Les captifs

de

Plaute

Traduction de J. NAUDET (membre de l'Institut, inscriptions et belles lettres)

PANCKOUCKE, éditeur

1834

AVANT-PROPOS DES CAPTIFS.

Voici une exception unique dans le théâtre de Plante, unique dans tout ce qui nous est connu du théâtre des Latins et des Grecs : une comédie sans femme, sans intrigue d'amour, sans marché de prostitution, sans friponnerie d'esclave, une comédie où l'on ne trouve point de ces vers qu'on ne peut répéter, où les bons apprennent à devenir meilleurs. Aussi Plaute a soin de le faire remarquer dans son Prologue, il s'en vante encore dans l'allocution de la fin. Le trait de vertu qui fait le sujet de cette comédie devait être par­ticulièrement agréable aux Romains. Un esclave se dévouant pour son maître leur semblait un très bon modèle, et flattait leur or­gueil. Leur histoire offre de pareils exemples en réalité. L'écuyer de Flaminius fut tué au lac de Trasimène, en couvrant son maître de son corps. Un enfant endura les plus cruelles tortures pour dérober l'orateur Antoine à une poursuite capitale, et plusieurs proscrits durent leur salut à des esclaves qui se firent égorger pour eux. Plus tard, moins les maîtres méritèrent un tel dévoûment, plus impérieusement ils l'exigèrent; et, à la fin, la loi en fit une obligation sous peine de mort en certaines occasions. Dans la corruption des mœurs et les abus de la tyrannie domestique, on ne se crut point en sûreté contre les haines et les vengeances, si l'on n'infligeait pas le dernier supplice aux esclaves dont le maître aurait péri devant eux, et qui ne se seraient pas sacrifiés pour le sauver . La moralité des Captifs devait donc être fort goûtée par le pu­blic de Rome. Mais Plaute savait que les spectateurs lui demandaient un di­vertissement plutôt qu'une morale, et n'acceptaient même la mo­rale qu'à la faveur du divertissement. Deux situations durent assurer la fortune de la pièce, l'une où les deux captifs s'entendent pour tromper leur nouveau posses­seur, l'autre où le généreux mensonge de l'esclave qui a pris la place de son maître, est découvert par la maladresse d'un autre captif leur ami. Les modernes, plus difficiles sur les conditions de la vrai­semblance, ont demandé comment il était possible que, dans l'intervalle de quelques scènes, Philocrate eût fait le double voyage de Calydon à Élis, et d'Élis à Calydon, non sans demeu­rer quelque temps à Élis pour y prendre les captifs qu'il ramenait à la fin. Le traducteur Coste, en suivant montre à la main tous les per­sonnages, et en évaluant au plus juste la durée de chacune de leurs démarches, a prouvé que Philocrate, parti à huit heures du ma­lin, avait pu aller et revenir, et faire ses affaires, dans l'espace de sept heures. Un traducteur allemand, savant et habile écrivain, et critique impartial, quoique traducteur, M. Samuel Kopke, fait cette objection : Si le vent soufflait du sud pour porter ra­pidement Philocrate d'Étolie en Élide, il a dû le contrarier une heure après pour revenir en Étolie. Mais Coste lui au­rait répondu que le vent pouvait tourner. Il y a tant de choses qui tournent d'un instant à l'autre dans le monde, à plus forte raison le vent. Nous pourrions encore demander pourquoi les deux captifs, se trouvant en la puissance d'un si bon homme qu'Hégion, non moins empressé qu'eux-mêmes à conclure un accord qui leur procure leur liberté en lui rendant son fils, dressent un si pé­rilleux échafaudage d'impostures, sans aucune intention de dol ni de fraude, sans une raison de danger réel et pressant, seule­ment pour le plaisir de le tromper car le captif, qui a dû son évasion à la ruse, revient de son plein gré, avec le fils d'Hégion, pour consommer l'échange qui aurait pu se négocier sans touts ces complots. Mais les Romains applaudissaient à un jeu de scène qui les amu­sait, sans exiger qu'on leur rendît compte des motifs et des cir­constances qui l'avaient produit. La fable, extrêmement simple, n'aurait pas suffi, avec ses seuls développements essentiels, à remplir les proportions du drame. Le poète y a mêlé un rôle épisodique, dont le concours ne retarde ni n'avance le dénoûment, et qui cependant est si étroitement lié à quelques-uns des personnages, qu'il ne paraît pas étranger à l'action, c'est le Parasite. Nous avions déjà rencontré un caractère de cette espèce dans « l' Asinaire » et dans « les Bacchis », mais nous l'avions à peine aperçu de profil, et comme en passant. Ici il se montre dans toute la force de sa voracité burlesque, de ses risibles sensibilités, de sa loqua­cité bouffonne. Ces caractères étaient d'une grande ressource pour les auteurs du théâtre ancien. Ils réjouissaient les patriciens, gens orgueilleux et grossiers qui aimaient à s'égayer des humiliations autant que des bons mots de leurs parasites. Ils réjouissaient le petit peuple, des rangs duquel sortaient ces malheureux plaisants, le petit peuple qui leur enviait, à eux pauvres comme lui, le bonheur de s'asseoir à la table du riche, et qui, n'ayant pas l'esprit nécessaire pour remplir les offices et obtenir les profits de cette espèce de clientèle, se consolait par en médire en ville et la bafouer au théâtre. C'est un objet curieux dans l'histoire des mœurs et de la civilisation, que la vie des parasites de l'antiquité, et celle des fous chez les rois et les seigneurs du moyen âge. On a beaucoup loué le ton noble et touchant du style de cette pièce. Ce qui me frappe, au contraire, c'est le génie comique de Plaute, empreint dans ce dialogue plus remarquablement qu'ail­leurs. Pendant que la tendance naturelle des faits entraîne le drame vers le sérieux et l'héroïque, l'auteur, par la vivacité de sa verve enjouée, le ramène au plaisant et au bouffon. Ce peuple romain, que les sentiments nobles et pathétiques exprimés sur la scène dans la tragédie pouvaient attendrir si profondément, et qui se soule­vait d'un mouvement unanime avec des cris, des sanglots, à la vue d'Oreste et de Pylade se disputant le bonheur de mourir l'un pour l'autre, n'aurait pas entendu sans émotion Tyndare s'écrier, on présentant les mains aux chaînes,

Qui per virtutem perbitat, is non interit,

« Qui meurt pour la vertu, ne meurt pas tout entier, »

si l'esclave s'était tenu toujours à cette hauteur, et n'avait pris plus gaîment son péril, en faisant prédominer l'hilarité de son esprit sur les terreurs de sa situation :

Vae illis virgis miscris, quae hodie in tergo morientur meo.

« Verges, malheur à vous , qui mourrez sur mon dos... »

Il ne faudrait pas non plus se hâter de conclure des protesta­tions de Plaute sur la chasteté de sa pièce, qu'il n'avait travaillé que pour la bonne compagnie en l'écrivant, et que les cyniques hardiesses du théâtre ne plaisaient qu'à la populace. Mal lui au­rait pris d'une pareille opinion, si elle eût été celle des spectateurs : les trois quarts de ses œuvres auraient été réprouvés par tout ce qui portait la toge. Cicéron ne cite point, que je sache, les «  Captifs. » Il loue comme des modèles plusieurs comédies que sans doute il n'aurait pas osé lire à sa Tulliola. La bonne compa­gnie à Rome était souvent de bien mauvaise compagnie. Quel est l'auteur grec auquel Plante a emprunté sa pièce? Il nous laisse à cet égard dans une entière ignorance. On peut as­surer du moins qu'il n'y a pas de comédie gréco - latine où soit plus généralement répandue la couleur des mœurs et des cou­ tumes romaines, et où l'on puisse moins observer les traces et l'air de l'imitation.

PERSONNAGES.

ERGASILE, parasite de Philopolème et d'Hégion.

HÉGION, riche Étolien, père de Tyndare et de Philopolème.

UN ESCLAVE , correcteur.

PHILOCRATE , jeune homme d'Élide, prisonnier.

TYNDARE , esclave de Philocrate, et fils d'Hégion.

ARISTOPHONTE, autre captif, compatriote et ami de Philocrate.

UN SERVITEUR d'Hégion.

PHILOPOLÈME, fils d'Hégion.

STALAGME, esclave fugitif, ravisseur de Tyndare.

ARGUMENT ACROSTICHE

ATTRIBUE

A PRISCIEN LE GRAMMAIRIEN.

Hégion est privé de son fils, prisonnier dans un combat, un autre fils lui fut enlevé à l'âge de quatre ans par un esclave qui le vendit. Le vieillard, dans la seule intention de recouvrer celui qui est au pouvoir de l'en­nemi, achète des captifs éléens. Au nombre de ces cap­tifs achetés est le fils qui lui fut ravi autrefois, celui-ci a changé de nom et d'habit avec son maître, et lui mé­nage le moyen de s'échapper, lui-même en porte la peine. Mais le maître ramène le fils qui était prisonnier, et en même temps l'esclave fugitif, dont les aveux font reconnaître l'autre fils.

PROLOGUE.

LE CHEF DE LA TROUPE en habit de prologue,

TYNDARE et PHILOCRATE , enchaînés devant la maison d'Hégion.

LE CHEF DE LA TROUPE, montrant Tyndare et Philocrate.

Ces hommes que vous voyez debout, ces deux captifs qui sont tout debout, là, eh bien, ils se tiennent debout, et ne sont pas assis ; je ne mens pas, vous m'en êtes té­moins. Le maître de ce logis est le vieil Hégion, père de celui-ci ( montrant Tyndare). Mais comment, lui, se trouve-­t-il en servitude chez son père ? Je vais vous l'expliquer par forme d'avant-propos, si vous me prêtez attention. Ce vieillard avait deux fils, l'un lui fut enlevé à l'âge de quatre ans par un esclave, qui s'enfuit en Élide et qui vendit l'enfant au père de celui-là ( montrant Philocrate). Y êtes-vous? Fort bien. Mais n'en voilà-t-il pas un là-bas, parmi les derniers, qui se plaint de ne pas enten­dre? Va-t'en; si tu n'as pas de place pour l'asseoir, tu en trouveras pour te promener. Ces gens-là réduiraient à l'aumône un acteur. Tu te trompes, si tu crois que, pour te faire plaisir, je vais me briser la poitrine. Mais vous, qui pouvez faire déclaration de biens aux cen­seurs, je vous dois le reste de l'histoire; je ne veux rien avoir à personne. Le coquin d'esclave, disions-nous, qui avait enlevé son jeune maître en prenant la fuite, le vendit au père de celui-là (montrant Philocrate); le brave homme ne l'eut pas plus tôt acheté, qu'il le donna en pécule à son fils en effet, leur âge était presque le même. Maintenant, lui (montrant Tyndare), le voici esclave dans son pays, chez son père, et le père n'en sait rien. Pauvres mortels ! Nous servons de jouets aux dieux, comme des balles de paume. Vous comprenez donc comment le vieillard perdit autrefois un de ses fils. Dernièrement, l'autre combattait dans l'armée d'Étolie contre les Éléens, et, par un de ces accidents si communs à la guerre il a été pris et vendu en Élide au médecin Ménarque. Hégion achète de tous cotés des prisonniers d'Élide, dans l'espoir de délivrer, par une échangé, son fils captif chez l'ennemi et le fils qu'il a dans sa maison, il ne le connaît pas. Hier, on vint lui dire qu'il y avait un prisonnier éléen, cavalier d'une grande distinction et d'une haute naissance; il n'a point regardé au prix, parce qu'il regarde avant tout à son fils, qu'il veut ra­ mener, coûte que coûte, dans ses foyers ; il a acheté ces deux captifs aux questeurs qui vendaient le butin. De leur côté, les captifs ont concerté ensemble un stratagème, au moyen duquel l'esclave doit procurer l'é­vasion de son maître: ils changent entre eux de noms et d'habits; celui-là (montrant Tyndare) s'appellera Philo­ crate, et celui-ci, Tyndare (il montre Philocrate) : ils figurent l'un pour l'autre, et celui-ci saura en homme habile mener à fin le complot, et donner à son maître la liberté, du même coup, son propre frère sera sauvé, libre, rendu à sa patrie, à son père, tout cela par ha­ sard. Ici, comme en beaucoup d'autres rencontres, mieux fait le hasard que la sagesse des hommes. Ainsi, sans sa­voir la portée de leur artifice, ils ont comploté, ma­chiné ; voici leurs arrangements secrets : celui-ci demeure en servitude chez son père, ne se doutant pas que c'est son père dont il est devenu esclave. Chétive humanité ! ce que c'est que d'elle , quand j'y pense ! Telle est pour nous l'action, pour vous la comédie. Encore un mot, j'ai un avertissement à vous donner. Cette pièce n'est pas faite sur un sujet rebattu, comme toutes les autres, il n'y a point ici de ces vers qui sa­lissent l'esprit, et qu'on ne peut répéter, il n'y a ni marchand de filles imposteur, ni malicieuse courtisane, ni guerrier fanfaron ; ne craignez rien non plus, parce que je vous ai annoncé que les Étoliens étaient en guerre avec ceux d'Élide : on se battra loin d'ici, hors du théâ­tre. D'ailleurs, ce serait tenter au delà de nos moyens, que de vouloir, avec un équipage comique, jouer tout à coup la tragédie mais s'il y a quelque amateur de ba­taille, qu'il aille chercher dispute; et, pour peu qu'il rencontre un adversaire plus vigoureux que lui, il se trouvera, j'espère, à un combat qui le dégoûtera pour toujours de tout spectacle de ce genre. Je me retire ; adieu, très équitables juges dans la paix, valeureux guerriers dans les combats.

Acte I

Scène 1

ERGASILE, seul.

Les jeunes gens m'ont surnommé «  belle fille », parce que je suis toujours convive «  invocatus » (comme disent ceux du Latium ; vous diriez, «sans invitation ») ; les plaisants de profession prétendent, je le sais, que ce sur­nom ne signifie rien; moi, je dis qu'il est bien trouvé. Jugez-en : un amant, à table, lorsqu'il jette les dés, in­voque une belle fille; est-elle «  invocata », ou ne l'est-elle pas? Cela ne fait aucun doute. Et les parasites? Par Hercule ! Ils sont encore plus certainement « inv ocati », eux que personne n'invite ni n'invoque, et qui vivent, comme les rats, du bien d'autrui. Quand arrive la suspension des affaires et la saison des champs, il y a suspension d'af­faires aussi pour nos mâchoires. De même que, pendant les chaleurs, les limaçons languissent enfoncés dans leur coquille, et se nourrissent de leur propre substance, tant qu'il ne tombe point de rosée ainsi les pauvres pa­rasites, pendant la suspension des affaires, vivent dans leur coquille, tandis que les travaux champêtres retien­nent aux champs tout le monde, et ils se mangent eux-mêmes, n'ayant personne à dévorer. Durant cette morte saison, un parasite ressemble à un lévrier mais revien­nent les affaires, et le voilà dogue de forte race, lo­quace , vorace. Ici, il faut qu'un parasite sache endurer les soufflets, qu'il ait un front où se brisent les pots sans cela, par Hercule! Qu'il prenne la besace, et qu'il aille à la porte Trigémine. Je crains bien que ce ne soit là mon sort futur, depuis que mon roi est tombé au pouvoir des ennemis, dans la guerre que les Étoliens font à ceux d'Élide. Car nous sommes ici en Étolie, et les Éléens ont fait prisonnier chez eux Philopolème, fils du vieil Hégion qui habite en ce logis, logis lamentable à mes yeux, et que je ne puis regarder sans pleurer. Ce vieillard a entrepris, dans l'intérêt de son fils, un métier peu honorable et qui répugne tout à fait à son caractère, il achète des captifs, pour en trouver un qu'il échange contre son fils. Je vais le voir. Mais on ouvre cette porte d'où je sortis, hélas! tant de fois ivre de bonne chère.

Scène 2

HÉGION, LE CORRECTEUR, ERGASILE.

Captifs dans le fond du théâtre. Esclaves près de la maison.

HÉGION, au Correcteur.

Holà ! Ecoute. Ces deux captifs, que j'achetai hier aux questeurs dans la vente du butin, mets-leur des chaînes simples, ôte-leur ces fers trop pesants qui les attachent. Ils pourront aller et venir dans la maison, dehors, comme ils voudront, sans toutefois qu'on les perde de vue. L'homme libre captif est semblable à l'oiseau sauvage, que l'occasion de fuir s'offre seulement une fois, c'est assez, on ne peut plus le rattraper ensuite.

LE CORRECTEUR.

Par ma foi, tous les hommes préfèrent la liberté à la servitude.

HÉGION.

Cependant tu ne sembles pas être de ce sentiment là.

LE CORRECTEUR.

C'est que je n'ai pas de quoi payer. Si tu voulais me laisser payer avec mes jambes?

HEGION

Si tu me paies de la sorte, je sais comment te payer à mon tour.

LE CORRECTEUR.

Je ferai comme l'oiseau dont tu parles.

HEGION.

C'est cela même. Et moi, je te mettrai en cage. Mais trêve aux discours. Fais ce que je t'ai dit, et va-t'en.

ERGASILE, à part.

Puisse-t-il réussir! Car, s'il a perdu son fils sans re­tour, je suis moi-même un homme perdu. Les jeunes gens ne sont d'aucune ressource à présent, tous vrais égoïstes! Le mien seul avait conservé les mœurs de l'âge d'or. Jamais je ne lui déridai le visage sans être récom­pensé. Et son digne homme de père est bien digne d'un tel fils.

HÉGION.

Je vais aller chez mon frère, voir si mes autres captifs ont fait quelque désordre cette nuit. Je reviendrai tout de suite.

ERGASILE.

Il me fait peine. Lui, réduit à exercer le métier de geôlier, par le malheur de son fils ; malheureux vieillard ! Mais il faut à tout prix qu'il le ramène ici, dût-il faire le métier de bourreau.

HEGION.

Qui est-ce qui parle là ?

ERGASILE, d'un air piteux.

Moi, qui me consume de ton chagrin; moi, qui me sens maigrir, languir, dépérir misérablement. Je n'ai plus que la peau et les os, tant je suis maigre, hélas! Rien ne me profite quand je mange chez moi ; mais la moindre lippée chez les autres me fait tant de bien !

HEGION

Bonjour, Ergasile.

ERGASILE, sanglotant.

Le ciel te conserve, Hégion.

HÉGION.

Ne pleure pas.

ERGASILE.

Moi, ne pas le pleurer! ne pas le pleurer à chaudes larmes, moi ! Un si bon jeune homme !

HÉGION.

J'ai bien pensé toujours que tu aimais mon fils comme il t'aimait.

ERGASILE.

On ne connaît le prix de ce qu'on possédait, que quand on en est privé, je l'éprouve aujourd'hui. Depuis que ton fils est tombé entre les mains de l'ennemi, j'ai pu voir tout ce qu'il valait. Quel regret !

HÉGION.

Puisqu'un étranger prend ton départ à ses maux, que doit éprouver un père qui l'aimait unique­ment?

ERGASILE.

Moi, étranger à lui ? Lui, étranger à moi? Ne dis pas cela, Hégion, garde-toi de le croire. Tu l'aimais unique­ment, et moi je l'aimais plus uniquement que tout ce qu'il y a de plus unique au monde.

HÉGION.

C'est très bien à toi, de faire du malheur d'un ami ton propre malheur. Mais prends courage.

ERGASILE.

Hélas! quelle douleur pour moi, de voir mettre hors de service une si bonne armée mâchelière !

HÉGION.

Est-ce que tu ne trouves personne qui la veuille remettre en activité?

ERGASILE.

Y penses-tu? C'est un commandement auquel tout le monde se dérobe, depuis la captivité de ton fils, qui l'avait reçu en partage.

HÉGION.

Par Pollux! Il n'est pas étonnant qu'on refuse un commandement pareil, il te faut beaucoup de soldats, et de plus d'une contrée. D'abord il en faut de Boulangerium, qui se divisent en deux corps, les Paniens et les Patissiens, il en faut encore de Grivium et d'Ortolanie et puis toute la troupe maritime.

ERGASILE.

Comme souvent les plus grands génies languissent dans l'obscurité! Voyez-moi, quel général privé main­tenant d'emploi!

HÉGION.

Console-toi. Je compte bien ravoir mon fils ces jours-ci. Voici un prisonnier d'Élide, un jeune homme de grande naissance et très riche, nous ferons, j'espère, un échange.

ERGASILE.

Que les dieux et les déesses t'entendent !

HÉGION.

As-tu quelque invitation?

ERGASILE.

Aucune que je sache. Pourquoi cette question?

HÉGION.

Aujourd'hui est mon jour natal, je veux t'inviter.

ERGASILE.

C'est trop aimable.

HÉGION.

Il faut te contenter de peu. Pourvu que ce ne soit pas trop peu car c'est ma vie ordinaire, je n'ai pas d'autre régal chez moi.

HÉGION.

Est-ce une affaire arrangée ?

ERGASILE.

Oui, marché conclu, avec réserve de pouvoir accep­ter d'autres offres s'il en vient qui, de l'avis de mes amis, soient préférables. C'est comme si je vendais un bien-fonds, je fais les conditions du traité.

HÉGIO N.

Ce n'est pas un bien-fonds que tu vends, c'est un gouffre sans fond. Si tu viens, ne te fais pas attendre.

ERGASILE.

Me voici tout prêt.

HÉGION.

Va toujours. Tâche de lever un lièvre, tu ne tiens qu'un hérisson. Mon régime suit une route pierreuse.

ERGASILE.

Ne cherche pas à m'effrayer, Hégion, c'est peine perdue. Je viendrai avec des dents bien chaussées.

HÉGION.

Apre et dure est ma vie.

ERGASILE.

Est-ce que tu manges des ronces?

HÉGION.

La terre fait les frais de mes repas.

ERGASILE.

La terre porte des sangliers.

ERGASILE.

Garde-les pour les malades que tu as chez toi. Je puis me retirer?

HÉGION.

Ne viens pas trop tard.

ERGASILE.

C'est avertir un homme avisé, (il sort)

HÉGION, seul.

Rentrons; il faut que je compte un peu l'argent qui me reste chez le banquier, la somme n'est pas forte. J'irai ensuite chez mon frère, comme je l'avais dit. (il sort.).

Acte II

Scène 1

LE CORRECTEUR, PHILOCRATE, TYNDARE.

autres esclaves d'HÉGION.

LE CORRECTEUR.

Puisqu'il a plu aux dieux immortels de vous faire éprouver cette misère, prenez votre mal en patience, il le faut, c'est le moyen de le rendre supportable. Vous étiez libres, je crois, dans votre pays. A présent, la ser­vitude vous échoit, vous devez vous y soumettre, et en­gager le maître, par votre obéissance, à vous commander doucement : quoi qu'un maître fasse, il a toujours raison, eût-il tort.

PHILOCRATE, pleurant.

Hi! hi! hi!

LE CORRECTEUR.

Il ne s'agit pas de se lamenter. C'est autant de mal pour tes yeux, ajouté au reste. Dans le malheur il faut avoir bon cœur, cela soulage.

PHILOCRATE.

Quelle honte pour nous d'être à la chaîne !

LE CORRECTEUR.

Mais quel regret peut-être aussi pour notre maître, s'il vous délivrait de vos liens ! Vous lui coûtez trop d'argent, pour qu'il vous laisse sur votre parole.

PHILOCRATE.

Que peut-il craindre ? Nous savons notre devoir, s'il s'en fiait à nous.

LE CORRECTEUR.

Oui, vous voulez fuir. Je devine votre dessein,

PHILOCRATE.

Nous, fuir ! Où ?

LE CORRECTEUR.

Dans votre pays.

PHILOCRATE.

Fi ! Q uelle indignité ! Nous imiterions des esclaves fugitifs !

LE CORRECTEUR.

Pourquoi pas ? Si l'occasion se présente, je ne vous conseille pas de la négliger.

PHILOCRATE.

Accordez-nous seulement une grâce.

LE CORRECTEUR.

Laquelle?

PHILOCRATE.

De pouvoir nous parler sans être entendus ni d'eux ( montrant les captifs au fond du théâtre), ni de vous autres (il désigne le Correcteur et ses compagnons).

LE CORRECTEUR.

Soit. ( Aux captifs) Éloignez-vous, ( Aux esclaves) et nous, retirons-nous de ce côté. (A Philocrate) Mais pas de longs discours.

PHILOCRATE.

C'est bien notre intention. ( A Tyndare) Viens par ici.

LE CORRECTEUR, aux esclaves.

Éloignez-vous d'eux.

TYNDARE, aux mêmes.

Nous vous sommes obligés de cette complaisance.

PHILOCRATE, à Tyndare.

Viens ici, un peu à l'écart, si tu veux bien. Il faut que nos paroles n'arrivent point à leurs oreilles, et que rien ne transpire de notre stratagème. La ruse n'est plus ruse, si on ne la conduit finement; c'est un piège où l'on périt, dès qu'il est éventé. Si nous feignons d'être, toi mon maître et moi ton esclave, ce n'est pas tout, soyons attentifs, prudents, de la présence d'esprit, point d'indis­crétion , et menons l'intrigue comme il faut, en hommes de tête et de cœur. L'entreprise est difficile, elle veut qu'on ne s'endorme pas.

TYNDARE.

Tu seras content de moi.

PHILOCRATE.

Je l'espère.

TYNDARE.

Tu vois que pour sauver ta chère personne j'expose ma personne qui m'est chère aussi, et que j'en fais bon marché.

PHILOCRATE.

Je le vois.

TYNDARE.

Si tu le vois, souviens-t'en, quand tu auras ce que tu désires. La plupart des hommes sont ainsi faits : tant qu'ils veulent obtenir, ils sont excellents, une fois leurs souhaits accomplis, leur vertu se change en perfidie, en déloyauté. Mais quant à toi, je n'élève aucun doute sur tes sentiments. Si j'avais à te donner des avis, je ne t'en donnerais pas autrement qu'à mon père.

PHILOCRATE.

C'est toi, par Pollux, que j'appellerais mon père, si je l'osais. Car, après mon père, tu es mon père le plus proche.

TYNDARE.

Je suis prêt à t'obéir.

PHILOCRATE.

Aussi je ne saurais trop te le répéter, pour que tu t'en souviennes bien puisque telle a été la volonté des dieux, que je devinsse, au lieu de ton maître, ton compagnon d'esclavage, je ne te commande plus, je n'en ai pas le droit mais je te prie, je te conjure, par l'incertitude du sort, par les bontés de mon père envers toi, par notre commune servitude, où nous a réduits le bras de l'ennemi, n'aie pour moi d'attentions et d'égards au­jourd'hui ni plus ni moins que je n'en eus pour toi quand tu étais à mon service. Souviens-toi bien, souviens-toi de ce que tu étais, de ce que tu es maintenant.

TYNDARE.

Je sais que je suis toi, et que tu es moi.

PHILOCRATE.

C'est cela, si tu peux te le remémorier bien en ta mé­moire, j'ai bon espoir en notre adresse.

Scène 2

HÉGION sortant de chez lui, PHILOCRATE, TYNDARE, ESCLAVES.

HÉGION, à quelqu'un dans la maison

Je vais revenir, quand j'aurai appris d'eux ce que je veux savoir. ( Aux esclaves). Où sont les captifs que j'a­vais dit d'amener ici devant la maison ?

PHILOCRATE.

ParPollux! Tu as pris tes précautions pour n'avoir pas la peine de nous chercher, à ce que je puis voir, avec les chaînes et les gardiens dont tu nous entoures.

HÉGION.

On a beau veiller pour n'être pas pris en défaut, la vigilance n'est pas encore assez éveillée et le plus vigi­ lant, qui croit avoir veillé à tout, est dupé lui-même. N'ai-je pas de bonnes raisons pour vous garder avec soin, quand j'ai donné pour vous tant d'argent comp­ tant ?

PHILOCRATE.

Assurément et nous ne devons pas plus nous plaindre de toi, si tu nous fais bien garder, que t oi de nous, si nous prenons la fuite, vienne l'occasion.

HÉGION.

Vous êtes gardés ici, comme mon fils est gardé chez vous.

PHILOCRATE.

Il est prisonnier ?

HÉGION.

Oui.

PHILOCRATE.

Nous n'avons donc pas été seuls sans courage :

HÉGION, à Philocrate.

Approche, je veux l'interroger à part. Mais point de fausseté.

PHILOCRATE.

Je te le promets pour ce que je saurai. Si j'ignore quelque chose, je t'avouerai mon ignorance.

TYNDARE, à part.

Voici le barbier qui tient le vieillard. Il a pris son ra­soir, et il ne jette pas même un linge sur les épaules du pauvre homme, de peur des taches. Va-t-il le raser net ou à travers le peigne? Je ne sais pas encore; mais pour peu qu'il s'y entende, il l'écorchera de la belle façon.

HÉGION.

Ah ça, lequel aimes-tu mieux, être esclave ou libre? Dis-moi.

PHILOCRATE.

Le plus loin du mal et le plus près du bien, c'est ce que je préfère, quoique, à dire vrai, je n'aie pas eu un service bien rude, on me traitait comme un fils de la fa­mille.

TYNDARE, à part.

A merveille! Je ne donnerais pas un talent de Thalès. La sagesse du Milésien n'était que faribole, au prix de la sienne. Comme il accommode avec esprit son langage à son état d'esclave !

HÉGION.

De quelle famille est Philocrate?

PHILOCRATE.

De la famille des Polyplusiens, la plus puissante et la plus distinguée du pays, sans comparaison.

HÉGION.

En quelle estime est-il lui-même ?

PHILOCRATE.

En la plus haute, et parmi les plus hauts personnages.

HÉGION.

Avec cette grande considération dont tu dis qu'il jouit chez ceux d'Élide, a-t-il une fortune bien grasse?

PHILOCRATE.

Si bien que le vieillard en peut tirer du suif.

HEGION.

Comment? Son père vit encore?

PHILOCRATE.

Lors de notre départ, nous le laissâmes vivant, s'il vit à présent, ou s'il a vécu, c'est Pluton qui doit le savoir.

TYNDARE, à part.

Notre affaire est sûre. Le voilà qui philosophe, il n'est pas menteur simplement.

HÉGION.

Son nom ?

PHILOCRATE,

Thesaurochrysonicochrysidès.

HÉGlON.

Apparemment, on lui a donné ce nom à cause de sa richesse.

PHILOCRATE.

Dis plutôt à cause de son avarice sans pudeur. [Théodoromède est son nom véritable.

HEGION.

Comment! Il est donc serré?

PHILOCRATE.

Par Pollux ! Serré et resserré. Pour que tu saches quel homme c'est, quand il fait une offrande à son Génie, il ne se sert, pour le sacrifice, que de vaisselle samienne, de peur que son Génie ne le vole. Juge de la confiance qu'il a dans les autres.

HÉGION, le conduisant auprès de Tyndare.

Suis-moi. Je veux faire aussi quelques questions à Philocrate. (A Tyndare) Philocrate, c'est un honnête garçon. Je suis content de lui. Il m'a dit quelle est ta naissance, et n'a point dissimulé. Si tu veux être sincère de même, tu t'en trouveras bien. Tiens-toi pour averti seulement que je suis instruit déjà par lui.

TYNDARE.

Il a fait son devoir en te disant la vérité, quoique je tinsse beaucoup à cacher mon rang, ma naissance, ma fortune. Puisque j'ai tout perdu, patrie et liberté, c'est toi, Hégion, qu'il doit craindre plutôt que moi; le fer de l'ennemi a rendu ma condition égale à la sienne. Il fut un temps, je le sais, où il me ménageait dans ses paroles, maintenant, ses actions mêmes peuvent être sans ména­gement. Mais, songes-y, la fortune dispose des hommes, et les afflige à son gré. J'étais libre, je suis esclave, dé­chu du premier rang à la dernière bassesse, j'ordonnais, j'obéis aux ordres d'un autre. Mais si je trouve un maî­tre tel que je fus moi-même à l'égard de mes gens, je n'aurai pas à craindre d'injustice ni de commandement trop dur. Hégion, j'ai voulu te donner cet avis, si tu le permets.

HÉGION.

Parle sans crainte.

TYNDARE.

Je fus libre, aussi bien que ton fils. L'ennemi m'a ravi, comme à lui, la liberté. Il sert chez nous, comme je sers aujourd'hui chez toi. Il y a un dieu, qui voit et entend toutes nos actions, selon que tu me traiteras ici, ce dieu veillera sur lui dans l'Élide. Le bienfait aura sa ré­compense, et le mal suivra le mal. Autant tu regrettes ton fils, autant mon père me regrette.

HÉGION.

Je sais tout cela. Mais tes aveux confirment-ils les siens (montrant Philocrate) ?

TYNDARE.

Oui, mon père a de très grandes richesses, et je suis d'une haute naissance. Mais je t'en conjure, Hégion, que ma fortune n'excite pas ta cupidité. Mon père, quoi­que je sois son fils unique, aimerait mieux me laisser servir chez toi, vêtu, nourri à tes dépens, que de me voir, dans mon pays, où la honte serait trop grande, ré­duit à la mendicité.

HÉGION.

Par la vertu des dieux et de mes ancêtres, j'ai assez de fortune. Je ne pense pas que tout gain soit toujours profitable. Bien des hommes, je le sais, avec une bonne affaire ont rendu leurs affaires brillantes. Il y a aussi des occasions où il vaut mieux perdre que gagner. Je hais l'or, il n'a donné que trop souvent des conseils pervers. Prête-moi donc attention, tu vas connaître, comme moi, ma pensée. Mon fils est prisonnier, esclave en Élide, rends-le-moi, et je ne te demande pas une drachme de surplus pour te mettre en liberté avec lui aussi ( mon­trant Philocrate) sinon, tu resteras.

TYNDARE.

Il n'y a rien que de très bon et de très juste dans cette proposition. Tu es un excellent homme. Mais à qui ap­partient-il? A un particulier ou à l'état?

HÉGION.

A un particulier, au médecin Ménarque.

PHILOCRATE.

Par Pollux ! Ménarque est justement son client (mon­trant Tyndare). La chose te devient aussi facile, qu'il l'est à l'eau de tomber pendant la pluie.

HÉGION.

Fais-moi racheter mon fils.

TYNDARE.

Sois-en sûr. Mais je te demande une chose, Hégion.

HÉGION.

Tout ce que tu voudras, pourvu que ce ne soit pas contre mon intérêt.

TYNDARE.

Écoute, tu vas le savoir. Je ne prétends pas que tu me relâches avant que ton fils soit de retour mais veuille mettre Tyndare à ma disposition en fixant son prix, je l'enverrai dire à mon père de racheter ton fils.

HEGION.

Non, quand il y aura une trêve, j'enverrai plutôt un autre chez ton père, pour faire ta commission.

TYNDARE.

Si tu lui envoies un autre, c'est comme si tu ne faisais rien. C'est lui qu'il faut envoyer (montrant Philocrate). Il ne sera pas plus tôt arrivé, que l'affaire sera conclue. Tu ne peux adresser à mon père un messager plus fidèle, et qui lui inspire plus de confiance. C'est son esclave de prédilection. Il n'y a personne entre les mains de qui il remette ton fils plus hardiment. Ne crains rien; c'est à mes risques et périls que j'éprouverai sa fidélité (montrant Tyndare). Je compte sur sa probité, parce qu'il connaît mes sentiments pour lui.

HÉGION.

Eh bien, nous fixerons son prix, et je l'enverrai sous ta caution.

TYNDARE.

J'accepte. Venons-en le plus tôt possible à l'exécu­tion.

HÉGION.

Est-il convenu que, s'il ne revient pas, tu me donne­ras vingt mines de dédommagement?

TYNDARE.

Convenu et arrêté.

HÉGION, montrant Philocrate aux esclaves.

Otez-lui ses liens, délivrez-les tous les deux.

TYNDARE.

Que les dieux comblent tous tes souhaits, pour te ré­compenser d'en agir si honorablement avec moi, et de me délivrer de mes liens. Je ne suis pas fâché de me sentir le cou débarrassé de ce collier.

HÉGION.

Quand on fait du bien aux bons, le bienfait est fécond pour le bienfaiteur. Maintenant, si tu es décidé, explique- lui ce que tu veux qu'il dise à ton père, donne-lui tes avis, tes instructions. Veux-tu que je le fasse venir au­ près de toi ?

TTNDARE.

Oui.

HÉGION (1).

Puisse la chose tourner à bien pour moi, pour mon fils et pour vous, ton maître nouveau t'ordonne d'exé­cuter les ordres de ton ancien maître avec exactitude. Je viens de te remettre à la disposition de Philocrate, moyennant une estimation de vingt mines. Il veut que t u ailles dire à son père de racheter mon fils, pour que nous puissions faire un échange ensemble.

PHILOCRATE.

D'un et d'autre côté, je suis également bien disposé, envers toi, envers lui. Vous pouvez vous servir de moi comme d'une roue, je suis prêt à rouler par ici, par là. Commandez.

HÉGION.

Avec cette disposition, tu entends comme il faut tes intérêts, en te montrant bon serviteur. Suis-moi. (A Tyndare, auquel il amène Philocrate) Tiens, parle-lui.

TTNDA RE.

Je te remercie, Hégion, de me donner si loyalement la facilité de l'envoyer à mon père, pour qu'il lui dise comment je suis ici, et ce que je désire, enfin , qu'il lui explique toute la chose de point en point. Maintenant, Tyndare, voici ce qui est convenu entre Hégion et moi : je t'envoie en Élide à mon père, et tu es estimé vingt mines , que je paierai pour toi, si tu ne reviens pas.

(1) Ici les grammairiens ont coupé une nouvelle scène à tort.

PHILOCRATE.

Cet arrangement me paraît sage car ton père attend ou moi ou quelque autre envoyé de ta part.

TYNDARE.

Écoute donc attentivement ce que je veux que tu lui dises.

PHILOCRATE.

Philocrate, tu me trouveras tel aujourd'hui, que je fus en tout temps, faisant de tes intérêts mon intérêt le plus cher, et empressé à te servir autant que j'aurai de force et d'intelligence.

TYNDARE.

C'est agir comme il faut. Prête-moi donc attention maintenant. D'abord tu salueras de ma part mon père, ma mère, mes proches et tous mes amis que tu verras. Dis-leur que je me porte bien, que je suis en servitude ici chez cet excellent homme, qui a eu pour moi et ne cesse d'avoir toutes sortes d'égards et de bons procédés.

PHILOCRATE.

Recommandation superflue, je n'en ai pas besoin pour avoir la mémoire mémorative.

TYNDARE.

Et qu'excepté que j'ai un surveillant, il me semble que je suis libre. Dis à mon père les conventions qu'Hégion a faites avec moi au sujet de son fils.

PHILOCRATE.

Je sais tout cela, tes explications ne font que me re­tarder.

TYNDARE.

Qu'il le rachète, et le renvoie ici en échange de nous deux.

PHILOCRAT E.

Je n'y manquerai pas.

HÉGION.

Mais qu'il se hâte le plus possible, nous y sommes intéressés de part et d'autre.

PHILOCRATE.

Tu n'es pas plus impatient de revoir ton fils que lui le sien.

HÉGION.

Mon fils m'est cher, chacun aime ses enfants.

PHIlOCRATE, à Tyndare.

Tu n'as plus rien à mander à ton père?

TYNDARE.

Sinon que je me porte bien. Tu peux aussi lui assurer, Tyndare, qu'il n'y a point eu entre nous le moindre discord, que je t'ai trouvé sans reproche, comme tu m'as trouvé favorable, que, malgré mon malheur, tu n'as pas cessé de m'être obéissant et dévoué, que ta foi et ton zèle ne se sont pas démentis dans mes périls et dans mon infortune. Quand mon père connaîtra ta conduite, Tyndare, et tes sentiments envers lui et son fils, il ne sera point assez avare pour ne pas te témoigner sa recon­naissance par le don de la liberté et, une fois que je serai de retour, je saurai l'y faire consentir sans peine. Car je devrai à tes soins, à ton honnêteté, à ta vertu, à ta pru­dence, de revoir mes parents. C'est toi, en effet, qui as avoué à Hégion ma naissance et ma fortune, et qui, par cet aveu, auras délivré ton maître. Ce sera ton ouvrage.

PHILOCRATE.

Tu dis vrai, j'ai fait tout cela, et je te remercie de t'en souvenir. Tu avais mérité que je me comportasse de la sorte envers toi. Car, à mon tour, Philocrate, si je voulais rappeler tout le bien que tu m'as fait, le jour n'y suffirait pas. Tu aurais été mon esclave que tu n'aurais pas eu plus de complaisance pour moi.

HÉGION.

O dieux immortels! Les nobles âmes! J'en ai les lar­mes aux yeux. Comme ils s'aiment de cœur ! Quel éloge l'esclave fait de son maître !

PHILOCRATE.

ParPollux! Quelques louanges qu'il me donne, il en mérite lui-même cent fois davantage et plus encore.

HÉGION, à Philocrate.

Après avoir si bien servi, voici l'occasion de couron­ner tous tes services par une preuve de fidélité.

PHILOCRATE.

Je ne puis mieux lui témoigner ma bonne volonté que par mes actions, et par mes efforts pour réussir. Afin que tu le saches, Hégion, je prends à témoin le grand Ju­piter, que je n'abandonnerai pas Philocrate.

HÉGION.

Tu es un honnête garçon.

PHILOCRATE.

Et que j'agirai toujours pour lui, comme pour moi-même.

TTNDARE.

Que les actions et les effets répondent aux paroles ! Je n'ai pas encore dit tout ce que je désire de toi, écoute-moi donc, et ne sois pas fâché de ce que je vais dire. Songe bien, je t'en prie, que je réponds de toi pour le prix convenu, et que ma vie est ici en gage pour toi. Ne va pas faire comme si tu ne me connaissais pas, une fois que tu seras loin, et que tu ne me verras plus. Je reste ici esclave, en servitude, pour te représenter, ne t'avise pas de te croire libre, et d'abandonner ta caution, sans t'occuper du soin de ramener le fils d'Hégion à ma place. Sou­viens-toi qu'il y a vingt mines à payer si tu ne reviens pas. Sois fidèle, vraiment fidèle, et que ta foi n'aille pas s'évanouir. Mon père, j'en suis sûr, fera ce qu'il doit faire, tout ce qu'il doit. Et toi, conserve mon ami­tié, qui sera éternelle, acquiers la sienne ( montrant Hégion), qui t'est offerte. Par ta main que je serre dans ma main, je t'en conjure, ne me sois pas plus in­fidèle que je ne le suis pour toi. Songes-y bien, tu es maintenant mon maître, tu es mon patron, tu es mon père, c'est à toi que je recommande mes espérances et mon sort.

PHILOCRATE.

Je suis suffisamment instruit. Seras-tu satisfait, si je remplis parfaitement tes instructions ?

TYNDARE.

Oui.

PHILOCRATE.

Je reviendrai pourvu selon ton gré, ( A Hégion) et selon le tien. Vous n'avez plus rien à réordonner ?

TYNDARE.

Sinon que tu hâtes le plus possible ton retour.

PHILOCRATE

Cela va sans dire.

HÉGION.

Suis-moi chez le banquier, que je te donne de l'argent pour ta route. Je prendrai en même temps un billet chez le préteur.

TYNDARE.

Quel billet ?

HEGION.

Un billet qu'il devra présenter aux gens de l'armée, pour qu'on le laisse aller en Élide. Toi, rentre.

TYNDARE, à Philocrate.

Bon voyage !

PHILOCRATE.

Bonne santé !

HÉGION, à part.

Par Pollux ! J'ai assuré ma fortune, en achetant ces captifs aux questeurs dans la vente du butin, j'ai délivré mon fils de la servitude, s'il plaît aux dieux. Et cependant, combien ai-je hésité, si je les achète­rais, si je ne les achèterais pas! Gardez-le à la mai­son, esclaves, songez-y bien, qu'il ne mette pas le pied dehors sans être accompagné. Je serai de retour dans un moment. Je visiterai mes autres captifs chez mon frère, et je m'informerai s'il n'y en a pas qui connaisse ce jeune homme. ( A Philocrate) Suis-moi, que je te mette en route, c'est mon affaire la plus pressée, (ils sortent.)

Acte III

Scène 1

ERGASILE, seul.

Malheureux est le mortel qui cherche sa vie et la trouve à grand'peine! Plus malheureux, celui qui se donne de la peine sans rien trouver ! Malheureux sans égal celui qui a faim et n'a pas de quoi manger! La mau­dite journée! Que j'aurais plaisir à lui arracher les yeux, si je pouvais! C'est elle qui met l'avarice dans le cœur de tous ceux à qui je m'adresse. Non, je n'en vis jamais de plus famélique, de plus soûlée de jeune, de plus malen­contreuse en toutes ses recherches. Mon ventre et mes mâchoires aujourd'hui chôment la fête de la famine. Peste soit du métier de parasite! Je lui dis adieu. La jeunesse aujourd'hui relègue loin d'elle les plaisants, qui meurent de misère. On ne fait plus le moindre cas des Spartiates du bas bout de la table, ces intrépides souffrent­ gourmades, riches en bons mois, mais n'ayant rien dans le garde-manger et dans l'escarcelle. Qui invite-t-on à présent? C elui qui, après s'être régalé de bon cœur chez les autres, peut les traiter à son tour. On fait soi-même ses emplettes au marché, fonction dévolue jadis aux parasites. On va soi-même du Forum chez le prostitueur, la tête haute, le front découvert, comme on se rend à l'assemblée du peuple pour juger les criminels. On ne fait pas plus d'état d'un bouffon que d'une obole. Ce sont tous des égoïstes. Tout à l'heure, en sortant d'ici, j'accostai des jeunes gens au Forum : « Eh bien, chez qui dînons-nous au­ jourd'hui? » Pas un mot. « Qui est-ce qui répond : Chez moi? Qui se présente?» Il s restent silencieux comme des muets, et gardent leur sérieux. « Chez qui soupons- nous? » Ils me font nenni; alors je décoche un lazzi, un de mes plus risibles, qui me valait autrefois un mois de bonnes lippées, personne ne rit. Plus de doute, c'est un complot. Pas un ne veut seulement imiter un chien en colère, et, sinon me faire un rire d'approbation, montrer les dents du moins. Je les laisse là, quand je vois qu'ils se moquent ainsi de moi, je m'adresse à d'autres, et en­ suite à d'autres, puis encore à d'autres. C'est tout un; ils se sont donné le mot, comme les marchands d'huile au Vélabre. J'ai quitte la place, cela m'ennuie d'être joué de la sorte. Il y avait aussi d'autres parasites qui se pro­ menaient et se morfondaient dans le Forum. Je suis bien décidé à demander justice, conformément à la loi bar­bare. Un complot ayant été formé pour nous ôter les vivres et la vie, j'intente procès aux coupables, je ré­ clame une amende, dix soupers à ma discrétion, vu la cherté des denrées. C'est cela. Maintenant je vais au port, là est la seule espérance de mon estomac pour ce soir, si elle fuit, je reviendrai chez le vieillard souper à la dure, (il sort.)

Scène 2

HEGION, ARISTOPHONTE.

HÉGION.

Qu'y a-t-il de plus doux, que de trouver son profit joint au bien public? C'est ce qui m'est arrivé hier, quand j'ai acheté ces prisonniers à la vente du butin. Tous ceux qui me rencontrent s'empressent de venir à moi pour me féliciter, c'est à qui m'arrêtera, à qui causera. Quel ennui! Je n'en puis plus, j'ai peine à me tirer de ce déluge de félicitations, et j'arrive enfin chez le préteur, peu s'en faut qu'ils ne m'y poursuivent. Je demande le passeport, on me le délivre, je le donne sur-le-champ à Tyndare, et le voilà parti pour l'Élide. Cette affaire terminée, je reviens en hâte chez nous, et je passe chez mon frère, où j'ai d'autres captifs. «Y a-t-il quelqu'un parmi vous, leur dis-je 7 qui connaisse Philocrate d'Élide ? » Celui-ci ( montrant Aristophonte) s'écrie que Philocrate est son ami intime. Je lui apprends alors que Philocrate est chez moi. Aussitôt il me prie en grâce de lui permettre de venir voir son ami, j'y consens, et l'on détache ses liens. —Suis-moi dans cette maison, je vais satisfaire ton envie, et te conduire auprès de lui.

(Ils sortent.)

Scène 3

TYNDARE.

C'est fini, mon heure est venue. Mieux vaudrait pour moi n'être plus que d'être encore. Tout espoir, toute ressource, tout secours me fuit et m'abandonne. Il n'y a plus de salut à espérer pour ma pauvre vie, aucun moyen d'esquiver l'estrapade, aucune espérance qui tienne contre cette crainte. De quel voile envelopper mes rusés mensonges? De quel manteau couvrir mes in­trigues et mes fourberies? Il n'y a point d'intercession pour mes impostures, point d'évasion pour mes méfaits, mon audace est sans refuge, mes tromperies sans asile. Tout le mystère est découvert. On connaît mes tours. Il n'y a plus rien de caché, et je ne vois pas d'expédient qui puisse m'empêcher de mourir d'une mort misérable, en payant pour mon maître et pour moi. C'est Aristophonte qui m'a perdu en venant ici tout à l'heure, il me connaît, il est ami et parent de Philocrate. La déesse Salus elle-même, avec la meilleure volonté, ne me sau­verait pas. A moins que je ne machine dans ma tête quelque stratagème. Eh! Par toutes les croix! Quel stratagème? Qu'inventer? Je me démène comme un sot en pure perte. Je suis pris.

Scène 4

HEGIO N, TYNDARE, ARISTOPHONTE.

HÉGION.

Où est-il allé en se précipitant hors de la maison?

TYNDARE.

Ah ! Je suis mort ! L'ennemi s'approche, Tyndare. Que dire? Qu'alléguer? Que nier? Qu'avouer? En vérité, je ne sais que faire. J'augure mal de ma destinée. Pour­quoi les dieux ne t'enlevèrent-ils pas de ce monde, avant que tu fusses enlevé à ta patrie, Aristophonte, toi qui déconcertes un plan si bien concerté! Tout est perdu pour moi, si je n'imagine quelque stratagème intrépide.

HEGION, à Aristophonte.

Suis-moi. Tiens, le voici, va lui parler.

TYNDARE, tournant le dos à Aristophonte.

Y a-t-il un mortel plus misérable que moi ?

ARISTOPHONTE.

Qu'est-ce que tu as donc, Tyndare? Et pourquoi af­fectes-tu de fuir mes regards? Pourquoi te tenir loin de moi, comme si tu ne me connaissais pas, comme si tu ne m'avais jamais vu? Je suis esclave, aussi bien que toi quoique nous ayons vécu, moi libre dans mes foyers, et toi en esclavage dans l'Élide depuis ton enfance.

HÉGION.

Par Pollux! je ne m'étonne pas qu'il fuie ton approche et tes regards, et qu'il te témoigne de l'aversion, quand tu l'appelles Tyndare au lieu de Philocrate.

TYNDARE.

Hégion, cet homme a toujours été connu en Élide pour un fou furieux. Garde-toi bien de prêter l'oreille à ses discours. Il lui est arrivé de poursuivre son père et sa mère avec une pique à la main. Il est encore sujet au mal pour lequel il faut cracher sur le patient. Je te con­seille de ne pas trop t'approcher.

HÉGION.

Qu'on l'éloigne !

ARISTOPHONTE.

Comment, maraud ! Je suis un furieux ? J'ai poursuivi mon père et ma mère une pique à la main ? Je suis atteint d'un mal pour lequel il faut cracher sur moi?

HÉGION.

Que cela ne te fâche pas, beaucoup de gens sont affli­gés de ce mal, et, en crachant sur eux, on leur a pro­curé un remède salutaire.

ARISTOPHONTE.

Et toi, tu donnes crédit à ce fripon ?

HÉGION.

Moi, crédit à lui ?

ARISTOPHONTE.

Puisque tu me crois insensé!

TYNDARE, à Hégion.

Vois-tu quels regards menaçants il nous lance? Il est prudent de s'écarter. Hégion, tu vois que je ne t'ai pas trompé, la rage le transporte. Prends garde à toi.

HÉGION.

Je me suis aperçu tout de suite qu'il n'avait pas sa rai­son, lorsqu'il t'a nommé Tyndare.

TYNDARE.

Bah ! Il oublie quelquefois son propre nom, et ne se connaît pas lui-même.

HÉGION.

Et il disait que vous étiez amis.

TYNDARE.

Oui, je n'en vis jamais un pareil. Alcméon, et Oreste, et Lycurgue aussi sont mes amis comme lui.

ARISTOPHONTE.

Oui-dà, pendard, tu m'insultes! Non, je ne te con­nais pas?

HÉGION.

C'est évident [puisque tu l'appelles Tyndare au lieu de Philocrate]. Tu méconnais qui tu vois, tu nommes qui tu ne vois pas.

ARISTOPHONTE, à Hégion.

C'est lui au contraire qui renie ce qu'il est, et dit être ce qu'il n'est pas.

TYNDARE.

C'est bien toi, en effet, qui l'emporteras sur Philo­crate en langage véridique!

ARISTOPHONTE.

Et c'est toi, ma foi, à ce que je puis voir, qui triom­pheras de la vérité par ta menterie ! Mais, voyons, par Hercule ! Regarde-moi en face.


TYNDARE, le regardant.

Après.

ARISTOPHONTE.

Dis maintenant, oses-tu nier que t u sois Tyndare? Oses-tu soutenir que tu es Philocrate?

TYNDARE.

Oui, moi-même.

ARISTOPHONTE, à Hégion.

Et tu l'en crois ?

HÉGION.

Plus qu'à toi ou à moi. Car celui que tu prétends voir en lui ( montrant Tyndare), est parti aujourd'hui pour l'Élide, et va chez le père de celui-ci.

ARISTOPHONTE.

Son père, à lui qui est esclave?

TYNDARE,

Et toi aussi, tu es esclave, et tu fus libre, comme j'espère l'être à mon tour, si je rends le fils de ce vieillard à la liberté.

ARISTOPHONTE.

Ah ça, pendard, tu dis que tu es né libre ?

TYNDARE.

Libre, moi, je ne dis pas mais Philocrate, assurément.

ARISTOPHONTE.

Qu'est-ce à dire? Comme le scélérat se joue de toi, Hégion! Car il est bien véritablement esclave, et jamais esclave ne le servit que lui-même.

TYNDARE.

Parce que, dans ton pays, tu es pauvre et n'as pas chez toi de quoi vivre, tu voudrais que tout le monde te ressemblât. C'est tout simple ; les indigents sont toujours ennemis et envieux des riches.

ARISTOPHONTE.

Prends garde, Hégion, de persister à l'en croire trop facilement car, à ce que j'entrevois, il a sans doute fait déjà quelque exploit de sa façon. Il se vante de racheter ton fils, cela me paraît suspect.

TYNDARE.

Oui, cela te fâche et cependant je tiendrai ma pro­messe, les dieux me soient en aide ! Je lui rendrai son fils, et lui me renverra en Élide à mon père. C'est pour cela que j'ai envoyé chez nous Tyndare.

ARISTOPHONTE.

Et c'est toi qui es Tyndare et il n'y a pas d'autre esclave que toi de ce nom en Élide.

TYNDARE.

Pourquoi me reprocher toujours cette servitude où m'a réduit le sort des armes ?

ARISTOPHONTE.

Ah! Je n'y tiens plus.

TYNDARE, à Hégion.

Hein? Tu l'entends? Fuis. Il va nous jeter des pierres si tu ne le fais saisir.

ARISTOPHONTE.

Je suis au supplice.

TYNDARE.

Il a l'œil en feu, demande des cordes, Hégion. Vois-tu comme tout son corps se couvre de taches livides ? La bile noire le tourmente.

ARISTOPHONTE.

Et toi, par Pollux! Si le vieillard y voit clair, la poix noire te tourmentera entre les mains du bourreau, et flambera sur ta tête.

TYNDARE.

Il extravague, son cerveau est troublé par des vi­sions.

HEGION.

Vraiment! Si j'ordonnais qu'on se saisît de lui?

TYN DARE.

Ce serait sagement fait.

ARlSTOPHONTE.

J'enrage de n'avoir pas une pierre sous ma main pour faire sauter le crâne à ce maraud, qui me met hors de moi par ses impertinences!

TYNDARE.

L'entends-tu? Il cherche des pierres.

ARISTOPHONTE.

Je désire te parler seul à seul, Hégion.

HÉGION.

N'approche pas, si tu veux me parler, je peux t'écouter à distance.

TYNDARE.

Par Pollux ! Si tu te laissais approcher, il t'arracherait le nez du visage à belles dents.

ARISTOPHONTE.

Ne crois pas, Hégion, que je sois insensé, ni que je l'aie été jamais, ni que j'aie le mal qu'il dit. Mais si tu as peur de moi, fais-moi lier, j'y consens, pourvu qu'il soit lié aussi, lui.

TYNDARE.

Non, non, pas moi, Hégion mais lui, qu'on le garrotte, si tel est son plaisir.

ARISTOPHONTE.

Tais-toi un peu et bientôt, pseudonyme Philocrate, tu seras reconnu pour le vrai Tyndare. Pourquoi me fais-tu des signes?

TYNDARE.

Moi! J e te fais des signes? (A Hégion) De quoi ne s'a­viserait-il pas, si tu n'étais pas là présent?

HÉGION, à Tyndare, commençant à se méfier.

Dis-moi, si je m'approchais de cet insensé?

TYNDARE.

Temps perdu ! Il se moquera de toi, il te fera des contes qui n'auront ni pieds ni tête. Il ne lui manque plus que le costume, c'est Ajax en personne que tu vois, quand tu le regardes.

HÉGION.

Tu as beau dire, je veux lui parler.

TYNDARE, àpart.

Me voilà mort, décidément; je suis entre le couteau et l'autel. Je ne sais plus que faire.

HEGION.

Je t'écoute, Aristophonte, si tu veux me dire quel­que chose.

ARISTOPHONTE.

Tu entendras par ma bouche la vérité, qui te semble jusqu'à présent un mensonge mais je veux auparavant me purger du soupçon qu'il t'a donné contre moi. Je ne suis pas atteint de folie, ni d'aucun autre mal, que la servitude. Mais j'atteste le roi des dieux et des hom­ mes, que je ne revoie jamais ma patrie, si ce drôle est Philocrate plus que moi ou toi !

HÉGION.

Oh ! Oh ! Dis-moi donc qui il est ?

ARISTOPHONTE.

Ce que je t'ai dit tout d'abord. Si je suis convaincu d'imposture, je me soumets sans restriction à demeurer à jamais chez toi, privé de mes parents et de ma liberté.

HÉGION, à Tyndare.

Dis-moi donc !

TYNDARE.

Je dis que je suis ton esclave, et que tu es mon maître.

HÉGION.

Ce n'est pas-là ce que je demande. As-tu été libre ?

TYNDARE.

Oui.

ARISTOPHONTE.

Non, assurément, il ne le fut jamais. Sornettes que tout cela.

TYNDARE.

D'où le sais-tu ? As-tu servi d'accoucheuse à ma mère pour prononcer là dessus si hardiment?


ARISTOPHONTE.

Je t'ai vu enfant, quand je l'étais moi-même.

TYNDARE.

Et moi, je te vois grandi, à présent que je suis grand. A toi, cela te revient. Tu ferais mieux de ne pas te mê­ ler de mes affaires, est-ce que je me mêle des tiennes?

HÉGION, à Aristophonte.

Son père se nomme-t-il Thesaurochrysonicochrysidès?

ARISTOPHONTE.

Non, je n'ai jamais entendu prononcer ce nom-là jusqu'aujourd'hui. C'est Théodoromèdc qui est le père de Philocrate

TYNDARE, à part.

Je suis perdu complètement. Allons, paix, mon cœur. La peste t'étouffe, maudit! Tu bondis, pendant que je me tiens à peine sur mes jambes, tant j'ai peur.

HÉGION, en colère.

Suis-je bien assuré maintenant que ce traître était es­clave en Élide, et qu'il n'est pas Philocrate ?

TYNDARE.

Si bien, que rien ne peut s'élever contre celte assu­rance. Mais, Philocrate, où est-il à présent?

HÉGION.

Où il désire le plus d'être; où je désirerais fort qu'il ne fût pas. J'ai été égorgé, mutilé par les artifices et les ruses de ce scélérat, qui m'a dupé à plaisir. Fais atten­ tion cependant.

ARISTOPHONTE.

Je ne t'affirme rien qu'avec connaissance certaine et avec réflexion.

HEGION

C'est donc bien certain ?

ARISTOPHONTE.

Rien de plus certain que cette certitude. Philocrate est mon ami d'enfance.

HEGION.

Mais quelle est la figure de cet ami intime?

ARISTOPHONTE.

Je vais te le dire : Visage maigre, nez pointu, teint blanc , les yeux noirs, les cheveux tirant sur le brun, un peu frisés, et bouclés.

HÉGION.

C'est bien son portrait.

TYNDARE, à part.

Oui, certes, pour m'achever de peindre. ( Prenant tout à coup un air résolu) Malheur aux verges qui pé­ riront aujourd'hui sur mon dos!

HÉGION.

Je vois qu'ils m'en ont donné à garder.

TYNDARE, à part.

Que tardez-vous, entraves, à venir à moi, m'embrasser les jambes, pour que je vous prenne en ma garde?

HÉGION.

Ces coquins de prisonniers, m'ont-ils assez attrapé par leur perfidie ? L'un se donne pour esclave, l'autre pour libre. Je me suis défait du, cœur de la noix, et il me reste en gage la coquille. Imbécile ! Comme ils m'ont barbouillé la face avec toutes leurs couleurs ! Celui-ci du moins ne se rira pas de moi désormais. Colaphus, Cordalion, Cordax, holà ! Qu'on apporte des liens.

LE CORRECTEUR.

Est-ce qu'il faut aller au bois ?

Scène 5

 

HÉGION, TYNDARE, ARISTOPHONTE, PLUSIEURS ESCLAVES, HÉGION.

Qu'on mette à l'instant les menottes à ce pendard.

TYNDARE.

Qu'est-ce que cela signifie ? Quel mal ai-je fait ?

HEGION.

Tu le demandes? Recueille la moisson de tes crimes, bon semeur, bon sarcleur.

TYNDARE.

Pourquoi n'as-tu pas dit d'abord bon herseur? La herse précède toujours le sarcloir, dans le labourage.

HÉGION.

Avec quelle hardiesse il me brave !

TYNDARE.

La hardiesse sied bien à un esclave innocent et sans reproche, surtout devant son maître.

HÉGION.

Allons, serrez-lui vigoureusement les mains, je vous l'ordonne.

TYNDARE.

Je t'appartiens, tu peux même les faire couper. Mais, qu'est-ce? Pourquoi cette colère ?

HÉGION.

Parce que tu as fait tout ce qui dépendait de toi, im­ posteur, avec tes impostures scélérates, pour massacrer moi et mon bien, pour couper bras et jambes à ma for­ tune, pour exterminer mes espérances avec tous mes calculs. Ne m'as-tu pas dérobé Philocrate par tes men songes? Je l'ai cru esclave, et je t'ai cru libre, selon que vous disiez, vous aviez ainsi fait échange de noms entre vous.

TYNDARE.

Oui, je l'avoue, la chose s'est faite comme tu le dis, et par moi, il t'a échappé, grâce à mes feintes et à mon adresse. Est-ce donc cela, par Hercule! Q ui m'attire ton courroux ?

HÉGION.

Oui, et ce qui t'attirera de terribles supplices.

TYNDARE.

Pourvu que je n'aie pas mérité la mort , elle m'effraie peu. Si je meurs ici, et qu'il ne revienne pas, ainsi qu'il l'a promis, moi, j'aurai l'honneur, après mon trépas, d'avoir tiré mon maître captif de la servitude et des mains de l'ennemi, de l'avoir renvoyé en liberté dans son pays, chez son père, et d'avoir exposé ma tête aux périls pour qu'il ne pérît pas.

HÉGION.

Va donc jouir de ta gloire sur les bords de l'Achéron.

TYNDARE.

Qui périt pour la vertu, ne meurt pas.

HÉGION.

Quand je t'aurai fait passer par les plus cruelles tor­tures, et que je t'aurai mis à mort pour tes manœuvres, qu'on dise, après, ou que tu es mort, ou que tu as péri, il ne m'importe guère, on peut dire même que tu vis, pourvu que tu périsses.

TYNDARE.

Par Pollux ! Ce ne serait pas impunément que tu ferais cela, si Philocrate revient, comme j'en suis sûr.

ARISTOPHONTE.

O dieux immortels! Je comprends maintenant, je vois ce que c'est. Mon ami Philocrate est en liberté chez son père, dans son pays. Ce m'est une grande joie, car il n'y a personne à qui je veuille autant de bien. Mais que je suis fâché d'avoir rendu un si mauvais service à Tyndare, et d'être cause, pour avoir trop parlé, qu'on le mette aux fers !

HÉGION.

T'avais-je recommandé de ne pas me tromper?

TYNDARE.

Oui.

HÉGION.

Pourquoi as-tu osé me mentir?

TYNDARE.

Parce que la vérité nuisait à celui que je voulais ser­ vir et que mon mensonge lui est utile à présent.

HÉGION.

Mais il te sera nuisible, à toi.

TYNDARE.

C'est très bien. Mais j'ai sauvé mon maître, je suis heureux de l'avoir sauvé, lui à qui son père m'avait at­ taché pour être son gardien. Penses-tu que j'aie fait une mauvaise action ?

HÉGION.

Très mauvaise.

TYNDARE.

Moi, je dis qu'elle est bonne, mon sentiment diffère du tien. Réfléchis un peu, si un de tes esclaves se con duisait ainsi envers ton fils, quel gré ne lui saurais-tu pas? Affranchirais-tu, oui ou non , un tel serviteur ? N e te se­rait-il pas bien cher? Réponds.

HÉGION.

Cela se peut.

TYNDARE.

De quoi donc me fais tu mauvais gré ?

HEGION.

D'avoir été plus fidèle à un autre qu'à moi.

TYNDARE.

Quoi ! T u aurais voulu qu'il te suffit d'un jour et d'une nuit, pour changer le cœur d'un captif tout nouveau, tout, récent, et de la veille à ton service, au point qu'il préférât ton intérêt à celui d'un homme avec qui il a passé sa vie dès l'enfance ?

HÉGION.

Demande donc à l'autre qu'il t'en soit reconnaissant. (Aux esclaves) Conduisez-le où il doit être pourvu de grosses et lourdes chaînes. De là tu iras tout droit à la carrière et au lieu de huit pierres que tirent les autres par jour, il faudra que tu fasses moitié plus d'ouvrage, autrement, tu prendras le nom de Sexcentoplagus.

ARISTOPHONTE.

Par les dieux et les hommes! Je t'en conjure, Hégion, ne perds pas ce malheureux.

HÉGlON.

On y aura soin. La nuit, il sera gardé dûment en­chaîné, le jour, il demeurera sous terre à fendre le roc. Je veux que son supplice dure longtemps. Il n'en sera pas quitte pour une journée.

ARISTOPHONTE.

Est-ce bien certainement arrêté?

HÉGION.

Aussi certainement qu'on doit mourir un jour. Em­ menez-le promptement à la forge d'Hippolyte, dites qu'on lui applique de fortes entraves , et menez-le ensuite chez mon affranchi Cordalus, à la porte de la ville, à la carrière. Recommandez de ma part qu'on ait soin de lui, si bien qu'il ne soit pas plus maltraité que celui qu'on maltraite le plus.

TYNDARE.

Pourquoi voudrais-je être sauvé, si tu ne le veux pas? Ma vie est en péril à tes périls et risques. Après la mort, il n'y a plus dans la mort aucun mal que j'aie à redouter. Quand mes jours se prolongeraient jusqu'au terme le plus reculé, courte sera toujours la durée des souffrances dont tu me menaces. Adieu , le ciel te conserve ! Quoique tu mérites un autre vœu. Toi, Aristophonte, que les dieux te rendent ce que tu m'as fait ! Car c'est à toi que je suis redevable de mon infortune.

HÉGION.

Qu'on l'emmène.

TYNDARE.

Je ne te demande qu'une chose, si Philocrate revient, permets-moi de lui parler.

HÉGION, aux esclaves.

Vous êtes morts, si vous ne l'emmenez hors de ma présence.

TYNDARE.

On me tire, on me pousse, par Hercule ! N e me faites pas violence.

HÉGION.

On le conduit en lieu de sûreté, où il mérite d'être. Ce sera une leçon pour les autres captifs, s'il en était quelqu'un qui fût tenté de faire une action pareille. Sans celui-ci, qui m'a tout découvert, ils me mèneraient encore, avec leurs ruses, comme un âne bridé. Désormais, je ne me fie plus à personne. C'est assez d'avoir été dupe une fois. Quel malheur ! J'espérais avoir racheté mon fils de la servitude, mon espoir s'est évanoui. J'ai perdu un fils qu'un esclave me ravit à l'âge de quatre ans, et je n'ai jamais retrouvé ni l'esclave ni l'enfant, mon aîné est tombé au pouvoir de l'ennemi. Quel funeste sort ai-je donc? Il semble que je mets au monde des fils pour res­ ter isolé sur la terre. (A Aristophonte) Suis-moi, que je te ramène où je t'ai pris. Je veux n'avoir de pitié pour personne, puisque personne n'a pitié de moi.

ARISTOPHONTE.

J'inaugurais ma sortie de prison, il me faut, à ce que je vois, réinaugurer ma captivité.

Acte IV

Scène 1

ERGASILE.

O Jupiter! O dieu suprême! O ! Mon sauveur! Tu me combles de biens. Quelles grasses journées, quels dons succulents tu m'envoies! Gloire, profit, plaisirs, jeux, gaîté, fêtes, magnifique appareil, abondance, bon vin, grande chère, et quelle joie ! Certes, je n'irai plus désormais faire le suppliant auprès de personne. Je puis protéger mes amis, écraser mes ennemis. Ce jour déli­cieux me fait nager au sein des plus délicieux délices, il m'arrive un héritage exempt des charges du culte, un trésor d'abondance. Je vais prendre ma course chez le vieil Hégion car je lui apporte autant et plus de biens qu'il n'en peut lui-même souhaiter. Oui, c'est décidé, je vais, à la manière des esclaves de comédie, retrous­ser mon manteau par dessus mon cou, pour être le pre­mier à lui apprendre cette heureuse nouvelle, et je compte qu'elle me vaudra une éternité de copieuse nour­riture.

Scène 2

HÉGION, ERGASILE .

HEGION.

Plus cette pensée me revient à l'esprit, plus le dépit s'accroît dans mon âme. M'être laissé frotter la face de la sorte, sans me douter de rien ! Quand on viendra à le savoir, je serai la risée de la ville, je vois d'ici, dès que je parais au Forum, un chacun causer sur mon compte : « Tiens, voilà le bonhomme si crédule, qu'ils ont attrapé. » Mais, n'est-ce pas Ergasile que j'aperçois là-bas? Il a retroussé son manteau, quel est son dessein?

ERGASILE, sans voir Hegion.

Arrière les retardements! Ergasile, sois à ce que tu fais. Or ça, qu'on redoute, qu'on tremble de m'obstruer la route, à moins qu'on ne soit las de vivre. Quiconque m'arrête, je le plante sur son nez.

HÉGION, à part

Il se prépare au pugilat.

ERGASILE.

Je le ferai comme je le dis. Ainsi donc que chacun suive son chemin, que personne sur cette place ne s'amuse à causer de ses affaires. Mon poing est une baliste, mon coude une catapulte, mon épaule un bélier si je frappe du genou, j'étends mon homme à terre, je fais des ramasseurs de dents de tous les mortels que j'aurai heurtés.

HEGION.

Quelle proclamation menaçante ! Je ne puis assez m'étonner.

ERGASILE.

Je les arrangerai de manière qu'ils se souviennent sans fin de ce jour, de ce lieu et de moi. Le premier que je rencontre, rencontre la mort.

HÉGION.

Quels grands projets médite-t-il avec de si terribles menaces ?

ERGASILE.

Je notifie l'ordre d'avance, pour que si quelqu'un est pris, il le soit par sa faute. Qu'on se tienne enfermé chez soi, qu'on évite ma violence.

HÉGION.

Je suis bien trompé, si l'on n'a pas enflé à la fois son ventre et son courage. Je plains le pauvre roi dont la table a nourri cette fierté.

ERGASILE.

J'avertis les meuniers, nourrisseurs de pourceaux qu'ils engraissent avec du son, et dont l'odeur fait qu'on ne peut plus passer devant leurs moulins si je rencontre sur la voie publique un de leurs nourrissons, je m'en prends au maître, et mes poings secoueront la farine de dessus son corps.

HÉGION.

Magnifique édit! Et quel ton imposant! Il est repu sans doute, dans son ventre est le fond de son audace.

ERGASILE.

Ensuite, les poissonniers qui vendent au public du poisson puant, qu'ils apportent sur le dos d'une rosse éreintée, traînant la jambe, marchandise dont l'odeur chasse tous les promeneurs de la basilique dans le Fo­rum, je leur battrai le visage avec leurs paniers à pois­son, pour leur apprendre combien ils font de mal au nez d'autrui. Après cela, pour les bouchers qui mettent les brebis en deuil de leurs enfants, qui vendent les agneaux à égorger, et donnent de la viande d'agneaux plus que majeurs, qui font passer, sous le nom de moutons gras, des béliers coriaces si je rencontre dans la rue un de ces durs béliers, et le bélier et le maître deviendront, par mon fait, mortels des plus misérables.

HEGION .

Bravo! Il rend, ma foi, les ordonnances d'un édile. Il faut que les Étoliens l'aient nommé leur agoranome.

ERGASILE.

Je ne suis plus parasite, je suis roi, le plus royal des rois, tant est superbe le convoi qui entre à présent dans le port pour ma bouche. Mais que tardé-je à répandre cette joie au cœur d'Hégion, qui est maintenant de tous les hommes l'homme le plus fortuné ?

HÉGION.

Quelle est cette joie dont il s'apprête si joyeusement à me gratifier?

ERGASILE, frappant à la porte d'Hégion.

Holà! Quelqu'un! Ouvre-t-on cette porte?

HÉGION.

Il revient, faute de mieux, souper chez moi.

ERGASILE.

[Arrivera-t-on?] Ouvrez-moi les deux battants, si vous ne voulez qu'ils volent en éclats, et ne trouvent la mort sous mes coups.

HÉGION.

J'ai grande envie de lui parler. ( Haut) Ergasile !

ERGASILE, sans se retourner.

Qui appelle Ergasile ?

HÉGION.

Tourne tes regards vers moi.

ERGASILE, de même.

Tu veux que je fasse pour toi ce que la fortune ne fait point et ne fera jamais. Mais qui es-tu?

HÉGION.

Regarde, c'est moi, Hégion.

ERGASILE.

O le meilleur de tout ce qu'il y a de meilleur dans l'espèce humaine! Que je te rencontre à propos !

HEGION.

Tu auras trouvé au port quelque invitation à souper c'est pour cela que tu me dédaignes.

ERGASILE.

Donne-moi la main.

HÉGION.

Ma main?

ERGASILE,

Oui, ta main, et tout de suite.

HÉGION.

Tiens.

ERGASILE.

Réjouis-toi.

HÉGION.

Pourquoi me réjouir?

ERGASILE.

Parce que je le veux. Allons, réjouis-toi, quand je te le dis.

HEGION

Par Pollux! Le chagrin ne laisse point de place à la joie dans mon âme.

ERGASILE.

Point de mauvaise humeur, je vais incontinent effa­cer de ta personne toutes les taches de chagrin. Tu peux te réjouir en pleine confiance.

HÉGION.

Je me réjouis donc, quoique je ne sache pas avoir aucun sujet de joie.

ERGASILE.

Très-bien. Ordonne .........

HÉGION.

Quoi?

ERGASILE.

Qu'on fasse un feu énorme.

HÉGION.

Un feu énorme ?

ERGASILE.

Je veux dire grand.

HÉGION.

Quoi ! Vautour que tu es, prétends-tu que, pour te faire plaisir, je brûle ma maison?

ERGASILE.

Ne te fâche pas. Ah ! Ca, est-ce que tu ne veux pas ordonner qu'on mette au feu les marmites? Qu'on net­toie la vaisselle ? Qu'on fasse cuire le lard et les ragoûts sur les foyers ardents? Que l'un aille acheter du poisson?

HÉGION.

Il rêve tout éveillé.

ERGASILE.

L'autre du porc, de l'agneau, des poulets?

HÉGION.

Tu sais très bien vivre, il n'y a que l'argent qui manque.

ERGASILE.

Jambon, coquillages, frai de thon confit, maque­reaux, raie, thon frais, fromage nouveau.

HÉGION.

Il te sera plus facile de nommer tous ces mets, que d'en manger chez moi, Ergasile.

ERGASILE.

Tu crois donc que c'est à mon intention que j'or­donne ?

HÉGION.

Tu ne mourras pas de faim; tu n'auras pas, non plus, beaucoup au delà du nécessaire, ne t'abuse pas, apporte donc ici un appétit de tous les jours.

ERGASILE.

Je n'ai qu'à parler, c'est toi qui voudras te mettre en dépense, quand même je t'en empêcherais.

HÉGION.

Moi?

ERGASILE.

Oui, toi.

HÉGION.

Ainsi, tu es mon maître ?

ERGASILE.

Non, mais ton ami. Veux-tu que je te rende bien heureux ?

HÉGION.

Oui, plutôt que malheureux, certainement.

ERGASILE.

Donne-moi la main.

HÉGION.

La voici.

ERGASILE.

Tous les dieux te protègent.

HÉGION.

Je ne m'en sens pas.

ERGASILE.

Je crois bien que tu ne sens pas, tu n'es pas dans une sentine. Mais fais apprêter en diligence les vases purs pour le sacrifice, et q u'on apporte un agneau en­ graissé chez toi comme il faut.

HÉGION.

Pourquoi ?

ERGASILE.

Pour l'immoler.

HÉGION.

A quel dieu?

ERGASILE.

A moi, par Hercule ! C ar je suis pour toi le grand Jupiter, et en même temps le dieu Salut, la Fortune, la Lumière, l'Allégresse, la Joie. En conséquence, mérite par des offrandes opimes la faveur de ton dieu.

HÉGION.

Tu m'as l'air d'être en appétit.

ERGASILE.

Cet air-là, je l'ai pour moi, et non pour toi.

HÉGION.

Comme tu voudras, je suis de facile composition.

ERGASILE.

Je crois que c'est chez toi une habitude d'enfance.

HÉGION.

Que Jupiter et tous les dieux te confondent !

ERGASILE.

Toi plutôt, par Hercule, rends-moi des actions de grâces. Bonne nouvelle ! Je t'apporte du port une provi­sion de bonheur. Maintenant je te donne la préférence.

HEGION.

Va-t'en, sot, tu arrives trop tard.

ERGASILE.

C'est ce qu'il faudrait me dire, si j'étais venu il y a quelque temps mais à présent, accepte le bonheur que je t'apporte. Je viens de voir au port, sur un brigantin de la république, Philopolème, ton fils, plein de vie et de santé, et avec lui ce jeune homme d'Élide, et ton esclave Stalagme, le fugitif, qui t'enleva ton fils à l'âge de quatre ans.

HÉGION.

Que la peste t étouffe ! Tu te moques de moi.

ERGASILE.

Veuille la bonne déesse Plénipanse me favoriser tou­jours, et m'accorder l'honneur d'être surnommé de son nom, aussi certainement que j'ai vu

HEGION.

Mon fils ?

ERGASILE.

Ton fils, mon bon Génie.

HÉGION.

Et le prisonnier éléen ?

ERGASILE.

Per Apollinem.

HÉGION.

Et mon esclave Stalagme, qui m'a ravi mon fils ?

ERGASILE.

Per Coram.

HEGION.

Tout à l'heure ?

ERGASILE.

Per Prœneste.

HEGION.

Il est arrivé ?

ERGASILE.

Per Signiam.

HÉGION.

C'est sûr ?

ERGASILE

Per Phrusinonem.

HEGION

Tu as bien vu ?

ERGASILE

Per Alatriam.

HEGION

Pourquoi jures-tu par des villes barbares ?

ERGASILE

Parce qu'elles sont agrestes, comme ton manger, selon ce que tu me disais.

HEGION

Maudit homme !

ERGASILE.

En effet, puisque je ne puis pas te persuader, quoique je te parle en conscience. A propos, Stalagme, de quel pays était-il quand il s'enfuit ?

HEGION.

De Sicile.

ERGASILE.

Il n'est plus Sicilien à présent, il est devenu Férentin car j'ai vu une espèce de Férentine qui lui sautait au cou. C'est sans doute pour qu'il procrée des enfants de sa race qu'on la lui aura fait épouser.

HEGION.

En vérité ? Tu ne me trompes pas ?

ERGASILE.

En vérité.

HEGION.

Dieux immortels! Je crois renaître aujourd'hui, si tu dis vrai.

ERGASIL

Comment ! Tu doutes encore, après les serments so­lennels que je t'ai faits? Enfin, Hégion, si tu n'ajoutes pas foi à ma parole sacrée, va voir toi-même au port.

HEGION

Certainement, j'y vais. Toi, entre, et fais tous les préparatifs nécessaires. Prends, demande, tranche à ta fantaisie. Je te fais mon majordome.

ERGASIL, se frappant sur le ventre.

Par Hercule ! Si mon oracle ne se remplit parfaitement, prends un bâton pour m'accommoder comme il faut.

HEGION

Je te promets une vie éternelle de festins, si tu m'as dit la vérité.

ERGASIL

Chez qui?

HEGION

Chez moi et mon fils.

ERGASIL

Est-ce dit ?

HEGION

C'est dit.

ERGASIL

Et moi, je te dis que ton fils est arrivé.

HEGION

Ne néglige rien pour que tout soit au mieux, (il sort.)

Scène 3

ERGASILE , seul.

Il part, et me confie l'administration en chef des vivres. Dieux immortels ! Comme je vais couper la gorge des porcs enfumés ! Quel carnage de jambons ! Quelle tempête sur le lard ! Quelle déconfiture de tétine ! Quel désastre pour les filets de sanglier ! Quelle fatigue pour les bouchers et pour les charcutiers ! Mais il serait trop long de passer en revue toutes les victuailles qui sont du ressort de ma bouche. Je vais sans plus tarder me rendre dans ma province, exercer ma juridiction sur le lard, et porter secours aux jambons pendus sans juge­ment. (Il sort.)

Scène 4

UN ESCLAVE D'HEGION.

Que Jupiter et les dieux t'exterminent, Ergasile, toi, et ton ventre, et tous les parasites, et ceux qui, à l'a­venir, recevront des parasites à souper! C'est une déso­lation, un fléau, un orage épouvantable, qui est venu fondre tout à l'heure sur la maison. On dirait un loup affamé, j'ai eu peur qu'il ne se jetât aussi sur moi. Par Hercule, il m'effrayait à le voir grincer ainsi des dents. Tout en arrivant, il a mis sens dessus dessous le char­nier avec toutes les viandes. Il a saisi un coutelas, il a coupé les ris de trois porcs. Il a brisé tous les pots et les marmites qui n'étaient pas de la grandeur d'un boisseau. II demandait au cuisinier si les jarres pouvaient aller au feu. Il a enfoncé toutes les portes dans le cel lier, a rompu le sceau qui ferme l'armoire de la vais­selle. Esclaves, observez-le, entendez-vous, pendant que je vais chercher le maître. Je lui conseillerai de faire une nouvelle provision de vivres, s'il veut avoir de quoi vivre lui-même car pour celle-ci, à la manière dont ce vautour l'arrange, il n'en restera bientôt plus rien, s'il en reste encore quelque chose en ce moment.

(Il sort.)

Acte V

Scène 1

HÉGION, PHILOPOLÈME, PHILOCRATE,STALAGME enchaîné, esclaves qui le conduisent.

HÉGION.

Que de solennelles actions de grâces je rends et je dois rendre à Jupiter et aux dieux ! Enfin ils t'ont ramené en la puissance de ton père, ils me délivrent de toutes les peines dont j'ai tant souffert pendant que j'étais privé de mon fils, ils mettent ce coquin en notre pouvoir ( désignant Stalagme), et Philocrate s'est montré fidèle envers nous. Ai-je assez été abreuvé de douleurs? Ai-je assez langui dans les soucis et les larmes !

PHILOPOLÈME.

J'ai déjà entendu le récit de tes chagrins tout à l'heure au port. Occupons-nous de notre affaire.

PHILOCRATE

Et moi, maintenant, pour t'avoir ramené ton fils libre, et l'avoir si bien tenu parole ?

HEGION

Tel est ce service, Philocrate, que je ne pourrai ja­mais te témoigner dignement ma reconnaissance et pour moi et pour mon fils.

PHILOPOLEME

Si, mon père, tu le peux, je le pourrai aussi, et les dieux nous donneront le pouvoir de récompenser notre bienfaiteur de son bienfait par nos bons offices, il l'a si bien mérité, et tu le peux.

HEGION.

Sans tant de paroles, (à Philocrate) quoi que tu demandes, je n'ai pas de langue pour te refuser.

PHILOCRATE.

Je te prie de me rendre l'esclave que j'avais laissé ici en gage pour moi, et qui m'a toujours préféré à lui-même, que je lui donne le prix dû à ses mérites.

HEGION.

Je ne veux pas être ingrat, ce que tu as fait pour nous vaut ce que tu désires de moi et cela et autre chose, tu n'as qu'à parler, tu obtiendras tout. Seulement, ne te fâche pas de ce que, dans un moment de colère, je l'ai maltraité.

PHILOCRATE

Qu'as-tu fait !

HEGION.

Je l'ai envoyé, les fers aux pieds, dans la carrière, quand j'ai su que j'avais été trompé.

PHILOCRATE.

Quelle douleur, qu'un être si bon ait souffert pour moi cette tribulation !

HEGION

En récompense, je veux que tu ne me donnes pas un seul denier pour sa rançon. Emmène-le, qu'il ait sa li­berté sans qu'il t'en coûte rien.

PHILOCRATE

Par Pollux ! Je te remercie de ta générosité, Hégion mais, je t'en prie, fais-le venir.

HEGION

Volontiers. Holà ! Quelqu'un. Courez vite, et amenez ici Tyndare. (A son fils et à Philocrate) Vous, entrez, tandis que j'interrogerai cette statue de bouleau ( mon­trant Stalagme), pour savoir ce qu'est devenu mou plus jeune fils. En attendant, baignez-vous.

PHILOPOLEME.

Viens, entrons, Philocrate.

PHILOCRATE.

Je te suis.

Scène 2

HEGION, STALAGME.

HEGION

Approche, honnête homme, mon aimable esclave.

STALAGME.

Que ferai-je donc, si un homme tel que toi dit des mensonges ? Moi aimable, joli, moi honnête homme ! J e ne le fus ni ne le serai jamais, et je ne vaudrai jamais rien. Ne te flatte pas d'une fausse espérance.

HEGION.

Tu devines aisément où en sont tes affaires? Veux-tu être véridique? Ton sort ne sera plus si mauvais, et s'améliorera un peu. Parle-moi loyalement, sincèrement mais loyauté, sincérité, n'eurent jamais part dans tes actions.

STALAGME.

Je m'en vanterais, penses-tu me faire rougir en le disant ?

HEGION.

Je te ferai bien rougir, car je te rendrai rouge des pieds jusqu'à la tête.

STALAGME

Oui-dà ! Tu menaces un novice des étrivières. Ne le prends pas sur ce ton et dis-moi ce dont il s'agit, afin qu'il s'agisse de ce que tu désires.

HEGION.

Tu as bien de la faconde. Mais je veux faire trêve aux paroles oiseuses.

STALAGME.

Je ferai tout ce que tu voudras.

HEGION.

Vraiment, il fut complaisant dans son enfance mais cela n'est plus de saison. Allons au fait, écoute-moi at­tentivement , et réponds de point en point à mes ques­tions, si tu es véridique , tes affaires iront un peu mieux.

STALAGME.

Tu badines. Comme si je ne savais pas ce que j'ai mérité !

HEGION.

Mais tu peux en éviter une partie, sinon le tout.

STALAGME.

Oh ! Pas tout, sans doute car il doit m'en revenir beaucoup, et je ne l'aurai pas volé. En effet, j'ai pris la fuite, et je t'ai ravi ton fils, et je l'ai vendu.

HEGION.

A qui?

STALAGME.

A Théodoromède Polyplusius, en Elide, six mines.

HEGION.

O dieux immortels ! C'est le père de Philocrate qui est ici.

STALAGME.

Il m'est plus connu que toi-même, et je l'ai vu plus souvent.

HEGION .

Jupiter souverain, sauve-nous, moi et mon fils. ( Ap­ pelant à haute voix) Philocrate! Par ton génie pro­tecteur, viens, j'ai à te parler.

PHILOCRATE, HEGION, STALAGME.

Scène 3

PHILOCRATE.

Me voici, Hégion, je suis prêt à t'obéir.

HÉGION, montrant Stalagme.

Il dit qu'il a vendu mon fils à ton père, en Élide, pour six mines.

PHILOCRATE.

Combien y a-t-il de cela ?

STALAGME.

Voici la vingtième année.

PHILOCRATE.

Il ment.

STALAGME.

C'est moi, ou toi. Ton père te donna en pécule cet enfant, âgé de quatre ans, tu étais enfant comme lui.

PHILOCRATE.

Son nom ? Si tu dis la vérité, nomme-le-moi.

STALAGME.

On l'appelait Pegnium mais vous lui donnâtes le nom de Tyndare.

PHILOCRATE.

Pourquoi ne te reconnais-je pas ?

STALAGME.

Parce qu'on a coutume d'oublier et de ne pas recon­naître ceux dont l'amitié n'importe guère.

PHILOCRATE

Explique-toi : celui que tu vendis à mon père était-il celui qui me fut donné en pécule ?

STALAGME.

Lui-même, le fils d'Hégion.

HEGION.

Et vit-il encore ?

STALAGME.

J'ai reçu l'argent, je ne me suis plus inquiété du reste.

HÉGION, à Philocrate, avec tristesse.

Hé bien?

PHILOCRATE.

Hé bien, Tyndare est ton fils lui-même, d'après tous les renseigncments qu'il nous donne. Enfants de même âge, nous fûmes élevés ensemble dès l'enfance honnêtement, chastement, jusqu'à l'adolescence.

HEGION.

Je suis heureux et malheureux à la fois, si vous dites vrai tous deux. Malheureux, s'il est mon fils, de l'avoir traité si durement Hélas! Q ue je me veux mal d'avoir fait trop et trop peu pour lui! Ce qu'il a souffert est un tourment pour moi. Si le passé était en ma puissance ! ( Apercevant Tyndare) Mais le voici dans un accoutre­ ment peu digne de ses vertus.

Scène 4

TYNDARE, HEGION, PHILOCRATE, STALAGME.

TYNDARE.

J'ai vu souvent en peinture les supplices des enfers mais, ma foi, il n'y a pas d'enfer plus infernal que cette carrière où l'on m'a jeté. C'est là qu'il faut que la vigueur chasse du corps la paresse. A peine y fus-je arrivé, on me traita comme les enfants des patriciens, auxquels on donne, pour jouer, des merles, des cannetons ou des cailles, moi, on me mit en main ce pic pour m'amuser ( il montre le pic de carrier qu'il a dans la main). Mais j'aperçois mon maître devant la porte, et mon autre maître aussi, qui est revenu de l'Élide.

HEGION.

Salut, mon cher fils, que j'ai tant souhaité.

TYNDARE.

Comment ? Mon cher fils ! Ah ! A h ! Je vois pourquoi tu te dis mon père, et tu m'appelles ton fils, c'est que tu me fais voir le jour.

PHILOCRATE.

Salut, Tyndare.

TYNDARE.

Salut aussi à toi, pour qui j'endure ces maux.

PHILOCRATE.

Mais je t'annonce que tu vas devenir libre et riche. Voici ton père, et voilà l'esclave qui t'enleva d'ici à l'âge de quatre ans, et te vendit six mines à mon père. Mon père te donna à moi, enfant esclave à un maître en­fant. ( Montrant Stalgme) C'est lui qui vient de tout révéler. Nous le ramenons ici de l'Élide.

TYNDARE.

Et son fils ( montrant Hégion) ?

PHILOCRATE.

Ton frère est là, dans la maison.

TYNDARE.

Dis-moi donc, as-tu amené son fils, qui était prisonnier?

PHILOCRATE.

Puisque je te dis qu'il est ici, dans cette maison.

TYNDARE.

Par Pollux! T u as fait là une bonne et belle œuvre.

PHILOCRATE.

Tu vois ici ton père (montrant Hégion), et le ravis­ seur (montrant Stalagme) qui t'enleva autrefois en bas âge.

TYNDARE.

Mais, à présent que je suis homme, je livrerai le vieux scélérat au bourreau, en punition de son larcin.

PHILOCRATE.

Il le mérite bien.

TYNDARE.

Aussi, par Pollux! L ui donnerai-je la récompense mé­ritée, et en proportion de ses mérites. (A Hégion) C'est donc bien vrai ? Tu es mon père?

HÉGION.

Oui, mon cher fils, je le suis.

TYNDARE.

En effet, à présent que j'y réfléchis.... je rappelle en ma mémoire.... oui, le souvenir me revient comme à travers un nuage, que mon père se nommait Hégion.

HEGION.

C'est moi.

PHILOCRATE.

Commence, je t'en prie, par alléger ton fils de ces entraves , pour en charger cet esclave.

HÉGION.

Oui, sans doute, c'est mon soin le plus pressant. En­ trons et faisons venir le serrurier, que je te retire ces fers pour en gratiner Stalagme.

STALAGME.

Une gratification m'ira bien, je ne possède point de pécule.

L'ORATEUR DE LA TROUPE.

Spectateurs, cette pièce est faite sur le modèle des bonnes mœurs. On n'y voit point de caresses impudiques ni d'amours libertins, point de supposition d'enfant, point de valet qui escroque de l'argent, ni de jeune amoureux qui affranchisse une courtisane à l'insu de son père. Les poètes n'inventent pas souvent des comédies de ce genre, où les bons apprennent à devenir meilleurs. Vous, maintenant, si elle vous plaît, si nous avons pu vous plaire et ne pas vous paraître ennuyeux, signifiez-le ainsi (Il fait le geste d'applaudir). Vous qui aimez à voir récompenser la vertu , applaudissez.

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