MARTIAL

ÉPIGRAMMES

TRAD'UCTfON PAR MM.V.VERGER, N. A.DUBOIS ET J.MANGEART

GARNIER FRERES, LIBRAIRES-ÉDITEURS

1864

Livre 1, Livre 2, Livre 3, Livre 4, Livre 5, Livre 6, Livre 7.

Notes : Livre 1, Livre 2, Livre 3, Livre 4, Livre 5, Livre 6, Livre 7.

 

LIVRE 1

EPITRE AU LECTEUR.

Je crois avoir montré dans mes écrits assez de modération pour que quiconque a pour lui le témoignage de sa conscience ne puisse se plaindre de moi. J'ai su plaisanter sans m'écarter des égards dus aux personnes, même du dernier rang. Cette discrétion fut si peu observée par les anciens auteurs, qu'ils ont abusé non seulement des noms véritables, mais des plus grands.
Achetons moins cher la renommée et qu'on ne loue mon esprit qu'après tout le reste. Loin d'ici, malin interprète de mes jeux naïfs! que d'autres ne fassent pas à leur gré mes épigrammes. C'est une trahison de prêter son esprit au livre d'autrui. Quant à ce qui est de la nudité des expressions, c'est-à-dire du langage de l'épigramme, je chercherais à t'excuser si nul autre avant moi n'en eût donné l'exempte ainsi ont écrit Catulle, Marsus, Pédo, Gétulicus, et tous ceux qui se font lire. Si pourtant il se trouve quelque censeur morose qui, par un .excès de sévérité, s'oppose à ce qu'on parle latin devant lui, à quelque page que ce soit, il peut se borner à cette préface, ou ptutôt au titre seul. Les épigrammcs sont écrites pour les spectateurs ordinaires des jeux Floraux. Que Caton n'entre point dans notre théâtre, ou, s'il y entre, qu'il regarde. Il me semble que je serai dans mon droit en terminant cette épitre par les vers suivants.

I. A CATON.

Puisque tu connaissais tes doux sacrifices, les jeux lascifs des fètes de la folâtre Flore, et les goûts licencieux du public, pourquoi, sévère Caton, es-tu venu au théâtre? N'était-ce que pour en sortir?

II. AU LECTEUR.

Le voici celui que tu lis, celui que tu recherches, ce Martial connu dans le monde entier par ses piquants recueils d'épigrammes, celui auquel tu as décerné pendant sa vie, bienveillant lecteur, une gloire dont il sent tout le prix, et que très peu de poëtes obtiennent après leur mort.

III. AU LECTEUR, POUR LUI INDIQUER OU SE VENDENT SES LIVRES.

Toi qui désires avoir partout mes livres avec toi, et,t'en faire une compagnie dans un long voyage, achète-les dans ce petit format que comprime le parchemin. Laisse aux bibliothèques les gros volumes; je tiens dans une seule main. Cependant, pour que tu saches où l'on me vend, et que tu n'ailles pas courir par toute la ville, je veux te servir.de guide sûr. Va trouver Secundus, l'affranchi du savant Lucens, derrière le temple de la Paix et le marché de Pattas.

IV. A SON LIVRE, IMPATIENT DE VOIR LE JOUR.

Tu préfères donc, petit livre, habiter les boutiques d'Argilète, lorsqu'il y a place pour toi sur mes rayons. Tu ne connais pas, hétas tu ne connais pas tes fiers dédains de cette Rome maitresse du monde. Crois-moi, le peuple de Mars est devenu trop difficile à contenter. Il n'en est pas de plus railleur au monde; jeunes et vieux, tous, jusqu'aux enfants, ont un nez de rhinocéros.
Tandis que les uns feront entendre un immense bravo et que tu recevras des baisers, d'autres te berneront. Mais voila que, pour ne plus subir les nombreuses ratures de ton maître, et dans la crainte que sa plume maussade ne barbouille tes pages joyeuses, tu veux à toute force, étourdi, t'élancer dans les airs. Va, fuis mais tu pouvais être plus tranquille en restant à la maison.

V. A CÉSAR.

Si par hasard mes petits livres te tombent sous la main, César. quitte cette gravité qui convient au maître du monde. Tes triomphes, d'ailleurs, ont dû t'accoutumer aux plaisanteries, et un gêneral ne rougit point de fournir la matière d'un bon mot. De grâce, montre,en lisant mes vers, cette indulgence avec laquelle tu regardes Thymèle et le facétieux Latinus. La censure peut permettre d'innocents badinages. Mes vers sont libres, mais ma vie est exempte de reproche.

VI. L'EMPEREUR REPOND À MARTIAL.

Je te donne une naumachie, tu me donnes des épigrammes tu veux, je pense, Marcus, nager avec ton livre.

VIl. SUR LE LION DE CÉSAR.

Un aigle emporta jadis, à travers tes airs, un enfant, précieux fardeau qu'il pressait, sans le blesser, de ses serres timides. Aujourd'hui, les lions de César se laissent attendrir par leur proie; et un lièvre se joue sans péril dans leur énorme gueule: lequel de ces deux prodiges vous semble le plus étonnant? L'un et l'autre décèlent un maître tout puissant l'un fut l'oeuvre de César, l'autre, de Jupiter.

VIII. A MAXIME, SUR LA COLOMBE DE STELLA.

Oui, Maxime, je le dis, même quand Vérone m'entendrait, la colombe, délices de mon cher Stella, a vaincu le moineau de Catulle. Mon ami Stella l'emporte sur votre ami Catulle autant que la colombe est plus grosse que le moineau.

IX. ÉLOGE DES PRINCIPES DE DÉCIANUS.

Tu suis tes dogmes du grand Thraséas et de Caton, ce modèle d'une sagesse parfaite, de manière pourtant à prouver que tu ne fais point mépris de la vie, et que tu ne veux point aller, la poitrine découverte, te précipiter au-devant d'un glaive sorti du fourreau. J'approuve ta conduite, Décianus. J'estime peu l'homme qui achète la renommée au prix d'un sang facile à répandre; j'estime celui qui peut se rendre digne de louanges sans se donner la mort.

X~ CONTRE COTTA.

Tu:veux, Cotta, passer à la fois pour mignon et pour grand; mais, Cotta, mignon et petit sont même chose.

XI. SUR GEMELLUS ET MARONILLA.

Gemellus veut épouser Maronilla; il se montre passionné, il presse, il supplie, il fait des présents. Cette femme est donc d'une éclatante beauté? Au contraire, if n'est rien de plus hideux. Qu'est-ce donc qui le séduit en elle et j'attire si fort? Elle tousse.

XII. AU BUVEUR SEXTILIANUS.

Quand on ne donne que dix sesterces à un chevalier/pourquoi, Sextilianus, en bois-tu vingt à toi seul? Les esclaves qui servent l'eau chaude en manqueraient, bientôt, Sextilianus; si tu ne buvais ton vin pur.

XIII. SUR RÈGULUS, QUE N'ÉCRASA PAS LA CHUTE D'UN PORTIQUE.

Du côté qui conduit aux fraîches demeures de Tibur, cher à Hercule, là où fument les sulfureuses eaux de la blanche Albula, vers ces campagnes, ce bois sacré, ces coteaux chéris des Muses, à l'endroit où la quatrième pierre marque la distance de Rome, un portique de forme grossière prêtait son ombre contre les, chaleurs de l'été. Hélas ! quel crime presque inouï ce portique a failli commettre! 1l s'est écroulé tout à coup, tandis que Regulus passait sous ses voûtes dans un char attelé de deux chevaux.
Mais le destin, qui ne se sentait pas assez fort pour braver notre ressentiment, a eu peur de nos plaintes. Maintenant ces ruines nous plaisent; tant nous sentons le prix du danger. Restées debout, ces voûtes n'eussent point attesté l'existence des dieux.

XIV. SUR ARRIE ET PETUS.

Lorsque la chaste Arrie présentait à son cher Pétus l'épée qu'elle venait de retirer de son sein « Crois-moi, Pétus, dit-elle, si je souffre, ce n'est pas de la blessure que je me suis faite, c'est de celle que tu vas te faire.

XV. JEU D'UN LION AVEC UN LIEVRE SUR L'ARENE.

Nous avons vu, César, les jeux et les divertissements de tes chers tiens lion, l'arène t'offre aujourd'hui le même spectacle. Un lièvre pris et lâché.tant de fois par la dent qui t'épargne, court en liberté dans cette gueule béante. Comment un lion voraçe peut-il épargner ainsi la proie qu'il a saisie? Mais ce lion, dit-on, t'appartient donc la chose est possible.

XVI. A JULIUS.

Crois-moi, Julius, ami que je préfère à tous les autres, si une longue confiance et des droits inviolables ont quelque force déjà tu touches à la soixantaine, et tu as vécu à peine quelques jours. Ne va pas ajourner mal à propos des plaisirs que l'avenir pourrait te refuser, et ne regarde comme à toi que le passé. Ce qui attend, ce sont les soucis et les peines enchaînées l'une à l'autre; mais le bonheur n'attend pas: il fuit, il s'envole. Saisis-le de tes deux mains; étreins-le de toute la force de tes bras; souvent encore t'échappera-t-il. Crois-moi, ce n'est point le fait d'un homme sage de dire je vivrai. ç'est trop tard de vivre demain c'est aujourd'hui qu'il faut vivre.

XVII. A AVITUS, SUR SES EPIGRAMMES

Parmi les épigrammes que tu lis ici; quelques-unes sont bonnes, quelques autres sont médiocres, la plupart sont mauvaises un livre, Avitus, ne se fait pas autrement.

XVIII. SUR TITUS.

Titus me presse d'embrasser la carrière du barreau, et souvent il me dit " C'est une grande chose."C'est une grande chose aussi ce que fait le laboureur.

XIX. A TUCCA.

Quel plaisir trouves-tu donc, Tucca, à méler au vieux falerne de la piquette du Vatican? Quel bien t'ont donc fait les vins les plus détestables ? ou quel mal t'ont fait les meilleurs ? On te pardonnerait de nous assassiner, nous; mais assassiner ce falerne, et joindre un cruel poison au vin de la Campanie, c'est un abominable forfait. Tes convives ont pu mériter la mort, mais une si précieuse amphore ne la méritait pas.

XX. A ELIA.

Si je m'en souviens, il te restait quatre dents, Élia un premier accès de toux t'en fit cracher deux; un second, les deux autres. Tu peux maintenant tousser sans crainte des jours entiers, un troisième accès n'a ptus rien à faire.

XXI. A CECILIANUS.

Dis-moi, quelle est cette fureur:? En présence des nombreux convives que tu as invités, Cécilianus, tu dévores à toi seul tous les champignons. Que puis-je te souhaiter qui soit digne d'un ventre si glouton et d'une telle voracité? que tu avales un champignon comme celui qu'avala Claude.

XXII. SUR PORSENA ET MUCIUS SCÉVOLA.

Égarée sur un des satellites, lorsqu'elle voulait frapper le roi, sa main se condamne à périr dans un brasier sacre; mais son ennemi généreux ne souffrit pas que ce miracle de courage s'accomplit; il arrache aux flammes cet homme intrépide, et le renvoie libre. Cette main, que Mucius avait le courage de brûler en méprisant le feu, Porsena ne peut en supporter la vue. La renommée et la gloire de cette main s'accroissent par l'erreur qu'elle a commise; sans cette erreur, ell eut moins fait.

XXIII. SUR UN LION ET UN LIÈVRE.

Lièvre, pourquoi fuis-tu la gueule inoffensive de ce paisible lion? Ses dents n'ont point appris à dévorer d'aussi chétives bêtes. C'est pour de plus nobles proies qu'il réserve ses ongles; et une soif telle que la sienne ne s'apaise pas avec si peu de sang. Le lièvre est la proie des chiens; que serait-il pour cette immense gueule Un esclave dace ne doit pas redouter la colère de César.

XXIV. A COTTA.

Tu n'invites, Cotta, que ceux avec qui tu te baignes; et les bains seuls te procurent des convives. Je m'étonnais, Cotta, que tu ne m'eusses jamais invité. Je sais à présent que, nu, je n'ai pas été de ton goût.

XXV. A DECIANUS.

Tu vois, Décianus, cet homme aux cheveux négligés dont tu crains toi-même le regard sévère; qui parle le langage des Curius, des Camille, ces illustres défenseurs de Rome; ne sois pas dupe de sa mine; il servait hier de giton.

XXVI. A FAUSTINUS.

Livre donc enfin tes écrits au public, Faustinus; publie ce fruit de tes vastes connaissances, digne d'obtenir les éloges de la ville de Cécrops et de Pandion, digne de mériter l'attention et les suftrages de nos anciens..Hésites-tu de faire entrer chez toi la Renommée arrêtée à ta porte, et dédaignes-tu la récompense que méritent tes travaux? Donne dès à présent la vie a des productions qui te survivront. La gloire,vient trop tard quand elle ne vient qu'à des cendres.

XXVII. A SEXTILIANUS.

Sextilianus, tu bois à toi seul autant que cinq bancs de chevaliers tu pourrais t'enivrer en buvant la même quantité d'eau. Non-seulement tu empruntes de 1'argent à tes voisins, mais tu demandes encore de la menue monnaie aux spectateurs les plus éloignés. Le produit de la vendange foulée dans les pressoirs péligniens, et le jus des grappes qui naissent sur les coteaux de la Toscane, ne sont pas les vins que tu bois; tu mets à sec l'attrayant vase du vieux temps d'Opimius, et tu puises aux noirs
tonneaux de Massique. Si tu bois plus de dix coups, Sextilianus, que le cabaretier te serve du vin trouble de Laletanie.

XXVIIII. A PROCILLUS, CONVIVE DOUÉ D'UNE TROP HEUREUSE MEMOIRE.

La nuit dernière, je t'avais dit, Procillus, après avoir vidé, je crois, dix quinconces, que tu souperais aujourd'hui avec moi.Tu as cru tout de suite la chose convenue, et tu as retenu avec soin des paroles prononcées dans l'ivresse. Cet exemple est par trop dangereux. Procillus, je hais le buveur qui a tant de mémoire.

XXIX. SUR ACERRA.

Il se trompe, celui qui croit qu'Acerra exhale la fétide odeur du vin de la veille; Acerra boit toujours jusqu'au matin.

XXX. AU PLAGIAIRE FIDENTINUS.

Le bruit court, Fidentinus, que tu lis mes ouvrages en public, comme si tu en étais l'auteur. Si tu veux bien que mes vers passent pour être de moi, je te les enverrai gratis; si tu veux qu'on dise qu'ils t'appartiennent, achète-les, pour qu'ils ne soient plus à moi.

XXXI. SUR LE MEDECIN DIAULUS.

Diaulus était chirurgien; il est maintenant croque-mort.Il s'est mis à faire de la clinique comme il est capable d'en faire.

XXXII. SUR ENCOLPE, MIGNON DE PUDENS.

Encolpe, les amours du centurion son maître, te voue, ô Phébus, sa chevelure entière. Lorsque Pudens aura obtenu le grade de primipilaire que méritent ses services, fais aussitôt, Phébus, tomber sous les ciseaux ces longs cheveux. Tandis que le moindre duvet ne dépare point encore le visage délicat d'Encolpe, que ses cheveux flottants jouent avec grâce autour de son cou blanc comme le lait, et pour que le maitre et l'esclave jouissent longtemps de tes bienfaits, accorde à celui-ci d'êtr bientôt tondu, et de ne devenir un homme que le plus tard possible.

XXXIII. A SABIDIUS.

Je ne t'aime point, Sabidius, et ne saurais dire pourquoi.; tout ce que je puis dire, c'est que je ne t'aime point.

XXXIV. SUR GELLIA.

Gellia, lorsqu'elle est seule, ne pleure point son père qu'elle a perdu. S'il arrive quelqu'un, des larmes de commande jaillissent de ses yeux. Quiconque pleure pour en être loué, n'est pas sincèrement affligé. Le seul qui pleure vraiment, c'est celui qui pleure sans témoin.

XXXV. A LESBIE.

C'est, la porte ouverte et non gardée, que tu prends tes ébats, Lesbie, et tu ne caches pas tes méfaits. Le témoin de ta honte te charme plus que celui dont tu reçois les adultères caresses, et les voluptés secrètes sont pour toi sans saveur. Pourtant la courtisane écarte les témoins à l'aide d'un voile et d'une serrure, et les bouges du Summénium se laissent rarement entrevoir.Prends de Chione du moins, ou d'Hélide, des leçons de pudeur. Ces louves cachent leurs infamies à l'ombre des tombeaux. Trouves-tu ma censure trop sévère? Je te défends, Lesbie, non pas de faire des sottises, mais de te laisser prendre sur le fait.

XXXVI. A CORNELIUS.

Tu te plains, Cornélius, que mes vers sont trop libres, et qu'un magister ne les peut lire dans son école mais il en est de ces opuscules, à regard des lecteurs, comme des maris envers leurs femmes, auxquelles ceux-ci ne peuvent plaire sans mentule. Que serait-ce, si tu m'ordonnais de composer une épithalame, et d'en bannir tes termes qui conviennent à l''épithalame? Qui donc, en. prenant la robe des jeux Floraux, permet aux courtisanes d'imiter la pudeur des matrones? Telle est la loi imposée aux vers enjoués s'ils ne chatouillent les sens, ils ne sauraient plaire. Ainsi, de grâce, quitte cette sévérité pardonne à des jeux et à des bàdinages, et renonce a châtrer mes livres. Rien de plus difforme que Priape fait prêtre de Cybèle.

XXXVII. A LUCANUS ET A TULLUS.

S'il arrivait à l'un ou à l'autre de vous, Lucanus et Tullus, une destinée pareille à celle des deux Lacédémoniens, fils de Léda, on verrait se renouveler entre vous deux ce noble débat que fit naître la tendresse fraternelle, et chacun voudrait mourir le premier à la place de son frère. Celui qui. précéderait l'autre au séjour des ombres lui dirait « Vis, ô mon frère, toute ta vie; et vis toute la mienne»

XXXVIII. A BASSA.

Tu n'as pas honte, Bassa, de soulager ton ventre dans un vase d'or, malheureux de t'appartenir, et tu bois dans un verre. Il t'en coûte plus cher pour vider ton ventre que pour l'emplir.

XXXIX. A FIDENTINUS.

Le livre que tu lis tout haut, o.Fidentinus, est de moi mais, quand tu le lis si maL il commence à être de toi.

XL. SUR DECIANUS.

S'il est un homme que l'on puisse compter parmi les amis rares, ces amis fidèles et sûrs comme au bon vieux temps, s'il en est un profondément versé dans la connaissance des arts qui firent,la gloire d'Athènes et du Latium; s'il en est un qui soit défenseur de la justice, admirateur de la vertu, et dont ia bouche n'adresse jamais aux dieux de secrètes demandes s'ii en est un qui s'appuie sur la force de sa grande âme; que je meure, si ce n'est pas Dëcianus !

XLI. CONTRE UN ENVIEUX.

Toi dont le visage se contracte, et qui lis ceci de mauvaise grâce, sois envieux de tout le monde; personne ne, le sera de toi.

XLII. CONTRE CECILIUS.

Tu penses être, Cécilius, un plaisant de bon goût; crois-moi, il n'en est rien. Qu'es-tu donc? un plat bouffon. Tu ressembles à ces malheureux qui parcourent les quartiers au delà duTibre, échangeant des allumettes contre des verres cassés; à ces hommes auxquels la foule oisive achète des pois bouillis; à ces charlatans qui font des tours avec des vipères, et à leurs valets à ces enfants crasseux qui suivent les marchands de salaisons; à ces cuisiniers à voix rauque, qui colportent des saucisses fumantes dans les chaudes tavernes à ces mauvais poètes de carrefours: à ces entremetteurs de débauche venus de Cadix; à ces vieux libertins babillards. Cesse donc,enfin, Cécilius, de te croire, ce que tu n'es qu'à tes propres yeux, capable de surpasser en plaisanteries Galba et Sextius Caballus lui-même. Il n'est pas donné à tout le monde d'avoir du nez. Celui qui plaisante avec une sotte effronterie n'est pas un Sextius, mais un Caballus (une rosse).

XLIII. SUR PORCIA, ÉPOUSE DE BRUTUS.

Lorsque Porcia, apprenant le sort funeste de Brutus; son époux; cherchait, dans sa douleur, des armes qu'on avait eu soin d'écarter (Ignorez-vous encore, dit-elle, qu'on ne peut refuser la mort à personne? Je croyais que mon père vous l'avait assez appris.) Elle dit, et se hâte d'avaler des charbons ardents. Va maintenant, foule importune, et refuse-lui du fer !

XLIV. CONTRE MANCINUS, HÔTE AVARE.

Nous étions hier soixante convives chez toi, Mancinus; et pour tout mets on ne nous servit qu'un sanglier. Nous ne vimes point de ces belles grappes de raisin tardif, de ces pommes dont la douceur le dispute à celle du miel, de ces poires que l'on suspend au plancher avec du genêt flexible, de ces grenades de Carthage, vermeilles comme les roses éphémères nous ne vîmes pas non plus le fromage pyramidal dans la corbellïe rustique,ni l'olive du Picénum dans de petits barils. Rien n'accompagnait ton sanglier, qui même était si petit, qu'il eut suffit, pour tuer son pareil, de la main d'un nain sans armes. On ne nous donna rien après, et nous fûmes tous réduits à le regarder sur la table, comme nous l'eussions regardé courir dans t'arène. Après une telle façon d'agir, que jamais on ne te serve de sanglier mais puisses-tu toi-même être servi à celui qui déchira Charidème !

XLV. A STELLA.

Les courses fotâtrcs des lièvres et les jeux des lions ont été décrits par moi dans deux pièces plus ou moins longues et de la sorte, je me suis répété. Si tu trouves qu'il y ait en cela excès, Stella, sers-moi, de ton cote, deux fois du lièvre.

XLVI SUR SON LIVRE.

Plutôt que de perdre dans mes livres une seule page, plutôt que d'y laisser des places vides, j'aime mieux, comme Homère, me répéter souvent.

XLVII. A HEDYLA.

Lorsque tu me dis, Hédyla, « Je me hâte, dépèche-toi; » ma flamme affaiblie languit aussitôt et s'éteint. Ordonne-moi de ne pas me presser; retenu, je n'en irai que plus vite. Hédyla; si tu te hâtes, dis-moi de ne pas me hâter.

XLVIII. SUR LE MÉDECIN DIAULUS.

Diaulus était naguère médecin; il est présentement croque-mort, croque-mort, il fait ce que, médecin, il faisait.

XLIX. SUR UN LION ET UN LIEVRE.

Les maitres du combat n'ont pu arracher les taureaux à cette énorme gueule, dans laquelle un lièvre, timide proie, se promène en tous sens et, ce qui est plus étonnant encore, ce lièvre sort plus vif de la gueule ennemie, et semble avoir emprunté quelque chose d'un si nobte courage. Il n'est pas plus en sûreté lorsqu'il court seul sur l'arène, et, dans son gîte même, il est moins à l'abri du danger. Si tu veux, fièvre folâtre, éviter les morsures des chiens, tu as pour refuge la gueule d'un lion.

L. LE POETE INVITE AUX DOUCEURS DE LA VIE CHAMPÊTRE, LICINIANUS PARTANT POUR L'ESPAGNE.

Toi; dont les peuples de la Celtibérie doivent célébrer le nom, toi, la gloire de l'Espagne, ma patrie; dans peu tu verras, Licinianus, la haute Bilbilis, célèbre par ses eaux et par ses armes; Caunus, blanchi par les neiges; le Vadavéron ,sacré, isolé au milieu des autres montagnes; les délicieux bosquets de la charmante Botrode, séjour chéri de l'heureuse Pomone. Tu traverseras, à la nage le tiède Congédus au cours paisible et les tranquilles lacs habités par les nymphes puis tu rafraicheras ton corps dans le lit peu profond du Salon qui durcit le fer. La aussi Vobisca t'offrira, pendant le repas même, les plaisirs de la chasse. Tu combattras les chaleurs de l'été en te baignant dans le Tage au sable d'or, à l'ombre des arbres qui couvrent ses rives. Les eaux glacées de Dircenna et celles de Néméa, plus froides que Ia neige, apaiseront l'ardeur de ta soif. Mais lorsque viendra décembre, blanchi par les frimas, et qu'on entendra retentir les rauques mugissements de l'Aquilon, tu regagneras les rivages tempérés de Tarracone et la Lalétanie. Là tomberont sous tes coups les daims, pris dans tes souples filets; et forçant a l'aide d'un coursier vigoureux le sanglier indigène et le lièvre plein de ruses, tu laisseras les cerfs au fermier. Le bois, de la forêt voisine, descendra dans ton foyer, qu'entourera une troupe de sales petits paysans.Tu inviteras le chasseur, et il viendra prendre ptace à ta table; chez toi, point de chaussure à lunule, point de toge; point de vêtements qui exhàlent une odeur de pourpre; point de grossier Liburnien, d'importun client, de veuve impérieuse. Le pâle accusé n'interrompra point ton sommeil,et tu dormiras.toute la matinée.
Qu'un autre achète à grand prix les applaudissements d'une foule insensée; son bonheur te semblera digne de pitié pour toi, prends en pitié les heureux, et jouis sans orgueuil du vrai bonheur, en laissant à ton cher Sura, les éloges et les compliments. On peut, sans encourir le blâme, consacrer au repos le reste de ses jours, quand on a fait assez pour la gloire.

LI. PLAISANTERIE SUR UN CUISINIER, TIRÉE D'HOMÈRE.

Émilien, si tu appelles ton cuisinier MystiIIe, pourquoi n'appellerais- je pas le mien Taratalta ?

LII. A UN LIÈVRE.

Il ne faut au terrible lion que des pièces de première grosseur; pourquoi, lièvre ambitieux, fuir l'approche de ses dents? Crois-tu donc qu'il voudra des énormes taureaux, descendre jusqu'à toi, et dévorer ta tête qu'il ne voit même pas? Tu ne dois pas espérer une fin si grande et si glorieuse. Chétive proie, tu ne peux recevoir la mort d'un pareil ennemi.

LIII. IL FAIT QUINTIANUS SON DEFENSEUR.

Je te recommande, Quintianus, mes petits recueils de vers, si toutefois je puis appeler ainsi ceux que récite certain poëte de tes amis. S'ils se plaignent d'un triste esclavage, viens à leur secours; qu'ils trouvent en toi un ferme appui; et, quand il se proclamera leur maitre, déclare qu'ils sont à moi, et que je les ai affranchis. Si tu protestes à grands cris trois ou quatre fois, tu feras rougir le plagiaire.

L1V. AU PLAGIAIRE FIDENTINUS.

Il n'y a, Fidentinus, qu'une seule page de toi dans mes recueils mais elle porte si bien le cachet de son maître, qu'elle décèle ouvertement ta friponnerie. Ainsi la grossière capote du Lingonien, mise sur la robe pourpre-violacée du citadin, la salit par le contact de son étoffe grasse;ainsi la vaisselle de terre d'Arétium jure parmi tes vases de cristal; ainsi devient un objet de risée le noir corbeau, lorsque parfois il erre sur les bords du Caïstre, au milieu des cygnes chéris de Léda; ainsi, lorsque l'oiseau de l'Attique fait retentir un bois sacré de ses chants harmonieux, l'on est courroucé d'entendre une malfaisante pie mêler ses cris aux plaintes de Phitomete. Mes livres n'ont besoin ni d'accusateur, ni de défenseur ta page s'ëiève contre toi et te dit: "Tu es un voleur !"

LV. A FUSCUS.

Si tu veux permettre encore, que quelqu'un s'attache à toi, Fuscus, à,toi qui as en tous lieux des amis, s'il reste une place dans ton coeur, accorde la moi. Ne me rejette point, parce que je suis un nouveau venu. Tous tes anciens amis ont été nouveaux. Examine seulement si le nouvel ami qui se présente peut devenir un vieil ami.

LVI. A FRONTON, SUR LE GENRE DE VIE OBJET DE SES VOEUX.

0 toi la gloire de l'armée et l'honneur du barreau, si tu veux,Fronton, connaître en peu de mots les souhaits de ton ami Marcus, les voici posséder et cultiver un champ d'une médiocre étendue vivre sans faste et, en repos au sein de la médiocrité. Qui donc ira, courtisan assidu, attendre, sur le froid marbre de Laconie aux couleurs variées, le lever d'un patron, et lui adresser humblement le salut du matin, quand il peut ouvrir, devant son foyer, ses filets remplis des dëpouilles de la forêt et de la riche campagne détacher de la ligne tremblante le poisson frétillant, et puiser de blond, miel dans un pot de terre rouge; quand la main de sa grasse fermière couvre de mets sa table aux pieds inégaux, et que ses oeufs cuisent dans une cendré qui ne lui coûte rien? Que quiconque ne m'aime pas n'aime pas ce genre de vie; tant mieux qu'il vive à Rome traiNant la robe blanche, et soumis aux devoirs importuns de la Ville.

LVII. A UN CABARETIER.

Des pluies continuelles tourmentent la vendange et l'inôndent. Quand tu le voudrais, cabaretier, tu ne pourrais nous vendre du vin pur.

LVIII. A FLACCUS.

Tu me demandes, Flaccus, comment je voudrais une maitresse, et comment je ne la voudrais pas? Je ne la veux ni trop facile, ni trop diflicilé. Ce qui me plaît, c'est un milieu entre ces
deux extrêmes. Je ne veux pas ce qui tourmente; je ne veux pas ce qui produit la satiëtë.

LIX. SUR LE PRIX D'UN JEUNE GARCON.

Un marchand d'esclaves me demandant cent mille sesterces pour le prix d'un jeune garçon, je me mis à rire; mais Phëbus les lui donna aussitôt. J'en suis fâche; et ma mentule me fait secrètement des reproches, tandis que Phëbus est loué à mes dépens. Mais sa mentule valut à Phëbus deux millions de sesterces. Qu'on m'en donne autant, et je mettrai l'enchère..

LX. A FLACCUS, SUR SA SPORTULE.

La sportule de Baies me rapporte cent quadrans qu'est-ce que cela dans ce séjour de dëiices.? Rends-moi les bains obscurs de Lupus et de Gryllus quand je soupe, si mal, Flaccus, à quoi bon me baigner si bien?

LXI. SUR UN LION ET UN LIÉVRE.

Lièvre, tu as beau entrer dans la vaste gueule de ce terrible lion, il ne te sent point sous sa dent. Où trouvera-t-il une croupe, où trouvera-t-it des épaules pour les profondes morsures qu'il fait aux jeunes taureaux? Pourquoi fatigues-tu vainement le maitre et le roi des forèts? Les animaux de choix sont les seuls dont il se nourrisse.

LXII. A LICINIANUS, SUR LA PATRIE DE PLUSIEURS ECRIVAINS.

Vérone aime les vers du savant poète né dans ses murs; Mantoue est heureuse d'avoir produit Virgite; Apone s'honore d'être la patrie de Tite-Live, de Stella et de Flaccus; le Nil, dont lcs eaux tiennent lieu de pluie,sc glorifie d'Apollodore; les Pëlignièns vantent leur Ovide l'éloquente Cordoue cëlèbre la mémoire des deux Sénèques et de son unique Lucain; la folâtre Gadès se réjouit d'ètre la patrie de Canius;-Ëmërita, d'avoir donné le jour à mon ami Decianus. Bilbilis, notre patrie à tous deux, Licinianus, citera ton nom avec orgueil, et ne taira pas le mien.

LXIII. SUR LA CHASTE LEVINA, DEVENUE ADULTÈRE A BAÏES.

La chasteLëvina, qui ne le cédait point aux antiques Sabines, qui même l'emportait en sévérité sur son austère mari, depuis qu'elle se permet tantôt les bains du Lucrin, tantôt ceux de l'Averne depuis qu'elle goûte souvent les délices des eaux de Baïes, s'est sentie embrasée d'une vive flamme, et, abandonnant son époux, a suivi un jeune amant. Arrivée Pénélope, elle est partie .Hëlène.

LXIV. A CELER

Tu me pries de te réciter mes épigrammes je ne veux pas. Ce ne sont pas mes vers que tu veux entendre, Cëlcr ce sont les tiens que tu brûles de me dire.

LXV.A FABULLA, QUI AIMAIT A SE LOUER.

Tu es jolie, on le sait et jeune, c'est la vérité et riche, qui peut donc le nier? Mais quand tu te loues avec excès, Fabulla, .tu n'es ni riche, ni jolie, ni jeune.

LXVI. A CECILIANUS, SUR LES GENRES ET LES CAS DU MOT FICUS.

Quand je dis ficus, tu en ris, comme d'un mot barbare, et tu veux, Cécilianus,.que l'on dise ficos. J'appetterai ficus les fruits
que l'on sait être produits par le figuier ceux que tu portes, Cécilianus, je les nommerai ficos.

LXVII. A UN PLAGIAIRE, AU SUJET DE SON LIVRE.

Tu te trompes, voleur avare de mes livres, si tu penses qu'on puisse devenir poëte au prix d'un pauvre volume et de ce qu'il en coûte pour le faire transcrire. Ce n'est pas avec six ou dix sesterces qu'on acquiert de ia renommée. Cherche des vers ignorés, des compositions qui. n'aient point encore vu le jour, connues d'un seul, tenue ssoigneusement enfermées dans leur écrin par le père même de ces productions vierges, et non usées par les frottements d'une barbe dure. Un livre connu ne peut changer de maître. Mais s'il s'en trouve quelqu'un dont l'enveloppe n'ait point été polie par la pierre ponce, et qui manque encore d'ombilics et de membranes, achete-le j'en ai de tels; personne ne le saura. Celui qui vise à lagloire en récitant comme siens les ouvrages d'autrui, doit acheter non pas le livre mais le silence de l'auteur.

LXVIII. A CHERILUS.

Tu es un homme trop libre, me dis-tu sans cesse, Chërilus. Sans doute il faut l'être, Chëritus pour parler de toi.

LX1X. SUR RUFUS.

Quoi.qu'il fasse, Rufus n'est occupé que de Névia. S'il rit, s'il pleure; s'il se tait, le nom de Névia est sur ses lèvres. Qu'il mange, qu'il boive, qu'il demande, qu'il refuse, qu'il fasse un geste, toujours Nëvia. Sans Névia, il serait muet. Hier, adressant une lettre à son père Salut, écrivait-il, Névia, ma lumière, Névia, mon flambeau, Névia lit ces folies, et sourit en baissant les yeux; Névia n'est pas à toi seul; amant imbécile, pourquoi cette folle passion ?

LXX. A MAXIMUS.

Terente, habitué à montrer sa statue de Pan, commence maintenant, Maximus, à montrer Canius.

LXXI. A SON LIVRE.

Va, mon livre, va de ma part saluer officieusement Proculus dans sa magnifique demeure.Tu demandes quelle route il faut suivre, je vais te le dire. Tu passeras le long du temple de Castor, voisin de l'antiqueVesta, et des vierges ses prètresses. De là, suivant la colline sacrée, tu gagneras le majestueux palais près duquel brille en une foule de lieux l'image du maitre de l'empire. Ne t'arrête pas à contempler ce colosse rayonnant, fier de l'emporter sur celui de Rhodes. Poursuis ta course en tournant du côté où s'élèvent le temple du dieu buveur et celui de Cybèle, dont les voutes peintes nous retracent les Corybantes.Aussitôt, à la gauche de ce dernier, s'offre aux yeux la façade d'une haute maison c'est la magnifique demeure où tu.dois te rendre. Entres-y; que sa fastueuse apparence, que ses superbes abords, ne t'intimident pas. Il n'en est point dont la porte soit plus largement ouverte et où Phébus et tes doctes soeurs reçoivent un plus doux accueil. Si le maitre te dit " Pourquoi donc n'est-il pas venu lui-même ? " tu m'excuseras en ces mots " Parce que, s' il était venu vous saluer en personne, il n'aurait pu écrire ce que vous lisez."

LXXII. AU SOMMEIL.

Buvons six coups à Nëvia, sept à Justine, cinq à Lycas, quatre à Lydé, trois à Ida. Que le falerne coule autant de fois qu'il y a de lettres dans le nom'de chacune de nos amies. Mais puisqu'aucune d'élles ne vient, Sommeil, viens à moi.

LXXIII. A F!DENTINUS.

Tu penses, Fidentinus, être poëte, en t'attribuant mes vers, et tu voudrais le faire croire? Ainsi, pourvue d'un râtetier d'or ou d'ivoire acheté par elle, Égle se figure avoir des dents; ainsi, plus noire que la mûre qui tombe, Lycoris, blanchi par la céruse, admire son teint de lis; toi, de même, le moyen qui te rend poète, quand tu seras chauve, te rendra chevelu.

LXXIV. A CECILIANUS.

II n'était personne dans la ville qui voulût toucher ta femme pour rien, Cëcitianus, lorsqu'on le pouvait aisément; mais maintenant tu la fais garder, et grande est la foule des galants. Tu es un homme plein de.finesse !

LXXV. A PAULLA.

Il était ton amant; tu pouvais cependant le nier, Paulla, le voilà ton mari peux-tu le nier maintenant ?

LXXVI. SUR LINUS.

Celui qui aime mieux donner à Linus la moitié que de lui prêter la somme entière, aime mieux ne perdre que la moitié.

LXXVII. A FLACCUS.

0 digne objet de ma sollicitude; Flaccus, espoir de la ville d'Anténor où tu pris naissance, abandonne pour un temps la poésie et le choeur des neuf soeurs. Aucune de ces jeunes vierges ne te donnera la richesse. Qu'espères-tu obtenir de Phébus? Ce sont les coffres de Minerve qui renferment det'or: chez elle est la sagesse elle seule prête à tous les dieux: que pourraient produire les lierres de Bacchus? L'arbre de Pallas, courbe sous le poids des fruits ses branches au feuillage varié. L'Hélicon n'a rien que ses eaux, ses couronnes de fleurs, les lyres des déesses et de bruyants mais stériles applaudissements. Qu'attends-tu de Cirrha? qù'attends-tu des ondes du Përmesse ? Le barreau de Rome est plus voisin et plus riche. C'est là que retentit ie bruit de l'or; mais autour de nos bancs, de nos chaires inutiles, on n'entend que le bruit des baisers.

LXXVIII. SUR CHARINUS.

Charinus se porte bien, et pourtant il est pâle Charinus boit sobrement., et pourtant il est pâle; Charinus digère bien, et pourtant il est pâle; Charinus se promène au soleil, et pourtant il est pâle; Charinus se met du fard, et-pourtant il est pâle, Charinus lèche les secrets appas des belles, et pourtant il est pâle.

LXXIX. SUR FESTUS.

Atteint d'un mal de gorge dévorant qui exerçait d'affreux ravages jusque sur sa figure, Festus, qui méritait mieux, l'oeil sec, et consolant ses amis en pleurs, résolut de mourir. Toutefois il ne souilla point d'un obscur poison sa bouche vënérabte, et ne termina point sa triste destinée dans les longues angoisses de la faim. C'est en Romain qu'il a fini sa vie exempte de reproche, et c'est par une plus noble voie qu'il a fait envoler son âme. La renommée peut placer cette mort au-dessus de cette du grand Caton, Festus était l'ami de César.

LXXX. A L'ARDELION ATTALUS.

Toujours tu fais des plaidoiries, toujours tu fais des affaires, Attatus. Qu'il y ait, ou qu'il n'y ait pas lieu pour toi de faire, Attalus; tu fais toujours. Si les affaires ou les causes te manquent, tu fais, Attalus, marcher des mules. Attalus, de peur qu'il ne te manque quelque chose à faire, fais le trajet de la vie à la mort.

LXXXI. A CANUS.

.Pendant ta dernière nuit, Canus, tu fis demander la sportule tu mourus, je pense, Canus, du chagrin de n'en recevoir qu'une.

LXXXII. A SOStBIANUS.

Tu n'ignores pas que tu es fils d'un esclave, et tu l'avoues de bonne gràce, Sosibianus, lorsque tu dis à ton père " Mon maitre."

LXXXIII. A REGULUS.

Ce portique tombé avec des flots de poussière, et dont les ruines gisent au loin sur le sol, voici comment sa chute est justifiée,
Régutus, dans un char, venait de passer sous ces voûtes, et déjà s'en était éloigné, lorsque l'édifiçe céda tout à coup sous son propre poids, et, ne craignant plus rien pour les jours de son maitre, s'ëcroula sans fâcheux accident, et sans lui faire aucun mal. Maintenant, Régulus, que nous n'avons plus à craindre un si grand sujet de douleur, qui pourra nier que les dieux te favorisent, puisque pareille chute n'a rien pour toi que d'innocent.

LXXXIV. SUR MANNEIA.

Ton petit chien, Manneia, te lèche la bouche et les lèvres je n'en suis pas surpris les chiens aiment les excréments.

LXXXV. SUR QUIRINALIS.

Quirinalis ne songe pas à se marier, pour avoir des enfants; il a trouvé le moyen de s'en procurer, il engrosse ses servantes, et remplit de chevaliers esclaves sa maison et ses champs. C'est un vrai père defarnille que Quirinalis.

LXXXVI. SUR UN CRIEUR.

Un crieur facétieux était chargé,de vendre des coteaux bien cultivés et de fort beaux terrains sis à peu de distance de la ville. " On se trompe, se mit-il à dire, si l'on pense que Marius est obligé de vendre il ne doit rien; au contraire, il prête beaucoup d'argent. Pourquoi donc vend-il? Ayant perdu là tous ses esclaves, ses troupeaux, ses récoltes, il n'aime plus ce domaine." Qui offrirait maintenant un prix, à moins de vouloir se ruiner entièrement? Aussi une propriété si funeste est-elle restée à son maître.

LXXXVII. UN VOISIN NON VOISIN.

Novius est mon voisin de ma fenêtre, je puis lui donner la main. Qui ne serait jaloux de mon sort, et ne croirait pas qu'à toute heure je puis avoir le plaisir de sa société. Eh bien, il est aussi loin pour moi que Térentianus, qui commande présentement à Syèné, sur les bords du Nil. Je ne puis vivre avec lui, pas même le voir, t'entendre; et, dans toute la ville, personne n'est plus près et plus loin que nous deux. Il faut que nous allions demeurer à distance l'un de l'autre. Si quelqu'un veut ne jamais voir Novius, qu'il devienne son voisin ou son colocataire.

LXXXVIII. A LA BUVEUSE FESCENNIA.

Pour ne pas exhaler, débauchée Fescennia, l'odeur du vin que tu as bu hier, tu dévores des pastilles de Cosmus. Ce genre de déjeuner purifie tes dents, mais n'atténue en rien les émanations qui viennent du fond de ton estomac. Est-il une infection pareille à celle que produit ce mélange de parfum et d'haieinë empestée? et cette double puanteur n'est-elle pas plus insupportable ? Cesse donc de recourir à des ruses trop connues, à des déguisements qui ne sauraient tromper personne, et sois ivre tout simplement.

LXXXIX. ÉPITAPHE DU JEUNE ALCIMUS.

Alcimus, toi que la mort vient d'enlever à ton maître dans le printemps de tes années, toi que la terre de Labicùmcouvre d'un léger gazon, reçois sur ta tombe, non pas un mausolée fait d'une pierre de Pharos, et dont la matière périssable écraserait la cendre de son poids inutile, mais de faibles buis, des pampres épais, et des fleurs dérobées aux prés que font verdir mes larmes. Accepte, cher enfant, ces monuments de ma douleur. Ta mémoire s'éternisera dans ces vers. Lorsque Lachésis aura achevé de filer mes dernières années, je ne demande pas d'autres honneurs pour mes cendres.

XC. A CINNA.

Tu nous parles toujours à l'oreille, Cinna, et tu ne dis pourtant que ce qui peut se dire en présence de tous. Tu ris, tu te plains, tu grondes, tu pleures, tu chantes, tu juges, tu te tais, tu cries; et cela toujours a l'oreil!e. Cette maladie est tellement ancrée chez toi, que tu nous fais souvent à l'oreille l'éloge de César.

XCI. A LA TRIBADE BASSA.

Comme jamais, Bassa, je ne te voyais entourée d'hommes, et que la chronique ne te donnait pas d'amant, comme toujours, au contraire, une foule, de femmes s'empressaient à te servir sans qu'on vit paraitre un seul homme, je l'avoue, tu me paraissais une Lucrèce mais (ô crime))' tu étais toi-même l'amant de ces femmes. Tu oses joindre l'un à l'autre deux organes féminins et, dans i'excès incroyable de tes lubriques fureurs, tu joues mensongèrement le rôle d'un homme.Tu as créé une énigme digne du monstre thébain un adultère commis sans le concours d'un homme.

XCII. AU DETRACTEUR LELIUS.

Tu ne publies pas tes vers, et tu censures les miens, Lélius: ou ne critique pas mes vers, ou publie les tiens.

XCllI. A MAMURIANUS.

Souvent Cestus vient se plaindre à moi, les larmes aux yeux, Mamurianus, des attouchements de ton doigt. Il n'est pas besoin de ton doig : aie Cestus tout entier, s'il ne te manque rien autre chose, Mamurianus. Mais si ton foyer est sans feu et ton grabat sans support; si tu n'as pas même le vase ébréché de Chione ou d'Antiope ; si une casaque grasse et usée pend sur tes reins ; si une mauvaise jaquette gauloise couvre à peine la moitié de tes fesses; si tu n'as, pour tout aliment, que la noire vapeur de la cuisine; et si, couché par terre, tu bois de l'eau sale avec les chiens, ce n'est pas ton derrière ( car cette partie n'est point un derrière, quand elle ne fait plus ses fonctions),
c'est l'oeil qui te reste que j'enfoncerai avec le doigt. Ne m'accuse point de jalousie ni de méchanceté; mais quand tu voudras jouir d'un jeune garçon, Mamurianus, tâche d'avoir le ventre plein.

XCIV. SUR AQUINUS ET FABRICIUS.

Ici repose Aquinus, réuni à son fidèle Fabricius, qui se félicite d'être allé le premier visiter les demeures de l'Élysée. Ce double autel attesta qu'ils remplissaient tous deux les fonctions de primipile ; mais leur principale gloire est indiquée dans cette courte inscription : "Unis l'un et l'autre par les liens sacrés d'une vie irréprochable, ils furent (ce que la renommée n'a pas souvent occasion de publier) amis l'un et l'autre. "

XCV. A ÉGLÉ.

Tu chantais mal, Églé, pendant l'assaut amoureux. Aujourd'hui tu chantes bien ; il ne faut donc plus t'assaillir.

XCVI. AU BRAILLARD HÉLIUS.

Quand tu cries sans cesse, quand le son aigre de ta voix fatigue les oreilles des plaideurs, Hélius, tu ne fais pas cela gratis, tu te fais payer pour te taire.

XCVII. A SCAZON, SUR UN EFFÉMINÉ.

Si cela ne t'importune et ne te chagrine pas, Scazon, dis, je t'en prie, ce peu de mots à l'oreille de Maternus, de manière à ce que lui seul les entende. Cet amateur de grossières casaques qui ne porte que des vêtements de laine d'Espagne et de drap gris-brun, qui ne croit pas pouvoir appeler hommes ceux qui en partent d'écarlate, et nomme parures des femmes les habits couleur d'améthyste, peut bien vanter les vêtements de couleur naturelle, et ne se permettre que les teintes sombres : il n'en est pas moins efféminé. Vous demanderez ce qui me donne lieu de le soupçonner tel. Nous nous baignons ensemble : jamais il n'élève la vue ; mais il dévore du regard les hommes vigoureux. A l'aspect de leurs mentules, l'eau lui vient à la bouche. Vous demandez quel est cet homme. Son nom m'est échappé.

XCVIII. A L'AVOCAT NÉVOLUS.

Quand tout le monde crie, Névolus, tu te contentes de parler, et tu te crois patron ou avocat. A ce compte, il n'y a personne qui ne puisse être éloquent. Voici qu'ils se taisent tous ; Névolus, parle maintenant.

XCIX. A FLACCUS.

Diodorus plaide, Flaccus, et il a la goutte aux pieds. Mais il ne donne rien à son avocat : c'est donc aux mains qu'il a la goutte.

C. A L'AVARE CALÉNUS.

Tu ne possédais pas vingt fois cent mille sesterces entierement mais tu te montrais si prodigue, si libéral, si somptueux, Calenus, que tous tes amis te souhaitaient le quintuple. Un dieu a écouté nos voeux ; et dans l'espace, je crois, de sept calendes, quatre décès t'ont donné cette fortune. Mais toi, comme si ces héritages t'eussent ruiné au lieu de t'enrichir, tu t'es rédu malheureux, à une telle abstinence, que le plus splendide de tes repas, le seul dans toute l'année pour lequel tu fasses des apprêts, ne te coûte que quelques pièces de vile monnaie, et que nous, sept de tes anciens amis, nous ne te coûtons que la valeur d'une demi-livre de plomb. Que te souhaiterons-nous qui soit digne d'une pareille générosité? Nous te souhaiterons des millions de sesterces, Calénus: s'ils t'arrivent, tu mourras de faim.

CI. SUR AFRA, BEAUTÉ SURANNÉE.

Elle a des mamans et des papas, Afra ; mais de ses papas et de ses mamans on peut bien l'appeler la grand'maman.

CII. SUR LA MORT DE L'ESCLAVE DÉMÉTRIUS.

Celui dont la main fidèle, confidente de mes veilles, était si utile à son maître et si connue des Césars, Démétrius, au printemps de ses jours, à cessé de vivre ; il ne comptait que trois lustres et quatre moissons. Pour que, du moins, il ne descendit point esclave parmi les ombres du Styx, voyant qu'une affreuse maladie le consumait, j'ai eu soin de lui remettre, pendant qu'il était sur le lit de douleur, tous les droits que j'avais sur lui comme son maître. Il méritait que cet acte de ma bienfaisance le rendît à la santé. En mourant, il en avait senti tout le prix; et, au moment de s'en aller libre sur les bords des infernales eaux, il m'appela son patron.

CIII. A LYCORIS.

Le peintre qui a fait pour toi ce portrait de Vénus, ô Lycoris, a voulu flatter Minerve.

CIV. A SCÉVOLA.

Si les dieux me donnaient un million de sesterces, disais-tu, Scévola quand tu n'avais pas encore le cens nécessaire pour être chevalier, oh ! comme je vivrais ! avec quelle magnificence ! dans quelle félicité ! Les dieux, complaisants, sourirent, et te donnèrent ce million. Depuis lors, ta toge est plus sale, ton manteau plus mauvais, ta chaussure a passé trois et quatre fois par les mains du savetier : quand il paraît sur ta table dix olives, tu en réserves toujours la plus grande partie; et, chez toi, un même service se partage pour deux repas; l'on n'y boit que de l'épaisse lie du vin clairet de Vêïes ; tu achètes pour un as des pois chiches cuits dans l'eau, et les plaisirs de Vénus ne te
coûtent que pareille somme. Parais au tribunal, homme fourbe et de mauvaise foi ! marchons ! ou vis comme tu dois vivre, Scévola, ou rends aux dieux ton million.

CV. SUR UN SPECTACLE.

En voyant le cou tacheté du léopard supporter un joug fragile, les tigres féroces endurer patiemment le fouet, les cerfs mordre le fer doré de leur bride, les ours de Libye se montrer dociles au frein, un sanglier formidable, tel que fut celui de Calydon, se laisser conduire avec un licou de pourpre, les difformes bisons traîner des chariots, et le pesant éléphant, ne refusant rien à son noir conducteur, danser avec grâce lorsque celui-ci le lui commande ; qui ne croirait assister à un spectacle des dieux ? Il n'est personne toutefois qui ne détourne les yeux de ce spectacle, comme peu digne d'attention, quand viennent s'offrir à ses regards les petites chasses des lions que fatiguent, dans leur épouvante, les lièvres fuyant avec rapidité. Ces lions quittent leur proie, la reprennent, la flattent, et la tiennent dans leur gueule où elle ne court nul danger ; ils se plaisent à lui laisser des issues pour s'échapper, et à contenir
leurs dents qui craignent de lui faire le moindre mal : ils aurraient honte de donner la mort à une proie si faible, au moment même où ils viennent de terrasser de jeunes taureaux. Une pareille clémence n'est pas l'oeuvre de l'art; mais les lions savent à quel maître ils obéissent.

CVI. A OVIDE.

Le vin que produit le territoire de Nomente, Ovide, du moment qu'il est très vieux, perd, à force d'années, sa nature première et son nom ; et le vieux vase qui le contient peut recevoir l'étiquette qu'on voudra lui appliquer.

CVII. A RUFUS.

Tu mets de l'eau en abondance dans ton vin, Rufus, et, quand ton compagnon de table te presse, tu bois à grand peine un petit verre de falerne bien trempé. Névia t'aurait-elle promis une nuit de bonheur, et préférerais-tu te ménager, par la sobriété; des jouissances plus certaines? Tu soupires, tu te tais, tu gémis! Névia te refuse. Bois donc largement, qui t'en empêche? Noie dans le vin la honte de ce cruel refus. Pourquoi te ménager, Rufus? tu n'as plus qu'à dormir.

CVIII. A LUCIUS JULIUS.

Souvent tu me dis, très illustre Lucius Julius : « Écris quelque chose de grand : tu es un paresseux. » Donne-moi des loisirs, mais tels que Mécène en procurait jadis à ses amis Flaccus et Virgile. J'essayerais, moi, de travailler à vivre dans les siècles à venir, et
d'arracher mon nom aux flammes du bûcher ! Les jeunes taureaux se refusent au joug dans les champs stériles : un sol gras fatigue, mais la peine qu'on y prend ne laisse pas d'avoir son charme.

CIX. A GALLUS.

Tu as, et je souhaite que tu la possèdes, de plus en plus spacieuse, pendant un grand nombre d'années, une maison belle assurément, mais sise de l'autre côté du Tibre. Pour moi, je loge au plus haut, et de là je vois les lauriers d'Agrippa. C'est dans ce quartier que j'ai atteint la vieillesse. Il me faut faire un long voyage, Gallus, pour aller te saluer chez toi le matin. Tu mérite, bien, sans doute, que je m'acquitte avec empressement de ce devoir, ta demeure fût-elle plus éloignée encore. Mais c'est peu de chose pour toi qu'un client de plus ; et c'est beaucoup pour moi, Gallus, si je me dispense du voyage. J'irai te saluer vers la dixième heure, ou plus tard. Ce matin, mon livre te souhaitera pour moi le bonjour.

CX. SUR LA PETITE CHIENNE DE PUBLIUS ET LE PORTRAIT DE CETTE CHIENNE.

Issa est plus agaçante que le moineau de Catulle ; Issa est plus pure que le baiser d'une colombe; Issa est plus attrayante : que toutes les jeunes filles ; Issa est plus précieuse que les pierreries de l'Inde. La petite chienne Issa fait les délices de Publius. Lorsqu'elle se plaint, vous croyez qu'elle parle; elle sent la tristesse et la joie de son maître ; elle se couche sur son cou ; elle y dort sans faire entendre un soupir. Pressée du besoin de soulager son ventre, jamais elle ne laisse aucune trace sur les couvertures ; elle éveille doucement son maître de sa patte caressante, avertit qu'il faut la descendre du lit, et demande à être nettoyée. Rien n'égale la pudeur de cette chaste petite chienne ; elle ignore les plaisirs de l'amour, et il ne s'est point trouvé de mari digne d'une vierge si délicate. Afin que la mort ne la ravisse pas tout entière, Publius a pris soin qu'un tableau en conserve l'image fidèle. Vous y verrez Issa représentée avec tant de vérité, qu'Issa n'est pas plus semblable à elle-même. Enfin comparez Issa avec son portrait ; et vous croirez que l'un et l'autre sont ou deux Issa ou deux portraits.

CXI. A VELOX.

Tu te plains, Vélox, de la longueur de mes épigrammes. En n'écrivant rien, tu fais les tiennes plus courtes.

CXII. A RÉGULUS.

La renommée que tu as acquise par ta sagesse égalant ton respect pour les dieux, et ta pieté n'étant pas inférieure à ton génie! celui qui voit avec surprise, Régulus, que l'on t'offre un livre et de l'encens, ignore quels sont les présents qu'il convient d'offrir au mérite.

CXIlI. CONTRE PRISCUS.

Lorsque je ne te connaissais pas encore, je t'appelais mon maître et mon roi; maintenant que je te connais bien, tu ne seras plus pour moi que Priscus.

CXIV. AU LECTEUR, POUR LUI INDIQUER OU SE VENDENT SES LIVRES.

Tous ces badinages qui amusèrent autrefois ma jeunesse et mon enfance, toutes ces frivolités dont je ne conserve plus moi-même le souvenir, tu pourras, lecteur, si tu veux mal employer des heures précieuses, et si tu es ennemi de ton loisir, les demander à Valérianus Pollius Quintus, qui veille pour empêcher ces bagatelles de périr.

CXV. A FAUSTINUS.

Ces jardins, Faustinus, cette petite campagne, ces prés humides qui avoisinent ton habitation, appartiennent à Télesphorus Fénius. C'est en ces lieux qu'il a déposa les cendres d'Antulla, sa fille, et qu'il a consacré ce nom si cher sur une tombe où le sien serait mieux placé. Il était juste, en effet, que le père descendît le premier sur les bords du Styx; mais, puisque les destins ne l'ont pas voulu, qu'il vive donc pour honorer les restes de sa fille.

CXVI. CONTRE PROCILLUS.

Jaloux Procillus, une jeune fille, plus blanche que le cygne immaculé, que l'argent, que la neige, que le lis, que la fleur du troëne, est éprise de moi. Tu vas te pendre ! Mais, moi, j'en aime une autre plus noire que la nuit, que la fourmi, que la poix, que le geai, que la cigale. Si je te connais bien, Procillus tu vivras.

CXVII. DU CHAMP CONSACRÉ A LA SÉPULTURE D'ANTULLA ET DE SA FAMILLE.

Ce bois et ce peu d'arpents de terrain cultivé, Fénius les a consacres à l'honneur éternel des mânes. Ce tombeau couvre les cendres d'Antulla, trop tôt ravie à sa famille. Celles de son père et de sa mère y seront un jour mêlées aux siennes. S'il est quelqu'un qui désire acquérir ce petit champ, qu'il perde, je l'enavertis, l'espoir de l'obtenir. li est destiné pour toujours au service de ses maîtres.

CXVlll. CONTRE LUPERCUS.

Toutes les fois que tu me rencontres, Lupercus : Te plaît-il, me dis-tu sur-le-champ, que je t'envoie mon esclave pour prendre ton petit livre d'épigrammes, que je te renverrai dès que je l'aurai lu. Il est inutile, Lupercus, que tu donnes cette peine à ton esclave : il aurait beaucoup de chemin à faire pour venir au Poirier; de plus, je loge au troisième étage, et ces étages sont très hauts. Ce que tu demandes, tu peux aller le chercher plus près; car tu as coutume de fréquenter l'Argilète. Or, près du forum de César, se trouve une boutique, dont la devanture est toute couverte de titres d'ouvrages, de sorte qu'on y lit en un instant les noms de tous les poëtes. Là tu me demanderas à Atrectus : c'est le nom du marchand. Du premier ou du second de ses rayons, il tirera un Martial poli à la pierre ponce et orné de pourpre, qu'il te donnera pour cinq deniers. — Ton livre ne vaut pas cela, dis-tu.— Tu as raison, Lupercus.

CXIX. — A CÉCILLANUS.

A celui qui trouve insuffisante la lecture de cent épigrammes aucune sorte de maux ne peut suffire.

LIVRE II


MARTIAL A SON AMI DÉCIANUS, SALUT.

Je t'entends dire : Que me veux-tu, avec ton épître? N'est-ce pas assez de complaisance que de lire tes épigrammes? Que t'apprêtes-
tu donc à dire dans cette épître que tu ne puisses dire dans tes vers? Je comprends pourquoi les tragiques ont recours à un prologue, eux qui ne peuvent parler pour eux-mêmes dans leurs pièces. Les épigrammes n'ont pas besoin d'un apologiste, et leur langage dont le mérite est d'être libre dit assez pour leur défense. A quelque page que vous les preniez, elles font une épître. Ne va donc pas, s'il te plait, faire une chose ridicule, et vêtir de la toge un danseur de théâtre. Vois enfin si, armé d'une férule, il te plaît de combattre contre un rétiaire. Pour moi, je prends place parmi ceux qui réclament à l'instant même. Par Hercule ! Décianus, je crois que tu dis vrai. Que serait-ce si tu savais à quelle épître, à quelle longue épître tu allais avoir affaire? Qu'il en soit donc ainsi que tu l'exiges. Si ce livre tombe entre les mains de quelques personnes, elles te devront d'arriver sans fatigue au bout de la première page.

1. A SON LIVRE.

Tu pouvais, certes, contenir trois cents épigrammes : mais qui pourrait, mon livre, te supporter et te lire? Or, maintenant, apprends quels sont les avantages d'un petit livre. D'abord, c'est de me procurer une économie de papier ensuite, c'est qu'un copiste peut, dans l'espace d'une heure, en transcrire le contenu, et n'est pas obligé de perdre tout son temps à ces bagatelles ; en troisième lieu, c'est que si, par hasard, quelqu'un vient à te lire, tout en étant mauvais d'un bout à l'autre, tu ne seras pas ennuyeux. Le convive te lira en mêlant de l'eau à son vin, et il aura fini de te parcourir avant que la liqueur soit devenue tiède dans la coupe. Te crois-tu suffisamment protégé par cette
brièveté? Hélas! combien de lecteurs te trouveront encore trop long !

II. A CÉSAR DOMITIEN.

La Crète donna un grand nom, l'Afrique en donna un plus grand, qu'ont portés, depuis leurs victoires, Scipion et Métellus. La Germanie en valut un plus noble encore au vainqueur de contrées que baignent les eaux du Rhin ; et ce nom, quoique enfant, César, tu en étais digne. Ton frère mérita de partager avec votre père les triomphes de l'Idumée. Les lauriers cueillis chez les Cattes t'appartiennènt tout entiers.

III. A SEXTUS.

Sextus, tu ne dois rien ; tu ne dois rien, Sextus, je l'avoue : car on ne doit, Sextus, qu'autant qu'on peut payer.

IV. CONTRE AMMIANUS.

0 que de caresses, Ammianus, tu fais à ta mère ! que de caresses te fait ta mère, Ammianus! Elle t'appelle son frère, et reçoit de toi le nom de soeur. Pourquoi ces noms étranges et mal sonnants ont-ils pour vous tant d'attrait? Pourquoi vous déplaît-il d'être ce que vous êtes? Regardez-vous ceci comme un badinage, un jeu? Il n'en est rien. Une mère. qui désire être soeur, ne veut être ni soeur ni mère.

V. A DÉCIANUS.

Que je meure, Décianus, si je ne souhaite de passer avec toi les jours entiers et les nuits entières! Mais un intervalle de deux mille pas nous sépare, ce qui fait quatre mille quand il faut revenir. Souvent tu n'es pas chez toi ; souvent, bien que tu y sois, tu fais refuser l'entrée de ta maison : souvent tu travailles pour tes clients, ou tu prends du bon temps. Certes, je fais, sans nul regret, deux mille pas pour te voir ; mais il m'est pénible d'en faire quatre mille pour ne te voir pas.

VI. A SÉVÉRUS.

Va maintenant, presse-moi de publier mes petits livres. A peine en as-tu lu deux pages, que tu jettes les yeux sur la fin, Sévérus, et que tu es en proie à de longs bâillements. Ce sont pourtant ces mêmes ëpigrammes que tu avais coutume, quand je les récitais, de transcrire furtivement sur tes tablettes vitelliennes. Ce sont ces mêmes épigrammes que tu portais sur ton coeur dans les festins, dans les théâtres. Ce sont les mêmes, ou de meilleures, s'il ,en est que tu ne connaisses pas. A quoi me sert quë mon petit livre soit si maigre, et qu'aucun ombilic n'en augmenté le poids, s'il te faut trois jours pour le lire? Jamais plaisir ne fut plus fadement goûté. Voyageur indolent, tu cèdes bien promptement à la fatigue, et quand tu dois te rendre en peu d'instants à Bovilles, tu as hâte de dételer près du temple des Muses.Va maintenant, presse-moi de publier mes petits livres.

VII. CONTRE ATTALUS.

Tu es un joli déclamateur ; tu es, Attalus, un joli avocat. Tu écris dë jolies histoires, tu fais de jolis vers; tu composes joliment des mimes, tu tournes joliment l'épigtamme. Tu es un joli grammairien, un joli astrologue; tu chantes joliment, Attalus ; tu danses joliment, tu joues de la lyre joliment, et tu es un joli joueur de paume. Ne sachant rien faire de bien, tu fais tout joliment. Veux-tu que je dise ce que tu es? tu es un grand ardélion.

VIII. AU LECTEUR.

Si, dans ces pages, lecteur, quelques endroits te paraissent trop obscurs ou peu latins, ce n'est pas ma faute, mais celle du copiste qui s'est trop hâté de te livrer le nombre de vers que tu attendais. Si tu viens à penser que ces défauts proviennent, non pas de lui, mais de moi, je te croirai dénué de tout sentiment de justice. — Mais, dis-tu, ces vers sont mauvais. — Comme si j'étais homme à nier l'évidence! oui, ils sont mauvais; mais tu n'en fais pas de meilleurs.

IX. SUR NÉVIA.

J'ai écrit à Névia, et n'ai point eu de réponse; elle me refusera donc. Mais je crois qu'elle a lu ma lettre; donc elle ne me refusera pas.

X. CONTRE POSTHUMUS.

J'approuve, Posthumus, que tu me donnes des baisers de la moitié des lèvres : tu pourrais même retrancher la moitié de cette moitié. Veux-tu me rendre un service encore plus grand, un service sans pareil ? garde aussi pour toi, Posthumus, toute cette dernière moitié.

XI. A RUFUS, SUR LE PARASITE SÉLIUS.

Rufus, de ce que tu vois Sélius avec un nuage sur le front; de ce qu'il se promène tard sous les portiques ; de ce que son visage abattu annonce silencieusement quelque chose de lugubre ; de ce que son nez s'allonge indécemment presque jusqu'à terre ; de ce qu'il se frappe du poing la poitrine et s'arrache les cheveux, il ne faut pas conclure qu'il pleure la mort d'un ami ou d'un frère. Ses deux enfants vivent, et je fais des voeux pour la conservation de leurs jours : sa femme aussi se porte bien, et son mobilier est en bon état, ainsi que ses esclaves, son fermier et son métayer ne lui ont fait éprouver aucune perte. Quelle est donc la cause de son chagrin? il soupe chez lui.

XII. CONTRE POSTHUMUS.

Tes baisers sentent la myrrhe, et tu exhales toujours quelque odeur étrangère; que faut-il que j'en pense? Posthumus, cette habitude de sentir toujours bon m'est suspecte : Posthumus, celui-là ne sent pas bon, qui sent toujours bon.

XIII. A SEXTUS.

Et le juge et l'avocat réclament de l'argent. Crois-moi, Sextus, paye ton créancier.

XIV. A PAULINUS, SUR L'ÉCORNIFLEUR SÉLIUS.

Il n'est rien que ne tente, rien que n'ose Sélius, toutes les fois qu'il se voit en danger de souper chez lui. Il court au portique d'Europe; puis il te loue sans fin, Paulinus, ainsi que tes pieds qui égalent en vitesse ceux d'Achille. Si Europe n'a rien fait pour lui, il dirige ses pas vers l'enceinte des comices, pour voir si le fils de Phillyre et celui d'Éson lui seront plus favorables. Encore trompé dans son espoir, il se rend là au temple d'Isis, et s'assied sur tes sièges, génisse désolée. Ensuite, il gagne l'édifice soutenu par cent colonnes, puis le portique de Pompée, et ses deux jardins. Il ne méprise ni les bains de Fortunatus, ni ceux de Faustus, ni ceux de Gryllus où l'on est environné de ténèbres, ni ceux de Lupus, ouverts à touts les vents : car il va se baigner à maintes reprises dans chaque étuve. Après avoir tout fait, mais ayant contre lui le destin. revient en courant, bien lavé, auprès des buis de la tiède Europe, voir si quelque ami ne se sera pas dirigé de ce côté sur le tard. Amoureux taureau, je t'en supplie par toi-même, par la jeune beauté dont tu fus le ravisseur, invite Sélius à souper.

XV. CONTRE HERMUS EXHALANT UNE MAUVAISE ODEUR

Si tu n'offres à personne de boire dans ta coupe, Hermus, ce n'est pas par orgueil, c'est par humanité.

XVI. CONTRE ZOÏLE FEIGNANT D'ÊTRE MALADE.

Zoîle est malade : ce sont ses belles couvertures qui lui donnent cette fièvre. S'il était en santé, que deviendraient ses draperies écarlates, son lit d'Egypte, le linge de pourpre fraîchement teint dont il s'enveloppe? Sa maladie n'est-elle pas clans l'étalage de ses extravagantes richesses? Qu'as-tu à démêler avec les médecins? Congédie tous les Machaons. Veux-tu te bien porter? prends mes couvertures.

XVII. — A AMMIANUS, SUR UNE BARBIÈRE LIBERTINE ET AVARE.

A l'entrée de la rue Suburra, où pendent les fouets ensanglantés des bourreaux, près de l'Argilète, où foisonnent les cordonniers, demeure une tondeuse. Mais cette tondeuse ne tond pas. Elle ne tond pas? dis-tu. — Que fait-elle donc?—Elle écorche.

XVIII. CONTRE MAXIMUS.

Je recherche, hélas ! j'en ai honte, mais je recherche, Maximus, l'occasion de souper chez toi; tu recherches celle de souper chez un autre : sous ce premier rapport, il y a donc pari, entre nous. Je viens le matin pour te saluer; l'on m'annonce que tu es déjà sorti pour aller saluer ailleurs : en cela encore il y a parité entre nous. Je fais partie de ton cortége, et je marche devant un patron plus fier qu'un roi; toi, tu es le client d'un autre : encore une nouvelle parité entre nous. C'est assez d'être valet : je ne veux plus être le valet d'un valet. Un maître, Maximus, ne doit point avoir de maître.

XIX. À ZOÏLE.

Tu me crois heureux, Zoïle, de trouver un souper : Moi, heureux d'un souper, Zoïle, et du tien encore ! C'est sur la colline d'Aricie que doit prendre son repas celui que ton souper rend heureux.

XX. — SUR PAULLUS.

Paullus achète des vers, puis Paullus récite ses vers; en effet, ce que vous avez acheté est à vous.

XXI. CONTRE POSTHUMUS.

Aux uns tu donnes des baisers, Posthumus, aux autres la main. Tu dis : « Lequel aimez-vous le mieux? Choisissez. » — J'aime mieux la main.

XXII. A APOLLON SUR LE MÊME.

Que t'ai-je fait? ô Phébus! que vous ai-je fait, ô neuf soeurs? la gaieté de ma muse me porte malheur. Autrefois Posthumus me donnait des baisers du bout des lèvres ; aujourd'hui il m'en donne à pleines lèvres.

XXIII. SUR LE MÊME.

Je ne dirai point, non, je ne dirai point, bien que tu ne cesses de m'en prier, quel est ce Posthumus mentionné dans mon livre : car quelle nécessité pour moi d'offenser ce donneur de baisers, qui a toujours une vengeance prête?

XXIV. CONTRE CANDIDUS.

Si l'injustice du sort vient à faire peser sur toi quelque accusation grave, tu me verras, près de ta personne, en habits de deuil, et plus pâle qu'un accusé. Si sa rigueur, te condamne quitter la patrie, compagnon de ton exil, avec toi j'affronterai les mers et les écueils. La fortune te comble de richesses : seront-elles pour nous deux ? Vas-tu m'en donner la moitié ? - C'est beaucoup. — M'en donnes-tu du moins une partie? Tu veux être malheureux avec moi, n'est-ce pas? et, si le ciel te jette un regard favorable, Candidus, tu veux être heureux tout seul !

XXV. A GALLA.

Jamais tu ne donnes, toujours tu promets, Galla, à celui qui demande. Si tu trompes sans cesse, Galla, quand je te fais une demande, réponds-moi par un refus.

XXVI. A BITHYNICUS.

Parce que Névia respire avec peine, parce qu'elle a une toux violente, parce que de temps en temps elle laisse tomber des crachats sur son sein, crois-tu, Bithynicus, que c'est pour toi une affaire déjà faite? Tu te trompes : Névia te flatte ; elle ne meurt pas.

XXVII. SUR LE PARASITE SÉLIUS.

Apprends à quelles flatteries Sélius, quand il tend ses filets pour attraper un souper, s'empresse d'avoir recours, soit que tu lises, soit que tu plaides une cause. Parfait! dit-il; profond ! vif! ingénieux! Courage! à merveille ! voilà ce que je voulais! Maintenant le souper est servi : tais-toi.

XXVIII. CONTRE SEXTILLUS.

Ris beaucoup, Sextillus, au nez de celui qui t'appelle pédéraste, et présente-lui le doigt du milieu. Mais tu n'as de commerce ni avec les hommes ni avec les femmes, et la bouche brûlante de Vetustilla ne te plaît pas. Tu n aimes rien de tout cela, je l'avoue, Sextillus. Qu'aimes-tu donc? je ne sais : mais il reste à la lubricité deux autres moyens, et tu les connais.

XXIX. A RUFUS.

Rufus, tu vois, assis sur les premiers gradins, cet homme dont la main brille de l'éclat d'une sardoine, qui a des habits plongés tant de fois dans la pourpre de Tyr, et dont la toge l'emporta en blancheur sur la neige la plus pure ; cet homme dont les cheveux, luisants d'essence, exhalent l'odeur de tous les parfums que prépare Marcelianus, et dont les bras épilés ont un poli, brillant. Une précieuse agrafe retient sa chaussure ornée d'une lunule ; un souple brodequin d'écarlate embrasse le contour de son pied sans le blesser ; et un grand nombre de mouches couvrent son front radieux. Ne le connais-tu pas? Enlève ses mouches; tu liras son nom.

XXX. CONTRE CAlUS, AMI AVARE.

Je demandais par hasard à emprunter vingt mille sesterces dont le préteur aurait même pu me faire présent sans se gêner, car je les demandais à un riche et vieux camarade, dont les coffres regorgent d'or. Tu seras riche, me dit-il, si tu te fais avocat. Donne-moi ce que je demande, Caïus : je ne demande pas un conseil.

XXXI. A MARIANUS.

J'ai eu souvent Chrestilla. Tu me demandes si l'on a du plaisir avec elle. Tellement, Marianus, qu'on ne saurait en avoir davantage.

XXXII. CONTRE PONTICUS, PATRON INUTILE.

Je suis en procès avec Balbus; toi, Ponticus, tu ne veux point offenser Balbus : je suis en procès avec Licinus : celui-ci est aussi un homme puissant. Souvent mon voisin Patrobas empiète sur mon petit champ ; tu crains d'agir contre un affranchi de César. Laronia me refuse mon esclave et le garde : tu réponds qu'elle a perdu ses enfants, qu'elle est riche, vieille et veuve. On est mal servi, crois-moi, par un ami qui se fait le serviteur de tous. Que celui-là soit libre, qui voudra être mon maître.

XXXIII CONTRE PHILÉNIS.

Pourquoi ne te baise-je pas, Philénis? tu es chauve. Pourquoi, Philénis, te baise-je pas? tu es rousse. Pourquoi ne baisé-je pas, Philénis? tu es borgne. Celui qui te baise, Philénis te suce.

XXXIV. CONTRE GALLA, VIEILLE LUXURIEUSE.

Éprise de Philéros, que tu as racheté de toute ta dot, tu laisses Galla, périr de fàim tes trois enfants. Tu traites avec un exces d'indulgence tes appas vieillis, auxquels de chastes jouissance ne conviennent déjà plus. Puissent les dieux te faire éternellement l'amante de Philéros, ô mère plus dénaturée que Pontia.

XXXV. A PHÉBU8 AUX JAMBES CROCHUES.

Tu as des jambes qui représentent le croissant de la lune; tu pourrais, Phébus, te laver les pieds dans un cornet-à-bouquin.

XXXVI. A PANNICUS.

Je n'aime pas que tu frises tes cheveux, mais je n'aime pas que tu les mêles. Je ne veux pas que ta peau brille ; je ne veux pas qu'elle soit crasseuse. Que ta barbe ne ressemble point à celle des gens portant mitre, mais qu'elle ne ressemble pas non plus à celle d'un criminel sur la sellette. Je n'aime pas qu'on soit homme avec excès, et je n'aime pas qu'on le soit trop peu. Tes jambes sont velues, ta poitrine est hérissée de longs poils, mais ton âme, Pannicus, est efféminée.

XXXVII. CONTRE CÉCILIANUS, RAVISSEUR DES METS SERVIS SUR LA TABLE.

Tu rafles tout ce qu'on met sur la table ; tétines de truie, filet de porc, francolin destiné à deux convives, moitié de surmulet, brochet entier, côté de murène, cuisse de poulet, ramier distillant sa fromentée. Tout cela une fois rassemblé dans ta serviette grasse, tu le livres à ton esclave ponr le porter chez toi. Quant à nous, nous demeurons tous inoccupés à table. S'il te reste quelque pudeur, replace les mets : ce n'est pas pour demain, Cécilianus, que je t'ai invité.

XXXVIII. CONTRE LINUS.

Tu me demandes, Linus, ce que me produit mon domaine de Nomentanum. L'avantage de ne pas te voir.

XXXIX. SUR DES CADEAUX ENVOYÉS A UNE PROSTITUÉE.

Tu donnes des robes d'écarlate et de pourpre violacée à une courtisane fort connue. Veux-tu lui faire un présent digne d'elle? envoie-lui une toge.

XL. SUR TONGILIUS FEIGNANT UNE MALADIE.

C'est à tort que l'on dit Tongilius brûlé d'une fièvre demi-tierce. Je connais le naturel de l'homme : il a faim et soif. Tantôt il tend avec artifice ses filets aux grives rebondies ; tantôt il jette l'hameçon au surmulet et au brochet. Que l'on clarifie pour lui le cécube et tous les vins du consulat d'Opimius : qu'on lui verse dans de petits flacons le noir falerne. Tous les médecins ont prescrit les bains à Tongilius. 0 insensés ! vous croyez que son mal est la fièvre ! c'est la gloutonnerie.

XLI. CONTRE MAXIMINA

Ris si tu es sage, jeune fille! ris, disait, je crois, le poëte de Pelignum : mais il ne le disait pas à toutes les jeunes filles. L'eût-il dit pour toutes, il ne l'a pas dit pour toi : tu n'es point jne jeune fille ; car tu n'a plus, Maximina, que trois dents, et trois dents dont la couleur est celle de la poix ou du buis. Si donc tu t'en rapportes à ton miroir et à moi, tu ne dois pas moins redouter le rire que Spanius ne redoute le vent, et Priscus les attouchements ; que Fabulla, dont le visage est couvert de craie, n'appréhende une pluie d'orage; que Sabella, dont la peau est enduite de céruse, ne craint le soleil. Prends un air plus sévère que l'épouse de Priam et que l'aînée de ses belles-filles.
Évite les mimes du facétieux Philistion ; fuis les repas où préside la joie, et tout ce qui, par une irrésistible excitation à la gaieté, desserre les lèvres en provoquant un franc rire. Ce qui te sied, c'est de consoler une mère affligée, une épouse pleurant son mari, une soeur déplorant la mort d'un digne frère, et d'assister uniquement à des spectacles tragiques. Mais surtout, sans perdre de vue le conseil que je te donne, pleure, si tu es sage ô jeune fille ! pleure.

XLII. CONTRE ZOÏLE.

Zoïle, pourquoi salir ton bain en y lavant ton derrière Plonges-y la tête : il sera bien plus sale.

XLIII. CONTRE CANDIDUS.

Candidus, tout est commun entre amis; tel est ton refrain telles sont les paroles que tu répètes nuit et jour avec emphase. Tu te pares d'une toge lavée dans les eaux du Galèse, et dont l'étoffe t'est fournie par les plus fines toisons de Parme. La mienne, au contraire, le mannequin qui le premier s'est vu en butte aux coups de corne du taureau furieux ne voudrait pas qu'on la prît pour la sienne. La terre de Cadmus t'envoie des robes teintes par les descendants d'Agénor : ma robe d'écarlate ne se vendrait pas trois écus. Des pieds d'ivoire indien soutiennent tes tables de citronnier de Libye : un tesson sert d'appui à ma table de hêtre. De monstrueux surmulets couvrent tes plats de vermeil : un crabe, de même couleur, rougit mon plat de terre. Tu as une foule de jeunes esclaves dont chacun pourrait le disputer en attraits au mignon d'Ilium : quant à moi, ma main me tient lieu de Ganymède. Et de ces prodigieuses richesses tu ne donnes rien à ton vieux et fidèle camarade ; et tu dis, Candidus : Tout est commun entre amis !

XLIV. CONTRE SEXTUS.

Soit que j'achète un esclave, soit que j'achète une toge neuve, au prix de trois ou quatre livres environ, aussitôt Sextus, cet usurier que vous connaissez pour mon ancien camarade, a peur que je lui demande quelque chose ; il se tient sur ses gardes et murmure entre ses depts, mais de manière à être entendu de moi : « Je dois à Secundus sept mille sesterces, quatre mille à Phébus, onze mille à Philetus, et je n'ai pas un quadrant dans mon coffre. » 0 la belle invention! Refuser ce qu 'on te demande est dur, ô Sextus; mais combien il est plus dur de refuser avant qu'on t'ait demandé.

XLV. A GLYPTUS.

Tu as coupé ta mentule dénuée de vigueur, Glyptus. Insensé pourquoi ce recours au fer? Tu étais déjà prêtre de Cybèle.

XLVI. CONTRE NÉVOLUS.

Pareilles aux fleurs qui nuancent l'Hybla de diverses couleurs lorsque les abeilles butinent en Sicile les produits éphémères du printemps, tes robes brillent, sous les presses, d'un éclat varié. et tes innombrables synthèses resplendissent dans ta garde-robe.
De plus, les laines blanches que te fournissent tes nombreux troupeaux de l'Apulie pourraient vêtir une tribu entière. Cependant,
ô honte ! tu regardes avec indifférence ton ami en butte, presque nu, à la rigueur de l'hiver, ton ami dont les haillons laissent un libre accès au froid. Quel préjudice pour toi, si l'on te dérobait deux morceaux de drap ! Que crains-tu? ce n'est pas à toi, Névolus, qu'on ferait tort; c'est aux vers.

XLVII. CONTRE GALLUS.

Fuis, je t'en avertis, les pièges de cette courtisane fameuse, Gallus, toi qui, par la douceur de ta peau, surpasses la conque de Vénus. Tu te confies en tes fesses? Mais ce n'est pas là ce qu'aime le mari. Il n'aime que deux choses : sucer ou besogner.

XLVIII. A RUFUS.

Un cabaretier, un boucher, des bains, un barbier, un échiquier, des dés, un petit nombre de livres à mon choix, un ami possédant quelque instruction, une jeune fille qui plaise à mon jeune esclave, un esclave déjà grand et qui puisse conserver encore longtemps la peau douce, procure-moi tout cela, Rufus, fût-ce même à Bitonte, et je te cède les thermes de Néron.

XLIX. SUR THELESINA.

Je ne veux point épouser Thelesina. — Pourquoi? — C'est une libertine. — Mais elle se donne à de jeunes garçons. — Je l'épouse.

L. CONTRE LESBIE.

Tu suces, et tu bois de l'eau, Lesbie; c'est fort bien. Laver ta bouche, Lesbie, c'est laver l'endroit qui en a besoin.

LI. — CONTRE HYLLUS.

Quoique souvent il ne te reste, pour tout argent, qu'un denier dans ton coffre, et que ce denier, Hyllus, soit plus usé que ton derrière, ce ne sera pas pourtant le boulanger qui en profitera, ni le cabaretier ; mais il sera pour celui qui peut montrer fièrement un membre de belle apparence. Ton ventre contemple les festins de ton derrière, et le malheureux ne cesse de jeûner, tandis que l'autre dévore.

LII. SUR DASIUS.

Dasius sait le nombre des bains que chacun prend : il a demandé à la mammelue Spatale de payer triplement : elle a payé.

LIII. CONTRE MAXIMUS.

Tu veux devenir libre? tu mens, Maximus; tu ne le veux pas : mais si tu veux le devenir, en voici le moyen. Tu seras libre, si tu t'abstiens, Maximus, de manger chez les autres; si le jus du raisin de Véies te suffit pour apaiser ta soif; si tu sais voir d'un oeil de mépris les plats d'or du malheureux Cinna; si tu peux te contenter d'une toge pareille à la mienne ; si tu t'adresses à une femme du peuple qui n'exigera que deux as pour prix de ses faveurs ; s'il ne te répugne pas de baisser la tête pour entrer dans ton logis. Si tu te sens cette force, si tu as un pareil empire sur ton âme, tu peux vivre plus libre que le roi des Parthes.

LIV. CONTRE LINUS.

Ta femme, Linus, a fait voir clairement de quoi elle te soupçonne, et de quel côté elle te veut plus chaste, en te donnant un eunuque pour gardien. Rien de plus avisé et de plus malin qu'elle.

LV. A SEXTUS.

Tu veux, Sextus, qu'on t'honore : je voulais t'aimer. Il faut t'obéir. Tu le veux : je t'honorerai, je ne t'aimerai pas.

LVI. A GALLUS, SUR SA FEMME.

On cite ta femme, Gallus, chez les nations libyennes, comme se livrant sans mesure aux honteux excès de l'avarice. Mais on raconte de purs mensonges : elle ne reçoit pas toujours. Qu'a-t-elle coutume de faire encore? De se donner.

LVII. CONTRE UN FAUX RICHE.

Celui que vous voyez marchant gravement sans trop savoir de quel côté il dirige ses pas; qui, vêtu d'une robe violette, traverse la place des comices en fendant la foule ; qui, par le luxe de ses robes, le dispute à mon ami Publius, et à Codrus lui-même,
l'alpha des gens qu'orne la pénule ; cet homme que suivent une troupe de clients vêtus de toges, une foule de jeunes gens à longue chevelure, et une litière dont les toiles et les courroies sont neuves, cet homme, se présentant l'autre jour au comptoir de Claudius, a engagé son anneau pour moins de huit sesterces afin d'avoir de quoi souper.

LVIII. CONTRE ZOÏLE.

Avec ton bel habit, tu ris, Zoïle, de mon habit râpé; il est râpé, c'est vrai, Zoïle; mais il est à moi.

LIX. SUR UNE SALLE A MANGER NOMMÉE PAILLETTE D'OR.

Je me nomme Paillette d'or. Vous voyez ce que je suis : une petite salle à manger. De chez moi vous découvrez le tombeau de César. Foulez ces lits, demandez des vins, couronnez-vous de roses, parfumez-vous de nard. Un dieu lui-même vous ordonne de vous souvenir de la mort.

LX. CONTRE HYLLUS.

Tu caresses, jeune Hyllus, la femme d'un tribun militaire, et tu ne crains d'autre punition que celle que l'on inflige aux adolescents. En jouant à ce jeu, tu cours un terrible danger ; le mari te fera eunuque.— Cela n'est pas permis, dis-tu. —Quoi ! ce que tu fais, Hyllus, est-il donc permis?

LXI. CONTRE UN MÉDISANT.

Lorsqu'un léger duvet couvrait tes joues, ta langue impure se montrait complaisante à la lubricité des hommes; mais depuis que ta dégoûtante tête a mérité les mépris des vespillons et les dédains de l'abject bourreau, tu fais de ta bouche un autre usage, et, rongé par une dévorante jalousie, tu aboies à tous les noms que tu entends prononcer. Que ta langue, si perverse, continue plutôt son premier métier ; en l'exerçant, elle était moins impure.

LXII. CONTRE LABIÉNUS.

Si tu épiles ta poitrine, tes jambes, tes bras; si ta mentule tondue n'est entourée que de poils forts courts, c'est que tu veux, par ce moyen, plaire à ta maîtresse, Labiénus ; nous le savons. Mais pour qui, Labiénus, épiles-tu ton derrière?

LXIII. CONTRE MILICHUS.

Tu ne possédais, Milichus, que cent sesterces, et tu les as dépensés à faire, dans la voie Sacrée, l'acquisition de Léda. Milichus, quand tu serais riche, ce serait un luxe d'aimer si chèrement. — Je ne l'aime pas, dis-tu. — C'est un luxe bien plus grand.

LXIV. CONTRE TAURUS.

Tandis que tu projettes, tantôt de te faire avocat, tantôt rhéteur, et cela sans te décider à prendre un parti, arrivera pour
toi l'âge de Pélée, de Priam et de Nestor ; et il est déjà tard pour te résoudre à quelque chose. Débute enfin : Trois rhéteurs sont
morts cette année; voyons si tu as quelque énergie, si tu as quelque talent. Peut-être l'école t'ennuie. Le barreau entier fourmille de procès, et Marsyas lui-même pourrait devenir avocat. Allons, plus de délais. Combien de temps faut-il t'attendre encore? Pendant que tu hésites sur ce que tu veux être, tu pourrais bien n'être plus.

LXV. CONTRE SALÉIANUS.

Pourquoi voyons-nous Saléianus plus triste qu'à l'ordinaire? Est-ce un motif peu grave? J'ai perdu ma femme, dis-tu. 0 cruelle injustice du sort! ô malheur funeste! Elle est donc morte cette riche Secundilla, qui t'avait apporté une dot d'un million de sesterces? Ton malheur me désole, Saléianus.

LXVL . CONTRE LALAGÉ.

Par la faute d'une épingle mal attachée une seule boucle de cheveux dérangeait l'édifice de la coiffure de Lalagé. Pour se venger d'un tel forfait, Lalagé frappa sa suivante du miroir qui le lui avait révélé, et, lui arrachant les cheveux, la renversa sous ses coups. Abstiens-toi désormais, Lalagé, d'ajuster ta funeste chevelure. Qu'aucune des jeunes filles qui te servent ne mette la main à ta tête insensée. Que la salamandre y laisse des traces de son venin, ou qu'elle soit dépouillée par le rasoir impitoyable, afin que ton image devienne digne de ton miroir.

LXVII. CONTRE POSTHUMUS.

Partout où tu me rencontres, Posthumus, tu me cries aussitôt, et c'est ton premier mot : « Que fais-tu? » S'il t'arrive de me rencontrer dix fois dans une heure, dix fois tu me dis la même chose. C'est sans doute, Posthumus, que toi même tu n'as rien à faire.

LXVIII. A OLUS.

Si aujourd'hui je te salue seulement par par ton nom, toi que j'appelais naguère mon roi et mon maître, ne va pas m'accuser d'orgueil : j'ai racheté ma liberté au prix de tout ce que je possédais. C'est à celui qui ne se possède pas lui-même, et qui convoite ce que convoitent les rois et les maîtres, qu'il appartier d'avoir des rois et des maîtres. Si tu peux, Olus, te passer d'un serviteur, tu peux également, Olus, te passer d'un roi.

LXIX.CONTRE CLASSICUS.

C'est malgré toi, dis-tu, Classicus, que tu soupes dehors : que je périsse, Classicus, si tu ne mens! Apicius lui-même si réjouissait de souper chez les autres, et s'ennuyait lorsqn'il soupait chez lui. Toutefois, si c'est malgré toi que tu vas souper ailleurs, pourquoi, Classicus, ne pas t'en dispenser ? J'y suis forcé, réponds-tu. Cela est vrai ; Selius aussi y est forcé. Voilà Melior qui t'invite à un souper d'apparat. Où sont maintenant tes belles paroles? Si tu es un homme, prouve-le, et refuse.

LXX. CONTRE COTILUS.

Tu ne veux pas, Cotilus, que personne entre dans le bain avant toi. Quelle en est la raison, si ce n'est celle-ci? Tu crains de te baigner dans de l'eau salie par des membres voués à la débauche. En ce cas, si tu entres le premier dans le bain, il ne faut laver ta tête qu'après ta mentule.

LXXI. A CÉCILIANUS.

Rien de plus ingénu que toi, Cécilianus ; je l'ai remarqué. S'il m'arrive de lire quelqu'un de mes distiques, aussitôt tu récites
des vers de Marsus ou de Catulle. Tu sembles me les donner comme inférieurs aux miens. Est-ce afin que ceux-ci gagnent à la comparaison? Je veux le croire. Mais j'aime cependant mieux, Cécilianus, que tu me récites les tiens.

LXXII. CONTRE POSTHUMUS.

On raconte qu'il s'est passé, Posthumus, pendant le souper d'hier, une scène que je blâme fort : car qui pourrait approuver de pareilles choses? Tu reçus au visage un si rude soufflet, que les soumets donnés par Latinus sur les sales joues de Panniculus ne sont rien auprès de celui-là. Mais ce qu'il y a de plus étonnant, le bruit court dans toute la ville que l'auteur de cet affront est Cécilius. Tu nies le fait. Là-dessus veux tu que je te croie? Je crois... — Eh bien? — Que Cécilius a des témoins.

LXXIII. CONTRE LYRIS.

Tu veux savoir ce que fait Lyris. Ce qu'elle fait ? Elle suce même quand elle n'est pas ivre.

LXXIV. CONTRE SAUFEIUS, FAUX RICHE.

Vois-tu, Maternus, cette foule de clients en toge qui forme cortége de Saufeius, aussi nombreuse que celle qui reconduit d'ordinaire chez lui Régulus, lorsqu'il vient d'envoyer un accusé tondu remercier les dieux ? Garde-toi de lui porter envie. Que ce cortége, je t'en conjure, ne soit jamais le tien. Ces amis, ce troupeau de clients en toge, ce sont Fusciculenus et Favertinus qui les lui procurent.

LXXV. SUR UN LION APPRIVOISÉ, REVENU A SA FÉROClTE

Un lion que son maître avait coutume de frapper sans crainte et qui lui laissait mettre dans sa gueule une main caressante, oubliant qu'il était apprivoisé, est devenu tout à coup plus féroce qu'il ne le fut sans doute jamais dans les montagnes de la Lybie. Car cet animal furieux et mal inspiré vient de broyer de sa dent furieuse deux de ces jeunes enfants qui, avec des râteaux, couvrent de sable frais le sol ensanglanté de l'arène. Jamais l'amphithéâtre de Mars ne vit un plus grand forfait. Il est permis de s'écrier : Cruel, perfide, brigand, apprends de notre louve à épargner les enfants !

LXXVI. SUR MARIUS.

Marius t'a laissé cinq livres d'argent. Tu ne lui donnais rien : il t'a donné des paroles.

LXXVII.— CONTRE COSCONIUS.

Cosconius, toi qui trouves longues mes épigrammes, tu m'as bien l'air de n'être propre qu'à graisser les essieux. Par la même raison, tu pourrais penser que le colosse est trop haut, et soutenir que l'enfant de Brutus est trop petit. Apprends ce que tu ne sais pas : souvent une seule épigramme de Marsus et du docte Pédon remplit deux pages. Elles ne sont jamais longues les épigrammes dont on ne peut rien retrancher ; mais toi, Cosconius, tu fais de longs distiques.

LXXVIII. A CÉCILIANUS.

Tu demandes où tu conserveras ton poisson pendant l'été? Mets-le dans tes thermes, Cécilianus.

LXXIX. CONTRE NASICA.

Tu m'invites, Nasica, lorsque tu sais que j'attends moi-même des convives. Excuse-moi, je t'en prie : je soupe chez moi.

LXXX.— SUIT FANNIUS.

Fannius, en fuyant son ennemi, se tua lui-même. Mourir de peur de mourir, n'est-ce pas, je vous le demande, une étrange folie?

LXXXI. CONTRE ZOÏLE.

Que ta litière soit plus grande que les hexaphores, j'y consens ; pourvu toutefois, Zoïle, qu'elle te serve de char funèbre.

LXXXII. A PONTICUS.

A quoi bon, Ponticus, dire qu'on a coupé la langue à ton esclave? Ignores-tu que ce qu'il ne dit pas, tout le monde le dit.

LXXXIII. CONTRE UN MARI CRUEL.

Tu as défiguré, ô mari, le malheureux amant de ta femme; et son visage, privé du nez et des oreilles que tu lui as coupés, redemande en vain ce qui lui manque. Te crois-tu suffisamment vengé ? tu te trompes, il peut encore se servir de sa bouche.

LXXXIV. CONTRE SERTORIUS.

Le héros fils de Péan était efféminé, et se prêtait aux désirs des hommes : ce fut ainsi, dit-on, que Vénus vengea sur lui la mort de Péris. Pourquoi Sertorius lèche-t-il les secrets approfondis des femmes? Ce fut lui, à ce qu'il semble, ô Rufus, qui fut l'assi sassin d'Éryx.

LXXXV. A UN AMI.

Reçois ce flacon recouvert d'un osier flexible, et propre à contenir des rafraîchissements à la neige; ce sera mon cadeau de Saturnales. Si tu te plains de ce qu'au mois de décembre je te fais un présent d'été, donne-moi, de ton côté, une toge aux poils ras.

LXXXVI. A CLASSICUS.

Parce que je ne me fais pas gloire de composer des vers rétrogrades, parce que je ne lis pas à rebours le sale Sotadès, parce que je n'écris pas, à la manière des Grecs, des vers que répète l'écho ; parce que le délicieux Attis ne me dicte pas un galliambe délicat et plein de mollesse, je ne suis pas pourtant, Classicus, un si mauvais poëte. Que ferait Lada, si on voulait le contraindre à se lancer sur l'espace étroit du Pétaure? Il est honteux de s'appliquer à des bagatelles difficiles, et c'est un sot travail que celui des inepties. Que Palémon fasse des vers pour la foule ; moi, je ne veux plaire qu'à un petit nombre d'auditeurs.

LXXXVII. CONTRE SEXTUS.

Tu dis que de jeunes et jolies filles brûlent d'amour pour toi, Sextus, toi qui as la figure d'un homme nageant entre deux eaux.

LXXXVIII. CONTRE MAMERCUS.

Tu ne récites rien, et tu veux, Mamercus, passer pour poëte. Sois tout ce que tu voudras, pourvu que tu ne récites rien.

LXXXIX. CONTRE GAURUS.

Tu aimes à boire toute la nuit ; je te le pardonne, Gaurus ; c'était le défaut de Caton. Tu fais des vers en il dépit des Muses et d'Apollon; il ne t'est dû à cet égard que des éloges : tu as cela de commun avec Cicéron. Tu vomis; Antoine en faisait autant. Tu es gourmand ; Apicius l'était. Mais tu suces ! ce vice dis-moi, de qui le tiens-tu?

XC. A QUINTILIEN.

Quintilien, suprême modérateur de la fougueuse jeunesse. Quintilien, la gloire de la toge romaine, pardonne-moi si, pauvre et dans un âge peu avancé, je me hâte de vivre : on ne se hâte jamais assez de le faire. Qu'il attende, celui qui veut augmente son patrimoine, et qui encombre d'une foule de portraits le vestibule de sa maison. Moi, j'aime mon foyer, mon toit que noircit à son gré la fumée ; j'aime ma fontaine d'eau vive et mon simple gazon. Puissé-je avoir toujours un esclave bien nourri, une femme qui ne soit pas trop savante, du sommeil pendant la nuit, et des jours sans procès !

XCI. A CÉSAR DOMITIEN.

Garant certain du salut de l'empire, gloire de la terre, César dont les jours précieusement conservés attestent qu'il est des dieux, si mes vers, lus tant de fois, ont pu fixer tes regards sur mes légères productions, accorde-moi l'apparence des avantages que le destin me refuse; et que je sois réputé père de trois enfants. Si je n'ai pas eu le bonheur de te plaire, que cette faveur vienne m'en consoler : si je t'ai plu, qu'elle soit ma récompense.

XCII. A SA FEMME.

Le seul qui pouvait accorder à ma prière les droits d'un père de trois enfants m'en a gratifié pour prix de mes vers. Adieu, ma femme! Le présent du maître ne doit pas périr.

XCIII. A RÉGULUS.

Où est le premier livre, dis-tu, celui-ci étant le second? C'est que le premier a eu plus de modestie. Si pourtant tu aimes mieux, Régulus, que le second devienne le premier, tu peux retrancher du titre un ïota.

LIVRE III

1. AU LECTEUR SUR CE LIVRE COMPOSÉ EN GAULE.

Ce livre, la Gaule qui prend son nom de la toge romaine je te l'envoie, tel qu'il est, de ses climats lointains. En le lisant, peut-être fais-tu l'éloge du précédent : les épigrammes de celui-ci, celles de l'autre, qui te semblent meilleures, sont également de ma façon. Celui qui est né dans la ville maîtresse du monde doit te plaire davantage ; car un livre fait à Rome doit l'emporter sur un livre écrit dans les Gaules.

II. A SON LIVRE.

A qui veux-tu, mon livre, que je te dédie? hâte-toi de choisir un patron, de peur que bientôt, emportés dans une noire cuisine, tes feuillets humides n'enveloppent de jeunes thons, ou ne servent de cornets à l'encens et au poivre. Tu te réfugies dans le sein de Faustinus ! C'est, de ta part, une marque de sagesse. Tu peux maintenant circuler parfumé d'huile de cèdre, le front paré d'un double ornement, et fier de tes ombilics coloriés; tu vas être enfermé dans un étui couvert d'une pourpre élégante, et ton superbe index brillera d'écarlate. Avec un tel patron, ne crains rien, pas même Probus.

III. CONTRE UNE FEMME MAL FAITE.

Tu caches ta figure, qui est fort belle, sous un voile noir; mais ton corps, qui est loin d'être beau, fait injure aux eaux dans lesquelles
tu le baignes. Crois que c'est la Naïade elle-même qui, par ma bouche, t'adresse ces mots : « Ou découvre ton visage, ou baigne-toi tout habillée. »

IV. A SON LIVRE.

Prends le chemin de Rome, mon livre. Si l'on s'enquiert d'où tu viens : du pays, diras-tu, où conduit la voie Émilienne. Si l'on veut savoir dans quelle contrée, dans quelle ville je suis, tu diras que la cité qui m'a donné asile est le forum de Cornélius. On s'informera des motifs de mon absence : tu avoueras, en peu de mots, que je ne pouvais supporter les vains ennuis de la toge. Si l'on te demande : Quand reviendra-t-il ? tu répondras : Il était parti poëte ; il reviendra quand il sera joueur de cithare.

V. AU MÊME.

Puisque tu dois aller à Rome sans moi, veux-tu, mon petit livre, être recommandé à beaucoup de gens? Ou bien un seul patron te suffit-il? Sans doute, il te suffit, et ce patron, pour qui tu ne seras point un étranger, c'est Julius, dont le nom est sans cesse dans ma bouche. Tu te rendras chez lui sur-le-champ ; il demeure à l'entrée de la ville, dans la maison qu'habitait Daphnis avant lui. Sa femme te prendra dans ses mains et te pressera contre son sein, fusses-tu couvert de poussière. Soit que tu les trouves ensemble, soit que tu voies d'abord ou l'épouse ou le mari, tu diras : « Marcus m'a chargé de vous saluer. Il n'en faut pas davantage. D'autres sont recommandés par une
épitre mais celui-là se trompe, qui croit avoir besoin de recommandation auprès de ses amis.

VI. A MARCELLINUS.

Le troisième jour après les ides de mai est pour toi, Marcellinus, une fête que tu dois doublement célébrer. C'est le jour de la naissance de ton père, et c'est celui où tu consacres le premier duvet de tes joues. Bien qu'il ait été propice à ton père en lui faisant don d'une vraie félicité, ce jour ne le fut pas plus alors qu'il ne l'est aujourd'hui.

VII. SUR L'ÉDIT DE DOMITIEN RÉTABLISSANT LES REPAS POUR LES CLIENTS.

Adieu maintenant nos cent misérables quadrans, largesse que distribuait le baigneur presque cuit aux clients fatigués de marcher
devant leurs patrons. Qu'en pensez-vous, ô vous qui affamiez vos amis? Elles ont disparu les sportules du maître orgueilleux!
présentement, plus de ruse possible : c'est un salaire qu'il faut donner.

VIII. CONTRE QUINTUS.

Quintus aime Thaïs. Quelle Thaïs ? Thaïs la borgne. Thaïs est borgne; mais Quintus est aveugle.

IX. CONTRE CINNA.

On dit que Cinna fait de petits vers contre moi. Faire des vers que personne ne lit, c'est n'en pas faire.

X. CONTRE PHILOMUSE.

Ton père t'avait constitué, Philomuse, une rente de deux mille sesterces par mois, et il te la payait jour par jour, puisque
sans cesse à tes excessives dépenses succédait la misère du lendemain, et qu'il fallait donner à tes vices une pâture journalière.
Il t'a laissé, en mourant, l'héritier de tout son bien. Ton père, Philomuse, t'a déshérité.

Xl. A QUINTUS.

Si ta maîtresse, n'est pas Thaïs, si elle n'est pas borgne, Quintus, pourquoi supposes-tu que mon distique s'applique à toi? Mais il y a quelque ressemblance entre les noms : j'ai dit Thaïs pour Laïs. Dis-moi, quelle est donc la ressemblance entre Thaïs et Hermione? Je conviens que tu es Quintus. Changeons le nom de l'amant. Si Quintus ne veut pas Thaïs, que ce soit Sextus qui l'aime.

XII. CONTRE FABULLUS, HÔTE AVARE.

Tu donnas hier, je l'avoue, d'excellents parfums à tes convives, mais tu ne leur servis aucun mets. C'est chose plaisante de sentir bon et de mourir de faim. Celui qui ne soupe pas et qu'on embaume, Fabullus, je le regarde comme vraiment mort.

XIII.— CONTRE NÉVIA, HÔTESSE AVARE.

Tu ne veux pas découper ce lièvre, tu ne veux pas dépecer ce barbeau, et tu épargnes ce sanglier, Névia, plus soigneusement que si c'était ton père. Tu accuses, tu frappes ton cuisinier, sous prétexte qu'il a servi crus tous les mets. Ce procédé, Névia, met à l'abri des indigestions.

XIV. SUR TUCCIUS.

Parti d'Espagne, l'affamé Tuccius allait à Rome : il entendit en chemin ce qu'on disait des sportules : du pont de Mulvius il revint sur ses pas.

XV. SUR CODRUS.

Personne, dans toute la ville, n'est plus confiant que Codrus. Si pauvre, comment fait-il? Il est aveugle, et il aime.

XVI. CONTRE UN SAVETIER.

Tu donnes des combats de gladiateurs, roitelet des cordonniers, savetier, et l'arme tranchante du rétiaire t'enlève ce que t'a produit ton alêne. Tu es ivre : car jamais, si le vin ne t'avait fait perdre la raison, il ne te prendrait fantàisie, savetier, de jouer aux dépens de ton cuir. Tu l'as fait, n'en parlons plus mais, crois-moi, souviens-toi à l'avenir, savetier, de te tenir enfermé dans ta peau.

XVII. CONTRE SABIDIUS.

Une tourte, longtemps promenée autour de la table, au second service, brûlait tellement les mains, qu'on ne pouvait la toucher. Mais le gosier de Sabidius brûlait bien autrement de gourmandise. Aussitôt donc il souffle dessus, trois ou quatre fois, de toute la force de ses poumons. La tourte, en effet, devint tiède, et l'on crut pouvoir y porter les doigts ; mais personne ne put y goûter : elle n'était plus qu'un excrément.

XVIII. CONTRE MAXIMUS.

Tu as débuté par te plaindre d'un grave enrouement. Puisque tu t'es excusé, Maximus, pourquoi réciter?

XIX. SUR UNE VIPÈRE CACHÉE DANS LA GUEULE D'UNE OURSE.

Près des cent colonnes, parmi les figures d'animaux féroces qui ornent le Platanon, s'offre aux regards celle d'une ourse. Le bel Hylas veut sonder en jouant la profondeur de sa gueule béante, et plonge dans cette ouverture son bras délicat; mais une dangereuse vipère était cachée dans les ténèbres du gosier de ce monstre, plus malfaisant que s'il eût été en vie. L'enfant ne sentit le piége qu'en mourant de la morsure du reptile. 0 malheur! pourquoi faut-il que cette ourse ne fùt qu'un simulacre

XX. SUR CANIUS.

Dis-moi, Muse, ce que fait mon ami Canius Rufus. Confie-t-il à ses immortelles tablettes l'histoire des événements du règne de Claude? Refute-t-il les récits mensongers de l'historien du règne de Néron? ou s'égaye-t-il dans l'apologue, en émule du malicieux Phèdre? Fait-il quelque amoureuse élégie, quelque grave poëme épique? ou bien, chaussé du cothurne de Sophocle s'apprête-t-il à nous faire frémir? ou bien va-t-il, à la faveur d'un doux loisir, lire aux poëtes assemblés des vers pleins de sel et de grâce attiques ; puis, de là, errer sous le portique du temple d'Isis, ou parcourir nonchalamment celui des Argonautes ? ou bien irait-il encore s'asseoir, durant l'après-midi, à l'ombre des buis de la délicate Europe, doucement échauffés par le soleil, ou s'y promener exempt de soucis amers ? Va-t-il se baigner aux thermes de Titus, ou d'Agrippa, ou dans les bains de l'impudique Tigillinus? Ne jouit-il point des agréments de la
campagne de Tullus et de Lucanus? ou bien ne court-il pas vers le délicieux séjour de Pollion, à quatre milles de Rome? ou bien enfin, peut-être déjà parti pour le chaud séjour de Baïes, traverse-t-il paresseusement les eaux du lac Lucrin ? Veux-tu savoir ce que fait ton ami Canius? il rit.

XXI. CONTRE UN MAÎTRE CRUEL.

Un esclave marqué au front a sauvé son maître proscrit. Il l'a sauvé de la mort, mais non pas de la haine.

XXII. SUR APICIUS.

Tu avais déjà sacrifié à ton ventre, Apicius, six millions de sesterces; il t'en restait encore au moins un million .Mais, désespéré, comme si cette somme n'eût pu te préserver de la faim et de la soif, pour dernier breuvage tu avales une coupe de poison. Jamais ta gourmandise, Apicius, ne se montra plus insatiable.

XXIII. CONTRE UN AVARE QUI L'AVAIT INVITÉ.

Puisque tu passes derrière toi tous les mets à tes esclaves, pourquoi ne fais-tu pas mettre la table derrière les convives ?

XXIV. SUR UN ARUSPICE QUI AVAIT UNE HERNIE.

Un bouc, victime agréable dans tes sacrifices, Bacchus, attendait la mort au pied des autels, pour avoir brouté une vigne. Voulant l'immoler à ta divinité, l'aruspice toscan avait recommandé à un paysan lourd et grossier de couper promptement, avec un couteau bien aiguisé, les testicules de l'animal, pour obvier à la mauvaise odeur de cette chair immonde. Courbé lui-même sur l'autel de gazon, et pressant de la main l'animal qui se débat sous ses coups, le prêtre profane le sacrifice en laissant apercevoir une hernie monstrueuse. Le rustre y porte le fer, et la coupe, s'imaginant que tel était le vieux rite de ces cérémonies, et que de temps immémorial les dieux agréaient de pareilles offrandes. Ainsi, d'aruspice toscan, te voilà devenu aruspice de Cybèle ; et tandis que tu immoles un bouc, on t'a fait toi-même chevreau.

XXV. A FAUSTINUS, SUR LE FROID RHÉTEUR SABINEUS.

Si tu veux tempérer, Faustinus, la chaleur d'un bain dans lequel Julianus pourrait à peine entrer, prie le rhéteur Sabineus de s'y plonger; il refroidirait les thermes de Néron.

XXVI. CONTRE CANDIDUS.

Il sont à toi seul tes domaines, à toi seul tes écus, à toi seul ta vaisselle d'or et tes vases myrrhins ; seul tu possèdes tes vins de Massique, seul tes vins de Cécube, recueillis sous le consulat d'Opimius; ta sagesse est à toi seul, et à toi seul ton esprit. Ou c'est évident, tout cela est à toi seul ; mais ta femme est à tout le monde.

XXVII. CONTRE GALLUS.

Jamais tu ne m'invites à ton tour, quoique tu te rendes souvent aux invitations que je te fais. Je te le pardonne, Gallus, tu n'invites jamais personne. Mais tu en invites d'autres : nous avons tort tous deux. — Pourquoi? dis-tu. — Moi, je n'ai point de coeur; et toi, Gallus, tu n'as pas de honte.

XXVIII. CONTRE NESTOR.

Tu t'étonnes que Marius sente mauvais de l'oreille. C'est ta faute, Nestor : tu lui parles toujours à l'oreille.

XXIX. CONTRE UN ESCLAVE DEVENU CHEVALIER.

Ces chaines, avec ces doubles fers, Zoïle te les dédie, Saturne, ce sont ses premiers anneaux.

XXX. A GARGILIANUS, CLIENT NÉCESSITEUX.

On ne donne plus aucune sportule, et tu peux dîner gratis. Dis-moi, Gargilianus, que fais-tu donc à Rome? d'où te vient cette mesquine toge, et où prends-tu de quoi payer le loyer de ton obscure cellule? De qui reçois-tu un quadrant ? Avec quoi achètes-tu les faveurs de Chioné ? Quoique tu prétendes vivre très raisonnablement, tu n'as pas la moindre raison pour vivre.

XXXI. A RUFINUS, RICHE PLEIN DE MORGUE.

Tu as, je l'avoue, des domaines champêtres d'une grande étendue ; tes lares sont nombreux dans la ville ; de nombreux débiteurs s'inclinent devant la toute-puissance de ton coffre-fort, et l'on te sert tes repas sur une table enrichie d'or. Ne va pas cependant, Rufinus, mépriser ceux qui ont moins que toi. Didymus fut plus riche que tu ne l'es ; Philomélus l'est encore.

XXXII. CONTRE MATRINIA.

Tu demandes, Matrinia, si je ne serais pas impuissant auprès d'une vieille ?Non, je ne le serais pas, même auprès d'une vieille mais tu n'es pas vieille, toi, tu es morte. Je n'eusse pas reculé devant Hécube, devant Niobé, Matrinia, avant que l'une fut changée en chienne, et l'autre en rocher.

XXXIII. COMMENT IL VEUT UNE MAÎTRESSE.

Je la veux de condition libre; mais si c'est impossible, une affranchie me suffira ; une esclave serait ma dernière ressource : mais cette esclave, je la préférerais aux deux autres, si sa beauté lui tient lieu de condition libre.

XXXIV. SUR CHIONE.

Je vais dire pourquoi tu mérites le nom que tu portes, et pourquoi tu ne le mérites pas. Tu es froide, tu es noire : tu n'es pas et tu es Chioné.

XXXV. SUR DES POISSONS CISELÉS.

Tu vois ces poissons sur ce vase ciselé, chef-d'oeuvre de l'art de Phidias : ajoute de l'eau, ils nageront.

XXXVI. CONTRE FABIANUS, PATRON ARROGANT.

Tous les soins que te rend un nouvel ami, un ami de la veille, Fabianus, tu exiges que je te les rende. Toujours il faut que j'aille, de très-grand matin, encore en négligé, te présenter mon salut, et escorter ta litière au milieu des boues; que sur la dixième heure, ou plus tard, accablé de lassitude, je te suive aux thermes d'Agrippa, tandis que moi je me baigne à ceux de Titus. Ai-je donc mérité, Fabianus, par trente années de constantes assiduités, d'en être sans cesse à l'apprentissage de ton amitié ? Ai-je mérité, Fabianus, avec ma toge usée, et qui est bien à moi, que tu ne me juges pas encore digne de recevoir mon congé?

XXXVII. CONTRE LES AMIS SUJETS A SE FACHER.

Amis heureux, vous ne savez que vous facher. Ce n'est pas bien ; mais vous y trouvez votre profit.

XXXVIII. A SEXTUS.

Quel motif ou quel espoir fondé te conduit à Rome, Sextus ? Qu'espères-tu, dis-moi, que veux-tu? J'y plaiderai, dis-tu, plus
éloquemment que Cicéron lui-même, et il n'y aura pas mon pareil dans les trois forum. Atestinus et Caius ont plaidé ; tu les as connus tous deux : ils n'ont pourtant, ni l'un ni l'autre, gagné de quoi payer entièrement leur loyer. Si je n'y gagne rien, je ferai des vers, je te les lirai, et tu diras qu'ils sont dignes de Virgile. Insensé ! tous ceux qui sont là grelottant sous leurs manteaux usés, tu vois en eux des Ovides et des Virgiles. Je me produirai chez les grands. Il en est à peine trois ou quatre à qui ce moyen ait procuré le nécessaire : tout le reste est pâle de faim. Que ferai-je donc ? Conseille-moi ; car j'ai bien résolu de vivre à Rome. Si tu es homme de bien, tu pourras y
vivre, Sextus, mais par l'effet du hasard.

XXXIX. SUR LYCORIS.

La borgne Lycoris, Faustinus, aime un jeune homme beau comme le berger Pâris. Que cette borgne y voit bien !

XL. CONTRE THELESINUS.

Parce que tu m'as prêté cinquante grands sesterces, pris sur les sommes immenses dont regorge ton coffre-fort, tu te crois,
Thelesinus, un bien généreux ami. Toi, généreux, lorsque tu me prêtes ! Je le suis bien plus, moi, lorsque je te rends.

XLI SUR UN LÉZARD CISELÉ.

Il est vivant, le lézard ciselé sur ce vase par Mentor: l'argent devient une cause de frayeur !

XLII. CONTRE POLLA.

En essayant de cacher avec de la farine de fèves les rides de ton ventre, Polla, tu trompes tes yeux sans tromper les miens. Laisse tout simplement à découvert un défaut peut-être fort léger. Une imperfection que l'on cache est supposée plus grande qu'elle n'est.

XLIII. — CONTRE LENTINUS.

Tu te rajeunis, Lentinus, en teignant tes cheveux : te voilà bien vite corbeau, de cygne que tu étais tout à l'heure. Tu ne tromperas pas tout le monde : Proserpine sait que tu es blanc ; elle arrachera le masque de ta tête.

XLIV. CONTRE LIGURINUS.

Veux-tu savoir pourquoi personne n'aime à te rencontrer, pourquoi l'on fuit tous les lieux où tu viens, pourquoi il règne autour de toi, Ligurinus, une solitude immense? Tu es trop poëte : c'est un bien dangereux défaut. Le tigre qui s'élance près le ravisseur de ses petits, la vipère que brûle le soleil de midi, le scorpion dangereux, sont moins redoutés que toi. Car ui pourrait, je le demande, supporter de pareils ennuis? Que on soit debout, que l'on soit assis , que l'on soit en course, que l'on soit en train de soulager son ventre, il faut t'entendre Ire, lire sans cesse. Je vais me réfugier dans les thermes; tu accroches à mon oreille. Je gagne la piscine ; tu ne me laisses
pas nager. Je cours souper; tu ne me quittes pas durant le chenin. Je me mets en devoir de prendre mon repas; tu me forces quitter la table. Épuisé de fatigue, je me couche et m'endors ; tu m'éveilles. Vois un peu le mal que tu fais : tu es juste, probe, les moeurs douces, et pourtant l'on te craint!

XLV. SUR LE MÊME.

J'ignore si la table de Thyeste, avec son horrible festin, fit véritablement fuir Phébus : pour nous, Ligurinus, nous fuyons la sienne. Elle est, c'est évident, splendide et couverte de mets exquis. Mais rien, rien absolument ne plaît quand tu récites ! Ce n'est ni un turbot, ni un barbeau de deux livres, ni des huîtres, ni des champignons que je désire. Je ne demand qu'une chose : que tu te taises.

XLVI. A CANDIDUS.

Tu exiges sans cesse de moi le service d'un client. Je reste! mais je t'envoie mon affranchi. Ce n'est pas, dis-tu, la même chose. Je vais te prouver que c'est beaucoup plus. Je puis à peine suivre ta litière; lui, il la portera. Quand tu tomberas au milieu de la foule, il écartera, de ses larges épaules, tous ceux qui te feront obstacle. Moi, j'ai les côtes faibles et délicates. Quoi que tu dises en plaidant, j'écouterai en silence ; mais lui, il t'applaudira bruyammentet à pleines mains. S'il s'élève quelque différend, sa grosse voix accablera d'injures tes adversaires : la décence ne me permet pas de prendre un pareil ton. Ainsi, réponds-tu, tout en étant mon ami, tu ne feras donc rien pour
moi? Je ferai pour toi, Candidus, tout ce que ne pourra faire mon affranchi.

XLVII. SUR BASSUS.

A la porte Capène, dont la voûte laisse échapper de larges gouttes d'eau ; près de l'endroit où l'Almon trempe le fer des prêtres de Cybèle ; aux environs du champ sacré des Horaces, que ouvre une herbe verdoyante, vers le lieu où reçoit en plein les rayons du soleil le temple du petit Hercule, ô Faustinus, passait Bassus sur un chariot chargé de tous les riches produits d'une campagne féconde. On y voyait des choux pourvus d'une magnifique tige, des poireaux de deux espèces, des laitues pommées, et des bettes utiles aux ventres paresseux. On y voyait aussi une énorme guirlande de grives grasses, un lièvre blessé par la dent d'un chien gaulois, et un cochon de lait qui ne pouvait encore manger des fèves. Un coureur chargé précédait le chariot, et portait des oeufs enveloppés dans du foin. Bassus
revenait donc à Rome ? Au contraire il allait à la campagne.

XLVIII. SUR OLLUS

0llus a fait bâtir une cabane de pauvre, mais il a vendu ses terres : Ollus a maintenant une cabane de pauvre.

XLIX. CONTRE QUELQU'UN QUI L'AVAIT INVITÉ.

Tu me sers du vin de Véies trempé, et tu bois du massique, j'aime mieux flairer ta coupe que de vider la mienne.

L. CONTRE LIGURINUS.

Tu n'as pas d'autre motif, en appelant des convives à ta table que de leur réciter, Ligurinus, de petits vers de ta façon. A
peine ai-je ôté mes sandales, que je vois arriver, parmi les laitues et les sauces piquantes, un énorme volume. Tu en lis un autre au premier service : un troisième parait, même avant que le second service soit arrivé. Enfin tu ne nous fais grâce ni d'un quatrième, ni d'un cinquième. Un sanglier devient infect si tu me le sers tant de fois. Si tu ne donnes pas tes vers assommants pour envelopper des maquereaux, dorénavant, Ligurinus, tu souperas seul chez toi.

LI. A GALLA.

Quand je loue ta figure, quand j'admire ta jambe et tes mains, tu as coutume, Galla, de dire : « Nue, je te plairais davantage. » Et toujours tu évites de te baigner avec moi. Est-ce que tu crains, Galla, que, moi, je ne te plaise pas?

LII. A TONGILIANUS, SUR UN INCENDIE PROFITABLE.

Ta maison, Tongilianus, t'avait coûté deux cent mille sesterces; un accident trop commun dans Rome te l'a enlevée. Une souscription t'a produit cinq fois sa valeur. Je te le demande, Tongilianus, ne pourrait-on pas te soupçonner d'avoir mis toi-même le feu à ta maison?

LUI. A CHLOE.
Je puis me passer de ton visage, de ton cou, de tes mains, de tes jambes, de tes mamelles, de tes fesses, de tes reins en un
mot, pour ne point me fatiguer à décrire toutes les parties de ton corps, je puis, Chloé, me passer de toute ta personne.

LIV. A GALLA.

Quand je ne puis donner, Galla, le prix que tu mets à tes faveurs, il serait bien plus simple de me refuser tout net.

LV. CONTRE GELLIA.

En quelque lieu que tu arrives, on croirait que Cosmus vient d'y transporter sa boutique, et que toutes ses essences s'échappent de leurs flacons renversés. Ne te complais donc point, Gellia, dans l'usage de ces frivolités étrangères. Tu n'ignores pas, je pense, que, de cette manière, mon chien aussi pourrait sentir bon.

LVI. SUR UNE CITERNE DANS RAVENNE.

J'aimerais mieux, dans Ravenne, une citerne qu'une vigne ; je pourrais y vendre de l'eau plus cher que le vin.

LVII. SUR UN CABARETIER.

Dernièrement, à Ravenne, un cabaretier rusé a trompé ma confiance; quand je lui demandais du vin trempé, il m'en a vendu de pur.

LVIII. A BASSUS, SUR LA MAISON DE CAMPAGNE DE FAUSTINUS.

Bassus, la maison de campagne de notre ami Faustinus, à Baïes, n'embrasse pas un vaste espace de terrain sans produits, symétriquement planté de myrtes inutiles, de stériles platanes et de buis régulièrement tondus, C'est une vraie et joyeuse campagne, qu'on peut à bon droit appeler rustique. Là les greniers regorgent des dons de Cérès jusque dans leurs derniers recoins ; là des vases nombreux exhalent les parfums d'un vin vieux de plusieurs automnes. Là, quand novembre est passé, quand déjà l'hiver nous menace de ses frimas, le grossier vigneron rapporte au cellier les grappes tardives. Dans une vallée profonde mugissent des taureaux indomptés, et le veau exerce son front encore désarmé, mais déjà impatient de combattre. On voit s'agiter la troupe errante des habitants de l'immonde basse-cour, l'oie criarde, le paon au plumage semé de diamants, l'oiseau qui donne son nom à la pourpre de ses ailes, la perdrix diaprée, la poule tachetée de Numidie, et le faisan né chez les Colchidiens témoin de tant de crimes. Les coqs orgueilleux caressent les femelles que Rhodes leur a fournies ; et les colombes font retentir les tours du battement de leurs ailes. Ici roucoule le ramier ; là gémit la
blanche tourterelle. Des porcs gourmands suivent à la piste la pâture que porte dans son tablier la fermière; et le tendre agneau attend que sa mère revienne les mamelles gonflées. De jeunes esclaves, blancs comme le lait, entourent le foyer tranquille, et le bois prodigué brûle auprès des lares joyeux. Ici le cabaretier paresseux ne pâlit point dans les langueurs de l'oisiveté, et le lutteur ne perd pas son huile. Tendre à la grive gourmande un filet trompeur, tirer avec la ligne tremblante le poisson qui a mordu à l'hameçon, ou rapporter à la maison le daim pris dans les rêts, tels sont les soins qui les occupent. Dans le jardin, rustiquement planté, se divertissent gaiement les citadins : sans y être contraints par leur pédagogue, les folâtres jeunes gens à la longue chevelure s'empressent d'obéir au métayer, et
l'eunuque efféminé est lui-même enchanté de prendre part à l'ouvrage. Le fermier, de son côté, ne vient point, les mains vides, saluer le maître du lieu. L'un apporte le miel blanc encore dans ses alvéoles de cire, et un fromage pyramidal ; l'autre offre des loirs dormeurs de la forêt de Sassina ; celui-ci présente un chevreau qui appelle en bêlant sa mère aux longs poils; cet autre, des chapons à qui l'amour est interdit. Viennent aussi les grandes filles des honnêtes laboureurs, apportant dans leurs paniers d'osier les présents de leurs mères. Après l'ouvrage, on invite à souper le voisin qui accepte avec joie ; et l'avarice ne réserve pas pour le lendemain les mets qui sont sur la table. Tout le monde mange; et le serviteur, pleinement rassasié, ne porte point envie au convive qui a bu largement. Quant à toi, tu possèdes près de la ville une maison de plaisance où l'on meurt de faim. Du haut d'une tour élevée, ta vue plane sur des lauriers auxquels ne se mêle aucun arbre fertile; tu es sans inquiétude, ton Priape ne craint pas les voleurs. La ville te fournit la farine dont tu nourris ton vigneron, et tu portes tranquillement, dans cette métairie en peinture, des oeufs, des poulets, des fruits, du fromage et du vin nouveau. Cela doit-il s'appeler une campagne ou bien une maison de ville éloignée?

LIX. SUR UN CORDONNIER ET UN FOULON, QUI DONNAIENT DES COMBATS DE GLADIATEURS.

Élégante Bologne, un cordonnier, ou plutôt un savetier, t'a donné le spectacle d'un combat de gladiateurs : un foulon en a donné un autre à Modène. Maintenant où le cabaretier donnera-t-il le sien ?

LX. CONTRE PONTICUS.

Lorsque, dispensé de tendre la main comme auparavant, je suis invité par toi à souper, pourquoi ne me sert-on pas les mêmes mets qu'à toi ? Tu savoures des huîtres engraissées dans le lac Lucrin; moi, je suce une moule dont l'écaillé m'écorche la bouche. Tu manges de fins champignons,et l'on m'en sert qu'on donnerait aux pourceaux. Tu es aux prises avec un turbot: moi, avec une limande. Le gras croupion d'une blanche tourterelle emplit ton estomac, tandis que je vois arriver devant moi une pie morte dans sa cage. En soupant avec toi, Ponticus, pourquoi soupé-je sans toi? Puisque la sportule est supprimée, que cela me porte profit : mangeons tous deux la même chose.

LXI. CONTRE CINNA.
Quoi que tu demandes, méchant Cinna, tu dis que ce n'est rien. Si, en effet, Cinna, tu ne demandes rien, de mon côté, Cinna, je ne te refuse rien.

LXII. CONTRE QUINTUS.

Parce que tu achètes de jeunes esclaves cent et souvent deux cent mille sesterces ; parce que tu bois des vins qui datent du roi Numa ; parce que tu payes dix fois au delà de sa valeur un élégant ameublement; parce qu'une livre d'argent travaillé t'en coûte cinq mille de monnayé; parce que l'acquisition d'un char doré équivaut pour toi au prix d'une terre; parce que tu as acheté une mule plus cher qu'une maison, crois-tu que tout cela, Quintus, soit la marque d'une âme élevée? Ces achats, Quintus, ne prouvent qu'un petit esprit.

LXIII. CONTRE COTILUS.

Tu es un joli homme, Cotilus : bien des gens le disent, et moi aussi je l'entends dire. Mais, réponds-moi, qu'est-ce qu'un joli homme? Un joli homme est celui qui arrange avec art les boucles de sa chevelure,qui sent toujours le baume, toujours le cinnamome ; qui fredonne des chansons d'Êgypte ou de Cadix ; qui agite gracieusement ses bras épilés; qui passe les jours entiers, assis au milieu d'un cercle de femmes, et leur dit sans cesse quelque chose à l'oreille; qui lit des lettres d'amour venues de tous côtés, et qui en écrit d'autres ; qui redoute pour ses vêtements les coudes de son voisin ; qui connaît les intrigues galantes; qui court les festins; qui sait parfaitement la généalogie d'Hirpinus. Que dis-tu? Est-ce !à,Cotitus, est-ce là un joli homme? C'est donc bien peu de chose, Cotilus, qu'un joli homme !

LXIV. A CASSIANUS, SUR CANIUS.

On dit que l'adroit Ulysse sut éviter l'agréable supplice, la mort délicieuse et la joie cruelle que préparaient aux navigateurs les Sirènes, les Sirènes qu'on ne pouvait fuir une fois qu'on les avait entendues. Je n'en suis pas surpris. Ce qui me surprendrait, Cassianus, c'est qu'il eût cherché à fuir Canius récitant ses vers.

LXV. AU JEUNE DIADUMENUS.

Ce qu'exhale le fruit mordu par la bouche délicate d'une jeune fille, le zéphyr qui arrive après avoir passé sur le safran de Corycie, la vigne dont les fleurs naissantes blanchissent les tendres rameaux, la prairie où vient de butiner l'abeille, le myrte, l'Arabe moissonnant des parfums, le succin réduit en poudre, la pâle fumée de l'encens oriental, la terre après une légère pluie d'été, la couronne posée sur une chevelure imbibée de nard, jeune et cruel Diadumenus, tous ces suaves parfums, tes baisers en ont le charme. Que serait-ce, si tu les donnais tout entiers sans en rien retenir?

LXVI. CONTRE M. ANTOINE.

Le crime d'Antoine égale celui de Pothinus. Deux tétes sacrée tombèrent sous le glaive de ces deux assassins. L'une, ô Rome appartenait aux beaux jours de ta gloire et de tes triomphes; l'autre, à ce temps où tu brillais par l'éloquence. Antoine cependant
fut plus coupable que Pothinus ; celui-ci fut assassin pour le compte de son maître ; celui-là, pour son propre compte.

LXVll. SUR DES MARINIERS PARESSEUX.

Plus lents que le Vatrène et que l'Éridan, vous languissez, enfants, et n'entendez rien à votre métier. Naviguant sur les
eaux dormantes, aux cris qui vous doivent animer, à peine mouillez-vous vos rames paresseuses. Déjà le char de Phaéthon
commence à descendre; Éthon est couvert de sueur ; l'air est en feu, et l'heure de midi dételle à peine ses chevaux fatigués. Vous cependant, errant sur ces ondes tranquilles, vous promenez, en vous jouant, votre indolence dans une barque qui ne court aucun danger. Selon moi, vous n'êtes pas des nautes ; vous êtes des argonautes.

LXVIlI. — A UNE MATRONE PUDIQUE.

Jusqu'ici, matrone, c'est pour toi que ce petit livre est écrit. Et le reste, dis-tu, pour qui donc? Pour moi. Le gymnase, les thermes, le stade sont de ce côté : retire-toi. Nous quittons nos vêtements : dispense-toi de voir des hommes nus. Ici, après le vin et les roses, Terpsichore se dépouille bientôt de sa pudeur, et, dans son ivresse, ne sait plus ce qu'elle dit. Elle nomme ouvertement, et sans recourir au moindre voile, cette partie que Vénus triomphante reçoit dans son sein au mois d'août, celle que le paysan place comme gardienne au milieu de son jardin, celle que la modeste jeune fille ne regarde qu'en cachant son visage de sa main. Si je te connais bien, déjà tu mettais de côté mon livre, fatiguée de sa longueur ; mais maintenant tu le liras avec soin jusqu'au bout.

LXIX. A COSCONIUS.

Toutes tes épigrammes sont écrites en termes chastes, et jamais on ne voit de mentule dans tes vers. En cela je t'admire, je t'applaudis. Rien au monde n'est plus pur que toi ; mais pour moi, aucune de mes pages n'est exempte de licence. Que mon livre ait donc pour lecteurs les jeunes gens libertins, les jeunes filles faciles, le vieillard que sa maîtresse agace et lutine. Mais tes vénérables et saints écrits doivent être la lecture des enfants et des vierges.

LXX. A CERVINUS.

Te voilà, Cervinus, l'amant d'Aufidia, dont tu as été l'époux. Celui qui fut ton rival est maintenantson mari. Pourquoi donc te plaît-elle ne t'appartenant plus, celle qui te déplaisait lorsqu'elle était ta femme ? As-tu besoin d'obstacles pour trouver toute ta vigueur ?

LXXI. CONTRE NÉVOLUS.

Tandis que ton jeune esclave souffre de la mentule, toi, Névolus, tu souffres de la partie opposée : je ne suis pas devin, mais je sais ce que tu fais.

LXXII. LAUFEIA.

Tu veux bien te livrer à moi, et tu ne veux pas, Laufeia, te baigner avec moi. Cela me fait soupçonner quelque affreuse difformité. Ou de flasques mamelles pendent de ta poitrine, ou tu crains que ta nudité n'offre aux regards un ventre sillonné de rides, ou ta nymphe déchirée est d'une énorme grandeur, ou bien quelque excroissance en dépare l'orifice. Mais il n'est rien de tout cela. Je le crois, nue, tu es parfaitement belle. Mais la chose est vraie, tu as un pire défaut : tu es bégueule.

LXXIII. CONTRE PHÉBUS.

Tu couches, Phébus, avec de jeunes esclaves pleins de viriité; et ce qui est roide chez eux est flasque chez toi. Je voulais bien croire que tu aimais les hommes; mais ce n'est pas, dit-on, de la façon que je l'entendais.

LXXIV. CONTRE GARGILIANUS.
Tu épiles ton visage avec le psilothrum, et ton crâne avec le dropax. Est-ce que tu crains le barbier, Gargilianus? Que deviendront tes ongles? Car il n'y a ni résine ni pâte vénitienne qui les puisse rogner. S'il te reste quelque pudeur, cesse de déshonorer ainsi ta misérable tête. Ce rôle ne convient qu'à l'organe secret des femmes.

LXXV. CONTRE LUPERCUS.

Depuis longtemps, Lupercus, ta mentule est sans force; cependant, insensé, tu mets tout en oeuvre pour lui rendre sa vigueur; mais les roquettes, les bulbes aphrodisiaques, la stimulante sarriette ne te sont d'aucun secours. Tu t'es mis à corrompre, à force d'argent, des bouches pures. Ce moyen ne réveille pas non plus en toi de lubriques sensations. N'est-il pas bien étonnant, bien incroyable, qu'il t'en ait tant coûté, Lupercus, pour rester impuissant ?

LXXVI. CONTRE BASSUS.

Tu es de feu auprès des vieilles, Bassus, et tu dédaignes les jeunes. Ce n'est pas une beauté vivante qui te plaît, c'est une moribonde. N'est-ce pas, dis-moi, une bizarre manie, et ta mentule n'est-elle pas folle? Tu peux tout pour Hécube, et ne peux rien pour Andromaque!

LXXVII. CONTRE BÉTICUS.

Ni le barbeau ni la grive, Béticus, ne sont de ton goût ; ni le lièvre ni le sanglier ne te plaisent ; tu n'aimes ni les gâteaux ni les pâtisseries; et ce n'est pas pour toi que la Libye et le Phase nous envoient leurs oiseaux. Tu dévores des câpres, des oignons nageant dans une dégoûtante saumure, et la chair molle d'un jambon de fraîcheur douteuse. Tu, recherches les harengs et le thon mariné que couvre une peau blanche : tu bois des vins qui sentent la résine, et tu repousses le falerne. Je soupçonne ton estomac de quelque vice secret, car enfin pourquoi en faire un réceptacle de pourritures?

LXXVIII. A PAULINUS.

Tu as pissé une fois, Paulinus, tandis que ta barque fendait rapidement les eaux. Veux-tu pisser encore ? Alors tu sera Palinure.

LXXIX. A SERTORIUS.

Sertorius commence tout et ne finit rien. Quand il besogne une fille, je doute qu'il aille jusqu'au bout.

LXXX. APICIUS.

Tu ne te plains de personne, tu ne dis du mal de personne, Apicius : le bruit court cependant que tu as une mauvaise langue.

LXXXI. CONTRE BÉTICUS.

Pontife de Cybèle, qu'as-tu de commun, Béticus, avec le sexe féminin ? Ta langue n'est bonne qu'à lécher l'organe secret des hommes. Pourquoi donc avoir tranché ta mentule avec un fragment de bouteille, si les femmes avaient tant de charme pour toi? c'est ta tête qu'il faut couper ; car, bien que tu sois eunuque par ta mentule, tu manques aux lois du culte de Cybèle : tu es homme par la bouche.

LXXXII. CONTRE ZOILE.

Quiconque peut être le convive de Zoïle peut aussi souper a'vec les femmes qui habitent le Summénium, et boire à jeun dans le vase mutilé de Léda : je soutiens qu'il serait, chez elles, plus à son aise et plus décemment. Vêtu d'une robe d'étoffe blanche et rase, Zoïle est étendu sur un lit dont il s'est emparé le premier, et, appuyé sur la pourpre et sur des coussins de soie, il pousse à droite et à gauche les convives avec ses coudes. Quand son estomac est plein, son mignon, debout près de lui lui présente des plumes rouges et des cure-dents de lentisque. Si la chaleur le gêne, une concubine, étendue non-chalamment sur le dos, lui procure une douce fraîcheur à l'aide d'un rameau vert qui lui sert d'éventail, tandis qu'un jeune esclave écarte les mouches avec une branche de myrte. Une masseuse exerce son art léger sur toutes les parties de son corps, et promène sa main habile sur chacun de ses membres. Un eunuque habitué au signal
du craquement de ses doigts, et chargé de provoquer délitcatement l'émission des urines, dirige le pénis ivre du maitre occupé à boire. Cependant celui-ci, penché en arrière, vers la troupe des jeunes esclaves couchés à ses pieds, parmi de petites chiennes léchant des entrailles d'oies, partage à ses palestrites les glandes d'un sanglier, et donne à son favori des croupions de tourterelles. Et, tandis qu'on nous sert du vin des coteaux de Ligurie ou du moût enfumé de Marseille, il verse à ses bouffons le nectar d'Opimius dans des vases de cristal et de myrrhe. Parfumé des essences que renferment les bocaux de Cosmus, ne rougit pas de nous distribuer, dans un murex doré, la pommade qui sert à oindre les cheveux des dernières prostituées. Enfin, abruti par l'énorme quantité de vin qu'il a bue, il s'endort. Pour nous,nous demeurons à table, et, forcés d'entendre en silence ses ronflements; nous nous portons nos santés par signe. C'est ainsi que nous endurons les mépris fastueux de cet insolent débauché, sans pouvoir, Rufus, en tirer vengeance : il suce.

LXXXIII. — CONTRE COCLÈS.

Tu me conseilles, Coclès, de faire mes épigrammes plus courtes. Fais-moi ce que me fait Chione : je ne puis être plus court.

LXXXIV. CONTRE TONGILION.

Que dit ta putain? Ce n'est pas d'une femme que je parle,Tongilion. — De qui donc? — De ta langue.

LXXXV. — A UN MARI.

Qui t'a conseillé de couper le nez à l'amant de ta femme? Ce n'est point par là, mari, qu'il s'est rendu coupable envers toi. Insensé, qu'as-tu fait? Ta femme n'y a rien perdu, puisque la mentule de son Déiphobe est saine et sauve.

LXXXVI. A UNE CHASTE MATRONE.

Je t'ai prévenue et avertie, femme chaste, de ne pas lire cette partie libertine de mon petit livre ; et pourtant tu la lis. Mais, si malgré ta chasteté, tu vas voir Panniculus et Latinus, mes vers ne sont pas plus indécents que leurs mimes : lis-les donc.

LXXXVII. CONTRE CHIONE.

Le bruit court, Chione, que tu n'as jamais eu commerce avec aucun homme, et qu'il n'est rien de plus pur que ton organe sexuel. En ce cas, lorsque tu es au bain, tu ne couvres pas la partie que tu dois couvrir. Si tu as quelque pudeur, le voile qui cache tes secrets appas, c'est sur ta face qu'il faut le mettre.

LXXXVIII. CONTRE DEUX FRÈRES IMPUDIQUES.

Ils sont frères jumeaux ; mais ils lèchent chacun des parties différentes. Sont-ils, dites-le, plus dissemblables ou plus semblables?

LXXXIX. — A PHEBUS.

Emploie la laitue et la mauve émolliente, car tu as, Phébus, le visage d'un homme constipé.

XC. SUR GALLA.

Galla veut et ne veut pas me donner : puisqu'elle veut, et qu'elle ne veut pas, je ne puis dire ce qu'elle veut.

XCI. SUR MISITIUS ET ACHILLAS.

Tandis que Misitius gagnait le territoire de Ravenne, sa patrie, il se joignit en chemin à cette troupe de demi-hommes qui président au culte de Cybèle. Il avait pour compagnon de voyage Achillas, jeune esclave d'une grande beauté et d'une gentillesse agaçant l'appétit. Les hommes stériles en font la remarque lui demandent de quel côté il couchait; mais celui-ci, soupçonnant quelque ruse, répond par un mensonge, on le croit. Quand on a fini de boire, on va dormir. Aussitôt la troupe malfaisant prend le fer et mutile le vieillard, couché au bord, tandis que jeune esclave, couché dans la ruelle, était à l'abri de leur atteintes. On raconte qu'autrefois une biche fut immolée à,
place d'une vierge ; mais ici c'est une mentule qui fut substuée à un cerf.

XCII. A GALLUS.

Ma femme me conjure, Gallus, de lui permettre un amant mais un seul ; et moi, Gallus, je ne lui arrache pas les deux yeux.

XCIII. CONTRE VETUSTILLA.

Quoique tu aies déjà vu passer trois cents consuls, Vetustilla, qu'il ne te reste que trois cheveux et quatre dents, que tu aies une poitrine de cigale, de misérables cuisses de fourmi, un front où se montrent plus de rides que ta robe n'a de plis, des mamelles semblables à des toiles d'araignée, une bouche qui, comparée à la gueule du crocodile, la surpasse de beaucoup en grandeur; quoique le coassement des grenouilles de Ravenne emporte en douceur sur ta voix, et le bourdonnement du moucheron de l'Adrie en mélodie sur ton chant; que tu n'y voies pas plus clair qu'une chouette le matin; que l'odeur de ton corps soit pareille à celle qu'exhale le mâle de la chèvre, que tu aies le croupion d'une oie maigre, et que tes secrets appas soient plus décharnés qu'un vieux cynique; quoique le baigneur, après avoir éteint sa lumière, t'admette parmi les prostituées des tombeaux ; quoique le mois d'août soit encore pour toi la saison des frimas, et que la peste elle-même ne soit pas capable de te réchauffer, tu te complais, après deux cents veuvages, dans la pensée d'un nouvel hymen, et tu cherches, insensée, un homme chez qui ta cendre excite le désir. C'est comme si l'on voulait sarcler un rocher. Qui pourra te nommer sa femme, son épouse, toi que dernièrement Philomelus appelait son aïeule ? Si tu exiges absolument qu'on dissèque ton cadavre, que ce soit le médecin Coriclès qui dresse le lit ; lui seul peut chanter ton épithalame. Celui qui met le feu aux bûchers portera devant toi la torche de la nouvelle mariée : il ne faut pas moins que ce flambeau pour entrer dans un organe comme le tien.

XCIV. CONTRE RUFUS.

Tu soutiens que ce lièvre n'est pas cuit, et tu demandes des verges : tu aimes mieux, Rufus, dépecer ton cuisinier que ton lièvre.

XCV. CONTRE NEVOLUS.

Jamais tu ne m'adresses le bonjour, mais toujours, Névolus, tu te bornes à me le rendre, quoique pourtant il arrive souvent au corbeau de dire bonjour le premier. Apprends-le-moi, je t'en prie, Névolus ; par quelle raison attends-tu de ma part ce bonjour ? car je pense que tu n'es ni meilleur ni d'un plus haut rang que moi. J'ai reçu des deux Césars des éloges et des récompenses. Le dernier m'a accordé les droits d'un père de trois enfants. On me lit partout, et la renommée proclame mon nom par les villes, sans attendre que mon corps ait été placé sur le bûcher. C'est quelque chose que cela : Rome m'a vu tribun, et je puis m'asseoir sur les sièges qu'Océanus te contraint d'abandonner. Je soupçonne que tu ne possèdes pas autant d'esclaves que César, à ma recommandation, a bien voulu faire de citoyens. Mais tu te livres aux libertins ; mais tu te prêtes merveilleusement à leurs honteuses débauches. De ce côté, tu m'es supérieur : tu l'emportes. Bonjour !

XCVI. CONTRE GARGILIUS.

Tu lèches ma maîtresse sans en obtenir d'autres faveurs, et tu jases comme si tu étais son amant heureux. Si je t'attrape, Gargilius, tu te tairas.

XCVII. A RUFUS.

Prends garde, Rufus, je t'en prie, que ce livre ne soit lu par Chioné. Elle est blessée par mes vers ; à son, tour, elle pourrait me blesser.

XCVIII. CONTRE SABELLUS.

Tu demandes à quel point ton derrière est maigre ? tu pourrais, Sabellus, l'introduire dans un autre.

XCIX. A UN SAVETIER.

Tu ne dois pas, savetier, te fâcher contre mon petit livre. C'est ton métier, non pas ta vie, que j'attaque dans mes vers. Souffre d'innocentes railleries. Pourquoi ne me serait-il pas permis de plaisanter, quand-il t'a été permis d'égorger ?

C. A RUFUS.

Il était la sixième heure, Rufus, lorsque je t'ai expédié un courrier qui, je crois, a été bien mouillé en te portant mes vers ; car alors, par un effet du hasard, le ciel se fondait en eau : l'envoi de ce livre ne devait pas se faire autrement.

LIVRE IV

I. SUR L'ANNIVERSAIRE DE LA NAISSANCE DE DOMITIEN.

Jour fortuné qui vis naître César, jour plus sacré que celui où l'Ida, complice de Cybèle, vit naître Jupiter sur le mont Dictée, prolonge, je t'en prie, ta durée au delà des trois âges du sage de Pylos; sois toujours aussi brillant et, s'il se peut, plus brillant encore qu'en ce moment. Que notre maître, tout couvert d'or, sacrifie à Minerve Albaine pendant des années sans nombre, et que ses augustes mains distribuent encore des milliers de couronnes de chêne. Puisse-t-il, après une longue suite de lustres, renouveler les jeux séculaires et les fêtes instituées à Térente par Romulus! Dieux de l'Olympe, c'est vous demander de grandes faveurs, mais vous les devez à la terre. Quels voeux pourraient être indiscrets pour un aussi grand dieu ?

II. SUR HORACE.

Seul, au milieu de tous les Romains, Horace assistait au spectacle avec un vêtement noir, tandis que le peuple, les chevaliers, les sénateurs et leur chef sacré siégeaient en toges blanches. Tout à coup des flocons de neige tombent du ciel ; Horace alors assiste aux jeux, vêtu de blanc.

III. SUR LES NEIGES.

Voyez quels épais flocons de neige tombent sans bruit sur le front et le sein de César ! Cependant il pardonne à Jupiter ; et sa tête reste immobile ; il se rit de ces eaux que le froid a congelées, habitué qu'il est à braver l'astre glacial du Bouvier, et à souffrir, sans y paraître songer, l'influence d'Hélice inondant sa chevelure. Mais quel dieu se plaît et s'amuse à verser du haut du ciel ces eaux durcies ? Je soupçonne qu'elles sont envoyées par le jeune fils de César.

IV. CONTRE BASSA.

L'odeur des lagunes que la mer a laissées à sec ; les vapeurs épaisses qui s'élèvent des eaux croupies de l'Albula ; l'air corrompu d'un vivier où a séjourné l'eau de mer ; l'exhalaison du bouc paresseux lorsqu'il presse amoureusement la chèvre; l'odieux parfum de la casaque d'un vieux soldat, après une nuit de corps de garde ; la puanteur d'une étoffe trempée deux fois dans le murex ; l'haleine des gens qui observent le jeûne du sabbat ; celle des criminels qui viennent d'entendre leur sentence ; la fumée de la lampe mourante de la sale Léda ; l'odeur des onguents composés avec la lie de la Sabine ; la peste que répand le renard en fuite, celle du nid de la vipère ; voilà, Bassa, ce que j'aimerais mieux sentir que ce que tu sens.

V. A FABIANUS.

Citoyen vertueux et pauvre, à la parole franche, au coeur sans détour, qu'espères-tu, Fabianus, en venant à Rome? Tu ne saurais être ni proxénète ni parasite ; tu n'iras pas d'une voix dolente citer au tribunal, les prévenus tremblants ; tu ne voudrais pas corrompre la femme d'un ami intime, montrer de la vigueur avec des vieilles glacées par l'âge, vendre autour des palais une vaine fumée, applaudir ni Canus ni Glaphyrus. De quoi vivras-tu donc, malheureux, avec ta bonne foi, ta constance en amitié ? Tout cela n'est rien ; et avec ce caractère tu ne seras jamais un Philomelus.

VI. CONTRE MALISIANUS.

Tu veux qu'on te croie plus chaste que la vierge pudique, et, ton front affecte la rougeur de l'innocence, bien que tes moeurs, Malisianus, surpassent en infamie celles du débauché qui lit, chez Stella, des vers composés à la manière de Tibulle.

VII. A HYLLUS.

Pourquoi, jeune Hyllus, me refuser aujourd'hui ce que tu m'accordais hier ? te montrer si cruel après avoir été si doux ? Mais déjà tu m'opposes ta barbe, ton âge et les poils dont ton corps est couvert. Que tu es longue, ô nuit ! toi qui as suffi pour faire un vieillard ! Pourquoi ce badinage ? Hyllus, toi qui n'étais hier qu'un enfant, dis-nous comment aujourd'hui, tu es un homme ?

VIII. A EUPHEMUS.

Les deux premières heures de la journée se passent dans les visites des clients; à la troisième, on entend les voix enrouées des avocats ; pendant la cinquième, Rome se livre à toutes sortes d'occupations; à la sixième, ceux qui sont fatigués se reposent; la septième met fin aux travaux ; de la huitième à celle qui suit, on se livre aux exercices de la palestre ; la neuvième nous appelle à fouler les lits préparés pour la table ; la dixième est consacrée à la lecture de mes petits livres, au moment, Euphemus, où tes soins distribuent l'ambroisie à César, et où ce maitre bienfaisant se rafraîchit avec le nectar céleste, que sa main puissante verse avec modération dans sa coupe. Tu peux alors présenter mes vers badins ; car ma muse n'oserait, d'un pas hardi, venir interrompre les matinées de Jupiter.

IX. CONTRE FABULLA.

Fille du médecin Sota, Fabulla, tu quittes ton mari pour suivre Clitus ; tu lui prodigues et les présents et ton amour ; tu te ruines.

X. A FAUSTINUS.

Tandis que mon livre est neuf et non rogné, et que ses pages encore fraîches craignent d'être effacées, esclave, va porter ce léger hommage à un ami bien cher, qui mérite d'avoir les prémices de ces bagatelles. Cours, mais non sans être muni du nécessaire : prends une éponge de Carthage, elle convient au présent que je fais. Mille ratures; de ma main, ne peuvent, Faustinus, corriger ce badinage; une seule, de la tienne, sera plus efficace.

XI. CONTRE ANT. SATURNINUS.

Trop fier d'un vain nom qui n'est pas le tien, malheureux, tu as honte d'être Saturninus ! Tu as suscité des guerres impies dans ces climats situés sous la constellation de l'Ourse; et ta révolte égale celle qu'excita l'époux de la reine d'Égypte. Avais-tu donc oublié le destin de ce nom qu'ensevelit a jamais le courroux redoutable des flots d'Actium? Le Rhin t'a-t-il promis les secours que le Nil lui a refusés? Les fleuves du nord auraient-ils pu faire davantage? Eh bien! Cet Antoine est aussi tombé sous nos armes, lui qui, comparé à toi, perfide, était un César.

XII. CONTRE THAÏS.

Tu ne refuses tes faveurs à personne, Thaïs ; soit : mais si tu n'en rougis pas, rougis du moins de ne rien refuser.

XIII. A RUFUS, ÉPITHALAME DE PUDENS ET DE CLAUDIA PEREGRINA.

Mon ami Pudens épouse Claudia Peregrina, ô Rufus ! Hyménée, fais briller tes flambeaux d'un plus doux éclat! Telle est l'union précieuse du cinname et du nard, qui aiment à se rencontrer ; tel est encore le mélange du vin de Massique avec le miel des coteaux où régna Thésée. Les ormeaux ne se marient pas avec plus d'amour à la vigne si tendre ; le lotos ne recherche pas davantage les lieux humides; le myrte se plaît moins sur les rivages. 0 concorde, sois sans cesse l'incorruptible gardienne de la couche de ces époux ; que Vénus leur dispense ses faveurs avec une bonté toujours égale; que la femme chérisse son mari, même quand il sera vieux ; et que l'époux, à l'époque où l'épouse aura vieilli, oublie que le temps a marché pour elle !

XIV. A SILIUS.

Silius, l'honneur des vierges de Castalie, toi qui peins à grands traits les parjures, la fureur d'un peuple barbare et les ruses perfides d'Annibal ; toi qui fais succomber l'inconstant Carthaginois sous les armes de l'immortel Scipion l'Africain ; oublie un instant ton austère gravité, dans ce mois de décembre, où le jeu promène çà et là ses caprices charmants, où le bruit des cornets capricieux retentit de toutes parts, où le victimaire joue avec des dés infidèles ; époque si favorable aux loisirs de nos muses ! lis, non d'un oeil sévère, mais avec indulgence, ces feuillets empreints de malice et de folâtre gaieté. Ainsi peut-être le tendre Catulle osa-t-il envoyer au grand Virgile le moineau qu'il avait chanté.

XV. A CECILIANUS.

J'ai refusé hier, Cécilianus, de te prêter mille sesterces pour six à sept jours; mais, sous le prétexte de l'arrivée d'un ami, tu demandes à m'emprunter un bassin et quelques vases. Es-tu fou, ou crois-tu que je le sois, mon ami ? Je ne t'ai pas donné mille sesterces, et je t'en donnerais cinq mille !

XVI. CONTRE GALLUS.

Gallus, tu ne t'es pas contenté d'être le beau-fils de ta belle-mère tant que ton père a vécu, si l'on en croit la chronique cependant il n'y avait alors aucune preuve dû fait. Ton père n'est plus ; Gallus, et ta belle-mère demeure toujours avec toi. Dût l'éloquent Tullius revenir du séjour des ombres, dût Régulus lui-même se charger de ta défense, rien ne saurait te faire absoudre ; car celle qui, depuis la mort de ton père, n'a pas cessé d'être ta belle-mère, ne le fut jamais.

XVII. A PAULUS.

Tu m'engages , Paulus , à écrire contre Lycisca des vers qui la fassent rougir et qui excitent sa colère. Ah ! Paulus, tu es un perfide. Tu ne veux partager avec personne le plaisir de sucer.

XVIII. SUR UN JEUNE HOMME TUÉ PAR LA CHUTE D'UN GLAÇON.

Sous la porte voisine du portique d'Agrippa, à l'endroit où le pavé glissant est arrosé d'une pluie incessante, un fragment de cette eau glacée par l'hiver tomba sur la gorge d'un jeune homme qui entrait dans ce temple humide ; après avoir précipité les tristes destins du malheureux, le poignard amolli s'est fondu dans la plaie brûlante qu'il avait faite. Quels jeux cruels n'a-t-on pas à redouter de la fortune ? Où la mort n'est-elle point, si l'eau peut aussi nous égorger ?

XIX. SUR UNE ENDROMIDE.

Je t'envoie l'ouvrage grossier d'une ouvrière de la Gaule Séquanaise, ouvrage qui, tout barbare qu'il est, conserve un nom lacédémonien, c'est un présent de peu d'apparence, mais qui n'est point à dédaigner par un froid de décembre ; reçois ce vêtement étranger, cette endromide. Soit que, frotté de cire et d'huile, tu t'exerces à la lutte, soit que tu t'échauffes, avec le trigon, que tu enlèves avec la main le harpaste poudreux, que tu fasses bondir le ballon gonflé de plumes, ou que tu veuilles vaincre à la course le léger Athas, cet habit empêchera le froid pénétrant de se glisser dans tes membres mouillés : avec lui tu ne craindras pas les torrents d'eau que verse tout à coup Iris ; avec lui, tu braveras les vents et la pluie : un manteau d'étoffe de Tyr ne te préserverait pas aussi bien.

XX. SUR CERELLIA ET GELLIA.

Cérellia se dit vieille, et elle n'est qu'un enfant : Gellia, la vieille, prétend être un enfant. Tu ne pourrais, Collinus, souffrir ni l'une ni l'autre: celle-ci est ridicule et celle-là prétentieuse.

XXI. SUR SEGIUS.

Segius affirme qu'il n'y a point de dieux et que le ciel est vide la preuve, dit-il, c'est que, malgré son athéisme, il se voit fort heureux.

XXII. SUR CLÉOPÂTRE, SON ÉPOUSE.

Après les premières attaques de l'amour, encore irritée contre son mari vainqueur, Cléopâtre s'était plongée dans un bain d'eau limpide pour fuir mes caresses ; mais l'onde où elle veut se cacher, la trahit ; de toutes parts enveloppée d'eau, elle n'en brille que d'un plus vif éclat. Ainsi les lis renfermés sous un verre diaphane se comptent plus facilement ; ainsi le cristal défend à la rose de cacher ses charmes. Je m'élance au bain, et, au sein des eaux, je cueille les baisers qu'elle me dispute : onde transparente, tu ne m'en as pas permis davantage.

XXIII. A THALIE, SUR BRUTIANUS.

Tandis que trop longtemps incertaine, tu balances à assigner le premier et le second rang, à décerner la palme de l'épigramme grecque, Callimaque la donne de lui-même, ô Thalie, à l'élégant Brutianus. Si, las de cultiver les Muses, gracieuses du pays de Cécrops, il se livrait au fin badinage de la Minerve romaine ; accorde-moi la faveur d'être le second après lui.

XXIV. SUR LYCORIS , A FABIANUS.

Lycoris, ô Fabianus, a mis au tombeau toutes ses amies puisse-t-elle devenir l'amie de ma femme !

XXV. SUR LES RIVAGES D’ALTINUM ET SUR AQUILÉE.

Rivages de l' Altinum, qui rivalisez avec les belles campagnes de Baïes, bois qui vis le bûcher de Phaéthon, vous, la plus belle des Dryades, que le Faune de la ville d'Anténor prit pour seule et unique épouse auprès des lacs Euganéens ; et vous, Aquilée, fécondée par les eaux, du Timave, qui reçut les fils de Léda, et permit à Cyllarus de puiser l'onde de ses sept embouchures ; vous serez le port et l'asile de ma vieillesse si quelque jour je suis maître de mes loisirs.

XXVI. A POSTHUMUS.

Pour n'être point venu de toute l'année te saluer le matin ,veux-tu savoir, Posthumus, combien j'ai perdu ? deux fois trente et peut-être trois fois vingt sesterces. Tu m'excuseras, Posthumus ; la moindre toge me coûte plus cher.

XXVII. A CESAR AUGUSTE DOMITIEN.

César, tu fais souvent l'éloge de mes oeuvres ; mes envieux prétendent qu'il n'en est rien ; toutefois tu continues et même, après m'avoir honoré de tes louanges, tu me combles de ces présents que nul autre ne pourrait me faire. Eh ! ne voilà-t-il pas que l'envie ronge encore ses ongles noirs. César, accable-moi de dons, pour qu'elle en meure de dépit.

XXVIII. A CHLOE.

Chloé, tu as donné au tendre Lupercus des étoffes d'Espagne, de Tyr, d'écarlate, et une toge lavée dans les tièdes eaux du Galèse, des sardoines de l'Inde, des émeraudes de Scythie, cent pièces d'or frappées nouvellement à l'effigie de notre maître : tout ce qu'il demande, tu-le lui accordes, tu le lui prodigues. Malheur à toi, pauvre brebis tondue ! malheur à toi, pauvrette ! ton Lupercus te mettra toute nue.

XXIX. A PUDENS.

Le grand nombre de mes épigrammes leur nuit, mon cher Pudens ; un ouvrage interminable fatigue et rassasie le lecteur. La rareté a plus de charme : ainsi les premiers fruits plaisent davantage ; ainsi les roses. d'hiver ont plus de prix. Le faste, d'une maîtresse qui ruine ses adorateurs est son premier titre de recommandation ; et la porte qui s'ouvre à tout venant n'attire pas la jeunesse. Perse a plus de réputation, pour un seul petit livre, que le fade Marsas pour toute son Amazonide. Aussi, toi, quand tu liras une de mes pièces de vers, figure-toi qu'elle est la seule, et tu lui accorderas plus d'estime.

XXX. UN PÊCHEUR.

Crois-moi, pêcheur, fuis bien loin du lac de Baïes, si tu ne veux pas en revenir criminel. Le poisson qui nage dans ces eaux est sacré ; il connaît le maître du monde, et vient lécher cette main, la plus puissante de l'univers. Ajouterai-je que chacun de ces poissons à son nom, et qu'il accourt rapidement à la voix du maître qui l'appelle ? Un Libyen impie jeta un jour dans cette eau profonde sa ligne tremblante, mais, au moment de tirer sa proie, frappé tout à coup de cécité, il perdit l'usage de ses yeux et ne put voir le poisson qu'il avait pris : aujourd'hui, maudissant ses hameçons sacrilèges, il se tient en mendiant sur le rivage de Baïes. Toi, pécheur, tandis que tu le peux encore, retire-toi innocent ; jette dans ces eaux des aliments salutaires, et respecte des poissons consacrés.

XXXI. A HIPPODAMUS.

Tu désires que ton nom soit inscrit et lu dans mes ouvrages ; et tu penses qu'il y aurait là pour toi beaucoup d'honneur. Que je perde la vie, si ce ne serait pas pour moi la chose la plus agréable, et si je ne voudrais t'avoir cité dans mes vers. Mais tu as un nom rebelle aux efforts des neuf soeurs, un nom que t'a donné une mère barbare ; un nom que ni Melpomène, ni Polymnie, ni la pieuse Calliope, ni Phébus avec elles, ne sauraient prononcer. Adopte donc, un nom qui puisse plaire aux Muses ; celui d'Hippodamus ne flatte pas toujours l'oreille.

XXXII. SUR UNE ABEILLE ENFERMÉE DANS UN MORCEAU D'AMBRE.

Enfermée brillante dans une larme des soeurs de Phaéthon cette abeille semble s'être emprisonnée dans son propre nectar Ainsi elle a reçu le prix de ses travaux sans pareils, et l'on peut croire qu'elle a choisi elle-même ce genre de mort.

XXXIII. A SOSIBIANUS.

Tes tablettes sont remplies d'ouvrages travaillés avec soin pourquoi ne publies-tu rien, Sosibianus ? Mes héritiers, dis tu, s'en chargeront. Quand donc ? Il est temps qu'on te lise Sosibianus.

XXXIV. A ATTALUS.

Bien que ta toge soit des plus sales, Attalus, celui-là cependant dit la vérité, qui prétend qu'elle est de neige.

XXXV. SUR UN COMBAT DE DAIMS.

Nous avons vu des daims timides entre-choquer leurs fronts et périr du même coup. Les chiens ont dédaigné cette proie, et le superbe chasseur s'est étonné que son couteau n'eût plus rien à frapper. Comment tant de fureur a-t-elle enflammé de si faibles courages? On eût dit une lutte de taureaux, un combat à mort entre guerriers.

XXXVI. A OLUS.

Ta barbe est blanche, et tes cheveux sont noirs ; le motif de ce contraste, c'est que tu ne peux teindre ta barbe, Olus, mais que tu teins facilement ta chevelure.

XXXVII. A AFER.

Coramus me doit cent mille sesterces, Mancinus deux cent mille, Titius trois cent mille, Albinus deux fois cette somme, Sabinus un million, et Serranus deux.millions de sesterces; mes maisons réunies et mes biens fonds me donnent un revenu de trois millions de sesterces; mes troupeaux de Parme me rapportent trois fois deux cent mille sesterces; voilà ce dont tu m'étourdis sans cesse, Afer, et je sais cela mieux que mon nom même. Il faut me compter quelque argent, si tu veux que je me résigne à t'entendre : dissipe avec de l'or les nausées que tu me causes chaque jour. Afer, je ne puis plus entendre gratis tous tes contes.

XXXVIII. A GALLA.

Refuse-moi, Galla : l'amour s'éteint si le plaisir n'est point mêlé de tourments ; mais ne va pas, Galla, me refuser trop longtemps.

XXXIX. A CHARINUS.

Tu as acheté toutes sortes d'objets en argent; seul tu possèdes les antiques chefs-d'oeuvre de Myron ; seul, les merveilles de la main de Praxitèle, de Scopas; seul, les beaux vases que ciselait Phidias; seul, tous les travaux de Mentor. Les véritables Gratianus ne te manquent pas, non plus que les vases dorés de la Galicie, ni la vaisselle ciselée de la table de tes aïeux. Mais au milieu de toute cette argenterie, je m'étonne, Charinus, que tu n'aies rien dans sa pureté.

XL. - A POSTHUMUS.

En vain dans le péristyle de leur palais, les Pisons et la famille trois fois illustre du docte Sénèque étalaient toutes les images de leurs aïeux ; je te préférais seul, Posthumus, à ces hauts personnages, j'ai presque dit à ces rois : tu étais pauvre et simple chevalier ; mais, pour moi, tu valais un consul. Avec toi, Posthumus, j'ai compté trente hivers ; pour nous deux nous n'avions qu'un seul lit. A présent, au faîte des honneurs, comblé de richesses, tu peux donner, dissiper même : j'attends, Posthumus, ce que tu vas faire. Quoi ! rien ? Cependant il est trop tard pour que je cherche un autre patron-roi. Fortune, voilà de tes caprices ! Posthumus m'a trompé.

XLI. CONTRE UN MAUVAIS LECTEUR.

Pourquoi, lorsque tu vas lire, entourer de laine ton cou ? c'est plutôt à nos oreilles qu'il siérait d'en mettre.

XLII. A FLACCUS.

Si quelqu'un était à même d'exaucer mes souhaits ; écoute, Flaccus, comme je voudrais que fût mon mignon. D'abord il aurait vu le jour sur les rives du Nil : point de climat où la volupté soit plus raffinée. Il serait plus blanc que la neige ; car, aux bords du lac Méris, où la couleur brune domine, la blancheur est plus belle, par cela même qu'elle y est plus rare. L'éclat de ses yeux éclipserait celui des astres ; sa chevelure flexible retomberait mollement sur son cou : je n'aime pas, Flaccus, les cheveux artistement frisés. Il aurait le front bas, et le nez légèrement aquilin ; rivales des roses de Pestum, ses lèvres en auraient l'incarnat. Souvent-il m'obligerait de répondre à ses désirs, et il résisterait aux miens : il serait souvent plus libre que son maître. Il redouterait les jeunes garçons et il écarterait les jeunes filles ; homme pour les autres, pour moi seul il serait enfant. J'entends, et tu ne te trompes pas ; tout, à mon avis, est exact dans ce portrait : tel était, diras-tu, mon Amazonicus.

XLIII. CONTRE CORACINUS.

Je n'ai point dit, Coracinus, que tu étais pédéraste : je ne suis ni assez téméraire ni assez audacieux pour mentir ainsi de gaieté de coeur. Si je l'ai fait, Coracinus, qu'on m'oblige à vider le philtre redoutable de Pontia, ou la coupe terrible de Metilus. Je jure les ulcères des prêtres de Cybèle, les fureurs bérécynthiennes,que je n'ai dit qu'une bagatelle, un rien connu de tout le monde, et que tu ne nieras pas toi-même. J'ai dit, Coracinus, qu'avec les femmes tu avais la langue libertine.

XLIV. SUR LE VESUVE.

Le voilà, ce Vésuve jadis ombragé de pampres verts dont le fruit inondait nos pressoirs de son jus délectable. Les voilà ces coteaux que Bacchus, préférait aux collines de Nysa : naguère, sur ce mont, les Satyres formaient des danses légères. C'était la demeure de Vénus, qui l'affectionnait plus encore que Lacédémone : Hercule avait par son nom illustré ces lieux. Les flammes ont tout détruit, tout enseveli sous d'affreux monceaux de cendres : les dieux voudraient que leur puissance ne fût pas allée si loin.

XLV. VOEU DE PARTHENIUS A PHÉBUS, POUR BURRUS, SON FILS.

L'heureux Parthenius, l'honneur du palais ; verse, ô Phébus, à pleines mains son encens et ses dons en faveur de Burrus, son fils, qui atteint aujourd'hui son deuxième lustre ; qu'il voie s'écouler pour lui de nombreuses olympiades. Exauce les voeux d'un père : puisse Daphné, devenue ton arbre chéri, te rendre amour pour amour ! puisse ta soeur jouir d'une virginité inaltérable ! que la fleur de ta jeunesse soit toujours brillante ! que jamais la chevelure de Bromius ne soit aussi longue que la tienne !

XLVI. SUR SABELLUS.

Les Saturnales ont fait de Sabellus un homme opulent : Sabellus en est tout fier, et ce n'est pas sans motif ; il ne croit pas, et il le dit bien haut, qu'il y ait un avocat plus heureux que lui. Ce qui donne à Sabellus cet orgueil, cette forfanterie, c'est un demi-muid de farine, ce sont des fèves écossées, trois demi-livres d'encens et de poivre, des mortadelles de Lucanie, des saucissons du pays des Falisques, une bouteille de Syrie pleine de vin cuit, des figues confites dans un vase de Libye, des oignons, des huîtres, du fromage. Il a reçu encore d'un client du Picenum un petit baril d'olives ; plus une cruche de terre grossièrement tournée par un potier espagnol, et qui contient sept mesures de vin de Sagonte ; enfin un laticlave de diverses couleurs. En dix ans, Sabellus n'a pas eu de Saturnales si productives.

XLVII. SUR UN PHAÉTHON.

Ce tableau représente Phaéthon peint à l'encaustique. Peintre, quelle idée folle à toi de brûler deux fois Phaéthon

XLVIII. CONTRE PAPILUS.

Tu te plais à être le patient Papilus; et tu en pleures ensuite les conséquences. Pourquoi, lorsque tes désirs sont remplis, témoigner tant de regrets, Papilus ? Te repens-tu de ta jouissance impure ? ou bien plutôt te plains-tu de ce qu'elle a cessé ?

XLIX. A FLACCUS.

Crois-moi, Flaccus, tu ne sais pas ce que c'est que des épigrammes : tu les traites de plaisanteries, de bagatelles. Il y a, dis-tu, bien plus de jeu d'esprit à décrire les repas du barbare Térée, les festins du cruel Thyeste ; à chanter Dédale attachant à son fils des ailes de cire, ou à montrer Polyphème faisant paître ses brebis sur les rivages de la Sicile. Loin de mes écrits toute sorte d'enflure, ma muse ne revêt pas avec orgueil l'extravagant manteau des tragiques. Cependant tout le monde loue, admire, adore les grandes compositions du théâtre. J'en conviens, elles ont des panégyristes ; mais les miennes ont des lecteurs.

L. CONTRE THAÏS.

Pourquoi, Thaïs, me répéter que je suis vieux ? Thaïs, on n'est jamais vieux pour lécher.

LI. A CECILIANUS.

Tu n'avais pas six mille sesterces, Cécilianus, et tu te faisais porter pompeusement dans un vaste hexaphore : depuis; que l'aveugle déesse t'a donné deux millions de sesterces, et que les plis de ta toge rompent sous le poids des écus, te voilà, soudain devenu piéton. Que te souhaiterais-je pour ce rare mérite, pour cette louable modestie ? Que les dieux, Cécilianus, te rendent ta litière.

LII. CONTRE HEDYLITS.

Si tu ne cesses, Hedylus, de te faire porter par deux chèvres accouplées, de figuier que tu étais, tu deviendras figuier sauvage.
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LIII. A COSMUS.

Cet homme que tu vois souvent dans l'intérieur ou sur le seuil du nouveau temple de Pallas, ce vieillard, portant bâton et besace, dont les cheveux sont blancs et malpropres, qui laisse tomber sur sa poitrine une barbe dégoûtante, qui la nuit se couvre d'une saie grasse, seule compagne de son triste grabat, qui reçoit du peuple une nourriture arrachée par des aboiements; sans doute, Cosmus, abusé par une fausse apparence, tu le prends pour un cynique. Ce n'est point un cynique, Cosmus. — Qu'est-ce donc ? — Un chien.

LIV. A COLINUS.

0 toi qui méritas la couronne de chêne au Capitole et l'honneur de ceindre ton front de ses premières branches, Colinus, si tu sais être sage, mets à profit tous tes jours, et songe sans cesse que le dernier est arrivé pour toi. Personne encore n'a pu fléchir les trois fileuses : elles sont inexorables au jour qu'elles ont fixé. Quand tu serais plus riche que Crispus, plus inébranlable que Thraséas lui-même, plus élégant que le brillant Melior, Lacbésis n'ajoute rien à sa tâche; elle dévide les fuseaux de ses soeurs, et l'une des trois coupe toujours le fil.

LV. A LUCIUS.

Lucius, la gloire de ton siècle, toi qui ne souffres pas que l'antique Graius et notre Tage le cèdent à l'éloquente Arpi, laisse le poëte, né au sein des cités de la Grèpa, chanter dans ses vers Thèbes ou Mycènes, la fameuse Rhodes, ou les athlètes fils de Léda, que célèbre la licencieuse Lacédémone ; nous, enfants de la Celtique et de l'Ibérie, ne rougissons pas, dans des vers, inspirés par la reconnaissance, d'exalter les noms assez durs de notre terre natale : chantons Bilbilis, renommée pour la supériorité de son métal redoutable, qui ne craint pas de rivales dans les Chalybes et les Noriques; Platea où retentit le bruit du fer qu'on y travaille, et qu'entoure le Salon, dont les eaux peu volumineuses, mais agitées, donnent aux armes une trempe acérée; Tutela, Rixamare, et leur musique et leurs danses; Cardua, aux fêtes et aux festins si vantés; Peteron, étincelante de ses guirlandes de roses; Rigas, où naguère nos aïeux avaient des théâtres ; Silas, et ses habitants habiles à lancer le javelot léger; les lacs de Turgens, de Petusia et les ondes pures de la petite Vetonissa; le bois sacré où croissent les yeuses du Baradon, bocage recherché du promeneur même le plus indolent; enfin la plaine recourbée de Matinessa, que Manlius féconde avec ses taureaux vigoureux. Lecteur délicat, tu ris de tant de noms grossiers? ris à ton aise : tout rustiques qu'ils
sont, je les préfère à Bitonte.

LVI. CONTRE GARGILIANUS.

Parce que tu fais de riches dons à des vieillards et à des veuves, tu veux, Gargilianus, que je t'appelle généreux. Rien de plus sordide, de plus ignoble que toi, qui seul as l'impudence de donner le nom de cadeaux aux pièges que tu tends. Ainsi l'hameçon trompeur attire les poissons avides ; ainsi une nourriture perfide abuse les hôtes des forêts. Je t'apprendrai, si tu l'ignores, ce que c'est qu'être grand et libéral : Gargilianus, fais-moi quelque présent.

LVII. A FAUSTINUS.

Tandis que je suis retenu sur les rives enchanteresses du lac Lucrin, asile voluptueux dont les grottes sont chauffées par les sources que fait jaillir la pierre ponce, tu habites, Faustinus, le royal domaine du colon d'Argos, à vint milles de Rome. Mais la poitrine velue du monstre de Némée est embrasée, et ce n'est pas assez pour Baïes de brûler de ses propres feux. Adieu donc, fontaines sacrées, délicieux rivages, séjour des Nymphes, et des Néréides. Au temps brumeux de l'hiver, vous l'emportez sur les collines consacrées. à Hercule ; mais dans cette saison, cédez à la fraîcheur qu'on respire à Tibur.

LVIII. CONTRE GALLA.

Tu pleures dans le mystère l'époux que tu as perdu, Galla : c'est sans doute, Galla, que, tu aurais honte de pleurer un homme.

LIX. SUR UNE VIPÈRE ENFERMÉE DANS UN MORCEAU D'AMBRE.

Une vipère rampait sur des rameaux humides des pleurs des Héliades ; la perle liquide du succin la rencontre et coule sur elle malgré sa résistance ; étonnée de se sentir retenue par la rosée visqueuse, soudain elle devient roide, captive dans cet enduit glacé. Ne te glorifie plus, Cléopâtre, de ton royal sépulcre ; car une vipère repose dans un tombeau plus noble que le tien.

LX. SUR CURIATIUS.

Pendant le solstice, allons à Ardée et aux champs de Castium, ou dans les plaines brûlées par l'astre de Cléonée ; Curiatius a maudit le ciel de Tibur, lorsque, des eaux si vantées de ce séjour, il est descendu aux rives du Styx. Point de lieu sur la terre où l'on puisse éviter sa destinée ; quand la mort vient, la Sardaigne est au milieu de Tibur.

LXI. CONTRE MANCINUS.

Gaiement et d'un air de triomphe, Mancinus tu te vantais dernièrement d'avoir reçu d'un ami deux cent mille sesterces. Il y a quatre jours, en causant, à l'assemblée des poètes, tu nous racontas que des habits, de ta valeur de dix mille sesterces, étaient un présent que t'avait fait Pompilla ; tu juras que Bassa et Célia t'avaient donné une véritable sardoine à trois couleurs, et deux aigues-marines. Hier, à ta sortie précipitée du théâtre, au moment où Pollion chantait, tu, nous apprenais, tout en courant, que tu venais d'hériter de trois cent mille sesterces ; ce matin, autre héritage de cent mille ; et, à midi, de cent mille encore. Quel mal si grand t'avons-nous donc fait, nous, tes amis ? De grâce, cruel, garde le silence ; ou, si ta maudite langue ne peut se taire, raconte-nous quelque chose que nous voulions entendre.

LXII. SUR LYCORIS.

La noire Lycoris est partie pour Tibur, consacré à Hercule ; car elle s'imagine que là tout devient blanc.

LXIII. SUR CERELLIA.

En allant de Bauli à Baïes, Cérellia, mère de famille, périt par un forfait de la mer en fureur. Quelle gloire vous perdez, ô flots qui, malgré l'ordre de Néron, ne fîtes pas pour lui ce prodige parricide !

LXIV. SUR LES JARDINS DE JULES MARTIAL.

Jules Martial possède, le long du mont Janicule, quelques arpents plus délicieux que les jardins des Hespérides. De vastes grottes s'étendent sur le penchant des collines, dont le sommet légèrement aplani jouit du ciel le plus serein, et d'une lumière qui brille pour lui seul, tandis que des nuages obscurcissent les profondeurs des vallées. Le front gracieux de cette habitation s'élève doucement vers les astres toujours purs. De là on peut distinguer les sept collines reines du monde, et embrasser Rome dans toute son étendue, les coteaux d'Albe, ceux de Tusculum, tous les frais bocages situés au-dessous de la ville, l'antique Fidènes, la petite Rubra, et les fertiles vergers d'Anna Perenna, où coula, à sa grande joie, le sang d'une vierge. Là, sur les voies Flaminia et Salaria, vous voyez circuler le voyageur, mais sans engendre le bruit du char qui le porte, pour que le fracas des roues ne trouble point un paisible sommeil qui n'est interrompu ni par les sifflements des matelots, ni par les clameurs des portefaix, malgré le voisinage du pont Milvius et la proximité des navires qui glissent rapidement sur la surface du Tibre sacré. Le mérite de cette campagne, ou plutôt de cette maison, comme il convient de l'appeler, est rehaussé par son maître ; tu la croirais à toi, tant l'accès en est facile, tant elle s'ouvre généreusement à la plus aimable hospitalité. Tu la prendrais pour les pieux pénates d'Alcinoüs, ou pour le, temple de Molirchus, enrichi depuis peu. Quant à vous qui prisez assez médiocrement tous ces avantages, domptez avec vos cent charrues le sol frais de Tibur et de Préneste, confiez à un seul cultivateur tous les coteaux de Setia ; moi je préfère à ces domaines les quelques arpents de Jules Martial.

LXV. SUR PHILÉNIS.

Philénis ne pleure jamais que d'un oeil. Comment-cela ? dites-vous. Elle est borgne.

LXVI. A LINUS.

Linus, tu as toujours mené une vie provinciale, la plus basse, la plus vile du monde. Aux ides seulement, et quelquefois aux calendes, tu as secoué la poussière de ta misérable toge ; une seule robe de cérémonie t'a duré dix ans. Tes bois te fournissent le sanglier, tes terres le lièvre, sans qu'il t'en coûte rien ; une battue dans ta forêt te procure des grives bien grasses. On te pêche à souhait du poisson de rivière ; tes tonneaux te versent le vin rouge de ton cru. Tu ne tires pas de l'Argolide tes jeunes esclaves ; c'est une troupe de paysans grossiers qui se tient à tes ordres. Le dirai-je même ? la rustique ménagère de ton lourd fermier offre à tes étreintes ses robustes appas, toutes les fois que le vin a porté sa chaleur dans tes veines enflammées. Le feu n'a jamais endommagé tes maisons, ni le Sirius desséché tes champs ; aucun de tes vaisseaux n'a été englouti dans les ondes, ou plutôt tu n'en as aucun sur mer ; jamais les dés n'ont remplacé chez toi l'osselet inoffensif ; tout ce que tu as hasardé se réduit à quelques noix. Dis-nous donc ce qu'est devenu le million que t'a laissé une mère avare ? - Il n'existe plus. - C'est là, Linus, une énigme incompréhensible.

LXVII. - CONTRE PRÉTOR.

Lié avec Prétor de la plus vieille amitié, le pauvre Gaurus lui demandait cent sesterces ; cette somme, disait-il, manquait seule aux trois cents qu'il avait déjà ; avec-elle il deviendrait légitimement chevalier et pourrait applaudir le maître de la terre. Prétor lui répond : "Tu sais que je dois en donner à Scorpus et à Thallus, et plût aux dieux que j'en eusse seulement cent mille à donner !" Ah ! j'ai honte, oui j'ai honte de ce coffre-fort ingrat, et si mal à propos riche d'écus. Ce que tu refuses au chevalier, tu veux donc, Prétor, le donner au cheval ?

LXVIII. A SEXTUS

Tu m'invites à ta table pour m'y traiter au taux de la sportule, et toi tu fais un repas splendide. Est-ce pour souper, Sextus, que je suis invité, ou pour envier tes bons morceaux ?

LXIX. A PAMPHILUS.

Pamphilus, tu sers toujours du vin de Setia ou de Massique mais le bruit public conteste la qualité de tes vins. On accuse ces bouteilles de t'avoir quatre fois rendu célibataire. Je n'en crois rien, je n'en veux rien croire, Pamphilus, mais je n'ai pas soif.

LXX. SUR AMMIANUS, A MARONILLUS.

Le père d'Ammianus, en mourant, ne lui a laissé, par ses dernières dispositions, qu'une corde bien sèche. Maronillus, qui aurait jamais pensé qu'Ammianus n'eût pas souhaité la mort de son père ?

LXXI. A SOPHRONIUS RUFUS.

Depuis longtemps, Sophronius Rufus, je cherche dans Rome entière une jeune fille qui refuse ; et jamais un refus ! Comme si c'était un passe-droit, une honte, une injustice de refuser, aucune jeune fille ne refuse. Il n'y en a donc pas de chastes ? Il y en a mille. Que fait alors celle qui est chaste ? Elle ne donne pas, mais elle ne refuse pas non plus.

LXXII. A QUINTUS.

Tu exiges, Quintus, que je te fasse cadeau de mes oeuvres. Je ne les ai point ; mais le libraire Tryphon les a. Je donnerais de l'argent pour ces bagatelles et, sans être fou, j'achèterais tes vers ! je ne ferai pas, dis-tu, sottise pareille. Ni moi.

LXXIII. SUR VESTINUS.

Vestinus, malade, à l'approche de son heure fatale, et sur le point de traverser les eaux du Styx, conjurait les soeurs qui filaient leur dernière quenouille, d'allonger un peu le fil noir de leur fuseau. Déjà mort pour lui-même, il demandait à vivre quelques instants pour ses chers amis ; des voeux si touchants émurent les inexorables déesses. Après avoir fait le partage de ses immenses richesses, il ferma les yeux à la lumière, et crut dès lors qu'il mourait de vieillesse.

LXXIV. SUR DES DAIMS.

Vois avec quelle intrépidité ces faibles daims s'élancent au combat ! vois quelle fureur agite de si timides animaux ! ils brûlent d'engager une lutte à mort en heurtant leurs petits fronts. Veux-tu, César, sauver ces daims ? lache contre eux une meute.

LXXV. SUR NIGRINA.

Heureuse par la beauté de ton âme, heureuse par ton époux, Nigrina, tu es la gloire immortelle des femmes du Latium ! Tu te plais à partager avec ton mari l'héritage d'un père, à l'associer, à le faire participer à ta fortune. Qu'Évadné se précipite et se brûle sur le bûcher de son époux ; qu'une renommée non moins brillante, élève jusqu'aux cieux le dévouement d'Alceste ; toi, tu fais mieux encore : tu offres, pendant ta vie, un gage certain de ta générosité, et tu n'attends pas la mort pour donner une preuve de ton amour.

LXXVI. CONTRE L'AVARICE D'UN AMI.

Tu m'as envoyé six mille sesterces, lorsque je t'en demandais douze mille ; pour en obtenir douze, je t’en demanderai vingt-quatre.

LXXVII. - CONTRE L'ENVIEUX ZOILE.

Jamais je n'ai demandé aux dieux les richesses ; content de peu, je me trouve heureux de ce que j'ai. Mais, pauvreté, de grâce, retire-toi. Pourquoi ce souhait si subit, et si étrange ? Je veux voir Zoïle se pendre.

LXXVIII. CONTRE VARUS.

Dernièrement Varus m'invita par hasard à souper ; le couvert était magnifique, mais le repas très mesquin. De l'or, au lieu de mets, charge la table ; les valets apportent beaucoup pour les yeux, bien peu pour la bouche. Oh ! dis-je alors, je suis venu pour rassasier, non pas ma vue, mais mon estomac ; fais donc servir des mets, Varus ; ou disparaître ces trésors.

LXXIX. CONTRE AFER.

Bien, que déjà tu aies rentré ta soixantième moisson, et que ton visage soit émaillé de mille poils blancs, tu vas courant à l'aventure dans toute la ville, et pas un siège auquel, chaque matin, tu ne portes assidûment tes salutations ; pas un tribun qui puisse sortir de chez lui sans t'avoir à sa suite. Tes soins officieux s'adressent encore aux deux consuls ; et dix fois le jour tu vas et reviens au palais impérial par la voie Sacrée ; tu fais sans cesse sonner les noms des Sigerius et des Parthenius. Crois-moi, laissé tout cela aux jeunes gens : rien, Afer, rien de plus ridicule qu'un vieillard ardélion (intrigant).

LXXX. A MATHON.

Mathon, tu étais l'hôte assidu de ma villa de Tibur : tu l'achètes ; je t'ai trompé, c'est ta maison que je te vends.

LXXXI. CONTRE MARON.

Tu as la fièvre, et tu déclames, Maron : mais c'est de la frénésie ; et, si tu l'ignores, tu n'es pas dans ton bon sens, ami Mathon. Malade ; tu déclames, tu déclames au milieu de ta fièvre demi-tierce. Si tu ne peux suer autrement, rien de mieux. Déclamer, en cet état, est cependant chose difficile. Erreur ! quand la fièvre embrase nos entrailles, le plus difficile, Mathon, c'est de se taire.

LXXXII. SUR FABULLA.

Après avoir lu l'épigramme où je me plains qu'aucune jeune fille ne refuse, Fabulla a rejeté une, deux, trois fois les prières de son amant. Fabulla, laisse-toi fléchir ; j'ai dit de refuser, je n'ai pas dit de refuser toujours.

LXXXIII. A RUFUS.

Recommande aussi ces deux livres à Venuleius, et prie-le, Rufus, de m'accorder quelques instants de ses loisirs ; qu'oubliant un peu ses soucis et ses affaires, il prête. à mes bagatelles une oreille indulgente. Toutefois, qu'il ne les lise pas après le premier ou le dernier service, mais au milieu du festin, lorsque Bacchus aime à livrer ses doux combats. Si la lecture de deux livres paraît trop longue, roule l'un des deux ; ainsi partagé, l’ouvrage deviendra court.

LXXXIV. CONTRE NÉVOLUS.

Quand tu es tranquille, Névolus, rien de plus méchant que toi ; mais si tu es inquiet, tu deviens-la bonté même. Tranquille, tu ne rends le salut à personne, tu dédaignes tout le monde ; nul homme n'est libre, nul n'est bien né à tes yeux. Inquiet, tu fais des présents, tu salues celui-ci du nom de maître, celui-là du nom de roi ; tu invites les gens à souper : Névolus, sois donc inquiet.

LXXXV. CONTRE THAÏS.

Personne parmi le peuple et dans toute la ville ne peut prouver que Thaïs se soit donnée à lui, malgré le nombre des soupirants, malgré mille et mille instances. Quoi ! Thaïs est-elle donc si chaste ! dis-moi. C'est sa langue qui ne l'est pas.

LXXXVI. CONTRE PONTICUS.

Nous buvons dans du verre, toi, Ponticus, dans une coupe de myrrhe. Pourquoi donc ? De peur que la transparence du vase ne trahisse la différence des vins.

LXXXVII. A SON LIVRE, AU SUJET D'APOLLINARIS.

Si tu veux charmer les oreilles attiques, je t'engage, je t'exhorte, mon petit livre, à plaire au docte Apollinaris. Personne n'a plus de jugement, plus d'érudition ; mais aussi, plus de franchise et de bienveillance. S'il te presse sur son coeur ou sur sa bouche, tu ne craindras plus les quolibets ronflants des critiques, et tu ne serviras point tristement d'enveloppe aux anchois. S'il te condamne, cours bien vite dans les boutiques des marchands de salaisons, pour que le verso de tes feuillets serve à exercer la main de leurs jeunes enfants.

LXXXVIII. SUR BASSA.

Fabullus, Bassa ta maîtresse place toujours auprès d'elle un enfant qu'elle appelle son joujou, ses délices ; et, ce qu'il y a de plus surprenant, elle n'aime pas les enfants. Quel est donc son motif ? Bassa est sujette aux vents.

LXXXIX. CONTRE UN AMI AVARE QUI FEIGNAIT D'OUBLIER LES PRÉSENTS QU'IL AVAIT REÇUS DU POÈTE.

Tu ne m'as rien donné en retour du petit cadeau que je t'ai fait, et déjà cinq jours des Saturnales se sont écoulés. Ainsi je n'ai reçu de toi ni les six scrupules d'argent de Septitianus, ni le tapis, hommage du client qui se plaint toujours, ni le pot rougi du sang du thon d'Antibes, ni la boîte de petites figues de Syrie, ni le baril léger d'olives rugueuses du Picénum ; le tout afin de pouvoir dire, que tu te souviens de moi. Trompes-en d'autres par tes douces paroles ; par ton air bénin, car tu ne seras plus à mes yeux qu'un imposteur démasqué.

XC. PASSE-TEMPS A LA CAMPAGNE.

Tu me demandes ce que je fais à la campagne ; voici ma réponse en peu de mots : au point du jour, j'adresse aux dieux mes prières ; je visite mes champs, mes serviteurs,. et j'assigne à chacun sa part de travail proportionnée. Ensuite je lis, j'invoque Apollon, je réveille ma muse. Puis, je frotte mes membres d'huile, et je me livre volontiers à l'exercice agréable de la palestre, le coeur gai et sans craindre l'usurier. Je dîne, je bois, je chante, je joue, je me baigne, je soupe, je me repose. A la faible lueur de ma petite lampe, c'est sous l'inspiration des Muses et de la nuit que j'écris ces vers.

XCI. A SON LIVRE.

Holà ! c'est assez ; holà ! petit livre ! nous voici parvenus au bas du rouleau : tu voudrais avancer encore, aller plus loin, et tes marges même te paraissent insuffisantes. On dirait que rien n'est fini pour toi, lorsque tout est fini dès la première page. Déjà le lecteur s'impatiente et se lasse ; le copiste lui-même te crie : Holà ! halte donc : c'est assez ; holà ! petit livre.

LIVRE V

I. A CÉSAR DOMITIEN.

César, soit-que tu résides sur les collines d'Albe ,que chérit Pallas, et que de là tu étendes tes regards, d'un côté, sur le temple de la triple Hécate, de l'autre sur les plaines de Thétis; soit que tu habiles la ville où deux soeurs rendent tes oracles véridiques, à l'endroit où les flots de la mer viennent en s'abaissant baigner les faubourgs ; soit que tu préfères la demeure de la nourrice d'Énée, ou le palais de la fille du Soleil, ou le séjour d'Anxur, aux rochers blancs, aux ondes salutaires ; je t'offre mon ouvrage, à, toi l'heureux protecteur de l'empire qui te doit sa durée, à toi dont la prospérité semble un gage de la reconnaissance de Jupiter. Daigne seulement l'accepter : je penserai que tu l'auras lu, et, crédule comme un Gaulois, je serai tout fier d'un tel honneur.

Il. A SES LECTEURS.

Matrones, jeunes filles et jeunes garçons, c'est à vous que je dédie ce livre. Mais toi, lecteur, qui préfères beaucoup les hardiesses
licencieuses et les plaisanteries peu voilées, lis mes quatre premiers livres au langage lascif. Le cinquième est un joyeux badinage avec mon maître, et le Germanique peut, sans rougir, le lire en présence de la chaste déesse qui protège les fils de Cécrops.

IIL A DOMITIEN.

0 Germanique, ce Dégis, arrivé sur nos rives, des bords asservis de l'Ister, ce Dégis, heureux et surpris d'avoir vu récemment le maître du monde, adressa, dit-on, ces paroles à ses compagnons : « Que mon sort est préférable à celui de mon frère ! car je puis contempler de si près le dieu qu'il honore de si loin. »

IV. A PAULUS, AU SUJET DE MYRTALE.

Myrtale a d'ordinaire l'haleine fortement vineuse; mais pour nous tromper, elle mange des feuilles de laurier, et en met avec soin dans son vin au lieu d'y mettre de l'eau. Chaque fois, Paulus, que tu la rencontreras rubiconde et les veines gonflées, tu pourras dire : Myrtale a bu du laurier.

V. — A SEXTUS.

Éloquent dépositaire des trésors littéraires de la bibliothèque du palais impérial, Sextus, toi qui jouis de plus près du génie du dieu qui l'habite ; car tu connais, à leur naissance, les plus secrètes pensées de notre maître, et il t'est permis de sonder le fond de son coeur; donne place quelque part à mes ouvrages, près de Pedo, de Marsus et de Catulle. Mais à côté des vers immortels qui célèbrent la défense du Capitole, n'admets que l'épopée sublime du grand Virgile.

VI. - AUX MUSES, OU A PARTHENIUS, A QUI IL RECOMMANDE SON LIVRE.

S'il n'y a pour vous ni trop de peine ni trop d'ennui, ô Muses, adressez ces voeux à Parthenius, votre favori : Que ta vieillesse, sous l'empire florissant de César, se prolonge et s'achève pleine de jours au sein du bonheur ! Que l'envie elle-même applaudisse à ta prospérité ! Que Burrus sente bientôt en lui toutes les vertus de son père ! Reçois dans le sanctuaire du palais impérial ce petit livre, bien timide. Tu connais les instants où notre Jupiter brille de toute sa sérénité, où le calme règne sur son front, où il a cet air de bonté qui ne sait rien refuser à ceux qui le supplient. Tu n'as pas à craindre de ma part une demande injuste : il n'est ni ambitieux ni importun, ce recueil, orné de cèdre et de pourpre, et don, les pages noircies jusqu'au-bas se sont augmentées peu à peu. Ne le présente pas positivement ; tiens-le, comme si tu n'offrais rien, comme par distraction. Si je connais bien le maître des neuf soeurs, il te demandera de lui-même ce petit livre que décore la pourpre.

VII. A VULCAIN.

Tel, après dix siècles de vie, l'oiseau, qui n'a point son pareil, renouvelle par le feu le nid qu'il s'est construit dans l'Assyrie ; telle Rome rajeunie a dépouillé son antique vieillesse, et a pris elle-même les traits de son maître. Vulcain, je t'en conjure, oublie ta querelle avec nous ; grâce ! grâce ! Si nous sommes le peuple de Mars, nous sommes aussi celui de Vénus. Grâce, dieu puissant! et que ta voluptueuse épouse te pardonne aussi les filets de Lembos, et consente à t'aimer toujours !

VIII. SUR PHASIS.

L'édit du souverain, du dieu de l'empire, l'édit qui fixe d'une manière plus précise les places au théâtre, et qui rend aux chevaliers leur enceinte que ne doit plus souiller le vulgaire, venait, d'exciter les louanges de Phasis, de Phasis à la toge étincelante de pourpre : enfin, répétait-il avec toute la fatuité de l'orgueil, on peut donc s'asseoir plus commodément ! L'ordre équestre a reconquis sa dignité ; la foule ne presse plus, ne profane plus nos rangs. A l'instant où, en se rengorgeant, il tient ces discours et autres semblables, Lectius ordonne à l'arrogante robe de pourpre de sortir au plus tôt.

IX. CONTRE SYMMACHUS.

J'étais indisposé : tu vins chez moi, Symmachus, accompagné d'une centaine de tes élèves. Cent mains glacées par l'Aquilon me touchèrent : je n'avais pas la fièvre, Symmachus, je l'ai maintenant.

X. A RÉGULUS, SUR LA RÉPUTATION DES POÈTES.

Pourquoi donc refuse-t-on aux vivants la renommée ? et d'où vient que si peu de lecteurs aiment un auteur contemporain ? Tel est, à n'en pas douter, Régulus, le caractère de l'envie ; elle préfère toujours les anciens aux modernes. Ainsi, nous allons encore chercher l'ombre sous les portiques désagréables de Pompée, et les vieillards vantent l'ignoble temple de Catulus. Rome, tu lisais Ennius du vivant de Virgile ; et le siècle d'Homère n'eût pour lui que des railleries. Ménandre, l'honneur du théâtre, n'y reçut que de rares applaudissements. Ovide n'était lu que de sa Corinne. Vous, cependant, mes vers, ne vous hâtez, pas trop ; si la gloire n'arrive qu'après la mort, je ne suis pas pressé.

XI. SUR STELLA.

Stella que j'aime, Severus, porte à ses doigts des sardoines, des émeraudes, des diamants, des jaspes. A ses doigts, et plus encore dans ses vers, tu ne trouveras que pierres précieuses : voilà, je pense, une main bien élégante.

XII.- SUR LE MÊME.

Que le superbe Masthlion porte sur son front immobile des poids vacillants ; que le géant Linus élève sur ses bras jusqu'à sept ou huit enfants ; rien, dans tout cela, qui me paraisse difficile, quand je vois mon cher Stella porter d'un seul doigt, n'importe lequel, dix jeunes filles ensemble.

XIII. CONTRE CALLISTRATE.

Je l'avoue, Callistrate, je suis et j'ai toujours été pauvre, mais non pas obscur ; ni chevalier mal famé ; le monde entier lit et relit mes oeuvres, et chacun dit : Le voilà ! La gloire que le tombeau procure à bien peu de gens, je l'ai obtenue pendant ma vie. Pour toi, ton palais repose sur cent colonnes, ton coffre-fort recèle les trésors scandaleux des plus riches affranchis ; les vastes champs de Syène, que fertilise le Nil, sont soumis à tes lois ; et Parme la gauloise fait tomber la toison de tes innombrables troupeaux. Voilà ce que nous sommes, toi et moi : mais ce que je suis; tu ne peux jamais l'être ; et ce que tu es, le dernier homme du peuple peut le devenir.

XIV. SUR NANNEIUS.

Nannéius, qui avait, l'habitude de s'asseoir toujours au premier rang, quand chacun pouvait l'occuper, sommé deux ou trois fois de lever le camp, vint, lui troisième, se placer, entre les bancs, après Caïus et Lucius. C'est de là que, la tête enveloppée dans son capuchon, et d'un oeil seulement, il regarde effrontément le spectacle. Encore chassé de là, le malheureux se réfugie dans un couloir ; et, s'asseyant à demi sur l'extrémité d'un banc, dans la posture incommode que prend un de ses genoux, il semble dire aux chevaliers : Je suis assis ; à Lectius : Je suis debout.

XV. A CÉSAR DOMITIEN.

Voici, Auguste, le cinquième livre de mes épigrammes, et personne ne se plaint que mes vers l'aient blessé. Loin de là, plus d'un lecteur se félicite de l'honneur que j'ai fait à son nom, et de la générosité de ma muse, qui lui assure une renommée impérissable. Mais quel avantage me procurent ces vers qui célèbrent la gloire de tant de gens ? aucun sans doute ; cependant ils m'amusent.

XVI. AU LECTEUR.

Je pourrais écrire des choses sérieuses ; mais si je préfère celles qui amusent, c'est ta faute, ami lecteur, toi qui lis et qui chantes mes vers dans toutes les rues de Rome. Mais tu ne sais pas tout ce que me coûte ton engouement : car si je voulais aller défendre des causes dans le temple du dieu qui tient la faux et le tonnerre ; si je voulais vendre mes paroles aux accusés tremblants; plus d'un maître de navire remplirait mes celliers de vin d'Espagne, et l'or de bien des bourses salirait les replis de ma toge. Mais mon livre n'est qu'un joyeux convive, un commensal aimable ; livre charmant, parce qu'il ne coûte rien. Mais nos anciens ne se contentaient pas de cette gloire, et le moindre des présents faits au poète par excellence fut son Alexis. Fort bien ! dis-tu : cela suffit ; tu auras toujours nos éloges. Fais-tu semblant de ne pas me comprendre ? je le vois, tu feras de moi un avocat.

XVII. CONTRE GELLIA.

Après avoir bien vanté tes aïeux, leurs ancêtres, et les grands noms de ta famille ; après avoir fait fi d'un simple chevalier comme de trop basse condition pour toi ; après avoir déclaré que l'homme seul décoré du laticlave pouvait aspirer à ta main; tu as fini, Gellia, par épouser un porte-balle.

XVIII. A QUINTIANUS.

Dans ce mois de décembre qui voit circuler de toutes parts les tapis, les aiguillettes déliées, la bougie, les tablettes, les vases anguleux remplis de prunes sèches de Damas, ne rien n'envoyer que mes petits livres, esclaves nés chez leur maître; ce sera passer à tes yeux pour un avare, ou pour un homme impoli. Mais je hais le manége et l'artifice des présents. Les cadeaux ressemblent aux hameçons : ne sait-on pas que le scare avide se laisse prendre à l'appât d'une mouche? Ne rien donner à un ami riche, voilà, Quintianus, la véritable libéralité du pauvre.

XIX. A CÉSAR DOMITIEN.

S'il faut en croire la vérité, ô le plus grand des Césars, aucun siècle ne peut être préféré au tien. Quelle époque permit jamais de contempler de plus nobles triomphes ? Quand les dieux du Capitole ont-ils mieux mérité nos hommages ? Quel maître de l'empire rendit la ville de Mars plus belle et plus spacieuse ? Quel prince donna jamais plus de liberté ? Toutefois il existe chez nous un vice, vice fort grave, bien qu'il soit le seul, c'est que le pauvre ne rencontre que des amitiés ingrates. Voit-on un riche faire part de ses trésors à un vieil et fidèle ami ? Quel patron voit à sa suite un chevalier qui lui doive son titre ? Aux Saturnales, si on nous envoie une aiguillette de la valeur de six onces d'argent, ou une toge écarlate du prix net de dix scrupules, c'est du luxe ; et nos patrons, fiers comme des rois, appellent cela des présents. L'un d'eux donnera quelques pièces d'or, en les faisant bien sonner ; il sera peut-être le seul. Puisqu'ils oublient les lois de l'amitié, aie plus de mémoire qu'eux, César. Point de vertu qui charme plus dans un souverain que la générosité. Mais je te vois sourire en secret, ô Germanique, du conseil intéressé que je te donne.

XX. A JULES MARTIAL.

Si je pouvais avec toi, cher Martial, jouir en paix du reste de mes jours ; disposer à mon gré de mes loisirs, et vivre de la vie réelle, nous ne connaîtrons ni les antichambres, ni les palais des grands, ni les procès fastidieux, ni les ennuis du barreau, ni les images d'ancêtres illustres ; mais la promenade, la conversation, la lecture, le Champ-de-Mars, les portiques, les ombrages, les eaux vierges, les thermes ; voilà les seuls lieux, les seuls travaux qui nous plairaient. Maintenant, hélas ! ni l'un ni l'autre nous ne vivons pour nous, et, nous voyons nos beaux jours s'écouler et s'enfuir : jours perdus à jamais, et qui nous sont comptés. Celui qui sait vivre, doit-il donc différer la vie ?

XXI. SUR APOLLODOTUS.

Autrefois, Régulus, le rhéteur Apollodotus saluait Decimus du nom de Quintus, et Crassus du nom de Macer : aujourd'hui, il les salue de nouveau l'un et l'antre sous leur véritable nom ; travail infini, peine extrême! Il a écrit leurs noms, et a fini par les apprendre.

XXII. CONTRE PAULUS.

Si je n'ai pas désiré, Paullus, si je n'ai pas mérité, ce matin, de te trouver chez toi, que ta demeure des Esquilies soit encore plus éloignée de la mienne ! J'habite, tu le sais, près des piliers de Tibur, là où le temple de la rustique Flore fait face à celui de l'antique Jupiter Capitolin. J'ai à franchir la rue escarpée de Suburra et son pavé toujours humide et sale ; là, on échappe difficilement aux longues files de mulets qui, à force de cordes, traînent avec peine des blocs de marbre. Mais ce qu'il y a de plus désagréable, c'est, Paullus, après mille fatigues, d'entendre ton portier me dire, à moi tout haletant, que tu n'es pas à la maison. Ainsi, voilà le prix de tant de vains efforts et de la sueur qui inonde ma toge ! A peine la vue, de Paullus m'aurait-elle fait oublier, ce matin, tant de tribulations. Toujours l'homme officieux a des amis qui ne le sont guère ; tu ne peux être mon patron, mon roi, si tu ne dors plus longtemps.

XXIII. A BASSUS.

Bassus, tu portais des habits de la couleur des herbes, au temps où les lois sur le théâtre étaient muettes ; mais depuis qu'un censeur, ami de l'ordre, les a rétablies ; depuis que, plus certain de ses droits, le chevalier se conforme aux ordres d'Océanus, tu viens en habit d'écarlate, ou en toge de pourpre, et tu t'imagines par là nous en faire accroire. Nul vêtement, Bassus, ne vaut quatre cent mille sesterces, ou, plus que tout autre, mon ami Codrus serait chevalier.

XXIV. SUR HERMÈS.

Hermès fait les délices de son siècle et du peuple de Mars ; Hermès sait manier habilement toutes les armes ; Hermès est gladiateur et passé maître d'escrime ; Hermès est la terreur et l'effroi du Cirque ; Hermès, le seul Hermès, est redouté d'Hélius ; Hermès, le seul Hermès, fait tomber Advolans sous ses coups ; Hermès sait vaincre, et vaincre sans frapper ; Hermès ne peut avoir de remplaçant que lui-même ; Hermès fait la fortune des loueurs de places ; Hermès est l'objet de l'amour et de la jalousie des femmes de théâtre ; Hermès est beau, armé de sa lance terrible ; Hermès, avec le trident de Neptune, semble menacer les flots ; Hermès est redoutable, lors même que son casque est négligemment attaché ; Hermès est en tout la gloire du dieu Mars ; Hermès seul est tout, et seul il vaut trois gladiateurs.

XXV. SUR CHÉRESTRATE.

Tu n'as pas quatre cent mille sesterces, Chérestrate, lève-toi ; voici Lectius qui vient : debout, fuis, cours, cache-toi. Mais, ô triomphe ! on te rappelle, on te ramène à ta place ! Quel ami généreux t'a donc ouvert sa bourse ? quel est ce bienfaiteur ? Que nos vers livrent son nom à la renommée, à l'admiration des peuples ! Quel est-il, lui qui ne veut pas descendre tout entier dans les abîmes du Styx ? Agir ainsi, n'est-ce pas faire mieux, dis-moi, que de couvrir la scène d'un nuage de feuilles de rosés, que de l'inonder de safran ? que de prodiguer quatre cent mille sesterces pour une statue équestre qui n'en sentira rien, et pour qu'on voie briller partout le nez doré de Scorpus ? Homme aux trésors inutiles, à la mémoire infidèle pour tes amis, tu lis ces vers, et tu les vantes ! que de gloire tu laisses échapper !

XXVI. A CODRUS.

Par une plaisanterie, jetée dernièrement sur le papier, Codrus, je t'ai appelé l'alpha des porteurs de pénule ; si ce vers a pu t'échauffer la bile, appelle-moi le bêta des porteurs de toge.

XXVII. CONTRE UN FAUX CHEVALIER.

Esprit, talent, moeurs, naissance, tu as tout cela d'un chevalier, j'en conviens: mais pour le reste, tu es un vrai plébéien. Tu n'attaches pas assez de prix aux quatorze rangs de l'amphithéâtre, pour t'y asseoir et pâlir devant Océanus.

XXVIII. A AULUS, SUR MAMERCUS.

Faire dire et penser du bien de toi à Mamercus, c'est un prodige que tu ne pourrais, Aulus, opérer par les moeurs les plus pures, lors même que tu surpasserais en dévouement les frères Curtius, en douceur les Nerva, en politesse les Ruson, en probité les Macer, en équité les Mauricus, en éloquence les Régulus, en esprit les Paullus. Il ronge tout de ses dents entachées de rouille. C'est un méchant, diras-tu. C'est plutôt, un malheureux, selon moi, celui auquel personne ne plaît.

XXIX. A GELLIA.

Quand par hasard, Gellia, tu m'envoies un lièvre, tu me dis : Marcus, tu seras beau pendant sept jours. Si ce n'est point une dérision, si tu dis vrai, ô lumière de ma vie, jamais, Gellia,, tu n'as mangé de lièvre.

XXX. A VARRON.

Varron, toi qui sais chausser le cothurne de Sophocle, et manier avec autant d'habileté la lyre calabraise, suspens tes travaux : ne te laisse pas absorber entièrement par les scènes de l'éloquent Catulle, ou par l'élégie au front toujours orné. Lis les vers que je t'envoie dans ce mois de décembre, vers assez dignes de cette saison fumeuse ; à moins que tu ne trouves plus commode et plus agréable de perdre des noix dans ces jours de Saturnales.

XXXI. SUR DES ENFANTS QUI SE JOUENT AVEC DES TAUREAUX.

Vois avec quelle hardiesse cette foule d'enfants sauté sur ces taureaux apprivoisés, et combien le taureau complaisant paraît aimer son fardeau ! L'un se suspend à l'extrémité des cornes de l'animal ; l'autre court, s'exerce sur son poitrail, et l'agace de tous côtés avec ses armes provocantes. Mais le farouche taureau reste immobile : l'arène elle-même ne serait pas plus sûre pour ces enfants, et ils glisseraient peut-être plus facilement sur un terrain uni. L'animal ne bronche pas, et l'enfant semble aussi sûr de cueillir la palme que le taureau parait craindre de la lui voir enlever.

XXXII. A FAUSTINUS, SUR CRISPUS.

Crispus, dans ses dernières dispositions, n'a pas, Faustinus, laissé un quadrant (liard) à sa femme : qui donc a-t-il institué son légataire? lui-même.

XXXIII. CONTRE UN AVOCAT.

Certain avocat, dit-on, critique mes vers : quel est ce Zoïle ? je l'ignore si je viens à le savoir, avocat, malheur à toi !

XXXIV. ÉPITAPHE D'ÉROTION, A FRONTON, SON PÈRE.

Froton et Flaccilla, père et mère de la jeune Érotion, je vous recommande cette enfant, ma joie et mes délices : que la pauvre petite paraisse sans trop d'effroi devant les ombres noires et le chien du Tartare, ce monstre à la triple gueule. Elle aurait vu six hivers complets, si elle avait vécu six jours encore. Que la folâtre aille jouer au milieu des vieux patrons, et que sa langue, en balbutiant, gazouille souvent mon nom. Qu'un gazon trop épais ne couvre pas ses ossements si tendres ; et toi, terre, ne pèse point sur elle ; elle n'a pas pesé sur toi.

XXXV. SUR EUCLIDE.

Pendant qu’Euclide, paré d'une robe de pourpre, s'écrie que ses terres de Patras lui rapportent deux cent mille sesterces, et ses possessions dans les faubourgs de Corinthe plus encore ; tandis qu'il fait remonter sa noble race jusqu'à la belle Léda ; tandis qu'il résiste à l'ordre que lui intime Lectius de quitter son siège du sein de ce superbe, noble et riche chevalier, tombe tout à coup une grosse clef. Jamais, Fabullus, clef ne fit un trait plus noir.

XXVI A FAUSTINUS.

Un quidam que j'ai loué dans mes vers, Faustinus, feint de l'ignorer, comme s'il ne me devait rien : il me prend pour dupe.

XXXVII. SUR LA JEUNE ÉROTION.

Aimable enfant, plus douce, selon moi, que le chant des cygnes dans leur vieillesse ; plus tendre que les agneaux du Galèse, près de la ville bâtie par Phalante ; plus délicate que les huîtres du lac Lucrin ; plus blanche que les perles de la mer Érythrée, que la dent nouvellement polie de l’éléphant indien, que la neige qui vient de tomber ; que le lis encore intact ; toi, dont la chevelure éclipsait la toison des troupeaux du Bétis, les tresses blondes des femmes du Rhin, et les paillettes d'or ; toi, dont l'haleine suave exhalait le parfum des roses de Pestum, celui des premiers rayons du miel de l'Attique, la vapeur du succin froissé par une main brûlante ; toi qui aurais effacé l'éclat du paon, si l'on avait tenté de te comparer à lui; toi près de qui l'écureuil eût été disgracieux, et le phénix commun ; Érotion, ton bûcher fume encore ; l'avare loi des trop cruels destins vient de t'enlever dans ton sixième hiver, avant même qu'il fût accompli, toi, mes amours, ma joie, mon bonheur ; et Pétus, mon ami, me défend d'être triste. N'as-tu pas honte, me dit-il, de frapper ta poitrine, de t'arracher les cheveux et de fondre en larmes, pour la mort d'une jeune esclave? Moi, j'ai perdu ma femme, et je vis ; cependant elle était distinguée, belle, noble et riche ! Peut-on avoir plus de force que notre cher Pétus ? il a hérité de deux millions de sesterces, et, malgré cela il vit !

XXXVIII. CONTRE CALLIODORE.

Calliodore a le cens nécessaire pour être chevalier : qui de nous l'ignore, Sextus ?mais Calliodore a un frère, qui coupe en deux les quatre cent mille sesterces, et qui dit : Partageons les figues,(le gâteau). Crois-tu que deux hommes puissent monter à la fois le même cheval ? Calliodore, pourquoi ce frère, ce Pollux incommode ? Si tu n'avais pas ce Pollux,tu serais Castor : vous n'êtes qu'un, et vous siégez deux. Lève-toi, Calliodore, tu fais un solécisme. Suis l'exemple des fils de Léda, tu ne saurais siéger avec ton frère : siégez donc l'un après l'autre.

XXXIX. CONTRE CARINUS.

Trente fois, dans le cours de cette année, Carinus, tandis que tu écrivais tes dernières volontés, je t'ai envoyé des gâteaux dorés avec le miel de l’Hybla. Je suis ruiné; prends pitié de moi, Carinus. Teste moins souvent, ou accomplis une bonne fois ce que ta toux mensongère semble nous promettre. Ma bourse et mon petit sac sont à sec. Lors même que j'eusse été plus riche que Crésus, je serais aujourd'hui plus pauvre qu'Irus, si tu avais mangé seulement mon plat de fèves, autant de fois que tu as fait ton testament.

XL.- A ARTÉMIDORE.

Tu as peint Vénus, et tout ton culte est pour Minerve : faut-il, Artémidore, t'étonner que ton ouvrage ait déplu ?

XLI. CONTRE DIDYMUS.

Plus énervé, plus flasque qu'un eunuque, plus efféminé que le mignon de Celène, dont les prêtres mutilés de la mère des dieux célèbrent la fête par des hurlements, tu parles sans cesse de théâtre, de degrés, d'édits, de toges de pourpre, d'ides, d'anneaux et de cens ; et, de ta main polie à la pierre ponce, tu montres ceux qui sont pauvres. Je verrai, Didymus, si tu as le droit de t'asseoir dans les rangs des chevaliers : mais tu n'as pas le droit de siéger avec les maris.

XLII. CE QU'ON DONNE A SES AMIS, N'EST PAS PERDU.

Un voleur adroit forcera ta cassette, et t'enlèvera ton argent ; une flamme sacrilége consumera tes lares paternels. Un débiteur refusera de te payer et intérêts et principal ; tes champs, devenus stériles, ne te rendront pas les moissons dont tu leur auras confié la semence. Une maîtresse perfide s'enrichira de tes dépouilles, que lui prodiguera ton intendant; les flots engloutiront tes vaisseaux chargés de marchandises. Tout ce qu'on donne à ses amis est à l'abri des coups du sort; ce que tu auras donné sera toujours ta seule richesse.

XLIII. SUR THAÏS ET LECANIA.

Thaïs a les dents noires ; Lecania les a blanches comme neigé : la raison ? Lecania a celles de l'art ; Thaïs, celles de la nature.

XLIV. CONTRE DENTON.

Qu'est-il arrivé ? dis-moi; qu'est-il survenu tout à coup ? Denton, toi que j'ai invité quatre fois, quatre fois, qui le croirait? tu as eu l'audace de refuser mon souper ! Tu détournes les yeux, tu te soustrais à mes poursuites, toi ! toi qui naguère me pourchassais aux bains, au théâtre, dans toutes les assemblées ! Tu me fuis, il n'est que trop vrai : un meilleur souper t'allèche, et, chien gourmet, tu te laisses entraîner par l'odeur d'une cuisine plus appétissante : mais sitôt que tu seras connu ; et dès lors abandonné ; sitôt que la table des riches t'aura accablé de ses dédains, tu reviendras ronger les os de ton ancien souper.

XLV. CONTRE BASSA.

Tu te dis belle, Bassa ; tu te dis vierge. Bassa dit toujours ce qu'elle n'est pas.

XLVI. A DIADUMENUS.

Je ne veux de baisers que ceux que je cueille malgré ta résistance, et ta colère me plaît plus encore que ta figure ; pour en venir à te provoquer, Diadumenus, j'ai souvent recours aux verges; et je parviens ainsi à ne me faire, ni craindre, ni aimer de toi.

XLVII. SUR PHILON.

Philon jure qu'il n'a jamais soupé chez lui : il dit vrai; jamais il ne soupe quand personne ne l'invite.

XLVIII. SUR ENCOLPUS.

A quoi n'oblige pas l'amour ? Encolpus a coupé ses beaux cheveux malgré son maître, qui cependant n'y a pas mis obstacle. Pudens l'a permis en pleurant : ainsi le père de l'audacieux Phaéthon lui céda avec une plainte douloureuse les rênes de son char ; ainsi Hylas, après son enlèvement ; ainsi Achille découvert, firent gaiement le sacrifice de leur chevelure : ce dernier au grand regret de sa mère. Mais toi, barbe, ne te hâte pas, sur la foi de ces cheveux si courts ; mais tarde à venir en considération d'un présent de cette importance.

XLIX. A LABIENUS.

L'autre jour, en te voyant par hasard assis tout seul, Labienus, je crus que vous étiez trois : la forme multiple de ta tête causa mon erreur. De chaque côté elle est couverte de cheveux trop touffus même pour un jeune garçon. Le milieu du crâne est entièrement nu, et, sur cette longue place déserte, on ne distingue pas un seul poil. Cette illusion te profita, au mois de décembre dernier, lorsque l'empereur fit distribuer les dîners ; tu revins chez toi avec trois sportules. Sans doute Géryon te ressemblait : évite donc, je te le conseille, le portique de Philippe ; car si Hercule t'aperçoit, tu es mort.

L. CONTRE CHAROPINUS.

Chaque fois que je soupe chez moi, si tu n'es pas invité, Charopinus, tu deviens aussitôt mon ennemi mortel ; et tu me menaces de me passer ton épée au travers du corps, si tu apprends que mes fourneaux n'aient pas été chauffés pour toi. Je ne pourrai donc pas te dérober un seul de mes soupers ? Une telle gourmandise, Charopinus, est le comble de la méchanceté. Cesse désormais, je te prie, d'espionner ma cuisine, et qu'enfin mon cuisinier te donne à souper avec des paroles.

LI. A RUFUS.

Cet homme, dont le bras gauche est surchargé de mille papiers, que tu vois entouré de l'essaim léger des scribes, qui reçoit de toutes parts testaments et lettres, et qui paraît les lire avec la gravité d'un Caton, d'un Tullius et d'un Brutus ; cet homme est incapable, dût la torture l'y contraindre, de dire bonjour en latin, ou salut en grec. Si tu crois que c'est un conte que je fais là, viens, Rufus, le saluer avec moi.

LII. CONTRE POSTHUMUS.

Je me souviens, Posthumus, et je me souviendrai toujours, des services que j'ai reçus de toi. Pourquoi donc n'en parle-je pas ? Parce que toi, tu prends trop de soin d'en parler. Chaque fois que je veux raconter à quelqu'un tes bienfaits : Je sais cela, s'écrie-t-il, Posthumus me l'a déjà dit. Certaines choses ne se font pas bien à deux ; mais une seule personne suffit, pour celle-ci : si tu veux que je parle, tais-toi. Crois-moi, Posthumus, les services même les plus signalés sont réduits à rien par l'indiscret babil de celui qui les rend.

LIII.- A BASSUS.

Ami, pourquoi veux-tu chanter les forfaits de Médée et ceux de Thyeste ? Que te servirait, Bassus, de traiter la fable de Niobé ou celle d'Andromaque ? Crois-moi, le sujet qui convient le mieux à ta plume, c'est Decalion ou Phaéthon, si le premier ne te sourit pas.

LIV. SUR LE RHÉTEUR APOLLONIUS.

Enfin il a eu un éclair d'improvisation, mon rhéteur; sans avoir écrit le nom de Calpurnius, il l'a salué.

LV. SUR L'AIGLE QUI PORTE JUPITER.

Dis-moi qui tu portes, roi des oiseaux ? - Le dieu du tonnerre. - Pourquoi sa main n'est-elle pas armée de la foudre ? - Il est amoureux. Quel est l'objet de sa flamme ? - Un enfant. - Pourquoi, le bec ouvert, tournes-tu sur Jupiter des regards si doux ? - Je lui parlé de Ganymède-.

LVI. A LUPUS.

Tu ne sais, Lupus, à quel maître confier ton fils ; depuis longtemps, ta sollicitude paternelle le cherche et le demande en vain : tous nos grammairiens, nos rhéteurs, fuis-les, je te le conseille ; qu'il n'ouvre jamais ni Cicéron, ni Virgile ; qu'il abandonne Tutilius à sa renommée. S'il fait des vers, maudis le poète. Mais s'il veut s'instruire dans les arts qui rapportent de l'argent, aie soin qu'il apprenne à jouer de la cithare ou de la flûte. S'il paraît avoir la tête dure, fais-en un crieur public, ou un architecte.

LVII. A CINNA.

Lorsque je t'appelle mon maître, Cinna, garde-toi d'en tirer vanité ; car souvent je qualifie mon esclave du même titre.

LVIII. A POSTHUMUS.

Tu me dis, Posthumus, que demain tu veux vivre : demain ! toujours demain ! Mais quand donc, Posthumus, viendra ce demain ? Qu'il est loin ce demain ! Où est-il ? où faut-il le chercher? Se cache-t-il chez les Parthes ou dans l'Arménie ? Ce demain a déjà l'âge de Priam ou de Nestor. Combien, réponds-moi, faudra-t-il acheter ce demain ? Tu vivras demain ! Vivre aujourd'hui, Posthumus, c'est déjà bien tard. Le sage est celui qui a vécu dès hier.

LIX. A STELLA.

Non, je ne t'ai envoyé ni argent ni or ; mais, en cela, j'ai agi dans ton intérêt, éloquent Stella. Donner beaucoup, c'est vouloir aussi beaucoup recevoir ; ces vases d'argile que je t'offre ne seront pas pour toi un présent onéreux.

LX. A UN DÉTRACTEUR.

Bien que tu aboies sans relâche après moi, et que tu me harcelles de tes glapissements furieux, j'ai pris la ferme résolution de te refuser à jamais l'honneur que tu ambitionnes depuis longtemps; celui d'être cité dans mes vers et d'y faire lire, d'une manière ou d'autre, ton nom à l'univers. Car pourquoi saurait-on que tu as existé ? misérable, tu dois mourir inconnu. Peut-être se trouverait-il, à Rome, un, deux, trois ou quatre individus qui consentiraient à déchirer ta peau comme celle d'un chien ; mais moi, je veux préserver mes ongles des atteintes de cette gale.

LXI. CONTRE MARIANUS.

Marianus, quel est cet élégant aux cheveux frisés, qu'on voit sans cesse sur les pas de ta femme ? Quel est cet élégant, qui murmure je ne sais quoi à l'oreille complaisante de la maîtresse du logis, et qui appuie le coude droit sur le dos de son siège? Chacun des doigts du fat est entouré de bagues légères ; sur ses jambes, pas un seul poil qui en ternisse la blancheur. Tu ne me réponds rien ? Il fait, dis-tu, les affaires de ma femme : c'est un homme sûr et de moeurs austères, dont l'extérieur seul dénote un homme d'affaires ; Aufidius de Chio n'avait pas plus de vivacité dans le jugement. O Marianus; que tu mériterais bien les soufflets de Latinus ! Que tu serais bien le successeur de Panniculus ! Il fait les affaires de ta femme ? il ne fait aucune affaire, cet élégant : il ne fait pas les affaires de ta femme,, mais les tiennes.

LXII. A SES HÔTES.

Tu as le droit, mon hôte, de rester à ton gré dans les jardins de ma villa ; si tu peux te résoudre à coucher sur le sol nu, ou si tu apportes avec toi un grand assortiment de meubles ; car les miens ont depuis longtemps demandé grâce à mes hôtes. Je n'ai plus un matelas, même le plus mauvais, à jeter sur mes lits brisés, dont les sangles pourries traînent en lambeaux sur le plancher. Toutefois que cet asile nous soit commun à tous deux : j'ai acheté la villa ; c'était beaucoup : meuble-la ; ce n'est rien.

LXIII. A PONTICUS.

Marcus, que penses-tu de mes ouvrages ? Voilà, Ponticus, la question que tu m'adresses souvent avec sollicitude. Ils sont admirables, surprenants, de la dernière perfection ; Régulus lui-même s'incline devant ton génie. C'est là ton avis, ajoutes-tu : alors, que César, que Jupiter Capitolin, te comblent de faveurs ! Et toi aussi, Ponticus.

LXIV. A SES ESCLAVES.

Calliste, verse-moi deux sextants de falerne ; et toi, Alcime, fais dissoudre dans ma coupe la neige si délicieuse en été. Que ma chevelure soit parfumée des flots onctueux de l'amome, et que mon front s'affaisse sous des couronnes de roses. Déjà. plus d'un mausolée voisin nous invite à jouir de la vie, en nous apprenant que les dieux mêmes sont sujets au trépas.

LXV. A CÉSAR.

Alcide, malgré l'opposition d'une marâtre, conquit une place au ciel et parmi les astres, par son triomphe sur le redoutable lion de Némée, et sur le sanglier d'Arcadie ; par le châtiment infligé à l'athlète qui infestait la Libye ; par la défaite du géant Éryx qu'il renversa dans la poussière de Sicile ; par la destruction de Cacus, la terreur des forêts, de Cacus dont la ruse secrète traînait à reculons dans son repaire les troupeaux d'Hercule. Mais que tout cela est peu de chose en comparaison des combats que nous offre ton arène, ô César ! Chaque jour, chaque matin nous fait assister à des combats plus imposants. Que de lions plus monstrueux que celui de Némée tombent expirants ! que de sangliers pareils à ceux du Ménale succombent sous ta lance redoutable ! Qu'on renouvelle la triple lutte du berger d'Ibérie ; tu peux opposer encore à Géryon un rival capable de le vaincre. Et cette hydre de Lerne, dont la Grèce se plaît à compter les têtes renaissantes, cette hydre si cruelle, peut-on la comparer aux monstres du Nil ? Auguste, pour prix de tant d'exploits, les dieux s'empressèrent d'accorder l'apothéose à Alcide ; ils te la réservent aussi, mais dans un avenir qui ne sera jamais assez éloigné pour nous.

LXVI. CONTRE PONTILIANUS.

On a beau te saluer souvent, jamais tu ne salues le premier ; il faudra, je le vois, Pontilianus, te dire un éternel adieu.

LXVII. SUR UNE HIRONDELLE.

A l'époque où les hirondelles gagnaient, selon leur usage, leurs retraites d'hiver, une d'elles resta dans son nid. De retour au printemps, ses compagnes découvrirent la trahison, et mirent en pièces leur transfuge. La peine fut tardive. Cette mère coupable avait mérité son supplice, mais surtout dès l'instant où elle déchira le malheureux Itys.

LXVIII. A LESBIE.

Lesbie, je t'envoie une chevelure des pays du Nord, pour que tu saches combien la tienne est plus blonde encore.

LXIX. CONTRE MARC ANTOINE.

Antoine, tu n'as rien à reprocher à l'Égyptien Pothinus, toi qui fus moins coupable pour les listes de proscriptions que pour le meurtre de Cicéron. Insensé ! pourquoi tires-tu le glaive contre cette tête romaine ? Catilina lui-même eût reculé devant un tel forfait. Ton or sacrilège corrompt un soldat parricide, et tes immenses richesses peuvent à peine étouffer une seule voix. A quoi te sert d'avoir acheté si chèrement le silence de cette bouche sacrée ? Tout le monde va maintenant parler pour Cicéron ?

LXX. SUR SYRISCUS, A MAXIMUS.

Dernièrement, entre les quatre bains, en parcourant toutes ces tavernes où l'on mangé assis, le croirais-tu, Maximus, Syriscus a dissipé jusqu'au dernier as le million de sesterces qu'il tenait de la libéralité de son patron. Dévorer ainsi un million, quelle voracité ! Mais quelle gloutonnerie plus grande encore de l'avoir englouti sans se coucher sur le lit du festin !

LXXI. A FAUSTINUS.

Les fraîches vallées que domine l'humide Trébula, une campagne aux ombrages toujours frais, même sous le signe du Cancer, des plaines que n'a jamais flétries le Lion de Cléonée ; une maison enfin sans cesse favorisée des vents du midi, réclament ta présence, Faustinus : viens passer sur ces coteaux les longues journées de la moisson : tu y retrouveras Tibur et sa fraîcheur extrême.

LXXII. A RUFUS, SUR L'ORIGINE DE BACCHUS.

Celui qui a pu appeler le maître du tonnerre mère Bacchus, peut dire aussi, Rufus, que Sémélé est son père.

LXXIII. A THEODORUS.

Je ne t'envoie pas mes ouvrages, malgré tes prières réitérées, malgré tes instances : tu en es surpris, n'est-ce pas; Theodorus ? J'ai pour cela un puissant motif : je crains que tu ne me donnes tes oeuvres.

LXXIV. SUR POMPÉE ET SES FILS.

Les fils de Pompée ont leur tombeau en Asie et en Europe, mais leur père repose dans la Libye, si toutefois une terre couvre ses restes. Doit-on s'étonner que le héros soit ainsi dispersé dans tout l'univers ? Un si grand débris ne pouvait rester gisant en un seul lieu.

LXXV. A QUINTUS.

Quintus, cette Lélia que la loi t'obligea d'épouser, peux-tu bien l'appeler ta femme légitime ?

LXXVI. A CINNA.

A force de boire du poison, Mithridate parvint à empêcher sur lui l'effet du venin le plus subtil. Et toi, Cinna, par l'habitude de souper si mal tous les jours, tu es arrivé à ne pouvoir jamais mourir de faim.

LXXVII. A MARULLUS.

On cite, Marullus, un mot heureux à ton sujet : tu portes, a dit quelqu'un, l'huile (la persuasion) dans l'oreille de tes auditeurs.

LXXVIII. A TURANIUS.

Si tu es condamné à souper tristement chez toi, Turanius, viens plutôt faire maigre chère avec ton ami. Tu ne manqueras, si tu aimes à boire, ni de laitues communes de Cappadoce, ni de poireaux à l'odeur forte. On te servira du thon, sous des tranches d'oeufs ; un jeune chou vert bien tendre, et fraîchement cueilli dans le potager, mais qu'on ne peut prendre sans se graisser les doigts, sur son plat noirci par la fumée ; tu auras du boudin nageant dans une sauce blanche comme la neige, et des fèves pâles apprêtées au lard frais. Si tu veux un second service, on t'offrira des raisins secs, des poires de Syrie, et des châtaignes récoltées dans les champs de Naples la savante, et rôties à petit feu. C'est en buvant le vin que tu le rendras bon. Après cela, si Bacchus, selon l'usage, excite en toi un appétit nouveau, tu auras, pour le calmer, des olives de premier choix, cueillies récemment sur les arbres du Picénum, et accompagnées de pois brûlants et de lupins tièdes. Un tel repas est bien modeste, qui, peut le nier ? Mais, à ma table, tu jaseras en toute liberté, tu n'y entendras point de mensonges, tu ne seras pas contraint de composer ton visage, et tes regards pourront retomber tranquillement à leur gré ; le maître de la maison n'y lira pas quelque manuscrit poudreux ; les danseuses de la licencieuse Cadix n'y agiteront pas devant toi leurs reins lascifs, aux poses si souples et sans cesse si provocantes. Mais, ce qui ne peut offenser personne, et ce qui n'est pas sans attrait, tu entendras la flûte mélodieuse du jeune Condylus. Tel est mon petit souper. Claudia t'y précédera, et tu seras charmé, je pense, qu'elle, plutôt que toi, préside à nos plaisirs.

LXXIX. CONTRE ZOILE.

Zoïle, tu t'es levé onze fois pendant un seul repas, et onze fois tu as changé de synthèse, dans la crainte que la sueur, absorbée par tes vêtements humides, ne restât sur ton corps, et qu'un léger souffle de vent n'exerçât une influence funeste sur les pores relâchés de ta peau. Pourquoi donc ne suis-je pas aussi sujet à suer, moi qui soupe avec toi, Zoïle ? C'est qu'apparemment une seule synthèse donne beaucoup de fraîcheur.

LXXX. A SEVERUS.

Si tu as le temps, Severus, accorde-moi un peu moins d'une heure, et porte à mon compte ces instants que tu vas passer à lire et à examiner mes bagatelles. Il est dur de perdre ainsi ses moments de loisir. Je t'en conjure, supporte avec résignation cette perte. Si tu fais cette lecture avec l'éloquent Secundus (mais c'est de ma part bien de l'exigence), mon petit livre te devra beaucoup plus encore qu'il ne doit à son auteur. Car tranquille sur son sort, il n'ira pas rejoindre le roc toujours roulant de Sisyphe épuisé de fatigue, lorsque le docte Secundus et mon ami Severus auront fait passer sur lui la lime mordante, de leur censure.

LXXXI. A EMILIANUS.

Si tu es pauvre, Émilianus, tu le seras toujours ; car les trésors aujourd'hui ne se donnent qu'aux riches.

LXXXII. CONTRE GAURUS.

Pourquoi, Gaurus, me promettais-tu deux cent mille sesterces, si tu ne pouvais m'en donner dix mille ? Mais le peux-tu, et ne le veux-tu pas ? N’est-ce pas, dis-moi, plus honteux encore ? Que le ciel te confonde, Gaurus : tu es un bien pauvre homme.

LXXXIII. A DINDYMUS.

Tu me poursuis, je t'évite ; tu m'évites, je te poursuis ; tel est mon caprice : Dindymus, je ne veux pas ce que tu veux ; je veux ce que tu ne veux pas.

LXXXIV. A GALLA.

Déjà l'enfant, tout triste de quitter ses noix, est rappelé à l'étude par la voix criarde de son pédant ; déjà, trahi par le bruit du cornet qu'il aime, arraché à l'instant du tripot où il se cachait, le joueur de dés, tout couvert de sueur, parait devant l'édile et l'implore. Tout le temps des Saturnales est passé, et toi, Galla, tu ne m'as envoyé ni les petits présents, ni les riens que tu me donnais d'habitude. Et tu veux sans doute que tout mon mois de décembre s'écoule ainsi. Mais tu ne l'ignores pas, je pense, voici venir tes Saturnales des calendes de mars : alors, Galla, je te rendrai ce que tu m'as donné.

LIVRE VI

L A JULES MARTIAL.

Je t'adresse ce sixième livre, à toi, J. Martial, mon ami le plus cher : si ton oreille toujours sùre fait disparaître ses imperfections, il osera, moins inquiet, moins tremblant, se placer dans les mains puissantes de César.

II. A CÉSAR DOMITIEN.

C'était un jeu de violer les lois sacrées de l'hymen ; un jeu de mutiler des hommes innocents. César, tu défends cette double infamie, et tu rends service aux générations à venir, en leur assurant le bienfait d'une naissance sans fraude. Sous ton empire, désormais plus d'eunuques, plus d'adultères. Mais avant toi, ô moeurs ! l'eunuque lui-même était adultère.

III. SUR LE FILS DE DOMITIEN.

Parais sur la terre, enfant promis au Troyen Iule, véritable rejeton des dieux ! parais, illustre enfant. Qu'après de longues années ton père te remette les rênes d'un empire éternel, et que le monde voie Antiloque déjà vieux régner avec Nestor. Julie elle-même, de ses doigts blancs comme la neige, allongera la trame d'or de tes années, et filera pour toi la toison entière du bélier de Phryxus.

IV. COMPLIMENT A DOMITlEN.

Censeur suprême, princes des princes, Rome, qui déjà te devait tant de triomphes, de temples nouveaux, d'anciens temples réparés, tant de spectacles, de dieux, de villes, te doit plus encore aujourd'hui, que tu lui as rendu la pudeur.

V. A CÉCILIANUS.

J'ai acheté fort cher des biens de campagne ; Cécilianus, prête-moi, je te prie, cent mille sesterces. Tu ne me réponds rien? Je crois t'entendre dire tout bas : Tu ne me les rendrais pas : c’est pour cela que je te les demande, Cécilianus.

VI. A LUPERCUS.

Trois acteurs sont en scène, mais ta Paulla en aime quatre, Lupercus ; Paulla aime jusqu'au personnage muet.

VII. SUR THELESINA.

Faustinus, depuis le rétablissement de la loi Julia et la rentrée de la pudeur au sein de nos familles, trente jours au plus, moins peut-être, se sont écoulés et Thelesina en est déjà à son dixième époux. Se marier si souvent, ce n'est point se marier : c'est être adultère aux termes de la loi. Une franche courtisane me scandalise moins.

VIII. A SEVERUS.

Deux préteurs, quatre tribuns, sept avocats, dix poètes demandaient certaine fille en mariage à certain vieillard : le barbon, sans hésiter, l'accorde au crieur Eulogus. Est-ce là, Severus, agir en étourdi ?

IX. A LÉVINUS.

Tu dors, Lévinus, au théâtre de Pompée ; et tu te plains de ce qu'Oceanus te réveille !

X. DEMANDE INDIRECTE D’ARGENT A DOMITIEN.

Lorsque, ces jours derniers, je demandais par hasard quelques milliers de sesterces à Jupiter, celui-là, me dit-il, te les donnera, qui m'a donné des temples. Il peut avoir donné des temples à Jupiter, mais il ne m'a pas donné un seul millier de sesterces : quelle honte pour moi d'avoir demandé si peu à Jupiter ! Cependant avec quelle bienveillance, avec quel front sans nuage et sans colère, de quel œil tranquille il avait lu ma supplique ! Tel il rendit aux Daces suppliants leurs lois et leur empire ; tel il monte au Capitole, tel il en descend. Dis-moi, je te prie, vierge confidente de notre maître qui tient le tonnerre, dis-moi, s'il refuse d'un air si doux, avec quel charme doit-il donc accorder ? J'avais dit. Pallas dépose sa Gorgone, et me répond en deux mots : « Ce qu'on ne t'a pas donné encore, insensé, crois-tu qu'on te le refuse ? »

XI. CONTRE MARCUS.

Tu t'étonnes, Marcus, de ce que, dans ce siècle, il n'y ait plus de Pylade ni d'Oreste : Pylade buvait le même vin que son ami. On ne servait point à Oreste de meilleur pain, de grive plus grasse ; mais tous deux avaient même repas et même table. Tu savoures les huîtres du Lucrin, et moi je mange des pelores aqueuses : pourtant, Marcus, j'ai le goût tout aussi patricien que toi. La ville de Cadmus, Tyr, te fournit de fiches vêtements ; la Gaule me jette un habit grossier. Veux-tu, Marcus, que, couvert d'une saie, je t'aime tout resplendissant de pourpre ? Je serai Pylade si quelqu'un veut être Oreste. Cela ne se fait point avec des paroles : Marcus, pour être aimé ; il faut aimer toi-même.

XII. SUR FABULLA.

Fabulla jure que les cheveux qu'elle achète sont à elle : fait-elle un parjure, Paullus ? Non, en vérité.

XIII. SUR LA STATUE DE JULIE.

Qui ne croirait, ô Julie ! que tu es l'œuvre du ciseau de Phidias, ou une merveille échappée des mains mêmes de Minerve ? Le marbre blanc de Lygdos respire et répond dans cette image parlante ; une expression de vie brille avec grâces sur ce visage serein. Ta main douce et polie joue avec le ceste de la déesse acidalienne ; tu en as dépouillé le cou de l'enfant Cupidon. Pour ranimer la flamme amoureuse de Mars et du maître tout-puissant du tonnerre, que Junon, que Vénus elle-même t'emprunte ce ceste magique.

XIV. CONTRE LABERIUS.

Tu prétends, Laberius, que tu peux composer d'excellents vers : pourquoi donc ne le veux-tu pas ? Avoir le talent inné de la poésie, et ne pas faire de vers, c'est, selon moi, Laberius, être un homme modèle.

XV. SUR UNE FOURMI RENFERMÉE DANS UN MORCEAU D’AMBRE.

Pendant qu'une fourmi s’égare à l'ombre de l'arbre de Phaéthon, une goutte de succin enveloppe l'insecte imperceptible. Dédaigné pendant sa vie, tout à l’heure encore, il devint par sa mort un objet précieux.

XVI. A PRIAPE.

Toi, dont le sceptre viril est la terreur des hommes, et dont la faux épouvante les pédérastes, protége les quelques arpents de cet enclos écarté. Ainsi, que de vieux larrons ne pénètrent jamais dans tes vergers ; qu'on n'y voie que l'adolescent ou la jeune et belle fille à la longue chevelure.

XVII. CONTRE CINNAMUS.

Tu veux, Cinnamus, qu'on t'appelle Cinna. Ce nom n'est-il pas, dis-moi, un barbarisme ? Si précédemment on t'eût nommé Furius, par la même raison il faudrait t'appeler "Fur" (voleur).

XVIII. ÉPITAPHE DE SALONINUS, A PRISCUS.

Les mânes sacrés de Saloninus reposent aux champs de l'Ibérie ; jamais ombre plus irréprochable n'a paru sur les bords du Styx. Mais, séchons nos larmes ; car celui qui t'a laissé sur la terre, Priscus, vit encore dans la partie de lui-même qu'il affectionnait le plus.

XIX. CONTRE L'AVOCAT POSTHUMUS.

Il ne s'agit ni de violence, ni de meurtre, ni de poison ; tout mon procès a pour objet trois chèvres. Je me plains qu'elles ont disparu par le vol d'un voisin. Le juge en demande la preuve, et toi tu parles de la bataille de Cannes, de la guerre de Mithridate, des fureurs de la perfide, Carthage ; tu cites les Sylla, les Marius, les Mucius, avec un grand luxe de paroles et de gestes pompeux. Parle donc Posthumus, de mes trois chèvres.

XX. CONTRE PHEBUS.

Je t'ai prié, Phébus, de me prêter cent sesterces, parce que tu m'avais dit : - N'auras-tu donc jamais recours à moi ? - Tu t'informes, tu hésites, tu balances pendant dix jours, tu me mets, tu te mets toi-même, au supplice : de grâce, Phébus, refuse-moi.

XXI. SUR STELLA ET IANTHIS.

En formant l'union indissoluble d'Ianthis et du poète Stella, Vénus dit gaiement à l'époux: « Je n'ai pu te donner mieux. » Et cela en présence de l'épouse ; mais avec plus de malice elle glissa ces mots à l’oreille de Stella: « Prends garde, malheureux, de faire quelque folie. Souvent, dans un accès de jalouse fureur, j'ai frappé de mon ceste Mars infidèle, et promenant çà et là ses caprices avant notre hymen légitime. Mais depuis qu'il est à moi, je n'ai à me plaindre d'aucune rivale : Junon voudrait bien que Jupiter eût pareille continence. » Elle dit, et frappe le cœur du mari de son talisman mystérieux. Stella chérit sa blessure ; mais, ô Vénus ; frappe également les deux époux.

XXII. CONTRE PROCULINA.

Proculina, tu épouses ton galant, et de l'adultère d’hier tu fais le mari d'aujourd'hui, pour n'être point frappée par la loi Julia ; mais ce n'est point te marier, Proculina: c'est convenir que tu as eu un amant.

XXIII. CONTRE LESBIE.

Tu veux, Lesbie, que je sois toujours en érection devant toi ; crois-le bien, l'arc viril ne se tend pas comme le doigt. Tu as beau l'exciter par une main caressante et de douces paroles, ta figure agit contre toi avec un empire invincible.

XXIV. SUR CHARISIANUS.

On n'est pas plus effronté que Charisianus ; pendant les Saturnales, il se promène en toge.

XXV. A MARCELLINUS.

Marcellinus, digne rejeton d'un père vertueux, toi qui vis à présent sous le ciel glacé de l'Ourse du nord, reçois les vœux d'un vieil ami de ta famille, et conserve dans ton cœur le souvenir des souhaits qu'il forme pour toi : unis la prudence au courage, qu'une ardeur téméraire ne le précipite pas au milieu des glaives et des traits homicides. Que les fous aiment les horreurs de la guerre et les fureurs de Mars ; toi, tu peux être tout ensemble le défenseur et la gloire de ta patrie.

XXVI. SUR SOTADES.

Notre cher Sotades est en danger de mort. Vous croyez Sotades accusé ? il ne l'est pas. Désormais incapable de paraître lance en arrêt, il fonctionne avec la langue.

XXVII. A NEPOS.

Nepos, toi qui es deux fois mon voisin (car tu habites les environs du temple de Flore, et de l'antique Ficelia), tu as une fille dont la figure rappelle tous les traits de son père, et atteste la chasteté maternelle. Toutefois n'épargne pas trop le falerne chargé d'années ; laisse de préférence à ta fille des tonneaux remplis d'écus. Qu'elle soit vertueuse ; qu'elle soit riche, mais qu'elle boive du vin nouveau et que l'amphore du jour de sa naissance vieillisse avec elle. Le cécube ne doit pas désaltérer seulement ceux qui n'ont pas d'enfants ; crois-moi, les pères de famille peuvent aussi jouir de la vie.

XXVIII. ÉPITAPHE DE GLAUCIAS.

L'affranchi si connu de Melior, celui dont le trépas excita les regrets de Rome entière, les délices trop éphémères d'un maître chéri, Glaucias, inhumé sous ce marbre, repose dans la tombe près de la voie Flaminia ; il avait des moeurs pures, une pudeur naïve, un esprit vif, une rare beauté. A peine cet enfant, avec deux fois six moissons, comptait-il une année. Passant qui pleures son trépas, puisses-tu n'avoir jamais rien à pleurer !

XXIX. SUR LE MÊME.

Glaucia n'était point de la plèbe des esclaves, ni l'un de ceux qui, nés au logis, sont voués à la chaîne par l'avarice ; c'était un enfant digne du tendre attachement de son maître: il ne pouvait pas encore apprécier les bienfaits de son patron, et déjà il était l'affranchi de Melior. Cette faveur, il la devait à ses mœurs, à sa beauté : qui fut jamais plus séduisant que lui ? Quelle figure plus belle? on eût dit celle d'Apollon. Les hommes d'un mérite supérieur ont une vie courte, et parviennent rarement à la vieillesse. Quel que soit l'objet de ton affection, souhaite de ne pas l'aimer à l'excès.

XXX. CONTRE PÉTUS.

Si tu m'avais, à l'instant même, donné six sesterces, en me disant : Prends, emporte, je te les donne ; je t'en aurais, Pétus, obligation comme pour deux cents. Mais aujourd'hui, lorsque tu me les offres, après un si long retard, après sept ou neuf calendes, je pense, veux-tu que je te dise une chose plus vraie que la vérité même ? Tu as perdu, Pétus, tes six sesterces.

XXXI. CONTRE CHARIDEMUS.

Ta femme a pour amant ton médecin ; tu le sais, Charidemus, et tu le souffres : tu veux mourir sans fièvre.

XXXII. SUR LA MORT D'OTHON.

La furie de la guerre civile était encore indécise, et peut­-être le faible Othon allait-il être vainqueur ; mais il voit avec horreur des combats qui vont faire couler des flots de sang, et, d'une main ferme, il perce sa poitrine nue. Que Caton, durant sa vie, ait été plus grand que César ; soit; mais, à sa mort, fut-il plus grand qu'Othon ?

XXXIII. CONTRE SABELLUS.

Tu n'as rien vu, Mathon, de plus misérable que le pédéraste Sabellus, lui naguère si joyeux. Vols, fuites et morts d'esclaves, incendies, deuil, tout afflige à la fois notre homme : l'infortuné! et, pour comble de maux, il n'a plus à caresser que des femmes.

XXXIV. A DIADUMENUS.

Donne-moi, Diadumenus, baisers sur baisers : Combien ? Dis­tu. C'est exiger que je compte les flots de l'Océan, les coquilles éparses sur les rivages de la mer Égée, les abeilles qui voltigent sur le mont de Cécrops, les voix et les mains qui de tous côtés applaudissent au théâtre, lorsque le peuple voit inopinément paraître César. Je n'en veux pas même autant que Lesbie en accorda aux prières de l'harmonieux Catulle : c'est en désirer trop peu, que de pouvoir les compter.

XXXV. A CÉCILIANUS.

Après de bruyantes sollicitations de ta part, Cécilianus, le juge t'a permis, malgré lui, d'épuiser sept clepsydres. Mais tu parles beaucoup et longtemps ; puis, la tête à demi renversée, tu vides à longs traits plusieurs verres d'eau tiède. Pour tarir à la fois ta soif et ta loquacité, de grâce, Cécilianus, bois au moins l'eau de la clepsydre.

XXXVI. A PAPILUS.

Ton priape est si long, Papilus, et ton nez est si grand, qu'à chaque érection tu peux flairer l'un, avec l'autre.

XXXVII. CONTRE CHARINUS.

Charinus n'a plus trace de son podex fendu jusqu'à l’ombilic ; et cependant un prurit le dévore jusqu'à l'ombilic. Quelle lubricité possède ce misérable ! il n'a plus d'anus, et il veut toujours qu'on l'attaque de ce côté.

XXXVIII. SUR LE FILS DE RÉGULUS.

Vois comme le fils de Régulus, un enfant qui n'a pas encore trois ans accomplis, loue son père dès qu'il l'entend parler ! comme, à son aspect, il quitte le sein maternel, et comme il sent que la gloire de son père est aussi la sienne ! Déjà les clameurs de la foule, les centumvirs, l'affluence du peuple qui assiége les tribunaux, et la basilique de Jules César font les délices de cet enfant. Ainsi le rejeton d'un coursier vigoureux aime les nuages de poussière ; ainsi le jeune taureau, de son front tendre encore, appelle déjà les combats. Dieux, conservez, je vous en conjure, cet objet des vœux d'une mère et d'un père ; que Régulus entende un jour son fils, et que la mère les entende tous deux.

XXXIX. CONTRE CINNA.

Sept fois Marulla t'a rendu père, mais tu n'as pas, Cinna, un seul enfant de race libre : car aucun d'eux n'est de toi, ni d'un ami, ni d'un voisin ; tous conçus ou sur des grabats, ou sur des nattes, trahissent par leur physionomie, les infidélités de leur mère. Celui qui, les cheveux crépus, s'avance tel qu'un Maure d'Afrique, avoue ainsi qu'il est le rejeton du cuisinier Santra. Le second, au nez camard, aux lèvres épaisses, est tout le portrait du lutteur Pannicus. Le troisième est fils du boulanger Damas ; qui peut l'ignorer, s'il connaît, s'il a vu Damas le chassieux ? Le quatrième, avec son air de Ganymède, et son teint blanc, est le fruit adultérin de Lygdus, ton mignon ; jouis, si tu veux, de ce fils : il n'y a pas de crime à cela. Quant à celui dont la tête est pointue, et dont les longues oreilles sont mobiles, comme celles des ânes, il est, à n'en pas douter, le fils du bouffon Cyrrha. Les deux sœurs, l'une noire, l'autre rousse, sont du joueur de flûte Crotus, et du fermier Carpus. Enfin, tu aurais un troupeau tout entier de métis, si Coresus et Dindymus n'étaient pas des eunuques.

XL. A LYCORIS

Naguère, il n'était pas de femme que l'on pût te préférer, Lycoris ; aujourd'hui, pas une que l'on puisse comparer à Glycère. Elle sera ce que tu es : tu ne peux plus être ce qu'elle est. Effet naturel du temps ! je la veux aujourd'hui, je te voulais jadis.

XLI. SUR UN POETE ENRHUMÉ.

Celui qui débite ses vers, la gorge et le cou garnis de laine fait voir qu'il ne peut ni parler ni se taire.

XLII. A OPPIANUS, SUR LES THERMES D'ETRUSCUS.

Si tu ne te baignes dans les thermes élégants d'Etruscus, tu mourras dans ta crasse, Oppianus. Jamais ondes ne te flatteront davantage : ni les sources d’Apone, interdites aux jeunes filles, ni la voluptueuse Sinuessa, ni les flots bouillants du Passer, ni ceux d'Anxur le superbe, ni les bains d'Apollon de Cumes, ni ceux de Baïes, cette reine des eaux thermales. Nulle part le ciel ne brille plus pur et plus serein ; nulle part les jours ne sont plus longs, et la lumière n'est plus lente à quitter l'horizon. Les marbres du Taygète y déploient leur verte couleur, on y admire l'éclat divers que répandent à l'envi les roches telles qu'on n'en arracha jamais des flancs des monts phrygiens, des antres profonds de la Libye ; l'épaisse onyx y aspire une chaleur sèche, et les ophites s'y pénètrent d'un feu tempéré. Si les usages des Lacédémoniens te plaisent, tu peux, satisfait d'une vaporisation légère, te plonger dans l'onde Vierge, ou dans celle d’Ancus Martius, si limpide, si transparente, que la présence de l'eau s'y fait soupçonner à peine, et que l'on croirait voir briller à nu le marbre de Lygdos. Mais tu ne fais pas attention à ce que je te dis, et, l'oreille en l'air, tu m'écoutes depuis longtemps avec une sorte de négligence. Tu mourras dans ta crasse, Oppianus.

XLIII. A CASTRICUS.

Castricus, tandis que l'heureuse Baïes te prodigue ses bienfaisantes faveurs, et que la nymphe permet que tu te baignes dans ses eaux blanches et sulfureuses ; je renais à la santé dans ma tranquille villa de Nomente, dont l'étendue bornée ne me cause point d'embarras. Je trouve là le soleil de Baïes, les douceurs du Lucrin ; là aussi, Castricus, les trésors de vous autres les riches. Naguère, je pouvais courir toutes les eaux en renom, sans redouter en rien les voyages de long cours ; aujourd'hui, je n'aime plus que les environs de Rome, les retraites à ma portée, et c'est assez pour moi, si je puis y être paresseux.

XLIV. CONTRE CALLIODORE.

Tu t'imagines plaisanter avec esprit, Calliodore, et verser seul à profusion le sel attique. Tu ris au nez de tout le monde, tu lances des brocards à chacun ; et tu te crois ainsi un aimable convive. Je te dirai donc, sinon avec grâce, du moins avec vérité : personne, Calliodore, ne t'invitera à boire dans sa coupe.

XLV. CONTRE LE MARIAGE DE LYGDUS ET DE LECTORIA.

Vous avez mené joyeuse vie, c'est assez ; épousez maintenant, vagins lascifs ; on ne vous permet plus que de chastes plaisirs. Chastes, le sont-ils bien? Lectoria s'unit à Lygdus ! épouse, elle sera plus infâme encore qu'elle ne l'était concubine.

XLVI. A CATIANUS.

Ce quadrige, de la faction des Vénètes, est fouetté sans cesse, et les chevaux n'en courent pas plus vite : c'est là, Catianus, un prodige !

XLVII. A LA NYMPHE IANTHIS.

Nymphe, dont l'onde pure coule et serpente dans la demeure diamantée de mon cher Stella, ton maître ; soit que l'épouse de Numa t'ait fait jaillir de la grotte de la triple Hécate, soit que tu viennes du groupe même des neuf Muses ; Marcus qui, dans une maladie, a bu furtivement de ton eau, acquitte envers toi le vœu qu'il à fait de t'immoler une truie qui n'a pas encore été mère. Satisfaite de l'expiation de mon crime, accorde-moi la libre jouissance de ta source ; et qu'à l'avenir, ma soif soit toujours celle d'un homme en bonne santé.

XLVIII. CONTRE POMPONIUS.

Bien qu'une foule de parasites à longue toge te prodigue les applaudissements les plus vifs, ce n'est pas toi, Pomponius, c'est ton souper qui est éloquent.

XLIX. PRIAPE SUR LUI-MEME.

Je ne suis point taillé dans un orme fragile ; et cette colonne à la veine saillante qui s'élève droite et ferme, n'est pas faite d'un bois pris au hasard : elle est formée d'un cyprès vivace, qui ne craint ni les révolutions de cent siècles, ni la carie d'une longue vétusté. Qui que tu sois ; fripon, redoute-la ; car si, d'une main rapace, tu déchires le moindre rameau de cette vigne, ce cyprès greffera, malgré toi, sur ton corps un figuier (ou un fic).

L. SUR THELESINUS.

Lorsque Thelesinus, encore pauvre, ne fréquentait que des amis purs, il allait çà et là avec une petite toge glaciale et malpropre. Depuis qu'il a fait sa cour à d'infâmes pédérastes, il n'y a que pour lui à acheter argenterie, meubles et métairies. Veux-tu devenir riche, Bithynicus ? sois complice de pareilles débauches. De chastes baisers ne te rapporteront rien, ou presque rien.

LI. A LUPERCUS.

Trop souvent, Lupercus, tu t'avises de dîner sans moi ; j'ai trouvé le moyen de t'en punir. Je me fâcherai malgré toutes tes invitations, malgré l'envoi de tes gens, malgré tes prières. Qu'en résultera-t-il ? me dis-tu. Ce qu'il en résultera? Je viendrai.

LII. ÉPITAPHE DU BARBIER PANTAGATHUS.

Ci-gît, enlevé à la fleur de sa jeunesse, Pantagathus, les délices et les regrets de son maître, Pantagathus, habile à tailler, avec un fer qui vous effleurait à peine les boucles ondoyantes de la chevelure, et à enlever les poils qui hérissent les joues. O terre ! si douce et si légère que tu sois pour lui, comme tu le dois, tu ne le seras jamais plus que sa main d'artiste.

LIII. SUR ANDRAGORAS.

Andragoras s'est baigné, a soupé joyeusement avec nous ; et pourtant, il a été trouvé mort le lendemain matin. Tu demandes, Faustinus, la cause d'un trépas si subit ? il avait vu en songe le médecin Hermocrate.

LIV. SUR SEXTILIANUS.

Aulus, si tu veux empêcher Sextilianus de parler des si grands et des si grandes, à peine le malheureux pourra-t-il joindre trois mots ensemble. Mais qu'entend-il par là ? dis-tu. Je vais te dire ce que je soupçonne à cet égard ; SextiIianus, aime les si grands et les si grandes.

LV. CONTRE CORACINUS.

Parce que tu sens toujours la cannelle et le cinname, que tu te noircis avec les parfums du nid de l'oiseau sans pareil, et que tu exhales l'odeur que renferment les vases de plomb de Nicerolus, tu te ris de nous qui ne sentons rien, Coracinus. J’aime mieux ne rien sentir, que de sentir bon.

LVI. CONTRE CHARIDEMUS.

Parce que tu as les jambes hérissées de poils et la poitrine velue, tu prétends, Charidemus, donner le change à la renommée. Arrache, crois-moi, cette toison de tout ton corps, et prouve aussi que tu épiles, chez toi la partie postérieure. Pourquoi donc ? me dis-tu. Tu sais que bien des gens tiennent bien des propos. Fais en sorte, Charidemus, qu'ils te croient le patient.

LVII. CONTRE PHÉBUS.

Phébus, à l’aide d'une pommade mensongère, tu te fais une chevelure postiche et ton crâne malpropre se couvre de cheveux en peinture. Il n'est pas besoin pour ta tête de recourir au barbier ; une éponge te rasera mieux que personne.

LVIII. A AULUS PUDENS.

Tandis que tu te plais, Aulus, à contempler de près le chariot de Parrhasis et les astres paresseux du ciel de la Scythie, qu'il s'en est peu fallu que, ravi à ton amitié, je n'eusse traversé les ondes du Styx, et vu les sombres nuages des champs de l'Élysée. Presque éteints, mes yeux cherchaient tes yeux, et ma bouche glacée répétait sans cesse le nom de Pudens. Si les trois fileuses ne tissent point en noir la trame de ma vie, et si les dieux ne sont point sourds à ma voix, lorsque je suis sauvé, tu reviendras sain et sauf aux villes du Latium, et, chevalier illustre, tu obtiendras, pour récompense de tes services, le grade de premier centurion.

LIX. CONTRE BACCARA.

Baccara se fâche et se plaint de ce que le froid ne vient pas tout exprès pour qu'il mette en évidence ses six cents manteaux bien fourrés ; il ne désire que temps couvert, que vents, que neige; il déteste les jours même d'hiver, s'ils sont quelque peu tempérés. Que t'ont donc fait, cruel, nos lacernes légères, que le moindre vent peut soulever de nos épaules ? Combien il serait plus simple, plus, humain de porter, dès le mois d'août, tes lourds manteaux !

LX. SUR POMPILLUS, A FAUSTINUS.

C'est une affaire faite pour Pompillus : il sera lu, Faustinus, et répandra son nom dans tout l'univers. Vive de même la race inconstante des Usipiens au poil roux, et tous ceux qui n'aiment pas l'empire de l'Ausonie ! On dit cependant que les écrits de Pompillus sont ingénieux ; mais, crois-moi, ce n'est pas assez pour mériter la gloire. Que de savants servent de pâture aux mîtes et aux vers ! et les cuisiniers seuls achètent les poèmes sublimes. Il faut je ne sais quoi de plus pour assurer aux ouvrages l'immortalité : un livre, pour durer, doit porter l'empreinte du génie.

LXI. CONTRE UN ENVIEUX.

Rome ! ma chère Rome ! loue, aime et chante mes vers ; ils sont dans le pli que forme chaque toge sur la poitrine ; ils sont dans toutes les mains. Mais ne vois-je pas un quidam rougir, pâlir, s'étonner, bâiller et me prendre en haine ? Voilà ce que je veux : à présent mes vers me plaisent.

LXII. A OPPIANUS.

Père infortuné, Silanus a perdu son fils unique ; et tu cesses, Oppianus, de lui envoyer des présents. Malheur, hélas ! trop cruel ! Parques impitoyables ! de quel vautour le cadavre de Silanus sera-t-il la proie ?

LXIII. A MARIANUS.

Tu sais qu'on te circonvient, Marianus, et que celui qui te flatte est un avare ; tu sais aussi quel est son but ; et cependant, insensé, le voici, par ton testament, institué ton légataire universel ; dans ton délire, tu veux même qu'il prenne en tout ta place. Il t'a fait, il est vrai, de riches présents, mais au bout d'un hameçon. Le poisson peut-il donc aimer le pêcheur ? Ton avare s'affligera-t-il sincèrement de ton trépas ? Si tu veux qu'il te pleure, Marianus, ne lui donne rien.

LXIV. CONTRE UN DETRACTEUR.

Tu n'es pas un rejeton de l'austère famille des Fabius ; tu ne ressembles en rien au fils de ce Curius dont la mère, aux vives couleurs, accoucha sous un chêne touffu, en portant à dîner à son mari qui labourait ; fils d'un de ces efféminés qui s'épilent devant un miroir, et d'une mère dont la toge accuse publiquement l'infamie, toi que ta femme pourrait appeler sa femme, tu te permets de critiquer mes ouvrages, déjà connus de la renommée ; tu censures des bagatelles qui ont le bonheur de plaire ; ces bagatelles, dis-je, auxquelles les personnages les plus marquants de Rome et du barreau ne refusent pas de prêter une oreille toute bienveillante ; que l'immortel Silius consent à placer sur les rayons de sa bibliothèque ; que la bouche éloquente de Régulus aime à citer souvent ; que loue aussi l'orateur Sura, qui voit de si près les combats du grand Cirque, et qui est voisin de la Diane Aventine ; que César lui-même, César, notre maître, au milieu des affaires dont il porte le poids énorme, ne dédaigne pas de relire deux et trois fois. Mais toi, sans doute, tu as plus de génie ; ton jugement, poli par Minerve, a plus de pénétration, et l'élégante Athènes a mieux formé ton goût. Que je meure, s'il n'y a pas plus de finesse et d'instinct dans la pécore dont un boucher sanglant traîne de rue en rue les intestins pendants, les pieds allongés et le vieux poumon putréfait, l'effroi de tous les nez ! Ton audace va encore jusqu'à écrire contre moi de petits vers que personne ne lit, et tu perds à ce travail un papier qui souffre de tes sottises. Mais que ma bile brûlante t'imprime une note d'infamie, elle restera à jamais sur ton front, et sera lue du monde entier, stigmate ineffaçable que ne saurait détruire Cinnamus avec tous les secrets de son art. Prends donc pitié de toi-même, et ne va pas, dans un accès de rage, exposer ta gueule furieuse aux narines fumantes d'un ours plein de vie. Tout paisible qu'il est, bien qu'il lèche les doigts et les mains, si la douleur, la bile, une juste colère l'emportent, il ne sera plus qu'un ours : émousse tes dents sur quelque peau vide, et cherche une chair que tu puisses ronger en secret.

LXV. A TUCCA.

Tucca, je le sais, me reproche de faire des épigrammes en hexamètres. Tucca, c'est assez l'habitude; et, à tout prendre, Tucca, cela est permis. Mais pourtant c'est bien long. L'usage, Tucca, autorise encore ces longueurs. Si tu préfères un rythme plus court , ne lis que les distiques. Convenons d'une chose entre nous ; tu pourras sauter les longues épigrammes, mais moi je serai libre de les écrire.

LXVI. SUR UN CRIEUR QUI VENDAIT UNE JEUNE ESCLAVE.

Une jeune esclave d'une réputation plus qu'équivoque, semblable à ces femmes que l'on voit assises au milieu du quartier de Suburra, était dernièrement mise en vente par le crieur Gellianus. L'enchère fut longtemps médiocre ; le vendeur alors, pour convaincre le public de la pureté de la belle, l'attire par la main, et, malgré sa résistance, l'embrasse deux, trois et quatre fois. Que lui rapportèrent ces baisers ? Celui qui venait d'offrir six cents sesterces, refusa de les donner.

LXVII. A PANNICUS, SUR GELLIA, SON ÉPOUSE.

Tu demandes, Pannicus, pourquoi ta chère Gellia n'a jamais que des eunuques ? Gellia veut du plaisir, et ne veut pas d'enfant.

LXVIII. SUR LA MORT DU JEUNE EUTYCHUS.

Pleurez votre forfait, ô Naïades, avec autant de larmes qu'il y a d'eau dans le lac Lucrin ; que Thétis elle-même ressente votre douleur. Le jeune Eutychus est mort englouti dans les ondes de Baïes, Eutychus, ton ami le plus cher, sans cesse à tes côtés, Castricus, le confident de tes peines, qu'il soulageait si doucement, l'amour, l'Alexis qu'a chanté notre poète. Sans doute une nymphe amoureuse le vit nu au sein de ses ondes transparentes, et l'échangea contre Hylas qu'elle rendit à Alcide. Ou peut être Salmacis, séduite par un baiser du bel adolescent, a-t-elle quitté pour lui son hermaphrodite efféminé. Quoi qu'il en soit, et sans plus chercher la cause de cet enlèvement subit, terre, eau, soyez, de grâce, soyez légères à Eutychus.

LXIX. SUR BASSA.

Je ne suis pas surpris, Catulle, de ce que ta chère Bassa boive de l'eau ; ce qui m'étonne, c'est que la fille de Bassus en boive.

LXX. A MARTIANUS.

Cotta a vu soixante moissons, et, je crois, deux autres encore, Martianus, et il ne se rappelle pas avoir, un seul jour, éprouvé dans un lit les ennuis d'une fièvre brûlante. Il nargue d'un doigt moqueur, d'un signe obscène, Alconte, Dasius et Symmaque. Mais qu'on fasse le calcul exact de nos années ; qu'on retranche de nos jours les meilleurs le temps consumé par les fièvres cruelles, les tristes langueurs et les douleurs insupportables ; d'un saut nous arrivons de l'enfance à la vieillesse. Celui qui regarde comme un long âge celui de Priam et de Nestor, tombe, Martianus, dans une erreur bien grave. Ce n'est pas l’existence, c'est la santé qui est réellement la vie.

LXXI. SUR TELETHUSA.

Telethusa, cette belle si habile à prendre des poses lascives au son des castagnettes de la Bétique, et à reproduire les pas des danseuses de Cadix ; Telethusa, capable de redonner du nerf au tremblant Pélias, et de réveiller les sens du mari d'Hécube, jusque sur le bûcher d'Hector ; Telethusa consume et met au supplice son premier maître : servante, il l'a vendue ; maîtresse, il la rachète aujourd'hui.

LXXII. SUR LE VOLEUR CILIX.

Voleur d'une rapacité trop connue, Cilix voulait piller un jardin ; mais dans ce vaste enclos, Fabullus, il n'y avait qu'un Priape de marbre. Jaloux de ne pas revenir les mains vides, Cilix enleva le Priape lui-même.

LXXIII. SUR LE PRIAPE D'HILARUS.

Ce n'est point un paysan grossier qui m'a taillé avec sa serpe ignorante ; tu vois en moi l'oeuvre remarquable de l'intendant d'Hilarus, le plus riche cultivateur des champs de Cérétum, de ces collines et de ces riants coteaux. Regarde : mes traits bien formés n'annoncent point que je sois de bois, et ma lance amoureuse n'est pas destinée à servir d'aliment au foyer ; c'est d'un cyprès impérissable qu'une main digne de Phidias a dressé mon sceptre immortel. Voisins, croyez-moi, célébrez le dieu Priape, et respectez ces quatorze arpents.

LXXIV. A ESCULANUS.

Ce convive, couché au bas du lit du milieu, dont la tête chauve est riche de trois cheveux encore, peut-être tracés à l'aide d'une pommade, et qui fourgonne sa large bouche avec des pointes de lentisque ; cet homme en impose, Esculanus : il n'a pas de dents.

LXXV. CONTRE PONTIA.

Lorsque tu m'envoies une grive, une part de gâteau, une cuisse de lièvre, ou quelque présent de ce genre, tu dis, Pontia, que tu te retires pour moi les morceaux de la bouche. Alors, Pontia, je n'offrirai ces morceaux à personne, et je me garderai bien de les manger.

LXXVI. ÉPITAPHE DE FUSCUS.

Gardien de la personne sacrée de César, du Mars romain qui lui confia les armées du chef suprême de l'empire ; ci-gît Fuscus : ô fortune, il faut l'avouer, ce marbre ne craint plus les menaces de l'ennemi. Le Dace a courbé son front sous un joug illustre, et l'ombre victorieuse de Fuscus repose dans un bois soumis à l'esclavage.

LXXVII. CONTRE AFER.

Tu es plus pauvre que le mendiant Irus ; plus jeune que Parthénopée ; plus vigoureux qu'Artémidore à l'époque de ses victoires ; pourquoi donc te faire porter par six Cappadociens ? On se moque de toi, Afer, et l'on te tourne en ridicule avec bien plus de raison que si tu te promenais nu en plein Forum. C'est ainsi qu'on montre au doigt Atlas, le nain, s'avançant sur un mulet de sa taille, et le noir éléphant monté par un Libyen de sa couleur. Tu me demandes pourquoi l'on déteste ainsi ta litière ? C'est qu'après ta mort, tu ne dois pas être porté dans un hexaphore.

LXXVIII. A AULUS, SUR PHRYX LE BORGNE.

Phryx, buveur fameux, était borgne d'un œil et malade de l'autre, Aulus. Béras, son médecin, lui dit : Garde-toi de boire, ou le vin te fera perdre complètement la vue. Adieu mon dernier oeil, s'écria Phryx en riant ; et aussitôt il se fait verser force rasades. Tu veux connaître le résultat ? Phryx but le vin, et son oeil but le poison.

LXXIX. A LUPUS.

Tu es triste, au sein du bonheur ; prends garde que la Fortune ne le sache, Lupus ; elle t'appellerait ingrat, si elle venait à l'apprendre.

LXXX. A CÉSAR, SUR DES ROSES D'HIVER.

L'habitant des rives du Nil, fier de ses riches produits, t'avait envoyé, ô César, des roses d'hiver, comme un présent digne de toi par sa nouveauté ; mais le nautonier de Memphis fut obligé de rire des jardins de l'Égypte, dès qu'il eut mis le pied dans la capitale de ton empire, tant le printemps y étalait de charmes, tant Flore y répandait les parfums les plus doux, tant les bosquets y rivalisaient avec ceux de Pestum ! Aussi partout où il portait ses pas et ses regards, toutes les rues brillaient de l'incarnat des roses tressées en guirlandes. O Nil, puisque tes hivers doivent céder la palme aux hivers de Rome, envoie-nous tes moissons en échange de nos roses.

LXXXI. CONTRE CHARIDEMUS.

A la manière dont tu te baignes, on dirait, Charidemus, que tu en veux au peuple romain, tant tu plonges ton priape au fond de la baignoire. Garde-toi bien ; Charidemus, d'y plonger ainsi ta tête ; mais quoi ! la tête aussi dans le bain ! Ah! mets-y plutôt ton priape.

LXXXII. A RUFUS.

Un quidam, ces jours passés, après m'avoir considéré fort attentivement, comme l'aurait fait un marchand d'esclaves, ou un maître de gladiateurs, après m'avoir désigné d'un œil et d'un doigt inquisiteurs, me dit : Serais-tu ce Martial dont les plaisanteries et les joyeux propos sont connus de tout homme qui n'a pas l'oreille batave? Je laissai échapper un sourire, et, par un léger signe, je lui fis voir que j'étais celui qu'il avait désigné. Pourquoi donc, ajouta-t-il, as-tu de si piètres lacernes ? C'est, répondis-je, que je suis un mauvais poète. Afin d'éviter à l'avenir pareille mésaventure à un poète, envoie-moi, Rufus, de bonnes lacernes.

LXXXIII. A CÉSAR DOMITIEN.

Autant la fortune du père d'Etruscus est redevable aux prières d'un fils, autant l'un et l'autre te doivent de reconnaissance, ô le plus grand des princes : en effet, tu as retenu la foudre échappée de ta main ; je voudrais que les feux redoutables de Jupiter pussent connaître ainsi la clémence. Si le souverain maître du tonnerre avait ton cœur généreux, ô César, sa main ne lancerait que rarement sa foudre tout entière. Etruscus aime à publier le double bienfait qu'il a reçu de toi, celui d'accompagner son père en exil, celui d'en revenir avec lui.

LXXXIV. SUR PHILIPPE.

Philippe, en parfaite santé, se fait porter en octaphore ; si tu crois cet homme-là bien sain, Avitus tu es en délire.

LXXXV. SUR LA MORT DE RUFUS CAMONIUS.

Cher Rufus Camonius, j'ai publié sans toi ce sixième livre, qui n'espère plus t'avoir pour lecteur, ô mon ami. La terre impie de Cappadoce, que tu as vue sous l'influence d'un mauvais génie, vient de rendre à ton père tes cendres et tes ossements. Pleure, Bologne abandonnée ! pleure ce Rufus que tu aimais, et que des gémissements retentissent sur la voie Émilia tout entière. Quel excellent jeune homme ! hélas ! que ses jours se sont vite écoulés ! A peine il avait vu cinq fois disputer les prix des jeux sur les bords de l'Alphée. O toi, qui confiais à ta mémoire fidèle les jeux de ma muse, et qui d'ordinaire retenais si bien mes épigrammes, Rufus, reçois, avec mes larmes, ce petit nombre de vers que t'adresse la douleur d'un ami, reçois-les comme un encens qu'il a brûlé pour un ami absent.

LXXXVI. CONTRE LES BUVEURS D'EAU CHAUDE.

Vin de Setia, neiges si délicieuses, nombreuses rasades, quand pourrai-je, avec la permission du médecin, vous boire à mon gré ? Il est fou, ingrat, indigne de vos précieuses faveurs, celui qui préfère à vos bienfaits l'héritage de l'opulent Midas. Qu'il possède les moissons de la Libye, le sable doré de l'Hermus et du Tage, et qu'il boive de l'eau chaude, celui qui est jaloux que je boive du vin.

LXXXVII. A CESAR.

Attends des dieux et de toi, César, tout le bonheur que tu mérites ; que les dieux m'accordent et accorde-moi, toi aussi, ce que je désire, si je l'ai mérité.

LXXXVIII. A CÉCILIANUS.

Un matin, par hasard, je t'ai salué simplement par ton nom, Cécilianus, et sans te dire : Mon maître. Tu me demandes combien me coûte une liberté si grande. Elle m'enlève cent quadrants.

LXXXIX. SUR PANARETUS LE BUVEUR.

Panaretus, étant ivre, demandait au milieu de la nuit, par le bruit significatif du pouce et du médium, le vase nécessaire à certain usage ; on lui présente la bouteille de Spolète, qu'il avait lui-même mise à sec, bouteille énorme, mais insuffisante pour ce seul buveur. Panaretus, l'équité même, rend à la bouteille le vin qu'il en avait pris et la remplit jusqu'à l’orifice. Tu es surpris, Rufus, de ce que la bouteille ait pu contenir tout ce qu'il avait bu? Cesse d'être étonné : il avait bu pur.

XC. SUR GELLIA.

Gellia n'a qu'un amant, un seul. Son déshonneur n'en est que plus grand, elle est la femme de deux maris.

XCI. CONTRE ZOILE.

L'édit sacré du maître de l'empire condamne et défend l'adultère : réjouis-toi, Zoïle, ton priape va se reposer.

XCII. CONTRE AMMIANUS.

Ammianus, l'art de Myron a ciselé un serpent sur ta coupe, et tu y bois les vins du Vatican : c'est du poison que tu bois.

XCIII. SUR THAIS.

Thaïs sent plus mauvais que le vieux pot d'un foulon avare qu'on a brisé dans la rue ; qu'un bouc après les amoureux ébats ; que la gueule du lion ; qu'une peau de chien écorché au delà du Tibre ; qu'un poulet qui pourrit dans un œuf avorté ; qu’une amphore de saumure corrompue. Afin de déguiser cette puanteur sous une odeur tout autre, chaque fois que, pour prendre un bain, Thaïs se déshabille, elle s'enduit la peau de psilothrum verdâtre, ou se cache sous un liniment de craie dissoute dans un acide, ou se fait donner trois ou quatre couches de pommade de fèves grasses. Lorsque, après les mille artifices de la toilette, elle se croit bien en garde contre sa mauvaise odeur, lorsqu'elle a tout épuisé, Thaïs sent toujours Thaïs.

XCIV. SUR CALPETIANUS.

On sert toujours Calpetianus dans de la vaisselle d'or, qu'il soupe en ville ou chez lui. Même cérémonie à l'auberge et à sa maison de campagne. Il n'a donc pas d'autre vaisselle ? Non, ou plutôt il n'en a pas à lui.

LIVRE VII

1. — A DOMÏTIEN, SUR SA CUIRASSE

Arme-toi de la cuirasse formidable de la belliqueuse Minerve, de cette cuirasse que redoute la colère même de la tête de Méduse. Tant que tu n'en fais pas usage, César, on pourra l'appeler une cuirasse; placée sur ta poitrine sacrée, ce sera l'égide.

II. A LA CUIRASSE ELLE-MÊME.

Cuirasse du maître de l'empire, impénétrable aux flèches du Sarmate, plus sûre que le bouclier de cuir du Mars Gétique ; toi qui, pour être à l'épreuve des dards mêmes de l’'Étolie, fus tissée d'un assemblage sans nombre d'ongles polis de sanglier ; que ton sort est heureux ! tu vas toucher la poitrine sacrée de notre dieu, et t'échauffer au feu de son génie. Va, compagne de ses travaux, sois à l'abri de l'ennemi, mérite de nobles victoires, et rends bientôt notre prince à la toge ornée de palmes (triomphale)

III. A PONTILTANUS.

Pourquoi je ne t'envoie pas mes ouvrages, Pontilianus ? C'est de peur que tu ne m'envoies les tiens.

IV. SUR OPPIANUS.

Castricus, c'est lorsqu'il avait les pâles couleurs, qu'Oppianus se mit à faire des vers.

V. A CÉSAR DOMITIEN.

César, si tu es sensible aux regrets du peuple et du sénat, aux vœux sincères de tout le Latium, tends-nous le dieu que réclament nos souhaits empressés : Rome est jalouse de ses ennemis, malgré les nombreux bulletins ornés de laurier qui nous annoncent tes succès. Le barbare voit de plus près le maître du monde, et ton visage l'épouvante et le charme tout à la fois.

VI. SUR LE BRUIT DU RETOUR DE DOMITIEN.

Eh quoi ! abandonnant les contrées hyperboréennes, déjà César se prépare à reprendre le chemin de l'Ausonie ! La nouvelle n'a encore rien d'officiel, mais mille et mille voix la publient : je te crois, Renommée ; d'ordinaire tu dis vrai. Des bulletins de victoire viennent confirmer l'allégresse publique ; le fer des javelots de Mars est verdoyant de laurier. Rome crie de nouveau : Triomphe, triomphe, César ! et le nom d'Invincible retentit avec le tien dans ta capitale. Mais, pour que nous soyons plus certains encore de notre bonheur, viens toi-même nous annoncer tes victoires sur les Sarmates.

VII. A CÉSAR DOMIITIEN.

Les régions glacées de l'Ourse, la sauvage Peucé, l'Ister échauffé par le piaffement des chevaux, et le Rhin, à la corne rebelle déjà trois fois brisée, te retiennent, je le sais, à dompter des nations perfides, ô toi suprême modérateur du monde, père de l'univers ; mais tu ne peux cependant te soustraire toujours à nos vœux. César, nos yeux et nos cœurs sont près de toi ; et seul tu occupes tellement tous les esprits, que la foule même, au grand Cirque, ne sait pas si c'est Passerinus ou Tigris qui court dans la carrière.

VIII. SUR LE RETOUR DE DOMITIEN.

Maintenant, Muses joyeuses, si jamais vous fûtes dociles à ma voix, soyez tout à l'allégresse ; notre dieu, vainqueur des Odryses, nous est enfin rendu. O décembre, tu confirmes le premier, les vœux du peuple : c'est aujourd'hui que l'on peut crier bien haut : Il vient. Décembre, sois heureux de ton sort, tu pourrais le disputer au mois de Janus, si tu nous donnais le bonheur que celui-ci va nous donner. O César, le soldat le front ceint d'une couronne, va lancer ses sarcasmes au milieu de la fête triomphale, en escortant lès chevaux couronnés de laurier. Daigne donc, toi aussi, prêter l'oreille à mon badinage, à des vers sans prétention, puisque le triomphe lui-même écoute volontiers la plaisanterie.

IX. SUR CASCELIUS.

Cascelius compte soixante années, et il est homme d'esprit : quand sera-t-il éloquent ?

X. CONTRE OLUS.

Eros sert de Ganymède, Linius a la langue libertine : que t'importe, Olus, l'usage que chacun fait de sa peau ? Mathon paye cent mille sesterces une nuit de volupté : que t'importe, Olus ? ce n'est pas toi, c'est Mathon qui se ruinera. Sertorius prolonge ses soupers jusqu'au jour : que t'importe, Olus ? n'as-tu pas la liberté de ronfler toute la nuit ? Lupus doit à Titus sept cents sesterces : que t'importe, Olus ? ne donne pas, ne prête pas un as à Lupus. Tu ne parles jamais de ce qui te regarde, Olus, de ce qui devrait surtout appeler ton attention. Ta guenille de toge, tu la dois encore : cela te regarde, Olus. Personne ne te prêterait même un quadrant ; c'est encore ton affaire. Ta femme est adultère ; cela te regarde, Olus. Ta fille déjà grande réclame une dot ; c'est toujours ton affaire. Je pourrais, quinze fois de plus, te dire ce qui t'importe ; mais ce que tu fais, Olus, m'est fort indifférent.

XI. A AULUS PUDENS.

Tu exiges, Pudens, que pour toi je corrige mes œuvres avec la plume et de ma propre main. C'est trop m'estimer, trop m'aimer que de vouloir posséder mes bagatelles en autographes.

XII. A FAUSTINUS.

Faustinus, mon maître peut me lire avec toute la sérénité de son front, et écouter mes plaisanteries avec sa bienveillance ordinaire ; car les pages de mon livre ne blessent pas même ceux que j'ai le droit de haïr, et je n'aime pas la gloire achetée par le talent de faire rougir les autres. A quoi sert que l'on veuille m'attribuer certains traits de satire imprégnés du sang de Lycambe ? que, sous mon nom, vomissent le venin de la vipère, ceux qui n'osent paraître ni aux rayons du soleil, ni à la clarté du jour ? mon badinage est innocent ; tu le sais bien, Faustinus : j'en jure le génie de la renommée toute puissante, le chœur des vierges de Castalie, et les oreilles aussi, lecteur, toi ma divinité protectrice, toi qui es exempt de l'odieuse passion de la jalousie.

XIII. SUR LYCORIS.

La brune Lycoris entend dire que l'ivoire des vieilles dents (d'éléphant) blanchit au doux soleil de Tibur, et elle se rend sur ces collines consacrées à Hercule : ô prodige de l'air de Tibur ! peu de temps après, elle revient toute noire.

XIV. A AULUS, SUR UN MALHEUR ARRIVÉ A LA MAÎTRESSE DU POÈTE.

Aulus, un malheur affreux vient d'arriver à ma maîtresse ; elle a perdu sa joie, ses délices : non pas un objet comme celui qui faisait couler les larmes de Lesbie, l'amante du tendre Catulle, veuve de son moineau chéri ; non pas la colombe chantée par mon ami Stella, pleurée par Ianthis, et qui maintenant, ombre noire, vole dans l'Élysée. Cette lumière de ma vie ne se laisse pas séduire par de semblables bagatelles, par des amours de ce genre ; de pareils dommages n'affectent pas le cœur de ma belle. Elle a perdu un adolescent qui comptait deux fois dix années, et dont le priape n'avait pas encore un pied et demi.

XV. A ARGINUS, JEUNE ESCLAVE D'IANTHIS.

Quel est cet enfant qui s'éloigne des ondes limpides d'Ianthis. et se réfugie près de la Naïade, leur maîtresse ? serait-ce Hylas ? trop heureux Arginus, de ce que le héros de Tirynthe est honoré dans ce bois, et de ce qu'il veille de si près sur ces eaux amoureuses ! Arginus, puise, en toute sûreté, à la source pour nous en servir les eaux ; les nymphes ne t'enlèveront pas : mais prends garde qu'Hercule lui-même ne veuille te ravir.

XVI. A RÉGULUS.

Chez moi, pas une obole ; je n'ai plus, Régulus, qu'à vendre les présents que tu m'as faits : ne veux-tu pas les acheter ?

XVII. A LA BIBLIOTHÈQUE DE JULES MARTIAL.

Bibliothèque de cette délicieuse villa, d'où le lecteur aperçoit Rome dans les environs ; si, parmi des poésies d'un ordre plus élevé, il y a place pour ma muse folâtre, reçois, ne fût-ce que dans tes derniers rayons, ces sept livres que je t'adresse corrigés de la main de l'auteur : ces ratures surtout leur donnent du prix. Et toi, à qui je dédie ce modeste présent, toi que mes vers rendront célèbre dans le monde entier, protège ce gage de mon amitié, bibliothèque de Jules Martial.

XVIII. SUR GALLA.

Ta figure est charmante, une femme elle-même ne saurait en médire ; sur ton corps, pas une tache ; aussi tu es surprise d'exciter si rarement une passion, et des désirs nouveaux chez l'amant qui t'a déjà possédée. C'est que tu as un grand défaut, Galla. Toutes les fois que j'entame avec toi la douce affaire, et que nous agirons nos corps voluptueusement entrelacés, ton vagin fait grand bruit, et tu te tais. Plût aux dieux que tu parlasses et qu'il se tût ! je suis scandalisé de son babil. J'aimerais mieux entendre son voisin : cela, du moins, dit Symmachus, soulage et égaye tout à la fois. Mais qui jamais a pu rire aux gazouillements d'un impertinent vagin ? quand il se met à résonner, le galant le plus intrépide ne voit-il pas tomber chez lui le physique et le moral ? Dis au moins quelque chose, et crie plus haut que ton vagin criard : ou, si décidément tu es muette, que ce babil même t'apprenne à parler.

XIX. SUR UN DÉBRIS DU NAVIRE ARGO.

Ce débris, qui te semble un bois inutile et sans valeur, fut la première carène qui sillonna des flots inconnus. Ce que les écueils si dangereux de Cyane, ce que le courroux plus redoutable encore de la mer de Scythie n'ont pu détruire, autrefois, les siècles l'ont brisé ; mais bien que le navire ait cédé à la force du temps, cette petite planche est plus vénérable que ne serait le vaisseau entier s'il avait survécu.

XX. CONTRE SANCTRA.

Rien de plus misérable, de plus gourmand que Sanctra, lorsque, invité, il court à un repas bien ordonné, à l'affût duquel il était depuis tant de jours et tant de nuits ; il demande jusqu'à trois fois des cartilages, et quatre fois du filet de sanglier, les deux cuisses et les deux épaules d'un lièvre: il ne rougit pas de se parjurer pour une grive, et d'enlever les fibres livides des huîtres. Il salit sa serviette en y enveloppant des parts de gâteau ; il y fourre aussi des raisins conservés dans des vases de terre, quelques tranches de grenade, la peau difforme d'une vulve vidée, des figues qui suintent, et de flasques champignons. Lorsque déjà sa serviette rompt sous ses mille larcins, il place dans les plis échauffés de sa robe des os rongés et les restes d'une tourterelle dont on a mangé la tête. Il n'a pas honte de ramasser de sa longue main tous les détritus et ce que les chiens mêmes ont dédaigné. Mais une proie de bonne chère ne suffit pas à sa voracité, il remplit encore de vin mélangé une bouteille qu'il avait à ses pieds. Après avoir monté deux cents degrés, pour déposer chez lui ces provisions, il s'enferme avec sollicitude et à triple verrou dans son galetas, et notre glouton vend tout le lendemain.

XXI. SUR L'ANNIVERSAIRE DE LA NAISSANCE DE LUCAIN.

Voici le jour mémorable qui, témoin d'une naissance illustre, donna Lucain au monde, et à toi, Polla. Cruel Néron, aucune de tes victimes ne te rendit plus odieux; un tel forfait n'aurait pas dû être permis à ta fureur.

XXII. SUR LE MÊME SUJET.

Le jour à jamais illustré par la naissance d'un poète chéri d'Apollon, est enfin de retour: troupe des vierges d'Aonie, soyez favorable à nos sacrifices. C'est pour t'avoir donné à la terre,. ô Lucain, que le Bétis a mérité de mêler ses eaux à celles de Castalie.

XXIII. SUR LE MÊME SUJET, A PHÉBUS.

Viens, ô Phébus, mais avec toute la majesté que tu déployas lorsque tu donnas toi-même au chantre héroïque des guerres civiles la seconde lyre du Latium. Quel vœu formerai-je en un si grand jour ? ô PoIla, offre à l’ombre de ton époux de fréquents hommages, et que lui-même soit sensible au culte de ton amour.

XXIV. CONTRE UN MÉDISANT.

Langue perfide, qui cherche à me compromettre dans l'esprit de mon ami Juvénal, que n'oseras-tu pas inventer? Avec tes criminels mensonges, Oreste serait devenu l'ennemi de Pylade; Pirithoüs aurait cessé d'aimer son cher Thésée. Tu serais parvenue à diviser les deux frères siciliens, les Atrides, dont le nom est plus fameux encore, et les fils mêmes de Léda. Pour prix de tes mérites et de ton audace insigne, je souhaite, langue maudite, que tu fasses ce que tu fais sans doute.

XXV. CONTRE UN MAUVAIS POÈTE.

Avec tes épigrammes doucereuses, plus candides encore qu'une peau blanchie de céruse, sans le plus petit grain de sel, sans la moindre amertume ; sans une goutte de fiel, insensé, tu veux cependant qu'on te lise ! Les mets eux-mêmes n'ont pas de saveur s'il y manque une pointe de vinaigre : une jolie figure est sans charme, si le sourire n'y trace une fossette. Donne aux enfants des pommes douces comme le miel, ou de fades marisques ; pour moi, j’aime la figue âpre et piquante dé l'île de Chio.

XXVI. ENVOI D'UN SCAZON A APOLLINARIS.

Scazon, va visiter mon cher Apollinaris, et, s'il a quelque loisir, car il ne faut pas que tu sois importun, offre-lui, tels que les voilà, ces vers qui sont en partie son ouvrage : que la gaieté de ces poésies légères pénètre ses oreilles. Si tu vois qu'il te fasse un accueil franc et ouvert, demande-lui qu'il te soutienne de son crédit, de sa faveur. Tu sais combien il aime mes bagatelles ; je ne puis moi-même avoir plus d'affection pour toi. Si tu veux être à l'abri des traits de l'envie, Scazon, va visiter mon cher Apollinaris.

XXVII. SUR UN SANGLIER QUE LUI AVAIT ENVOYÉ DEXTER.

Destructeur du gland de la Toscane, sanglier que les nombreux fruits du chêne ont rendu si pesant, toi dont la renommée tient le second rang après le monstre d'Étolie, toi que mon ami Dexter a percé de son brillant épieu, te voilà sans vie devant mon foyer, où une telle proie fera bien des jaloux. Allons, que mes pénates noircis par la flamme s'embaument de ton fumet délicieux, et que le bois coupé sur la montagne brûle dans ma cuisine, comme en un jour de fête. Mais il faudra que mon cuisinier consomme une immense quantité de poivre, et qu'il prodigue le falerne et le garum qu'on met si mystérieusement en réserve. Retourne vers ton maître ; mon foyer est trop petit pour toi, sanglier, tu y jetterais le trouble ; j'ai faim à plus bas prix.

XXVIII. A FUSCUS.

Que ton bois de Tibur consacré à Diane croisse et repousse promptement, chaque fois que la cognée l'aura fait tomber ; que tes olives, ô Fuscus, ne le cèdent pas à celles que foulent les pressoirs de Tartessia et que tes cuves, immenses se remplissent d'excellent vin nouveau ; fais l’admiration du forum ; que le palais impérial retentisse de tes louanges, et que de nombreuses palmes décorent la double porte de ton logis. Pendant que le milieu de décembre te donne quelque loisir, parcours ce badinage ; et juge-le avec ce goût toujours sûr qui te distingue. Je veux savoir la vérité : la chose est épineuse ; mais toi, Fuscus, tu peux bien me dire ce que tu veux qu'on te dise à toi-même.

XXIX. AU JEUNE TESTILUS.

Testilus, tourment si doux de Voconius Victor, aimable enfant connu pour n'avoir pas au monde son égal, que ta beauté le charme toujours, même après le sacrifice de ta chevelure, qu'aucune jeune fille ne séduise le poète qui te chérit ; écarté un moment les doctes ouvrages de ton maître, pendant que je lis mes quelques vers à ton cher Victor. Lorsque Virgile chantait son Alexis à Mécène, celui-ci écoutait aussi Marsus célébrant la brune Melénis.

XXX. CONTRE CÉLIA.

Célia, tu te donnes aux Parthes, tu te livres aux Germains, tu t’abandonnes aux Daces, tu ne dédaignes ni la couche des Ciliciens, ni celle des habitants de la Cappadoce ; pour toi le galant de Memphis quitte la ville du Phare et traverse les flots ; pour toi le noir Indien oublie les bords de la mer Rouge ; tu ne repousses pas les avances des Juifs circoncis ; l'Alain, sur son cheval sarmate, te rend visite à son passage. Comment donc se fait-il qu'étant Romaine, tu ne trouves aucun charme aux caresses d'un Romain ?

XXXI. A RÉGULUS.

Ces oiseaux de la bruyante basse-cour, ces œufs de canes et de poules, ces figues de Chio, jaunies par une chaleur tempérée, ce jeune chevreau arraché à sa mère plaintive, ces olives déjà sensibles au froid, ces légumes blanchis par la neige des frimas ; tu penses que tout cela te vient de ma maison de campagne ? O Régulus, quel soin tu mets à te tromper ! mes champs ne portent rien que moi-même. Tout ce que t'envoient ton fermier Ombrien et ton métayer, ta campagne située à trois milles de Rome, tes cultivateurs de la Toscane et de Tusculum, tout cela, dis-je, naît pour moi dans le marché de Suburra.

XXXII. A. ATTICUS.

Atticus, noble rejeton d'une famille éloquente dont tu renouvelles la gloire ; toi qui ne laisses pas s'éteindre dans l'oubli une illustre maison, tu vois à tes côtés la foule pieuse des sectateurs de la Minerve cécropienne ; tu es l'ami de tous ceux qui aiment la solitude et la sagesse, tandis que les autres jeunes gens ont les oreilles rebattues des leçons d'un gymnaste qui les frotte d'une huile sale et leur vole leur argent. La paume, le ballon, la pelote rustique, ou des coups inoffensifs dirigés contre un piquet nu, ne sont pas pour toi les préparatifs d'un bain ; tu ne vas pas, le corps graissé d'huile et de cire, opposer au lutteur des bras contournés ; tu n'enlèves pas à la volée la balle poudreuse : mais tu te livres à la course près des eaux limpides de la fontaine Virginale ou près de l'endroit où le Taureau brûle d'amour pour la fille du roi de Sidon. S'adonner aux divers exercices dont le gymnase s'est fait l'esclave, lorsqu'on peut courir en liberté, c'est de la paresse.

XXXIII. CONTRE CINNA.

Ta toge est plus sale que la boue, et ta chaussure plus blanche que la neige qui vient de tomber, Cinna ; pourquoi donc, sot que tu es, laisses-tu traîner ton vêtement sur tes pieds ? Retrousse ta toge, Cinna, ou c'en est fait de tes souliers.

XXXIV. A SÉVÈRE, SUR CHARINUS.

Sévère, tu me demandes comment il est possible que Charinus, le plus méchant des hommes, ait fait une seule chose de bien? Je vais te le dire, et à l'instant même : quoi de plus mauvais que Néron ? quoi de meilleur que les thermes de cet empereur ? Mais j'entends un de nos esprits caustiques me dire avec aigreur : Préfères-tu les monuments de Néron à tant d'autres de notre maître, de notre dieu? Je préfère les thermes de Néron aux bains d'un pédéraste.

XXXV. A LECANIA.

Ton esclave se tient debout près de toi, les parties enveloppées d'une ceinture de cuir noir, chaque fois que ton corps se plonge tout entier dans un bain chaud. Mon esclave, Lecania, pour ne rien dire de moi, n'a point ce lourd appareil juif à cacher sous une peau. Cependant, jeunes et vieux se baignent tout nus avec toi. Ton esclave serait-il seul réellement bien membré ? Est-ce qu'en chaste matrone, tu fréquentes les lieux écartés affectés aux femmes et que tu y laves, loin de tous les regards, tes charmes secrets dans une eau qui coule pour toi seule ?

XXXVI. A STELLA.

La maison de campagne, hors d'état de supporter les pluies et l'humidité du ciel, nageait en ruines au milieu des eaux pluviales de l'hiver ; alors, pour me prémunir contre un déluge subit, tu m'as fait présent d'une quantité considérable de tuiles. Voici que décembre, hérissé de frimas, fait entendre les sifflements de Borée ; Stella, tu couvres la maison de campagne, tu ne couvres pas le propriétaire.

XXXVII. A CASTRICUS, SUR LE THÊTA.

Connais-tu, Castricus, le signal de mort que donne le questeur ? Il est assez important de connaître ce nouveau thêta. Toutes les fois que notre homme essuyait son nez que le froid faisait couler comme une rosée, ce geste, d'après ses ordres, était un arrêt de mort. Une roupie dégoûtante pendait de ce nez odieux, un jour que la bise humide de décembre soufflait avec fureur, ses collègues lui retinrent les mains : en un mot, Castricus, le misérable ne put pas se moucher.

XXXVIII. A POLYPHÈME.

Polyphème, esclave de mon ami Sévère, tu es si grand et si bien bâti, que le Cyclope lui-même serait forcé de t'admirer. Mais Scylla n'est pas moins énorme: qu'on accouple ces deux monstres, et l'un deviendra l'effroi de l'autre.

XXXIX. SUR CELIUS. Les pas multipliés, les courses nombreuses qu'exigent les compliments du matin, l'orgueil et le bonjour dédaigneux des grands déplaisaient fort à Célius, qui, pour se soustraire à ces ennuis, feignit d'avoir la goutte. Mais à force de donner la fiction pour la réalité, à force d'envelopper de liniments et de liens ses pieds d’abord sains, à force de marcher d'un pas difficile, ô soin merveilleux ! ô prodige de l'art d'imiter la douleur ! Célius n'eut plus besoin de feindre qu'il avait la goutte.

XL. ÉPITAPHE D'ETRUSCUS LE PÈRE.

Ci-gît un vieillard bien connu à la cour impériale, qui supporta avec dignité la faveur et la disgrâce qu'il dut à notre dieu ; la piété filiale a réuni son ombre à l'ombre sacrée d'une épouse : ils habitent tous deux les bosquets de l'Élysée. La femme mourut la première, moissonnée à la fleur de son âge ; le mari vit s’écouler environ dix-huit olympiades. Mais à l'aspect de tes larmes, Etruscus, chacun put croire que ton père t'avait été enlevé par une mort prématurée.

XLI. A SEMPRONIUS TUCCA.

Tu crois être cosmopolite, Sempronius Tucca; mais les biens et les maux, Sempronius, sont aussi cosmopolites.

XLII. A CASTRICUS.

Que celui qui veut lutter avec toi de libéralité, Castricus, ose aussi lutter de talent poétique. Pour nous, inférieurs à ce double égard et prêts à te céder la victoire, nous aimons à goûter un doux sommeil, un profond repos. Aussi tu vas me demander pourquoi je t'ai donné de si mauvais vers ? Penses-tu que jamais personne n'offrit de fruits à Alcinoüs ?

XLIII. CONTRE CINNA.

Tu commences, Cinna, par m'accorder ce que je te demande, et tu finis bien vite par me refuser. J'aime celui qui rend service ; je ne hais pas celui qui refuse : mais toi, Cinna, tu ne sais ni donner, ni refuser à propos.

XLIV. SUR. LE BUSTE DE MAXIMUS CÉSONlUS A Q. OVIDE.

Ovide, le voilà ce Maximus Césonius ton ami, dont la cire vivante conserve encore les traits. Néron te condamna, mais tu osas condamner Néron, et subir avec le proscrit un arrêt qui n'était pas le tien. Compagnon généreux, tu franchis avec l'exilé les écueils de Scylla, toi qui naguère avais refusé de suivre le consul. Si les noms cités dans mes vers doivent passer à la postérité, et s'il m'est permis de survivre à ma cendre, le siècle présent et l'avenir sauront que tu montras pour Césonius le même dévouement qu'il témoigna lui-même à son cher Sénèque.

XLV. SUR LE MÊME SUJET.

Le voilà ce Maximus, cet ami puissant de l'éloquent Sénèque, qui l'aimait moins que Carus, mais plus que Serenus, et auquel il adressa tant de fois les pages précieuses de ses lettres. Tu l'as suivi sur les mers de Sicile, Ovide, toi que doivent célébrer toutes les bouches, parce que tu as bravé la fureur d’un despote en délire. Que l'antiquité admire son Pylade, compagnon inséparable d'un ami que sa mère contraignit à l'exil. Les périls sont-ils à comparer entre vous deux ? Tu accompagnas fidèlement un proscrit de Néron.

XLVI. A PRISCUS.

En voulant, par des vers, rehausser à mes yeux la valeur de ton cadeau, et, t'exprimer avec plus d'élégance que le chantre de Méonie, tu te mets, tu me mets moi-même, pendant plusieurs jours, à la torture, et ta muse, Priscus, se complaît à mes dépens. Adresse aux riches des poèmes et des élégies bien ronflantes : fais aux pauvres des présents plus réels.

XLVII. A LICINIUS SURA.

Licinius Sura, toi le plus célèbre de nos érudits, toi dont l'éloquence antique rappelle le langage si mâle de nos aïeux, quel bienfait inappréciable du destin te rend à nos vœux, lorsque déjà tes lèvres effeuraient l'eau du Léthé ? Déjà l'incertitude n'était plus permise à nos cœurs : trop sûrs de ton infortune, nous versions sur ton sort les larmes de la tristesse ; et déjà tout à nos yeux était fini pour toi. Mais le souverain du silencieux Averne n'osa pas affronter notre haine, et rendit lui-même aux Parques les fuseaux qu'il leur avait ravis. Ainsi tu sais que de regrets le faux bruit de ta mort avait causés parmi les hommes, et d'avance tu jouis de ta postérité. Vis donc de cette existence dérobée au trépas et cueille des plaisirs trop fugitifs : la vie à laquelle tu reviens n'aura pas perdu un seul jour.

XLVIII. A ANNIUS.

Annius, qui a peut-être deux cents tables, a autant d'esclaves pour les servir ; aussi les mets et les plats ne font-ils que paraître et disparaître. Riches, gardez pour vous de pareils festins : pour moi c'est un tourment qu'un repas ambulatoire.

XLIX. A SÉVÈRE.

Sévère, je t'envoie ces produits modestes de mon jardin du faubourg : des œufs pour ton gosier, des fruits pour ta bouche.

L. A LA FONTAINE D'IANTHIS.

Fontaine, si chère à ta maîtresse Ianthis, reine de son magnifique séjour, sa gloire et ses délices ; lorsque ta rive est ornée d'une foule de jeunes esclaves plus blancs que la neige ; lorsque tes ondes limpides reflètent cet essaim de nouveaux Ganymèdes, que fait Alcide dans ce bois qui lui est consacré ? pourquoi ce dieu habite-t-il une grotte si voisine de tes eaux ? Surveille~t-il les nymphes dont les amours lui sont connus, et veut-il s'opposer à un autre enlèvement d'Hylas si nombreux ?

LI. A URBICUS.

Si tu ne veux pas, Urbicus, te donner le souci d'acheter mes bagatelles, et si pourtant tu désires connaître le badinage de ma muse, va trouver Pompeius Auctus; il t'est connu peut-être ? il demeure sous le péristyle de Mars Vengeur. Imbu de la science du droit, et rompu à tous les usages de la toge, ce n'est point un de mes lecteurs, Urbicus, c'est mon livre lui-même ! Il se rappelle et répète, en mon absence, si souvent mes vers, qu'il n'en omet pas une seule lettre. Enfin, s'il en avait l'envie, il pourrait passer pour en être l'auteur; mais il préfère s'occuper du soin de ma renommée. Pourvu que tu ne viennes le relancer que vers la dixième heure, car il n'est réellement libre qu'à ce moment, un petit couvert sera aussitôt dressé pour vous deux. Il lira, tu boiras : et malgré que tu en aies, il déclamera; et quand tu lui auras dit : Assez ! assez ! il lira toujours.

LII. A AUCTUS.

Auctus, je suis charmé que tu lises mes ouvrages à Celer, si toutefois cette lecture lui fait plaisir. Il a été, dans ma patrie, gouverneur des Celtibériens, et jamais vertu plus pure ne brilla dans notre hémisphère. Le respect dû à un si grand homme m'impose ; et il me semble que ses oreilles ne sont pas celles d'un auditeur, mais d'un juge.

LIII. CONTRE UMBER.

Umber, tu m'as envoyé, pour les Saturnales, tous les présents que t'avaient produits ces cinq jours : une douzaine de tablettes à trois feuillets, sept cure-dents; et, pour les accompagner, une éponge, une happe, un gobelet, un demi-boisseau de fèves, un panier d'olives du Picenum, et une bouteille noire de vin cuit de Lalétanie ; puis de petites figues de Syrie avec des prunes blanches, et un vase tout plein de figues de Libye. Ces présents, qui, en totalité, je pense, valaient à peine trente sesterces, me furent apportés par huit Syriens de haute stature. N'eût-il pas été plus commode de me faire remettre, sans tant de peine, cinq livres d'argent par un de tes esclaves?

LIV. CONTRE NASIDIENUS.

Chaque matin, tu me racontes, à mon sujet, des rêves infaillibles propres à émouvoir et à inquiéter mon esprit. Déjà le vin de ma précédente récolte, celui même de cette année, a été employé jusqu'à la lie, depuis qu'une sorcière conjure en ma faveur les fantômes de tes nuits. J'ai épuisé des monceaux de farine, de sel et d'encens; mes troupeaux sont dépeuplés par le sacrifice si souvent répété de mes brebis. Il ne me reste ni un porc, ni une volaille de basse-cour, ni un œuf. Veille donc, Nasidienus, ou rêve pour ton propre compte.

LV. CONTRE CHRESTUS.

Si tu ne fais de cadeaux à personne, en échange de ceux que tu reçois, Chrestus; si tu ne m'envoies rien par avance, ou en retour de mes présents , je te supposerai encore assez de libéralité. Mais si tu rends quelque chose à Apicius, et à Lupus, et à Gallus, et à Titius, et à Gellius, il te faut appliquer aussi ta langue libertine, non pas sur mon priape (car il est pur, et n'a pas, d'ailleurs, d'assez belles proportions), mais sur celui d'un juif échappé de Solyme en cendres, et qui vient d'être soumis à un impôt.

LVI. A RABIRIUS.

Ta pensée, Rabirius, embrassa le ciel et les astres, lorsque tu élevas, avec un art si merveilleux, l'édifice du mont Palatin. Si Pise veut quelque jour placer le Jupiter de Phidias dans un temple digne de lui ; c'est au dieu puissant de notre empire qu'elle devra demander ces mains si habiles.

LVII. SUR ACHILLAS.

Gabinie a transformé Achillas en Castor de Pollux qu'il était : après avoir été Pixagathos, il sera maintenant Hippodamus.

LVIII. A GALLA.

Déjà, Galla, tu as épousé six ou sept pédérastes, séduite par leur chevelure, par leur barbe artistement peignée. Bientôt, convaincue de la faiblesse de leurs reins, de la mollesse de leur priape, aussi flasque qu'un cuir mouillé, et que ta main se lassait vainement à rendre plus ferme, tu as renoncé à ces galants sans vigueur, à ces maris blasés: cependant ton lit redevient encore le théâtre de ces mêmes amours. Cherche donc quelqu'un qui parle sans cesse des Curius et des Fabius, qui ait le poil hérissé, l'air rustique, dur, farouche. Tu en trouveras ; mais cette espèce sauvage a aussi ses damoiseaux : il est difficile, Galla, d'épouser un homme qui le soit réellement.

LIX. SUR CÉCILIANUS.

Titus, notre ami Cécilianus ne soupe jamais sans un sanglier. Cécilianus a là un beau convive.

LX. A JUPITER CAPITOLIN.

Souverain vénérable du palais tarpéien, toi que nous reconnaissons pour le maître du tonnerre au soin que tu prends du salut de l'empereur, lorsque chacun te fatigue de ses vœux, et te prie de lui donner ce que vous pouvez accorder, vous autres dieux ; si je ne te demande rien pour moi, ne t'offense pas, Jupiter, et ne m'accuse pas d'orgueil : mon devoir est de t'invoquer pour César, et de prier César pour moi.

LXI. A CÉSAR LE GERMANIQUE.

L'audacieux boutiquier s'était emparé de Rome entière, et l'abord de son échoppe rendait inabordable le seuil de toutes les maisons. O Germanique, tu as fait élargir les voies trop étroites, et ce qui naguère n'était qu'un sentier est aujourd'hui une rue. On ne voit plus de piliers entourés de bouteilles enchaînées, et le préteur n'est plus contraint de marcher au milieu de la boue. Le rasoir aveugle du barbier ne se promène plus çà et là sur la foule entassée, et de noirs cabarets ont cessé d'obstruer la voie publique. Barbier, aubergiste, rôtisseur, boucher, chacun a son chez lui. Rome existe à présent ; ce n'était autrefois qu'une boutique immense.

LXII. CONTRE AMILLUS.

Amillus, tu laisses les portes ouvertes pour caresser tes mignons de belle taille, et tu veux qu'on te surprenne dans cet exercice, de peur de faire jaser tes affranchis, les esclaves de ta famille et quelque client dangereux par sa mauvaise langue. Amillus, celui qui, en pareil cas, prend des témoins pour faire voir qu'il n'est pas le patient, fait souvent ce qui se fait sans témoin.

LXIII. SUR SILIUS ITALICUS.

O toi, qui lis les ouvrages impérissables de l'immortel Silius, et ses vers si dignes de la toge romaine, tu crois peut-être que ce poète n'aima jamais que les retraites consacrées aux Muses, et les couronnes de lierre des vierges d'Aonie ? Mais avant de chausser le cothurne sacré de Virgile, il avait parcouru la carrière où s'illustra l'éloquent Cicéron. Aujourd'hui il est encore admiré des centumvirs à la haste pesante, et plus d'un client ne parle de lui qu'avec reconnaissance. Après avoir gouverné Rome avec l'insigne des douze faisceaux durant l’année sacrée que signala l'affranchissement de l'univers, il consacra aux Muses et à Phébus ses jours émérites, et l'Hélicon est maintenant le barreau qu'il fréquente.

LXIV. CONTRE CINNAMUS.

Après avoir été barbier, fort connu dans Rome entière, en suite devenu chevalier par l'influence d'une maîtresse, aujourd'hui, Cinnamus, tu as gagné les villes de la Sicile et le majestueux Etna, pour échapper aux tristes poursuites de la justice. Quel art peut maintenant rendre supportable à ta nullité le poids des années ? Que vas-tu faire au sein de ta malheureuse et fugitive tranquillité ? Tu ne saurais être ni rhéteur, ni grammairien, ni maître d'école, ni philosophe cynique ou stoïcien ; tu ne peux vendre aux Siciliens ton éloquence, ni tes applaudissements aux théâtres ; une ressource te reste, Cinnamus, c'est de redevenir barbier.

LXV. CONTRE GARGILIANUS.

Depuis deux fois dix hivers, Gargilianus, un seul procès jugé dans trois tribunaux te mine et te consume. Malheureux et insensé, celui qui plaide pendant vingt ans pour un procès, qu'il lui est si facile de perdre !

LXVI. SUR LABIENUS.

Fabius a institué Labienus son légataire universel ; toutefois Labienus prétend qu'il a mérité plus encore.

LXVII. CONTRE PHILÉNIS.

La tribade Philénis prend par derrière de jeunes garçons, et plus furieuse qu'un mari dans son ardeur lubrique, en un seul jour, elle dévore de caresses infâmes onze jeunes filles. Retroussée jusqu'à la ceinture, elle joue a la balle ; et le corps frotté de la poussière jaune des lutteurs, elle lance d'un bras souple et vigoureux les pesantes masses de plomb dont se servent les athlètes ; après la lutte, inondée de poussière et de boue, elle se fait flageller par les mains huileuses du maître des jeux : jamais elle ne soupe ! jamais elle ne se couche sur le lit du festin avant d'avoir vomi sept mesures de vin pur ; et elle se croit le droit d'en avaler encore autant lorsqu'elle a mangé seize de ces pains apprêtés pour les lutteurs. Puis enfin, lorsqu'elle se livre à ses ébats libidineux, elle ne caresse pas de sa langue le priape masculin, volupté qu'elle croit peu digne de son rôle d'homme ; mais elle dévore avec frénésie les charmes secrets des jeunes filles. Que les dieux, Philénis, te rendent le bon sens, si tu crois que l'homme doit employer sa langue aux jouissances de la femme.

LXVIII. A INSTANTIUS RUFUS.

Garde-toi, je t'en prie, Instantius Rufus, de recommander mes poésies à ton beau-père : peut-être n'aime-t-il que les choses sérieuses. Si jamais, lui aussi, il approuvait mes écrits licencieux, alors je pourrais lire mes vers à un Curius et à un Fabricius.

LXIX. A CANIUS, SUR THÉOPHILA.

La voici, Canius, cette Théophila qui t'est promise, et dont l’esprit est orné des chefs-d'œuvre de la littérature attique. L'illustre vieillard des jardins d'Académus la réclamerait à bon droit pour disciple et la secte des stoïciens ne mettrait pas moins d'empressement à la proclamer son élève. L'immortalité est réservée à tous les ouvrages que tu auras soumis à l'oreille judicieuse de Théophila ; tant elle est au-dessus de son sexe et du vulgaire ! Que ta Panténis n'ait garde de lui disputer la prééminence, bien que Panténis soit connue avec avantage du chœur des filles de Pierius. L'amoureuse Sapho donnerait des éloges aux vers de Théophila : moins chaste que sa rivale, Sapho n'eut pas plus de génie.

LXX. CONTRE PHILENIS.

Tribade des tribades, Philénis, la femme avec laquelle tu fais l'homme est celle que tu crois devoir appeler ta maîtresse.

LXXI. SUR UNE FAMILLE QUI AVAIT DES FICS.

La femme a des fics, le mari lui-même a des fics, la fille a des fics, le gendre et le petit-fils en ont également. Intendant, métayer, journalier rustique, laboureur, tous sont dévorés de ce honteux ulcère. Jeunes et vieux, tous ont des fics ; et, chose étonnante ! pas un de leurs champs n'a de figuiers.

LXXII. A PAULLUS.

Paullus, que pour toi décembre soit le mois le plus agréable ; qu'il ne t'apporte pas de misérables tablettes à trois feuillets, des serviettes écourtées, ou de mesquines demi-livres d'encens ; mais qu'un riche accusé ou un ami puissant t'envoie la vaisselle de prix ou les vastes coupes de nos aïeux, ou enfin tout ce qui peut te plaire et te charmer. Puisses-tu gagner aux échecs Novius et Publius, et les faire échec et mat ! Que la palme du trigone, que l'on dispute nu, te soit accordée par la justice impartiale de la galerie des lutteurs frottés d'huile, et que l'adresse de ta main gauche obtienne plus d'éloges que celle de Polybius. Si quelqu'un, par méchanceté, m'attribue des vers infectés d'un noir venin, élève, je te prie, la voix pour me défendre ; et, tant que tu le pourras, crie toujours et toujours : mon cher Martial n'a point écrit ces infamies.

LXXIII. A MAXIMUS.

Tu as une maison aux Esquilies, une deuxième sur la colline de Diane, une troisième dans le quartier des patriciens : d'un côté, tu as vue sur le temple de Cybèle, veuve du jeune Atys; de l'autre, sur le sanctuaire de Vesta ; d'ici sur le nouveau, de là sur l'ancien Capitole. Dis-moi où je pourrai te rejoindre ? où je dois te chercher ? Celui qui habite partout, Maximus, n'habite nulle part.

LXXIV. VOEU POUR CARUS ET NORBANA.

Honneur du mont Cyllène et de l'empyrée, éloquent messager des dieux, toi dont la main porte la verge d'or qu'enlacent deux serpents à la peau verdâtre, puisses-tu ne jamais manquer l'occasion d'un amoureux larcin, soit que la déesse de Paphos excite tes désirs, soit que tu brûles pour Ganymède ! Que les ides de ta mère se parent de rameaux sacrés, et que ton vieil aïeul trouve léger le fardeau qui l'accable ; que Norbana et Carus, son époux, célèbrent sans cesse, avec une joie nouvelle, ce jour où le lit nuptial les reçut pour la première fois. Prêtre religieux, Carus présente ses offrandes à la sagesse : il t'invoque et brûle pour toi de l'encens, sans pour cela être infidèle à notre Jupiter.

LXXV. CONTRE UNE FEMME VIEILLE ET LAIDE.

Tu prétends jouir gratis des plaisirs de l'amour, bien que tu sois vieille et laide. C'est le comble du ridicule : tu veux et tu ne veux pas donner.

LXXVI. A PHILOMUSUS.

Il est vrai que les grands s'arrachent ta personne pour leurs festins, leurs palais, le théâtre ; chaque fois qu'ils te rencontrent, ils se plaisent à te faire monter dans leur litière, et à se baigner avec toi ; mais ne va pas être trop fier de ces faveurs. Tu les divertis, Philomusus, mais ils ne t'aiment pas.

LXXVII. CONTRE TUCCA.

Tu exiges, Tucca, que je te donne mes ouvrages. Je n'en ferai rien : car tu veux les vendre, et non les lire.

LXXVIII. CONTRE PAPILUS.

Tandis qu'on te sert la queue d'un poisson de Saxetum, et que des fèves sans assaisonnement forment tes meilleurs repas ; tu envoies en présent des tétines de truie, du sanglier, du lièvre, des champignons, des huîtres , des surmulets, c'est là, Papilus, n'avoir ni raison ni goût.

LXXIX. A SEVERUS.

J'ai bu dernièrement du vin consulaire. Tu me demandes s'il était vieux, s'il était généreux ? Le consul lui-même l'avait mis en bouteille, et, Severus, c'était le consul lui-même qui nous le versait.

LXXX. A FAUSTINUS, POUR QU'IL ENVOIE A MARCELLINUS LES OUVRAGES DU POETE.

Aujourd'hui que Rome laisse respirer en paix les peuples du Nord et que les trompettes guerrières ont cessé de retentir, il te sera facile, Faustinus, de faire passer ce livre à Marcellinus, qui déjà a retrouvé quelques heures pour les lettres et les plaisirs. Toutefois, si tu veux donner plus de prix au léger présent de ton ami, fais porter mes vers par un jeune esclave, non pas de ceux qui, saturés du lait des vaches de la Gétie, jouent avec le trochus sarmate sur leurs fleuves glacés ; mais prends un de ces adolescents au teint de rose, acheté à un marchand d'esclaves de Mitylène; prends un Lacédémonien qui n'aura pas encore reçu, par l'ordre de sa mère, la flagellation à l'autel de Diane. Pour moi, je t'enverrai un esclave né sur les bords de l'Ister asservi, et qui pourra faire paître tes troupeaux de Tibur.

LXXXI. A LAUSUS.

Il y a dans tout ce livre, trente mauvaises épigrammes. Ah ! Lausus ! s'il y en a autant de bonnes, le livre est bon.

LXXXII. SUR MÉNOPHILE.

Le priape de Ménophile est enfermé dans un étui si vaste qu'il suffirait seul à tous les comédiens ensemble. J'avais pensé (car souvent nous nous baignons de compagnie) qu'il usait ainsi de précaution pour conserver sa voix : mais dernièrement, Flaccus, au moment où, en présence du peuple, il s'exerçait à la palestre, son étui se détache et tombe ; le malheureux était circoncis.

LXXXIII. SUR EUTRAPELUS.

Pendant que le barbier Eutrapelus promène son rasoir sur le visage de Lupercus, et qu'il l'épile avec soin d'un côté, la barbe repousse de l'autre.

LXXXIV. A SON LIVRE.

Tandis qu'on fait mon portrait pour Cécilius Secundus, et que la toile s'anime : sous un habile pinceau, va, mon livre, à l'île de Peucé dans le pays des Gètes, cours aux rives silencieuses de l'Ister ; c'est là, au milieu des nations soumises au vainqueur, que réside Cécilius. Tu lui offriras mon présent modeste, mais précieux pour sa tendre amitié ; mes traits se peindront dans mes vers d'une manière plus sûre encore. Ni les accidents, ni le temps même ne pourra les effacer : ils vivront, lorsque l'œuvre de mon Apelle ne sera déjà plus.

LXXXV. A SABELLUS.

Tu fais avec esprit plus d'un quatrain ; tu tournes agréablement quelques distiques ; je t'en félicite, Sabellus, mais sans en être surpris : il est facile d'écrire élégamment mainte épigramme ; mais composer un livre, voilà le difficile.

LXXXVI. CONTRE SEXTUS.

Tu m'invitais au repas de l'anniversaire de ta naissance, alors, Sextus, que je n'étais point ton ami. De grâce, qu'est-il arrivé, qu'est-il survenu tout à coup, pour qu'après tant de gages réciproques d'amitié, après une liaison de tant d'années, je me sois vu oublié, moi, ton vieux camarade ? Ah ! j'en sais bien le motif : je ne t'ai envoyé ni une livre d'argent de coupelle espagnol, ni une toge légère, ni une lacerne d'étoffe plus grosse : fi de la sportule qui devient une spéculation de commerce ! Tu demandes des présents, Sextus, et non pas des amis. Mais tu vas me dire : Je châtierai l'esclave chargé de faire mes invitations.

LXXXVII. SUR LUI-MÊME.

Si Flaccus, mon ami, se plaît à avoir une chouette aux longues oreilles ; si Canius est heureux de posséder un noir Éthiopien ; si Publius témoigne le plus tendre attachement pour une petite chienne; si Cronius aime un singe qui lui ressemble ; si l'ichneumon redoutable (au serpent et au crocodile) fait l'amusement de Marius ; et toi, Lausus, si la pie qui te salue te cause tant de plaisir; si Glacilla lie autour de son cou un serpent glacé ; si Thelesina fit ériger un tombeau à son rossignol ; pourquoi le témoin des goûts bizarres de ses maîtres, n'aimerait-il pas la figute gracieuse de Labyca, qu'envierait Cupidon lui-même ?

LXXXVIII. SUR SES OUVRAGES.

Si j'en crois les bruits de la renommée, Vienne, la belle, fait, dit-on, ses délices de mes ouvrages. Là, chacun me lit, vieux, jeunes, enfants, et même la chaste épouse en présence de son mari timoré. Ce triomphe est pour moi plus flatteur que si mes vers étaient chantés par ceux qui boivent, à la source même, les eaux du Nil ; que si le Tage, ce fleuve de ma patrie, versait pour moi tout l'or de l'Espagne ; que si l'Hybla et l'Hymette prodiguaient à mes abeilles leurs sucs nourriciers. Je suis donc quelque chose, et le murmure d'une langue adulatrice ne m'abuse point : je vois, Lausus, qu'il me faut désormais ajouter foi à tes paroles.

LXXXIX. ENVOI D'UNE COURONNE DE ROSES A APOLLINARIS.

Va, rose fortunée, va ceindre de tes contours délicats la chevelure de mon cher Apollinaris. Souviens-toi de la couronner longtemps encore après qu'elle aura blanchi, et sois toujours la fleur bien aimée de Vénus.

XC. A CRETICUS.

Mathon publie partout que mon ouvrage est inégal : s'il dit vrai, c'est un éloge que Mathon donne à mes vers. Calvinus et Umber composent des œuvres d'une égalité soutenue. Creticus, un style égal indique qu'un livre est mauvais.

XCI. A JUVÉNAL.

Eloquent Juvénal, je t'envoie, pour tes Saturnales, ces noix cueillies dans mon jardin. Le dieu libertin qui le garde a donné mes autres fruits aux jeunes filles amoureuses.

XCII. CONTRE BACCARA.

Si tu as besoin de quelque chose, tu sais qu'il n'est pas nécessaire de me prier ; voilà ce que tu me dis, deux ou trois fois par jour, Baccara. L'impitoyable Secundus me réclame durement ce que je lui dois ; tu l'entends, Baccara, mais tu ignores ce dont j'ai besoin. On exige en ta présence, à haute voix et sans mystère, le payement de mon loyer ; tu l'entends, Baccara, mais tu ignores ce dont j'ai besoin. Je me plains de ce que mes lacernes en lambeaux m'exposent à toute la rigueur du froid ; tu l'entends, Baccara, mais tu ignores ce dont j'ai besoin. J'ai besoin qu'une paralysie subite frappe ta langue, Baccara, afin que tu ne puisses plus me dire : De quoi as-tu besoin ?

XCIII. A LA VILLE DE NARNIA.

Narnia, toi qu'un fleuve à l'écume blanchâtre entoure de ses abîmes sulfureux, toi dont un double mont semble fermer l'accès ; quel plaisir prends-tu donc à m'enlever si souvent mon cher Quintus, et à le retenir si longtemps ? Pourquoi m'ôter tout l'agrément de ma villa de Nomente, que le voisinage d'un ami me rendait si précieuse ? De grâce, un peu de pitié, Narnia, n'abuse pas du privilége de posséder Quintus ; à cette condition, jouis à perpétuité du pont qui relie tes deux montagnes.

XCIV. SUR PAPILUS.

C'était du parfum que renfermait tout à l'heure ce petit vase d'albâtre ; Papilus l'a flairé : c'est maintenant de la saumure fétide.

XCV. CONTRE LINUS.

L'hiver est venu, et décembre se hérisse de glace ; cependant Linus, tu as l'impudence d'arrêter dans les rues tous ceux que tu rencontres, pour leur appliquer un baiser plus froid que la neige, et il faut que Rome entière passe par tes embrassements. Quelle vengeance plus terrible, plus cruelle, pourrais-tu exercer, si l'on t'avait battu, roué de coups ? Par un froid semblable, je ne voudrais ni recevoir les baisers de ma femme, ni sentir les petites lèvres caressantes de ma fille en bas âge. Mais toi, plus aimable, plus raffiné, tu embrasses toujours, malgré la roupie glaciale qui pend à tes narines de chien, malgré ta barbe aussi rude que celle d'un bouc du Cinyphus, tondu par les ciseaux recourbés d'un chevrier cilicien. J'aimerais mieux rencontrer une centaine de débauchés à la langue libertine, et je redouterais moins un prêtre de Cybèle qui viendrait de subir la mutilation. Si donc il te reste encore un peu de bon sens, et de pudeur, Linus, je t'en conjure, ajourne au mois d'avril tes baisers d'hiver.

XCVI. EPITAPHE DE L'ENFANT URBICUS.

Je repose en ce lieu, moi, l'enfant que pleure Bassus ; moi, Urbicus, ainsi nommé par la reine des cités, par Rome à qui je dois le jour. Il me manquait six mois pour avoir trois ans, lorsque les déesses impitoyables tranchèrent le fil, hélas ! trop court de ma vie. A quoi m'ont servi mes grâces naïves, mon langage enfantin et mon âge si tendre ? Verse des larmes sur ma tombe, toi qui lis cette inscription. Puisse celui à qui tu souhaiteras des jours plus longs que les tiens, ne descendre aux rives ou Léthé, qu'après avoir passé l'âge de Nestor !

XCVII. A SON LIVRE, SUR CESIUS SABINUS.

Mon petit livre ! si tu connais bien Césius Sabinus, l'honneur de l'Ombrie, ce pays de montagnes, Sabinus le compatriote de mon cher Aulus Pudens, offre-lui ces poésies, fût-il même occupé. Malgré les mille soins qui le pressent et l'assiègent, il trouvera bien quelques instants à donner à mes vers; car il me chérit, et il me lira le premier après les œuvres célèbres, de Turnus. Quelle renommée, quelle gloire vont devenir mon partage ! Pour moi que de lecteurs enthousiastes ! Les festins, le Forum, les maisons, les carrefours, les Portiques et les boutiques, ô mon livre, vont retentir de ton nom. Envoyé à un seul homme, tu seras lu de tout le monde.

XCVIII. A CASTOR.

Castor, tu achètes tout : c'est le moyen de tout vendre.

XCIX. A CRISPINUS.

Crispinus, que le maître du tonnerre te montre un visage toujours serein ; que Rome t'aime à l'égal de, Memphis, ta patrie, si mes vers sont lus à la cour impériale : car, d'ordinaire, ils jouissent de l'oreille sacrée de César. Lecteur bienveillant, ose lui dire de moi : ce poète contribue à la gloire de ton règne ; il n'est pas trop inférieur à Marsus et au docte Catulle. Ces mots suffiront, : j'abandonne le reste au dieu de l'empire.

C. A PONTICUS.

Ponticus, tu es sans cesse chez les grands, et là tu passes tout en revue ; sans doute tu poursuis des projets importants, Ponticus; tu es un grand homme. Ponticus, si tu fais certaines choses, tu les fais sans témoin, et loin de la foule ; tu admets peu de gens dans ta confidence, Ponticus; tu es un homme de précaution. Ponticus, la nature t'a fait un modèle de beauté ; tu étais digne d'Hélène, Ponticus ; tu es un bel homme. Ponticus, ta voix pourrait attendrir le diamant ; rien de si doux que tes accents, Ponticus tu es la douceur même. Ponticus, c'est ainsi que les autres et toi-même vous êtes le jouet d'une erreur ; veux-tu que je te dise la vérité, Ponticus? tu es un homme nul.

CI. SUR UNE VIEILLE.

Tu plais à qui te touche, tu plais à qui t'entend ; pour qui ne te voit pas, tu plais complétement : mais dès qu'on t'a vue, tu ne plais d'aucune manière.

CII. SUR MILON.

Milon n'est pas chez lui ; pendant qu'il voyage, ses champs restent en friche, mais sa femme n'en est pas moins féconde. Pourquoi ses terres sont-elles stériles ? pourquoi sa femme a-t-elle des nourrissons ? Je vais vous le dire : la culture manque au jardin, mais la femme est bien cultivée.

NOTES SUR LES EPIGRAMMES


LIVRE PREMIER.

 

EPITRE. Quum salva, etc. Ce n'est pas seulement ici que Martial fait cette profession de foi; il dit aussi, h la fin de l'epigramme xxxiii du livre X, qu'il s'est fait une loi d' épargner les persopnes, et de n'attaquer que les vices.

Sic scribit Catullus, sic Marsus, sic Pedo, sic Getulicus. Le premier de ces quatre auteurs d'épigrammes est fort connu ; il n'en est pas de même des trois autres.Domitius Marsus, qu'il ne faut pas confondre avec un autre poëte du même nom, auteur d'un assez mauvais poëme épique, vivait sous le règne d'Auguste. Il ne nous reste de lui que des fragments. Un de ses ouvrages, probablement son recueil d'épigrammes, était intitulé la Ciguë ou la Flûte (Cicuta). Un autre avait pour titre l'Amazonide; c'était une épopée, dont le succès ne paraît pas avoir été très-brillant. Un autre enfin, dont on ne connaît point le sujet, était intitulé Fables (Fabellae). On soupçonne que ce poëte avait composé des élégies ; au moins est-on sûr qu'il avait chanté ses amours avec une femme dont le nom poétique était Mélénis. C'est Martial lui-même qui nous l 'apprend. Marsus fut l'ami de Virgile et de Tibulle. C. Pedo Albinovanus vivait pareillement sous le règne d'Auguste. Il avait composé, outre ses épigrammes, des élégies, et un poëme sur le Voyage de Germanicus dans l'Océan septentrional. Il nous reste de lui trois élégies et un fragment du Voyage de Germanicus. Ovide, avec lequel il était très lié, lui donne l'épithète de sidereus. Quant à Gétulicus, dont il ne nous teste absolument rien, on sait qu'il excella dans l'épigramme, mais qu'en même temps il déshonora ses vers par son cynisme. On l'accuse d'avoir inspiré à Martial la licence que l'on rencontre parfois dans ses compositions.

Florales. Les jeux Floraux se célébraient la nuit, aux flambeaux, dans un cirque spacieux. Ces jeux, qui étaient, à proprement parler, la fête des courtisanes, duraient six jours. Il serait difficile de peindre toute la licence qui y régnait.

Non intret Cato, etc. Allusion à l'épigramme placée au commencement de ce livre.
1. An ideo tantum veneras, ut exires? Caton se retira, parce qu'il s'aperçut que sa présence empêchait qu'on ne se livrât librement à la licence accoutumée; complaisance blâmable, qui lui valut cette épigramme. Il avait cependant composé un ouvrage ayant pour titre de
Re florali
, dont le but était d'exciter le zèle des magistrats contre les scènes de débauche dont les jeux Floraux étaient l'occasion.
II. Post cineres. Par métonymie, pour post obitum.
III. Quos arctat, etc. On écrivait sur des membranes ou parchemins. Quand les livres étaient petits et pouvaient être tenus dans la main, on les appelait enchiridia,main; mais quand ils étaient gros, ils prenaient le nom de volumina, parce qu'alors ils étaient écrits sur une membrane continue qui se roulait autour d'un bâton.
IV. Argiletanas. L'Argilète était un quartier de Rome où il y avait beaucoup de boutiques de libraires. Il s'étendait sur les bords du Tibre, depuis le marché appelé Vélabre jusqu'au théâtre de Marcellus.

Nasum rhinocerotis. Expression proverbiale, familière aux Romains. Un long nez annonçait, suivant eux, une disposition à la raillerie. Ils désignaient un railleur par l'épithète nasutus. Comme il n'est pas, dans la nature, de nez plus long que la corne qui se trouve au-dessus des narines du rhinocéros, ils en avaient fait le type du caractère de la raillerie.

VIII. Stellae... columba. Aruntius ou Lauruntius Stella, poëte né à Padoue, était grand ami de Martial, qui en fait souvent mention. Fort amoureux de Violantilla, Napolitaine, Stella fit, en l'honneur d'une colombe que sa maîtresse avait perdue, une élégie que Martial met au-dessus des vers dans lesquels Catulle célèbre le moineau de sa Lesbie. Stace faisait aussi un grand cas du talent de ce poëte, dont il ne nous est rien parvenu.

XI. Tussit. Cette toux le charmait, en ce qu'elle lui faisait espérer que Maronilla mourrait bientôt, et qu'il deviendrait son héritier.

XXXI. Vespillo. A Rome, les vespillons étaient des esclaves ou des hommes de basse condition, chargés d'emporter les cadavres des pauvres. Ils étaient ainsi appelés du mot vesper, parce qu'ils ne remplissaient cette fonction que le soir.

XXXVI. Stolatum pudorem. La stola était une robe traînante à l'usage des matrones, et qu'il n'élait pas permis aux courtisanes de porter.

XXXVIII. Misero... auro. Le poëte plaint cet or d'être employé à un pareil usage.

XLIV. Charidemus. Ce Charidème est un personnage, dont on ne sait rien, sinon que Domitien le condamna à être dévoré par les bêtes féroces de l'amphithéâtre.

L. Bilbilim, aquis et armis nobilem. Bilbilis, patrie de Martial et de Licinianus, était traversée par le fleuve Salon, dont les eaux avaient la propriété de donner au fer une trempe excellente. Ses habitants étaient très habiles dans l'art de fabriquer les armes.

LIII. Tuus poeta. Fidentinus, ce mauvais poëte, ce plagiaire à qui sont adressées la vingt-neuvième et la cinquante-quatrième épigramme de ce livre.

LIV. Lingonicus... bardocucullus. Ce vêtement grossier, que Martial désigne comme particulier aux Langrois, était une espèce de manteau à capuchon d'une étoffe très épaisse, en usage dans les Gaules parmi le peuple.

LVI. Picta Spartani frigora saxi. Le marbre dg Sparte ornait à Rome les maisons des grands. Ce martre, où dominait,la couleur verte, était nuancé de plusieurs autres couleurs.

Non emptus... cinis. C'est-à-dire, de la cendre formée d'un bois qu'il n'avait pas été obligé d'acheter, d'un bois que lui avait fourni le terrain qu'il possédait. A Rome, le bois à brûler se vendait fort cher.

LX. Sportula. Ces sportules étaient des corbeilles pleines de comestibles, que les grands de Rome faisaient distribuer à leurs clients, à ceux qui grossissaient leur cortège, lorsqu'ils paraissaient en public Ces présents se faisaient aussi en argent, et conservaient alors le même nom.

Redde Lupi nobis, etc. Puisqu'il en est réduit à souper si mal, il ne tient nullement aux délices du bain, et trouve assez bons, en pareille circonstance, les bains incommodes et obscurs de Lupus et de Gryllus. Martial, parlant ailleurs de ces mauvais bains publics, dit que le vent y entrait de toutes parts, Voyez livre 11, épigramme xiv.

LXVI. Ficus. La raillerie mordanie que renferme cette épigramme roule sur deux paronymes qui ont un sens tout à fait différent. Ficus, ûs, de la quatrième déclinaison, est le nom du fruit produit par le figuier ; ficus, i, de la seconde, est celui d'une excroissance occasionnée par une maladie honteuse, dont, à ce qu'il parait, Cécilianus était atteint.

LXVlI. Virginis pater chartae. Martial compare ici à une jeune fille encore vierge un ouvrage dont il n'a point encore été fait de copie, et l'auteur de cet ouvrage au père de la jeune fille vierge. Même soin de la part de l'auteur à garder son livre que de la part du père à garder sa fille.

Quae trita duro non inhorruit mento. Quand les Romains lisaient un volume, ils plaçaient sous leur menton la partie encore roulée, pour pouvoir tenir la partie déroulée avec les deux mains. Le frottement du parchemin contre la barbe du menton altérait sa superficie, qui se couvrait d'une sorte de duvet.

Pumicata fronte. Les anciens polissaient avec la pierre ponce les feuillets de parchemin ou de papyrus destinés à écrire leurs ouvrages. Ils polissaient de même le morceau de parchemin qui servait d'enveloppe aux livres, et que l'on nommait frons. Ainsi, dans ce passage, nondum pumicata fronte signifie un livre dont l'enveloppe n'a pas encore reçu la polissure nécessaire pour le livrer au public.

Umbilicis. Le mot umbilicus fut appliqué par les Romains à l'ornement que l'on plaçait aux deux extrémilés du petit cylindre attaché au bas de la longue feuille de parchemin qui, écrite d'un seul côte, se roulait à l'entour et formait ainsi un volume. Ces ombilics étaient ordinairement d'argent, de cuivre ou d'ivoire, et les cylindres de buis ou de cèdre. Ainsi roulés, les livres présentaient aux deux extrémités dans le centre, les bouts du cylindre avec les ombilics. Pourvu de cet ornement, le livre élait censé achevé. Il y avait de ces ombilics qui étaient terminés par une espèce de tête que l'on nommait cornu. Il arrivait très rarement que l'on négligeât d'orner d'ombilics les extrémités des cylindres.

Membrana. Les Romains appelaient ainsi les feuillets de parchemin qui leur servaient à écrire, et ils désignaient pareillement sous ce nom les lanières destinées à retenir les livres dans leurs couvertures, Membrana est ici pour membranis.

LXV1II. Liber homo. Cette épigramme roule sur un jeu de mot. Dans le premier vers, liber homo signifie un homme mordant, caustique ; dans le dernier, liber homo signifie un homme désoeuvré, qui passe futilement son temps à faire des plaisanteries contre un personnage méprisable.

LIVRE II.

In quacumque pagina visum est, epistolam faciunt. Martial veut dire par là que les faiseurs d'épigrammes sont continuellement libres de parler de leurs compositions, liberté que n'ont jamais les auteurs de pièces de théâtre, toujours obligés de se renfermer strictement dans les limites de leur sujet.

XVII. Suburrae. La rue appelée Suburra, qui appartenait à la seconde région de Rome, était une des plus fréquentées de la ville. Elle était habitée en très grande partie par des artisans, des barbiers, des cordonniers, etc., et par des femmes publiques. De plus, il s'y tenait un marché perpétuel pour les fruits et la volaille.

Flagella tortorum. Non seulement les bourreaux résidaient dans cette rue, mais il s'y trouvait aussi plusieurs marchands et fabricants d'instruments de supplices, tant pour le châtiment des esclaves que pour la punition des criminels. Près de là était un temple consacré à Apollon, et ce voisinage avait fait donner au dieu le surnom de Tortor.

Sed ista tonstrix, etc. Les boutiques des barbiers étaient, à Rome, le rendez-vous des oisifs. Dans la rue Suburra, la femme d'un barbier, que cette affluence journalière mettait à même de satisfaire son penchant à la débauche, s'abandonnait aux jeunes gens, mais en ayant soin de les rançonner.

Splenia tolle, leges. Après avoir dépeint un homme que tout annonçait être un chevalier romain, la place qu'il occupait à l'amphithéâtre, son anneau enrichi d'une sardoine, sa lacerne de pourpre, sa chaussure ornée d'une lunule, Martial invite le lecteur à enlever le fard dont son front était couvert, pour y lire les lettres qui y avaient été empreintes, et qui attestaient qu'avant d'avoir acquis la fortune nécessaire pour tenir le rang de chevalier, il avait été esclave. C'étaient principalement les esclaves fugitifs que l'on stigmatisait ainsi au front.

LXXIV. Régulus. Avocat distingué du barreau de Rome, que Martial avait pour ami. Lorsqu'un accusé était absous, la foule reconduisait le défenseur jusqu'à sa demeure. C'est à cette coulume que le poëte fait allusion.

Tonsum. Quand les accusés étaient déclarés innocents, ils faisaient couper leurs cheveux et leur barbe, qu'ils avaient laissés croître en signe de deuil, et montaient au Capitole rendre grâces à Jupiter et aux autres dieux.

XCIII. Quum sit liber iste secundus. Martial publia le deuxième livre de ses épigrammes avant le premier.

LIVRE III.

1. Romanae nomine dicat togae. La partie méridionale de la Gaule Cisalpine était appelée Togata, parce que les Romains avaient permis à ses habitants de porter la toge. Lorsque Martial écrivit son troisième livre, il avait éprouvé quelques désagréments à Rome, et s'était retiré dans cette contrée, où il habitait la ville nommée Forum Cornelii (aujourd'hui Imola), qui appartenait au territoire des Anamanes.

IV. Quum citharaedus erit. Martial fait ici la critique des Romains de ce temps, qui préféraient les musiciens aux poëtes.

V. Hospes. Pour ignotus, parce que les hôtes étaient des étrangers et des inconnus.

VI. Haec prima. Les Romains avaient coutume de célébrer les principales époques de leur vie. Celle de la naissance donnait lieu à des fêtes de famille. Ici Martial à une solennité de ce genre en joint une autre où l'adolescent déposait sa barbe pour la première fois, et-passait de la sorte à l'âge viril. On offrait, en cette occasion, des sacrifices au génie de la famille ; on invitait ses amis à un banquet et des personnages très riches donnaient quelquefois des repas publics.

VII. Regis. Les clients appelaient leur patron maître et roi.

XI. Si tua nec Thais, etc. Un personnage nommé Quintus s'était offensé de l'épigramme qui forme la huitième de ce livre. Dans celle-ci, le poêle Ini répond en plaisantant qu'il a tort de se fâcher, puisque sa maîtresse ne se nomme point Thaïs et qu'elle n'est point borgne. Si ta maîtresse s'appelait Thaïs, lui dit-il, du moins il y aurait quelque rapport entre les noms; mais elle s'appelle Hermione, ce qui n'a pas la moindre ressemblance avec Thaïs. Quant au nom de Quintus qui, est bien le tien, rien n'empêche de lui en substituer un autre, celui de Sextus, par exemple. Il est aisé de voir que le poëte joue ici sur les mots Quintus et Sextus, qui, étant à la fois des noms propres et des noms de nombre, peuvent former un double sens et signifier : « Si Quintus ne veut pas aimer Thaïs, que ce soit Sextus qui l'aime ; » ou bien : « Si Thaïs est abandonnée par son cinquième amant, qu'elle en prenne un sixième. »

XII. Unguentum... bonum dedisti. Les Romains se parfumaient au bain, et avant de se mettre, à table ; ils employaient, à cet effet, les essences les plus exquises.

Mihi mortuus videtur. Parce qu'on arrosait avec des essences et des parfums les corps des morts avant de les brûler.

Proscriptum famulus, etc. Le personnage dont il s'agit dans cette épigramme est Antistius Restio. Proscrit par les triumvirs,l'an 710 de Rome, il s'enfuit accompagné d'un seul esclave. Cet esclave, que, peu de temps auparavant, il avait marqué au front, punition barbare qui ne s'infligeait d'ordinaire qu'aux esclaves fugitifs, lui sauva la vie. Voyant venir des soldats, et comprenant qu'il ne pouvait cacher plus longtemps son maître, il dresse un bûcher, prend un malheureux inconnu, le tue et le place dessus. Quand les soldats lui demandèrent où était Antistius : Vous voyez, leur dit-il en leur montrant le bûcher, il subit la punition de sa cruauté à mon égard. Le spectacle qu'ils avaient sous les yeux, et qu'ils prenaient pour le résultat bien naturel de la conduite passée du maitre envers l'esclave, les persuada facilement, et Antistius échappa ainsi à la mort.

Sed invidia. Ici le mot invidia est pris pour aliorum offensio et iniignatio. En effet, l'esclave se fût moins bien vengé en tuant son maître, qu'en lui rendant un pareil service; car autant on admira cette action, autant on conçut de mépris et d'aversion pour celui qui méritait si peu un pareil dévouement.

LXIII. Cantica qui Nili, etc. L'Egypte et Gades fournissaient à Rome des chanteurs et des musiciennes dont les chansons voluptueuses avaient cours parmi les oisifs et les gens du bel air.

Hirpini. Chevalier romain qui avait été fréquemment vainqueur dans les jeux du Cirque. Or, un homme du bon ton devait aimer le Cirque et bien connaître tout ce qui concernait Hirpinus.

LXVIII. Gymnasium, thermæ, stadium. Lieux où les hommes quittaient leurs vêtements. Martial rappelle cela aux matrones qui lisent son livre, et les avertit que ce qui suit est de nature à blesser leur pudeur; mais ce n'est que pour piquer davantage leur curiosité, comme le prouvent les derniers vers de cette épigramme.

LXXVIII. Minxisti currente, etc. Paulinus, étant sur un petit navire qui voguait avec rapidité, se mit à pisser par-dessus le bord, ce qui n'était pas sans danger, puisqu'une secousse pouvait le précipiter dans la mer. Le poëte l'engage donc à ne pas recommencer, de peur d'éprouver le sort de Palinure, pilote du vaisseau d'Énée, qui tomba dans les flots pendant qu'il dormait.

Samia... testa. C'était avec des débris de vases de Samos que se mutilaient les prêtres de Cybèle.

LXXXI]. Summoanianas... uxores. Les courtisanes, ainsi appelées ironiquement du lieu où elles demeuraient.

Percurrit agili corpus arte, etc. Il n'est pas de raffinement d'aises et de jouissances auquel les Romains n'eussent songé. Pendant le repas, de jeunes esclaves, nommés tractatores ou tractatrices, car on chargeait tour à tour de cette fonction des esclaves de l'un et de l'autre sexe, pétrissaient voluptueusement toutes les jointures, et promenaient délicatement leurs doigts sur tous les muscles. Cette manière de flatter la sensualité par des frictions est encore en usage chez plusieurs peuples orientaux.

Digiti crepantis signa. Faire craquer ses doigts était un signe pour demander l'urinal.

Anserum exta. Les Romains aimaient beaucoup le foie des oies, ainsi que leurs intestins, qu'on remplissait de figues grasses; mais Zoïle, comme pour insulter à ses convives, donnait tout cela aux chiens.

XCI. Cervo. On appelait cervi les esclaves fugitifs, parce que la rapidité avec laquelle ils se dérobaient aux poursuites les faisait comparer à des cerfs.

Bustuarias moechas. On sait, d'après le témoignage de Lampride et d'Ammien-Marcellin,que ces courtisanes de la plus vile espèce allaient quelquefois dans les bains publies, pour tacher d'y exercer leur métier et d'en rapporter quelque argent ; mais le maître du bain, en les introduisant, avait la précaution d'éteindre la lumière, afin qu'on ne les reconnût pas.

Toedas praefrrat novae nuptae. Les anciens avaient coutume de porter des torches devant les nouveaux époux; mais le poëte veut que les torches nuptiales soient portées devant Vetustilla par un allumeur de bûchers : c'est-à-dire qu'au lieu de l'éclairer avec des torches nuptiales, on doit bien plutôt l'éclairer avec des torches funéraires.

LIVRE IV.

Il. Albis spectat Horatus lacernis. Encore une flatterie pour Domitien ! Les dieux ne veulent pas qu'Horace assiste seul avec des vêtements noirs à des jeux donnés par l'empereur, et la neige se charge de le vêtir en blanc. Admirable précaution de la neige qui se mêle aussi de flatter Domitien !

XXVII. Da, Caesar... Ici le poëte mendie le prix de ses flatteries; elles paraissent plus viles encore en ce qu'il veut les faire payer.

XLII. Audi, quem puerum, Flacce, rogare velim. Ces vers laisseraient dans l'esprit une idée suave et gracieuse, s'ils célébraient une femme ; mais lorsqu'on pense qu'il est question d'un mignon, aussitôt le charme cesse. L'usage monstrueux et contre nature des mignons était très fréquent chez les Grecs et chez les Romains. Bien qu'il fût toléré chez ces peuples, cependant ils le trouvaient honteux, et avec raison. En effet, Platon, dans son Banquet, justifie Socrate du reproche qu'on lui a fait d'avoir eu Alcibiade pour mignon.

LXII. Omnia dum fieri candida credit ibi. L'air de Tibur, aujourd'hui Tivoli, passait pour avoir la propriété de blanchir. C'est sur cette supposition qu'est fondée cette épigramme de notre poëte.

LIVRE V.

VI: Si novi dominum novem Sororum. C'est Domitien que Martial vent désigner par là. Suétone nous apprend (in Domit., cap. II) que Domitien cultivaient les muses, et Martial, toujours adulateur, fait de lui un autre Apollon.

VIII. Edictum domini, deique nostri. Il y avait, à Rome, une loi qui détendait à tous les citoyens de s'asseoir au théâtre sur les quatorze premiers bancs, réservés exclusivement à l'ordre des chevaliers. Cette loi, portée l'an 685 de Rome, sous le tribunal de L. Roscius
Otho, était presque tombée en désuétude. Domitien la fit revivre et exécuter avec rigueur.

XXXIV. Paulula ne nigras horrescat Erotion umbras. Plusieurs éditions portent pallida nec etc. L'épithète de pallida serait insignifiante et commune ; celle de paulula est pleine de charme et de sentiment : j'ai essayé de la traduire par la pauvre petite; ce qui, je l'avoue, ne vaut pas paulula. Du moins j'ai conservé, dans le texte, l'épithète que je crois la véritable.

XLV ...Dicis te, Balsa, puellam. Le mot puella renferme les deux idées de jeune et vierge.

XLVlII Secuit nolente capillos Encolpus domino, nec prohibente tamen. La fonction de couper les cheveux aux esclaves était quelquefois remplie par la femme elle-même, le lendemain de ses noces. Cette opération annonçait aux jeunes esclaves que désormais ils ne serviraient plus aux plaisirs du maître.

LXI. Te successurum credo ego Panniculo. Le nom Panniculus est presque toujours donné, chez les Latins, à un personnage ridicule et grotesque. C'est d'un Panniculus que date la généalogie d'Arlequin. Les mimes, espèces d'Atellanes perfectionnées, et qui reproduisaient les moeurs de la ville, avaient pour premier acteur un certain Panniculus, la tête noire et rasée comme les esclaves d'Afrique et d'Orient, l'habit formé de pièces de diverses couleurs, comme les pauvres gens au temps de la république; la chaussure plate (planipes); toujours battu, et cachant de la malice et de l'esprit sous sa fausse stupidité. L'Arlequin de l'Italie moderne ne ressemble pas, pour le costume, à l'Arlequin français; à le voir, on dirait plutôt le travestissement que nous appelons folie. Il ne porte pas non plus le masque de notre Arlequin, mais le masque appelé Vénitien, avec ou sans la mentonnière.

LXXX. Lassi marmora Sisyphi videbi! Les anciens pensaient que les mauvais poètes allaient droit aux enfers, près de Sisyphe, d'Ixion, de Tantale et autres grands coupables. Les modernes n'ont pas ce préjugé; et les poètes qui ont cent fois assommé leurs lecteurs ne craignent plus d'être assommés à leur tour par le rocher de Sisyphe.

LIVRE VI

IV. Censor maxime, principumque princeps. A chaque instant, ces insipides flatteries à Domitien se renouvellent dans Martial. On sait combien elles furent méritées par cet excellent prince. Suétone raconte assez en détail la vie de cet empereur. Voici un trait peu connu, dont il ne parle pas ; on verra quel raffinement de bonté présidait aux moindres actions de ce dieu de Martial. Un jour, à l'occasion de son triomphe sur les Daces, Domitien avait promis une fête aux sénateurs et aux chevaliers qu'il affectionnait le plus : Il les fit entrer dans une salle toute tendue de noir, et éclairée seulement par quelques lampes sépulcrales, qui répandaient une clarté plus affreuse que les ténèbres.
Là, chaque convive se trouva placé vis-à-vis d'un cercueil, sur lequel il vit avec effroi son nom écrit. Alors parut dans la salle une troupe de petits enfants nus et barbouillés de noir depuis les pieds jusqu'à la tête. Chargés de représenter les ombres infernales, ces enfants exécutèrent la danse la plus sinistre et la plus lugubre qu'on eût jamais vue dans Rome. Après cet exercice, chaque enfant se rendit auprès du convive qu'il devait servir. Les mets dont on couvrit les tables furent les mêmes que teux qu'on avait coutume d'offrir aux morts dans les cérémonies funèbres. Un effrayant silence régnait dans cette assemblée. Domitien seul parlait, et n'entretenait ses auditeurs que de morts et d'aventures sanglantes. Le dénoûment de cette gentillesse impériale parut plus horrible encore; les convives sortirent de la salle du festin, séparément, et escortés par des gens inconnus vêtus de noir, armés et silencieux. Tous redoutaient quelque événement plus tragique encore, lorsqu'ils se virent, à leur grande surprise, reconduits à leur maison. Ils étaient occupés à réfléchir sur le spectacle qui avait frappé leurs regards, et ils commençaient à respirer plus librement, lorsqu'ils reçurent l'ordre de se rendre aussitôt devant Domitien. Une nouvelle frayeur s'empara de leur esprit, mais ils ne tardèrent pas à être délivrés de cette crainte. L'empereur ne les avait rappelés près de lui que pour leur faire distribuer la vaisselle d'or et d'argent qu'on leur avait servie. Chacun d'eux reçut encore en présent un des jeunes esclaves qui avaient représenté les petits démons, et qu'on avait fait revêtir d'habits riches et somptueux. Tels étaient les amusements de Domitien, digne émule des Tibère, des Caligula et des Néron.

LXVI. Quales in media sedent suburra. Sedent est le mot propre. Les courtisanes se tenaient assises sur la porte des maisons de prostitution : de là, elles avaient pris les noms de sellariae, prosedæ, prostibula.

LIVRE VII

LIV. Semper mane mihi de me mera somnia narras. Martial parait bien tourmenté des visions nocturnes de Nasidienus à son sujet. On sait que les Romains croyaient aux songes ; on peut leur pardonner cette superstition, puisqu'elle a existé de tout temps, et que notre siècle lui-même, le siècle des lumières, ne l'a pas entièrement rejetée.

LXXXVI.... Vapulet, vocator... vocare. C'est le mot propre pour inviter. De là, vocator, esclave chargé de faire les invitations; revocare,
prier à son tour celui chez lequel on a été invité. Vocare se dit encore des femmes complaisantes.

C. Dignus eras Helena... Cette Hélène, si renommée pour ses charmes, et dont la beauté sans rivale réunissait les trente points que les anciens exigeaient chez une femme pour qu'elle fùt parfaitement belle.

SUITE SUITE SUITE

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