Correspondance entre SÉNÈQUE ET SAINT PAUL

traduit

PAR

CHARLES AUBERTIN

Maître de Conférences à l’École normale supérieure.

 

Commentaire : https://fr.wikipedia.org/wiki/Lettres_de_Paul_et_de_S%C3%A9n%C3%A8que

 

 

LETTRE 1.
SENEQUE A PAUL, SALUT.

Je crois, Paul, que tu as été informé de la conférence que nous avons eue hier avec notre cher Lucilius : elle a roulé sur les mystères que renferme ta doctrine, et sur beaucoup d'autres sujets. Quelques-uns de tes disciples y assistaient ; en effet, nous avions cherché un endroit écarté dans les Jardins de Salluste, et c'est lå que vinrent nous rejoindre les disciples dont je te parle : dès qu'ils nous aperçurent, heureux de cette occasion, ils se détournèrent de leur chemin pour se réunir à nous. Soit certain que ta présence a été désirée; je ne veux pas que tu l'ignores. Nous avons lu tes écrits, c'est-à-dire quelques-unes des Epîtres que tu as adressées à certaines villes et aux capitales des provinces, et qui renferment d'admirables conseils pour la conduite ; cette lecture a retrempé notre foi. Les sentiments que tu exprimes, tu n'en es pas toujours, il est vrai, l'auteur, mais seulement l'interprète; toutefois, il est plus d'un endroit où tu en es à la fois l'interprète et l'auteur. Il y a dans ces pensées une telle majesté, une telle noblesse que j'ai peine à croire que les générations qu'elles doivent instruire et former, puissent en soutenir l'éclat. Je souhaite, mon frère, que tu jouisses d'une bonne santé. Adieu.

LETTRE 11.
PAUL A SENEQUE, SALUT.

Ta lettre m'a fait plaisir. J'aurais pu y répondre sur-le-champ, si j'avais eu à ma disposition le jeune homme que je devais charger de ce message. Tu sais en effet en quelles circonstances, par quels intermédiaires, à quelles personnes il faut confier certains secrets. Ne m'accuse donc pas, Je te prie, de négligence et d'oubli, lorsque je me préoccupe du choix de mon esprit. Tu m'écris que mes Epîtres ont été favorablemen accueillies en certain endroit. Je me sens heureux de l'estime d'un homme tel  que toi. Tu ne porterais pas ce jugement, toi, critique sévère, orateur habile, maître d'un prince si grand dans le monde, si ee n'était la vérité qui te fit parler. Je te souhaite de longs jours de santé,

LETTRE 111.
SENEQUE A PAUL, SALUT.

J'ai mis en ordre les écrits que tu sais, et je les ai rangés suivant les divisions qui leur sont propres. Mon intention est de les lire aussi à l'empereur, et si le sort nous favorise assez pour qu'il y prête une oreille attentive, tu pourras sans doute assister à cette lecture. Sinon, je t'indiquerai un autre jour, afln que nous examinions ensemble ce travail. Je pourrais encore ne pas lui montrer ces écrits avant d'en avoir conféré avec toi, en admettant que cette entrevue fût sans danger. Cela te prouve que tu n'a pas mis en oubli. Adieu.

LETTRE IV.              
PAUL A SÉNÈQUE, SALUT.

Chaque fois que tes lettres m'arrivent, je me figure que tu es présent et que tu ne quittes pas notre compagnie. Lorsque tu seras venu une première fois, nos visites deviendront intimes. Je te souhaite bonne santé. Adieu.

LETTRE V.
SENEQUE A PAUL, SALUT.

L'éloignement où tu te tiens deputs si longtemps m'afflige. Qu'y a-t-il ? Quelle est la cause de ce retard ? Si l'empereur s'indigne de voir en toi un transfuge de l'ancienne religion, qni cherche en outre à faire des prosélytes, prie-le de considérer que tu as agi avec réflexion et non à la légère. Adieu.

LETTRE VI.

PAUL A SENEQUE ET A LUCILIUS, SALUT.

Ni le roseau ni l'encre ne doivent retracer les pensées qui font le sujet de vos lettres; car l'un donne une forme précise aux idées, et l'autre, une couleur qui frappe les regards. Je sais d'ailleurs qu'il y a parmi vous comme auprès de nous des esprits qui me comprennent. Il faut rendre à chacun les hommages qui lut sont dus, et cela avec d'autant plus de soin que nous avons affaire à des hommes peu disposés à nous rendre justice. Faisons preuve de patience envers eux, et nous finirons par en triompher, de quelque manière que ce soit, pourvu qu'ils soient capables de repentir. Adieu.

LETTRE VII.

SENEQUE A PAUL ET A THEOPHILE, SALUT.

J'ai éprouvé, je l'avoue, une impression très agréable en lisant les Epitres que tu as envoyées aux Galates, aux Corinthiens, aux Achéens. Que nos rapports mutuels, gråce à l'amour divin qui nous anime, offrent l'image des vérités qu'elles renferment. Le Saint-Esprit répand en toi et sur toi des sentiments élevés, sublimes, qui déjà par eux-mêmes attirent le respect. Aussi je voudrais que lorsque tu exprimes ces pensées excellentes, l'élégance du langage répondit à leur majesté.
Je ne veux rien te céler, mon frère ; je veux avoir la conscience en paix à ton égard. Je t'avoue donc que l'Empereur a été frappé de ta doctrine. Entendant lire le commencement de tes réflexions sur la vertu, il s'écria : Je m'étonne qu'un homme sans lettres puisse avoir de tels sentiments. Les dieux, lui répondis-je, parlent souvent par la bouche des simples, et non par celle des hommes qui pourraient abuser de leur science. J'alléguai l'exemple de ce paysan nommé Vatinius, à qui étaient apparus, sur le territoire de Réate, deux jeunes hommes, reconnus plus tard pour être Castor et Pollux. L'Empereur parait au courant de nos idées.

LETI'RE VIII.

PAUL A SÉNÈQUE, SALUT.

César, je le sais, admire notre doctrine : si toutefois son admiration nous fait défaut un jour, veuille bien ne pas t'en offenser, mais te tenir pour averti. Selon moi, tu as pris une détermination bien grave en portant à sa connaissance des dogmes si opposés à sa religion et à ses croyances. Comment as-tu été amené à désirer qu'un sectateur du culte des gentils fût instruit de nos doctrines? Je ne puis me l'expliquer que par un excès d'affection pour moi. Je te prie de ne plus le faire dorénavant. Crains, en voulant me prouver ton attachement, d'offenser celle qui règne sur l'esprit de l'Empereur. Si l'Empereur persévère, l'offense sera sans danger; sinon, nous n'aurons rien gagné à cette conduite. Or, si la reine est vraiment reine, elle ne se fâchera pas; si ce n'est qu'une femme, elle sera blessée. Adieu.

LETTRE IX

SENEQUE A PAUL, SALUT.

Tu t'es ému de ce que je t'ai écrit au sujet des Epîtres que j'ai montrées à l'Empereur. Ce qui t'afflige, c'est moins, je le sais, la crainte d'un danger personnel que la connaissance des obstacles qui détournent l'esprit humain de certaines doctrines et d'une certaine morale. Je n'en suis plus à m'étonner moi-même, après tout ce que l'expérience m'a appris. Suivons donc une autre ligne de conduite, et si par le passé j'ai agi avec trop de liberté, pardonne-le-moi. Je tenvoie un traité sur la richesse des expressions.

LETTRE X.

PAUL A SENEQUE, SALUT.

Toutes les fois que je t'écris et que je place mon nom après le tien, je fais une chose blâmable et peu conforme à l'humilité chrétienne. Comme je l'ai souvent déclaré, je dois me faire tout à tous, c'est-à-dire, observer envers toi la déférence prescrite par loi et les usages de Rome envers les sénateurs, et par conséquent, choisir pour moi la dernière place, à la fin de la lettre. Pour tout ce qui dépend de ma volonté, loin de moi l'idée d'agir mesquinement et de manquer aux convenances! Adieu, le plus dévoué des maîtres.

LETTRE XI.

SENEQUE A PAUL, SALUT.

Je te salue mon cher Paul. Si tu veux bien, sublime apôtre de la charité, non-seulement unir de toute manière ton nom au mien, mais ne faire qu'un avec moi, ce sera un grand honneur pour ton cher Sénèque. Tu es la cime, le sommet le plus élevé entre toutes les sommités, et tu ne me permettrais pas de me réjouir, lorsque je suis tellement rapproché de toi que je pourrais être pris pour un autre toi-même! Ne te prétends donc pas indigne de figurer en tête de notre correspondance. Autrement, je croirais que c'est un jeu de ta part, et une épreuve où tu veux me mettre. Ne sais-je pas que tu es citoyen romain ? Je voudrais tenir parmi les miens le rang que tu occupes auprès des tiens. Adieu, mon cher ami.

LETTRE XII.

SENEQUE A PAUL, SALUT.

Je te salue, mon cher ami. Crois-tu que je ne ressente pas une douleur amère en voyant que votre innocence est condamnée å de fréquents supplices, et que le peuple, vous traitant d'ennemis publics et de criminels, vous attribue tous les malheurs de l'Etat ? Sachons supporter notre sort, et plier au temps, jusqu'à ce qu'un bonheur inaltérable mette fin à nos souffrances. Les anciens âges ont eu à subir le Macédonien, fils de Philippe, le Perse Darius et Denys, notre siècle a gémi sous Caligula, autant de tyrans qui n'avaient d'autres règles que leurs caprices. On sait, à n'en pas douter, quelle est l'origine des fréquents incendies qui désolent la ville de Rome, et si d'obscurs mortels pouvaient en révéler la cause, et parler impunément sur ces mystères, l'évidence brillerait à tous les yeux. Chaque jour on envoie au supplice des chrétiens et des juifs, désignés sous le nom d'incendiaires. Mais il tombera à son tour, ce scélérat, quel qu'il soit, qui met son plaisir à se faire bourreau, et qui a recours au mensonge pour voiler ses crimes. Si les plus vertueux ont servi, cette fois, de victimes expiatoires pour tout le peuple, lui aussi subira pour tous la peine du feu éternel. Cent trente-deux maisons, quatre quartiers ont brûlé pendant six jours. Le feu s'est arrêté dans la septième journée. Porte-toi bien, mon frère.

LETTRE XIII.

SÉNÈQUE A PAUL, SALUT.

Je te salue, mon cher Paul. L'énigme et l'allégorie règnent dans tes ouvrages. Il faudrait relever cette force de pensées qui t'est propre, sinon par de vains ornements, du moins par une certaine élégance. Ne te Iaisse pas arrêter par la crainte que je t'ai entendu exprimer plus d'une fois : beaucoup, disais-tu, par une telle recherche, dénaturent les pensées et énervent la vigueur des sentiments. Daigne au moins faire quelque chose pour la correction du style lorsque tu écris en latin, mets dans tout son éclat un langage aussi noble que le tien, afin que tout soit digne de toi dans l'accomplissement de ta sublime mission. Porte-toi bien.

LEITRE XIV.

PAUL A SÉNÈQUE, SALUT.

Tes recherches profondes ont rencontré des vérités que la Divinité révèle à bien peu d'hommes. Je sème donc avec assurance dans un champ désormais fertile une semence vigoureuse,  qui n'est ni matérielle, ni sujette à se corrompre; c'est le Verbe immuable, émanation d'un Dieu qui croit et demeure éternellement. La science conquise par ton génie ne doit point éprouver  de défaillances. Evite, crois-moi, les objections des païens et des Juifs. Tu deviendras un auteur nouveau, en consacrant à la gloire de Jésus-Christ un talent irréprochable. Cette sagesse, où tu touches, tu la feras pénétrer dans le cœur du roi de la terre, de ses serviteurs, et de ses confidents. Il te sera difficile de le convaincre et d'enlever leur assentiment, car la plupart se montreront rebelles à tes conseils, quoiqu'ils soient soutenus de la parole de Dieu, cet élément de vie qui fait de nous des hommes nouveaux, exempts de souillures, et gagne au ciel tout jamais l'åme qui s'empresse d'obéir. Adieu, cher Sénèque.

 

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