DES
GRAMMAIRIENS ILLUSTRES

par

Suétone

 

C. L. F. PANCKOUCKE 1833

1. La grammaire était pour Rome ancienne un art inconnu. Comment y eût-elle été en honneur? Encore ignorant et belliqueux, l'état ne tenait presque aucun compte des études libérales 2. Les commencemens de cette science furent très modestes; à demi Grecs eux-mêmes, les plus anciens de nos savaus, poètes et orateurs à la fois, ne furent que les interprètes de la littérature, grecque 3. Je veux parler de Livius et d'Ennius, qui enseignaient l'une et l'autre langue tant à Borne qu'au dehors 4. Quand ils écrivaient en latin, ils lisaient leurs compositions en public 5. Lucius Cotta réfute avec raison ceux qui attribuent à Ennius deux livres sur les Lettres et les Syllabes, et sur la Métrique ; il prouve qu'ils ne sont pas du poète mais d'un autre Ennius qui a vécu plus tard, et qui est aussi l'auteur des règles de l'art augural.

II. Autant que je puis le conjecturer, le premier qui introduisit à Rome l'art de la grammaire 6, fut Cratès de Mallus, contemporain d'Arislarque 7. Envoyé par le roi Attale au sénat, entre la seconde et la troisième guerre punique, vers le temps de la mort d'Ennius 8il tomba dans un égout voisin du Palatium, et se cassa la jambe. Pendant tout le temps que durèrent sa mission 9 et sa maladie, il donna des leçons publiques, disserta beaucoup et laissa à nos compatriotes un exemple à imiter. Ils l'imitèrent, du moins en ce point, qu'ils reprirent et remanièrent avec soin des vers jusqu'alors peu connus, soit d'amis qu'ils avaient perdus, soit de toute autre
personne, pourvu qu'ils en valussent la peine. On les lisait, on les expliquait; c'est ainsi qu'en agit Caïus Octavius Lampadion 10, qui divisa en sept livres la Guerre punique de Névius 11, écrite auparavant d'un seul contexte,et en un seul volume. Après cela, Quintus
Vargunteius retoucha les annales d'Ennius 12, et choisit certains jours pour les réciter à un public nombreux. Voilà comme en agirent Lélius Archelaus, Vectius, Quintus Philocomus, à l'égard des satires de Lucilius 13, leur ami, que Pompée Lenéus 14 nous dit avoir lues chez Archelaus, et Valcrius Caton chez Philocomus. La grammaire doit des progrès notables et une disposition meilleure à Lucius Élius Lanuvinus, gendre de Quintus Elius, et à Servius Clodius, tous deux chevaliers romains, tous deux remarquables par l'abondance et la variété de leur science, et par leur aptitude aux affaires publiques.

III. L. Elius 10, avait deux surnoms 16 : on l'appelait Préconinus, parce que son père.avait rempli les fonctions de héraut; on l'appelait aussi Stilo, parce qu'il servait en quelque sorte de plume aux grands, pour lesquels il était toujours prêt à rédiger des discours 17. Il était tellement dévoué à l'aristocratie, qu'il suivit en exil Quintus Metellus Numidicus 18. Servius 19 fit disparaître frauduleusement le livre de son beau-père avant qu'il eût vu le jour; celui-ci le repoussa de sa famille, et il en conçut tant de honte et de chagrin, qu'il quitta Rome. La goutte lui ayant causé des douleurs insupportables, il se frotta les pieds de poison 20, et y détruisit tellement la vie, qu'il vécut désormais comme si cette partie de son corps fût morte avant lui. Dans la suite, le crédit de cet art, et le
soin qu'on mit à l'étudier s'accrurent de jour en jour : les plus illustres citoyens ne craignirent pas d'écrire leurs idées sur ce sujet, et l'on nous rapporte qu'à certaines époques il y eut dans la ville plus de vingt écoles célèbres. Les récompenses des grammairiens furent si grandes, on leur accorda de si fortes rétributions, qu'il est avéré que Quintus Catulus acheta pour deux cent mille sesterces, et affranchit bientôt après, ce Lutatius Daphnis 2I que Lenéus Melissus appelait, en plaisantant sur son nom, les délices de Pan 22. Lucius Appuleius, qu'Eficius Calvinus, chevalier romain, louait pour quatre cent mille sesterces 23 par an, fit beaucoup d'élèves. La
grammaire avait pénétré jusque dans les provinces, et quelques-uns des docteurs les plus connus allaient enseigner à l'étranger, et surtout dans la Gaule Transalpine. Nous citerons Octavius Teucer, Siscennius Iacchus et Oppius Charès 24. Ce dernier donna des leçons jusque dans l'âge le plus avancé, et dans un temps où il avait perdu, non seulement l'usage de ses jambes, mais encore
la vue.

IV. Le nom de grammairiens vient de la langue grecque ; on les appelait d'abord litterati ou lettrés. Cornélius Nepos, dans le livre où il distingue entre l'homme de lettres et l'érudit, dit que l'on appelle communément litterati ceux qui savent parler ou écrire sur un
sujet avec soin, finesse et savoir; mais qu'à vrai dire ce nom revient aux interprètes des poètes, que les Grecs appellent grammairiens. On voit toutefois, par une lettre de Messala Corvinus, qu'on les appelait aussi litteratos ; car il dit qu'il n'a point affaire à Furius Bibaculus 25, ni à Sigida 26, ni au littérateur Caton, indiquant sans doute Valerius Caton, qui fut poète et grammairien très célèbre. Quelques personnes distinguent encore le lettré du littérateur, comme les Grecs établissent une différence entre le grammairien et celui qu'ils appellent grammatiste 27; elles regardent le premier comme savant, absolument parlant; l'autre comme médiocrement instruit : Orbilius appuie leur opinion par des exemples. « Lorsque, chez nos ancêtres, dit-il, on vendait les
esclaves de quelqu'un, on n'avait point coutume d'afficher 28 qu'il y en avait un lettré; on mettait sur son écriteau littérateur, pour marquer qu'il s'était non seulement exercé aux lettres, mais qu'il en était imbu. Les anciens grammairiens enseignaient aussi la rhétorique, et l'on possède les ouvrages de beaucoup d'auteurs sur l'une et l'autre science. Ce fut par suite de cet usage, sans doute,
que leurs successeurs, à une époque où ces branches étaient déjà séparées, retinrent ou s'attribuèrent de nouveau l'enseignement de quelques études qui préparent à l'éloquence, telles que les problêmes, les paraphrases, les allocutions, les caractères ou portraits, et d'autres exercices de ce genre. Ils ne voulaient pas que les élèves arrivassent au rhéteur secs, et pour ainsi dire sans nourriture.
Aujourd'hui je vois qu'on néglige ces études, tant par la paresse que par l'incapacité de quelques maîtres ; car je ne puis croire que ce soit dégoût. Je me souviens que, dans mon adolescence, quelqu'un du nom de Princeps déclamait et discutait en alternant de deux jours l'un ; que quelquefois il dissertait le matin , et que l'après-midi, faisant ôtèr sa chaire, il se mettait à déclamer. J'ai aussi entendu dire
par nos pères que quelques élèves passaient directement de l'école du grammairien au forum, et qu'ils furent accueillis au rang des avocats les plus distingués. Les professeurs célèbres, et ceux dont nous pouvons dire quelque chose, sont à peu près ceux-ci.

V. Le premier qui, par l'enseignement, s'acquit une réputation et une certaine considération, fut Sévius Nicanor 29. Outre ses traités, dont, à ce qu'on dit, nous avons perdu la plus grande partie, il a fait une satire dans laquelle on apprend qu'il était affranchi, et qu'il
portait deux surnoms. Voici les expressions : « Sévius Nicanor, l'affranchi de Marcus, Sévius Postumius s'y refusera ; mais Marcus enseignera. » Quelques auteurs rapportent qu'il se retira en Sardaigne pour une action honteuse, et qu'il y mourut.

VI. Aurelius Opilius 30, affranchi de quelque épicurien, enseigna d'abord la philosophie, puis la rhétorique, enfin la grammaire; mais, ayant renvoyé son école, il suivit en Asie Rutilius Rufus, condamné à l'exil, vieillit à Smyrne 3l avec lui, et y composa plusieurs volumes sur divers objets, et, entre autres, neuf d'un même ouvrage. Les écrivains et les poètes se trouvant sous le patronage des Muses, il pensa qu'il serait bien fait d'emprunter à ces déesses et leur nombre et leur nom. Dans la plupart des catalogues, et sur le titre de ses livres, je trouve le prénom d'Opilius écrit par une seule lettre; mais il l'a marqué de deux dans la table de son traité, intitulé Tableau.

VII. M. Antonius Gniphon 32, était de condition libre, et né dans la Gaule ; mais il avait été exposé par sa mère. Son père nourricier l'affranchit, et le fit instruire à Alexandrie, où, s'il faut en croire quelques autorités, il fut le compagnon de Denys Scytobrachion 33. Cependant j'ai peine à le croire, car les époques ne coïncident guère. On dit qu'il avait beaucoup de dispositions, une mémoire étonnante, et qu'il n'était pas moins savant en grec qu'en latin. De plus il passe pour avoir été doux et accessible, sans jamais stipuler de salaire, et enfin il obtint des sommes d'autant plus fortes de la libéralité de ses disciples. Il fut d'abord précepteur dans la maison
de Jules-César encore enfant ; puis dans la sienne : il enseigna aussi la rhétorique, donnant tous les jours les préceptes de l'éloquence, mais ne déclamant que les jours de marché. On dit que des hommes célèbres venaient à son école, et l'on cite, entre autres, Marcus Cicéron 34, que la préture n'empêcha pas de fréquenter ses leçons. Il écrivit beaucoup, quoiqu'il n'ait pas vécu au de là de cinquante ans : néanmoins Atteius le philologue prétend qu'il ne laissa que deux volumes sur le discours latin; que les autres appartiennen à ses disciples, et ne sont point son ouvrage, quoique l'on trouve quelque part son nom.

VIII. M. Pompilius Andronicus, Syrien de nation, passait pour négliger l'enseignement de la grammaire, afin de s'adonner avec ardeur à la secte d'Epicure; il en devint peu propre à soutenir son école. Voyant donc qu'à Rome on faisait de lui moins de cas que d'Antonius Gniphon, et d'autres, qui valaient encore moins, il alla à Cumes 35, y vécut tranquille et y composa beaucoup : mais il fut si pauvre et si affamé, qu'il se vit contraint de vendre à quelqu'un, pour seize mille sesterces, son principal ouvrage, l'Examen des Annales d'Ennius. Orbilius nous dit qu'il retira ces livres de l'oubli en les rachetant, et les faisant publier sous le nom de l'auteur.

IX. Orbilius Pupillus de Bénévent se vit abandonné à lui-même par la mort de ses parens que la haine de leurs ennemis fit périr en un seul jour. D'abord il remplit les fonctions d'appariteur auprès des magistrats; puis il fut employé comme tel à l'armée de Macédoine, où il fut décoré et servit ensuite à cheval. Lorsqu'il se fut acquitté du service militaire, il reprit les études que dès son enfance il avait faites avec quelque soin : après avoir longtemps enseigné dans sa patrie, il vint à Rome à l'âge de cinquante ans, sous le consulat de Cicéron, et y obtint, par ses leçons, plus de réputation que de profit; car, dans un écrit de son extrême vieillesse, il déclare qu'il est pauvre, et qu'il habite sous le toit. Il publia aussi un livre sur l'Inconséquence 36, où il exhale ses plaintes sur les injustices que les professeurs ont à souffrir de la négligence et des prétentions des parens. Orbilius était d'un caractère virulent, non seulement envers ses rivaux les sophistes, qu'il déchirait dans tous ses discours, mais encore envers ses disciples; si bien qu'Horace le qualifie de fouetteur 37, et que Domitius Marsus 38 parle de ceux «qu'ont frappés la férule et le fouet d'Orbilius. » Sa langue ne ménageait pas même les principaux citoyens : il était encore inconnu, quand il fut appelé à rendre témoignage en justice au milieu d'une assemblée nombreuse. Varron, l'avocat de la partie adverse, lui ayant demandé ce qu'il faisait, et quel était son métier, il répondit qu'il transportait les bossus du soleil à l'ombre, faisant allusion à Mufena, qui était atteint de cette difformité. Orbilius arriva presqu'à l'âge de cent ans; mais il avait depuis longtemps perdu la mémoire, comme nous le dit ce vers de Bibaculus : «Où est Orbilius, cet oubli des lettres? » A Bénévent, on montre sa statue; elle est de marbre, et posée à gauche du Capitole 39. Il est représenté assis 40 et couvert d'un manteau; près de lui sont deux portefeuilles. Il a laissé un fils appelé Orbilius, et comme lui
professeur.

X. Atteius le Philologue était un affranchi né à Athènes. Atteius Capiton 4l, jurisconsulte connu , a dit de lui qu'il fut rhéteur parmi les grammairiens, et parmi les rhéteurs grammairien. Voici ce qu'en pense Asinius Pollion dans le livre où il critique les écrits de Salluste, comme entachés d'une affectation démesurée d'archaïsme. «Ce fut surtout Atteins Prétextatus qui le seconda dans ce genre; c'était un grammairien distingué, le conseil et le maître de ceux qui s'exerçaient à la déclamation ; et, pour tout dire, il s'était donné à lui-même le surnom de Philologue. » Atteius écrivait à Lélius Herma, qu'il avait fait de grands progrès dans les lettres grecques, et qu'il avait aussi réussi quelque peu aux lettres latines. «D'abord, dit-il, j'ai suivi les leçons d'Antonius Gniphon, puis celles de Herma, et tout aussitôt j'ai enseigné. » Il ajoute «qu'il a donné des leçons à beaucoup de jeunes gens illustres,
parmi lesquels il cite les frères Appius Claudius, et Claudius Pulcher 42 qu'il accompagna en province.
» Il paraît qu'il prit le titre de Philologue, parce qu'à l'exemple d'Eratosthène 43, qui se l'était attribué le premier, il passait pour avoir des connaissances nombreuses et variées; et c'est ce qui résulte de ses traités 44, quoique nous en ayons fort peu. Néanmoins sa seconde lettre à
Herma en atteste la quantité: «Souvenez-vous de recommander aux autres mon chantier, où, comme vous le savez, j'ai réuni des matériaux de toute espèce en huit cents livres. » Il vivait dans l'intimité de Caïus Sallustius; et, après sa mort, il s'attacha à Asinius Pollion. A l'époque où ils écrivirent l'histoire, il fournit à l'un des extraits de celle de Rome, afin qu'il pût choisir un sujet; il donna à l'autre des préceptes sur l'art d'écrire. J'en suis d'autant plus étonné, qu'Asinius Pollion ait cru qu'Atteius rassemblait pour Salluste de vieux écrits et de vieilles images; car il savait, par sa propre expérience, qu'Atteius ne conseillait rien tant que d'écrire d'un style clair, simple, et de se servir du mot propre : surtout il en avait reçu la recommandation d'éviter l'obscurité de Salluste et son audace dans les métaphores.

XI. Valerius Caton était, selon quelques auteurs, l'affranchi d'un certain Bursenus, et Gaulois de nation. Quant à lui, il déclare, dans le livre intitulé Indignation, que, né de condition libre et laissé orphelin, il en fut d'autant plus facilement dépouillé de son patrimoine
au temps de la guerre de Sylla. Il eut beaucoup d'élèves, et parmi eux des hommes de distinction : on le regardait comme un professeur très habile, surtout pour ceux qui voulaient se livrer à la poésie ; c'est ce qu'indiquent ces vers : « Caton le Grammairien, Sirène latine 45, qui seul sait lire, seul faire des poètes.» Outre ses traités de grammaire, il a écrit des poèmes parmi lesquels on vante surtout Lydia et Diana 46. Ticida 47 parle de Lydia en ces termes : « Lydia, livre que les savans ont le plus à coeur. » Et Cinna 48 dit de Diana : « Que la Diane de notre Caton brave les siècles. » Il parvint à une vieillesse fort avancée; mais dans la
pauvreté, et presque dans la misère, se cachant dans un petit réduit, après avoir abandonné à ses créanciers sa maison de campagne de Tusculum, comme nous l'apprend Bibaculus 49: « Lorsque l'on voit la maison de mon cher Caton, et ses lambris 50 peints en rose, puis ces jardins confiés à la garde de Priape 51, on se demande par quel art il a pu parvenir à cet excès de sagesse, que, pour le nourrir sous un toit 53, il suffit de trois tiges de légumes, d'une demi-livre de farine et de deux grappes de raisin. » Le même poète dit encore : «Les créanciers, Gallus, proposaient à toute la ville l'achat du bien que notre Caton possédait à Tusculum ; et nous nous étonnions qu'un maître sans pareil, un grammairien accompli, un poète excellent, sût résoudre toutes les questions, et ne pût venir à bout d'un seul litre 53. Oui, il a la sagesse de Zénodote 54, les entrailles de Cratès 55. »

XII. Cornélius Epicadus était l'affranchi de Lucius Cornélius Sylla le dictateur, et son serviteur dans le sacerdoce des augures 56; il fut fort aimé par le fils de Sylla, Faustus : aussi ne manqua-t-il jamais de se qualifier d'affranchi de l'un et de l'autre. Il compléta le dernier livre de ceux que Sylla avait écrits 57 sur sa vie, et qu'il avait laissé imparfait.

XIII. Laberius Eros avait été acheté par son maître sur les traiteaux où l'on vend les esclaves 58; il fut affranchi pour s'être voué à l'étude des lettres, et il eut pour disciples Brutus et Cassius. Quelques auteurs lui attribuent tant de désintéressement, qu'au temps de
Sylla il donnait des leçons aux enfans des proscrits, et les recevait à son école sans aucun honoraire.

XIV. Curtius Nicias s'attacha à Cneus Pompée et à Caïus Memmius. Mais, ayant porté à la femme de Pompée un billet par lequel Memmius cherchait à la séduire, elle le dénonça à son mari 59, qui, blessé de cet outrage, lui interdit sa maison. Il fut admis aussi dans l'intimité de Marcus Cicéron. Nous lisons dans une de ses lettres à Dolabella 60 : «J'ai beaucoup plus de sujets de désirer des lettres de vous que vous de moi. En effet, on ne fait rien à Rome dont vous puissiez vous soucier, à moins que vous ne vouliez apprendre que je suis constitué juge entre Nicias et Vidius. Celui-ci se prévaut de deux lignes de Nicias 61 pour lui réclamer une dette; l'autre fait l'Aristarque: il en attaque l'authenticité 62. Et moi, comme un critique du vieux temps, je déciderai si ces vers sont du poète, ou s'il y a interpolation. » Cicéron écrit aussi à Atticus 63 : «Pour Nicias, dont vous me parlez, si j'étais dans une disposition d'esprit à pouvoir profiter de sa compagnie, il n'y en aurait point dont je m'accommodasse mieux; mais je ne me plais à présent que dans la retraite et dans ma solitude. Sica s'en accommodait; c'est surtout pour cela que je souhaite de l'avoir. D'ailleurs, vous savez que notre ami Nicias a une santé très faible, qui demande de grandes attentions et un régime particulier. Pourquoi donc l'incommoderai-je, à présent qu'il ne peut me faire plaisir? Je lui suis néanmoins obligé de sa bonne volonté.» Ses livres sur Lucilius 64 sont approuvés, par la satire même.

XV. Lenéus 65, l'affranchi du grand Pompée, le compagnon de presque toutes ses expéditions, sut, après la mort de son patron et celle de ses fils, gagner sa vie par ses leçons. Il enseigna aux Carènes, près du temple de la Terre 66, quartier où était située la maison de Pompée. Il était si attaché à la mémoire de son patron, que l'historien Salluste, ayant écrit que Pompée avait la figure
méchante et la pensée immodeste 67, il le poursuivit d'une amère satire 68, dans laquelle il le traitait «de taureau 69, de gourmand 70, de brouillon 71 et de coureur de cabarets ; » lui reprochant « que sa vie et ses écrits étaient également monstrueux.» Enfin il l'appela «ignorant pillard des vieux mots de Caton. » On rapporte qu'étant enfant il fut enlevé de ses chaînes 72, et s'enfuit dans sa patrie; mais qu'ayant étudié les lettres et les sciences, il rapporta à son maître le prix de sa liberté. Toutefois celui-ci rendit hommage à son esprit et à son savoir 73, et l'affranchit sans rien accepter.

XVI. Quintus Cécilius Epirota 74, né à Tusculum, était affranchi d'Atticus, le chevalier romain auquel sont adressées les lettres de Cicéron. Il donnait des leçons à la fille de son patron 75, qui était mariée à Marcus Agrippa; mais, ayant été soupçonné de trop d'intimité avec elle, il fut éloigné, et se rendit auprès de Cornélius Gallus avec lequel il vécut dans la plus étroite liaison. Cette liaison
fut un des principaux griefs d'Auguste contre Gallus. Après la condamnation et la mort de ce Gallus, Cécilius ouvrit une école : cependant il n'y recevait que peu d'élèves, n'y admettant que des adolescens, et pas un jeune homme qui eût pris la robe prétexte, à moins qu'il ne pût refuser ce service à son père. Le premier, dit-on, il improvisa en latin. Le premier aussi il fit la lecture de Virgile et d'autres poètes nouveaux; c'est ce qu'indique aussi ce vers de Domitius Marsus : « Epirota, nourrice de nos jeunes poètes. »

XVII. Verrius Flaccus 76, affranchi, s'acquit une grande célébrité par sa méthode d'enseignement : pour exercer les esprits de ses disciples, il faisait faire assaut de compositions entre ceux de même force, et déterminait, en indiquant le sujet sur lequel ils devaient écrire, un prix qui serait la récompense du vainqueur. C'était quelque ancien livre distingué par sa beauté ou sa rareté. Auguste fit choix de Verrius Flaccus pour l'éducation de ses petits-fils : alors il passa au Palatium avec toute sou école, mais sous la condition de n'y plus recevoir de nouveaux élèves. Il donnait ses leçons dans l'atrium de la maison de Catilina 77, qui faisait partie du Palatium,
et touchait par an cent mille sesterces. Il mourut fort vieux sous Tibère. On voit sa statue à Préneste, dans la partie inférieure du Forum, près de l'hémicycle 78; car c'était là que se trouvaient inscrits sur une table de marbre les fastes qu'il avait exposés en public,
après les avoir mis en ordre.

XVIII. L. Crassitius, Tarentin de nation, de la condition des affranchis, avait le surnom de Pasiclès, qu'il changea bientôt en celui de Pansa. D'abord il se voua à la scène, prêtant son ministère aux mimographes; puis il enseigna dans une échoppe; enfin il s'acquit une telle réputation par son traité de Smyrne 79, que l'on composa ces vers : « Smyrne ne s'est confiée qu'au seul Crassitius; cessez, ignorans, de lui offrir votre alliance. Elle a déclaré qu'elle n'épouserait que Crassitius : lui seul possède ses plus intimes secretss°. » Il avait déjà de nombreux et de nobles élèves, parmi lesquels en cite Julius Antonius, le fils du triumvir, et se trouvait sur la même ligne que Verrius Flaccus, lorsqu'il renvoya subitement son école, pour se jeter dans la secte du philosophe Q. Sextius 81.

XIX. Scribonius 82 Aphrodisius, esclave et disciple d'Orbilius, fut racheté et affranchi par Scribonia, fille de Libon, celle qui fut la première femme d'Auguste. Il enseigna en même temps que Verrius, et répondit à ses livres sur l'orthographe, non sans y mêler d'amères attaques contre ses travaux et ses moeurs.

XX. C. Julius Hyginus, l'affranchi d'Auguste, était Espagnol de nation (je ne dissimulerai pas cependant que quelques auteurs le croient d'Alexandrie, et prétendent qu'il fut amené à Rome dans son enfance par César, après la prise de cette ville). Hyginus suivit et imita avec zèle Cornélius Alexandre 83, grammairien grec, que, pour sa profonde science de l'antiquité, beaucoup de personnes ont surnommé Polyhistor, et que d'autres appelaient l'histoire personnifiée 84. Il était à la tête de la bibliothèque palatine, ce qui ne l'empêcha pas d'avoir beaucoup d'élèves. Il fut l'ami intime du poète Ovide et du consulaire Caïus Licinius l'historien 85. Cet auteur nous apprend que Hyginus mourut très pauvre, et qu'il ne se soutenait que de ses dons. Il avait eu pour affranchi Julius Modestus 86 qui, dans ses études et sa doctrine, suivit les traces de son maître.

XXI. C. Melissus 87 de Spolette était de condition libre; mais, par suite des dissensions de ses parens, il avait été exposé. Néanmoins les soins et le zèle de celui qui se chargea de son éducation l'élevèrenl à de hautes études, et il fut donné à Mécène comme grammairien. Ayant gagné la faveur de cet illustre Romain, au point de vivre avec lui sur le pied de l'amitié, il voulut rester dans la servitude malgré la réclamation que faisait de lui sa mère, et préféra sa condition actuelle à son véritable état. Aussi fut-il bientôt affranchi 88; après quoi Auguste, dont il s'attira les bonnes grâces, le chargea du soin d'arranger la bibliothèque du portique d'Octavie. Ainsi qu'il nous l'apprend lui-même, il était dans sa soixantième année quand il se mit à écrire ses petits volumes de Facéties, qui portent aujourd'hui le titre de Plaisanteries. Il en fit jusqu'au nombre de cent cinquante, auxquels il en ajouta d'autres de diverses espèces. Il composa aussi un nouveau genre de comédies, qu'au lieu de Togatae il intitula Trabeatae 89.

XXII. M. Pomponius Marcellus était, pour le langage latin, un puriste impitoyable. Un jour, dans une affaire judiciaire (car il plaidait quelquefois des causes), il se mit à poursuivre avec tant d'acharnement un solécisme échappé à son adversaire, que Cassius Severus,
s'adressant aux juges, demanda la remise de la cause, « afin que son client pût se pourvoir d'un autre grammairien ; car, ajouta-t-il, d'après Marcellus, il n'y avait point, entre les deux adversaires, de question de droit, mais une controverse de langue. » Ce Marcellus ayant repris une expression de Tibère, Atteius Capiton affirma «qu'elle était latine, et qu'en tout cas, si elle ne l'était pas, elle le devenait 90 de ce moment.—Capiton en impose, s'écria-t-il, car vous pouvez bien, César, conférer le droit de cité aux hommes, mais non pas aux mots.» Il résulte, d'une épigramme d'Asinius Gallus, que Marcellus s'était autrefois adonné au pugilat. " Celui qui penche sa tête à gauche 91 nous enseigne des expressions recherchées 92; il n'a point de facondes 93, ou plutôt il a celle d'un athlète. "

XXIII. Remmius Palémon 94, de Vicence, était né l'esclave d'une femme. On rapporte que d'abord il apprit l'art du tisserand; mais qu'ayant accompagné aux écoles le fils de ses maîtres, il étudia les lettres. Il fut ensuite affranchi , et enseigna à Rome où il tint le premier rang parmi les grammairiens, en dépit de la dépravation de ses moeurs, et quoique Tibère, et après lui Claude, ne cessassent de répéter qu'il n'y avait personne à qui il fallût moins confier l'éducation des cnfaus ou de la jeunesse. Palémon séduisait autant par sa mémoire que par sa facilité; il improvisait même des poèmes, en se servant des mètres les plus divers et les plus inusités. Mais il en vint à un tel degré d'arrogance, qu'il se permit de traiter Marcus Varron de porc, et qu'il disait que les lettres étaient nées avec lui et mourraient avec lui. A l'entendre, si son nom était dans les Bucoliques 95, ce n'était pas l'effet du simple hasard; mais Virgile avait prévu qu'un jour viendrait, où Palémon serait le juge de tous les poètes et de tous les poèmes. Il se vantait aussi que les voleurs l'avaient autrefois épargné pour rendre hommage à sa célébrité. Il était si efféminé, qu'il se baignait plusieurs fois le jour 96, et ne suffisait point à ses dépenses, quoiqu'il gagnât par ses leçons quarante mille sesterces, et qu'il n'eût pas moins de revenu de sa fortune, dont au surplus il s'occupait beaucoup, faisant ouvrir pour sou compte des boutiques d'habillemens, et cultivant ses biens avec un tel soin, qu'une vigne qu'il avait plantée 97 lui rapporta de quoi remplir trois cent soixante vases 98. Dans son ardeur pour les femmes, il allait jusqu'à souiller sa bouche 99. aussi dit-on qu'il fut un jour châtié d'un assez bon mot. Quelqu'un qui, dans une foule, n'avait pu échapper à un baiser qu'il voulait lui appliquer, s'écria : «O maître 100 ! veux-tu donc, chaque fois que tu vois
quelqu'un redoubler de vitesse, l'achever de ta langue. »

XXIV. M. Valerius Probus I01, de Béryte, après avoir longtemps brigué le titre de centurion, se rebuta et s'adonna à l'étude. Il avait lu en province chez un homme lettré I02 quelques vieux livres ; car la mémoire de l'antiquité n'y était pas encore perdue comme à Rome. Il voulut les relire avec plus de soin , et en connaître d'autres encore: bien qu'il comprît qu'on n'en faisait point de cas, et que leurs lecteurs en retireraient plus de ridicule que de réputation et de profit, il n'en persista pas moins dans ce projet, réunit beaucoup d'exemplaires de ces ouvrages, les corrigea, les arrangea et les pourvut de notes; mais il ne s'appliquad'ailleurs à aucune autre partie de la littérature. Probus eut plutôt des sectateurs que des disciples : jamais il n'enseignait en s'attribuant le rôle de maître; seulement, dans l'après-midi, il avait coutume de recevoir une, deux, ou tout au plus trois à quatre personnes, avec lesquelles il s'entretenait longuement sur le ton du discours familier, entremêlant quelquefois des lectures à ses entretiens. Il n'a publié que des écrits très courts et en petit nombre sur de très futiles questions. D'un autre côté, il nous a laissé une abondante moisson d'observations 103 sur le vieux langage.

NOTES
SUR LES GRAMMAIRIENS ILLUSTRES.

I. Suidas nous apprend que Suétone, qu'il appelle Tranquillus , a rédigé un état des hommes célèbres de Rome. Hiéronyrae se
vante de l'avoir imité en continuant le travail depuis les apôtres jusqu'à son temps. Platius et Casaubon pensent que ce traité , le
suivant et les vies des poètes, faisaient partie d'un même ouvrage, et cela est probable.
2. Ne tenait presque aucun compte des études libérales. Il est, dans les Tusculanes, un passage qui prouve qu'il ne faudrait pas prendre cette assertion au pied de la lettre: c'est au liv. îv, i. Cicéron pense que Pythagore, contemporain de Brutus, n'a pas été
sans influence sur Rome, et que ses citoyens n'ont pas fermé les oreilles à sa doctrine.
3. Que les interprètes de la littérature grecque. Suétone les appelle semi-Graeci. Livius Andronicus était né de parens grecs, comme l'indique son nom et comme le dit Térence : Livius ille vêtus graeco cognomine. Ennius était de Calabre, de la ville de Rudise. Aulu-Gelle dit aussi que Livius fut le premier qui fit jouer à Rome une pièce de théâtre, sous le consulat de Claudius Cento Appius et de M. Tuditanus, en 5o4. Ce fut l'année qui précéda la naissance d'Ennius. Il ajoute que les historiens diffèrent sur les dates.
4. Tant à Rome qu'au dehors. Des vers d'Ennius, que nous a conservés Festus, prouve qu'il a longtemps enseigné le grec à Rome:
Quod graeca lingua longos per tempori traclus Hos pavi. L'étude de la langue grecque alla si loin, que Caton, qui cependant avait aussi suivi Ennius, s'écria, en plein sénat, « qu'il ne pouvait souffrir une ville grécisée. » Au dehors signifie en Sardaigne,
où Caton rencontra Ennius et en reçut des leçons, comme le dit formellement Aurelius Victor, de Viris M., c. 47- Cornélius
Ncpos dit de Caton, c. 3 de la vie de ce grand homme : « Préteur, il obtint le gouvernement de la Sardaigne : il en avait ramené
à Rome le poète Q. Ennius l'année précédente, à son retour d'Afrique, et cette conquête ne le cède pas, selon nous, au triomphe le plus éclatant remporté en Sardaigne. >>
5. Ils lisaient leur composition en public. Le verbe praelegcre est, comme l'allemand vorlesen, susceptible de deux sens : savoir,
lire en public, et lire ou faire une leçon aux écoliers. Voyez aussi QUINTILIEN, 1,12.
6. Le premier qui introduisit à Rome l'art de la grammaire. N'allez pas entendre grammaire dans le sens que nos écoliers attachent
au mot rudiment. Il ne s'agit pas des premiers élémens, mais bien d'une connaissance approfondie et raisonnée des deux littératures et de l'interprétation des auteurs. Le sens du mot grec ffafi.u.aTiit7i ne saurait être douteux : nous avons une expression qui y répond très bien : nous disons les lettrés. Diogène de Laërte dit qu'il y eut dix Cratès, et il compte le nôtre pour le septième. Celui-ci eut l'illustre Panétius pour disciple.On le qualifiait aussi d'Homérique, à cause de son grand savoir en critique et en poésie. Il vivait sous Ptolémée Philométor. Mallus, sa patrie , était une ville de Cilicie.
7. Contemporain d'Aristarque. Il était disciple d'Aristophane le grammairien, et composa plus de huit cents volumes. Cratès était son rival et son adversaire.
8. Vers le temps de la mort d'Ennius. « Ennius mourut sous le consulat de Q. Marcius et de Cn. Servilius, après avoir fait représenter sa tragédie de Thyeste. » (CICÉRON, Brutus.) C'était, si l'on suit Cassiodore et les Fastes capitolins, l'an de Rome 584. 9. Pendant tout le temps que durèrent sa mission, etc. Les ambassades étaient assez fréquemment confiées à des gens de lettres.
Suidas en cite d'autres exemples.

10. Lampadion. D'après Aulu-Gelle, il aurait aussi corrige Ennius.
11. La GUERRE PUNIQUE de Névius. C'était, la première; il l'écrivit en vers saturnins, et l'on prétend que c'est de lui qu'Ennius
a dit : Scripsere alii rem Versibu quos olim Farnii vatesque canebant.
Mais Niebuhr applique ces vers à toute une série de poèmes sur l'histoire de Rome. Voyez sur ce point CICÉRON, Brutus.
Lampadion divisa en sept livres la Guerre punique de Névius, comme Aristarque mit l'lliade en vingt-quatre : auparavant elle était d'un seul contexte.
12. Les annales d'Ennius. Elles étaient divisées en quarante livres. Suétone ne nous dit pas si ce fut Vargunteius qui opéra cette
division.
13. A l'égard des satires de Lucilius, leur ami. Il naquit en l'olympiade158, première année, c'est-à-dire en l'an de Rome 6o5,
sous le consulat de L. Carpurnius Pison et de Postumius Albinus.
14. Pompée Lenéus. C'était un affranchi de Pompée.
15. L. Élius. Grammairien très célèbre, qui fut le maître de Varron. Voici ce qu'en dit Cicéron dans son Brutus. "Cet Elius était
un homme de mérite. Il se distinguait parmi les chevaliers romains, et possédait à fond les lettres grecques et romaines, ainsi que les antiquités de sa patrie, soit qu'il s'agît de découvertes, soit qu'il fût question de nos annales. Les anciens auteurs lui étaient familiers. C'est de lui que notre ami Varron tient cette science si vaste, qu'il a augmentée encore de ses propres connaissances : homme doué d'un rare génie et d'un savoir universel, il l'a développé dans plusieurs ouvrages célèbres."

16. Deux surnoms. On l'appelait, en effet, Lucius Elius Préconinus Stilo. Ce dernier nom était du genre de ceux qu'on appelait
cognomina, et non pas un agnomen. Tels étaient les surnoms d'Asiatique, d'Africain ou de Pius. Velleius Paterculus dit de
Metellus : « Il mérita ce surnom de Pius, etc. » Voyez aussi PLINE, NXXIII, 1 , sur le surnom de Préconinus. Aulu-Gelle explique
pourquoi il fut appelé Stilo.
17. Prêt à rédiger des discours. Cicéron dit (Brutus) : «Il écrivit quelques discours destinés à être prononcés par d'autres : par exemple pour Q. Metellus le fils, pour Q. Cépion, pour Q. Pompeius Rufus. Ce dernier rédigea, il est vrai, la harangue qu'il fit pour lui-même, mais ce ne fut pas sans le secours d'Ëlius. Dans mon adolescence,je fréquentais assidûment cet Elius, que j'avais coutume d'écouter avec beaucoup d'attention : j'ai assisté à la rédaction de ses discours. » Les anciens orateurs d'Athènes rédigeaient aussi des discours pour des accusés. C'est ce que firent Socrate, Lysias et Démosthène.
18. Quintus Metellus Numidicus.Celui qui, en 644, avait vaincu Jugurtha : il fut exilé en 653. Le consul Marius, le préteur Glaucia
et le tribun Saturninus le firent condamner par des juges apostés, et leur sentence fut un deuil public. Metellus avait combattu la
loi Apuleia, et se retira à Rhodes, ne voulant pas être défendu par la violence.
19. Servius. C'était un grammairien très habile. Cicéron dit qu'il avait un goût tellement sûr, qu'il savait fort bien distinguer si un vers était de tel ou de tel poète, ou si on le lui attribuait.
20. Se frotta les pieds de poison. Pline (1. xxv, 4) raconte le fait d'après Varron. Il dit qu'il se frotta les jambes de poison au point de perdre le sentiment et l'usage de ces membres.
21. Quintus Calulus, etc. Son nom passa à l'affranchi Daphnis, qui s'appela Lutatius Daphnidès.
22. Les DÉLICES de Pan. Le pasteur Daphnis, auquel on fait allusion, était fils de Mercure; il avait été élevé par Pan, qui lui avait appris la musique. Il y avait de l'ironie dans cette plaisanterie.
23. Quatre cent mille sesterces. D'autres lisent sept cent mille, somme incroyable! Mais aussi la cite-ton comme la plus chère qui ait jamais été payée d'un esclave.
24. Oppius Charès. Grammairien qui parait avoir écrit aussi sur les diverses essences d'arbres forestiers. Il est cité par Macrobc (Natura , ii, 14 )
25. Qu'il n'a point affaire à Furrius Bibaculus. Quintilien le cite parmi les poètes (x, i ), et Macrobc en fait aussi mention.

26. Sigida. Dans un vieux manuscrit, ce nom est écrit Ticida, nom que l'on trouve dans Apulée, et que Suétone lui-même reproduit
au chap. 11 du présent traité. D'autres pensent qu'il faut lire Sedigitus, parce qu'il y eut un Volcatius Sedigitus, grammairien connu, qui écrivit un livre sur les poètes.
27. Grammairien et grammatiste. Cela faisait deux sciences: l'une élémentaire, vulgaire pour ainsi dire; l'autre faite pour les personnes plus instruites, consistant surtout dans l'enseignement des belles-lettres, et qui s'acquit bientôt le titre de littérature. Les grammatistes apprenaient les élémens aux enfans, les grammairiens étaient les critiques. Saint-Augustin dit : « J'aimais les lettres latines, non celles qu'enseignaient les premiers maîtres, mais celles que nous apprennent les maîtres appelés grammairiens, etc. >>
Lampridius fait la même distinction, quand il énumère les maîtres d'Alexandre Sévère.
28. On n'avait point coutume d'afficher. On ne manquait pas d'indiquer sur ces affiches d'esclaves à vendre, quel était le talent
particulier à chacun. Pline le Jeune ( v, lett. 70 ) en fournit un autre exemple.
29. Sévius Nicanor. Peut-être convient-il de lire Suevius. Macrobe cite un poète Suevius comme l'auteur du Moretum.
30. Aurelius Opilius. Symmaque en parle aussi (Epist., 1, 21). Rutilius Rufus, qu'il suivit en Asie, avait été tribun des soldats sous Scipion à la guerre de Numance. Il écrivit sa propre histoire. En Asie il fut questeur; puis, en 648, consul avec Cn. Mallius Maximus.Voici ce que Paterculus dit de son exil : «Rome vit en gémissant la condamnation du plus honnête homme qui fût alors et qu'on eût jamais connu. » Il n'est pas surprenant qu'il eût choisi l'Asie pour asile, puisqu'il l'avait défendue contre les vexations des publicains.
31. Vieillit à Smyrne avec lui. Quelqu'un, essayant de consoler Rutilius, lui parla des chances probables d'une guerre civile. Que t'ai-je fait, s'écria Rutilius ,pour que tu me souhaites un retour pire que l'exil? (SÉNÈQUE, Bienf., vii, 37.)
32. M. Anlonius Gniphon. — Voyez QUINTILIEN, Institut., 1, 6, où l'on cite une de ses remarques.
33. Denys Scytobrachion. Il était de Mitylène et poète. Ce surnom lui venait d'une infirmité qui lui était survenue au bras, et le forçait de l'entourer de cuir.
34. Entre autres Marcus Cicéron. Macrobe (Sat. m, 12) rapporte que Cicéron allait se délasser chez lui des travaux du forum : on sait qu'il fut préteur sous le consulat de L. Volcatius Tullus et de M. Emilius Lepidus, en 687.
35. Cumes. Strabon la déclare la plus ancienne de toutes les colonies grecques.
36. Sur L'INCONSÉQUENCE. Car il est impossible de tirer un sens raisonnable de toutes les autres leçons.
37. Horace le qualifie de FOUETTEUR. C'est apparemment qu'il frappait ses élèves (Epist. 11, 1, 70.)
Memini quse plagosum mihi parvo
Orbilium dictare.

38. Domitius Marsus. Poète épigrammatique cité par Ovide et par Martial. Il a composé une épitaphe de Tibulle, et vécut au
temps d'Auguste. Voyez aussi QUINTILIEN, III,C I, 18.
39. Du Capitole. Toutes les villes, à l'exemple de Rome, appelaient de ce nom leur citadelle.
40. Représenté assis. C'était l'attitude des maîtres quand ils enseignaient. Voyez PLAUTE, Bacchides : In sella apud magistrum assidens.
41. Atteius Capiton. Tacite (Annal, iii, 76, 2) dit qu'il parvint aux plus hautes dignités de l'état, et qu'Auguste le fit arriver au consulat. Il fut consul avec Vibius Postumus. On a encore sur ce sujet une vieille inscription trouvée à Rome dans l'église de Sainte-Cécile. Tacite nous dit aussi qu'il était jurisconsulte.

42. Les frères Appius Claudius, et ClaudiusPulcher. C'étaient les fils de C. Claudius, les neveux du Clodius tué par Milon.
43. Ératosthène. Il vint d'Athènes en Egypte, sous Ptolémée Évergète, y vécut sous Philopator, et y mourut sous Épiphane.
44. Et c'est ce qui résulte de ses traités. Il y en avait un sur la question de savoir si Enée aima Didon.
45. «.Sirène latine. » Rien de plus ordinaire que ces comparaisons des poètes aux Sirènes : Pausanias en donne l'origine dans une
anecdote assez singulière. Sophocle venait de mourir : les Lacédémoniens faisaient une irruption dans l'Attique. Bacchus apparut à
leur chef et lui ordonna de rendre à la nouvelle Sirène les honneurs dus aux morts. Cette version fut comprise, et sur-le-champ on l'appliqua à Sophocle.
46. LYDIA et DIANA. M. Putsch a publié de Valerius Caton quelques fragmens sous le titre de Dirae : il y a joint de savantes
investigations. Il se pourrait bien que nous eussions dans son livre une partie du poème de Lydie, qui commençait, selon lui, au
103e vers.
47. Ticida. Ce Ticida, poète épigrammatique, fiorissait au temps de Cornélius Nepos, de Catulle et de Cornificius.
48. Cinna. Cornélius Helvius Cinna était aussi poète épigrammatique, et de la même époque, Ovide.le caractérise dans ses
Tristes ( 11, v. 435 ). Il y avait de la noblesse et de l'élévation dans ses poèmes.
49. Bibaculus. M. Furius Ribaculus avait beaucoup de talent et surtout d'enjouement.Il dit de lui-même : Et Bibaculus eram et vocabar.
50. « Lambris peints en rose. » Les assulae sont ordinairement des tablettes de marbre qui, dans la sculpture, sont détachées du
bloc; ce sont aussi des pièces de bois rapportées comme on en fait entrer dans la construction des portes. Plaute (dans son Mostetlaria, 11, v. 23) dit: Pulsando pedibus paene confregi assulas.

51. « Ces jardins confiés à la garde de Priape. » On plaçait ses statues dans les jardins, parce que la difforme obscénité qui le
distinguait était le symbole de la fécondité.
52. « Sous un toit. » Je n'ai pu bien rendre le texte qui dit tegula sub una, c'est-à-dire sous une seule tuile; hyperbole qui marque bien la petitesse de la chambre de Valerius Caton.
53. Venir h bout d'un seul titre. J'ai été forcé d'affaiblir le jeu de mots latin qui est charmant. Nomen signifie un substantif,
et, en même temps, un titre de créance. En sorte que le sage Caton, si habile à résoudre toutes les questions de grammaire, ne
peut pas venir à bout d'un substantif. Pour rendre le double sens possible, j'ai été obligé d'y substituer titre.
54|. « Oui, il a la sagesse de Zénodote. » Chez les Latins, cor, le coeur, signifie la prudence, la sagesse. Dans les Orateurs illustres,
Cicéron nous apprend, qu'à raison de ces qualités, P. Scipion Nasica fut surnommé Corculum. Ennius dit : Egregie cordatus homo Catus Aelius Sextus. Zénodote était disciple de Philotas; il vécut sous le premier Ptolémée, fut mis à la tête de la bibliothèque, composa des vers, et, le premier parmi les critiques, s'appliqua à épurer le texte d'Homère.
55. « Les entrailles de Cratès. » e n'ai pu traduire assurément le foie de Cratès; c'eût été fort ridicule : mais le latin dit jecur.
C'est dans ce sens qu'il faut entendre Perse, lorsqu'il dit dans la Sat. 1, v. 4 7 Neque enim mihi cornea ûbra est.
Et Sat. v, v. 29 : Quod latet arcana non enarrabile fibra.
Le foie et le coeur ont été longtemps regardés comme la demeure
de l'âme.
56. Son serviteur dans le sacerdoce des augures. En latin, calator. Les calatores étaient les esclaves publics employés dans
ces sacrifices. Cette qualité de public leur était commune avec les augures eux-mêmes, ainsi que le prouve une inscription découverte
à Naples, où quelqu'un est qualifié d'augur publicus.

57. Le dernier livre de ceux que Sylla avait écrits. C'est le vingt-deuxième,s'il faut en croire Plutarque, qui dit qu'il prévoyait
sa fin, et qu'il y mit la dernière main deux jours avant sa mort. Quelques auteurs ont cité ces ouvrages de Sylla. Il les avait légués
à Lucullus pour les polir et les mettre en ordre. Il parait qu'outre ce travail, Epicadius écrivit des traités sur les poèmes épiques et
sur les surnoms. L'un de ces traités est cité par Marius Victorinus; et l'autre par Charisius.
58. Les traiteaux où l'on vend les esclaves. On appelait cet échaffaudage catasta . C'est un mot sicilien de mauvais grec inconnu
à la Grèce , et qui avait passé dans le latin. On pouvait de la sorte mieux voir tous les membres des esclaves qu'on voulait acheter : ordinairement on les faisait déshabiller, et cette visite n'était pas plus étrange que celle qu'on fait subir aujourd'hui aux conscrits.
59. Elle le dénonça à son mari. La femme de Pompée dont il s'agit était Mucia, qui, s'il faut en croire Plutarque, se conduisait assez mal en l'absence de son mari. Cet accès de vertu ne doit donc être considéré que comme un méchant caprice.
60. Une de ses lettres à Dolabella. C'est la 10e du liv. ix des Familières,

61. De deux lignes de Nicias. En latin duobus versiculis; ce qui peut signifier vers et lignes, et donne lieu à l'allusion que Cicéron
fait un peu plus bas. Il paraît que Vidius avait dépensé de l'argent pour Nicias.
62. En attaque l'authenticité. Littéralement il les efface, les bàtonne avec un instrument : ce sont des traits que l'on faisait à côté ou au dessous de l'écriture. La philologie s'exerçait déjà à épurer les textes, à distinguer dans les poètes ce qu'on avait ajouté à leurs oeuvres, à classer les passages et à les reporter à leur véritable place.
63. Cicéron écrit aussi à Atticus.
64. Ses livres sur Lucilius. Il paraît que Nicias avait commenté ce poète, et voilà pourquoi Cicéron, par une fine allusion, dit que
cet ouvrage est approuvé même par la satire.

65. Lenéus. Pline (Hisl. nat., xxv, 2) parle aussi de ce Lenéus. Selon Aulu-Gelle, il aurait attesté quelque part la profonde science de Mithridate en fait de médecine. En parlant des diverses espèces de lauriers, Pline, au liv. xv, c. 39, dit: Pompée Lénée y ajoute le mustax, ainsi nommé de ce qu'il supporte le mustaeeum, espèce de gâteaux, etc.
66. Du temple de la Terre. Victor et Rufus le placent dans la quatrième région. Melisseus, roi de Crète, fut le premier qui enseigna à révérer la terre. Il donna sa fille Melissa pour prétresse à cette « grande mère » (matri magnae). Le premier temple de cette
divinité fut érigé à la place de la maison de Sp. Cassius, condamné pour avoir aspiré à la royauté. Ce fut en 268, sous les consuls
Q. Fabius et Servius Cornélius. Quant à la maison des Pompées, elle était aux Carènes.
67. La figure méchante et la pensée immodeste. Les auteurs sont d'accord au contraire pour dire que rien n'était plus doux, plus décent, plus vénérable que l'extérieur et le visage de Pompée.
68. Il le poursuivit d'une amère satire. Ce Salluste est flétri par Horace pour ses désordres; il fut écarté du sénat par les censeurs
L. Familius Paullus et Cn. Claudius Marcellus, en 703. Surpris en adultère par T. Annius Milon, il fut fort maltraité et se vit obligé de payer sa mise en liberté.
69. Il le traitait de taureau. On attachait un sens fort obscène à lastaurus; mais ce n'est pas une raison pour changer le sens de
plusieurs passages d'Horace, de manière à ce que taurus ne signifie plus taureau, comme l'ont fait quelques commentateurs.
70. Gourmand. En latin, lurco. Il est dit dans un vers charmant de Lucilius : Vivite lurcones, comedones, vivite ventres.
71. Brouillon. En latin, nebulo; c'est-à-dire, qui ne vaut pas plus qu'un brouillard, ou qui n'est pas plus pénétrable. Cicéron, dans la 252e lettre de notre édition, adressée à Atticus, qualifie de nebulo Q. Vedius, ami de Pompée, ce que Mongault a eu tort de rendre par étourdi.
72. Enlevé de ses chaînes. Le sens est tout simple; mais les érudits ne s'en contentent pas : ils veulent absolument substituer autre chose à autre chose à catenis. Les uns lisent quadriennis, les autres Athenis, les autres encore catenae. Tout cela est bien futile. J'ai conservé la Vulgate.
73. Rendit hommage à son esprit et à son savoir. Les maîtres affranchissaient souvent les esclaves, pour qu'ils eussent plus de temps à donner à l'étude. Macrobe, dans ses Saturnales, 11 , 7, en rapporte encore un exemple.
74. Epirota. On l'appelait Quintus Cécilius, du nom de son patron.
75. Il donnait des leçons à la fille de son patron. Cela prouve qu'à Rome l'éducation des filles était souvent fort littéraire. Je ne puis me défendre de donner l'expression latine suspectus in ea, que j'ai rendue par une circonlocution.
76. Verrius Flaccus. La Chronique d'Eusèbe fixe l'époque de sa vie. Il est beaucoup cité par Aulu-Gelle et par Macrobe.
77. La maison de Catilina. Elle était à côté de la basilique d'Opimius. Auguste étendit jusque-là le Palatium. (Voyez la Topographie
de Rome, par BUNSEN.)
78. Près de l'hémicycle. Ce devait être une place circulaire. Il y a des savans qui prétendent que ce travail de VerriusFlaccus, sur
les Fastes, regardait les fastes capitolins ; mais on ne sait s'il s'agissait des magistrats de Rome ou de ceux du municipe de Préneste.
Chaque ville avait ses annales : celle-ci était importante et considérable. Dans les Fastes d'Ovide (vi, 17), Junon parle expressément
des fastes de Préneste.
79. Par son traité de SMVRNE. Il y avait un poème de Cinna, intitulé Smyrne; il y avait travaillé neuf ans. Il est probable que
le sujet était les amours incestueuses de Myrrtia, éprise de son père, Cinyras. C'est ce que doit faire supposer un vers de ce poème,
cité par Priscien, 1. vi : At scelus incesto Cinyroe crescebat in alvo. Myrrha s'appelle aussi Smyrna.
80. « Lui seul possède ses plus intimes secrets.» C'est-à-dire que Cassitius seul avait bien compris le poème de Cinna.
81. Q. Sextius. J'aimerais mieux lire Septimius. ( Voyez Horace, Od. 11, 61 ; Epist. 1, 9, 1. Telle était aussi l'opinion de Statius. D'autres, qui se fondent sur un vieux manuscrit, ont préféré Sextius : l'on dit qu'il y avait à Rome deux Sextius, père et fils, tous deux philosophes distingués.
82. Scribonius. Du nom de Scribonia qui l'avait affranchi.
83. Cornélius Alexandre. Il florissait en l'olympiade 173, et vivait en Egypte sous Ptolémée Lathyrus, pendant que Sylla faisait la guerre en Grèce. Le nom de Cornélius lui venait de ce que Cornélius Lentulus l'avait acheté. Il périt à Laurente, dans un incendie.
Ce grammairien composa une infinité d'ouvrages entre autres cinq livres sur Rome.
84. L'HISTOIRE PERSONNIFIÉE. Il n'y avait pas d'autre moyen de rendre la pensée, exprimée en latin, par le seul mot historia.
85. Caïus Licinius l'historien. De qui s'agit-il? Quelques personnes voudraient substituer au nom de Licinius celui d'Asinius, qui fut consul en 713, avec Domitius Calvinus.
86. Julius Modestus. Il est cité par Aulu-Gelle, Macrobe, Martial, Quintilien, Charisius et Diomède. Les prénoms de C. Julius
étaient ceux de Hyginus son patron.
87. C. Melissus. Ovide, dans ses épîtres, ex Pont., iv, 16, 3o : Et tua cum socco musa, Mélisse, levis. Dans la Chronique d'Eusèbe, il est appelé Marius. Il parait qu'Élius Melissus, dont parle Aulu-Gelle, était un de ses descendans. Spolette est une ville de l'Ombiïe. Tite-Live (xxiv, 10) dit : « Annibal marcha droit à travers l'Ombrie,jusqu'à Spolette» : aussi l'Ombrie s'appelle aujourd'hui duché de Spolette.
88. Aussi fut-il bientôt affranchi. Il s'appela dès-lors Caïus Mécénas Melissus, et c'est sous ce nom que Pline le signale, quand
il nous dit qu'il s'imposa silence pendant trois ans, à cause d'une hémorrhagie.
89. Qu'au lieu de TOGATAE il intitula TRABEATAE. Probablement parce que les personnages qu'il mettait en scène étaient de ceux qui avaient le droit de porter la trabea, tels que des triomphateurs et des rois.
90. Que si elle ne l'était pas, elle le devenait. Lucien dit quelque part des grands, qu'ils sont sages et savans; que s'ils font un solécisme, c'est pur atticisme, miel de l'Hymette, et que cela doit faire loi pour l'avenir.

91. « Tête à gauche. » De la main droite on portait des coups à son adversaire, tandis que l'on retirait sa tête vers l'épaule gauche : c'est dans ce sens, qu'au ve livre de L'Enéide, v. 428 , Virgile dit : Abduxere rétro longe capita ardua ab ictu.
92. «.Des expressions recherchées. » — Glossemata signifie des termes inusités ou vieillis, ou, en général, toute espèce de recherche.
93. « Il n'a point de faconde. » On pourrait aussi traduire par figure, en ce sens qu'elle serait méconnaissable de cicatrices et
d'enflures, suite des exercices du pugilat. Il y a une charmante épigramme de Lucilius dans l'Anthologie sur ce sujet si singulier.
94. Remmius Palémon. On cite dans la Chronique d'Eusèbe l'ingénieuse distinction qu'il fit entre la gutta qui reste, et la
stilla qui tombe. On le met au premier rang des grammairiens.
95. Si son nom était dans les BUCOLIQUES. Voyez Eglog. iii , v. 5o : Audiat haec tantum vel qui venit ecce Patemon.
96. Se baignait plusieurs fois le jour. Cet usage réitéré des bains est reproché aussi à Commode. Lampridius dit qu'il en prenait
jusqu'à sept à huit par jour.
97. Qu'une vigne qu'il avait plantée. Pline 1. xiv, c. 5, § 4 dit : Mais l'homme qui, en ce genre, a fait le plus de bien, est Rhemmius Palémon, grammairien célèbre, qui, il y a vingt ans, acheta, soixante millions de sesterces (?), un domaine situé dans le territoire de Nomente, à dix milles de Rome. Or, on sait que dans les environs de Rome les domaines ne sont pas chers, et celui dont il s'agit l'était d'autant moins, que la terre, d'ailleurs située dans un des plus mauvais terrains, avait été négligée par la paresse des cultivateurs. Palémon en entreprit l'exploitation, non dans la vue de faire quelque chose d'utile, mais par cette vanité extraordinaire qu'on lui connaissait. Il met Sthenelus à la tête du domaine qui est défoncé en entier sous sa direction et par ses soins, et dont, au bout de huit ans, le soi-disant agriculteur vend, chose inouïe, une récolte sur pied quatre cent mille sesterces ! Tout le monde allait
contempler ces énormes monceaux de raisins suspendus à ses vignes; mais les voisins, pour couvrir leur paresse, attribuaient ce
fait à la science profonde du grammairien. Deux ans après, Sénèque, le premier personnage du temps par sa science et son crédit,
se sentit un tel désir d'acquérir ce vignoble, qu'il ne rougit point de reconnaître la supériorité d'un homme dont l'insoutenable jactance ferait parade de ce marché, et de le payer quatre fois plus qu'il n'avait coûté au grammairien. » Nous ferons remarquer seulement qu'il fallait lire, pour le prix de la terre, six cent mille sesterces, et non 60 millions, ce qui fait plus de 10 millions de
notre monnaie, et cadrerait mal avec un revenu de 4oo mille sesterces, c'est-à-dire de 77,800 francs, ce qui serait peu, tandis qu'au prix de 106,000 francs, cela peut surprendre; mais les personnes qui cultivent la vigne ne partageront pas cette surprise.
98. Trois cent soixante vases. La leçon vasa n'a pas besoin d'être remplacée par uvas, comme le voulait Ursini : rien de plus absurde; il ne s'agit pas du produit d'un cep, mais de tout un domaine. En rapprochant les trois cent soixante cuves ou tonnes
du prix que Pline donne à la récolte, on voit que la cuve ou tonne coûtait à peu près onze cents sesterces, ou 195 fr. 70 cent.
99. Jusqu'à souiller sa bouche. Suétone fait allusion à un genre particulier d'obscénité. Il ne s'agit pas, comme le croit Statius, d'un
air d'impudicité répandu sur le visage de Palémon. Les Grecs pratiquaient aussi ce genre d'infamie. Cicéron, dans son discours
pro Dorno, dit : Scilicet tu helluoni spurcissimo,proegustatori libidinum tuarum et... Clodio, qui sua lingua etiam sororem tuam a te abalienavit. Il est hors de doute qu'il ne fasse allusion à ce genre de débauche.
100. « O maître l » A cause de la qualité de grammairien qui faisait donner ce titre, dans la conversation, aux professeurs et aux
érudits. J'ai autant que possible déguisé l'obscénité de la fin.
101. M. Valerius Probus. Il florissait sous Néron. Il est cité comme le plus érudit de tous nos grammairiens. Béryte est une ville de Phénicie : ce fut l'une des colonies transmarines où César distribua quatre-vingt mille citoyens. Cependant Ulpien en parle
comme d'une colonie d'Auguste. Elle prend le titre de colonia Julia Augusta sur quelques médailles.

102. Chez un homme lettré. Quoique plusieurs interprètes veuillent traduire par libraire ou copiste, ma version est plus conforme
aux définitions que Suétone nous donne lui-même dans les premiers chapitres de ce traité.
103. Il nous a laissé une abondante moisson d'observations. Le latin dit forêt, ce qui n'irait pas en français quoique l'expression soit meilleure; car il y a variété d'arbres dans une forêt, comme il y a variété de connaissances dans l'ouvrage d'un savant. Probus
avait laissé une lettre à Marcellus, une dissertation curieuse sur la signification secrète des lettres dans les dépêches de César, un
commentaire sur Virgile, un traité sur l'emploi des temps dans les verbes, enfin une grammaire que citent le vieil interprète de
Térence, Diomède, Charisius et Priscien.

FIN DE L'OUVRAGE

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