La Marine
La Marine :
Rome n’a jamais été à l’aise sur la mer, elle fut une puissance terrestre, son empire a été bâti par les légions, la marine a suivi car aucun peuple conquérant ne peut ignorer le pouvoir qui vient des océans. Elle fut toujours le parent pauvre de l’armée, les légions lui furent toujours largement préférées quoiqu’on sache qu’elle avait une grande importance stratégique mais le milieu maritime a toujours été considéré comme hostile.
Le tout début de la marine romaine qui fut reléguée au second rang derrière l’armée de terre, répétons le une nouvelle fois, est daté de 311 avant J.C., date à partir de laquelle, chaque année, deux magistrats inférieurs (duoviri navales) furent nommés pour commander une petite escadre contre les pirates, sans grands succès, ces derniers continuèrent d’écumer les mers et de rechercher des esclaves qu’ils vendaient sur l’île de Délos.
En 267 avant J.C., des quaestores classici furent désignés pour surveiller et animer la mobilisation des escadres des cités navales alliées. Durant toute la République, Rome ne ressentit jamais la nécessité de posséder une flotte en permanence. Elle vit avec les guerres puniques qu’elle avait la capacité de forger une marine suivant ses besoins. A cette époque, les commandants des flottes étaient parfois Grecs et aux ordres de ceux qui dirigeaient les forces terrestres. Et ainsi, on peut constater qu’au temps de la République, Rome n’avait pas de marine permanente et lorsqu’il y en avait une, mis à part les années que dura la première guerre punique, elle fut pratiquement inexistante. Lorsque Pompée fut désigné par le Sénat, grâce à la loi Gabinia, pour lutter contre la piraterie, il dut réquisitionner des navires chez les peuples marins alliés, en particulier chez les Rhodiens pour mener à bien sa tache ; c’est dire l’état de déliquescence de la marine à cette époque.
La première guerre punique fut l’occasion pour les Romains de développer une marine qui n’était qu’embryonnaire. Puis après ces guerres contre les Carthaginois, la marine retomba dans une sorte d’oubli mais Rome avait suffisamment de vitalité pour en reformer une suivant ses besoins, elle le démontra à plusieurs reprises.
C’est ainsi qu’au début de la première guerre punique, elle n’avait pas de navires à opposer à ceux de l’ennemi, pour venir en aide aux Mamertins (mercenaires qui s’étaient installer à Messine), elle dut faire passer ses troupes en Sicile et pour cela fit appel à ses alliés (socii navales) qui disposaient d’une marine
« …lorsqu'ils entreprirent de faire passer leurs troupes à Messine, non seulement ils n'avaient pas un vaisseau ponté, mais pas un navire de course, pas une chaloupe, pas le moindre bâtiment ; ils empruntèrent à Tarente, à Locres, à Élée, à Naples des bateaux à cinquante rames et des trirèmes, et c'est là-dessus qu'ils ont osé faire passer le détroit à leurs soldats ! » Polybe, I, 20.
mais à la fin de cette guerre, elle avait à peu près 350 unités. En premier lieu, ils mirent en chantiers 100 quinquérèmes et 20 trirèmes en se servant d’un modèle de navire que les Carthaginois avaient abandonnés.
« C'est parce que la guerre traînait en longueur qu'ils eurent l'idée de construire des vaisseaux ; ils équipèrent, pour commencer, cent bâtiments à cinq rangs de rameurs et vingt à trois rangs. Mais ils n'avaient pas d'ouvriers assez expérimentés pour construire des bâtiments à cinq rangs, dont personne en Italie ne s'était encore servi ; aussi furent-ils dans un grand embarras…C'est pendant cette traversée que, la flotte carthaginoise les ayant attaqués, un vaisseau ponté fonça sur eux avec trop d'impétuosité, s'échoua et tomba entre leurs mains ; il leur servit de modèle pour la construction de toute leur flotte ; mais, sans cet accident, leur inexpérience les aurait évidemment empêchés de mener à bien leur entreprise. » Polybe, I, 20.
La quinquérème fut le modèle le plus utilisé durant la première guerre punique, chacune d’entre elles portaient 120 fantassins et avait un équipage total de 300 hommes, ses dimensions étaient de 40 mètre de long pour 7 mètres de large, il ne nous en reste que la description qu’en fit Polybe. C’est le consul C. Duilius qui le premier au cours de la bataille de Myles (260 avant J.C.), au large de la Sicile, eut l’idée de transformer un combat naval en affrontement plus ou moins terrestre pour optimiser la valeur combative de ses troupes. Pour cela, il inventa le corvus (corbeau). C’était un espèce de grue en bois, de 8 mètres de long, terminée par un crochet en fer, le tout était monté sur pivot de façon à être tourné de n’importe quel coté ; cet espèce de pont était abattu sur un navire ennemi et permettait le passage de trois hommes de front, à chaque bord courrait une rambarde qui montait aux genoux, empêchant ainsi les hommes d’abordage de tomber à la mer. Les combats au sol étaient ainsi reconstitués, les Romains y excellaient.
---> Fresque trouvée dans une maison de Pompéi.
« Mais comme leurs vaisseaux étaient mal construits et d'une extrême pesanteur, quelqu'un suggéra l'idée de se servir de ce qui fut depuis ce temps-là appelé des corbeaux. Voici ce que c'était : une pièce de bois ronde, longue de quatre aunes, grosse de trois palmes de diamètre, était plantée sur la proue du navire. Au haut de la poutre était une poulie, et autour une échelle clouée à des planches de quatre pieds de largeur sur six aunes de longueur, dont on avait fait un plancher, percé au milieu d'un trou oblong, qui embrassait la poutre à deux aunes de l'échelle. Des deux côtés de l'échelle sur la longueur, on avait attaché un garde-fou qui couvrait jusqu'aux genoux. Il y avait au bout du mât une espèce de pilon de fer pointu, au haut duquel était un anneau, de sorte que toute cette machine paraissait semblable à celles dont on se sert pour faire la farine. Dans cet anneau passait une corde, avec laquelle, par le moyen de la poulie qui était au haut de la poutre, on élevait les corbeaux lorsque les vaisseaux s'approchaient, et on les jetait sur les vaisseaux ennemis, tantôt du côté de la proue, tantôt sur les côtés, selon les différentes rencontres. Quand les corbeaux accrochaient un navire, si les deux étaient joints par leurs côtés, les Romains sautaient dans le vaisseau ennemi d'un bout à l'autre ; s'ils n'étaient joints que par la proue, ils avançaient deux à deux au travers du corbeau. Les premiers se défendaient avec leurs boucliers des coups qu'on leur portait par-devant et les suivants, pour parer les coups portés de côté, appuyaient leurs boucliers sur le garde-fou…Ils ne laissèrent cependant pas d'approcher de plus en plus, et leur avant-garde, pleine de mépris pour les ennemis, commença la charge avec beaucoup de vigueur, mais lorsqu'on fut à l'abordage, que les vaisseaux furent accrochés les uns aux autres par les corbeaux, que les Romains entrèrent au travers de cette machine dans les vaisseaux ennemis, et qu'ils se battirent sur les ponts, ce fut alors comme un combat sur terre. Une partie des Carthaginois fut taillée en pièces, les autres effrayés mirent bas les armes. » Polybe, I, 4.
---> Corvus, reconstitution.
On n’a aucun graphique d’époque qui le représente, il ne nous reste que la description qu’en fit Polybe. Et…Duilius remporta ce combat de Myles, il eut le premier triomphe du au gain d’un engagement sur la mer.
« Duillius, qui commandait la flotte, ne se contenta pas d'un seul jour de triomphe. Il voulut pendant toute sa vie être précédé, lorsqu'il reviendrait de manger, de la lueur des flambeaux et du son des flûtes, comme s'il eût triomphé tous les jours. » Florus, II,2.
Depuis, les Romains firent tout ce qui était en leur pouvoir pour qu’un combat naval ressemble à une bataille terrestre, c’est ainsi que l’on vit apparaître une tour sur l’avant des vaisseaux, celle–ci était démontable et pouvait être jetée à la mer pour l’alléger en cas de fuite.
Les tactiques employées étaient de deux sortes. Soit le navire lui-même devenait une arme grâce à son éperon de bronze, soit on procédait à un abordage de façon à recréer un combat terrestre et c’était à ce moment que le corvus intervenait. Durant un affrontement, la seule force de propulsion était la rame, mâts et voiles étaient démontés.
Les éperons de bronze des navires furent exhibés comme trophées dès le monde grec. A Rome, il n’est nul besoin de citer les « rostres » (tribune aux harangues) qui commémore la victoire sur la ville d’Antium, ville des Volsques (Anzio).
« On voit encore dans le Forum les dépouilles d'Antium, que Ménius suspendit à la tribune aux harangues, après la prise de la flotte ennemie; si toutefois l'on peut appeler flotte six navires armés d'éperons; mais ce nombre suffisait, dans ces premiers temps, pour une guerre maritime. » Florus, Histoire romaine, I, 11.
A Actium, Auguste fit construire une colonne rostrale avec les éperons des navires capturés à Antoine à l’emplacement de son camp ; d’autres furent envoyées à Rome pour décorer le temple de César.
---> Bataille d’Actium.
Le principal port d’avitaillement de la marine, durant la République, fut Ostie. Généralement l’Etat, représenté par le Sénat, prenait à sa charge tous les frais occasionnés par une escadre et c’est ainsi que l’on put voir confier ce soin, au cour de la seconde guerre punique, par cette honorable assemblée à des publicains qui ont profités largement de cet octroi pour ce qui concernait les troupes romaines en Espagne.
« Comme le trésor public répondait des pertes en cas de tempête pour le matériel transporté aux armées, ils avaient supposé des naufrages qui n'avaient réellement pas eu lieu, et ceux mêmes qui étaient véritables avaient eu la fraude et non le hasard pour cause. Ils chargeaient de quelques marchandises de nulle valeur de vieux bâtiments hors de service, les faisaient couler bas en pleine mer, ayant soin de tenir des barques toutes prêtes pour sauver l'équipage; puis ils venaient affirmer faussement que les marchandises perdues étaient considérables. Le préteur M. Atilius avait été instruit de cette fraude l'année précédente, et l'avait dénoncée au sénat. Toutefois elle n'avait été l'objet d'aucun sénatus-consulte, les sénateurs ne voulant pas, dans de telles circonstances, se mettre mal avec l'ordre entier des publicains. » Tite Live, XXV, 3.
Et vint l’intervalle qui sépara la deuxième de la troisième guerre punique où l’on va voir évoluer la pensée navale entre autre symbolisée par un nouveau type de navire : le lembos, navire originaire d’Illyrie, petit par sa taille, fin, léger et rapide alors qu’on ne voyait jusqu’alors que des bateaux lourds et peu maniable.
Faisons une petite digression sur les conditions de vie du personnel embarqué, tout d’abord les rameurs et faisons un sort à une idée reçue : ce n’étaient pas des esclaves, on faisait appel à eux qu’en dernier ressort. Chez les Romains, la fonction de rameur était réservée aux affranchis et aux citoyens de la dernière classe pris dans les cités navales alliées. Théodore Mommsen, quant à lui, pensait que tous les marins et autres étaient des affranchis ou des esclaves. Puis d’autres historiens se sont rendus compte que ces esclaves avaient été affranchis avant de servir dans la marine, que de nombreux étrangers (pérégrins) s’étaient engagés pour obtenir le droit de cité à la fin de leur service. Ce service était d’une durée très longue, la plus longue que l’on puisse trouver dans l’armée : 26ans pour l’époque flavienne, 28 ans à partir de Caracalla. Un fait marque bien que la marine était déconsidérée est fourni par le fait que Vespasien, en guise de récompense, forma une nouvelle légion (legio II, Adjutrix = secourable) avec des marins de la flotte de Ravenne qui avait pris son parti lors de la guerre civile qui suivit le décès de Néron. (Fait tiré du livre de François Gilbert : « Légionnaires et Auxiliaires sous le haut empire romain -éditions Errance.). En résumé, on peut dire que les marins étaient dans leur majorité des non-citoyens qui étaient faits citoyen latin à la fin de leur temps de service. Puis, dès Hadrien, il fallut être LATIN pour servir dans la flotte.
Pour la nage sur une trirème, les historiens, après avoir proposé plusieurs explications, se sont mis plus ou moins d’accord pour voir une rame par homme avec un rang supérieur de 31 rameurs surplombant la mer et, en dessous, deux rangs de 27 (voir croquis). Le rang supérieur (composé de Thranites) dépassait du bordage grâce à de solides poutrelles. Auguste Jal, écrivain et historien bien connu, reconstitua pour Napoléon III, qui était passionné par tout ce qui touchait à la Romanité, une trirème qui navigua sur la Seine.
---> « Essai sur les navires à rang de rames des anciens » Glotin, 1862.
Les marins avaient des tenues bleues vertes, se confondant avec la couleur de la mer ; leurs chefs, à l’image de ceux qui commandaient à terre, avaient un grand manteau (paludamentum) non pas rouge mais couleur de l’eau, ainsi Sextus Pompée, fils du Grand Pompée, qui s’était taillé un royaume marin portait une immense cape bleue.
L’ancêtre de la marine impérial fut constitué en 84 avant J.C. pour répondre aux menaces diverses de Mithridate, roi du Pont. Il faudra attendre Auguste pour voir une marine permanente, il créa 8 escadres ainsi que des flottilles fluviales pour surveiller le Rhin, le Danube et le lac de Constance. Misène et Ravenne furent les deux principales, elles reçurent même le surnom de praetoria, sans doute sous Domitien.
« Deux flottes, l'une à Misène, l'autre à Ravenne, protégeaient l'Italie sur l'une et l'autre mer ; et des galères qu'Auguste avait prises à la bataille d'Actium et envoyées à Fréjus gardaient, avec de bons équipages, la partie des Gaules la plus rapprochée. » Tacite, IV, 5.
Quelques marins de la flotte de Misène étaient casernés à Rome, ils devaient s’occuper du maniement de l’immense velum (qui ressemblait à une voile) au Colisée, ils étaient logés d’ailleurs à coté de l’amphithéâtre, une autre de leur tache était d’animer les naumachies, ceux qui s’en occupaient avaient une caserne sur la rive droite du Tibre, près de la naumachie d’Auguste. La flotte de Ravenne quant à elle surveillait tout le nord ouest de la Méditerranée et celle de Misène (baie de Naples), outre l’autre partie de la Méditerranée, s’occupait de veiller sur l’approvisionnement en blé de Rome pour cela, elle avait une base à Alexandrie. N’oublions pas les autres flottes qui furent créées par les successeurs du premier princeps : la classis syrica qui eut Séleucie pour base à partir de Vespasien, la classis pontica qui occupa la ville de Trébizonde à partir du règne de Néron, la classis pannonica qui fut à Taurunum (proche de Belgrade) créée par Vespasien, la classis moesica à Noviodunum (Isaaccea) toujours à partir de Vespasien. L’empire fit beaucoup plus pour la marine que la République, il est vrai que son étendue était plus vaste. Chaque escadre était commandée par un préfet de rang équestre, celui de la flotte de Misène était supérieur à tous les autres (Pline l’Ancien était préfet de la flotte de Misène lors de son décès), déjà, on peut voir la prépondérance de cette dernière sur celle de Ravenne en regardant leur effectif, 10.000 hommes contre 5000.
A partir de Néron, chaque amiral fut doublé d’un sous-préfet. Comme chaque bâtiment petit ou gros était assimilé à une centurie, son commandement était confié à un officier (Triérarque) qui était l’équivalent d’un centurion. Les Romains de l’époque impériale n’avaient que des trirèmes, des liburnes, quelques quadrirèmes, deux quinquérèmes et un seul navire à 6 rangs de rames qui servait de vaisseau amiral. Comme on peut le constater, c’est Auguste qui fit le plus pour la marine. Son ami Agrippa, celui qui remporta la bataille d’Actium, inventa le « harpax »
---> Harpax.
il s’agissait d’un madrier de bois (2 mètres environ) protégé par des plaques de fer et lancé par une baliste, il allait crocher dans les superstructures de l’ennemi pour le rapprocher et ainsi le prendre à l’abordage. Il est à noter qu’il fut le premier à recevoir une distinction purement navale : la corona navalis qui récompensait quelqu’un pour la prise d’un navire ennemi.
« La couronne navale qu'aucun Romain n'avait encore obtenue fut accordée à Agrippa pour le courage dont il avait fait preuve pendant cette guerre. » Velleius Paterculus, II, 81.
La dernière bataille navale connue de l’Empire d’Occident fut le fait de Constantin qui vainquit Licinius avec de petits vaisseaux de 30 à 50 rameurs plus maniable que les trirèmes de son adversaire.
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