Scipion Emilien

Scipion Emilien : Publius Cornelius Scipio Aemilianus. (185 avant J.C., 129 avant J.C.)


   Il fut un des deux fils de Paul-Emile qui furent adoptés par des sénateurs sans descendance, lui le fut par le fils de Scipion l'Africain d'où son nom qui joignait au sien celui de son père adoptif selon la coutume romaine. Son frère aîné entra dans la famille de Quintus Fabius Maximus Cunctator , général durant la seconde guerre punique.

" …il épousa une autre femme, dont il eut deux enfants mâles, qu'il garda chez lui. Quant aux premiers, il les fit entrer par adoption dans les plus grandes maisons et les familles les plus illustres ; l'aîné entra dans celle de Fabius Maximus, cinq fois consul ; quant au puîné, le fils de Scipion l'Africain, dont il était le cousin, l'adopta et lui donna le nom de Scipion. " Plutarque, vie de Paul-Emile, IV.

Ainsi les vielles familles romaines pouvaient continuer de se perpétrer et de rendre un culte à leurs ancêtres (chose très importante pour un Romain). Tous deux gardèrent des liens étroits avec leur père naturel, ce dernier (Paul-Emile) connut un grand malheur, il gardait deux autres fils qui devaient assurer la perpétuation du nom mais l'un mourut peu de temps avant qu'il ne célèbre son triomphe sur Persée et l'autre décéda peu après.

" Paul-Émile avait en effet quatre fils, dont deux avaient été transplantés dans d'autres familles, comme je l'ai déjà dit, Scipion et Fabius, et deux encore enfants, qu'il gardait chez lui, nés d'une autre femme. L'un de ces derniers mourut à l'âge de quatorze ans, cinq jours avant le triomphe de son père ; le second, qui avait douze ans, succomba trois jours après cette fête. " Plutarque, vie de Paul-Emile, XXXIV.

Il épousa, très jeune, sa cousine Sempronia , sœur des Gracches. Le couple fut loin d'être une réussite. Sa femme a laissé le souvenir d'une épouse acariâtre et même selon certains d'une grande laideur.

Il fit ses débuts dans la vie militaire en servant sous les ordres de son véritable père, Paul-Emile, dans la troisième guerre macédonienne, il avait 17 ans. Il la poursuivit en allant en Espagne ; en effet, à cette époque, Rome était engagé dans ce pays et ne connaissait que des défaites, à tel point que personne ne voulait effectuer de service militaire dans la péninsule, lui qui avait été élu questeur (152 avant J.C.), lui permettant ainsi de démarrer une carrière officielle et de pénétrer au Sénat, se vit désigner pour aller en Macédoine mais il préféra se porter volontaire pour le pays ibérique. Il fut un des tribuns militaires de Lucius Lucullus . Il fut un des premiers Romains à battre Viriatus (chef ibère), près de Baecula .

" Viriatus avait relevé le courage des Lusitaniens. C'était un homme d'une habileté supérieure. De chasseur devenu brigand, puis tout d'un coup de brigand capitaine, et général d'armée, il aurait été, si la fortune l'avait secondé, le Romulus de l'Espagne. " Florus, histoire, livre II.

Puis il fut élu consul alors qu'il ne briguait que l'édilité. Les Romains voyant que leurs armées s'enlisaient dans le siège de Carthage voulurent voir à leur tête un homme capable, c'est ainsi qu'ils se tournèrent vers Scipion qui n'avait que 37 ans, c'est-à-dire qu'il n'avait pas l'âge légal pour se présenter au consulat. Le Sénat, devant l'attitude du peuple et de ses tribuns, fit une dérogation en sa faveur, il fut élu et parti commander les troupes qui étaient devant Carthage.

---> Tiré de l'ouvrage de William Shepherd-1926.

Avant, il fut tribun militaire dans cette même armée, il fut même désigné par un ami des Romains, le roi de Numidie, Massinissa , pour être son exécuteur testamentaire (il mourut à près de 90 ans) ; c'est ainsi qu'il partagea le pouvoir de ce pays en trois pôles, les trois fils du roi défunt eurent une part de responsabilité, Micipsa reçut l'administration (il devait rester le seul roi, après la mort de ses frères), Mastanabal eut la justice et Gulussa se vit à la tête de l'armée. ( Yann Le Bohec, " histoire militaire des guerres puniques ", éd. Du Rocher ). Ainsi, il pensait préserver ce royaume des guerres civiles.

Devant Carthage, il résolut de bloquer complètement la ville alors qu'elle recevait encore des secours par mer. Pour cela, il fit effectuer d'immenses travaux , ce qui montre bien que le légionnaire romain était autant un terrassier qu'un soldat ; la résultat fut bientôt atteint, la cité fut totalement isolée et n'eut plus de contact avec l'arrière pays. Au printemps 146 avant J.C., elle tomba après 6 jours de violents combats où chaque maison se vit transformer en forteresse. L'historien grec Polybe qui fut son maître à penser

" Ils étaient déjà fort liés, lorsqu'on décida de disperser les  déportés achaiens dans les municipes…ils (les fils de Paul-Emile) intervinrent alors auprès du préteur pour que Polybe pût rester à Rome. L'autorisation ayant été accordée, leur amitié ne cessa de grandir… " Polybe, histoire, XXXI, 23. Traduction D. Roussel, Gallimard, bibl. pléiade.

et qui était présent lors de son pillage raconte de quel désespoir fut saisi Scipion lorsqu'il vit les flammes dévorées la ville, il médita, alors, sur la solidité instable des civilisations.

Avant cet assaut final, il présida une cérémonie : l' " evocatio " par laquelle on demandait aux dieux des ennemis d'abandonner la protection qu'ils accordaient aux opposants de Rome. Après avoir conquis la ville, il organisa le territoire de Carthage pour en faire la province romaine d'Afrique d'où devait partir, plus tard, Marius pour affronter Jugurtha. Il fit don de la bibliothèque de la cité au roi de Numidie, ainsi la culture nord-africaine resta dans le pays.

Par la suite, en 142 avant J.C., pour poursuivre une carrière publique déjà bien remplie, il fut élu censeur ; il eut comme collègue, avec lequel il ne s'entendit guère, Lucius Mummius qui s'illustra par le sac de la ville de Corinthe. Le Sénat pensa à lui pour l'élever à la magistrature de dictateur pour régler les troubles nés des réformes tentées par Tibérius Gracchus dont il fut toujours un adversaire farouche, il était du milieu aristocratique et combattit les idées des populares . Il faisait partie de ce que l'on pourrait appeler des libéraux-conservateurs (terme employé par Marcel Le Glay).

" Le même Scipion, interrogé par le tribun Carbon, sur ce qu'il pensait du meurtre de Tibérius Gracchus, répondit que sa mort était juste, s'il avait eu le dessein d'asservir la République. " Velleius Patercullus, Histoire romaine, livre II, 4.

En 139 avant J.C., il fut même accusé de haute trahison par ses ennemis, cette accusation n'alla pas plus loin qu'une simple tentative, bien vite avortée.

En 134 avant J.C., il obtint le consulat une deuxième fois afin de mette aux pas l'Espagne et surtout le pays des Celtibères et la ville de Numance qui résistait énergiquement à la conquête romaine. Lorsqu'il partit, il leva une troupe de 500 cavaliers dans sa clientèle ( ala amicorum ) ; certains historiens y ont vu la première garde prétorienne. Arrivé devant la ville, la première chose qu'il dut faire fut de ramener la discipline parmi les troupes romaines.

" Pour venger tant de défaites subies autour de Numance, on nomma consul pour la seconde fois Publius Scipion Emilien, le second Africain, le destructeur de Carthage et on l'envoya en Espagne. Sa chance et son courage dont nous avions eu les preuves en Afrique, répondirent en Espagne à notre attente. " Velleius Paterculus, histoire romaine, II, 4, site de P.Remacle.

il dut chasser 8000 prostituées, apprendre à ses soldats ce qu'était une tâche militaire et remettre au goût du jour l'idée d'effort pour cela, il dut se livrer quelques châtiments exemplaires dont une exécution au bâton (cep de vigne des centurions), ( François Hinard, " histoire romaine ", tome 1, éd.Fayard )

" Mais alors ce général eut de plus rudes combats à livrer dans son camp que sur le champ de bataille, non contre les Numantins, mais contre ses propres soldats. Il les accabla de travaux continuels, excessifs et serviles, leur faisant porter une charge extraordinaire de pieux, puisqu'ils ne savaient pas porter leurs armes ; et les forçant à se salir de boue puisqu'ils ne voulaient pas se souiller du sang ennemi. De plus, il leur retrancha les femmes perdues, les valets, et ne leur laissa de leur bagages que ce qui était strictement nécessaire. On dit avec vérité : une armée ne vaut que ce que peut valoir son général. Dès que le soldat fut ainsi rentrer sous le joug de la discipline, Scipion livra bataille, et, ce que personne n'aurait jamais espéré de voir, on vit fuir les Numantins. " Florus, histoire romaine, livre II, trad. Ch. Du Rozoir, 1829.

Il prit la ville et après 8 mois de siège, il força ses habitants à capituler en 133 avant J.C. Et c'est ainsi que 4.000 Espagnols arrivèrent à résister pendant 14 ans aux Romains qui étaient forts d'une armée de 40.000 hommes. (chiffres donnés par Florus, II, 18.).

Ce succès lui valut un deuxième triomphe. Le Sénat lui décerna un nouveau surnom, après celui de Africanus , il reçut celui de Numantius . C'est pour cela qu'il est nommé Scipion l'Africain le Jeune pour ne pas le confondre avec son grand père : Scipion l'Africain l'Aîné.

La fin de sa vie fut une lutte de tous les instants contre les réformes voulues par son beau-frère Tibérius Gracchus .

" Il se rendit donc au Sénat ; et sans blâmer ouvertement la loi de Gracchus, par égard pour les plébéiens, il ne laissa pas de faire un long tableau des difficultés d'exécution et de conclure à ce que la connaissance de ces contestations fût ôtée au tribunal spécialement créé pour cette attribution, comme suspect à ceux qu'il s'agissait d'évincer, et qu'on la mît en d'autres mains… " Appien, guerres civiles, I, 19, trad.sur le site de P.Remacle.

Il mourut dans d'étranges conditions, à 56 ans, on parla de strangulation, son corps fut porté au bûcher funéraire la tête recouverte d'un voile, peut-être pour dissimuler des marques d'étranglement. On soupçonna sa femme et même la mère des Gracches, Cornélia de son assassinat. ( François Hinard, " Histoire Romaine ", tome 1, éd.Fayard .). Ses esclaves furent mis à la torture, ils dirent avoir vu des ombres dans la nuit qui pénétraient dans la maison de Scipion, l'enquête s'arrêta là.

" Quelques marques, empreintes sur son cou donnèrent des indices d'une mort violente. Rome le perdit sous le consulat de Marcus Aquilius et de Caius Sempronius. On ne fit aucune recherche sur la mort d'un si grand homme ; et le jour de ses funérailles, il fut porté, la tête couverte d'un voile… " Velleius Paterculus, Histoire romaine, II, 4.

" Scipion, s'étant un soir pourvu de tablettes sur lesquelles il devait passer la nuit à écrire ce qu'il avait à dire le lendemain à l'assemblée du peuple, fut trouvé mort sans nulle blessure ; soit que ce fût un attentat de Cornélie, la mère de Gracchus, pour l'empêcher de provoquer l'abrogation de la loi de son fils, et qu'elle y eut été aidée par sa fille Sempronia, femme de Scipion, qui n'en était point aimée à cause de sa laideur et de sa stérilité et qui ne l'aimait pas non plus ; soit, ainsi que d'autres le crurent probable, qu'il se fût tué lui-même, après avoir réfléchi qu'il n'était pas capable d'accomplir les promesses qu'il avait faites. D'autres ont dit que ses esclaves, mis à la torture, avaient révélé que des inconnus s'étaient nuitamment introduits chez lui, par les derrières de sa maison, et l'avaient étranglé… " Appien, guerres civiles, I, 20. Trad. Sur le site de P.Remacle.

Il était adepte d'un courant de la philosophie stoïcienne.

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