : La chaste Latone, aimée de Jupiter, mit au monde deux dieux jumeaux (Apollon et Diane)dans lîle de Délos 

17. O sancle Apollo, qui umbilicum etc. Umbilicus  est, dit-on, employé ici dans un sens métaphorique, et désigne le milieu de la terre, parce que le nombril est placé au milieu du corps humain. Cest une double erreur. Delphes nest point placée au milieu de la terre, et le nombril nest point placé non plus au milieu du corps humain. Ainsi, dans la figure quon appelle  ἡ  χθὼν  Πυθαγόρα (la terre de Pythagore), le centre du monde est placé au-dessous du nombril, dans la partie du corps qui distingue les deux sexes, et où lhomme reçoit la vie; de même que tout ce qui existe prend naissance au milieu du monde, cest-à-dire sur la terre, qui est placée au centre de lunivers. En admettant même que la terre ressemble à une boule, Delphes nen occupe pas le milieu. Il ne faut donc pas entendre umbilicus  dans ce sens. Ce mot vient d’ὀμφαλὸς, nom que les habitants de Delphes donnent à une éminence convexe qui sélève dans une partie latérale du temple, et qui passe pour être le tombeau de Python.

18. On lit dans Pacuvius: Calydonia altrix terra etc. La terre ou contrée de Calydon  désigne ici, par synecdoque, lEtolie entière, dont Calydon nest quune partie, de même que Tusculum nest quune partie de lEtrurie; mais, par le privilège de la poésie, Pacuvius sexprime ainsi, quoiquil ny ait pas de contrée du nom de Calydon.

19. Mystica qui se lit dans ce vers dAccius :  Mystica ad dextram etc., est une épithète donnée aux mers dont il parle, par allusion aux mystères qui se célèbrent dans le voisinage avec une grande solennité. Areopagitœ  (aréopagites), mot qui se trouve dans ce passage dEnnius : Areopagitœ quidem etc., dérive de Areopagus nom dun lieu dAthènes où se rendait la justice.

20. Muses, qui foulez de vos pieds les cimes élevées de lOlympe. Olympe, nom dune montagne de la Macédoine, désigne chez les Grecs le ciel même. Cependant je crois que les Muses ont été appelées Olympiades, du nom de la montagne même, plutôt que du nom métaphorique du ciel; de même quelles doivent leurs surnoms de Libéthrides, Pimpléides, Thespiades, Héliconides à divers autres lieux terrestres.

21. Dans ce passage: Hellespontum et claustra,  Cassius fait peut-être allusion par le mot claustra au pont jeté par Xerxès sur lHellespont, qui fut alors, pour ainsi dire, fermé (clausus); ou plutôt au canal qui sépare lEurope de lAsie, et enferme les eaux de la Propontide dans une gorge étroite.

22. On lit dans Pacuvius : Liqui in Aegeo freto. Fretum  (bras de mer) vient de fervere  (bouillonner), parce que les flots sont souvent agités dans les détroits et les bras de mer. Aegeum de aeges  (chèvres), nom donné à certains rochers de la mer Égée, à cause de leur ressemblance avec une tête de chèvre.

23. Ferme aderant œquore, etc La mer a été appelée œquor parce que sa surface est unie (œquatum quand le vent ne souffle pas. Le poète a voulu désigner par rates de longs navires, de même que Naevius dans le passage suivant: Non ferre queant ratem, etc. Les navires longs ont été appelés rates à cause des rames, qui sétendent de chaque côté sur les flots, et semblent former deux radeaux (rates); car ratis dans le sens propre, signifie radeau ou train de bois. Cest ce qui a fait donner le nom de ratiariœ  aux petits navires quon fait voguer avec des rames.

24.... Agrestis  (champêtre), de ager  (champ). Les victimes, dites infulatœ étaient ainsi appelées à cause du voile de laine, nommé infula dont on les couvrait 

25. In cornuatam tauram etc. Cornuata  dérive évidemment de cornu (corne); cornu , de  curvor  (courbure), parce que la plupart des cornes sont recourbées.

26. Apprends que nous avons donné aux Muses le nom de  CasmenœCasmenœ  est un ancien mot qui sécrivait ainsi originairement. Carmenœ qui a cours ailleurs, a la même origine. Dans beaucoup de mots anciens, la lettre a été remplacée par la lettre r, comme on peut le voir dans ce passage du chant des Saliens :  Cozeulodoizeso; omnia vero etc.

27.... On dit aujourdhui fœderum  pour fœdesumplurima  pour plusimameliorem pour meliosemarenam  pour asenamjanitor  pour janitos Cest ainsi que casmena  est devenu carmena doù carmina, carmen  (vers, poème). Enfin la suppression de lr a produit camena De ce mot est issu canite  (chantez), quon trouve écrit cante dans ce vers des Saliens : Divum empta cante etc.

28. On lit dans le poème intitulé Priam: Veteres Casmenas caseum rem etc. Caseus est un mot sabin, qui veut dire vieux, et qui a passé dans la langue osque. Cette signification est confirmée par ce vers dEnnius Quam prisci casci etc., et par ce passage de Manilius : Cascum duxisse cascam etc. : Il nest pas étonnant quun vieillard ait épousé une vieille : Caron présidait au mariage. On en trouve encore la preuve dans cette épigramme de Papinien contre un jeune homme nommé Casca : Il est ridicule, jeune fils de Potonius, dentendre ta vieille maîtresse tappeler Casca. Appelle-la petite fille: ainsi un âne grattera lautre; car tu es un enfant; et ta maîtresse, une décrépite.

29. Je citerai en outre, à lappui de cette étymologie, le mot Casinum nom dune ancienne ville habitée par les Samnites, peuple issu des Sabins, et par lequel on désigne encore aujourdhui lancien forum. Dans plusieurs atellanes un vieillard est appelécasnar, nom osque.

30. On lit dans Lucilius : Quid tibi ego ambages etc. : A quoi bon te décrire les voies détournées dAmbivius? Ambages (détours) a pour racine ambe (autour), comme ambitus (circuit, ambition) et ambitiosus  (ambitieux).

31. On lit dans Valérius Soranus : Cest un vieil adage (adagio,) ô P. Scipion. Adagio est tellement tombé en désuétude, que le mot grec  παροιμὶα, qui la remplacé, est plus significatif. Au reste, ils désignent tous les deux une maxime vulgaire, comme:Je tiens le loup par les oreilles. — Les chiens ne se mangent pas entre eux. Adagio est une altération dabagio, mot dérivé dambire  (entourer), parce quun proverbe est toujours accessoire, et cité à lappui de ce quon dit. Adagio a, dans sa composition, quelque ressemblance avec adustum  (cuit autour), et me remet en mémoire la victime appelée ambiegna  par les augures, qui était une génisse, autour de laquelle on immolait des agneaux.

32. Il y a trois parties quil faut étudier simultanément dans lorigine des mots : 1°la chose doù le mot est tiré; 2° la chose que ce mot sert à désigner; 3° et enfin le mot lui-même. Or, il arrive souvent quon est aussi embarrassé sur le troisième point que sur le premier. Par exemple, a-t-on dit originairement canis  ou canes car nous voyons que les anciens disaient canes au singulier, pour désigner un chien : témoin ce passage dEnnius: Tantidem quasi feta  CANES, etc.; et cet autre de Lucilius: nequam.... immanis CANES ut.  On a dû dire originairement canis  au singulier, et canes au pluriel; mais Ennius qui a dit canes au singulier, et celui qui dit aujourdhui canis caninam non est, proverbe que jai cité plus haut, sont irrépréhensibles, et absous par lusage. Canis dérive de canere, parce que les chiens comme des trompettes (ut signa canunt donnent le signal par leurs aboiements. Latratus  (aboiement), de latere, parce quils avertissent pendant la nuit de ce qui est caché dans les ténèbres.

33. De même quon voit quelquefois canes au singulier, on rencontre aussi trabes au lieu de trabs  (poutre, et, au figuré, navire, arbre), comme dans ce vers: TRABES remis, etc.; et dans ce passage dEnnius: utinam ne in nemore.... ad terram  TRABES.

34. On lit dans le Medius: Cœlitum camilla etc. Camilla, suivant les glossateurs (interprètes des mots peu usités), a le sens de administra (intendante). Eclaircissons, en passant, dautres mots analogues, qui ont quelque obscurité. On appelle camillus  celui qui, dans les noces, porte la corbeille de la mariée, dont la plupart des autres serviteurs ignorent le contenu. De là le nom de Casmilus, donné dans la Samothrace à un ministre particulier des mystères des grands dieux. Je crois que ce mot est dorigine grecque, pour lavoir rencontré dans les poèmes de Callimaque.

35.On lit dans Ennius : subulo quondam etc. Subulo nom des joueurs de flûte chez les Tusques, dont il faut par conséquent chercher la racine dans lEtrurie, et non dans le Latium.

36. Versibus quos... Fauni vatesque etc. Fauni dieux des Latins, qui sont Faunus et Fauna Suivant la tradition, ils habitaient les bois, et prédisaient lavenir dans des vers quon appelle saturniens; ce qui les a fait appeler Faunes, de fari (dire). Vates nom donné anciennement aux poètes, dérive de versus (vers) et de viere  (lier), comme je le démontrerai en parlant des poètes.

37. Corpore Tartarino etc. Tartanino  (infernal , horrible), de Tartarus  (Tartare), un des quatre fleuves des enfers, dont Platon fait mention. Ce nom est par conséquent dorigine grecque. Paluda  (vêtue pour la guerre), de paludamenta (insignes et ornements militaires). De la paludatus  (équipé pour la guerre), en parlant du général qui part pour la guerre, après que les licteurs lont revêtu des insignes du commandement, et que la trompette a donné le signal. Paludamentum a pour racine palam parce que ceux qui portent ces insignes se trouvent mis en vue (fiunt palam et attirent les regards.

38. Plaute a dit Epeum fumificum etc. Epeus fumificus notre Épéus de cuisine, par allusion au célèbre Epéus qui construisit le cheval de bois et préparait le dîner des Atrides.

39. On lit dans Naevius Atque prius... Lucam bovem On explique de deux manières lorigine de luca bos  (éléphant). Je lis dans un ouvrage de Cornélius : Lucasvient de Libyci  (Libyens) ; et dans Virgile: Lucas vient de Lucani  (Lucaniens), parce que le bœuf était le plus grand quadrupède que connussent les Romains, et quen voyant, dans la Lucanie, les éléphants de larmée de Pyrrhus, ils donnèrent le nom de Luca bos  à ces quadrupèdes, qui leur étaient inconnus, et quils prirent pour des bœufs de Lucanie, à cause de leurs cornes; car les prétendues dents de léléphant sont de véritables cornes.

40. Si Luca dérivait de Libya pourquoi ne donnerait-on pas le même nom aux panthères et aux lions, que nous appelons bêtes dAfrique ? De même, si Luca venait de Lucani pourquoi donne-t-on le nom de Lucani  aux ours, et non pas celui de Luci? Je pense donc que Luca vient de lux (lumière), parce que les éléphants reluisaient au loin (relucebant), à cause de lor des boucliers de Pyrrhus, dont les tours que portaient ces animaux étaient ornées.

41. On lit dans Ennius Orator sine pace redit etc. Orator de oratio  (discours), désigne lorateur qui haranguait publiquement celui vers lequel il était député. Lorsque laffaire était importante, on choisissait pour orateurs ceux qui savaient le mieux débattre une question.  C’est pourquoi Ennius a dit: oratores doctilo qui.

42. Dans cet autre vers dEnnius olli respondet etc. olli  a le sens de illi (àlui), et vient de olla  (elle, cette) et de ollus (il, lui, cet), dont lun est employé dans les comices par le héraut olla centuriaau lieu de illa centuria et lautre, dans lannonce des funérailles: ollus  (ille) leto datus est. Letum  (mort) vient du mot grec  λήθη (oubli).

43. On lit dans le même poète: Mensas constituit idem que ancilia. Ancilia (bouclier), de ambecisus parce que ces boucliers sont échancrés (incisa des deux côtés (ambo),  comme ceux des Thraces.

44. Libaque, fictores etc. Liba  (gâteaux sacrés), de libare  (offrir aux dieux).Fictores  (ceux qui faisaient ces gâteaux), de fingere  (former, façonner). Argei  (Argiens), de Argis  (Argos) : cétaient les simulacres en joncs de vingt-quatre Argiens, que les prêtres jetaient publiquement tous les ans du pont Sublicius dans le Tibre. Tutulati nom de ceux qui, dans les sacrifices, portent sur la tête quelque chose qui ressemble à une pyramide, et quon appelle tutulus soit parce quon donne ce nom à la touffe de cheveux, liée par une bandelette, qui surmonte la tête des dames romaines, soit parce que cette espèce dornement protège la chevelure (tuetur), soit enfin parce que la citadelle (arx),  qui est la plus haute partie de la ville, est appelée tutissimum  (lieu très sûr).

45. Numa Pompilius, dont Ennius parle dans le passage cité, créa les flamines, qui tous ont emprunté des surnoms aux noms des dieux, au culte desquels ils furent attachés; mais, de ces différents surnoms, les uns ont une origine manifeste, comme Martialis  et Quirinaliset les autres une origine obscure, comme la plupart de ceux qui sont mentionnés dans ces vers VolturnalemPalatualem etc. Ils dérivent de Volturnus de Palatua de Furrina de Flora, de Falacer et de Pomona.

46. On lit encore dans Ennius : Jam cata signa, etc. Cata, mot usité chez les Sabins, a le sens de acuta  (aigu, fin). Cest pourquoi, dans ce passage catus Aelius Sextuscatus  signifie acutus (fin), et non sapiens (sage, savant), comme on le croit communément. De même, dans cet autre passage tum cepit... cala dicta il faut entendre cata dicta dans le sens de acuta dicta  (paroles fines, ingénieuses).

47. On lit dans Lucilius: Quod thynno etc. ces différents noms thynnus  (thon), cobium  (peut-être goujon), saperdasilurus (silure), rete, amia  (poisson de mer qui va en troupe), sont dorigine grecque.

48. On lit dans Ennius Quœ cava etc. Cava cortina  désigne lhémisphère, dont la forme rappelle la courtine dApollon. Cortina  (courtine) dérive de cor (cœur, âme), parce que les premiers oracles ont dû être des inspirations de lâme.

49. Le même poète a dit Quin inde etc. Perduellis  au sens de hostis  (ennemi). Perduellum  (guerre) est un mot composé, comme perfecit dont la préposition augmente la signification. De duellumqui est le même mot sans préposition, on a fait bellum de même que de Duellona, Bellona  (déesse de la guerre).

50. On lit dans Plaute Neque jugula etc. Jugula, constellation quAccius nomme Orion, composée de trois étoiles quon appelle la tête, et de deux autres étoiles placées au-dessous, quon appelle les épaules, et qui sont séparées des trois premières par une espèce de cou (jugulum ce qui a fait donner à cette constellation le nom de Jugula.Vesperugo  (étoile du soir), de vesper (soir), qui est même le nom quOpilius donne à cette étoile Vesper adest  (létoile du soir se lève).  Les Grecs la désignent sous le nom de διεσπέριον.

51. Naevius a dit: Patrem suum, etc. Supremum  (suprême), de superrumus  (très haut). On trouve ce mot dans les Douze Tables : Que le coucher du soleil détermine le dernier temps du jour (suprema tempestas).  Les augures disent tempestus  au lieu de tempestas Dans leurs livres, tempestus  désigne la fin de lauspice.

52. Dans la comédie intitulée Cornicularia Plaute a dit Qui regi latrocinatus etc.Latrones  (satellites), de talus (côté), parce que ces gardes marchaient aux côtés du roi, et portaient un glaive le long des flancs. Ils furent dans la suite appelés stipatores,  de stipare  (presser, accompagner). Latrones  désignait aussi les militaires à la solde, par dérivation du mot grec  λάτρον (solde). Les anciens poètes donnent quelquefois ce nom aux hommes de guerre (milites), parce quils portent également un glaive au côté ou parce quils sont cachés (latent) lorsquils se tiennent en embuscade.

53. On lit dans Naevius Risi egomet etc. Cassabundum (qui chancelle), de cadere (tomber). Diabathra  (pantoufles), et epicroco  (habit couleur de safran), dont sest servi le même poète, sont deux mots grecs, dont les racines sont  διαβαίνειν (marcher) et κρόκος (safran).

54. On lit dans les Ménechmes: Inter ancillas... carere  (carder), quon trouve aussi dans une pièce de Naevius, vient de carere  (manquer, être privé de), parce quon est dans lusage de nettoyer et de tisser la laine, afin quelle soit dégagée (careat de toute ordure: douest venu également le mot carminare (carder, peigner la laine). Le mot osque astaquon trouve dans le Romulus  de Naevius, ne veut pas dire lana  (laine).

55. On lit dans la Persane: Jam pol ille, etc. Congerro  (camarade), du mot grec gerra (claie ou bouclier dosier), en latin cratis.

56. On lit dans les Ménechmes : Idem istuc etc. Adscriptivi, soldats supplémentaires, qui remplaçaient autrefois ceux des soldats en exercice qui venaient à périr: de adscribere  (inscrire en sus).

57. On lit dans le Trinummus Nam illam tibi,  etc. Ferentarium  (qui ne se fait pas attendre), de ferre (porter), cest-à-dire vide et sans fruit; ou de ce que les cavaliers armés à la légère étaient appelés ferentarii Jai vu dans un ancien temple dEsculape des peintures qui représentaient des soldats armés de cette sorte, et désignés, dans linscription, sous le nom  de ferentarii.

58. On lit dans la comédie intitulée Frivolaria : Ubi rorarii estis? etc. Rorarii (soldats qui escarmouchaient avant que le combat fût engagé), de ros (rosée), parce que la rosée ou pluie fine précède ordinairement une grande pluie. Accensi suivant Caton, a le sens de ministratores (serviteurs) : ce mot vient probablement de accio  (faire venir), parce que le maître agit par lentremise de son serviteur.

59. On lit dans Pacuvius : Quom deum triportenta....

60. On lit dans le Mercator: Non tibi etc. Dividia  (chagrin), quon trouve aussi dans le Corollaria  de Naevius, vient de dividere parce que la douleur divise et arrache lâme; ce que le même poète développe dans le Curculio: Quas-tu donc? tu souffres de la rate et des reins, tes poumons sont déchirés (distrahuntur).

61. Dans le Phago : Honos syncerasto etc. Syncerastum (ragoût), dun ancien mot grec.

62. Dans le Parasite paresseux : Domum ire cœpi tramite etc. Trames (chemin de traverse), de transversus.

63. Dans les Fugitifs : Age respecta, vide vibices, etc. Vibices (marques de coups de fouet), de verbera.

64. Dans le Cistellaria: Non quasi nunc,  etc. Limax  (limaçon), de limusparce quil vit dans le limon. Diobolares etc. Diobolares  (du prix de deux oboles), de duo et deobolum. Schœnicolœ  (courtisanes qui se servaient de parfum fort commun), de schœnum (mauvaise pommade faite de racine de jonc). Miraculœ  (femmes monstrueuses), demirus  (monstrueux): doù mirio nom que le poète Accius donne aux personnes laides et contrefaites.

65. Dans la même comédie : scratiœ etc. Scratiœ  (la lie des courtisanes), de excreare  (cracher). Scrupipedœ  (qui a peine à marcher), de scauripeda  (boiteux), suivant Aurélius. Ce mot, daprès le poète comique Juventius, viendrait du nom dun petit vervelu, qui a une multitude de pattes, et qui vit de feuillage. Valérius lui donne pour racines pes  (pied) et scrupeus  (pierreux, raboteux) Strittabillas  (qui traîne les pieds en marchant), de strittilarediminutif de strittare  (se tenir avec peine sur ses pieds).

66. Dans lAstrabaAxitiosœ annonam etc. Axitiosœ  (qui conspire, intrigant), quon trouve aussi dans le Sitellitergus  et dans Claudius, de agere  (agir). De même que factiosa  (factieux) vient  de facere  (faire) et de una  (ensemble), ainsi actiosœ  et axitiosœ viennent  de agere et de una.

67. Dans le Cesistio: da stribula etc. Stribula  désigne, suivant Opilius, la chair du haut des cuisses de bœuf : ce mot est dorigine grecque.

68. Dans le Nervolaria : Scobina ego etc. Scobina  (lime), de scobs  (limaille).

69. Dans le Pœnulus : Vinceretis cervum etc. Gralator  (qui va sur des échasses), de gradus  (pas) et de magnus  (grand).

70. Dans le Truculentus : Sine virtute etc. Prœjica  désigne, suivant Aurélius, la pleureuse à gages, qui, dans les funérailles, chantait, devant la maison mortuaire, les louanges du défunt. Aristote parle de cet usage dans le livre intitulé  Νόμιμα  Βαρβαρικά (coutumes étrangères). Naevius y fait allusion dans ce passage Hœc quidem, hercle,opinor, prœfica  est, etc. Suivant Claudius, prœfica  dérive de prœficere parce quon prescrivait aux servantes le mode du deuil. Les deux exemples que jai cités prouvent que ce mot vient de prœfectio  (prescription).

71. Ennius a dit: Decem coclites etc. Codes (borgne), de oculus (œil), comme qui dirait odes. On lit, en effet, dans le Curculio : Tu es sans doute de la famille des Coclès; car les coclès nont quun œil (unoculi).

72. Je passe aux mots relatifs aux temps. On lit dans Cassius Nocte intempesta, etc. Intempestus  (inopportun pour agir), de tempestas qui dérive de tempus  (temps).

73. Quidnoctis,  etcOù est en ce moment le char de la nuit? Le Timon (constellation) entraîne les étoiles dans les hauteurs du ciel. Le poète a voulu désigner une heure avancée de la nuit; mais pourquoi la constellation dont il parle est-elle appeléeTemo Cest ce que je ne saurais dire précisément. Je suppose quanciennement les gens de la campagne ont remarqué particulièrement certaines constellations, qui leur paraissaient propres à déterminer le temps de la culture ou de tout autre travail champêtre.

74. Ce qui me confirme dans cette opinion, cest quHomère et les Grecs appellent Ἅμαξα (le Chariot) la constellation boréale, qui se compose de sept étoiles, et  Βοῶτης(le Bouvier), la constellation voisine; et que les Latins appellent boves (bœufs), temo (timon) et axis (axe), les différentes parties de la constellation que les Grecs nomment le Chariot. Les laboureurs appellent encore aujourdhui triones  les bœufs employés au labour; et de même valentes glebarii  désignent les bœufs robustes qui labourent facilement la glèbe. Ainsi triones contraction de terriones dérivé de terra (terre), désigne en général les bœufs de labour.

75. Temo (timon) dérive de tenere parce que le timon soutient le joug. Plaustrum (chariot) désigne, par synecdoque, la constellation entière, qui doit peut-être aussi le nom de triones  à sa forme triangulaire.

76. Ajax, quod lumen, jubarne etc. Jubar  (étoile du matin, appelée Lucifer) dérive de juba  (crinière du lion), parce que sa lumière est rayonnante. Son lever annonce la fin de la nuit; ce qui a fait dire à Pacuvius : Au lever de Lucifer, à lheure où la nuit achève sa carrière.

77. On lit dans le Parasite paresseux de Plaute Inde hic... crepusculo. Crepusculum  (crépuscule), mot sabin, qui désigne le moment où lon doute sil fait jour ou sil fait nuit : ce qui a fait dire au même poète, dans le CondaliusTam crepusculo, etc. De là encore res crepero (choses douteuses.).

78. Dans le Trinummus : Concubium sit noctis, etc. Concubium  (temps le plus calme de la nuit), de concubare (être couché.)

79. Dans  lAsinaria: Videbitur... huc conticinio. Conticinium  (le temps le plus silencieux de la nuit) vient probablement de conticiscere  (garder un silence général), ou, suivant Opilius, de conticere, conticui verbe synonyme.

80. Je vais maintenant moccuper des mots qui désignent ce qui se dit ou se fait à de certaines époques du temps. On lit dans Accius : Reciproca tendens etc. Reciprocus  (qui retourne au lieu doù il est venu dérive de recipere  (reprendre), ou de procare qui a le sens de poscere (demander).

81. Dans Plaute : Ut transversus non proversus etc. Proversus  désigne celui qui va directement vers un lieu, de même queprodire  et procedere  désignent laction daller directement vers le vestibule pour sortir de la maison. Or, comme lhomme dont il sagit(leno celui qui tient une maison de prostitution) marchait obliquement le long de la muraille, Plaute a dit : il marche obliquement (transversus) comme une écrevisse, et non droit devant lui (proversus) comme un homme.

82. Dans Ennius : Le nom dAndromaque est un nom bien approprié à celle qui le porte. — Cest pourquoi Pâris est appelé maintenant Alexandre par les bergers. En voulant imiter Euripide dans des allusions étymologiques, Ennius sest fourvoyé; car dans Euripide, qui écrivait en grec, les étymologies sont manifestes. Le nom dAndromaque, dit-il, dérive de  ἀνδρὶ  μάχεται  (elle lutte contre les hommes); mais comment reconnaître cette étymologie dans le vers dEnnius que jai cité Andromachœ nomen etc.? et comment se rendre raison, dans le même auteur, du nom dAlexandre substitué à celui de Pâris, et deviner que ce nom, comme celui  dAlexicacos donné à Hercule, veut dire défenseur des hommes?

83. On lit dans Accius Jamque auroram rutilare etc. Aurora (aube du jour), deaurum (or), parce que laurore est un reflet de la lumière dorée du soleil. Rutilare (briller) a la même origine. De là rutilae, pour désigner les femmes qui sont très rousses.

84. On lit dans Térence : Scortatus, potat etc. Scortari  (fréquenter les femmes de mauvaise vie) dérive de scortum ancien mot qui voulait dire peau, et qui désigne actuellement les prostituées. On appelle même encore aujourdhui scortea  des vêtements de cuir et de peau. On voit écrit dans quelques temples : Quon napporte ici ni cuir ni aucune autre dépouille de corps mort. On peut remarquer dans les atellanes que les paysans se servent de pellicula (petite peau), au lieu de scortum pour désigner une courtisane.

85. On lit dans Accius Multis... numenque ciendo. Numen (puissance, divinité) dérive de nutus  (signe de tête). Numina  désigne les êtres auxquels on attribue une souveraine puissance, comme Jupiter, qui, dans Homère et quelquefois dans Livius, ébranle le ciel et la terre par un signe de tête (nutus).

86. On lit dans Plaute : Si unum epityrum,  etc. Epityrvmn, aliment dont lusage est fort commun en Sicile. Plaute sest servi du mot insane pour indiquer lavidité excitée par la vue de ce mets, parce que les fous (insani font tout avec impétuosité.

87. On lit dans Pacuvius : Flexanirna tanquam lymphata,  etc. Lymphatus (fanatique, transporté de fureur), de lympha dérivé de nympha dont la lettre a été remplacée par la lettre l, de même quEnnius a dit Thelis  au lieu de Thetis en grec Θέτις. De  νυμφόληπτος, qui signifie frénétique, ému dune horreur divine, nous avons dit lymphatus. Bacchus  ou Liber, dont les compagnes ont été appelée bacchantes.  De là aussi baccha (vin), usité en Espagne.

88. Lorigine de tous ces mots est grecque, ainsi que celle dalcyon, quon trouve dans ce vers de Pacuvius Alcyonis ritu etc. Alcyon est le nom dun oiseau, nommé par les Grecs  ἀλκυών, et par nous alcedo Nous avons appelé alcyonii  les jours dhiver où lon dit que cet oiseau fait son nid sur la mer pendant quelle est calme. Alcyonis ritu, cest-à-dire alcyonis instituto à la manière de lalcyon, par un emploi métaphorique deritus qui, au propre, signifie coutume religieuse. Ainsi laruspice enjoint à chacun de sacrifier suo quisque ritu  (selon sa coutume particulière); ainsi nous disons que les seize prêtres sibyllins sacrifient grœco ritu, non romano  (à la manière des Grecs, et non des Romains). Une chose est faite rite, cest-à-dire dune manière fixe et convenable,comme on peut linduire de ce passage dAccius recte perfectis sacris etc.

89. On lit dans Ennius Si voles... comiter monstrabitur. Comiter  (obligeamment, gracieusement) vient du mot grec  κῶμος : doù, en latin, comissatio (festin), et, en grec, suivant quelques auteurs, comodia.

90. On lit dans Atilius : Capecœde etc. Cape (prends), doù accipere (recevoir). Je reviendrai sur ce mot dans le livre suivant.

91. On lit dans Pacuvius: Nulla res ne que cicurare etc. Cicurare  veut dire apprivoiser. Cicur  désigne ce qui nest point farouche, sauvage; ce qui explique cette expression cicur ingenium obtineo  (jai lesprit traitable). De là encore le surnom de Cicurii  donné aux Véturius, noble famille romaine. Cicur  dérive probablement deciccum  (pellicule qui divise le dedans de la grenade). Cette origine donne linterprétation de ce passage de Plaute: quod volt elenchum etc.: Il me faut une preuve; je ne me tiens pas satisfait dune réponse ambiguë (ciccum.)

92. On lit dans Naevius Eccum venire video ferme etc. Ferme a ici le sens qua aujourdhui fere  (presque). Ces deux mots dérivent de ferre (porter), parce que ce qui est porté est en mouvement et sapproche.

93. On lit dans Plaute : Evax jurgio etc. Evax  ne signifie rien : cest une exclamation purement naturelle, comme dans ces passages dEnnius : Hehœ, ipse clipeus cecidit;  — Eheu, mea puella etc., et dans cet autre de Pompilius : Heu, qua me causa, etc. Jurgium  a le sens de lis (procès à loccasion dune chose contestée), dont on peut reconnaître la signification positive dans cette formule daction : Quam rem sive mi litem etc. On peut induire de là que jurgare  dérive de jus (droit, justice), et signifie contester avec justice : doù objurgare  (reprocher justement).

94. On lit dans Lucilius Atque aliquos ibus  etc. Clepsere  (prendre, dérober), dclepere dont la racine est clam (en cachette), qui a dû dabord donner naissance à clapere puis, par suite du changement assez ordinaire de la en e, clapere  est devenu clepere Ce mot peut bien venir aussi du mot grec  κλέπτειν.

95. On lit dans Matius: Corpora GraiorurnMandier (être mangé), de mandere, doù manducari, et Manducus (personnage des Atellanes de Dossenus).

96. On lit dans le même poète: Obscœni interpres etc. Obscœnus  (de mauvais augure) dérive de scœna (scène), ou, comme lécrit Accius,  scena qui vient du grec σκήνή. Ce mot est du nombre de ceux que les uns écrivent avec un a et un e, et les autres avec un sans a, comme sceptrum  ou scœptrum  (sceptre); fœneratrix à lexemple de Plaute,  ou feneratrix  (usurière); fœnisicia  ou fenisicia  (fenaison). Les gens de la campagne écrivent Pappus  Mesius et non Mœsius ce qui a fait dire à Lucilius : Cecilius pretor ne rusticus fiat. Obscœnum  signifie donc ce qui ne peut être dit publiquement que sur la scène.

97. Peut-être ce mot vient-il de scœvola nom dune espèce damulette quon suspend au cou des enfants.  Scœvola  vient de scœva  , qui a le sens de sinistra parce que les auspices qui se prennent du côté gauche sont réputés favorables. De là sinistimus (favorable), vieux mot qui a la même signification que sinister en parlant des comices ou de certaines autres chosesScœva  dérive du mot grec  σκαιά, qui a le sens du mot latin sinistra. Obscœnum omen  veut donc dire, dans le vers que jai cité, un présage défavorable. Omen, contraction de osmen.

98. On lit dans Plaute: Quia ego antehac etc. Crevi  a le sens de constitui (jai résolu). De là cernereen parlant dun héritier qui se décide à accepter une succession, et crevisse quand il la acceptée.

99. On lit dans le même poète: Mihi frequentem,  etc. Frequens  équivaut dans ce passage à assiduus (assidu, continuel), qui dérive de adesse (être présent à), et a pour corrélatif frequens, dérivé de ferre (porter). Cest pourquoi les paroles que Plaute prête aux mêmes femmes : Pot istoc quidem etc., équivalent à celles-ci : Nous naurons point de peine à être assidues, puisque vous nous accueillez si bien.

100. On lit dans Ennius: Decretum fossari,  etc. Fossari (être percé), de fodere (creuser, percer), dfossa  (fosse).

101. Dans le même poète Vocibus concide, fac is musset,  etc. Mussare  (parler bas, garder le silence), de  μu, son inarticulé des muets, doù mutus  (muet) : ce qui a fait dire au même auteur, pour indiquer un silence absolu: ils nosent même pas, comme on dit, proférer, cest-à-dire, ils nosent pas souffler.

102.On lit dans Pacuvius : Dei monerint... averruncassint. Averruncare (détourner), de avertere doù Averruncus nom du dieu qui détourne de nous les malheurs, et quon invoque dans les dangers.

103. On lit dans  lAulularia: Pipulo te,  etc. Pipulum  (injure), de pipatus (gloussement des poussins). Les cris des animaux ont donné naissance à beaucoup de mots, appliqués métaphoriquement aux hommes, dont les uns ont une étymologie manifeste, et les autres présentent plus de difficulté. Au nombre des premiers, je citerailatrare  (aboyer), dEnnius; gannire  (glapir), de Plaute; dibalare  (bêler), de Cécilius ;rudere  (rugir), ejulitare  (hurler), et hinnire  (hennir), de Lucilius.

104. Parmi ceux dont lorigine est moins manifeste, je citerai ululare  (hurler, cri du loup), de Porcins; mugire  (mugir, cri du veau); bovare  (beugler, cri du bœuf); fremere (rugir, cri du lion); vagire  (vagir, cri du chevreau), dEnnius;  fritinnire  (gazouiller, cri de lhirondelle), de Suétus; .... fringutire  (chanter comme le pinson), de Plaute; tritillare (caqueter comme les oiseaux), de Suétus.

105. On lit dans le Colax: Nexum...  Suivant Mamilius, nexum  désigne une certaine formule daliénation qui se pratiquait avec la balance, largent à la main. Suivant Mutius, nexum  désigne une obligation personnelle, contractée indépendamment de laliénation réelle. Cette explication est plus conforme à la nature du mot, qui veut dire lier, obliger. Lhomme libre qui, ne pouvant payer son créancier, soblige à le servir, est appelé nexus de même que celui qui est surchargé de dettes est appelé obœratus  (obéré), de œs, œris  (argent). Cet usage fut primé pendant la dictature de Visolus, sur la proposition de C. Poplilius; et il fut établi que ceux qui affirmeraient par serment quils sont en état de parvenir à se libérer cesseraient dêtre obligés.

106. On lit dans la Casina : Sine anet... delicuum est... Delicuum  désigne ce qui na pas besoin dêtre clarifié, au contraire des choses troubles. Suivant Aurélius,  delicuum dérive de liquidus  (pur); suivant Claudius, de eliquatus (liquéfié). Ces deux étymologies peuvent sappuyer sur lautorité dAtilius : Per lœtitiam liquitur animus  (mon âme se liquéfie dans la joie). Liquitur  vient de liquare.

107. La plupart des autres mots poétiques ne me semblent pas offrir beaucoup de difficultés, comme lingula gladii  (lame dépée), que je lis dans lHésione de Naevius, et qui vient évidemment de lingua (langue); vitulantes  (sabandonnant à la joie), quon trouve dans le Clastidius et qui dérive de vitulus  (veau); caperata frons  (front ridé), qui se lit dans la pièce intitulée Dolus et qui a pour racine capra  (chèvre); persibus  (très pénétrant), de pente (habilement, avec finesse), comme lindique le mot callide, interpolé par les glossateurs dans le Démétriusprotinam  (de suite), de protinus dans le Lampadio; clucidatus  (adouci), quoique les glossateurs lui donnent le sens de mansuetus  (apprivoisé), dans le Nagidoconsponsus  (garant des fiançailles), dans le Romulus; prœbia  (amulette quon suspend au cou des enfants), de prœbere (donner), dans le Stigmatias; confictant  (composer), de confictus  (participe de confingere), dans le Technicus.

108. Prœlucidum (très brillant), de lux (lumière), dans la Tarentilla; exbolas (traits), du mot grec  ἐκβολή), dans la pièce intitulée Tunicularia; sarrare de serare (ouvrir) doù sera (verrou).

109. Mais comme je crains dencourir plutôt le reproche davoir poussé trop loin cette énumération, que celui davoir omis certains mots, je crois devoir plutôt restreindre ce livre, que mattacher à létendre davantage. Qui a jamais blâmé le moissonneur davoir laissé quelques épis à glaner après lui? Jai entrepris, comme je vous lai dit, dexposer en six livres lorigine des mots latins. De ces six livres, jai adressé les trois premiers à Septimius, qui fut questeur sous moi, et à vous les trois suivants, dont celui-ci est le troisième. Dans les uns jai traité des lois de lorigine des mots, et dans les autres de leurs origines proprement dites: examinant dans ceux-là ce qui a été dit contre, ce qui a été dit pour, et ce qui a été dit sur létymologie; et dans ceux que je vous ai adressés: 1° les origines des mots qui désignent les lieux, et les choses qui sont dans les lieux; 2° les origines des mots qui désignent les temps, et les choses qui se font dans les temps; 3° les origines des mots employés par les poètes, comme je lavais fait dans les deux livres précédents pour ceux du langage prosaïque. Je me propose donc dachever de parcourir le cercle que je me suis tracé dans létude de la langue latine, et qui embrasse trois parties : 1° les origines des mots; 2° les déclinaisons; 3° la syntaxe. Or, jai terminé ce qui regarde la première, et je passe à la seconde, cest-à-dire aux déclinaisons.

LIVRE VIII

1. J’ai dit, dans les livres précédents, qu’il y avait lieu d’étudier dans les mots, 1° l’étymologie ;2° la déclinaison;3° la syntaxe.Ayant achevé ce qui regarde l’étymologie,je vais m’occuper de la seconde partie, c’est-à-dire des déclinaisons, qui sont des modifications secondaires de la forme primordiale des mots. Ainsi homo (homme) fait hominis (de l’homme). Dans le premier cas, le mot est direct (rectum); et dans le second oblique (obliquum).

2. Dans cette cause de la variété munie des mots, j’aurai à considérer, 1° la raison des déclinaisons; 2° leurs différentes formes; 3° leur origine. Je parcourrai rapidement ce qui regarde les deux premiers points, parce que j’aurai à y revenir en traitant de l’abondance des mots, et aussi parce que le troisième m’arrêtera longtemps par ses détails et son importance.

3. La déclinaison est une loi nécessaire et utile, non seulement de la langue latine, mais de toutes les langues : autrement, le nombre des mots excéderait l’étendue de la mémoire; car les modifications des mots déclinés sont infinies; et lors même qu’on parviendrait à retenir cette multitude de mots que supplée la déclinaison, on serait dans l’impossibilité de reconnaitre leur parenté. Mais, au moyen de la déclinaison, on distingue à la fois l’identité et la différence. Ainsi, dans legi (j’ai lu) et lego (je lis), je vois à la fois qu’il est question d’une même chose, et que cette même chose n’a pas été faite dans le même temps. Mais si l’on se servait de deux mots tout à fait différents, de Priamus, par exemple, dans le premier cas, et de Hecuba dans le second, on ne verrait pas le rapport de ces deux mots, comme dans legi et lego, dans Priamus et Priamo.

4. Il y a donc entre les mots, comme entre les hommes, des liens de descendance et de parenté nominale. En effet, de même que Aemilius,en tant qu’homme, adonné naissance à la famille des Aemilius; ainsi le nom Aemilius a donné naissance àAemilii,Aemilium, Aemilio, Aemiliorum, etc.

 5. Les mots sont donc, en général, primitifs et déclinés (impositi et declinati). La nature a voulu que les mots primitifs fussent en très petit nombre, afin qu’on pût les apprendre très vite; et que les mots déclinés fussent en très grand nombre, afin qu’on pût exprimer très facilement toutes les nuances de la pensée.

6. Pour connaître l’origine des mots primitifs, nous avons besoin de l’histoire, parce que cette connaissance ne peut nous arriver que par la tradition; mais, à l’égard des mots déclinés, c’est l’art qui doit nous servir de guide, et cet art repose sur un petit nombre de préceptes, qui sont très simples. En effet, les règles de la déclinaison d’un seul mot peuvent nous servir à décliner, par analogie, une infinité d’autres mots. C’est pourquoi, lorsque de nouveaux mots s’introduisent dans la langue, tout le monde les décline aussitôt sans difficulté. Ne voit-on pas, dans les maisons dont le domestique est fort nombreux, les esclaves nouvellement achetés faire passer par tous les cas obliques les noms de leurs compagnons, aussitôt qu’ils connaissent le cas direct?

7. Que si quelquefois cette déclinaison est défectueuse, cela ne doit pas étonner, parce que ceux qui, au commencement, ont imposé les noms aux choses, ont bien pu pécher dans la formation de certains mots. Sans doute ils ont voulu faire en sorte que le nom de chaque chose pût passer, par une déclinaison facile, du nombre singulier au nombre pluriel, comme homo,homines,et que le nom d’un homme libre pût également passer, par analogie, du genre masculin au genre féminin, comme Terentius, Terentia;et ainsi pour les différents cas du même mot, soit au singulier, soit au pluriel : mais ils n’ont pas toujours pu ce qu’ils voulaient, et scopa (balai), par exemple, désigne une seule chose; aquila (aigle) désigne à la fois le mâle et la femelle; vis (violence) a le nominatif et le génitif semblables.

 8. Il ne me serait pas difficile de prouver que, dans la plupart des mots de cette espèce, il n’y a pas eu autant de leur faute qu’on le pense : mais cela n’est pas nécessaire ici; car ce qui importe à mon dessein, c’est de constater ce qu’ils ont voulu faire, et non ce qu’il ne leur a pas été donné de faire; d’autant qu’il est aussi facile, par exemple, de tirer scopa de scopœ,qu’il l’eût été de tirer scopœ de scopa,si scopa  était le mot primitif.

9. J’ai exposé la raison de la déclinaison des mots, qui était, comme je l’ai dit au commencement de ce livre, un des trois points que je me suis proposé d’étudier. Je vais maintenant passer en revue, mais sommairement et d’une manière générale, les différentes formes de déclinaisons, dont les mots sont susceptibles. II y a deux genres de mots : des mots féconds, dont la déclinaison engendre une multitude de formes diverses, comme lego (je lis),  legis (tu lis), legam (je lirai), etc.; des mots stériles, qui ne sont susceptibles d’aucune modification, comme etiam (aussi), vix (à peine), cras (demain), magis (plus), quor  (pourquoi).

10. On conçoit, en effet, que les mots servant à désigner des idées invariables devaient être également invariables, de même que, dans une maison où il n’y a qu’un seul esclave, cet esclave n’a besoin que d’un nom; tandis que, dans une maison où il y en a plusieurs, chaque esclave a besoin de plusieurs noms, pour qu’on puisse le distinguer de ses compagnons. Ainsi les mots et les noms qui expriment des idées variables doivent nécessairement subir des modifications correspondantes à ces idées; tandis que les mots qui ne servent qu’à unir les mots entre eux, sont ordinairement invariables et ressemblent à une courroie, qui peut également servir à attacher un homme, un cheval, etc. Quand nous disons, par exemple: sous le consulat de Tullius et d’Antonius, nous sentons que la conjonction et peut unir non seulement les noms de deux consuls quelconques, mais encore tous les noms et tous les mots sans exception.

11. Il y a deux espèces de mots déclinables, si, à l’exemple de Dion, nous distinguons trois sortes de mots : 1° ceux qui ont des cas; 2° ceux qui ont des temps; 3° ceux qui n’ont ni cas ni temps. Aristote distingue deux parties d’oraison, les vocables et les verbes ; les vocables, comme: un homme,un cheval;les verbes, comme : il lit, il court.

12. De ces deux espèces de mots, les uns sont principaux, et les autres secondaires : principaux, comme : un homme, il écrit; secondaires, comme savant, savamment.On dit, en effet : un homme savant, il écrit savamment. Viennent ensuite le lieu et le temps, puisqu’on ne peut exister ou faire quelque chose que dans un lieu et dans un temps. Remarquons toutefois que l’idée de lieu se rattache plus particulièrement à l’idée d’être, et l’idée de temps à celle d’action.

13. Le nom précède donc tous les autres mots; après lui vient le verbe. Nous nous conformerons à cet ordre naturel, et nous commencerons par la déclinaison des noms.

14. Les déclinaisons des noms sont intrinsèques, comme  TerentiusTerenti, ou extrinsèques, comme equus (cheval), equiso (écuyer). Les uns désignent les mêmes choses; les autres, des choses différentes. Les déclinaisons intrinsèques sont relatives ou à la chose dont on parle ou à la personne qui parle. Dans le premier cas, elles dérivent de la chose entière ou d’une partie de la chose : de la chose entière, comme homunculus (petit homme), de homo (homme); capitulum (petite tête), de caput (tête); hommes (hommes), de homo,et, en sens inverse, cervix (cou), qu’on trouve dans les poèmes d’Hortensius, de cervices, dont le singulier n’est pas en usage.

15. Ou d’une partie de la chose, soit du corps, comme mammosœ (qui a de grosses mamelles), de mamma (mamelle); manubria (un manche), de manus (main); soit de l’âme, comme prudens (prudent, savant), de prudentia (prudence, science); ingeniosi(spirituels), de ingenium (esprit). Ces mots ne désignent que des sentiments calmes; mais, pour en exprimer de plus vifs, l’âme a donné naissance à strenui (actifs, courageux), par exemple, de strenuitas (activité, courage); à nobiles (nobles), denobilitas (noblesse). Ainsi de pugnare (lutter) on a fait pugiles (lutteurs); de currere(courir), cursores (coureurs). De même que les déclinaisons se tirent tantôt de l’âme, tantôt du corps, elles se tirent aussi de choses extérieures, comme pecuniosi (riches en argent), agrarii  (riches en terres).

16. Les déclinaisons relatives à la personne qui parle ont pour fin de lui donner le moyen de déterminer, en parlant d’une autre, ce qu’on appelle le nominatif, le datif, l’accusatif, et les autres modifications de noms qui ont passé de la langue grecque dans la nôtre. On s’accorde à en reconnaître cinq : le nominatif, Hercules; l’ablatif, Hercule; l’accusatif, Herculem; le datif, Herculi; le génitif, Herculis.

17. A l’égard des adjectifs, comme les qualités qu’ils désignent peuvent être plus ou moins prononcées dans le sujet auquel ils se rapportent, on a créé une autre espèce de déclinaison, comme candidum (blanc), candidius (plus blanc), candidissimum  (très blanc); et ainsi des autres adjectifs.

18. Les déclinaisons extrinsèques sont, par exemple,  equile (écurie), de equus (cheval); ovile (bergerie), de ovis (brebis), etc. : au contraire de celles dont j’ai parlé plus haut, et qui consistent à changer pecunia en pecuniosus, urbs (ville) en urbanus (urbain), ater (noir) en atratus (noirci). Au nombre des déclinaisons extrinsèques il faut ranger aussi celles qui d’un nom d’homme font un nom de lieu, et réciproquement, comme:Roma, de Romulus, et Romanus, de Roma.

19. Les déclinaisons qui ont pour principe une chose extérieure sont assez variées. Ainsi autre est la déclinaison d’un nom de famille, comme Latonius (fils de Latone), Priamidae (fils de Priam); autre est la déclinaison qui pour principe une action, comme proeda (proie), de proedari (voler, pilier); merces (récompense), de mereri (mériter), etc. Je pourrais citer d’autres exemples de cette espèce de déclinaison; mais comme il est facile de s’en rendre raison, et que d’ailleurs il me reste beaucoup à dire, je passe à un autre point.

20. La distinction du temps en passé, présent et futur, a donné naissance à une triple déclinaison du verbe :  saluto (je salue), salutabam (j’ai salué), salutabo  (je saluerai). De même la distinction de la personne qui parle, de celle à qui l’on parle, et de celle de qui l’on parle, a également donné naissance à une déclinaison correspondante. Je parlerai de ces deux sortes de déclinaisons en traitant de l’abondance des mots.

21. Des trois points que je m’étais proposé de considérer, j’en ai traité deux, savoir : la raison et la forme des déclinaisons. Il me reste à parler du troisième, c’est-à-dire de leur origine. Considérées sous ce rapport, les déclinaisons sont de deux sortes : volontaires et naturelles. Les déclinaisons volontaires sont celles qui ont pour cause la volonté de chacun. Ainsi, par exemple, trois personnes achètent chacune un esclave à Ephèse: la première donne à son esclave le nom d’Artemidorus ou d’Artemas,du nom du vendeur Artemidorus; la seconde donne au sien celui d’Ion,dérivé d’Ionie,nom de la contrée où l’esclave a été acheté; enfin la troisième choisit celui d’Ephesius, dérivé du nom de la ville d’Ephèse. Ainsi de beaucoup d’autres choses.

 22. Les déclinaisons naturelles, au contraire, sont celles qui ont pour cause, non la volonté particulière de chacun, mais la volonté commune de tous. Ainsi, les noms une fois donnés, tout le monde les décline de In même manière, et dit, par exemple, Artemidorus,  Artemidori, etc.; Ion, Ionis, etc.; EphesiusEphesii, etc.

23. Quelquefois, ainsi que je le ferai voir ci-après, ces déclinaisons sont mixtes, c’est-à-dire naturelles et volontaires, et par conséquent disparates dans leurs modifications. Les Grecs et les Latins ont beaucoup écrit sur ce sujet. Les uns veulent qu’on observe ici les lois de l’analogie; les autres veulent qu’on les néglige, et qu’on suive de préférence l’usage commun, ou anomalie. Pour moi, je pense qu’on doit suivre et l’analogie et l’anomalie, selon qu’il s’agit d’une déclinaison naturelle ou d’une déclinaison volontaire.

24. Je me propose d’écrire six livres sur ces deux sortes de déclinaisons. Dans les trois premiers, je traiterai des règles de ces déclinaisons; dans les trois autres, des conséquences de ces règles. J’exposerai, dans le premier de ceux qui auront pour objet les règles des déclinaisons, ce qui a été dit contre l’analogie ou similitude; dans le second, ce qui a été dit contre l’anomalie ou dissimilitude; dans le troisième, ce qui a été dit sur la forme des similitudes. Je consacrerai donc trois livres distincts à la première partie) et autant de livres également distincts à la seconde.

25. Conformément à cette division, je vais exposer d’abord (et ce sera l’objet de ce livre) ce qui a été dit contre l’analogie, laquelle est dans les mots, comme scribo (j’écris), par exemple, et scribam (j’écrirai), dico (je dis) et dicam  (je dirai), ce qu’elle est dans un jeune homme opposé à un vieillard, dans une jeune fille opposée à une vieille femme, c’est-à-dire un rapport. J’argumenterai d’abord contre l’analogie en général, puis contre l’analogie en particulier, d’après la nature du langage.

26. Tout langage doit avoir pour base l’utilité, laquelle consiste dans la clarté et la brièveté. Ce sont les qualités fondamentales du langage, et sans lesquelles un orateur ne peut que fatiguer ceux qui l’entendent. La clarté fait comprendre les choses; la brièveté les fait comprendre vite. La première de ces qualités ne peut s’acquérir qu’en se conformant à l’usage; la seconde dépend de l’orateur, et d’une volonté qui sait se maintenir dans de justes bornes. Or, ces deux qualités peuvent s’obtenir sans le secours de l’analogie; donc l’analogie est inutile. En effet, on doit se mettre peu en peine de savoir si, d’après l’analogie, il faut dire Herculi ou Herculis au génitif, puisque ces deux locutions sont autorisées par l’usage, et qu’elles sont également courtes et claires.

27. Il est certain que, après avoir atteint le but d’utilité qui a fait établir une chose quelconque, il est tout à fait oiseux de se préoccuper d’un autre soin. Or si, en se conformant seulement à l’usage, on atteint le but de tout langage, qui est la signification et la clarté, on doit pareillement conclut-e que l’analogie est superflue.

28. Dans tout ce qui concerne les besoins de la vie, l’utilité est également la seule règle de notre conduite. Ainsi, dans les vêtements des hommes et des femmes, quoique la toge ne ressemble en rien à la tunique, ni l’étole au pallium, on n’a pas laissé d’accepter cette discordance.

29. Pareillement dans les édifices, quoique l’atrium ne ressemble pas au péristyle, ni une chambre à coucher à une écurie, nous acceptons ces dissemblances à cause de l’utilité. C’est pourquoi les salles à manger d’hiver et d’été ont des portes et des fenêtres de forme différente.

30. Si donc dans les vêtements, dans les édifices, dans les meubles, dans les aliments, en un mot dans tout ce qui concerne les besoins de la vie, règne la dissimilitude, pourquoi la condamnerions-nous dans le langage, dont la base fondamentale est l’utilité?

31. On objectera peut-être qu’on doit se proposer dans le langage le double but de la nature, c’est-à-dire l’utilité et la beauté; que, dans nos vêtements, nous recherchons, non seulement un préservatif contre le froid, mais encore l’élégance; que nous aimons à trouver dans une maison, non seulement un abri et un asile, où la nécessité nous contraint à nous réfugier, mais encore un séjour agréable, où le plaisir nous retienne; que nous buvons avec plus de plaisir dans une coupe sculptée par la main habile d’un artiste, que dans une sébille grossière, parce que ce qui suffit aux besoins du corps ne suffit pas à ceux de l’esprit. Loin de favoriser les partisans de la similitude, cette objection, fondée sur l’alliance naturelle de l’utilité et du plaisir, justifie mon opinion; car c’est de la variété que naît le plus souvent le plaisir.

32. C’est pour cela qu’on revêt d’un vernis différent des chambres de forme pareille, et que les lits n’ont point tous la même grandeur ni la même forme. Si la similitude était une condition nécessaire d’un bel ameublement, tous les lits auraient la même forme; ils seraient tous ornés de colonnes, ou sans colonnes; les lits de table seraient de la même hauteur que les lits destinés au coucher; et la vue d’un ameublement où brille l’ivoire, et que l’art a embelli d’ornements divers, ne réjouissait pas plus nos yeux que celle de ces lits grossiers qui ont presque tous la même forme et sont faits de la même matière. C’est pourquoi, ou il faut nier que la diversité soit agréable, ou, puisqu’on ne saurait nier cette vérité, convenir que, en se complaisant dans la variété du langage, l’usage n’est point contraire à la nature.

33. Si nous sommes forcés d’observer l’analogie, nous avons à suivre ou celle qui est adoptée par l’usage, ou celle qui ne l’est pas. Dans le premier cas, nous n’avons pas besoin de préceptes, parce que, si nous suivons l’usage, l’analogie usuelle nous suivra d’elle-même; dans le second cas, nous sommes dans la nécessité de recourir à l’art. Supposez deux mots, comme  Juppitri et Maspitrem : en dépit de votre répugnance, vous ne pouvez que suivre l’usage; car celui qui, dans ces deux mots, voudrait substituer l’analogie à l’usage, et dire Juppitri,Marspitrem, passerait à bon droit pour insensé. Il faut donc rejeter l’analogie qui n’est pas sanctionnée par l’usage.

34. S’il est vrai que des mots semblables doivent nécessairement avoir des dérivés semblables, il s’ensuit que des mots dissemblables doivent produire des dérivés dissemblables ce qui pourtant n’a pas lieu; car des mots semblables produisent des dérivés tantôt semblables, tantôt dissemblables, et réciproquement. Ainsi bonus et malus ont produit  bonum et malum; mais lupus (loup) et lepus (lièvre) ont produit lupo et lepori.Ainsi Priamus et Paris ont pour datifs Priamo, Pari; et Jupiter et avis (brebis),Jovi et ovi.

35. Bien plus, non seulement des mots semblables ont des dérivés dissemblables, mais les mêmes mots ont aussi des dérivés dissemblables; et non seulement des mots dissemblables ont des dérivés semblables, mais des mots dissemblables ont aussi les mêmes dérivés. Ainsi, quoique le nom d’Albe soit commun à deux villes, les habitants de l’une s’appellent Albani, et les habitants de l’autre, Albenses. Le nom d’Athènes est commun à trois villes, et cependant les habitants de ces trois villes s’appellent Athenœi,Athenœis,et Athenœopolitœ.

36. On voit donc que des mots dissemblables ont très souvent les mêmes dérivés, comme luam,par exemple, accusatif de lua (expiation des Saturnales) et futur du verb eluo (laver, expier). La plupart des noms d’hommes et de femmes sont dissemblables au nominatif pluriel, comme Terentiei, Terentiœ; et semblables au datif du même nombre pour les deux genres, comme Terentieis, Terentieis. Plautus et Plautius, dissemblables au nominatif, sont semblables au génitif, Luci Plauti et Marci Plauti.

37. Enfin, si l’on cherche la raison de l’analogie dans le nombre des mots semblables, elle doit être considérée moins comme une règle que comme une exception, parce que le nombre des mots dissemblables est beaucoup plus grand que celui des mots semblables.

38. En effet, si l’analogie est une loi du langage, elle affecte ou le langage entier ou seulement une partie; et si elle n’affecte pas le langage entier, il importe peu qu’elle en affecte une partie, de même que la blancheur des dents d’un Ethiopien ne suffit pas pour le faire ranger dans la classe des hommes blancs. Donc l’analogie n’est point une loi du langage.

39. Suivant les partisans de l’analogie, il est facile d’observer la similitude dans la dérivation; et cette similitude résulte de celle des genres, des formes et des cas. Or, ceux qui définissent ainsi l’analogie ignorent deux choses : en quoi consiste véritablement la similitude, et à quoi elle se reconnait. Donc, puisqu’ils ne peuvent nous indiquer la voie qu’il faut suivre, nous ne devons tenir aucun compte de ce qu’ils disent.

40. Je leur demanderai, en effet, si la vertu d’un mot consiste dans le son des syllabes qui frappe l’oreille, ou dans la signification que perçoit l’intelligence, ou dans ces deux parties du mot. Si le son doit être semblable au son, il importe peu que ce qu’il signifie soit masculin ou féminin, que ce soit un nom ou un vocable, quoique, suivant mes adversaires, ces deux sortes de mots soient différentes.

41. Si c’est, au contraire, dans la signification que doit exister la similitude, Diona et Theona,qui, à leurs yeux, sont presque identiques, deviennent pourtant dissemblables, si, entre autres exemples, l’un de ces noms désigne un enfant, et l’autre un vieillard; celui-ci un homme blanc, celui-là un Ethiopien. Si la similitude doit affecter et la forme et la signification du mot, on aura de la peine à trouver un exemple de cette double analogie. Ainsi Perpenna et Alphena ne la renferment pas; car Perpenna est un nom d’homme, et Alphena  un nom de femme. Donc, puisqu’ils ne peuvent montrer en quoi consiste la similitude, en affirmant que les analogies existent, ils mentent évidemment.

42. Ils ignorent également, comme je l’ai déjà dit, à quoi se reconnaît la similitude, et ils sont convaincus de leur ignorance par eux-mêmes; car ils enseignent que la similitude ou la dissimilitude des cas directs s’observe en passant du nominatif au vocatif. Ce raisonnement est de la force de celui d’un homme qui, en voyant deux jumeaux, dirait qu’il ne peut juger s’ils se ressemblent ou non, tant qu’il n’a pas vu ceux dont ils sont nés.

43. Or, pour juger si deux choses que l’on compare sont plus ou moins semblables, il n’est pas nécessaire de chercher ailleurs un point de comparaison. Donc, puisqu’ils ignorent à quoi la similitude se reconnaît, ils sont incompétents sur cette matière. J’aurais traité ce point avec plus de clarté, si, ayant à y revenir ultérieurement, je n’eusse voulu avant tout être bref. Il me suffit donc d’avoir touché ce qui regarde la nature générale des mots.

44. Je passe aux différentes parties de l’oraison; et comme les grammairiens en distinguent un plus ou moins grand nombre, j’adopterai la division la plus usuelle. L’oraison se divise naturellement en quatre sortes de mots ceux qui ont des cas, ceux qui ont des temps, ceux qui n’ont ni cas ni temps, et enfin ceux qui ont à la fois des cas et des temps. On appelle ces différents mots appellatifs,comme Nestor, homo homme) ;indicatifs, comme scribo (j’écris), lego (je lis); adminiculatifs ,comme docte (savamment), commode (convenablement), conjonctifs,comme et, que.

45. Les mots appellatifs sont de quatre espèces:  provocables,comme qui, quœ; vocables, comme scutum (bouclier), gladius (glaive) ; noms, comme RomulusRemus;pronoms,comme hic,haec (celui-ci, celle-ci). Les vocables et les noms sont aussi appelés nominats, et les deux autres espèces, articles. Les premiers sont indéfinis; les seconds, quasi-indéfinis; les troisièmes, quasi-définis; et les derniers, définis.

46. Chacune de ces espèces de mots se subdivise encore en trois parties relatives au genre, au nombre et au cas. Le genre est masculin, féminin ou neutre, comme doctus, docta, doctum; le nombre est au singulier ou pluriel, comme hic, hi;haec, hœ;le cas est, ou direct, comme Marcus; ou oblique, comme Marco; ou commun, comme Jovis.

47. Considérez maintenant chaque partie de l’oraison isolément, et vous verrez que partout les traces de l’analogie sont interrompues. Ainsi elle nous présente comme principe la triple forme du genre:  humanus, humana, hunanum ;puis, nous rencontrons des mots qui ne comportent que les deux premières formes, comme cervus, cerva; et enfin des mots qui n’en comportent qu’une, comme aper etc. L’analogie ne se retrouve donc pas ici.

48. Dans le nombre, pater et patres, par exemple, nous offrent la duplicité comme une règle générale; mais cicer (pois),  siser (chervis), et beaucoup d’autres, n’ont point de pluriel; salinœ (salines),  balneœ (bains), etc., n’ont point de singulier. Réciproquement, balneum, usité au singulier, ne l’est point au pluriel. Ce mot, qui est de la même classe que proedium, devrait faire, au pluriel, balneacomme prœdium fait proedia; et cependant cela n’a pas lieu. Donc, l’analogie manque encore ici.

49. Il y a des mots qui ont à la fois des cas directs et obliques, comme Juno, Junonis; il yen a d’autres qui n’ont que le cas direct, comme Jupiter, Maspiter, et d’autres qui n’ont que les cas obliques, comme Jovis, Jovem. L’analogie ne se retrouve pas non plus dans ces mots.

50. Recherchons-la encore dans les quatre espèces de mots que j’ai définies plus haut. D’abord, si l’analogie existait dans les articles indéfinis, de même que l’on dit  quis,quem, quojus,on devrait dire qua, quam, quajus;et de même que l’on dit quis, qui,on devrait dire qua, quœ.Il y a en effet un rapport naturel entre deœ bonœ quœ sunt,et dea bona qua est,comme entre quem, quis et quos ques; de sorte qu’on devrait dire ques homines,au lieu de qui homines que l’usage a consacré.

51. De même que l’on dit is, ei,au masculin, on devrait dire ea, eœ,au féminin, au lieu de ea, ei; de même encore, au lieu de us pour les deux genres, on devrait dire iis pour le masculin, et eis pour le féminin; enfin, puisqu’on dit is, ea,au nominatif, l’analogie voudrait que le génitif féminin fût eajus; et cependant on dit ejus non seulement pour le masculin et le féminin, mais encore pour le neutre: ejus viri, ejus mulieris, ejus pabuli, quoique le nominatif ait trois formes distinctes: is, ea, id. Je n’ai fait qu’effleurer cette partie, qui est très épineuse, persuadé que les copistes la reproduiraient avec peu d’exactitude.

52. Je passe aux mots qui tiennent le plus de la nature indéfinie des articles, et qu’on appelle vocables, comme homo, equus.Ces mots sont susceptibles de quatre sortes de déclinaisons: nominativecomme equile (écurie), de equus (cheval); casuelle,commeequus, equum; augmentative,comme album (blanc), albius (plus blanc); diminutive, comme cistula (petit panier), de cista.

53. La première espèce comprend les vocables, dont le nominatif dérive d’une des quatre parties de l’oraison, comme balneator (baigneur), de balneœ (bains). Cette déclinaison a ordinairement trois sources : ou un vocable, comme venator (chasseur), d’où venabulum (épieu); ou un nom, comme Tibur,d’où Tiburs (habitant de Tibur); ou un verbe, comme currere (courir), d’où cursor (coureur). L’analogie, comme vous allez le voir, n’a été observée dans aucun de ces mots.

54. D’abord, bien que de ovis (brebis) et de sus (porc) on ait fait ovile (bergerie) et  suile (toit à porcs), on ne dit pas bovile par dérivation de bos, bovis (bœuf). Bien que avis (oiseau) et ovis se ressemblent, on n’a point formé oviarium de ovis, comme aviarium (volière) de avis,ni réciproquement avile de avis,comme ovile de ovis.De même, cubatio (action de se coucher) a produit cubiculum (chambre à coucher); et sediculum,dérivation naturelle de sessio (action de s’asseoir), n’existe pas.

55. Si l’analogie s’étendait à toutes les déclinaisons, il s’ensuivrait que, de même que les boutiques où l’on vend du vin, de la craie, ou des parfums, s’appellentvinaria, de vinumcretania, de creta;et unguentaria, de unguentum,celles où l’on vend de la viande, des peaux, ou des chaussures, devraient s’appeler carnaria, de caro, carnis;pelliania, de pellis; calcearia, de calcei,et non laniena, pellesuina et sutrina.De même encore que unus (un) a produit uni; tres (trois), trini; quatuor (quatre), quadrini, il serait plus conforme àl’analogie de dire duini,dérivé de duo (deux), au lieu de bini.Enfin, duigœ serait plus régulier que bigœ (attelage de deux chevaux), et plus analogue à quadrigœ et trigœ. Je pourrais multiplier les exemples de ce genre, mais ceux que j’ai cités suffisent pour ma démonstration.

56. Si les vocables qui dérivent des noms étaient également assujettis à la similitude, on devrait dire Romenses et Albenses pour désigner les habitants de Rome et d’Albe, comme on dit Parmenses pour désigner ceux de Parme, puisque les noms de ces trois villes, Parma, AlbaRoma, sont de la même nature; ou, de même qu’on dit Romani et Nolani (habitants de Nole), on devrait dire Parmani pour désigner ceux de Parme, puisque les noms de ces trois villes, Roma, Nola, Parma,sont pareillement de même nature. Pourquoi ne dirait-on pas non plus Ilienus par dérivation d’Ilium,aussi bien que Pergamenus, dérivé de Pergamum; Pergamus et Pergama pour le masculin et le féminin, aussi bien que Ilius et Ilia ? Enfin, pourquoi ne dirait-on pas Libyatici par dérivation de Libya, avec autant de raison que Asiatici,dérivé de Asia?

57. Quant aux vocables dérivés des verbes, comme  scriptor (écrivain), de scribere (écrire); lector (lecteur), de legere (lire), même anomalie dans leur déclinaison. Ainsi amare (aimer) adonné naissance à amator;  salutare (saluer), à salutator; cantare (chanter), à cantator;on dit encore lassus sum METENDO, FERENDO (je suis las de moissonner, de porter); et cependant l’analogie ne se retrouve pas dans les vocables dérivés de metendo et ferendo; car on ne dit pas fertor, de même qu’on dit messor (moissonneur). Je pourrais citer une infinité de mots de cette espèce, où l’usage prévaut contre l’analogie.

58. Il existe en outre des vocables dérivés également des verbes, mais différents des vocables dont je viens de donner des exemples, en ce qu’ils ont àla fois des cas et des temps : ce qui leur a fait donner le nom de participes.La plupart de ces vocables ont les deux natures du verbe, comme  amo (j’aime) et amor (jesuis aimé), seco (je coupe) et secor (je suis coupé). Or, le verbe actif amo et tous les autres verbes de cette nature ont un participe présent et un participe futur, comme amans (aimant) et amaturus (devant aimer); mais ils n’ont point de participe qui désigne le passé, ayant aimé,par exemple: ce participe n’existe pas dans la langue latine. L’analogie manque donc ici comme ailleurs. Les verbes passifs amor (je suis aimé), legor (je suis lu), et tous les autres verbes de cette nature, ont un participe passé, comme amatus (ayant été aimé), et n’ont ni participe présent ni participe futur.

59. L’analogie ne se retrouve pas davantage dans les verbes qui, comme loquor (je parle),  venor (je chasse), ont, dans certains modes, la signification active avec la forme passive, et dans d’autres, comme le participe présent et le participe futur, une forme et une signification analogues. Ainsi on dit loquens et venans, locuturus et venaturus : ce qui implique contradiction par rapport à loquor et venor.L’analogie est d’autant moins observée dans les verbes que j’ai cités, que, parmi ceux qui n’ont point la double nature de l’actif et du passif, les uns ont trois formes, comme ceux dont j’ai parlé, et les autres n’en ont que deux, comme currens,ambulans; cursurus, ambulaturus; quant au participe passé, il n’existe pas dans ces verbes.

60. On chercherait aussi en vain l’analogie dans les verbes fréquentatifs; car par exemple, on dit cantilans,par dérivation de cantare,on ne dit pas amitans,dérivation non moins naturelle de amare.Cette anomalie affecte non seulement le singulier, mais encore le pluriel. Ainsi on dit cantitantes, et l’on ne dit pas seditantes.

61. Comme il existe une espèce de vocables qu’on appelle composés, et que, selon mes adversaires, ou ne doit pas les comparer avec les mots simples, dont je me suis seulement occupé jusqu’à présent, je discuterai cette espèce de mots isolément. Tibicines (joueurs de flûte), par exemple, est composé de tibia (flûte) et de canere (chanter, jouer de) pourquoi de cithara (luth), de psalterium (instrument à cordes), ou de pandura (id.), ne formerait-on pas citharicen,etc., si l’analogie est une loi invariable? Pourquoi, à l’imitation de oedilumus (gardien d’un temple), composé de aedes (temple) et de tueri(garder), ne dirait-on pas atritumus,par dérivation de atrium et de tueri,plutôt que atriensis (portier), que l’usage a préféré? On dit bien auceps (oiseleur), de avis (oiseau) et de capere (prendre) : pourquoi ne dirait-ou pas pisceps, de piscis (poisson) et de capere?

62. Les fourneaux où l’on purifie le cuivre, ubi laveturoes, s’appellent ceraria, et cependant l’analogie exigerait œrelavinœ.On dit argentifodinœ (mine d’argent), et l’on ne dit pas ferrifodinœ pour désigner une mine de fer. Lapidicida (tailleur de pierres) est usité, et lignicida ,dérivation naturelle de lignun (bois) et de caedere (couper), ne l’est pas. On dit aurifex (orfèvre), et l’on ne dit pas argentifex .De même que doctus (savant) a pour corrélatif indoctus (ignorant), salsus (piquant, spirituel) devrait avoir pour corrélatif insalsus;et cependant on dit insulsus  (fade, sot). Il est facile de tirer des conséquences de ces anomalies.

63. Il me reste à parler des cas, sur lesquels les partisans d’Aristarque insistent avec le plus d’opiniâtreté. Et d’abord, comme ils doivent le savoir, la loi de l’analogie veut que tous les noms et tous les articles aient le même nombre de cas. Or, les uns, comme les noms des lettres de l’alphabet, n’ont qu’un seul cas; les autres en ont trois, comme prœdium, prœdii, proedio ; ceux-ci en ont quatre, comme mel, mellis, melli, melle; ceux-là en ont cinq, comme quintus, quinti, quinto, quintum, quinte; enfin d’autres en ont six, comme unus, unius, uni, unum, une,uno. Où est l’analogie?

64. Je demanderai aussi avec Cratès pourquoi, à l’exemple des Grecs, qui donnent des cas aux noms des lettres, nous ne disons pas alpha, alphati, alphatos.Si l’on me répond, comme à Cratès, que les noms de nos lettres ne sont pas latins, mais tout à fait étrangers, je demanderai à mon tour pourquoi les Grecs déciment les noms qu’ils ont empruntés aux Latins, aux Perses et aux autres peuples étrangers.

65. Car s’ils suivaient l’analogie, ils devraient ne donner qu’un seul cas aux mots phéniciens et égyptiens, et en donner plusieurs aux mots gaulois et autres. Car on dit, par déclinaison d’alauda, alaudas; et ainsi d’autres mots. Si, d’un autre côté, mes adversaires m’objectent, ainsi qu’ils l’ont écrit, que les noms des lettres grecques ne doivent avoir qu’un seul cas, parce qu’elles viennent des Phéniciens, je leur demanderai pourquoi les Grecs ne donnent que cinq cas, au lieu de six, aux mots qu’ils nous empruntent. Or cela est une anomalie.

66. D’après l’analogie, les cas, suivant eux, devraient avoir une seule forme; et cependant il n’en est pas ainsi. Car l’usage permet de dire également ovi, avi,et aveove,à l’ablatif singulier; puppis, restiset puppes, restes, au nominatif pluriel; civitatum, parentum, et civitatium, parentium,au génitif pluriel; montes,  fontes, et montis,  fontis, à l’accusatif pluriel.

67. Si, d’après la loi de l’analogie, des mots semblables doivent produire des dérivés semblables, et qu’on fasse voir néanmoins qu’il n’en est pas ainsi dans la réalité, il s’ensuit qu’on ne doit tenir aucun compte de cette loi. Or, on peut faire voir qu’il n’en est pas ainsi. Quoi de plus semblable, en effet, que gens, mens, densCependant le génitif et l’accusatif pluriel de ces mots ne se ressemblent pas; car on dit, au génitif, gentium, mentiumdentum, et à l’accusatif, gentis, mentes, dentes.

68. Pareillement, puisque sciurus (écureuil), lupus (loup) et lepus (lièvre), sont semblables au nominatif, pourquoi ne dirait-on pas au datif, d’après l’analogie, sciuro,lupo, lepoSi l’on répond que cela tient à ce que l’on dit au vocatif sciure,lupe, lepus (car je ne fais ici que reproduire la réponse d’Aristarque à Cratès, qui prétendait que Philomedes, HeraclidesMelicertes, étaient des mots semblables, et à qui Aristarque objecta qu’ils ne l’étaient pas, parce que, au vocatif, Φιλομήδης fait Φιλόμηδες; Ἡρακλείδης fait Ἡρακλείδη; Μελικέρτης fait Μελικέρτα ; si l’on répond, dis-je, que cela tient à ce que ces mots ne sont pas semblables au vocatif, cette réponse prouve que celui qui la fait ne comprend pas ce dont il est question.

 69. Car répondre que des mots ne sont pas semblables au nominatif parce qu’ils sont dissemblables dans les cas obliques, c’est se placer en dehors des choses que l’on compare, pour savoir si ces choses se ressemblent ou non.

70. Poursuivons. Puisqu’on dit aves, oves, sues, pourquoi ne dirait-on pas ovium, avium, suiumPourquoi dit-on dii Penates, dii Consentes,et non dei,comme reiferrei,puisqu’on dit au nominatif singulier deus,reus, ferreus?

71. Deorum Consentium ne serait-il pas plus conforme à l’analogie que deum Consentum? denariorum, que denariumOn dit en effet denarius, comme Vatinius,Manilius :pourquoi ne dirait-on pas denariorum, comme  Vatiniorurn, Maniliorum? mille assariorum, plutôt que mille assarium (mille as), prix du louage d’un cheval public? car assarius, dont le nominatif pluriel est assarii devrait faire régulièrement assariorum.

72. La seconde syllabe de Hectorem, Nestorem, accusatifs de Hector, Nestor, devrait être longue, comme dans quaestorem,praetorem, accusatifs de quœstor, praetor.Où est l’analogie entre quibus et hisPourquoi ne dirait-on pas hibus quibus,à l’imitation de his guis, ei qui?

73. On dit, il est vrai, patrifamiliai, mais, d’après l’analogie, on ne devrait pas dire paterfamilias ,mais paterfamiliœ; car familia devrait faire au génitif familiœ,de même que Atinia, scatinia,font Atiniœ, scatiniœ .On ne devrait pas dire non plus, au pluriel, patres familias,mais, comme Sisenna l’écrit, patresfamiliarum.

74. On a tort également d’observer l’usage, et de dire boum ou boverum, Joum ou Joverum,en parlant de troupeaux de bœufs ou de statues de Jupiter : ce qui constitue une anomalie avec Jovis bovis, struis; Jovem, bovem, struem; Jovi, bovi, strui; et l’accord de ces mots dans les cas obliques aurait dû se retrouver dans les cas directs; tandis que l’usage, au contraire, a substitué Juppiter à Jovis,bos à bovis, strues à strus.

75. Je passe à la seconde espèce de déclinaison, comme  album, albius, albissimum, qui est aussi un sujet de dispute entre les grammairiens. Là, comme ailleurs, l’analogie et l’usage se contrarient. Ainsi, par exemple, salsum et caldum font salsius et caldius,salsissimum et caldissimum; et cependant bonum et malum,qui devraient faire, par analogie, bonius et malius, bonissimum etmalissimum, font melius et optumumpejus et pessimum.

76. Tantôt les trois degrés se trouvent réunis :dulcis (doux), dulcior, dulcissimus.Tantôt le premier manque: pejus, pessimum.Tantôt c’est le second : coesius (bleu), coesissimus.Enfin, mane (matin), optimum (très bon), melius (meilleur), n’ont point de corrélatifs.

77. On dit macer, macerrimus; sacer, sacerrimus; tener, tenerrimus;mais l’analogie ne se retrouve plus dans le second degré:  macrior et tenerior, dont l’un a trois syllabes, et l’autre quatre. On dit encore candidissimus, candidissima; pauperrumus,pauperrima; et l’on ne dit pas pauper, PAUPERA, à l’imitation de candidus, CANDIDA. Pourquoi l’usage n’a-t-il pas adopté frugalissimus, frugalissima; frugus,fruga,conformément à doctus,docta; doctissimus, doctissima?

78. Sapiens et diligens, sapientior et diligentior, se disent pour le masculin et le féminin; mais au superlatif il n’en est plus de même, et l’on dit sapientissimus, diligentissimus, pour le masculin; sapientissima, diligentissima, pour le féminin. Je pourrais multiplier les exemples; mais ceux que je viens de donner suffisent pour démontrer que l’analogie n’est point une loi dont on ne puisse se départir.

79. Dans les déclinaisons qui indiquent la diminution, comme  cista (panier), cistula, cistelia, a similitude est également en défaut. Ainsi dans macer, macriculus, macellus;niger, nigriculus, nigellus,le second degré n’est point conforme à l’analogie. Dans avis, avicula, avicella; caput, capilulumcapitellum, même défaut de rapport entre le dernier degré et les deux autres. Les nombreuses dissimilitudes qui se rencontrent dans cette espèce de déclinaisons prouvent que, ici comme ailleurs, L’usage doit être préféré à l’analogie. C’est la conclusion générale qu’il faut tirer de tout ce que j’ai dit relativement aux quatre espèces de vocables.

80. Il me reste à parler des noms, qui, comme je l’ai fait remarquer, différent des vocables, en ce qu’ils sont définis et désignent des choses propres, comme Paris, Helena, tandis que les vocables sont indéfinis et désignent des choses générales, comme vir, mulier. Les noms dérivent, ou d’autres noms, comme Ilium, de Ilus;  Ilia, de Ilium;ou de vocables, comme Albius, de albus (blanc); Atrius,de ater, atri (noir). Or, cette déclinaison n’a aucun rapport avec celle de Roma, dérivée de Romulus.

... 81 … On devrait dire Perpernus,et non Perperna, dont la terminaison indique un nom féminin, de même qu’on dit Arvernus  et Arverna, Percelnus et Percelna. Que si l’on dit Marcus Perperna,il faudrait dire, par analogie, Lucius Aelia et Quintus Mutia.Enfin, de même que l’on dit, par exemple, Rhodius, Andrius, par dérivation de Rhodos etAndros, pourquoi ne dirait-on pas Cyzicius au lieu de Cyzicenuscar ...

82 ... Athenaeus est le nom d’un rhéteur, quoique ce rhéteur ne soit pas d’Athènes, et ici l’analogie manque encore; car, parmi les noms propres, les uns sont empruntés à la ville natale; les autres n’ont pas cette origine; les autres enfin sont empruntés à des villes qui n’ont pas vu naître ceux qui les portent.

83. Dans les villes municipales, la plupart des affranchis doivent leurs noms à celui de la ville où ils ont reçu la liberté, tandis que les esclaves des collèges et des temples, après leur affranchissement, empruntent leur nom nouveau à une autre circonstance. De même qu’un affranchi de Faventia est appelé Faventius; un affranchi de Réate, Reatinus, on aurait dû appeler Romanus un affranchi de Rome; mais l’usage, qui ne tient pas compte de l’analogie, a fait appeler Romanenses les affranchis, nés d’esclaves publics, qui n’ont pas encore reçu le nom particulier que le magistrat, qui les affranchit, doit leur imposer.

84. De là les noms de Lesas, Ufenas. Carinas, Moecenas, qui ...

LIVRE IX

1.... De ce nombre fut Cratès, célèbre grammairien, qui, s'appuyant de l'autorité du judicieux Chrysippe, à qui nous devons six livres sur l'anomalie, attaqua Aristarque et l'analogie; mais, ses écrits le font assez voir, il ne démêla pas  l'intention de Chrysippe et d'Aristarque. Le premier, en effet, dans son traité sur l'anomalie, se propose de démontrer que souvent des mots dissemblables désignent des choses semblables, et réciproquement, ce qui est vrai; et le second, dans son traité sur l'analogie, veut qu'on suive la dérivation des mots, autant que l'usage peut le permettre.

2. Or, ceux qui veulent que, dans le langage, on suive en partie l'usage, en partie l'analogie, ne doivent pas être accusés d'inconséquence, parce que l'usage et l'analogie ont plus d'affinité qu'on ne pense.

3. L'analogie et l'anomalie sont nées, jusqu'à un certain point, de l'usage. Or, l'usage ayant pour fondement ce double principe, il s'ensuit qu'on ne doit rejeter ni l'anomalie ni l'analogie. De ce que l'homme est composé d'une âme et d'un corps, serait-il raisonnable d'induire que l'homme n’a point d'âme?

4. Mais, pour rendre mon explication plus claire, et prévenir la confusion dans laquelle tombent ordinairement les partisans des deux opinions, je distingue trois espèces de rapports : 1° le rapport de la nature et de l'usage, dont les conséquences sont différentes; car autre chose est de montrer les analogies des mots, autre chose de dire qu'il faut se conformer à l'analogie; 2° le rapport du général et du particulier: l'analogie doit-elle s'étendre à tous les mots ou seulement au plus grand nombre? 3° le rapport des personnes entre elles, par suite duquel la minorité doit céder à la majorité.

5. En effet, autre est le peuple entier, autre l'individu; autre est la condition du poète, autre celle de l'orateur; car ils ne sont pas soumis aux mêmes lois. Ainsi le peuple entier doit, dans toute espèce de mots, se conformer à l'analogie, et si l'usage est vicieux, se corriger; mais l'orateur est tenu d'y déroger quelquefois, et le poète peut impunément franchir les barrières.

6. Le peuple relève de lui seul, tandis que l'individu relève du peuple; de sorte que le peuple peut corriger sa manière de parler, de même que chaque individu peut corriger la sienne propre, si elle est vicieuse. Je n'ai pas le droit d'imposer mon usage au peuple; mais le peuple a le droit de m'imposer le sien. De même qu'un pilote obéit à l'art et à la raison, et que les gens de l'équipage obéissent au pilote, de même le peuple doit obéir à la raison, et chaque individu au peuple. C'est pourquoi si vous avez soin de distinguer les principes d'où je déduirai tour à tour mes conclusions, vous comprendrez aisément quand je me bornerai à constater ce qu'exigerait l'analogie, et quand je dirai qu'il faut s'y conformer; et, dans le cas où l'usage doit céder à l'analogie quand je parlerai relativement au peuple entier et quand je parlerai relativement à l'individu.

7. Je traiterai d'abord de l'analogie, en faisant voir ce qui me semble la justifier et nous faire une loi de la suivre, jusqu'à un certain point, dans l'usage. Ensuite, passant aux griefs dont elle est l'objet, je les combattrai l'un après l'autre, en opposant, à ce que j'ai dit dans le livre précédent contre l'analogie, les raisons contraires qui la justifient, et que je n'ai point données dans le même livre.

8. On dit que, pour bien parler, il faut se conformer à l'usage et non à l'analogie, parce que, en ne se conformant pas à l'usage, on déplaît toujours, et parce que, en suivant l'analogie, on s'expose souvent à déplaire. Ce raisonnement est mal fondé, en ce que ceux qui se conforment à un usage bon en lui-même suivent en même temps l'analogie.

9. En effet, dans les déclinaisons où l'analogie et l'usage sont d'accord, nous suivons à la fois deux guides, et lorsque la déclinaison est défectueuse, nous réformons l'usage d'après l'analogie. De même que, dans la disposition d'une salle à trois lits, si la forme d'un des lits n'est pas semblable à celle des deux autres, ou si leur dimension n'est pas la même, nous réformons cette inégalité en consultant et l'usage et l'analogie; de même si, dans le langage, nous pêchons contre la similitude, nous devons corriger cette anomalie d'après la loi d'analogie qui régit les autres mots.

10. On peut pécher dans Ies déclinaisons de deux manières, ou en suivant un usage vicieux ou en tombant dans une anomalie que l'usage n'a pas encore sanctionnée. Dans le premier cas, on s'accorde qu'il n'est pas permis de déroger à l'usage, dans le second, on conteste le droit de persister dans une anomalie que l'usage n'a pas accréditée : de même qu'on permettrait de corriger le défaut d'un enfant qui s'amuserait à marcher de travers et à imiter l'allure de ceux qui ont les jambes tortues, et qu'on ne permettrait pas de remédier au même défaut, qui se serait invétéré par l'habitude.

11. Il faudrait donc conclure de là qu'on cède à une tendresse peu judicieuse, en attachant des éclisses aux genoux des enfants, pour corriger les imperfections de la nature. Or, on n'a jamais blâmé un médecin d'avoir guéri quelqu'un d'une maladie invétérée : pourquoi donc blâmerait-on celui qui réformerait un vice de langage, accrédité par l'usage.

12. On n'a jamais reproché à Apelle, à Protogène, et autres peintres célèbres, de s'être écartés de la manière de leurs devanciers, tels que Mycon, Dioris, Arimna: pourquoi reprocherait-on à Aristophane d'avoir préféré la vérité à l'usage ?

13.  Que si on a fait un titre de gloire à des hommes distingués dans la guerre ou dans d'autres arts d'avoir souvent dérogé au vieil usage, il faut donc rejeter l'opinion de ceux qui prétendent que l'usage doit l'emporter sur la raison.

14. Quoi ! non seulement nous ne souffrons, mais encore nous punissons un citoyen qui a contracté l'habitude d'une conduite vicieuse; et nous ne corrigerions pas celui qui a contracté l'habitude d'un langage défectueux, d'autant que cette correction n'est accompagnée d'aucun châtiment?

15. Nous envoyons les enfants aux écoles pour apprendre l'orthographe, et nous n'enseignerions pas aux hommes ignorants les règles du langage ?

16. De même qu'une nourrice n'ôte pas brusquement l'usage du lait à un enfant, mais le déshabitue peu à peu de cet aliment en l'accoutumant par degrés à un aliment plus fort; de même, dans la correction du langage des hommes, la transition doit être graduelle et mesurée. Les vices du langage sont peu ou profondément enracinés. Dans le premier cas, il faut s'empresser de les corriger; dans le second, il faut s'abstenir, autant que possible, de faire usage des locutions dont la réforme demande du temps : en s'oblitérant par la désuétude, elles deviendront ultérieurement plus susceptibles de correction.

17. Le forum rejette ordinairement certaines locutions que l'esprit d'analogie veut introduire; mais alors c'est aux poètes, qui en cela ont beaucoup d'influence, et surtout aux poètes scéniques, d'accoutumer les oreilles du peuple à ces réformes du langage. SI la déclinaison de certains mots s'améliore ou se corrompt, c'est aux poètes qu'il faut en attribuer la cause. En effet, l'usage est sujet à la mutabilité, qui est une condition du mouvement, et partant sujet à se corrompre ou à se perfectionner. Quant à l'influence des poètes, elle est telle qu'ils ont non seulement accrédité des mots anciens qui étaient défectueux, mais qu'ils ont encore contribué à l'altération de mots qui ne l'étaient pas.

18. Suivons donc ceux qui nous rappellent à l'usage, si cet usage est bon; car, en suivant l'usage, nous suivrons aussi l'analogie. Mais si l'usage est vicieux, qu'il en soit alors pour nous de cet usage comme des mauvais exemples, qu'il ne faut suivre que par nécessité et malgré nous. Lysippe ne crut jamais que le mauvais exemple de ses devanciers dût prévaloir contre l'art. S'il est du devoir du peuple entier de se corriger, l'individu peut donner l'exemple de la réforme, en tant qu'il ne choque pas ouvertement l'usage général.

19. Afin d'effacer jusqu'à la trace des mots perdus, les adversaires de l'analogie non seulement s'abstiennent de toute investigation, mais encore se déclarent contre l'apparence du moindre indice qui pourrait faire retrouver un mot.

20. L'introduction d'un mot nouveau, avoué par la raison et l'analogie, ne doit pas être rejetée. Voit-on que, dans les vêtements, dans les édifices, dans les meubles, la longue habitude soit un obstacle à la nouveauté? Qui a jamais aimé ses vieux habits au point de n'en vouloir point changer ? Les anciennes lois ne sont-elles pas souvent abrogées, et remplacées par d'autres ?

21. La forme nouvelle des vases grecs a remplacé la forme ancienne de nos pots et de nos tasses : pourquoi se refuserait-on à adopter des mots nouveaux, conseillés par la raison, comme si ces mots étaient empoisonnés? En quoi le sens de la vue est-il si différent du sens de l'ouïe, qu'il soit permis à l'oeil de se récréer par la nouveauté, et que ce plaisir soit refusé à l'oreille?

22. Où sont les maîtres qui donnent aujourd'hui à leurs esclaves des noms tombés en désuétude? Où est la femme qui, en parlant de sa parure ou de ses bijoux, se sert des noms de l'ancien temps? Toutefois il faut moins s'indigner contre ce qui est suranné que contre les défenseurs de ce qui est suranné.

23. Si l'analogie ne se trouvait nulle part, elle ne se trouverait pas plus dans les mots qu'ailleurs ; mais si, comme de fait, elle se trouve partout, elle existe nécessairement dans les mots. XVIII. Quelle est la partie du monde où les analogies n'abondent? Le ciel, la mer, la terre, l'air, en  sont remplis, ainsi que tout ce qu'ils renferment.

24. Le cercle équinoxial n'est-il pas à égal distance des deux tropiques ? Le pôle supérieur n'est-il pas à la même distance du cercle septentrional, et le cercle septentrional, du solstice d'été, que le pôle inférieur l'est du cercle antarctique, et le cercle antarctique, du solstice d'hiver? Les autres ne recommencent-ils pas chaque année leur cours de la même manière?

25. La ligne que décrit le soleil en allant du solstice d'hiver à l'équinoxe, est-elle différente de celle qu'il décrit en revenant du solstice d'été au même point ? En s'éloignant du soleil pour aller vers le nord, et du nord pour retourner vers le soleil, la lune n'accomplit-elle pas la même révolution qu'en s'éloignant du soleil pour aller vers le midi, et du midi pour retourner vers le soleil? Mais je laisse le ciel, où il serait fort difficile de découvrir la moindre anomalie dans le cours des astres.

26. Jetons les yeux sur la mer, et considérons les mouvements alternatifs de ses eaux, qui s'avancent et se retirent de six heures en six heures. Chaque jour ne ramène-t-il pas les mêmes oscillations journalières, et chaque mois à son tour ne ramène-t-il pas les mêmes mouvements mensuels? J'ai parlé de ces phénomènes dans mon traité sur les marées.

27. La terre nous présente la même concordance : elle s'enrichit chaque année des mêmes fruits qu'elle a portés dans les années précédentes; elle rend avec la même usure le froment et l'orge dont elle a repu la semence. L'Asie n'a-t-elle pas, comme l'Europe, des fleuves, des lacs, des montagnes, des champs?

28. La même loi ne se retrouve-t-elle pas dans les différentes espèces des oiseaux? L'aigle naît de l'aigle; la grive, de la grive; et ainsi des autres oiseaux. Nous pouvons encore admirer cette harmonie dans l'air et dans les eaux : les coquillages, ces poissons innombrables, ne sont-ils pas semblables entre eux dans chaque espèce? Voit-on la lamproie donner naissance au loup marin, ou à quelque autre poisson d'une espère différente? Le taureau ne ressemble-t-il pas au taureau? le veau ne naît-il pas semblable au veau? Même, dans les produits de l'accouplement de deux espèces différentes, la nature sait conserver la loi des rapports; et, de même que l'accouplement d'un âne et d'une jument donne naissance à un mulet ou à une mule, l'accouplement d'un cheval et d'une ânesse donne naissance à un animal d'une nature correspondante (hinnuleus).

29 L'homme et la femme ne produisent-ils pas des êtres semblables à eux, c'est-à-dire des hommes et des femmes? la forme de leurs membres n'est-elle pas semblable selon chaque espèce ? Hommes et femmes, nous sommes tous composés d'une âme et d'un corps, et chaque partie de cette âme et de ce corps se ressemble dans tous.

30. L'âme de chaque homme ou de chaque femme est composée de huit parties, et toutes ces parties sont les mêmes dans chaque homme et dans chaque femme. Cinq de ces parties sont les organes de la sensation ; la sixième est celui de la pensée; la septième, celui de la génération; la huitième, celui de la voix. Or, puisque la voix est l'organe du langage, le langage doit naturellement comporter la loi de l'analogie; donc le langage est sujet à l'analogie.

31. Les Latins ne distinguent-ils pas, comme les Grecs, quatre espèces de mots : ceux qui ont des cas, ceux qui ont des temps, ceux qui n'ont ni cas ni temps, ceux enfin qui ont des cas et des temps? Chez les Latins,comme chez les Grecs, les mots ne se divisent-ils pas en définis et en indéfinis?

32. Qui n'a pas remarqué la conformité qui se retrouve dans les innombrables  formes des verbes, cette triplicité de temps et de personnes, comme legebamlegolegam ; legolegislegit, qui se reproduit encore au pluriel; enfin cette analogie toujours subsistante dans la diversité des modifications, qui présentent tour a tour l'idée de commandement, de désir, d'interrogation, d'imparfait, de parfait, etc.?

33. Nier la loi de l'analogie, c'est donc méconnaître la nature, non seulement du langage, mais du monde; de même que reconnaître l'existence de l'analogie sans vouloir s'y conformer, c'est agir, non contre l'analogie, mais contre la nature elle-même. Enfin, c'est combattre avec une pincette a épiler, et non avec une épée, que d'éplucher le langage vulgaire, et de citer quelques mots usés, pour ainsi dire, par le frottement, pour prouver que l'analogie n'existe pas. Autant vaudrait conclure, par exemple, de la difformité d'un taureau sans cornes, d'un homme borgne, ou d'un cheval boiteux, que la nature des taureaux, des hommes et des chevaux n'est point soumise à la loi de l'analogie.

34. Il y a, dit-on, deux sortes d'analogie : une analogie naturelle, comme celle qui régit la reproduction des plantes et fait qu'une lentille naît d'une lentille, etc.; une analogie volontaire, comme celle qui préside, par exemple, à la construction d'un théâtre, où l'architecte pratique, selon sa volonté, une entrée à droite, et une autre entrée correspondante à gauche. Les auteurs de cette distinction en concluent que l'analogie naturelle, comme celle qui règle, par exemple, les révolutions célestes, mérite seule le nom d'analogie, et que l'autre ne doit pas être regardée comme une analogie, parce que la structure d'un théâtre dépend uniquement de la volonté de l'architecte ; qu'ainsi la loi de l'analogie se trouve dans le corps humain, parce que c'est la nature qui en a disposé les parties; mais qu'elle ne se trouve pas dans le langage, parce qu'il a pour origine la volonté des hommes, qui, par exemple, en Grèce, en Syrie, en Italie, désignent les mêmes choses par des mots différents. Selon moi, les déclinaisons des mots sont à la fois volontaires et naturelles : volontaires, dans la création des mots qui servent à désigner les choses, comme Roma, de RomulusTiburtes (habitants de Tibur), de Tibur; naturelles, dans les modifications qui servent à désigner les cas ou les temps, comme RomuloRomuliRomulum; de Romulusdicebamdixeram, de dico.

35. C'est pourquoi les déclinaisons volontaires sont variables, et les déclinaisons naturelles, invariables. Or, comme il est incontestable que ce double caractère d'unité et de variété existe dans le langage, puisqu'il existe dans toutes les parties de l'univers, il faut reconnaître que les déclinaisons sont soumises à l'analogie, d'autant qu'elles sont innombrables. Il ne s'ensuit pas qu'on doive y ramener tout d'abord tous les mots irréguliers; car si, en voulant réformer un usage vicieux, on s'expose à  choquer tout le monde, la raison nous fait alors un devoir de ne pas suivre la raison.

36. J'ai suffisamment discuté les raisons générales qui constatent que le langage est soumis à l'analogie, et déterminent les bornes dans lesquelles doit se renfermer l'observation de cette loi. Je passe à la discussion des griefs auxquels les mots, pris en particulier, ont pu donner lieu contre l'analogie.

37. Remarquez d'abord que les mots sont, dans leurs déclinaisons, assujettis naturellement à quatre conditions. En effet, tout mot doit être la signification d'une chose, cette chose doit être en usage; la nature du mot doit être déclinable; enfin le mot doit conserver dans ses déclinaisons, la trace de sa forme radicale.

38. Ainsi on aurait tort de vouloir qu'on dît  terrus, par dérivation de terra (terre) parce  qu'ici rien ne comporte naturellement la distinction du genre masculin et du genre féminin. De même, rien n'exige qu'on dise faba (fève) au pluriel, de même qu'on dit Terentius, Terentii, parce qu'on distingue un homme d'un homme et qu'on ne distingue pas une fève d'une autre fève. De ce qu'on dit Terentius,Terentium, il ne s'ensuit pas qu'il faille décliner les noms des lettres de l'alphabet, parce que la nature de chaque mot ne comporte pas nécessairement la déclinaison.

39. Dans l'examen de deux mots de forme semblable, il ne faut pas seulement considérer leur ressemblance apparente, mais il faut encore tenir compte de leur valeur intrinsèque. Ainsi la laine gauloise et la laine d'Apulie paraissent semblables à celui qui ne sait en juger que sur l'apparence ; mais le connaisseur ne cesse pas d'acheter, quoique à un prix plus élevé la laine d'Apulie, parce que celle-ci est d'un meilleur usage. Ces différents points, que je n'ai fait qu'effleurer, auront leur éclaircissement. Je commencerai par ce dernier.

40. Est-ce dans la forme du mot ou dans sa signification que consiste la similitude? Je répondrais que c'est dans la forme du mot. Quelquefois il est vrai, nous voulons savoir si les choses que les mots désignent sont semblables en genre, et alors nous comparons un nom masculin avec un nom masculin, un nom féminin avec un nom féminin, non que la chose signifiée nous importe, mais parce qu'il arrive assez souvent que des mots dissemblables ont des formes semblables, et réciproquement. Ainsi nous disons, d'après la forme que telle ou telle chaussure est une chaussure d'homme ou de femme, quoique nous sachions bien que quelquefois des hommes portent des chaussures de femme, et réciproquement.

41. Ainsi Perpenna et Alphena ont une forme féminine, quoique le premier soit un nom d'homme et le second un nom de femme; et les mots paries (mur) et abies (sapin), quoique semblables quant à la forme, diffèrent quant au genre, car le premier est masculin et le second féminin, et désignent deux choses qui ne sont ni de genre masculin ni du genre féminin. C'est pourquoi nous disons qu'un mot est masculin, non parce qu'il désigne un être de nature mâle, mais parce qu'il peut être précédé de hic ou hi  et pareillement nous disons qu'un mot est féminin, non parce qu'il désigne un être féminin  mais parce qu'il peut être précédé de haec ou de hae.

42. C'est donc faire une objection oiseuse que de dire queTheona et Diona ne sont pas des noms semblables, parce que l'un peut désigner un homme noir, et l'autre un homme blanc; car c'est juger de la forme des mots par la dissimilitude des choses qu'il désigne.

43. Aristarque a tort, dit-on, d'enseigner que, pour connaître si deux noms sont semblables, il faut considérer, non seulement le nominatif, mais encore les cas obliques : en quoi, ajoutent ses adversaires, il est aussi ridicule qu'un homme qui prétendrait ne pouvoir juger s'il y a ressemblance entre un père et une mère, qu'après avoir vu les enfants. Ce raisonnement manque de justesse, parce que les cas obliques ne servent pas à faire naître les rapports apparents des nominatifs, mais leurs rapports intrinsèques; de même qu'une lumière, apportée dans les ténèbres, ne change pas la forme des choses qui y étaient cachées, mais sert à distinguer si ces choses sont plus ou moins semblables.

44. Quoi de plus semblable en apparence que les désinences de crux et de Phryx ? l'oreille ne peut en distinguer la différence. Cependant cruces et Phrygescruci et Phrygi, nous font sentir que crux et Phryx ne sont pas semblables.

45. On objecte, contre l'existence de l'analogie, que la similitude ne se retrouve pas dans la majorité des mots. Cette objection est doublement erronée : d'abord, parce qu'il est faux que la similitude ne domine pas dans le langage; en second lieu, parce que, dans la supposition contraire, l'analogie ne laisserait pas d'exister. Autant vaudrait dire que nous ne portons pas de chaussures, parce que nos chaussures ne couvrent qu'une petite partie de notre corps.

46. Nous aimons, dit-on, la dissimilitude, et la variété nous plaît dans les meubles, dans les vêtements, qui ne sont pas les mêmes pour les hommes que pour les femmes. A cela je réponds que si la variété est une cause de plaisir, rien n'est plus varié que les objets où la similitude s'allie à la dissimilitude. C'est le but qu'on se propose dans les ornements du langage, comme dans les ornements d'un meuble, où le contraste de l'argent et du bois n'exclut pas la similitude.

47. Mais pourquoi, dit-on, si la similitude est une loi inviolable, prenons-nous plaisir à avoir des lits en ivoire, en écaille, etc. ? A cela je réponds pareillement que, dans cette variété, le contraste n'exclut pas davantage la parité; et je prends encore l'ameublement pour exemple. Dans une salle à trois lits, ces trois lits ne sont-ils pas toujours de la même matière, de la même hauteur, de la même forme? Les serviettes, les coussins, enfin toutes les choses qui sont de la même espèce ne sont-elles pas semblables entre elles?

48. Mais, dit-on, puisque le langage a pour fin l'utilité, c'est l'utilité, et non la similitude, qu'on doit se proposer en parlant. J'accorde que le langage a pour fin l'utilité, mais qu'il en est du langage comme de l'habillement. Ainsi, chez les hommes, la tunique et la toge ont une forme commune; et, chez les femmes, l'étole et le pallium ont également une forme commune. Pareillement, dans le langage, quoique les mots aient été créés pour l'utilité, nous devons observer la similitude dans ceux qui sont du genre masculin et dans ceux qui sont du genre féminin...

49. On infère de ce que la déclinaison de... et de percubuit, n'est pas conforme à celle de persedit et de perstitit, que l'analogie n'existe pas. Or, cette induction est fausse, en ce que persedit et ...  n'ont point la même racine que persedit et perstitit, l'analogie consistant seulement dans la conformité des dérivés et des racines.

50. Les objections tirées de ce qu'on dit Roma et non Romula, de Romulus, et de ce qu'on dit ovilia de ovis, tandis que bovilia, de bosbovis, est inusité, ne sont pas mieux fondées, parce que l'analogie ne consiste pas  à étendre la forme du nominatif d'un mot à un autre mot, mais seulement à observer la similitude dans les cas obliques de deux mots semblables.

51. On ne décline pas, dit-on, les noms des lettres latines, et par conséquent l'analogie n'existe pas. Je réponds que, en prétendant qu'on doit décliner des mots dont la nature ne comporte pas la déclinaison, on oublie que l'analogie consiste uniquement dans la conformité de la déclinaison des mots semblables. Or, les noms des lettres ne sont pas plus susceptibles de déclinaison que les syllabes, dont la forme est naturellement invariable : hoc ba, huius ba et autres.

52. Que si l'on veut que l'analogie s'étende à tout sans exception, j'y consens; car, de même que mes adversaires eux-mêmes reconnaissent qu'il y a des mots qui ont cinq cas, d'autres quatre, d'autres moins, on peut dire aussi qu'il y a des mots qui, comme les lettres et les syllabes, n'ont qu'un cas ; et par conséquent, de même que, parmi les mots qui ont plusieurs cas, ils comparent entre eux, pour constater l'existence de l'analogie, ceux qui en ont quatre, ceux qui en ont trois, etc., de même, parmi ceux qui n'en ont qu'un, ils seront forcés de reconnaître qu'en disant hoc E, huic E, comme on dit hoc A, huic A, l'analogie est observée.

53. On objecte encore qu'Il y a des mots qui, comme caput (tête), ont une déclinaison, mais n'ont point d'analogues. Je réponds que ce qui est unique exclut nécessairement l'idée de rapport, et qu'il faut au moins deux mots pour qu'il y ait matière à analogie. Aussi a-t-on raison de dire que l'analogie ne se trouve pas là.

54. Mais quant à nihil, on retrouve la trace de son analogie dans le cas direct nihiium, qui se lit dans ce passage d'Ennius : Quae... neque dispendi facit hilum, qui équivaut à nec dispendii  facit quidquam; et dans le cas oblique, nihili, dont s'est servi Plaute : Video enim te nihili, etc. Nihili est un mot composé de la négation non et de hili : de là homo nihiliun homme de rienqui non hili est. Il est indéclinable, et nous disons homo nihilihominis nihilihominem nihili. S'il était déclinable, nous dirions nihilum et nihilo, comme on dit linum et libumlino et libo. On pourrait, au reste, y voir un génitif régi par des antécédents, comme dans hic casus Terentiihunc casum Terentiihic miles legionishujus militis legionishunc militem legionis.

55. Puisque toute nature est ou mâle ou femelle ou neutre, les formes de chaque mot devraient, dit-on, correspondre à cette triple distinction, comme albusalbaalbum. Or beaucoup de mots n'ont que deux formes, comme MetellusMetellaEnniusEnnia; d'autres n'ont qu'une, comme tragoediacomoedia. On dit Marcus et Numeriuscorvus et turdus (grive); mais Marca et Numeriacorva et turda, sont inusités. On dit, au contraire, panthera et merula (merle), et l'on ne dit pas  pantherus et merulus. Le sexe de nos enfants est toujours désigné par des noms distincts, comme Terentius et Terentia. Il n'en est pas de même des enfants des dieux et des esclaves. Ainsi l'on ne dit pas Jovis ou Jova, pour désigner un fils ou une fille du maître des dieux. Enfin, dans une foule de mots de cette espèce, l'analogie n'est point observée.

56. A cela je réponds que, bien que les différences naturelles des choses ne laissent pas d'exister indépendamment des mots, ces distinctions ne passent pas dans le langage, lorsque l'usage n'en tient pas compte. Ainsi on dit equus (cheval) et equa (cavale), parce que, dans l'usage, on distingue le mâle de la femelle; mais on dit corvus (corbeau) pour désigner le mâle et la femelle, parce que la distinction de la nature mâle et femelle de cet oiseau nous importe peu. C'est pourquoi certains noms ont, avec le temps, subi des modifications. Anciennement columba (colombe) désignait indistinctement le mâle et la femelle, parce que cet oiseau n'était d'aucun usage; mais aujourd'hui qu'il est devenu une chose d'usage, le langage a dû adopter la distinction de la nature: aussi dit-on columbus pour le mâle, et columba pour la femelle.

57. Lorsque la nature d'une chose comporte les trois genres, cette distinction doit passer dans le langage. Ainsi l'on dit doctusdocta,doctum, parce que la science peut être considérée, ou par rapport à une chose, ou par rapport à un homme, ou par rapport à une femme. La nature mâle, ni la nature féminine, ni la nature neutre, ne comportent ces trois genres. C'est pourquoi l'on ne dit pas feminus,feminafeminum, etc.; et chacune de ces natures est désignée par un nom distinct et particulier.

58. Pareillement, les noms des choses dont la nature ou l'usage n'est pas semblable ne sont pas assujettis a la même loi. On dit donc surdus vir (un homme sourd), surda mulier (une femme sourde), surdum theatrum (un théâtre sourd), parce qu'un homme, une femme, un théâtre, sont naturellement destinés à entendre; mais on ne dit pas cubiculum surdum (une chambre sourde), parce qu'une chambre est faite pour le silence, et non pour l'audition. Cependant, si cette chambre n'a point de fenêtres, on dit qu'elle est aveugle (caecum), parce que toute chose a  besoin d'être éclairée.

59. Le genre masculin et le genre féminin ont entre eux une certaine affinité naturelle; mais le genre neutre n'en a presque jamais aucune avec les deux autres, parce qu'il est d'une nature ordinairement individuelle et absolue. C'est pour la même raison que les noms des dieux et des esclaves n'ont point deux formes, comme ceux des personnes libres. L'homme libre et le femme libre ne sont point confondus dans la société civile, comme l'homme esclave et la femme esclave dans la maison de leur maître : de là des noms communs pour les dieux esclaves des deux sexes, et des noms distincts pour les personnes libres. Aussi retrouve-t-on l'analogie dans les noms des personnes libres : TerentiusTerentia.

60. Les prénoms ne comportent pas non plus le troisième genre, parce qu'ils ont été créés pour distinguer dans la famille les personnes qui portent le même nom patronymique, comme SecundaTertia,Quarta, pour les femmes, et QuintusSextusDecimus, pour les hommes. Ces prénoms, empruntés à l'ordre numérique, comme ceux que je viens de citer, ou à quelque autre dénomination de ce genre, ont été imaginés pour distinguer, par exemple, deux ou plusieurs hommes du nom de Terentius. Peut-être le prénom de Manius a-t-il été formé de mane natus (né le matin) ; et celui de  Lucius, de luci natus (né au point du jour); celui de Postumus, de post et de natus (né après la mort du père).

61. Ces prénoms, donnés aux femmes par allusion aux mêmes circonstances, ont pris par analogie la forme du genre féminin ManiaLuciaPostuma. La mère des dieux Lares est, en effet, appelée  Mania; on trouve dans les chants des Saliens les noms de Lucia Volumnia; et même encore aujourd'hui se donne souvent le nom de Postuma à une fille née après le mort de son père.

62. On voit donc que l'analogie se retrouve dans tous les mots dont la déclinaison a la nature pour principe, et qu'elle ne régit pas ceux dont la déclinaison a pour principe la volonté de l'homme, qu'ils soient masculins, féminin ou neutres; car ceux-là seulement y sont assujettis, dont la déclinaison à la nature pour principe. Aussi est-ce sans raison que l'on prétend que l'analogie n'est pas observée dans les trois genres des noms.

63. On objecte contre l'analogie qu'il y a des mots qui n'ont que le singulier, comme cicer (pois chiche) ou le pluriel, comme scalae (échelle), tandis qu'ils devraient avoir les deux nombres, comme equus (cheval), equi (chevaux). Je réponds que, en faisant cette objection, on oublie que l'analogie est fondée sur la nature et l'usage. Le nombre singulier désigne ou ce qui est un naturellement, comme equus (cheval), ou ce qui, quoique multiple en soi, est un par rapport à l'usage, comme bigae (char attelé de deux chevaux). C'est pourquoi nous disons una Musa (une Muse) unae bigae (un char attelé de deux chevaux.

64. Le nombre pluriel est ou indéfini, comme Musae (les Muses), ou défini, comme duotresquatuor Musae (deux, trois, quatre Muses); unae, bigae, trinae bigae (un, deux, trois chars), il s'en suit de là que uniunaeuna, appartiennent en quelque sorte au nombre singulier, et ils diffèrent de unusunaunum qu'en ce que dans le premier cas, l'adjectif numéral s'accorde avec un nom qui désigne une unité collective et, dans le second, avec un nom qui  désigne une chose naturellement une. Il en est de même de binatrina, substitué duo, tria, comme uni à unus.

 65. Il y a une troisième groupe de mots qui, comme uter (lequel des deux), qui forment le nombre pluriel sous la forme du singulier, et qui, sans s'étendre à plus de deux termes ou de deux choses, prennent la forme du pluriel, comme utriutrae, en s'accordant avec les noms qui désignent une unité collective. Et l'on dit uter poeta (lequel de ces deux poètes ?), utri poetae (lequel de ces deux poètes ?). On voit clairement par là que tous les  mots qui ont la forme du nombre pluriel ne comportent pas celle du singulier. Tous les nombres au-dessus de deux, par exemple, ont la forme du pluriel, et naturellement ne comportent pas celle du singulier. C'est donc à tort qu'on prétend que la forme du nombre singulier implique nécessairement celle du pluriel.

66. Si l'on dit u

nguentumunguenta (parfum, parfums) ; vinum,vina (vin, vins) ; pourquoi acetum (vinaigre), garum (sauce faite avec la saumure du garus, sorte de poisson), et d'autres, n'ont-ils pas la forme du pluriel? Ceux qui font cette question n'ont pas pris la peine de distinguer les choses qui se comptent de celles qui se mesurent ou se pèsent, ni de remarquer que, pour désigner l'accroissement d'une quantité quelconque de plomb, d'huile, ou d'argent, il convient de dire multum plumbummultum oleummultum argentum, et non  multa olea, etc. On dit, à la vérité, plumbea etargentea en parlant de choses faites de plomb ou d'argent; mais argenteum n'est point un nom comme argentum : c'est un adjectif qui s'accorde avec un autre nom, comme vas (vase) ou poculum (petite coupe) : de sorte que le nombre pluriel se rapporte, non à l'argent dont la chose est faite, mais à la chose qui, comme une coupe ou un vase, est de la nature de celles qui se comptent.

67. Si, parmi les choses qui ne se comptent pas, il y en a de plusieurs espèces, la distinction de ces espèces explique la forme du nombre pluriel dans certains mots, comme vinum et unguentum. Autre est le vin de Chio, autre est celui de Lesbos: de là vina (vins). On distingue de même plusieurs sortes de parfums, qui ont des noms divers, tirés des divers pays qui les produisent : de la unguenta. S'il existait pareillement plusieurs espèces remarquables d'huile, de vinaigre, etc., on dirait oleaaceta, etc., comme on dit vinaunguenta. Aussi mes adversaires me semblent-ils détruire l'idée qu'on doit avoir de l'analogie, en voulant que des mots semblables désignent des choses d'un usage dissemblable, et qu'on suive la même règle pour les noms de choses qui se mesurent, et les noms de choses qui se comptent.

 68. On demande aussi pourquoi le singulier de balneae (bains publics) et le pluriel de balneum (bain particulier) n'existent pas, non plus que le singulier de scalae  (échelles, escaliers) et de aquae caldae (eaux thermales). On peut répondre que le premier bain public (balneum, nom d'origine grecque) fut établi à Rome dans deux édifies contigus, dont l'un était destiné aux hommes et l'autre aux femmes; que, dans la suite, le nom de balneum servit également à désigner le lieu d'une maison particulière, affecté au même usage ; mais que, ce lieu n'étant pas double, comme celui du bain public, le pluriel balnean entra pas dans le langage usuel, qui ne reçut que le singulier balneum en échange du mot ancien lavatrina.

69. On peut aussi expliquer pourquoi une source d'eau chaude est appelée aquae caldae, et non aqua calda. Après que l'usage se fut établi parmi nous de se servir de cette espèce d'eau comme d'un spécifique, on remarqua que l'eau de tel lieu convenait mieux à telle maladie que celle de tel autre; que celle de Puteoli, par exemple, était plus efficace que celle de l'Étrurie. Or, comme les sources fréquentées par les malades sont assez nombreuses, l'idée de pluralité influa sur la dénomination dont il est question. Quant à scalae (échelles, escaliers), mot dérivé de scandere (monter), il serait plus embarrassant de rendre raison du singulier scala, puisque scala, comme l'indique sa racine, ne désignerait qu'un seul échelon, un seul degré.

70. Autre objection. Certains mots n'ont que les cas directs; d'autres n'ont que les cas obliques. Or, tous les mots devraient avoir l'une et l'autre espèce de cas. On peut répondre que l'analogie suppose toujours l'usage ou la nature ...

71 ... ni dans les mots qui se déclinent, lorsqu'ils passent d'un nominatif à un autre nominatif. Cependant ces mots ne s'écartent pas sans raison de l'analogie, comme Faustini, nom d'une certaine classe de gladiateurs, dérivé de Faustus; car si la plupart de ces sortes de noms finissent par trois syllabes, comme CascellianiAquiliani, Caeciliani, il faut remarquer que Faustus n'a pas la même désinence que CascelliusCaecilius,  Aquilius, racines de Cascelliani, etc.; car si l'on disait Faustius au lieu de Faustus, on sent que Faustiani serait plus conforme à l'analogie. C'est ainsi que quelques-uns disent Scipionini, par dérivation de Scipio : ce qui est une anomalie ; car l'analogie veut Scipionarii. Mais, comme je l'ai dit, ces sortes de déclinaisons sont rares et peu en usage : aussi sont-elles flottantes et incertaines.

72. On induit de la similitude de stultus (sot) et luscus (borgne), par exemple qu'on devrait dire luscuslusciorluscissimus, de même qu'on dit stultusstultiorstultissimus. Je réponds à cela qu'on ne peut pas être plus ou moins borgne tandis qu'on peut être plus ou moins sot.

73. On demande pourquoi l'on ne dit pas  mane (matin), manius (plus matin), manissime  très matin), non plus que vespere(soir), vesperiusvesperrime. On peut répondre que le temps n'est point susceptible de plus ou de moins, et ne comporte que l'idée d'antériorité ou de postérité. Ainsi la première heure est antérieure à la seconde; mais l'heure en elle-même n'est pas susceptible de plus ou de moins. On dit, il est vrai,  que celui qui se lève à la première heure du matin se lève plus matin que celui qui ne se lève qu'à la seconde ; mais cette locution n'est pas conséquente, en ce que magis mane (plus matin) signifie le premier moment du matin, et magis vespere le dernier moment du soir.

74. On s'appuie encore sur cette sorte de similtitude pour attaquer l'analogie, et l'on demande si cadus (tonneau), qui est semblable à anus (vieille), n'a point de diminutifs, tandis qu'anus fait anicula,ancilia; pourquoi de piscina (vivier, réservoir d'eau) on n’a point formé, par une dérivation analogue, piscinulapiscinilla. J'ai déjà répondu que l'analogie se retrouve toujours dans les mots qui désignent des choses dont les différents degrés de grandeur ont quelque importance dans l'usage, comme cista (panier), cistula,cistella ; canis (chien), catuluscatellus, ce qui n'a pas lieu pour le bétail. C'est pour cette raison qu'il y a souvent deux mots pour désigner la même chose, selon quelle est plus ou moins grande, comme lectus (lit) et lectulus (petit lit), arca (cassette) et arcula(petite cassette).

75. De ce que certains mots n'ont pas les cas directs ni d'autres les temps obliques, il ne s'ensuit pas qu'il y ait là anomalie. Où est, dit-on, le nominatif   de frugis frugifrugem (fruit), et celui de colis,colicolem (rejeton) ? Où sont les cas obliques de Diespiter et de Maspiter ?

76. Je réponds que ces différents cas existent. Suivant l'analogle, le nominatif de frugis est frux; mais l'usage a adopté frugis, a l'imitation de avis, et ovis, dont le génitif est semblable au nominatif. Pareillement cols est le nominatif naturel de colis le nominatif usuel; mais ici l'analogie se concilie avec l'usage, en ce que colis laisse deviner cols, et ne s'écarte de l'analogie que pour y revenir, suivant l'usage commun à Ia plupart des mots, dont le nominatif singulier est d'une prononciation difficile. Or, de même que, par euphonie on a ajouté un I à ous, nominatif singulier qu'implique naturellement le nominatif pluriel oves, on a dit colis au lieu de cols : de sorte que l'analogie reparaît entre colisovis, et avis dans l'identité de la forme du génitif et du nominatif.

77. Je ne vois pas non plus la raison de nier l'existence des cas obliques de Diespiter. Qu'importe que DiesepitriDiespitrem, soit moins usité que Diespiter ? Un cas inusité ne laisse pas d'exister aussi réellement qu'un autre cas qui est usité. Mais j'accorde que certains mots n'aient pas tous leurs cas : cette défectuosité ne peut autoriser à nier l'existence de l'analogie.

78. En effet, de ce que la tête ou quelque autre partie manque dans une statue, il ne s'ensuit pas que l'analogie ne puisse se trouver dans le reste. Ainsi les mots peuvent conserver l'analogie dans les cas usités, et même les cas usités peuvent être réhabilités, lorsque la nature et l'usage le permettent, comme on le voit quelquefois dans les poètes, et, par exemple, dans le Clastidius de Naevius : Vita insepulta laetus in patriam REDUX.

79. On objecte encore struesHerculeshomo. Or, suivant mes adversaires, si l'analogie existait, on devrait dire strusHercul, homon. Cela prouve, non que l'analogie n'existe pas, mais seulement que la déclinaison des cas obliques n'est pas ici conforme à l'analogie, en tant qu'il s'agit uniquement du rapport de ces cas avec le nominatif. Supposons, par exemple, qu'on place la tête de Philippe sur une statue d'Alexandre : les autres parties du corps n'en conserveront pas moins entre elles leurs rapports, quoique la tête ne soit pas en harmonie avec ces parties. De même encore, si, des deux pans d'une tunique, l'un avait la forme du laticlave, et l'autre celle de l'angusticlave, l'analogie n'existerait pas, à la vérité, entre les deux pans de la tunique; mais elle pourrait se retrouver dans chaque partie considérée isolément.

80. Suivant les mêmes gramrnairiens, on dit au pluriel tantôt cupressus, tantôt cupressi; ainsi de ficiplatani, et des noms de la plupart des arbres. C'est une erreur; car la désinence du nominatif pluriel doit être El. Ainsi on doit dire fici, comme nummi, par analogie de la forme commune de leur génitif : nummerorum,ficorum. S'il fallait dire ficus au nominatif pluriel, on devrait, par analogie de manus, dire ficibusficuum, ce qui est contraire à l'usage, qui, non seulement dans ces deux cas, mais dans ficosfico, etc., ne suit en rien la déclinaison de manus.

81.  On argumente aussi de ce passage de Lucilius: Decussi sive decussibus est, mais à tort; car Lucilius n'a pas dû hésiter, parce qu'on dit l'un et l'autre. En effet, dans la monnaie de cuivre, depuis un jusqu'à cent, les noms des pièces de monnaies sont composés du nom de nombre et de assis (as), comme tresssisdecussiscentussis;  de sorte que, au-delà de deux as (dupondius), tous les cas ont la désinence d'assis, Quant au nom de la pièce de deux as, il comporte les deux genres, et l'on dit également dupondius et dupondium, comme gladius et gladium. A partir de trois, les noms des différentes pièces de monnaie, jusqu'à cent, sont du genre masculin tant au pluriel qu'au singulier. Au-delà de cent, le nombre ne désigne pas plus des as que toute autre chose.

82. Les nombres indéterminés, depuis quatre jusqu'à cent, sont invariables devant les noms masculins, féminins ou neutres. Quand on est arrivé à mille, le nom de nombre devient neutre tant au singulier qu'au pluriel : mille denarium, millia denaria.

83. Donc, puisqu'il n'est pas nécessaire, pour que l'analogie existe, que la similitude s'étende à la totalité du langage, et qu'il suffit. qu'elle soit observée dans les parties corrélatives, c'est à tort qu'on prétend que la dissimilitude de as, de dupondius, et de tressis, constitue une anomalie. As est un mot simple qui désigne l'unité; dupondius (monnaie de deux livres) est composé de duo (deux) et depondus (poids) ; tressis, de tres (trois) et de as. Les anciens disaient quelquefois aes au lieu de as, et même encore aujourd'hui nous disons, en tenant un as à la main : Hoc aere ou haec aenea libra.Mille aeris legasse (avoir légué mille as) est une locution usitée.

84. Or, depuis trois jusqu'à cent, la déclinaison des noms de nombre, tressisdecussiscentussis, est conforme à l'analogie, fondée sur l'identité de leur étymologie; dupondius, qui n'a aucun rapport d'origine avec les précédents, a dû suivre une autre analogie. L'as, qui est l'unité monétaire, a par conséquent au pluriel une signification indéfinie : c'est pourquoi nous disons asses. Mais lorsque le nombre des as est déterminé , nous disons dupondiustressis, etc.

85. Il me semble donc que puisque le défini et l'indéfini sont différents, ils ne doivent pas être exprimés de la même manière. Cela est si vrai, que lorsque le nombre mille est pris dans un sens défini, les noms des choses que ce nombre détermine subissent une modification accidentelle. On dit, en effet, mille denarium, et non mille denariia duo millia denaria, et duo millia denarii. Si denarii, nominatif pluriel, était  pris dans un sens indéfini, alors il faudrait dire denariorum au génitif: analogie qui doit s'étendre à la déclinaison, non seulement des noms des pièces de monnaie, comme victoriati (monnaie d'argent valant cinq as où était gravée l'image de la victoire), drachma, etc., mais encore de viri (hommes); car nous disons judicium triumvirum, decemvirum (jugement des triumvirs, des décemvirs), et non triumvirorum decemvirorum.

86. On distingue dans la numération ancienne la règle, les deux actes, les trois degrés et les six décuries, dont les rapports sont fondés sur une rigoureuse analogie. La règle est le nombre neuf, c'est-à-dire que, au-delà de neuf, l'unité, d'où l'on était parti pour arriver à ce nombre, devient le point de départ des nombres ultérieurs. A novem (neuf)  correspondent nunaginta (quatre-vingt-dix) et nongenti (neuf cents).

87. Le dernier acte embrasse l'intervalle de un à neuf cents et le second celui de mille à neuf cent mille. Le nombre mille étant considéré comme une nouvelle unité, mille est, comme unum., du nombre singulier: hoc unumhoc millehaec duohaec duo millia, etc. Dans les deus actes, il y a trols degrés: le degré des unités, qui est de un à neuf; le degré des dizaines, qui est de dix à quatre-vingt-dix; le degré des centaines, de cent à neuf cents. Ces trois degrés forment six décuries, dont trois pour les nombres au-delà de mille, et trois pour les nombres en deçà. La numération, chez les anciens, se bornait à ces principes.

88. On y a ajouté dans la suite deux autres actes: ce qui a donné naissance à de nouveaux noms, qui, comme deciens, ne sont pas conformes à l'analogie, mais par rapport au système de numération, et non par rapport au langage. En effet, deciens est indéclinable comme mille, et si l'on ne peut pas dire hi decienshorum deciens, comme hi millehorum mille, l'analogie se retrouve du moins dans hoc decienset hoc millehuius deciens et huius mille...

89. L'analogie ne s'oppose pas à ce que les mots qu'on appelle homonymes soient dissemblables dans les cas obliques, quoique semblables au nominatif. Cette dissimilitude se remarque dans Argus, nom d'homme; Argos, nom de ville, grec et neutre; et Argei, nom latin de la même ville. Il en est de même de la déclinaison ou de la conjugaison d'un mot qui, sous une forme identique, est ou un nom ou un verbe: comme Meto, qui, comme nom, fait MetonisMetonem; et, comme verbe, fait metam (je moissonnerai), metebam (je moissonnais).

90. On objecte aux défenseurs de l'analogie la dissimilitude des mots synonymes, comme Sappho et PsapphoAlcaeus et Alcaeo ,Geryon et Geryoneus et Geryones. On confond quelquefois, il est vrai, les cas obliques de ces mots; mais alors ce sont ceux qui confondent ces cas qui sont en défaut, et non l'analogie. Car on est libre de choisir entre deux ou trois synonymes, mais on est tenu d'âtre conséquent dans la déclinaison du mot qu'on a choisi et si, après avoir dit Alcaeus, on dit Alcaeoni ou Alcaeonus, c'est alors que l'analogie est violée.

91. C'est à tort, dit-on, qu'Aristarque prétend que Melicertes et Philomedes ne sont pas des noms semblables, parce qu'au vocatif l'un fait Melicerta, et l'autre Philomedes. On serait par conséquent aussi mal fondé à soutenir que lepus (lièvre) et lupus (loup) ne sont pas semblables, parce qu'au vocatif l'un fait lepus, et l'autre lupe; que socer (gendre) et macer (maigre) ne sont pas non plus semblables, parce que, dans les cas obliques, l'un a trois syllabes, et l'autre deux socerimacri.

92. Quoique j'aie déjà répondu à cette chicane, en donnant la laine pour exemple, je ferai remarquer que la similitude consiste, non seulement dans la forme extérieure, mais encore dans une conformité virtuelle et intrinsèque, qui ne tombe pas sous les sens. Ainsi nous disons que deux pommes, que rien ne distingue extérieurement, ne sont pas semblables, si elles n'ont pas le même goût; que deux chevaux de même apparence ne sont pas non plus semblables, s'ils ne sont pas de même race.

93. Entre deux ou plusieurs esclaves, nous choisissons celui qui est de meilleure race, quoique d'un prix plus élevé; et, dans ce choix, nous consultons, non seulement la forme apparente, mais encore quelque autre point extérieur de comparaison, comme l'âge dans les chevaux; la progéniture dans les coqs ; la saveur dans les fruits. On ne doit donc pas blâmer celui qui, dans le langage, constate la similitude de la même manière.

 94. C'est pourquoi, pour s'assurer si deux mots sont semblables ou dissemblables, on prend un autre cas ou un pronom, comme moyen de comparaison. Ainsi nous voyons par hic lepushoc nemus ; hi leporeshaec nemora, que lepus (lièvre) et nemus ( forêt) ne sont pas deux mots semblables. Cette sorte d'induction n'a rien de contraire à la véritable analogie, quel que soit le moyen extérieur qu'on emploie pour constater la similitude. On sait, par exemple, que l'aimant attire semblablement dans des pierres semblables, et diessemblablement dans des pierres dissemblables. Or, comment s'assurer de leur similitude ou de leur dissimilitude si l'on n'a recours à un morceau de fer?

95. Quant à l'analogie relative aux noms, ce que j'ai dit sur ce point  suffit, je crois, pour répondre à toutes les objections. A l'égard des verbes, comme ils ont, dans leurs temps, dans leurs personnes, dans leurs genres, dans leurs divisions, donné matière à la critique, j'examinerai chaque partie séparément.

96. L'analogie, dit-on, n'est pas observée dans les temps de certains verbes, comme legi (j'ai lu), lego (je lis), legam (je lirai), dont l'un appartient au parfait, et les deux autres à l'imparfait. Pour faire tomber ce grief, il suffit de rétablir l'ordre dans la classification des temps de ce verbe, qui présentera alors une division tout à fait conforme à l'analogie, comme discebamdiscodiscam, pour les temps imparfaits, et didiceramdidicididicero, pour les temps parfaits. On voit donc que ce ne sont pas  les verbes qui pèchent contre l'analogie, et que s'il y a anomalie, cette anomalie est du  fait de ceux qui confondent sciemment les trois temps.

 97. On objecte aussi que le rapport entre amoramabor et amatus sum, n'est pas conforme à l'analogie, en ce que, dans la même série, le même verbe présente deux formes simples et une composée. Cette prétendue anomalie repose sur une classification inexacte ; car si l'on a soin de ne pas confondre les temps imparfaits avec les temps parfaits, on verra que, dans tous les verbes chaque série est uniforme; que tous les temps imparfaits sont simples, comme amabaramor,amabor, et que tous les temps parfaits sont composés, comme amatus eramamatus sumamatus ero.

98. On se prévaut encore d'un faux rapport, en accolant ensemble ferio (je frappe),  feriam (je frapperai),  percussi (j'ai frappé). L'ordre véritable est : feriam feroferiebam, temps imparfaits; percussi, percussero,  percusseram, temps parfaits. On peut défendre de la même manière l'analogie dans les autres temps.

99. On cite pungopungampupugitundotundam, tutudi,, et l'on conclut à cette apparente anomalie que les syllabes devaient changer dans tous les temps des verbes, ou ne changer dans aucun. Or, on confond ici des temps dissemblables, c'est-à-dire les temps parfaits avec les temps imparfaits. Que si l'on considère isolément les temps imparfaits et les temps parfaits on verra que la racine du verbe reste sembable dans les uns : pungebampungopungam, et constamment variable dans les autres pupugerampupugipupugero.

100. On confond encore les temps parfaits avec les temps imparfaits, en mettant sur la même ligne fuisumero. Le parfait fui est conforme à l'analogie dans toute sa conjugaison, et dans la volonté qui l'unit à fueram et fuero. Les temps imparfaits offrent la même régularité : sum (autrefois esum), esesterameraserateroeris. En classant ainsi les temps dans leur forme, on retrouvera partout l'analogie.

101. On se prévaut aussi contre l'analogie de dire que certains verbes n'ont pas les trois personnes ou que trois temps. Autant vaudrait critiquer la nature de ce qu'elle n'a pas donné la même forme à tous les êtres. Si donc tous les verbes ne comportaient pas naturellement les trois temps et les trois personnes, il est évident que la division des verbes serait restreinte. Or cette restriction doit s'appliquer, par exemple, à l'impératif, qui, ne se rapportant qu'à l'imparfait, puisqu'il ne s'adresse jamais qu'à une personne présente ou absente, n'a que trois formes, comme legelegitolegat, tandis que l'indicatif, comme legolegislegit, en a neuf pour l'imparfait et autant pour le parfait.

102. Ce n'est donc pas entre un genre et un autre genre, mais entre les parties d'un même genre, qu'il faut chercher s'il y a dissimilitude. En ajoutant à ces raisons celles que j'ai déjà données au sujet des noms, on pourra aisément répondre à tout. En effet, de même que la forme primordiale des noms réside dons le nominatif, de même la forme primordiale des verbes réside dans la première personne du temps présent, comme scribolego.

103. C'est pourquoi si, comme dans les noms, il arrive que la forme primordiale d'un verbe n'existe pas, ou soit empruntée à un verbe d'une autre espèce, on fera valoir, en faveur de l'analogie, les raisons que j'ai données en traitant des noms. Que si la forme primordiale existe, mais que le reste de la conjugaison ne s'y rapporte pas, comme cela arrive quelquefois dans la déclinaison des noms, il ne sera pas plus difficile de remonter à l'origine de cette apparente anomalie. En effet, les ambiguïtés de la synonymie se rencontrent dans les verbes comme dans les noms : témoin volo, qui désigne, sous une forme identique, l'action de vouloir et celle de voler.

104. On relève la répétition de pluit et luit au présent et au partait, comme contraire à l'analogie, en ce que chaque temps doit avoir sa forme particulière. Cette identité n'existe que dans l'esprit de mes adversaires; car au parfait, u est long dans pluit et luit, tandis qu'il est bref au présent : pluitluit. C'est pour la même raison que la même lettre est longue dans ruta caesa (effets mobiliers), mot usité dans le contrat de vente.

105. On objecte encore l'identité de sacrifico et sacrificor, de lavat et de lavatur. Que cette identité existe ou n'existe pas, peu importe pour l'analogie, si celui qui préfère se servir de sacrifico observe la similitude dans toute la conjugaison, et n'y entremêle pas une partie de celle de  sacrificor. C'est seulement dans la confusion de ces deux formes que serait l'anomalie.

106. On lit dans Plaute : Je crois que les poissons, qui passant toute leur vie dans l'eau (lavant), se baignent (lavari) moins longtemps que cette femme ne baigne (lavat) PhronésiusLavant et lavari, pris dans le même sens, répugnent entre eux : II faudrait lavarelavant, oul avarilavantur. Que cette faute vienne de Plaute ou du copiste, c'est à l'auteur de l'anomalie, et non à l'analogie, qu'il faut s'en prendre. Lavant et  lavantur, employés séparément dans des circonstances déterminées, n'ont rien de contraire à l'analogie. Ainsi, en parlant d'une nourrice et d'un enfant, on peut dire lavat et lavatur : lavat, par rapport à la nourrice qui baigne l'enfant, et lavatur, par rapport à l'enfant qui est baigné par la nourrice. En parlant de nous, nous pouvons dire lavamus et lavamur.

107. Quoique l'usage ait également consacré l'un et l'autre, lavari s'entend plutôt du corps entier, et lavare d'une partie du corps, comme des mains ou des pieds ; et ceux qui tiennent à bien parler ne devraient pas perdre de vue cette distinction. Il est vrai qu'on peut conclure de lavorlavatus sum, que soleo (j'ai coutume) devrait fairesolui, qu'on trouve dans Caton et Ennius, et non solutus sum, qui est en usage; mais, comme je l'ai dit plus haut, quelques exceptions de cette nature ne prouvent rien contre l'existence de l'analogie.

108. On donne comme une anomalie dolo (je polis), colo (je cultive); dolavicolui. II faut ici recourir au moyen qu'on emploie pour regarder les petits ouvrages de Myrmécide. Lorsqu'il est impossible de consulter isolément la similitude de deux verbes, il faut prendre une autre personne ou un autre temps. Ainsi, pour savoir sidolo et colo sont semblables, passez à la seconde personne, et vous redonnaîtrez qu'ils ne le sont pas ; car dolo fait dolas, et colo fait colis.

109. Dolavi et colui sont donc conformes à l'analogie, puisque ces deux temps dérivent régulièrement de dolodolas, et de colocolis. C'est, en effet, à la seconde personne qu'il importe de regarder, parce qu'elle est ordinairement moins ambiguë que la première, qui, commemeo (je passe), neo (je file), ruo (je me précipite), présente une similitude douteuse. Mais l'ambiguïté disparaît dans measnes, ruis, dont la conjugaison se continue pour chaque verbe suivant son analogie particulière.

110. Les objections tirées des participes sont encore plus mal fondées, parce que amaturusamansamatus, ne dérivent pas du même verbe. Amans et amaturus appartiennent à amo, et amatusappartient à amor. Or, ce qui suffit pour l'analogie, c'est que la déclinaison particulière de chaque participe y soit conforme, comme dans amatusamatoamatiamatisamataamatae; dans amaturus, amaturi ; et enfin dans amansamantis, quoique la déclinaison de ce participe diffère un peu de celle des autres; car, dans les cas comme dans les genres, chaque espèce de participe suit la loi de l'analogie qui lui est propre.

111. A la fin du livre précédent, où je défendais la cause contraire, j'ai dit que l'analogie n'existait pas, parce que ceux qui ont écrit sur l'analogie, ou ne s'accordent pas entre eux, ou, dans les points sur lesquels ils conviennent, ne sont pas d'accord avec l'usage. Ces deux raisons ne doivent, ni l'une ni l'autre, faire impression sur votre esprit; car, à ce compte, il faudrait nier l'existence de tous les arts, parce que ceux qui écrivent sur la médecine, sur la musique, etc., ne sont pas d'accord entre eux, ou parce que, dans les points sur lesquels ils conviennent, la nature contredit leurs opinions. En effet, comme on le dit souvent, ce n'est point l'art qu'il faut accuser, mais l'artiste, dont l'erreur ne prouve rien contre la vérité.

112. Supposons deux locutions usitées, mais dont l'une est régulière et l'autre irrégulière, comme monte et monti, fonte et fonti, à l'ablatif : en se servant de la locution fausse, on parle mal sans infirmer la règle, tandis que, en servant de la locution vraie, on parle bien et en même temps on confirme la règle. De même, en se serrant d'une locution qui est à la fois vicieuse et contraire à l'usage, on ne prouve que son ignorance.

113. J'ai exposé, aussi brièvement que je l'ai pu, les différentes raisons qui tendent à établir l'existence de l'analogie, contrairement à ce que j'ai dit dans le livre précédent. Lors même que les raisons que j'ai combattues dans celui-ci constateraient l'existence de l'anomalie dans la langue latine, cela ne prouverait rien contre l'analogie, parce que ces deux principes contraires se trouvent dans toutes les parties de l'univers, et la similitude se rencontre constamment à côté de la dissimilitude. Ainsi, parmi les animaux, le cheval ne ressemble pas au taureau, le taureau ne ressemble pas à la brebis : autant de genres, autant de formes distinctes; mais, dans chaque genre, autant d'individus, autant de formes semblables. Si, parmi les poissons, la lamproie ne ressemble pas au loup marin, ou le loup à la sole, ni la sole à la lamproie et à la belette aquatique, le nombre de ces dissimilitudes est en même temps bien inférieur à celui des similitudes qui se multiplient a l'infini dans les poissons de chaque espèce comparés entre eux.

114. Or, puisque, dans le langage, le nombre des mots semblables l'emporte également sur celui des mots dissemblables, on est forcé de reconnaître que l'analogie existe. Enfin, puisque l'usage n'y déroge qu'en un très petit nombre de mots, il faut aussi reconnaître que nous devons, comme peuple, suivre invariablement l'analogie, et, comme individus, l'observer avec la même fidélité, mais en faisant, en certains cas, des concessions a l'usage; car, ainsi que je l'ai déjà dit, autre est la condition du peuple entier, autre celle de l'individu. 

115. Cela est si vrai, que les individus eux-mêmes ne jouissent pas tous des mêmes droits. Un poète, par exemple, peut suivre l'analogie plus librement que l'orateur. J'ai rempli la tâche que je m'étais imposée dans ce livre: je passe donc à la forme des déclinaisons. Ce sera l'objet du livre suivant.

LIVRE X

1.  Beaucoup de grammairiens ont agité la question de savoir si, dans la déclinaison des mots, il faut suivre la dissimilitude ou la similitude, c'est-à-dire, en d'autres termes, l'anomalie ou l'analogie. J'ai exposé dans le premier livre les raisons des partisans de l'anomalie, et dans le second celles des partisans de l'analogie. Comme ces deux lois du langage n'ont point été étudiées dans leurs principes et dans leur nature comme elles devaient l'être, ni selon l'ordre qu'exigeait leur examen, je vais essayer de le faire dans ce livre.

2. Je discuterai les quatre questions qu'implique la déclinaison des mots, savoir : 1° ce que c'est que similitude ou dissimilitude; 2° ce que c'est que la raison ou règle qu'on appelle  λόγος; 3° ce que c'est que le rapport qu'on appelle  ἀνάλογος 4° enfin, ce que c'est que l'usage. La solution de ces quatre questions aura pour résultat la définition claire de l'origine, de la nature et de la forme de l'analogie et de l'anomalie.

3. Je traiterai d'abord de la similitude et de la dissimilitude, parce qu'elles sont le fondement de toutes les déclinaisons et la loi des mots. On dit que deux ou plusieurs choses sont semblables au dissemblables, lorsque la plupart des qualités de ces deux ou plusieurs choses paraissent être semblables ou dissemblables. Il faut au moins deux choses pour qu'il y ait matière à similitude ou dissimilitude; car ce qui est unique n'est pas susceptible de comparaison.

4. Ainsi on dit qu'un homme est semblable à un homme, un cheval à un cheval, mais que l'homme et le cheval sont dissemblables, parce que chaque espèce d'êtres a une forme particulière, qui la distingue des autres. Par la même raison, dans l'espèce humaine, l'homme est plus semblable à l'homme qu'à la femme, parce que les hommes, comparés entre eux, ont un plus grand nombre de parties semblables. Il faut en dire autant du vieillard comparé au vieillard, de l'enfant comparé à l'enfant. Ceux-là donc sont plus semblables entre eux, qui ont presque la même figure, la même stature et le même air; et tout à fait semblables, et, pour ainsi dire, jumeaux, ceux qui approchent le plus de la ressemblance qui constitue l'identité.

5. Quelques auteurs distinguent le semblable, le dissemblable, et le neutre, qu'on appelle aussi le non-semblable ou le non-dissemblable. Cependant cette triple distinction peut encore se subdiviser. Ainsi deux choses peuvent être semblables ou non semblables, semblables et dissemblables tout ensemble, ou enfin neutres, c'est-à-dire ni semblables ni dissemblables, si, par exemple, sur vingt parties, il y en a autant de semblables que de dissemblables. Dans cette dernière supposition, on dit communément que les choses sont dissemblables.

6. Or, comme il arrive ordinairement que la dispute roule plutôt sur le mot que sur la chose, ce qu’il faut avoir soin de déterminer quand on dit qu'une chose est semblable à une autre, c'est la partie qui constitue la ressemblance. C'est le moyen de prévenir les méprises; car il peut se faire que deux hommes soient à la fois semblables et dissemblables, c'est-à-dire qu'ils aient les yeux, les mains, les pieds, et beaucoup d'autres parties semblables, dont la réunion donne l'avantage à la similitude sur la dissimilitude.

7. Aussi n'y a-t-il rien de plus difficile que de savoir déterminer exactement les parties qui doivent constituer la ressemblance, et tous les rapports auxquels elle est attachée. Quoi de plus semblable en apparence que suis et suis. Cependant l'un appartient au verbe suo (coudre), et l'autre au nom sus (porc). Ainsi deux mots semblables, quant au son et aux syllabes, cessent de l'être comme parties d'oraison; car l'un a des temps, et l'autre des cas : différence qui diversifie surtout les analogies.

8. La similitude apparente de certains mots, comme nemus (forêt) et lepus (lièvre), que rien ne distingue an nominatif, donne souvent lieu à la même méprise. Cependant ces deux mots ne sont pas semblables, parce qu'il leur manque des rapports indispensables, comme d'être, par exemple, du même genre. Or lepus est masculin, et nemus neutre, hic lepus, hoc nemus. S'ils étaient du même genre, ils pourraient être précédés des mêmes adjectifs, et l'on dirait ou hic lepus et hic nemus, ou hoc lepushoc nemus.

9. On se saurait donc trop s'étudier à bien définir en quoi consiste la vraie similitude, pour reconnaître si une déclinaison est ou n'est pas conforme à l'analogie. Cette partie de la science grammaticale est très scabreuse, et ceux qui ont écrit sur le langage, ou l'ont évitée, ou ont essayé de la traiter, mais sans succès.

10. De la divergence dans les opinions, et divergences très variées. En effet, les uns, et entre autres Dionysius Sidonius, comptent soixante et onze modes de ressemblance pour toutes les déclinaisons en géneral; les autres ne se sont occupés que des déclinaisons qui ont des cas; et, parmi eux, Aristoclès compte quatorze modes, à la différence de Sidonius, qui en reconnaît quarante-sept; Parméniscus en compte huit; d'autres plus, d'autres moins.

11. Si les principes sur lesquels repose la similitude étaient bien posés, et si, d'après ces principes, on établissait une règle sûre pour la pratique, on se méprendrait moins souvent sur la véritable analogie des déclinaisons. Or je crois que la similitude repose sur deux principes généraux, qui sont la matière des mots, et la figure que la déclinaison donne à la matière.

12. Premier principe : le mot doit être semblable au mot. Second principe: la déclinaison doit être faite dans le même ordre; car il arrive souvent que l'on décline deux mots semblables, tantôt d'une manière semblable, comme herusferusherofero; tantôt d'une manière dissemblable, comme herusferusheriferum. Je dis donc que lorsque le mot est semblable au mot, et la déclinaison à la déclinaison, il y a ce que l'analogie exige, c'est-à-dire similitude double et parfaite.

13. Mais, pour qu'on ne m'accuse pas d'avoir éludé sciemment toutes les questions secondaires auxquelles peut donner lieu l'analogie, en réduisant à deux les principes de la similitude, je remonterai à l'origine des rapports qu'il faut savoir discerner dans la comparaison des mots et des déclinaisons.

14. Le langage se divise d'abord en mots indéclinables, comme vix (à peine), mox (bientôt, ensuite), et en mots déclinables, comme limo (limer), limabofero (porter),  ferebam. Or, l'analogie ne peut affecter que les mots déclinables : d'où il suit que nox (nuit) et moxne doivent pas être regardés comme deux mots semblables, parce qu'ils ne sont pas de la même espèce, nox ayant des cas, et mox ne devant ni ne pouvant en avoir.

15. Les déclinaisons des mots déclinables se subdivisent, à leur tour, en volontaires et naturelles. Les déclinaisons volontaires sont celles qui tirent leur origine de la volonté de l'homme, comme Romulus, dérivé de Roma. Les déclinaisons naturelles sont celles qui suivent la loi commune du langage, et ne se règlent pas sur la volonté de celui qui a créé le mot : de sorte que nous disons RomulusRomulum, Romulo, à l'imitation de RomaRomam, Romae. La déclinaison volontaire est régie par l'usage; et la déclinaison naturelle, par la raison.

16. C'est pourquoi on aurait tort d'induire de Romanus, dérivé de Roma, que, par analogie, le nom des habitants de Capoue (Capua) doit être Capuanus, parce que cette déclinaison a pour unique loi le caprice des volontés particulières, dont l'usage et le temps sanctionnent les inconséquences. Aussi ni l'école d'Aristarque, ni les autres grammairiens, n'ont essayé de défendre l'usage contre les attaques des adversaires de l'analogie, car, ainsi que je l'ai dit, les déclinaisons volontaires sont flottantes et incertaines, parce qu'elles tiennent de la nature multiple des volontés individuelles ; et, sous ce rapport, force est de reconnaître que c'est l'anomalie, plutôt que l'analogie, qui régit le langage usuel.

17. Il y a encore une troisième division, d'après laquelle les mots dont la déclinaison est naturelle sont partagés en quatre espèces : 1° ceux qui ont des cas et n'ont pas de temps, comme docilisfacilis; 2° ceux qui ont des temps et n'ont pas de cas, comme docetfacit; 3° ceux qui ont des temps et des cas, comme docensfaciens; 4° enfin ceux qui n'ont ni temps ni cas, comme doctefacete. Cette division a pour but de tracer une ligne de démarcation entre chaque partie et les trois autres, et de faire voir que si l'analogie est observée entre les mots de la même espèce, cela suffit, et que demander plus, c'est la chercher où elle ne doit pas être.

18. Pour éviter la confusion, je traiterai de chaque espèce de mots séparément. Les mots qui ont des cas se divisent en nominal: et en articles définis et indéfinis, comme hic (ce, cet) et quis (quelqu'un). Ces deux espèces ne doivent pas être comparées entre elles, parce qu'elles ont chacune une analogie particulière et distincte.

19. L'analogie est à peine sensible dans les articles; elle est plus dans l'idée que dans le mot. Elle est au contraire très prononcée dans les nominats, et consiste encore plus dans la forme des mots que dans l'idée. Ajoutez à cela que, les articles étant uniques dans chaque espèce, l'analogie y est un peu conjecturale; tandis que, dans les nominats, on peut en suivre aisément les traces, à l'aide des mots semblables, qui sont en très grand nombre.

20. Comme les articles, les nominats sont définis et indéfinis : de là leur division en vocables et en noms. Ainsi oppidum (ville) est un nominal indéfini ou vocable, et Roma (Rome) est un nominal défini ou nom. Quelques grammairiens observent cette distinction ; d'autres la rejettent. Pour moi, j'en tiendrai compte toutes les fois qu'elle me paraîtra utile.

21. Pour que deux nominats soient semblables, il faut qu'ils s'accordent en genre, en espèce, en cas, et en désinence. En genre, c'est-à-dire que les deux mots que l'on compare soient deux noms. En espèce, c'est-à-dire qu'ils soient tous les deux masculins. En cas, c'est-à-dire que si l'on prend le datif dans l'un, on prenne aussi le datif dans l'autre. En désinence, c'est-à-dire que les syllabes finales soient les mêmes dans les deux mots.

22. Il faut en outre distinguer deux ordres, l'un transversal et l'autre direct, comme dans la tablette, sur laquelle on joue aux échecs. L'ordre transversal est celui que suit la déclinaison en allant du nominatif au génitif, du génitif au datif, comme albusalbialbo; l'ordre direct est celui qui va du masculin au féminin, et du féminin au neutre, comme albusalbaalbum. Chaque ordre a six parties. Les parties de l'ordre transversal s'appellent cas, et celles de l'ordre direct s'appellent genres; on donne le nom deforme à la combinaison de ces différentes parties.

23. Je parlerai d'abord des cas. On a donné aux cas divers noms. Pour moi, j'appellerai nominatif celui qui désigne proprement la chose ou la personne...

24... On dit scopae (balai), et non scopa. Leur nature est en effet différente, car il s'agit, dans le premier cas, de choses simples; et, dans le second, de choses composées : ce qui explique bigae (char attelé de deux chevaux), quadrigae (char attelé de quatre chevaux). C'est pourquoi on ne dit pas una biga, mais unae bigae, pour désigner un seul char; ni duae bigaeduae quadrigae, mais binae bigaebinae quadrigae, pour désigner deux chars.

25. La figure du mot importe aussi, parce que cette figure change, tantôt au commencement du mot, comme dans suitsuit; tantôt dans le milieu, comme dans cursocursito, tantôt dans la désinence, comme dans doceodocui; tantôt au commencement et à la fin, comme dans legolegi. Il importe donc de remarquer le nombre de lettres dont chaque mot est composé, et principalement les dernières, parce que ce sont celles qui changent le plus souvent.

26. Aussi, comme les inductions tirées de la figure des mots ne sont pas toujours justes, on ne saurait trop faire attention, dans la comparaison de cas, à la nature des similitudes que les mots présentent; et l'on doit regarder non seulement aux lettres qui changent, mais encore aux lettres voisines, qui ne changent pas; car la proximité n'est pas indifférente dans les déclinaisons.

27. On ne doit pas regarder comme semblables les mots qui ont une signification semblable, mais ceux dont la forme indique qu'ils ont été destinés originairement à désigner des choses semblables. Ainsi nous appelons tunique d'homme ou tunique de femme, non celle que porte tel homme ou telle femme, mais celle que les hommes ou les femmes doivent porter d'après l'usage. Un homme, en effet, peut porter une tunique de femme, et réciproquement une femme peut porter une tunique d'homme, comme font quelquefois les acteurs sur la scène; mais nous appelons proprement tunique de femme celle qui, d'après l'usage, est destinée à l'habillement des femmes. De même qu'une tunique de femme ne change pas le sexe de l'acteur qui la porte, les noms de Perpenna, Caecina, Spurinna, quoique féminins quant à la forme, désignent des hommes, et non des femmes.

28. II faut aussi faire attention à la similitude des déclinaisons, parce qu'on découvre la force de certains mots dans leur racine, comme on peut s'en convaincre par praetorpraetori ; consul,consuli. La génération des cas sert également à faire ressortir la différence d'autres mots, comme socer (beau-père) et macer (maigre); car socer fait socerum, et mater fait matrum, et chacun de ces mots conserve cette différence dans tous les autres cas tant au pluriel qu'au singulier. Il est nécessaire de recourir à ce moyen extrinsèque de comparaison, parce que, pour savoir si deux mots sont semblables ou dissemblables, tantôt il suffit de les comparer entre eux, comme homo (homme) et equus (cheval), et tantôt il est indispensable de les comparer à un troisième, comme eques (cavalier) et equiso (écuyer), dont on ne peut connaître le rapport qu'au moyen de equus (cheval), leur racine commune.

29. En effet, pour savoir si deux hommes sont semblables ou dissemblables, il suffit de les regarder ; mais supposons un homme plus grand que son frère, et un autre homme aussi plus grand que son frère: pour savoir si ces deux hommes sont dans la même proportion plus grands que leurs frères, il faut nécessairement avoir vu ces deux frères et connaître leur taille. J'en dis autant des choses dont on aurait à comparer sous le même rapport la largeur ou la hauteur dans la même circonstance: il n'est pas facile de constater les rapports de certains cas, si l'on s'en tient à les comparer entre eux, et si l'on n'a recours à un autre cas comme moyen de comparaison.

30. Je crois en avoir assez dit sur ce qui regarde les similitudes des nominats. Je passe donc aux articles, dont les uns sont semblables et les autres dissemblables. En effet, parmi les cinq espèces dont j'ai parlé, les articles des deux premières sont semblables en ce qu'ils sont masculins, féminins, et neutres; et les autres sont dissemblables, en ce qu'ils désignent tantôt une seule chose, tantôt plusieurs, et qu'ils n'ont que cinq cas; car ils ne comportent pas le vocatif. Ils ont cela de particulier, qu'ils sont tantôt définis, comme hichaec; tantôt indéfinis, comme quis,quae. Comme ils n'ont, en quelque sorte, que l'ombre de l'anaIogie, je ne m'y arrêterai pas plus long longtemps dans ce livre.

31. Les mots du second genre sont, comme je l'ai dit, ceux qui ont des temps et des personnes, sans avoir de cas. On distingue six formes dans leur déclinaison : 1 ° la forme temporelle, comme legebamgemebamlegogemo; 2° la forme personnelle, comme serometoserismetis; 3° la forme Interrogative, comme scribone, legonescribisnelegisne ? 4° la forme affirmative, comme fingo,pingofingispingis; 5° la forme optative, comme dicerem,faceremdicamfaciam; 6° la forme impérative, comme caperape;capitorapito.

32. La déclinaison des mots qui ont des temps sans avoir de personnes ne comporte que quatre formes : l'interrogative, comme foditurneseriturnefodieturnesereturne? l'affirmative, comme diturseriturfodieturseretur; l'optative, comme vivaturametur;vivereturamaretur. Quant à la forme impérative, son existence est problématique. Est-on fondé à la reconnaltre dans paretur,pugneturpararipugnari ? c'est une question.

33. Il faut encore distinguer 1° l'imparfait et le parfait, comme emo,edoemiedi; 2° le positif et le fréquentatif, comme scribolego;scriptavilectitavi; 3° l'actif et le passif, comme uroungouror,ungor; 4° le singulier et le pluriel, comme laudoculpolaudamus,culpamus. Telles sont les formes générales du verbe : quant aux modifications fort nombreuses dont sa figure est susceptible, elles seront l'objet de mon attention dans les livres où je traiterai des conjugaisons.

34. Les mots du troisième genre sont ceux qui ont des temps et des cas, et qu'on appelle communément participes...

35. ..... Une déclinaison vicieuse, même dans un poète qui aurait créé le mot, ne doit pas nous autoriser à suivre son exemple : nous devons, au contraire, redresser son erreur. Donc le rapport dont je parle se rencontre à la fois dans les déclinaisons volontaires et dans les déclinaisons naturelles, et à la nature mixte que j'ai définie.

36. Chacun de ces rapports, comparé à un autre, est ou semblable ou dissemblable. Tantôt les mots sont différents, et le rapport est le même; tantôt les rapports sont différents, et les mots les mêmes. Le rapport qui unit amor et amori se retrouve dans dolor et dolori, et n’existe pas entre dolor et dolorem. Quoique le rapport de amor et de amoris se retrouve entre amores et amorum, comme la comparaison ne repose pas sur son véritable point, il ne peut seul déterminer l'analogie, à cause de la dissimilitude des figures du mot. L'analogie véritable, dont j'exposerai plus tard les conditions, ne peut résulter que de la similitude du rapport qui unit le singulier et le pluriel.

37. Je suis arrivé à la troisième partie, qu'on appelle  ἀναλογία (analogie),  ἀνάλογος (analogue), qui ne doit pas être confondue avec son dérivé. Deux ou plusieurs mots sont analogues, lorsqu'ils ont entre eux un rapport fondé sur une étymologie commune (λόγος); mais ce n'est pas ce rapport qui constitue l'analogie : elle consiste dans la comparaison de ces mots corrélatifs avec d'autres mots qui ont entre eux un rapport de même nature.

38. Si, en voyant deux jumeaux, je dis que l'un est semblable à l'autre, je ne parle que d'un seul; mais si je dis qu'il y a de la similitude en eux, je parle de l'un et de l'autre. De même si je dis qu'il y a entre l'as (assis) et le demi-as (semissis) le même rapport qu'entre la livre (libella) et la demi-livre (simbella), je me borne à faire remarquer que, de part et d'autre, ces sortes de pièces de monnaie sont analogues; mais si je dis qu'il y a dans la monnaie de cuivre et dans la monnaie d'argent une conformité de rapports, je constate alors une corrélation qui est proprement l'analogie.

39. De même que, sans avoir la même signification, sodalis, sodalitas et civiscivitas ont une affinité fondée sur la ressemblance des mêmes rapports, analogue et analogie sont deux mots qui, sans être identiques, ont une affinité fondée sur une origine commune. En effet,  sodalitas implique nécessairement sodalis, qui, à son tour, implique homines ; car, sans hommes, point d'amis ni d'amitié. De même  ἀναλογία implique  ἀνάλογος, qui, à son tour, implique λόγος; car, sans une racine commune, point de mots analogues, et, sans mots analogues, point d'analogie.

40. Ces deux mots, comme vous le voyez, ont une affinité fort étroite, et leur ambiguïté vous impose la tâche d'être plus subtil en écoutant que je ne le serai en parlant. En d'autres termes, je vous avertis que lorsque j'aurai à dire quelque chose de relatif à ces deux sortes de rapports, ce sera sans distinction : aussi ne comptez pas que je revienne dans la suite de ce livre sur ce que j'ai dit plus haut, mais armez vous d'attention.

41. Ces rapports entre des choses dissemblables sont comme ceux des nombres comparés entre eux : par exemple, 2 est à 1 ce que 20 est à 10. De même, dans la monnaie, un denier (denarius) est à une pièce de 5 as (victoriatus) ce qu'un autre denier est à une autre pièce de 5 as. Cette analogie, qui peut se rencontrer en tout, repose sur les rapports de quatre termes. Dans une famille, par exemple, la fille est par rapport à la mère ce que le fils est par rapport au père; ou bien encore, dans le temps, minuit est par rapport à la nuit ce que midi est par rapport au jour.

42. Les poètes tirent leurs comparaisons de ces rapports; ils exercent surtout la sagacité des géomètres; mais, parmi les grammairiens, ceux de l'école d'Aristarque se distinguent par leur subtilité dans l'observation de l'analogie. Ainsi, disent-ils, il y a analogie entre amoremamori, et doloremdolori, parce qu'il y a la même différence entre l'accusatif amorem et le datif dolori qu'entre dolorem et dolori.

43. Ils distinguaient en outre une déclinaison directe et une déclinaison transversale, qui présentent d'un côté la succession des cas, et de l'autre la succession des genres d'un même mot. Pour rendre ce que je dis plus sensible, supposons plusieurs nombres disposés dans l'ordre suivant :
1 2 4
10 20 40
100 200 400
Dans cette combinaison, le nombre 1, pris dans la ligne horizontale, comme unité simple et, dans la ligne verticale, comme unité multiple, contient dans sa duplicité le rapport sur lequel est fondée l'analogie qui unit les neufs nombres. On retrouve dans le nombre 1, opposé à lui-même comme unité et comme dizaine, ce que j'ai appelé λόγοι, d'où  άνάλογοι, d'où  ἀναλογία.

44. Les déclinaisons des mots présentent la même combinaison. Exemple : 
Albus, albi, albo;
Alba, albae, albae;
Album, albi, albo.
Cette combinaison des noms a été adoptée pour les noms propres dont les cas suivent la ligne oblique ou horizontale, et les genres la ligne directe ou verticale. Exemple: Albius, Atrius; Allbio, Atrio;
Albia, Atia; Albiae, Atriae.
Cet ordre correspond, pour les cas, à la ligne horizontale 1, 2, 4; et, pour les genres, à 1 10 100.

45. Il y a deux espèces d'analogie: l'analogie disjointe et l'analogie conjointe. 10 est à 20 comme 1 est à 2; c'est l'analogie disjointe. 2 est à 4 comme 1 est à 2; c'est l'analogie conjointe, parce que, dans ce rapport, le nombre 2 est énoncé deux fois.

46. Suivant les grammairiens, cette seconde espèce d'analogie implique naturellement quatre rapports. Ainsi, donc la lyre à sept cordes, la quatrième est à la septième ce que la première est à la quatrième, et en même temps la quatrième est la première par rapport à celles qui la suivent, et la dernière par rapport à celles qui la précédent. De même, dans les maladies périodiques de sept jours, les médecins observent attentivement les symptômes qu'elles présentent le quatrième jour, parce que la première phase du mal entre le premier et le quatrième présage une autre phase semblable entre de quatrième et le septième.

47. Les analogies disjointes sont aussi quaternaires dans les cas des vocables : rexregilexlegi. Les analogies conjointes sont ternaires dans les temps des verbes: legebamlegolegam, où lego est à legam ce que legebam est à lego. Ces trois temps sont une pierre d'achoppement pour la plupart des grammairiens, qui ne manquent jamais de les associer, lorsqu'ils veulent conjuguer d'après l'analogie.

48. En cela ils se trompent, parce que les verbes ont deux sortes de temps : des temps parfaits, comme legolegis, et des temps imparfaits, comme legilegisti ; et que ces temps doivent, dans la conjugaison, se classer selon leur espèce. Ainsi lego et legebam sont corrélatifs, mais lego et legi ne le sont pas, legi étant un temps parfait : ce qui convainc d'erreur ceux qui prétendent avoir trouvé une raison d'attaquer l'analogie dans tutudipupugitundopungo;tundampungam; ou dans necatus sumverberatus sumnecor,verberornecaborverberabor. En classant les temps selon leur espèce: tundebamtundotundamtutuderamtutuditutudero; amabaramoramabor, amatus eramamatus sumamatus ero, retrouve la similitude où elle doit être ; et ceux qui voient une anomalie dans la disparité des temps parfaits et des temps imparfaits accusent la nature elle-même.

49. Quoique naturellement quaternaire, l'analogie peut avoir quelquefois moins de quatre parties, ainsi que je l'ai dit plus haut, et quelquefois aussi plus de quatre, comme dans cet exemple : 2 et 4 sont à 6 comme 1 et 2 sont à 3 : ce qui n'implique pas contradiction, parce que les nombres opposés à 6 et à 3 sont pris collectivement. Cette forme complexe se rencontre quelquefois dans le langage. En voici un exemple : Herculi et Herculibus dérivent de Hercules (Hercule, Hercules) comme Diomedi et Diomedibus dérivent de Diomedes (Diomède, Diomèdes).

50. Et de même que la déclinaison passe d'un cas direct à deux cas obliques, elle peut passer aussi de deux cas directs à un seul cas oblique. Ainsi le datif pluriel Baebieis dérive et du nominatif pluriel masculin Baebiei, et du nominatif pluriel féminin Baebiae ; et pareillement le datif pluriel Caeliis dérive et du nominatif pluriel masculin Caelii, et du nominatif pluriel féminin Caeliae. Tantôt deux cas semblables produisent, dans la déclinaison, deux autres cas semblables, comme nemusolusnemoraolera; tantôt deux cas dissemblables produisent deux cas semblables, comme hiciste ;hunc istunc.

51. L'analogie a son principe, ou dans la volonté des hommes, ou dans la nature des mots, ou dans l'une et l'autre tout ensemble. A la volonté de l'homme appartient l'imposition des noms; à la nature, leur déclinaison, qui par conséquent ne demande pas d'étude. Celui qui suit la volonté de l'homme conclura de la similitude de dolus et de malus que le datif, par exemple, doit être dolo et malo. Celui qui suit la nature conclura de la similitude de Marco et de Quinto que l'accusatif doit être MarcumQuintum. Enfin celui qui suit l'une et l'autre conclura de la similitude que présente la génération des cas que si servus fait serve au vocatif, cervus doit, au même cas, faire cerve. Ces différentes espèces de déclinaisons ont, comme on le voit dans ces quatre exemples, un principe commun, qui est l'analogie.

52. La première est fondée sur la similitude des cas directs; la seconde, sur la similitude des cas obliques ; la troisième, sur la similitude de la génération des cas. Dans la première, on va de la volonté de l'homme à la nature; dans la seconde, de la nature à la volonté de l'homme; dans la troisième, on part de l'une et de l'autre. C'est pourquoi cette dernière déclinaison pourrait être dédoublée et en former une quatrième, parce que le point de départ est facultatif.

53. Si l'on prend la volonté de l'homme pour base de l'analogie, la déclinaison des cas obliques doit être conforme à son principe; si l'on prend la nature pour principe, c'est sur elle qu'il faut se régler; si enfin l'on prend l'une et l'autre pour guides, la simlitude de génération des cas doit servir de loi dans la formation des cas des mots incertains. L'imposition des noms est en notre pouvoir; mais la nature est au-dessus de nous. Chacun peut, au gré de sa volonté, imposer à une chose tel ou tel nom, mais il doit le décliner comme le veut la nature.

54. Il y a des noms qui n'ont reçu originairement que la forme du singulier, comme cicer (pois chiche); et d'autres qui n'ont reçu que la forme du pluriel, comme scalae (échelle, escalier). Or, nul doute que la déclinaison de ceux qui n'ont que le singulier ne doive partir d'un cas singulier, comme cicercicericiceris; et réciproquement pour ceux qui n'ont que le pluriel, comme scalaescalisscalas. Mais à l'égard des noms qui ont reçu les deux formes, comme mas, mares (mâle, mâles), où prendra-t-on la règle de l'analogie ? dans le singulier ou dans le pluriel?

55. Car de ce que la nature va de un à deux, il ne s'ensuit pas que, en enseignant, il ne soit pas permis d'intervertir cet ordre. Aussi voyons-nous les physiciens suivre, dans l'explication des lois de la nature, une méthode expérimentale, qui consiste à remonter du connu à l'inconnu, des phénomènes aux principes. De même, quoique les mots soient composés de lettres, les grammairiens passent par les mots pour arriver aux lettres.

56. Si donc il est préférable, en enseignant, de partir de ce qui est clair plutôt que de ce qui est primordial; d'un principe incorruptible, plutôt que de....; de la nature, plutôt que de la volonté inconstante des hommes; et que ces trois fondements d'une bonne induction se rencontrent moins souvent dans le singulier que dans le pluriel, il me semble plus raisonnable de prendre le pluriel pour guide.

57. Prenons pour exemple trabestrabsducesdux. Nous voyons bien comment trabs a pu sortir de trabes, et dux de duces, au moyen de la suppression de l'e; mais nous ne voyons pas aussi clairement dans le singulier trabs ou dux la raison du pluriel trabes ou duces.

58. Si, ce qui arrive rarement, la forme du nominatif pluriel se trouve dénaturée, Il faut avoir soin de le rectifier avant d'en tirer aucune induction; et, pour cela, il faut recourir à des cas obliques, du singulier ou du pluriel, qui ne présentent aucune altération, et peuvent aider à cette rectification.

59. En effet, ainsi que le dit Chrysippe, on peut juger d'une chose par une autre, et réciproquement, comme on peut juger du père par le fils et du fils par le père; et de même que les deux extrémités d'une voûte se soutiennent mutuellement, de même les cas divers peuvent aider à rectifier les cas obliques; le singulier, à rectifier le pluriel; et réciproquement.

60. Prenons toujours la nature pour guide et pour appui : c'est le guide le plus sûr que nous puissions suivre dans les déclinaisons. On peut, en effet, remarquer que ce sont presque toujours les cas directs du singulier qui pêchent contre l'analogie : ce qu'il faut attribuer à l'impéritie de ceux qui, seuls et sans autre raison que leur caprice, ont imposé des noms aux choses, tandis que la nature est ordinairement droite et vraie, à moins qu'un usage vicieux ne l'ait corrompue.

61. C'est pourquoi, en prenant la nature pour base de l'analogie, plutôt que la volonté de l'homme, on rencontrera peu d'obstacles dans l'usage, et la nature aidera à corriger la volonté de l'homme: ce qui n'est pas donné à la volonté de l'homme contre la nature, parce que si l'on se règle sur la forme que la volonté de l'homme a donnée aux cas, on se trouvera engagé dans une induction contraire.

62. Cependant, si l'on veut prendre le singulier pour point de départ, il faudra choisir de préférence le sixième cas, parce que ce cas est d'origine latine. La diversité de ces désinences peut aider à retrouver l'analogie dans la diversité des autres cas; car il a pour finale, tantôt un a, comme dans terra; tantôt un e, comme danslance; tantôt un comme dans levi; tantôt un o comme dans caelo, ou un u, comme dans versu...

63. Les rapports qui constituent l'analogie consistent ou dans les choses, ou dans la forme des mots, ou dans les choses et dans les mots tout ensemble. Les deux premiers sont simples, et le troisième est composé.

64. Parmi les rapports dont les choses sont susceptibles, il y en a que le langage ne comporte pas : tels sont ceux que les artistes ont soin d'observer dans les édifices, dans les statues, et autres œuvres d'art: rapports qu'on appelle, entre autres noms, harmoniques, et dont le langage n'est pas susceptible.

65. Les rapports réels sont ceux qui consistent exclusivement dans la similitude de l'idée, comme dans JuppiterMaspiterJoviMarti. Ces deux mots sont semblables et par le genre et par le nombre et par les cas, parce qu'ils sont l'un et l'autre de la classe des noms, du genre masculin, au singulier, au nominatif et au datif.

66. Les rapports de la seconde espèce consistent uniquement dans le mot, comme dans bigabigae;  nuptianuptiae. En effet, le singulier de ces mots est vide, et leur pluriel n'implique pas l'idée de multiplicité, comme le pluriel de merula (merle) par exemple, qui est essentiellement corrélatif au singulier.

67. De sorte qu'on ne doit pas dire una bigaduae bigaetres bigae, à l'imitation de una meruladuae merulaetres merulae, mais unae bigaebinae bigaetrinae bigae.

68. Les rapports de la troisième espèce sont doubles, c'est dire qu'ils consistent et dans les choses et dans les mots, comme bonus (bon) et malus (mauvais); bonimali. C'est sur cette espèce d'analogie qu'Aristophane et autres grammairiens ont écrit. Elle doit être, en effet, considérée comme l'analogie parfaite, à la différence des deux autres, qui ne sont, en quelque sorte, qu'ébauchées. Cependant, je ne laisserai pas de m'occuper; de ces analogies imparfaites, parce qu'elles se rencontrent aussi dans le langage usuel.

69. Je commencerai par l'analogie parfaite. Les mots dans lesquels elle se rencontre sont ou indigènes ou étrangers ou bâtards. Les mots indigènes sont, par exemple, sutor (cordonnier), pistor(boulanger); les mots étrangers, HectoresNestoresHectoras, Nestoras ; les mots bâtards ou mixtes, AchillesPeleus.

70. Les mots mixtes sont très usités en poésie, et les anciens, surtout en prose, latinisaient presque tous les mots étrangers. Ils disaient HectoremNestorem, conformément à quaestorem, praetorem. On lit dans Ennius : Hectoris natum, etc. Le poète tragique Accius est le premier qui chercha à ramener ces mots à la forme grecque, et à s'élever ouvertement contre l'ancien usage: ce qui a fait dire à Valérius : HECTOREM répugne à Accius ; il préfère HECTORA. La plupart des mots étrangers étant grecs, la plupart des mots bâtards durent être par conséquent d'origine grecque : de là autant d'espèces d'analogies : analogie des mots étrangers, et analogie des mots mixtes.

71. Les déclinaisons des mots mixtes ont varié avec les temps. Les plus anciennes sont, par exemple, Bacchideis et Chrysideis; on a dit ensuite : ChrysidesBacchides; et dans les derniers temps,Chrysidas et Bacchidas. Quoique ces trois formes soient usitées, la seconde est la plus vraie, et par conséquent doit être préférée aux deux autres; car la première s'éloigne trop de son origine, et la troisième est peu conforme au génie de notre Iangue.

72. Toute analogie a pour fondement, comme je l'ai déjà dit, une similitude qui est ou dans les choses, ou dans les mots, ou dans les choses et dans les mots tout ensemble. Il faut observer attentivement en quelle partie elle se trouve, et sous quel rapport ; car, ainsi que je l'ai fait remarquer, la similitude des choses et la similitude des mots ne suffisent point séparément pour produire ces doubles analogies que nous demandons au langage; il faut qu'elles se trouvent réunies. Mais pour quelles passent dans le langage, il faut que l'usage les ait acceptées; car autre chose est de faire un vêtement, autre chose est de s'en servir.

73. On peut distinguer trois sortes de mots 1° des mots qui étaient autrefois en usage; 2° des mots qui le sont actuellement; 3° et des mots qui ne l'ont jamais été ni ne le sont pas. Je citerai, parmi les premiers, cascus (vieux), casci ; surus (pieu), suri; parmi les seconds, albus (blanc), albicaldus (chaud), caldi; parmi les troisièmes, scala (qui, sous la forme du pluriel, signifie échelle, escalier scalamfalera (qui, sous la forme du pluriel, signifie collier), faleram. On peut à ces trois espèces en ajouter une quatrième, qui est mixte, et usitée en poésie, comme amicitia, inimicitiaamicitiam,inimicitiam.

74. L'analogie fondée sur la nature des mots ne comporte pas la même définition que l'analogie fondée sur l'usage. La première est une analogie qui consiste dans la déclinaison semblable de mots semblables; et la seconde, une analogie qui consiste dans la déclinaison semblable de mots semblables, en tant que l'usage n'y répugne pas. Ces deux définitions ne s'appliquent qu'à la prose; car la poésie a aussi son analogie, que je définirai plus tard. Le peuple entier doit suivre la première; les individus doivent suivre la seconde; les poètes, la troisième.

75. Tout cela est, je l'avoue, plus exact que clair, mais, ce me semble, moins obscur que les définitions que nous ont laissées sur le même sujet Aristéas, Aristodème, Aristoclès, et autres grammairiens. Leur obscurité toutefois est excusable, en ce que la plupart des définitions sont peu faciles à saisir, à cause de leur brièveté, pour ceux qui ne sont point versés dans la science à laquelle elles appartiennent. Ce n'est qu’à l'aide de la division qu'on peut les rendre accessibles.

76. Je vais essayer d'y parvenir, en éclaircissant séparément les différents termes de ma définition de l'analogie.

FIN DE L'OUVRAGE

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