CASINE

de

Plaute

Traduction de J. NAUDET (membre de l'Institut, inscriptions et belles lettres)

PANCKOUCKE, éditeur

1834

 

AVANT -PROPOS DE CASINE.

L'ordre alphabétique, suivi dans toutes les éditions de Plaute, amène ici un rapprochement étrange : après le plus honnête et le plus édifiant de ses drames, une des bouffonneries les plus licen­cieuses, les plus effrontées, et quant au langage, et quant au spec­tacle. On ne sait lesquels devaient s'effaroucher le plus à de pa­reilles scènes, les yeux ou les oreilles? Tellement, que des copistes qui avaient fait grâce à d'autres pièces de Plaute, se sont crus obligés en conscience de mutiler celle-ci, et qu'elle ne nous est parvenue qu'avec une multitude de lacunes vers la fin. Cette fable présente encore un barbon libertin (1), un père sans pudeur en rivalité d'amour avec son fils, et pour une jeune fille élevée par sa femme, un maître faisant un pacte de luxure et d'adultère avec un esclave, futur mari complaisant, ajoutez à cela le débordement des joies lubriques et des hideuses tendresses du vieillard, qui ne fait distinction ni d'âge ni de sexe pour ce qu'il aime, et à la fin la correction des coupables, non moins scandaleuse par la gaîté des matrones qui se vengent, que par les confessions qu'elles écoutent. Que devait donc être l'éducation des femmes, quels devaient être le ton du langage et les bienséances de la société, si un tel dialogue ne choquait pas toutes les idées de la vraisemblance dramatique ? Cependant, au milieu de ces bacchanales, la moralité n'est point oubliée et de ce cloaque jaillissent continuellement des éclairs de verve et de génie. Les conversations de Cléostrate et de Myrrhine sont un écho de ces caquets des commères de tous les temps et de tous les pays, qui excuseraient, par leur humeur revêche, les vices de leurs maris, si le vice pouvait être excusé, qui se consolent des offenses qu'elles reçoivent d'eux en les dé­criant, qui supporteraient tout, excepté le tourment de se taire, et à qui il manquerait quelque chose, si elles n'avaient pas à gron­der, à se plaindre et à médire.

(1) Voyez" l' Asinaire" et "les Bacchis".

N'est-ce pas un jeu de théâtre d'une vérité, d'une vivacité à faire illusion, que la scène où les partis se trouvent en présence avec leurs folles animosités et leurs angoisses risibles, lorsqu'après de vains efforts pour se sé­duire mutuellement, ils se soumettent, en désespoir de cause, au jugement du sort ? Quels moments que ceux où le sort va décider entre eux, où il décide, où il a décidé ! Puis après, qui ne serait frappé de la comique péripétie qui rend tout à coup l'espoir aux vaincus, et livre en leurs mains les vainqueurs ? Qui ne s'amuse­rait à suivre les malicieux complots des deux femmes contre le galant suranné, et toutes les tribulations par lesquelles elles le font passer avec son digne confident, jusqu'à ce qu'ils tombent enfin dans le piège, où leur visage et leurs épaules ne sont pas moins maltraités que leur amour et leur honneur?

Cette comédie a été une mine féconde pour les auteurs mo­dernes. Le Chrysale de Molière a eu réminiscence des cajoleries hypocrites de Stalinon pour sa chère femme qui lui fait peur. L'espiègle Lisette des «  Folies amoureuses » s'égaie aux dépens d'Al­bert, comme Pardalisque se divertit des terreurs et du désespoir de son vieux maître, lorsqu'elle lui apprend la subite démence de Casine, qui n'est pas aussi folle qu'il est sot. Un spirituel et savant critique « a remarqué très bien la ressemblance de la fable de Casine avec celle du «  Mariage de Figaro » : un maître qui s'amourache d'une camériste de sa femme, et qui la marie à un de ses domestiques, avec l'intention d'exer­cer le droit du seigneur puis un rendez-vous où se rencontre une mystification au lieu d'une bonne fortune, où l'on demande pardon à sa femme, avec confusion, de l'injure qu'on n'a pas pu lui faire. Cette ressemblance très réelle est certainement une rencontre, et non l'effet d'une imitation à laquelle Beaumar­chais n'avait pas songé, dont il ne connaissait peut-être pas le modèle. Mais c'est surtout par ces points de contact entre la poésie des anciens et la nôtre, que les différences de mœurs et d'opinions se prononcent plus fortement.

Figaro, complice du comte Almaviva, comme Olympion l'est de son maître, n'aurait pas été toléré par le spectateur français, pas plus qu'Amphitryon, se trouvant fort honoré des familiarités de Jupiter très bon et très grand dans sa maison. Mais Figaro jaloux, opposant la ruse à la force, et la supériorité de l'esprit à la supériorité du rang et de la fortune, et les droits d'un chétif serviteur aux passions d'un haut et puissant privilégié, ennoblit ses intrigues par une sorte de courage. La probité conjugale de la maligne Suzanne sauve ce que peuvent avoir d'équivoque et de hasardé la hardiesse de ses démarches et son expérience trop avancée déjà pour une simple fiancée. L'âme de la comtesse est si tendre et si mélancolique, si pure encore d'intention, qu'on n'a pas le cœur de la condamner, même en pressentant déjà va­guement l'erreur de la mère coupable. Et le comte Almaviva peut et doit être ridicule pour l'honneur de la morale, mais se tient au dessus de la bassesse et de l'avilissement par la fierté du grand seigneur. Il n'y a que ce coquin de Basile qui paie pour tous, encore s'acquitte-t-il de ses honteuses commissions le plus décemment qu'il lui est possible. Comparez à ces caractères, à ces positions, l'obscénité de Stalinon et de son fermier, les boutades et les vengeances de Cléostrate, les plaisanteries de son amie et de ses servantes, comparez les dévouements des deux pièces.

Plante a conçu l'action (car il s'est approprié par ses inven­tions l'œuvre de Diphile en l'imitant : quelques vers du prologue : m'autorisent à le croire, Plaute, dis-je, a conçu l'action tout autrement que ne le comporterait le génie moderne, et que ne l'aurait fait même Térence. II a, pour ainsi dire, effacé de son tableau les personnages du premier plan, et a mis en vue et en saillie ceux du second. Les deux héros, les deux amants n'ont point de rôle dans la comédie. Il ne reste que les personnages ridicules ou bouffons. Seulement on vient nous dire à la fin que Casine sera reconnue fille d'un citoyen, et qu'elle épousera le jeune Euthynique. Mais leurs contrariétés, leurs alarmes, leurs tendresses, leurs douleurs, auraient pu fournir matière à des situations si touchantes ! Ce n'était pas le compte de l'Ombrien, ce n'était point le goût du public de Rome. Le prologue, tel que nous l'avons aujourd'hui, n'est point de Plante : il fut composé pour une reprise de la pièce, trente ou quarante ans après la première représentation. Que fallait-il pour que sa pièce fut re­demandée ? Ce qu'il a fait : supprimer le pathétique, le délicat, le gracieux, charger le plaisant, le pousser quelquefois jusqu'au grotesque, livrer le vice tout couvert d'ordure et de fange à la risée du peuple mais de manière toutefois à faire dominer, pour le plaisir des connaisseurs, la vigoureuse empreinte de la satire comique et les savantes combinaisons de l'art véritable.

PERSONNAGES.

CHALINUS, écuyer du fils de Stalinon.

OLYMPION, fermier de Stalinon.

CLÉOSTRATE, épouse de Stalinon.

PARDALISQUE, esclave de Cléostrate.

MYRRHINE, amie de Cléostrate.

STALINON, vieillard.

ALCÉSIME, ami de Stalinon.

UN CHEF DE CUISINIERS avec sa suite.

CASINE, personnage muet.

SERVANTES.

ARGUMENT ACROSTICHE

attribué

A PRISCIEN LE GRAMMAIRIEN.

Deux esclaves de la même maison recherchent en ma­riage une esclave, leur compagne. L'un est aposté par leur vieux maître, l'autre par le fils. Le sort favorise le vieillard mais il est vaincu par la ruse car on substitue à l'épousée un esclave malin , qui rosse et le maître et le fermier. Le jeune homme se marie avec Casine, recon­nue fille d'un citoyen.

PROLOGUE.

S alut , très honorables spectateurs, qui estimez à très haut prix la Bonne-foi, comme elle vous estime. Si je dis vrai, montrez-le-moi par un signe éclatant (Il fait le geste d'applaudir) , afin que je connaisse tout d'abord vos bonnes dispositions.

(Après un repos) Celui qui préfère le vin vieux, agit, selon moi, en homme sage, comme ceux qui se plaisent aux vieilles comédies. Puisque vous approuvez les œuvres anciennes et l'ancien langage, les vieilles co­médies surtout doivent avoir votre approbation. Les pièces nouvelles, qu'on donne aujourd'hui, sont encore plus mauvaises que la nouvelle monnaie. Or donc, nous nous empressons, ayant appris par la voix publique votre affection particulière pour le théâtre de Plaute, de vous donner une ancienne comédie de cet auteur, laquelle fut applaudie par ceux d'entre vous qui se rangent dans les centuries des vieux : les jeunes, je le pense, ne la connais­sent pas mais nous allons la leur faire connaître, nous n'y épargnerons pas nos soins. La première fois qu'elle parut, elle emporta la palme sur toutes les autres. C'é­tait le temps où brillait la fleur des poètes, qui sont maintenant descendus au commun séjour. Quoiqu'ils ne vivent plus, ils sont encore utiles aux vivants. Veuillez, je vous en prie instamment, écouter sans distraction nos acteurs. Bannissez de votre esprit les soucis et les dettes, et que la crainte des poursuites s'efface entièrement. Nous sommes en temps de fête, c'est fête aussi chez les banquiers. Le calme règne, et les Alcyons planent sur le Forum. Le calcul des banquiers est juste : ils ne récla­ment rien de personne pendant les jeux, après les jeux, ils ne rendent rien à personne. Si vos oreilles sont dis­ponibles, prêtez-moi attention. Je vous dirai le titre de la comédie, c'est, en grec, «  Clerumenœ » (1) , en latin, «  Sortientes ». L'auteur grec est Diphile, puis Plaute, avec son nom qui jappe, fut le translateur. Ici ( montrant la mai­son de Stalinon) demeure un vieux mari, il a un fils, lequel habite avec son père dans cette maison. A ce vieil­lard appartient un esclave, qui est gisant dans une ma­ladie.... qu'est-ce que je dis? Par Hercule ! Gisant dans son lit, il ne faut pas mentir, Cet esclave (il y a de cela seize ans) aperçut, à la lueur du crépuscule naissant, une femme qui exposait une petite fille, il court à elle, et la prie de lui donner l'enfant, elle le lui donne, et il l'emporte aussitôt à la maison. Par lui, cette petite fille est offerte à la maîtresse, et recommandée à ses soins pour l'élever, la maîtresse s'en charge, et elle fait l'édu­cation avec le zèle d'une mère, ou peu s'en faut.

( 1) Les hommes qui tirent au sort.

Quand la jeune fille fut grande et vint en âge de plaire, voilà que le vieillard se meurt d'amour pour elle, et, de son côté, le jeune homme s'en meurt de même. Tous les deux arment leurs légions, le père contre le fils, le fils contre le père, à l'insu l'un de l'autre. Le vieillard a mis en avant son fermier, avec ordre de la demander en ma­riage, comptant bien, si son homme réussit, se prépa­rer d'agréables veilles hors du logis, en cachette de sa femme. Le fils fait agir son écuyer pour demander aussi mariage, ne doutant pas que, si l'affaire s'arrange, il tien­dra ce qu'il aime dans son bercail. La mère a deviné les projets d'amour du vieillard, elle s'est rangée du parti de son fils. Mais le vieillard s'est douté qu'il avait en son fils un rival, un rival dangereux, il l'a envoyé en pays étranger pour s'en défaire. La mère, qu'on n'abuse pas, protège l'absent, comme si de rien n'était. N'attendez pas qu'il paraisse aujourd'hui dans la comédie, il ne reviendra pas à la ville. Ce n'était pas l'idée de Plaute, il a rompu un pont qui se trouvait sur la route du jeune homme. Sans doute il y a ici des personnes qui se disent à l'oreille : « Qu'est-ce que c'est que cela? P ar Hercule! Dites -moi donc, des noces d'esclaves! On verra des esclaves se marier, ou rechercher une fille en mariage ! Ils nous donnent du nouveau, ce qu'on ne voit en aucun pays du monde.»Mais moi, j'affirme que cela se pratique en Grèce, et à Carthage, et ici, dans nos contrées, en Apulie et les mariages d'esclaves sont là chose plus sé­rieuse que les mariages mêmes entre citoyens. Si ce n'est pas vrai , gageons, mette qui voudra une amphore de vin miellé, et prenons pour juge un Carthaginois, voire un Grec, ou, à cause de moi, un Apulien. Hé bien? Vous ne dites mot? Je vois, vous n'avez pas soif. Revenons à la jeune fille exposée dans son enfance, et que les deux esclaves se disputent avec tant de cha­leur. A la fin, elle se trouvera pure, et de condition libre, et fille d'un citoyen d'Athènes. Elle ne fera rien qui blesse la pudeur, dans cette comédie, s'entend. Mais laissez finir le spectacle, par Hercule ! U n moment après, si l'on veut la payer, je crois qu'elle ne se fera pas prier pour convoler, sans attendre les auspices. C'est assez. Salut, soyez fortunés et triomphants par votre loyal courage, dorénavant comme au temps passé.

Acte I

Scène 1

OLYMPION, CHALINUS.

OLYPION.

Comment ? Il ne m'est pas permis d'être seul un in­stant, quand je le veux, pour dire un mot, pour penser à mes affaires, sans que tu m'espionnes? Pourquoi, diantre, me suis-tu?

CHALINUS.

Parce que je suis bien résolu à te suivre où que tu ailles, comme ton ombre. Par Pollux! Q uand tu vou­drais monter au gibet, je ne te quitte pas, juge, d'après cela, s'il t'est possible de me souffler en tapinois, par tes intrigues, la main de Casine, comme tu le projettes.

OLYMPION.

Qu'ai-je à démêler avec toi ?

CHALINUS.

Or ça, coquin, dis -moi, pourquoi traînes-tu ton corps dans la ville? Paysan de malheur!

OLYMPION.

Il me plaît, moi.

CHALINUS.

Que ne te tiens-tu aux champs, dans ton gouverne­ment? Q ue ne t'appliques-tu au soin qui t'est confié, sans prendre part aux choses de la ville? Pourquoi viens-t u ici pour m'enlever ma prétendue? Retourne aux champs, misérable, retourne à ton emploi.

OLYMPION.

Chalinus, je n'ai pas oublié mon devoir. J'ai mis à ma place quelqu'un de bien capable de gouverner la cam­pagne en mon absence. Et quand j'aurai obtenu ici ce que j'y suis venu chercher, la main du jeune tendron dont tu es fou, la jolie Casine, qui sert ici avec toi, quand elle sera ma femme, et m'aura suivi aux champs, alors je resterai, comme une poule qui couve, dans mon gouvernement rustique.

CHALINUS.

Toi! L'épouser? Par Hercule! P lutôt que de t'en voir possesseur, j'aimerais mieux me pendre.

OLYMPION.

Elle est à moi, tu n'as donc qu'à te mettre la corde a u cou.

CHALINUS.

Ver sorti du fumier! Elle serait à toi?

OLYMPION.

Tu sauras bientôt que je ne mens pas. Peste, crève, que je meure, si je ne te désole pas de mille manières à ma noce !

CHALINUS.

Qu'est-ce que tu me feras ?

OLYMÏON.

Ce que je te ferai ? D'abord tu porteras le flambeau devant la nouvelle mariée, pour te prouver que tu ne seras jamais qu'un pauvre hère, bon à rien. Ensuite, quand tu viendras à la ferme, nous te mettrons en main une amphore, une sémite, une cuve, une chaudière, huit tonneaux, et si tu ne les tiens toujours remplis, je remplirai ton dos de coups de fouet, et nous te courbe­ rons si bien l'échine à force de puiser de l'eau, qu'on pourra faire de ton corps une croupière à mes chevaux. Par là dessus, quand tu voudras manger, si tu ne ronges le blé au grenier, ou la terre comme un vermisseau, par Pollux ! T u jeûneras comme le jeûne en personne. Compte sur moi. Enfin, quand tu seras bien recru et bien affamé, nous aurons soin de le préparer un coucher digne de toi pour la nuit.

CHALINUS.

Que feras-tu ?

OLYMPION.

On t'enfermera, bien attaché dans l'embrasure de la fenêtre, d'où tu pourras entendre à loisir les baisers que je lui donnerai, et les douceurs qu'elle me dira : Mon petit cœur, mon Olympion, miel de ma vie, joie de mon âme , laisse-moi baiser tes yeux , mon amour, laisse-toi caresser, je t'en prie, lumière de mes beaux jours, mon levraut, mon petit passereau, ma colombe. Et toi, pen dard, tandis qu'on me dira toutes ces gentillesses, tu te démèneras comme un rat dans ta souricière. Maintenant, pour te dispenser de me répondre, je rentre, ta conver­ sation m'ennuie.

CHALINUS.

Je te suis. Par Pollux ! Tu ne feras rien que je ne le voie. (Ils sortent.)

Acte II

Scène 1

CLÉOSTRATE, PARDALISQUE.

CLÉOSTRATE, aux esclaves dans la maison.

Scellez l'office, et rapportez-moi mon anneau. Je vais ici tout près, chez ma voisine, si mon mari veut me par­ler, vous m'y viendrez chercher.

PARDALISQUE.

Il avait demandé son repas du matin.

CLEOSTRATE.

Chut, paix, va-t'en. Je ne donne rien, il n'y a rien de prêt pour lui, puisqu'il contrarie son fils et moi pour satisfaire ses caprices d'amour. L'infâme ! Je le pu­nirai par la faim, je le punirai par la soif, par mes dis­cours, par mes actions, je le suffoquerai de l'ennui de mes plaintes, je ferai que notre amoureux mène une vie digne de ses mérites. Pâture de l'Achéron ! Limier de tur­pitude! Sentine de vices ! Je vais tout de ce pas me plain­dre de mon sort à mes voisines. (Se tournant du coté de la maison de Myrrhine) Mais la porte fait du bruit. C'est Myrrhine, elle sort elle-même, par Pollux ! J'ai mal pris mon temps.

Scène 2

MYRRH1NE, CLÉOSTRATE, Suivantes et Esclaves de Myrrhine.

MYRRHlNE.

Suivantes, venez avec moi chez ma voisine, ici tout près. ( Aux esclaves qui restent) Holà ! Viendra-t-on re­cevoir mes ordres ? Je serai là ( montrant la maison de Cléostrate), si mon mari ou quelqu'un me demande. (Sans voir Cléostraté) Quand je suis seule à la maison, le sommeil me fait tomber l'ouvrage des mains. ( Aux esclaves) J'ai dit qu'on m'apporte ma quenouille.

CLÉOSTRATE.

Bonjour, Myrrhine.

MYRRHINE.

Par Castor ! Bonjour. Mais je te trouve l'air sou­cieux, qu'est-ce que tu as ? Dis-moi.

CLÉOSTRATE.

C'est ainsi que sont les mal mariées, chez elles, hors de chez elles, les sujets de chagrin ne leur manquent ja­mais. J'allais chez toi.

MYRRHINE.

Et moi chez toi, par Pollux! Mais d'où vient ta tris­tesse? Tout ce qui te chagrine me fait de la peine aussi.

CLÉOSTRATE.

Par Castor, j'en suis persuadée. Je n'ai pas de voisine que j'aime autant, et qui le mérite mieux, il n'y a pas de liaison qui me soit plus chère.

MYRRHINE.

Tu es bien aimable. Mais je suis impatiente de savoir de quoi il s'agit.

CLÉOSTRATE.

Mon mari m'offense de la manière la plus indigne, il n'a pour moi aucun égard, aucun ménagement.

MYRRHINE.

Hein ? Qu'est-ce ? Répète ; par Pollux ! Je n'ai pas bien compris tes plaintes, pardon.

CLÉOSTRATE.

Mon mari m'offense indignement.

MYRRHINE.

Ce discours m'étonne, s'il est vrai car ce sont les femmes qui oppriment leurs maris.

CLÉOSTRATE.

Oh ! lui! ........ il prétend disposer, malgré moi, d'une jeune esclave qui m'appartient, que j'ai élevée à mes frais, et la donner à son fermier mais c'est pour en faire sa maîtresse.

MYRRHINE.

Tais-toi, je te prie.

CLÉOSTRATE.

Je puis parler, nous sommes seules ici.

MYRRHINE.

C'est vrai. Comment possèdes-tu cette esclave ? Une honnête femme ne doit point avoir de pécule, que de l'aveu de son mari. Quand une femme a du bien acquis de son chef, il lui est venu ou par des larcins, ou par des ga­lanteries. Mon opinion est qu'à ton mari appartient tout ce que tu possèdes.

CLÉOSTRATE.

Toi-même, tu es trop habile à raisonner contre ton amie.

MYRRHINE.

Tais-toi donc, sotte, et profite de mes avis. Garde-toi de le contrarier, laisse-le aimer, laisse -le faire ce qu'il lui plaira , puisque tu ne manques de rien dans ton ménage.

CLÉOSTRATE.

Es-tu dans ton bon sens ? Tu plaides ici contre tes propres intérêts.

MYRRHINE.

Imprudente, évite toujours cette parole de ton mari.

CLÉOSTRATE.

Laquelle ?

MYRRHINE.

« Femme, sors de chez moi. »

CLÉOSTRATE.

Chut ! Silence !

MYRRHINE.

Qu'est-ce ?

CLÉOSTRATE, montrant Stalinon qui a pproche.

Tiens.

MYRRHINE.

Qui est-ce que tu vois ?

CLÉOSTRATE.

C'est mon mari, il vient. Rentre, dépêche-toi, je t'en prie.

MYRRHINE.

Comme tu voudras, je m'en vais.

CLÉOSTRATE.

Dès que nous aurons du loisir, nous reprendrons cet entretien. Adieu.

MYRRHINE.

Adieu donc. (Elle rentre chez elle.)

Scène 3

STALINON, CLÉOSTRATE.

STALINON, sans voir Cléostrate.

L'amour est ce qu'il y a de mieux au monde, c'est le charme le plus charmant, on ne saurait rien imaginer qui ait plus de sel et de suavité. Comment se fait-il que les cuisiniers, qui emploient tant d'assaisonnements va­riés, ne s'avisent pas de celui-là seul qu'aucun autre n'é­gale? Tout ce qu'on aura su assaisonner avec l'amour ne peut manquer de plaire. Tout semble, au contraire, fade et insipide sans un grain d'amour, par lui, le fiel amer devient douceur de miel, et l'homme le plus maus­sade s'égaie et s'adoucit. Ce n'est pas sur la foi d'autrui, c'est par ma propre expérience que j'en juge ainsi. De­puis que j'aime Casine, je ne suis plus le même, la co­quetterie est moins coquette que moi. Je fais travailler tous les parfumeurs, ce qu'on peut trouver de plus ex­quis en parfums est à mon usage et cela, pour lui plaire, et je lui plais, j'en suis sûr. Mais ma femme me désole, elle ne veut pas mourir. (Apercevant Cléostrate) La voici avec son air refrogné, la mauvaise bête, il faut cependant la cajoler. ( Haut, à Cléostrate) Ma petite femme, mamour, comment cela va-t-il?

CLÉOSTRATE, brusquement.

Éloigne-toi, et retire ta main.

STALINON.

Oh ! Là, ma Junon, il ne faut pas être si cruelle avec ton Jupiter. Pourquoi t'en aller?

CLÉOSTRATE.

Laisse-moi.

STALINON.

Demeure.

CLÉOSTRATE.

Je ne veux pas.

STALINON.

Hé bien, par Pollux, je veux te suivre.

CLÉOSTRATE.

As-tu ta raison ? Dis-moi.

STALINON.

Oui, puisque je t'aime.

CLÉOSTRATE.

Je ne veux pas de ton amour.

STALINON.

Tu ne peux pas l'empêcher.

CLÉOSTRATE.

Tu m'assommes.

STALINON, bas, mais pas assez pour n'être pas entendu.

Que ne dis-tu la vérité !

CLÉOSTRATE.

Je crois ce vœu sincère.

STALINON.

Retourne-toi de mon côté, ma tout aimable.

CLÉOSTRATE.

Oui, comme tu l'es pour moi. Te plaît-il de me dire d'où viennent les parfums qu'on sent ici?

STALINON, à part.

Oh! Malheureux! Je suis perdu, me voilà pris à ne pouvoir m'en défendre. Vite, que j'essuie ma tête avec mon manteau. Puisse le bon Mercure l'exterminer, mau­dit parfumeur, qui m'as donné ces parfums !

CLÉOSTRATE.

Hé bien ? Vaurien, frelon à tête blanche. Je ne sais qui me retient, que je ne te dise tout ce que tu mérites. A ton âge, courir les rues, tout plein de parfums, mau­vais sujet !

STALINON.

Je te jure que c'est en faisant compagnie à un ami qui achetait des parfums.

CLÉOSTRATE.

Quelle présence d'esprit ! N'as tu pas de honte?

STALINON, d'un air piteux.

Tout ce que tu voudras.

CLEOSTRATE.

Dans quels mauvais lieux as-tu passé le temps?

STALINON.

Dans les mauvais lieux, moi !

CLÉOSTRATE.

J'en sais plus que tu ne penses.

STALINON.

Qu'est-ce ? Que sais-tu ?

CLÉOSTRATE.

Qu'entre tous les vieillards, tu es, de tous les vieux dé­bauchés, le plus ignoble. D'où viens-tu, vaurien ? Où as-tu été? Où as-tu fait la vie? Où t'es-tu enivré? C'est cela, voyez, comme son manteau est fripé.

STALINON.

Que les dieux t'accablent avec moi de leur colère, si une seule goutte de vin a passé aujourd'hui par ma bouche !

CLÉOSTRATE.

Non, va, à ton aise, bois, mange, dissipe ton bien.

STALINON.

Holà ! Ma femme, c'est assez, modère-toi. Tu pro­digues trop les cris, gardes-en un peu pour les querelles de demain. Mais, dis-moi, as-tu enfin dompté ta passion, pour condescendre à la volonté de ton mari, au lieu de le contrarier?

CLÉOSTRATE.

A quel sujet ?

STALINON.

Tu le demandes? Au sujet de la servante Casine, pour la marier à notre fermier, un honnête esclave, qui ne la laissera manquer de rien, bois, eau chaude, nourriture, vêtements, chez qui elle pourra élever les enfants qu'elle mettra au jour, plutôt que de la donner à ce vaurien d'écuyer qui n'a pas en pécule un denier de plomb.

CLÉOSTRATE.

Je m'étonne, par Castor, qu'à ton âge tu ignores ce qui est du devoir.

STALINON.

Comment?

CLÉOSTRATE.

Si tu avais égard à la justice, aux bienséances, tu me laisserais pourvoir au sort de mes esclaves; c'est mon affaire.

STALINON.

Pourquoi, diantre, vouloir la donner à un porte bou­clier ?

CLÉOSTRATE.

Parce qu'il faut faire plaisir à notre fils unique.

STALINON.

Unique tant que tu voudras; il n'est pas plus unique pour moi, ce fils, que son père ne l'est pour lui. La rai­son veut qu'il condescende à mes désirs, plutôt que moi aux siens.

CLÉOSTRATE.

Par Castor! Tu veux qu'il t'arrive mal, cher homme.

STALINON, à part.

Elle se doute, je le vois. ( Haut) Moi?

CLÉOSTRATE.

Toi. Pourquoi tout ce ramage? Pourquoi tant d'in­stance et de chaleur?

STALINON.

Pour qu'on la donne à un bon sujet, plutôt qu'à un mauvais garnement.

CLÉOSTHATE.

Hé bien, si j'obtiens de ton fermier, par mes sollici­tations, que, pour me faire plaisir, il l'abandonne à l'autre ?

STALINON.

Et moi, si j'obtiens de l'écuyer qu'il la lui abandonne ? Et je me flatte d'y parvenir.

CLÉOSTRATE.

D'accord. Veux-tu que je dise de ta part à Chalinus de venir ? Tu lui parleras, je parlerai à Olympion.

STALINON.

Oui, sans doute.

CLÉOSTRATE.

Il sera ici dans un instant, nous essaierons lequel de nous deux est le plus insinuant. (Elle sort.)

STALINON, seul.

Qu'Hercule et tous les dieux te foudroyent! Je puis me soulager maintenant. Mon pauvre cœur est torturé par l'amour, et il semble qu'elle prenne à tâche de me contrarier, elle a eu vent de mes intrigues, c'est pour cela qu'elle se fait un malin plaisir de protéger l'écuyer.

Scène 4

STALINON, CHALINUS.

STALINON.

Coquin maudit de tous les dieux et les déesses!

CHALINUS.

C'est toi .... qui me demandes, à ce que m'a dit ton épouse.

STALINON.

Oui, je lui ai dit de te faire venir.

CHALINUS.

Que me veux-tu ? Parle.

STALINON.

D'abord, je veux que ton front se déride en causant avec moi.

CHALINUS.

Ce serait folie, que de faire le fâcheux avec un plus puissant que soi.

STALINON.

Oh ! I l y a longtemps que je te connais pour un hon­ nête garçon.

CHALINUS, bas.

Je comprends. ( Haut) Si tel est ton sentiment, que ne m'affranchis-tu?

STALINON

C'est bien mon intention mais ma bonne volonté ne sert de rien , si tu n'y mets du tien.

CHALINUS.

Je voudrais seulement savoir ce que tu veux.

STALI NON.

Écoute, je vais te le dire. J'ai promis Casine pour femme à notre fermier.

CHALINUS.

Mais ta femme et ton fils me l'ont promise, à moi.

STALINON.

Je le sais. Mais lequel aimes-tu mieux, être célibataire libre, ou, marié, vivre éternellement esclave, toi et tes enfants ? Tu es le maître de choisir. Vois laquelle de ces deux conditions tu préfères.

CHALINUS.

Si j'étais libre, il faudrait m'inquiéter de mon exis­tence, au lieu que ce soin te regarde. Le parti en est pris, je ne cède Casine à âme qui vive.

STALINON.

Rentre, et va chercher ma femme sans tarder, qu'elle vienne ici devant la maison. Apporte l'urne avec de l'eau et des sorts.

CHALINUS.

Bien pensé.

STALINON.

Par Pollux ! Ton dard n'est pas si crochu, que je ne puisse le tirer de la blessure. Puisque je ne peux rien obtenir par prière, j'aurai recours au sort, là, je vous battrai, toi et tes protecteurs.

CHALINUS.

Non, non, j'aurai pour moi le sort.

STALINON.

Oui, d'un coquin qu'on met en croix pour y crever.

CHALINUS.

Elle sera ma femme, tu auras beau remuer toutes sortes de machines.

STALINON.

Va-t'en de ma présence.

CHALINUS.

Ma vue t'importune, cela ne me fera pas mourir ce­pendant. (Il sort.)

STALINON.

Suis-je assez à plaindre! Tout m'est contraire. Je com­mence à craindre qu'Olympion ne se soit laissé persua­der par ma femme de renoncer à Casine. S'il en est ainsi, je suis un homme perdu. Si elle a échoué, il me reste une lueur d'espérance dans le sort mais s'il me fait faux bond aussi, je n'ai plus qu'à prendre une épée pour coussin, et à me jeter dessus. Voici Olympion qui sort très heureusement.

Scène 5

OLYMPION, STALINON .

OLYMPION, tourné du côté de l'intérieur de la maison.

Tiens, ma maîtresse, par Pollux ! Je me laisserai plutôt mettre dans un four chaud pour y rôtir comme du pain recuit, que de consentir à ce que tu exiges de moi.

STALINON.

Je suis sauvé, mon espoir est à flot, son discours me l'annonce.

OLYMPION.

Tu perds ton temps à tâcher de m'ébranler par l'offre de la liberté. Quand même toi et ton fils vous vous y opposeriez, malgré vous, en dépit de vous, je peux de­venir libre sans qu'il m'en coûte plus d'un as.

STALINON.

Qu'est-ce, Olympion ? Avec qui es-tu en dispute?

OLYMPION.

Avec celle qui te querelle tous les jours de ta vie.

STALINON.

Ma femme ?

OLYMPION.

Qu'est-ce que tu me dis ? Ta femme ? Tu es comme un chasseur, c'est avec une chienne que tu passes ta vie.

STALINON.

Qu'a-t-elle fait? Q ue t'a-t-elle dit?

OLYMPION.

Elle m'a prié, pressé de ne pas épouser Casine.

STALINON.

Qu'as-tu répondu ?

OLYMPION.

Que je refuserais à Jupiter lui-même, s'il m'en priait.

STALINON.

Que les dieux te conservent !

OLYMPION.

Maintenant elle fermente, elle est toute gonflée de colère contre moi.

STALINON.

Par Pollux ! Que n'est-elle crevée au beau milieu de son corps !

OLYMPION.

Ma foi, ce doit être une chose déjà faite, pour peu que tu sois brave. Mais, par Pollux, que tes amours me donnent d'ennui ! Inimitié de ta femme, inimitié de ton fils, inimitié des gens de la maison.

STALINON.

Que t'importe? Pourvu que ton Jupiter (se désignant lui-même) te soit propice, ne t'inquiète pas plus de ces dieux minimes que d'un fétu.

OLYMPION.

Sornettes que cela ! Est-ce que tu ne sais pas comme les Jupiters de ce bas monde meurent au moment où l'on s'y attend le moins? Et si mon Jupiter vient à mourir, quand l'empire sera dévolu aux dieux inférieurs, qui protégera mon dos, ma tête, mes jambes?

STALINON.

Ton bonheur dépassera ton espérance, si nous réus­sissons à me faire coucher avec Casine.

OLYMPION.

Par Hercule ! Je ne l'espère pas, ta femme s'obstine trop à m'empêcher de l'avoir.

STALINON.

J'imagine un moyen. Je jetterai des sorts dans l'urne pour toi et pour Chalinus, et la fortune décidera, les choses en sont au point qu'il faut tirer l'épée et com­battre corps à corps.

OLYMPION.

Et si la chance est contraire à tes vœux ?

STALINON.

Pas de mauvais augure ! Les dieux me sont en aide, ayons confiance en eux.

OLYMPION.

Je ne donnerais pas un brin de laine de cette parole- là. Tous les mortels mettent leur confiance aux dieux, et j'ai vu souvent cette confiance déçue.

STALINON.

Tais-toi un peu.

OLYMPION.

Que veux-tu?

STALINON.

Je vois Chalinus sortir de la maison avec l'urne et les sorts. Nous allons combattre enseignes déployées.

Scène 6

CLÉOSTRATE, CHALINUS, STALINON, OLYMPION .

CLEOSTRATE.

Apprends-moi, Chalinus, ce que veut de moi mon mari.

CHALINUS.

Par Pollux ! Te voir sur un bûcher à la porte Metia.

CLÉOSTRATE.

Je le crois sans peine, par Castor !

CHALINUS.

Et moi, ma foi, je ne le crois pas, j'en suis sûr.

STALINON, à part.

J'ai parmi mes gens plus d'industries lucratives que je ne croyais. Il est devin celui-là. (A Olympion) Allons, levons les étendards, et en avant; suis-moi, ( A sa femme et à Chalinus) Comment cela va-t-il ?

CHALINUS.

Tu vois ici tout ce que tu as demandé, ta femme, les sorts, l'urne, et moi.

STALINON.

Il n'y a que toi de trop.

OLYMPION.

A ce qu'il te semble, par Pollux ! Je suis ton tour­ment. Oui, ton cœur frissonne déjà de peur.

STALINON.

Maraud!

CLÉOSTRATE.

Tais-toi, Chalinus. ( A Stalinon ) Et toi, fais qu'on puisse jouir de cet autre ( montrant Olympion).

OLYMPION.

De lui plutôt ( montrant Chalinus) , il est accoutumé à se laisser faire.

STALINON à Chalinus.

Pose ici l'urne, donne-moi les sorts. ( A tous) At­tention ! ( A Cleostrate) Cependant, ma femme , j'estimais que tu ne t'obstinerais pas à me refuser, que tu me donnerais Casine, c'est encore mon sentiment.

CLÉOSTRATE.

La donner à toi ?

STALINON, troublé.

A moi ! Ce n'est pas ce que je voulais dire.... je pensais à moi, j'ai dit lui.... et le désir qui me presse. Par Hercule ! Je ne sais plus ce que je dis.

CLEOSTRATE.

Vraiment oui, par Pollux, ni même ce que tu fais.

STALINON.

Si, si, elle doit être à lui, ( tout bas, à part) mais pour moi, par Hercule! ( Haut) Ah ! Enfin je me retrouve.

CLÉOSTRATE.

Par Pollux! Tu te perds souvent

STALINON.

Cela peut arriver dans une forte préoccupation. Mais nous te prions tous deux, autant que devoir et besoin est .....

CLÉOSTRATE.

De quoi?

STALINON.

Je vais te le dire, mon miel, c'est d'avoir la bonté d'accorder Casine à notre fermier.

CLEOSTRATE.

Par Pollux ! Je n'aurai pas cette bonté, je ne veux pas.

STALINON.

En ce cas , que le sort décide entre les deux partis.

CLEOSTRATE.

Très-volontiers.

STALINON.

C'est le meilleur moyen et le plus juste, je le dé­clare en conscience. Enfin, si l'événement est conforme à nos souhaits, nous nous en réjouirons, sinon, nous nous résignerons avec constance. (A Olympion) Tiens, voilà ton sort, vois quelle est la marque.

OLYMPION.

Le numéro un.

CHALINUS.

Ce n'est pas juste, on a commencé par lui.

STALINON, en colère.

Voici le tien, veux-tu le prendre ?

CHALINUS.

Donne. Un moment. Il me vient une pensée. Prenons garde qu'il n 'y ait un autre sort au fond de l'eau.

STALINON.

Grenier à étrivières, crois-tu que je te ressemble ? Il n'y en a pas, sois tranquille.

CHALINUS, prêt à jeter son sort dans l'urne.

Qu'ainsi m'advienne bonne fortune et bon succès, ( à Olympion) à toi, mal de mort.

OLYMPION.

C'est ce que les dieux te réservent aujourd'hui, ta vertu m'en est garant. (A Stalinon) . Mais attends un peu. S'il avait un sort de peuplier ou de sapin ?

CLÉOSTRATE.

Qu'est-ce que cela te fait ?

OLYMPION.

Il surnagerait à la surface de l'eau.

STALINON.

Très bien, regarde. Maintenant, jetez vos sorts tous deux ici (Ils jettent dans l'urne ). Voilà. Ma femme, remue.

OLYMPION.

Je ne me fie pas à ta femme.

STALINON.

Ne crains rien.

OLYMPION.

Oui, par Hercule, elle ensorcellera les sorts, si elle y touche.

CLÉOSTRATE.

Silence.

OLYMPION.

 

Je me tais. Veuillent les dieux .........

CHALINUS.

T'envoyer la chaîne et le carcan à porter.

OLYMPION.

M'amener la chance .......

CHALINUS.

D'être pendu la tête en bas.

OLYMPION.

Et à toi, d'être mouché de sorte qu'on te tire les yeux par le nez. Pourquoi trembles-tu? Il faut que tu aies déjà préparé la corde pour te pendre. Tu es mort.

STALINON.

Faites attention, je vous prie.

OLYMPION.

Je ne dis plus mot.

STALINON.

Maintenant, Cléostrate, pour que tu ne m'accuses pas d'avoir triché, ou que tu ne me soupçonnes pas, je m'en rapporte à toi, tire toi-même.

OLYMPION.

Tu me perds.

CHALINUS à Olympion.

C'est tout gain.

CLÉOSTRATE à Stalinon.

Je te remercie.

CHALINUS à Olympion.

Si les dieux m'entendent, ton sort se sera enfui de l'urne.

OLYMPION.

Vraiment? Parce que tu es un fugitif, tu voudrais trouver partout tes pareils. Fasse plutôt le ciel qu'il t'arrive ce qui arriva aux Héraclides, que ton sort se fonde pendant l'épreuve.

CHALINUS.

Toi, tu sentiras tout à l'heure ton dos fondre à la cha­leur des verges.

STALINON.

Ah ! Ca, sois à ce qu'on fait, Olympien.

OLYMPION, montrant Chalinus.

Il faudrait que cette tête lettrée me laissât tranquille.


STALINON, remettant l'urne à Cléostrate.

Qu'ainsi m'advienne bonne fortune et bonheur !

OLYMPION.

Oui, et à moi.

CHALINUS.

Non.

OLYMPION.

Si fait, par Hercule!

CHALINUS.

Non, par Hercule, à moi.

STALINON.

Il sera le vainqueur, et toi le misérable,(A Olympion) Donne-lui un bon coup sur la face. Hé bien, que tardes-tu?

CLÉOSTRATE à Olympion.

Si tu mets la main sur lui !

OLYMPION à Stalinon.

Faut-il un coup de poing, ou un soufflet?

STALINON.

Va, à ton choix.

OLYMPION, frappant Chalinus.

Tiens, voilà pour toi.

CLÉOSTRATE.

De quel droit oses-tu le toucher?

OLYMPION.

J'obéis à mon Jupiter.

CLÉOSTRATE à Chalinus,

A ton tour, applique-lui ta main sur la joue,

OLYMPION.

Au meurtre ! On me frappe à coups de poings, Jupiter.

STALINON.

De quel droit te permets-tu de le toucher ?

CHALINUS.

J'obéis à ma Junon.

STALINON .

Soumettons-nous, puisque, de mon vivant, ma femme est ici la maîtresse.

CLÉOSTRATE.

Il doit être libre de parler aussi bien que lui (mon­ trant Olympion).

OLYMPION.

Pourquoi me traverse-t-il par un mauvais augure?

STALI NON.

Il t'arrivera mal si tu n'y prends garde, Chalinus.

CHALlNUS.

Il est temps de m'avertir, quand je suis battu.

STALINON.

Allons, ma femme, procède au tirage. Vous, soyez attentifs. ( A Cléostrate) Toi, donne.

OLYMPION.

Je ne sais plus où je suis, je meurs. Mon cœur est pris du mal de rate, je crois, il ne cesse de palpiter, et de me battre la poitrine dans ses accès de douleur.

CLÉOSTRATE.

Je tiens un sort.

STALINON.

Tire-le hors de l'eau.

CHALINUS.

Suis-je mort?

OLYMPION.

Montre. C'est le mien.

CHALI NUS

C'est la malédiction!

CLEOSTRATE consternée.

Tu es vaincu, Chalinus.

STALINON.

Nous ne dirons pas que nous avons trop vécu, Olympion. Vive la joie!

OLYMPION.

Rendons grâce à mes vertus et à celles de mes an­ cêtres.

STALINON.

Va à la maison, ma femme, et prépare tout pour la noce.

CLEOSTRATE.

J'obéirai.

STALINON.

Tu sais que d'ici à la ferme il y a loin, et qu'il doit y conduire sa femme?

CLEOSTRATE.

Je le sais.

STALINON.

Va, et quoique le cœur te saigne, ne néglige rien.

CLÉOSTRATE.

C'est bien.

STALINON.

Entrons aussi, nous, et faisons qu'on se dépêche.

OLYMPION.

Ce n'est pas moi qui te retiens.

STALINON.

Il n'est pas nécessaire d'en dire davantage devant toi. (Ils sortent.)

Scène 7

CHALINUS, seul.

Si je me pendais à présent, je perdrais ma peine, et, avec ma peine, l'argent que coûterait la corde, et j'ap­prêterais à rire à mes ennemis. Et à quoi bon, puisqu'aussi bien je suis déjà un homme mort?.... Ils triomphent! Sort maudit! Casine épousera le rustre! Mais ce qui m'irrite le plus, ce n'est pas sa victoire, c'est l'achar­nement du vieillard à m'enlever Casine, et à la don­ner à l'autre. Comme il s'agitait ! De quelle impatience il était tourmenté ! Et comme il trépignait d'aise, quand le rustre a gagné ! .......... Là, là, relirons-nous par ici ( il va vers le fond de la scène) , j'entends ouvrir la porte, elle m'avertit en amie, on sort de chez nous. Je vais me mettre ici en embuscade, contre eux.

Scène 8

OLYMPION, STALINON, CHALINUS.

OLYMPION.

Laisse, qu'il vienne à la campagne, je le renverrai le cou enfourché, comme un porteur de charbon.

STALI NON.

Ce sera bien fait.

OLYMPION.

Je n'y manquerai pas.

STALINON.

J'aurais voulu, s'il avait été à la maison, l'envoyer avec toi au marché, pour ajouter au chagrin de l'ennemi ce nouveau crève-cœur.

CHALINUS, à part, marchant à reculons.

Je vais, en marchant comme les écrevisses, me retirer contre le mur. Il faut épier leur entretien sans être aperçu. (Désignant Olympion) Le voilà tout vêtu de blanc, ce maraud, ce trésor d'étrivières. Il n'est pas temps encore de me pendre. Très certainement, je l'enverrai en avant aux eaux de l'Achéron.

OLYMPION.

Ne suis-je pas bien complaisant pour toi ? Je te mets en possession de ce que tu désirais le plus ardem­ment. Tu auras l'objet aimé sans que ta femme en sache rien.

STALINON.

Motus ! Que les dieux me soient en aide, comme il est vrai que j'ai peine à retenir mes lèvres impatientes de te baiser pour un si beau trait, volupté de mon âme.

CHALINUS, à part.

Comment! Le baiser, lui! Qu'entends-je ? De quelle volupté parles-tu?

OLYMPION.

Aimes-tu ton bon serviteur ?

STALINON.

Si je t'aime! Par Pollux, plus que moi-même. Permets moi de t'embrasser.

CHALINUS.

Quoi ! Il l'embrasserait !

OLYMPION.

Je le veux bien.

STALINON.

Il me semble, en te baisant, que je lèche du miel.

CHALINUS.

Il veut, je crois, par Hercule, crever la vessie au fermier.

OLYMPION, repoussant Stalinon.

Veux-tu bien! A distance, amoureux, laisse mon dos.

CHALINUS.

Assurément, ils entremêleront leurs pieds aujour­d'hui. Le vieillard aime les fortes barbes, voilà, voilà pourquoi il l'a gratifié de l'emploi de fermier. Et moi aussi, un soir que j'étais allé le chercher, il n'y a pas longtemps, il me proposa de me faire son intendant du vestibule, sous la porte même.

OLYMPION.

Comme j'ai été soigneux de t e plaire ! Quel bonheur je t'ai procuré !

STALINON.

Si grand, que, toute ma vie, je te voudrai plus de bien qu'à moi-même. Que de baisers je prendrai à Ca sine ! Que de bon temps je me donnerai en cachette de ma femme !

CHALINUS, à part.

Ah ! A h ! Enfin je suis sur la voie. C'est lui qui est épris de Casine. Je les tiens.

STALINON.

Qu'il me tarde de l'embrasser, de la caresser !

OLYMPION.

Attends, du moins, que je l'aie épousée. Que diantre! Il faut te posséder.

STALINON.

J'aime.

OLYMPION.

Je ne crois pas que la chose puisse se faire aujour­d'hui.

STALINON.

Elle se peut , si tu veux qu'il soit possible de t'affran chir demain.

CHALINUS.

Oh ! Oh ! Redoublons maintenant d'attention. Je vais prendre à la fois deux sangliers dans le même fourré, l'excellent coup !

STALINON.

J'ai ici, chez le voisin notre ami, un endroit préparé. Je lui ai confié le secret de mon amour. Il m'a promis de me donner asile chez lui.

OLYMPION.

Et sa femme, qu'en fera-t-on ?

STALINON.

Fie-toi à mon imagination. Ma femme invitera sa voi­ sine à venir chez nous pour lui tenir compagnie , pour l'aider et rester à coucher. Je le lui ai dit, et elle m'a pro­mis de le faire. Tandis que la femme passera la nuit chez moi, le mari s'absentera, j'arrangerai tout cela, toi, tu conduiras ton épouse à la campagne, et la campagne sera là pour quelques heures ( montrant la maison d'Alcésimus), pendant que je ferai les noces avec Casine et puis tu l'emmèneras aux champs demain avant le point du jour. Ai-je de l'esprit ?

OLYMPION.

Et de l'habileté !

CHALINUS, à part.

Courage ! I ntriguez. Il vous en coûtera cher, par Hercule, d'être si malins.

STALINON.

Sais-tu ce que tu as à faire maintenant?

OLYMPION.

Quoi ?

STALINON.

Prends cette bourse, et va en diligence faire les emplettes au marché mais de l'exquis, entends-tu? Des mets délicats, comme l'est ma poulette.

OLYMPION.

Bien.

STALINON.

Tu achèteras des seiches, des huîtres , des calmars, des orgelets.

CHALINUS.

Et même des fromentelets, si tu m'en crois.

STALINON.

Des mulets.

CHALINUS, à part.

Pourquoi pas des mules à gros talons pour te frotter le museau, vieux libertin ?

OLYMPION.

Veux-tu des langardes ?

STALINON.

N'ai-je pas ma femme à la maison ? C'est une vraie langarde, jamais elle ne se tait.

OLYMPION.

Je verrai, quand j'y serai, ce qu'auront les poisson­niers, et ce qu'il faudra choisir.

STALINON.

C'est juste. Va, ne ménage pas l'argent, entends-tu? Fais d'amples provisions. Moi, je vais trouver mon voi­ sin , pour qu'il ne néglige pas ce que je lui ai recom­mandé.

OLYMPION.

Puis-je partir ?

STALINON.

Sans doute. (Ils sortent.)

CHALINUS, seul.

On m'offrirait trois fois la liberté pour m'empêcher de leur procurer un terrible châtiment, et de courir les dénoncer à ma maîtresse, qu'on ne me retiendrait pas. Mes ennemis sont pris là en flagrant délit. Si elle sait agir comme il faut, notre procès est gagné. Je les déconcerterai de la belle manière. Les auspices sont pour nous en ce jour, les vaincus deviennent vain­queurs. Rentrons. S'ils nous ont fait un plat de leur cuisine, je vais à mon tour le refaire à ma mode. Ils n'apprêteront pas le régal sur lequel ils comptaient, on leur en apprêtera un sur lequel ils ne comptaient pas.

(Il sort.)

Acte III

Scène 1

STALINON, ALCÉSIMUS.

STALINON.

Tu vas m'apprendre, Alcésimus, si je vois en toi le portrait d'un ami ou d'un ennemi. A l'épreuve on attend la preuve, les combattants sont sur le champ de bataille. Trêve aux remontrances ! Epargnes-y ton temps et ta peine. « Avec les cheveux blancs ! A un âge si peu con­ venable ! » Épargne-toi ces paroles, et celles-ci encore, «  Sans égard pour ta femme ! »

ALCÉSIMUS.

Je ne vis jamais d'homme plus follement amouraché.

STALINON.

Aie soin de faire évacuer ta maison.

ALCÉSIMUS.

Oui, oui , par Pollux ! Esclaves et servantes même, j'envoie chez toi tout mon m onde.

STALINON.

Oh ! A ravir, tu es ravissant. Souviens-toi seulement des vers que chante le Parasite :

"Que chacun vienne avec ses vivres, Comme en allant à Sutrium".

ALCÉSIMUS.

Je profiterai de l'avis.

STALINON.

Ma foi, la loi n'est pas plus loyale que toi. Dispose tout. Je vais au Forum, je serai ici dans un moment.

ALCÉSIMUS.

Bon voyage !

STALIN ON.

Prête une langue à ta maison.

ALCÉSIMUS.

Comment cela ?

STALINON.

Qu'elle m'invite à entrer quand je reviendrai.

ALCÉSIMUS.

Vraiment! I l faudrait te caresser ( faisant le geste de battre) , que tu es gentil !

STALINON.

A quoi me servirait l'amour, s'il ne me donnait de l'esprit et du babil ? Mais que je ne sois pas obligé de te chercher.

ALCÉSIMUS.

Je ne sortirai pas de chez moi. (Stalinon sort.)

Scène 2

CLÉOSTRATE, ALCÉSIMUS.

CLÉOSTRATE.

Par Castor ! C'était donc pour cela que mon mari me pressait tant d'inviter ma voisine à venir chez moi ? Il voulait avoir une maison où il pût mener Casine libre­ ment. Certes, je me garderai de faire l'invitation ; je ne veux pas que ces vieux benêts disposent un mauvais lieu pour leurs débauches. Mais le voici qui sort, le cher voisin, cette colonne du sénat, cet espoir du peu­ple, misérable, qui prépare la place à mon mari pour ses infâmes plaisirs! Par Castor! On le pa ierait son prix, si 0:1 Tachetait pour un boisseau de sel.

ALCÉSIMUS, sans voir d'abord Cléostrate.

Je m'étonne qu'on ne soit pas encore venu de chez le voisin pour inviter ma femme. Il y a déjà longtemps qu'elle est prête , et qu'elle attend qu'on la demande. Mais j'aperçois la voisine qui vient pour cela, sans doute. Bonjour, Cléostrate.

CLÉOSTRATE.

Je t'en souhaite autant , Alcésimus. Comment va ta femme ?

ALCÉSIMUS.

Elle est à la maison, attendant que tu viennes la prendre car ton mari m'a prié de la laisser aller avec t oi pour t'aider. Veux-tu que je l'appelle ?

CLÉOSTRATE.

Non, il ne faut pas la déranger.

ALCÉSIMUS.

Elle n'a rien à faire.

CLÉOSTRATE.

Je me passerai d'elle. Je ne veux pas la gêner. J'irai la voir un autre jour.

ALCÉSIMUS.

Est-ce que vous ne préparez pas une noce chez vous ?

CLÉOSTRATE.

Oui, je pourvois à tout.

ALCÉSIMUS.

Tu n'as donc pas besoin d'aide ?

CLÉOSTRATE.

J'ai tout ce qu'il me faut à la maison. Quand la noce sera finie, j'irai rendre ma visite à ta femme. Adieu, fais-lui mes compliments.

ALCÉSIMUS, à part.

Que faire ? Je viens d'essuyer l'affront le plus morti­ fiant, par la sottise de ce vieux bouc édenté, c'est lui qui m'attire ce scandale. J' ai l'air d'offrir les services de ma femme pour gueuser un repas. Le misérable ! I l m'annonce que sa femme invitera la mienne , et elle me dit , à moi, qu'elle se passera bien de nous. Je suis fort étonné, si la voisine n'a pas eu vent du complot. Mais, d'un autre côté, quand je réfléchis, s'il y avait quelque chose comme cela, elle me ferait des reproches. Je vais à la maison, remettre mon vaisseau en rade au gynécée.

(Il sort. )

CLÉOSTRATE, seule.

Je l'ai joué de la belle manière. Pauvres gens, que le temps leur dure ! Je voudrais bien à présent que mon vieux vaurien décrépit vînt à son tour, pour m'amuser à ses dépens après m'être moquée de l'autre, j'ai envie de les mettre aux prises tous deux. Le voici. A son air sévère, ne le prendrait-on pas, vraiment, pour un homme de bien ?

Scène 3

STALINON, CLEOSTRATE.

STALINON, sans voir Cléostrate.

Bien sot, à mon sens, est un amoureux qui hante le Forum un jour où les plaisirs d'amour l'attendent. C'est le tort que j'ai eu. J'ai perdu ma journée au tri­ bunal pour assister un de mes parents. Lui, il a perdu son procès, par Hercule! J'en suis charmé. Il ne m'aura pas employé pour rien. Quand on demande à quelqu'un son assistance, il faut s'enquérir, s'informer si son es­ prit est présent avec lui, ou s'il est ailleurs. Déclare-t-il l'absence, ou doit le laisser courir après son esprit qui lui échappe. Mais j'aperçois ma femme devant la mai­son. Malheureux ! Je tremble qu'elle ne soit pas sourde, et qu'elle ne m'ait trop bien entendu.

CLÉOSTRATE, à part.

Oui , par Castor, je t'ai entendu , et ce ne sera pas impunément.

STALINON, à part.

Approchons. (Haut) Hé bien, comment t'en va , joie de mon cœur ?

CLÉOSTRATE.

Par Castor ! Je t'attendais.

STALINON.

Tout est déjà prêt? As-tu amené chez nous la voisine pour t'aider ?

CLEOSTRATE.

Je l'ai invitée, ainsi que tu l'avais dit mais ton cher ami, cet excellent homme, est courroucé, je ne sais pourquoi, contre sa femme, et il n'a point permis qu'elle se rendît à mon invitation,

STALINON.

Aussi , tu as un grand défaut, c'est de ne pas être engageante.

CLEOSTRATE.

C 'est le fait d'une courtisane, et non d'une honnête femme, mon cher époux, d'avoir les manières enga­ geantes avec d'autres hommes que le sien. Va l'inviter toi-même, je retourne à la maison préparer ce qu'il faut, mon ami.

STALINON.

Hâte- toi.

CLÉOSTRATE.

Oui. (A part) Par Pollux ! J e veux lui troubler l'es­ prit par quelque terreur. Il faut que je mette au sup­plice aujourd'hui le beau galantin.

(Elle sort, et Stalinon s'approche de la maison d'Alcésimus.)

Scène 4

ALCÉSIMUS, STALINON.

ALCESIMUS, sans voir Stalinon.

Voyons si notre amoureux est de retour du Forum, vieux fou, qui s'est moqué de moi et de ma femme. Mais le voici à ma porte. ( A Stalinon ) Justement, par Hercule, j'allais chez toi.

STALINON.

Et moi chez toi, par Hercule! Hé bien, homme in­ digne, que t'avais-je dit? Que t'avais-je recommandé?

ALCESIMUS.

Comment ?

STALINON.

Comme tu m'as bien tenu ta maison disponible! Comme tu as envoyé ta femme chez nous! Grâce à toi, l'occa­sion est perdue, et moi aussi.

ALCESIMUS.

Va te pendre. N'avais-tu pas dit que ta femme vien­drait inviter la mienne?

STALINON.

Hé bien, elle m'assure qu'elle s'est acquittée de la commission, et que tu as refusé pour ta femme.

ALCESIMUS,

C'est elle, au contraire, qui a dit qu'elle se passerait de nos services.

STALINON.

Mais elle m'envoie elle-même l'inviter.

ALCESIMUS.

Mais je ne m'en soucie guère.

STALI NON.

Mais tu me perds !

ALCESIMUS.

Mais, tant mieux ! Mais tu m'attendras longtemps. Mais j'ai envie de te désoler mais je m'en fais un plaisir. Avec tous tes «  mais », tu n'auras pas le der­nier. Mais enfin, par Hercule, que les dieux te con­fondent !

STALI NON.

Ah ! ça, m'enverras-tu ta femme ?

ALCESIMUS.

Prends-la si tu veux, et va-t'en périr sur la croix d'une mort misérable avec elle, avec la tienne, et avec ta maî­tresse par dessus. ( D'un ton plus calme) Tu peux va­ quer à d'autres soins. Je vais lui dire de se rendre auprès de ton épouse par le jardin, (il sort.)

STALINON.

Maintenant, je reconnais en toi un ami véritable.
Sous quels auspices m'est venu cet amour? Par quelle
offense ai-je irrité Vénus, pour rencontrer tant d'obstacles à mes désirs? Oh! O h! Quelle clameur se fait entendre à la maison ?

Scène 5

PARDALISQUE, STALINON .

PARDALISQUE.

Désolation ! Désolation ! Je suis morte ! Morte de frayeur ! T out mon sang se fige dans mes veines! Je frissonne de tous mes membres. A l'aide! Au secours! Où fuir? Q ui m e protégera? Qui me défendra? Quel étrange spectacle ai-je vu de mes yeux dans la maison ! Quelle audace extra­ordinaire, inouïe ! ( Se tournant du coté de la maison) Prends garde, Cléostrate, elle te donnera un mauvais coup dans sa fureur. Arrachez-lui cette épée des mains, elle ne se connaît plus.

STALINON.

Qu'est-ce? Pourquoi cette fille s'élance-t-elle hors de la maison, toute troublée, tout effarée ? Pardalisque.

PARDALISQUE.

C'est fini de moi. D'où vient le son qui frappe mon oreille ?

STALINON.

Regarde-moi.

PARDALISQUE.

Ah! Mon cher maître!

STALINON.

Qu'est-ce que tu as ? De quoi as-tu peur ?

PARDALISQUE.

C'est fini de moi.

STALINON.

Comment, fini de toi?

PARDALISQUE.

Oui, fini de moi ! Et fini de toi aussi.

STALI NON.

Finis au moins de me dire ce qui t'arrive.

PARDALISQUE, d'un air consterné.

Malheur à toi !

STALINON.

A toi, plutôt.

PARDALISQUE.

Je me sens défaillir, soutiens-moi, je t'en prie.

STALINON.

Quoi que ce puisse être, explique-toi promptement.

PARDALISQUE.

Je l'en prie, soutiens-moi la poitrine, donne-moi un peu d'air avec ton manteau.

STALINON.

Je crains quelque mésaventure, à moins qu'elle ne se soit frappé le cerveau avec la fleur de Bacchus Libyen.

PARDALISQUE.

Prends-moi par les deux oreilles, je t'en prie.

STALINON.

Va te faire pendre. Que les dieux te confondent, toi, et ta poitrine, et tes oreilles, et ta tête ! Si tu ne m'ap­prends tout à l'heure de quoi il s'agit, je te ferai sauter la cervelle, méchante bête, qui t'amuses depuis une heure à mes dépens.

PARDALISQUE.

Mon cher maître !

STALINON.

Hé bien, Qu'est-ce, ma chère esclave ?

PARDALISQUE.

Tu es d'une violence!

STALINON.

Tout à l'heure tu le diras avec plus de raison. Mais raconte-moi ce qui arrive, pas de verbiage. Quel va­carme y a-t-il à la maison?

PARDALISQUE.

Tu vas le savoir. Apprends par quelles horribles ex­travagances une de tes esclaves vient de se signaler, au mépris des bienséances et des mœurs attiques.

STALINON.

Qu'est-ce donc?

PARDALISQUE.

La terreur paralyse ma langue et ma voix.

STALINON.

Enfin, qu'est-ce? M'apprendras-tu de quoi il s'agit?

PARDALISQUE.

Oui, je vais te le dire. Cette esclave que tu veux donner pour femme à ton fermier, tout à l'heure, là, dans la maison ......

STALINON.

Dans la maison? Hé bien?

PARDALISQUE.

Elle imite les méchantes manières des méchantes femmes, elle fait des menaces terribles, la vie de son mari .....

STALINON.

Quoi donc ?

PARDALISQUE.

Ah!

STALINON

Qu'est-ce?

PARDALISQUE.

Elle déclare qu'elle lui arrachera la vie et puis, avec une épée

STALINON .

Oh ! Oh !

PARDALISQUE.

Avec une épée .....

STALINON.

Hé bien, cette épée ?

PARDALISQUE.

Avec une épée à la main .........

STALINON.

Ciel ! Je tremble. Pourquoi s'est-elle armée ?

PARDALISQUE.

Elle nous poursuit tous à travers les appartements, et ne souffre que personne l'approche. Tout le monde se cache sous les lits, sous les meubles, et n'ose pas souf­fler.

STALINON.

Je succombe, je suis mort ! Quel sort funeste a-t-0n jeté sur elle tout à coup ?

PARDALISQUE.

Elle est en démence.

STALINON.

Je suis bien misérable.

PARDALISQUE.

Et si tu savais ce qu'elle a dit !

STALINON.

Qu'a-t-elle dit ? Je suis impatient de le savoir.

PARDALISQUE.

Le voici. Elle a juré par tous les dieux et toutes les déesses, qu'elle tuerait cette nuit celui qui coucherait avec elle.

STALINON.

Elle veut me tuer ?

PARDALISQUE.

Est-ce que cela te regarde ?

STALINON, embarrassé.

Hé ! Hé !

PARDALISQUE.

Qu'as-tu à démêler avec elle ?

STALINON.

Je me suis trompé, je voulais dire le fermier.

PARDALISQUE.

Tu te ranges adroitement de la voie charretière sur le trottoir.

STALINON.

Est-ce qu'elle me menace?

PARDALISQUE.

C'est à toi qu'elle en veut plus qu'à tout autre.

STALINON.

Pourquoi ?

PARDALISQUE.

Parce que tu la donnes à Olympion. Elle déclare que ni toi, ni elle, ni son mari, vous ne serez vivants demain : aussi on m'a dépêché vers toi pour t'avertir de te tenir sur tes gardes.

STALINON.

C'est une malédiction, par Hercule ! Il n'y a pas, il n'y eut jamais de vieillard amoureux plus à plaindre que moi.

PARDALISQUE, à part.

Je me moque de lui assez joliment car tout ce que je viens de lui conter n'est que mensonge. Ma maîtresse et sa voisine ont imaginé celte ruse, et elles m'ont en­voyée ici pour le bafouer.

STALINON.

Pardalisque, un mot.

PARDALISQUE.

Qu'est-ce ?

STALI NON.

Je veux .....

PARDALISQUE.

Quoi?

STALINON.

Te demander quelque chose.

PARDALISQUE.

Tu me retardes.

STALINON.

Et toi, tu me désoles. Casine a-t-elle encore son épée ?

PARDALISQUE.

Oui, elle en a même deux.

STALINON.

Deux !

PARDALISQUE.

L'une, à ce qu'elle dit, est pour t'égorger, l'autre , pour tuer le fermier.

STALINON.

Ah ! Je suis égorgé autant qu'âme qui vive. Je vais mettre une cuirasse, c'est le plus prudent. Et ma femme ? Elle ne lui a pas parlé ? Elle ne l'a pas désarmée ?

PARDALISQUE.

Elle n'ose pas l'approcher.

STALINON.

Qu'elle la calme par ses discours.

PARDALISQUE.

Elle a tâché de le faire, l'autre proteste qu'elle ne déposera les armes que quand elle saura qu'on ne la donne pas au fermier.

STALINON.

Elle ne veut pas? En dépit qu'elle en ait, elle sera sa femme aujourd'hui. Comment! Je n'en viendrais pas à mes fins? Elle ne serait pas à moi?... je veux dire, à mon fermier.

PARDALISQUE.

Tu te trompes souvent.

STALINON.

La peur m'embarrasse la langue. Mais dis à ma femme que je la prie d'obtenir par ses prières que Casine dé­pose son épée, et me laisse rentrer.

STALINON.

Prie aussi Casine, toi.

PARDALISQUE.

Oui.

STALINON.

Mais gracieusement, comme tu sais faire. Écoute, si tu la persuades, je te donnerai une paire de mules, et un anneau pour mettre à ton doigt, un anneau d'or, et beaucoup d'autres belles choses.

PARDALISQUE.

J'y ferai mes efforts.

STALINON.

Tâche de l'apaiser.

PARDALISQUE.

J'y vais, si tu ne m'arrêtes pas davantage.

STALINON.

Va, et ne néglige rien.

PARDALISQUE, à part.

Voici enfin son pourvoyeur qui revient du marché avec un pompeux cortège.

Scène 6

OLYMPION, LE CHEF DES CUISINIERS avec sa suite, STALINON.

OLYMPION.

Aie soin, brigand, de retenir sous le drapeau tes buissons (montrant les cuisiniers).

LE CHEF.

Comment? Mes buissons?

OLYMPION.

Oui, tout ce qu'ils touchent, ils l'arrachent. Si l'on vient pour le reprendre, ils écorchent. Ils ne mettent le pied nulle part sans y causer un double dommage.

LE CHEF.

Oui-dà !

OLYMPION.

Ah ! çà, je tarde trop à rejoindre mon maître avec cet attirail superbe et cet air de patricien, qui le char­meront.

STALINON.

Bonjour, galant homme!

OLYMPION.

C'est vrai.

STALINON.

Qu'y a-t-il de nouveau?

OLYMPION

Tu aimes, et moi j'ai faim et soif.

STALINON, s' approchant d'un air caressant.

J'aime à te voir marcher en toilette si soignée.

OLYMPION.

Hé ! Là !

STALINON

Un moment donc, tu es bien fier.

OLYMPION.

Fi ! Tes paroles me puent au nez.

STALINON.

Qu'est-ce que c'est que cela ?

OLYMPION, se retirant.

C'est cela.

STALINON.

Veux-tu rester?

OLYMPION, se retirant toujours.

Ma foi, c'est trop d'ennui que tu me causes.

STALINON.

Je te causerai de grandes douleurs, si tu ne demeures en place.

OLYMPION.

O Jupiter! Te plaît-il de t'éloigner un peu, si tu ne veux me faire vom ir?

STALINON.

Reste.

OLYMPION.

Eh quoi ! Q uel homme est-ce donc?

STALINON.

C'est ton maître.

OLYMPION.

Qui mon maître?

STALINON.

Celui dont tu es l'esclave.

OLYMPION.

Moi , esclave ?

STALINON.

Et à moi appartenant.

OLYMPION.

Je ne suis donc pas un homme libre ? Souviens-toi, souviens-toi.

STALINON, d'un ton radouci.

 

Arrête, et tiens-toi avec moi.

OLYMPION.

Non, laisse, je suis ton esclave.

STALINON.

Voilà qui est bien. Je t'en prie, mon petit Olympion, mon père, mon patron.

OLYMPION.

A la bonne heure, tu te mets à la raison.

STALINON.

Tu es mon maître.

OLYMPION.

Je n'ai que faire d'un si méchant esclave.

STALINON.

Hé bien ? Quand me rends-tu à la vie ?

OLYMPION.

Dès que le souper sera prêt.

STALINON, montrant les cuisiniers.

Qu'ils entrent donc !

OLYMPION.

Vite, entrez, dépêchez-vous d'apprêter le repas.

STALINON.

J'y serai dans un moment. Faites-moi un festin eni­vrant. Je veux une chère somptueuse, délicate. Je n'aime pas le vivre des Romains. (A Olympion) Va, je demeure ici.

OLYMPION.

Est-ce qu'il y a quelque embarras ?

STALINON.

Pardalisque m'a rapporté que Casine s'est armée d'une épée, et qu'elle s'apprête à nous recevoir.

OLYMPION.

Je devine. Laisse faire, elles perdent leur temps. Je connais ces malignes pécores. Allons, viens à la maison.

STALINON.

Par Pollux! J'ai peur d'un mauvais coup. Va en avant reconnaître les lieux, vois ce qui se passe.

OLYMPION.

Je tiens autant à ma vie que toi à la tienne,

STALINON.

Va donc !

OLYMPION, d'un air goguenard.

Si tu l'ordonnes, j'entrerai ........ avec toi. (Ils entrent.)

Acte IV

Scène 1

PARDALISQU E , seule.

Non, par Pollux ! Ni à Némée, ni à Olympie, nulle part on ne célèbre des jeux aussi divertissants qu'est le divertissement qu'on se donne ici aux dépens du vieillard et de ce rustre d'Olympion. Tout le monde de tous côtés s'agite, se travaille. Le vieillard est à la cuisine, criant, pressant les cuisiniers : « Allez donc. Sera-ce pour au jourd'hui que vous servirez ? Hâtez-vous ; le souper de vrait être déjà fait. » Et pendant ce temps-là, le fermier, couronné de fleurs, vêtu de blanc, en costume de fête, se promène tranquillement. D'autre part Cléostrate, enfermée avec son amie dans son appartement, habille l'écuyer en nouvelle mariée pour le donner à Olympion en place de Casine. Mais qu'elles sont adroites à ne rien laisser transpirer du coup qui se prépare! Les cui­ siniers, aussi font de leur mieux pour que le vieillard se passe de souper, c'est plaisir de les voir, ils renver sent les marmites, ils jettent de l'eau sur le feu, tout cela par l'ordre des deux femmes. Elles veulent mettre à la porte le galant sans régal, pour pouvoir, seules et sans gêne, se gonfler la panse. Je les connais, ce sont deux vaillantes mangeuses. Elles avaleraient à elles deux un bateau de vivres. Mais la porte s'ouvre.

Scène 2

STALINON, PARDALISQUE.

STALINON, parlant à sa femme dans la maison.

Soupez toujours, je vous le conseille, quand le souper sera prêt, moi, je souperai à la campagne. Je veux ac­compagner le marié avec sa nouvelle épouse jusque chez lui. Il y a tant de mauvais sujets ! Je crains qu'on ne la lui enlève. Livrez-vous à la joie. Mais hâtez-vous de me les envoyer tous deux, vitement, que nous ayons le temps d'arriver avant la nuit. Je reviendrai demain, ma femme, demain je ferai aussi mon gala.

PARDALISQUE, à part.

Que disais-je? Elles en viennent à leurs fins, le vieil­ lard vide les lieux l'estomac vide.

STALINON.

Que fais-tu ici?

PARDALISQUE.

Je vais où ma maîtresse m'envoie.

STALINON.

C 'est bien vrai ?

PARDALISQUE.

Vraiment.

STALINON.

Qu'est ce que tu as à espionner?

PARDALISQUE.

Je n'espionne pas.

STALINON.

Va-t'en. Tu t'amuses ici, tandis que les autres là-bas travaillent.

PARDALISQUE. J'y vais. (Elle sort lentement.)

STALINON.

Veux- tu t'en aller, mauvaise bête entre les plus mau­ vaises ? Est-elle partie à la fin? Il m'est permis de parler en liberté. Quand on aime, par Hercule! V entre affamé n'a pas faim. Mais je le vois sortir la couronne sur la tête, le flambeau à la main, mon beau-père, mon com­pagnon d'amour, mon co-épouseur.

Scène 3

OLYMPION, STALINON.

OLYMPION, au musicien du Proscenium.

Allons, flûteur , pendant que la mariée est conduite hors de la maison, fais résonner toute la place d'une suave harmonie, pour célébrer l'hyménée. Vive l'hymen ! V ive l'hyménée! O hymen!

STALINON.

Comment t'en va, mon sauveur?

OLYMPION.

Comme un homme, par Hercule, qui meurt de faim, et de soif, au par dessus.

STALINON.

Moi, j'aime.

OLYMPION.

Moi, par Hercule, je ne veux rien débattre avec l'a­ mour, il y a déjà longtemps que mes boyaux murmurent d'inanition.

STALINON.

Pourquoi cette autre tarde-t-elle si longtemps ? C'est comme un fait exprès. Plus j'ai hâte, moins elle se presse.

OLYMPION.

Si je me remettais à chanter l'hyménée?

STALINON.

Tu as raison, et je chanterai avec toi, la noce nous est commune.

OLYMPION et STALINON.

Hymen ! H yménée ! Vive l'hymen !

STALINON.

Je n'en puis plus, je me crève à chanter l'hymen à tue-tête. Je voudrais me crever d'autre fatigue, et l'on m'en empêche.

OLYMPION.

Par Pollux ! Si tu étais cheval, tu serais indomptable.

STALINON.

A quoi vois-tu cela?

OLYMPl ON.

Tu es trop vigoureux.

S T A L I N O N.

Est-ce que tu as éprouvé ma vigueur?

OLYMPION.

Que le ciel m'en préserve! J'entends le bruit de la porte, on sort.

S T A L I N O N .

Les dieux me protègent ! Je sens de loin Casine.

Scène 4

CLÉOSTRATE, deux Esclaves conduisant la mariée, OLYMPION, STALTNON .

PREMIÈRE ESCLAVE.

Lève tant soit peu le pied pour franchir le seuil, nouvelle épouse. Pars heureusement, pour demeurer toujours compagne de ton époux, compagne dominante, pour le vaincre, le dompter, et faire prévaloir ton em­pire, pour être vêtue par lui et le dépouiller. Souviens-toi en tout temps, à toute heure, d'être habile à le tromper.

OLYMPION.

Le châtiment sera prompt et sévère, par Hercule, pour peu qu'elle bronche.

STALINON.

Paix!

OLYMPION.

Je ne veux pas me taire.

STALINON.

Qu'as-tu donc ?

OLYMPION.

La mauvaise est induite à mal par leurs mauvaises leçons.

STALINON.

Je suis perdu. Elles dérangeront tout ce que j'avais arrangé. Ce qu'elles en font, c'est pour que je ne puisse rien faire. Elles n'ont pas d'autre but.

SECONDE ESCLAVE.

Tiens, Olympion, puisque tu le veux, reçois de notre main ton épouse.

OLYMPION.

Donnez-la-moi, si vous voulez que je l'aie, à la fin.

STALINON.

Rentrez.

PREMIERE ESCLAVE

Elle est vierge, innocente, ménage-la, je t'en prie.

OLYMPION.

Soyez-en sûres. Adieu.

STALINON.

Partez.

SECONDE ESCL AVE.

Adieu. (Cléostrate rentre avec les deux esclaves.)

STALINON, bas à Olympion.

Ma femme s'est-elle retirée?

OLYMPION.

Elle est rentrée, ne crains rien.

STALINON.

Vivat ! Enfin, par Pollux, je suis libre. ( A la mariée) Mon petit cœur, ma miellinette, ma fleurette.

OLYMPION, à Stalinon.

Oh ça ! Prends garde à toi, je te le conseille. C'est mon bien.

STALINON.

Je le sais. Mais l'usufruit m'appartient d'abord.

OLYMPION.

Prends ce flambeau.

STALINON.

Non, j'aime mieux la tenir, elle. Vénus, puissante déesse, quel bonheur tu m'envoies en me rendant pos­sesseur de ce trésor. Comme elle est grassette et gen­tillette !

OLYMPION.

Ma petite femme ......... Aie !

STALINON.

Qu'est-ce ?

OLYMPION.

Elle m'a marché sur le pied.

STALINON, à part

Je ferai semblant de badiner. ( Haut) Les nuages ont des contours moins doux que son sein.

OLYMPION.

Ola jolie gorginette!.... Ah, la, la!

STALINON.

Qu'y a-t-il ?

OLYMPION.

Elle vient de m'enfoncer la poitrine avec son coude.

STALINON.

Aussi, tu la touches comme un brutal. Moi, qui la caresse délicatement, elle ne me fait rien.

OLYMPION.

Ouf !

STALINON.

Qu'est-ce que tu as?

OLYMPION.

Oh, qu'elle est robuste, la petite ! avec son coude , elle m'a presque couché par terre.

STALINON.

C'est qu'elle veut aller se coucher.

OLYMPION.

Hé bien, allons-y.

STALINON.

Prends, joliette, prends ton chemin joliment. (Ils entrent chez Lysistrate.)

Acte V

Scène 1

PARDALISQUE, MYRRHINE.

PARDALISQUE, seule.

Après nous être bien et dûment repues à la maison, nous venons voir dans la rue les jeux nuptiaux.

MYRRHINE, sortant de chez Cléostrate.

Non, par Castor ! Je n'ai jamais tant ri, et je crois que je ne rirai jamais autant. Je suis curieuse de savoir comment Chalinus, le nouvel épousé, se comporte avec le nouveau mari. Aucun poète n'inventa d'artifice plus adroit, de machine mieux combinée que la nôtre. Il me tarde à présent de voir le vieux hère sortir avec la figure meurtrie. C'est bien le plus vicieux vieillard qui existe. Je ne connais personne qui l'égale pour le vice, pas même son cher hôte. Reste ici en sentinelle, Pardalisque, pour recevoir le premier qui sortira, et pour le bafouer.

PARDALISQUE.

De grand cœur, d'ailleurs, mon instinct m'y porte.

MYRRHINE.

Observe ce qui se passe là-dedans ( montrant sa mai­ son) , et viens m'avertir, je t'en prie.

PARDALISQUE.

Oui.

MYRRHINE.

Tu peux dire aussi à l'autre vieillard tout ce qui te passera par la tête, ne crains rien.

PARDALISQUE.

Silence ! J'entends le bruit de votre porte. (Myrrhine entre chez Stalinon.)

Scène 2

OLYMPION, MYRRHINE, CLEOSTRATE,

PARDALISQUE, à l 'écart. OLYMPION, sans voir personne.

Où fuir? Où me cacher? Comment dérober mon op­probre à tous les yeux ? C'est un gouffre d'infamie où nous nous sommes plongés, mon maître et moi, que cette noce ! Quelle honte ! Quel effroi ! Comme on va se mo­quer de nous ! Sot que je suis! Voilà du nouveau, a-t-on jamais rougi de ce qui me fait rougir mainte­nant? (Se tournant vers le public) Écoutez, je vous ferai le récit de notre aventure, cela vaut la peine qu'on prête l'oreille. Risible à entendre, risible à raconter est mon équipée de là-bas. Dès que j'eus introduit la ma­riée, je vais tout droit, je tire la traverse. Mais on n'y voyait goutte, pas plus qu'au fond d'un puits. Couche-toi, lui dis-je, je place, j'étaie, je travaille pour devancer le vieillard au lit conj**** Je me ralentis soudain, parce que de temps en temps je regarde, afin que le vieillard ne **** D'a­ bord, pour éveiller la volupté, je demande un baiser. **** Elle repousse ma main, et ne souffre pas sans ré­sister le baiser que je prends. La résistance m'irrite, mon envie redouble de me ruer sur Casine, et de dérober au vieillard l'exploit amoureux. Je ferme la porte, pour n'être pas surpris.

(Pendant ce récit, Pardalisque est allée chercher Cléostrate et Myrrhine.)

MYR RHINE , à Cléostrate.

Il faut que tu ailles lui parler.

CLÉOSTRATE, à Olympe.

Comment va, je te prie, la nouvelle mariée ?

OLYMPION, à part .

Je suis perdu, par Hercule, ce n'est plus un secret.

CLÉOSTR ATE.

Tu n'as rien de mieux à faire que de nous raconter exactement tout ce qui s'est passé là-bas. Comment se comporte Casine? S'y est-elle bien prêtée?

OLYMPION.

J'ai honte de dire**:

CLÉOSTRAT E.

Poursuis la narration comme tu avais commencé.

OLYMPIOIN.

Je n'ose, par Hercule !

CLÉOSTRATE.

Allons, du courage. Après que tu le fus mis au lit, tu en étais là, raconte-nous la suite.

OLYMPION.

C'est un scandale.

CLÉOSTRATE.

Ce sera une leçon pour ceux qui t'auront entendu.

OLYMPION.

plus grand que cela.

CLÉOSTRATE.

Tu perds [ton temps]. Continue donc.

OLYMPION.

****** dès que ****** par dessous en avant.

CLÉOSTRATE.

*** quoi ?

OLYMPION.

Grands dieux!

CLÉOSTRATE.

Quoi ?

OLYMPION.

Ciel ***** Oh ! C'était très grand *** si elle avait **** je craignis, et je me mis à la recherche ***** Tout en cherchant si elle n'aurait pas une épée, je saisis la poignée. Mais non, j'y pense, ce n'était pas une épée, elle aurait été froide.

CLÉOSTRATE.

Explique-toi.

OLYMPION.

Je n'ose.

CLÉOSTRATE.

Était-ce une racine ?

OLYMPION.

Non.

CLÉOSTRATE.

Un concombre?

OLYMPION.

Non, certainement, ce n'était rien du genre des lé­gumes. Quoi que ce pût être, la grêle ne l'avait pas endommagé toujours, car c'était bien gros. ***

MYRRHINE.

Qu'arrive-t-il, enfin ? Parle.

OLYMPION.

Je lui dis : Casine, ma petite femme, je t'en prie, pourquoi t'éloigner de ton mari ? Par Hercule ! Je ne mérite pas que tu te conduises ainsi. Je t'ai recherchée avec tant d'ardeur ! ** Elle ne répond pas un mot, et elle rempare avec sa tunique ce qui fait que vous êtes **** Quand je vois le passage fermé de ce côté, je la prie de me laisser prendre un autre chemin. Je veux, pour opposer le coude***; en silence***. Je me lève, et je m'apprête à la ***** : elle ****.

MYRRIHNE.

Son récit m'amuse beaucoup.

OLYMPION.

*** un baiser, **** je sens une barbe qui me pique les lèvres, comme un buisson d'épines. Tout à coup, pen­dant que je suis agenouillé, elle me frappe de ses deux pieds la poitrine. Je tombe du lit la tête la première, elle s'élance, et me couvre la figure de horions. Alors je m'esquive dehors, dans l'accoutrement que tu vois (me pardonne le ciel !) et sans mot dire, afin que le vieillard vienne boire à la même coupe que moi.

CLÉOSTRATE.

Cela va bien. Mais qu'est devenu ton manteau ?

OLYMPION.

Je l'ai perdu dans la bagarre.

CLÉOSTRATE.

Hé bien, vous a-t-on joliment attrapés ?

OLYMPION.

Comme nous le méritions.

CLÉOSTRATE.

St ! le bruit de la porte se fait entendre.

OLYMPION, effrayé.

Est-ce quelle me poursuit encore?

Scène 3

STALINON, OLYMPION, CLEOSTRATE.

STALINON, sans voir personne, et n'ayant que sa tunique.

Je suis perdu dans un abîme d'opprobre. Je ne sais plus que faire, que devenir. Comment regarder mon épouse en face ? Ma ruine est consommée. On connaît toutes mes turpitudes. Malheureux ! I l n'y a plus de salut pour moi. Je suis pris sur le fait, on me tient à la gorge. **** Comment m'excuser auprès de ma femme, en ve nant ainsi tristement détroussé?***** ces noces clandes­ tines **** oui-dà. *** Le mieux pour **** Elle conduit ma femme. ********* ( Aux spectateurs) Quel est l'honnête homme ici qui voudrait prendre ma place? Je ne sais à quel expédient recourir, à moins de faire comme les mauvais esclaves, et de m'enfuir de la maison. Rien ne peut sauver mes épaules si je rentre. Plaisanteries que tout cela, dira-t-on. Cependant je suis battu, en dépit que j'en aie, quand j'ai mérité le châtiment. Vite, ga­gnons aux pieds, et fuyons par le plus court.

OLYMPION.

Holà, Stalinon, l'amoureux!

STALINON.

Je suis mort, on m'appelle. Courons, comme si je n'entendais pas.

Scène 4

CHALINUS, STALINON, CLÉOSTRATE, MYRRHINE, OLYMPION, SERVANTES.

CHALINUS, arrêtant Stalinon.

Viens donc, galant imitateur des mœurs marseillaises. A présent, si tu veux me caresser, l'occasion est belle, ....... faire essai ........ C'est fait de toi. Allons , approche. Maintenant, je cours après toi, j'ai trouvé un témoin
hors du conciliabule ........

CLÉOSTRATE.

J'ordonne ....... un murmure ........

STALINON.

Me voilà entre le couteau et l'autel. Je ne sais où fuir*** des louves *** par Hercule! Je crois.... ici comme nouvelle une vieille.... Fuyons par là. La rencontre d'un chien est un présage moins sinistre.

CLÉOSTRATE.

Que t'est-il arrivé, mon mari, cher homme? En quel équipage reviens-tu? Qu'as-tu fait du bâton que tu por­ tais? D e ton manteau?

LES SERVANTES.

Le libertin l'a perdu, je pense, en faisant l'amour avec Casine.

STALINON.

Je suis mort.

CHALINUS, prenant un ton caressant.

Viens coucher avec ta petite Casine.

STALINON.

Va te faire pendre.

CHALINUS.

Tu ne m'aimes plus?

CLÉOSTRATE.

Réponds, qu'as-tu fait de ton manteau?

STALINON.

Ce sont des bacchantes, par Hercule! M a femme... des bacchantes qui... oui, des bacchantes... chère femme!...

PARDALISQUE.

Il sait bien qu'il dit des niaiseries. Par Castor! Il n'y a plus à présent ni bacchantes ni bacchanales.

STALINON.

J'oubliais. Cependant il y avait des bacchantes ....................................................

CLÉOSTRATE.

Des bacchantes ! Est-ce possible ?

PARDALISQUE, à Stalinon.

Par Castor, tu trembles!

STALINON.

Moi?

CLÉOSTRATE.

Ne mens pas, par Hercule ! On sait tout.

(Ici une lacune de neuf vers.)

STALINON, à Olympion.

Veux-tu te taire ?

OLYMPION.

Non, par Hercule! Je ne me tairai pas. C'est toi qui m'as prié instamment de demander Casine en mariage.

STALINON.

Ce que j'en ai fait, c'était pour l'amour de toi.

CLÉOSTRATE.

Ou plutôt de Casine, par Hercule ! Si je ne t'avais pas arrêté.

STALINON.

Moi ? J'ai fait tout ce que vous dites là ?

CLÉOSTRATE.

Fais donc l'étonné !

STALINO N.

Si j'en ai agi ainsi, je m'avoue coupable.

CLÉOSTRATE.

Rentre à la maison , je te rafraîchirai la mémoire, si elle te manque.

STALINON.

Je m'en rapporterai à vous, par Hercule, à tout ce que vous direz. Mais pardonne pour cette fois à ton mari, ma femme. Myrrhine, intercède auprès d'elle. Si jamais j'aime Casine, ou si je fais mine de l'aimer seulement, si je commets quelque faute pareille, tu pourras, je m'y soumets d'avance, m'attacher au gibet et me battre de verges.

MYRHINNE.

Il faut lui pardonner pour cette fois.

CLÉOSTRATE.

Puisque tu le veux, j'y consens. J'ai aussi une raison pour t'accorder sa grâce sans me faire prier, cette co­médie est assez longue déjà, nous ne devons pas l'allon­ger encore.

STALINON.

Tu n'es plus fâchée ?

CLÉOSTRATE.

Non.

STALINON.

C'est bien sincère ?

CLÉOSTRATE.

Oui.

STALINON.

Il n'y a pas de femme plus aimable que ma femme.

CLÉOSTRATE, à Chalinus.

Allons, rends-lui son bâton et son manteau.

CHALINUS.

Tiens.

STALINON.

Bon.

CHALINUS.

J'ai reçu, par Pollux ! Un cruel affront. J'ai eu deux maris aujourd'hui , et pas un n'a rempli envers moi le devoir conjugal.

LE CHEF DE LA TROUPE.

Spectateurs, si vous voulez savoir ce qui doit se pas­ser encore dans cette maison, nous allons vous le dire. On découvrira que Casine est la fille du voisin, et elle épousera Euthynique, le fils de notre vieux maître. Maintenant, c'est à vous de donner aux acteurs méri tants la récompense méritée. Quiconque nous aura rendu cette justice, nous lui souhaitons d'avoir toujours maî­tresse selon son goût à l'insu de sa femme. Mais celui qui n'aura pas fait éclater de toute sa force les applaudissements, puisse-t-il trouver dans son lit , au lieu de ses amours, un bouc frotté d'un parfum de sentine !

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