Légion : « Legio » viendrait du verbe : « lego, ere, legi, lectum » = ramasser, cueillir, prendre ; l'explication vient de Varron. A l'origine et malgré sa spécificité, la légion fut une continuation de la phalange grecque. Suivant les auteurs, c'est Servius Tullius qui fit en sorte d'organiser l'armée que Romulus avait crée. Elle devait évoluer et affronter l'ennemi sur six rangs de profondeur à la façon d'une troupe grecque. Ce roi ( Romulus ) divisa le peuple en cinq classes suivant leur fortune (centuries, d'où le nom de centurion) tant civiles que militaires, chacune d'entre elles, par tirage au sort, devait fournir des éléments armés à la cité ; cette organisation perdura avec l'avènement de la République ; la manière de penser qui devait durer jusqu'à Marius était que le peuple devait défendre ses biens, c'est pourquoi, le soldat devait s'équiper à ses frais.
---> Caesars' Commentaries , ed. Francis W. Kelsey, 1918.
La première de ces classes se vit pourvue d'une lance, d'un bouclier rond ( clipeus ) et d'une armure couvrant la poitrine, la seconde et la troisième ressemblait étrangement à la première mais avec des armes offensives plus légères. Il semblerait que le guerrier portait des jambières (cnémides) qui furent abandonnées par la suite. La quatrième classe n'avait pas d'armure, faute d'argent pour se l'acheter ; la cinquième devait avoir des armes de jet comme la fronde (il est curieux de constater que l'arc ne fit son apparition qu'avec les troupes auxiliaires, plus tard) et le javelot, elle combattait en première ligne et devait attirer les ennemis sur l'infanterie lourde. Il n'y avait pas d'uniforme et l'aspect de cette armée romaine devait paraître très hétéroclite. Une bataille des premiers temps de Rome devait ressembler à un affrontement mené par des Grecs. Cet aspect de phalange qu'avait l'armée de Servius Tullius en faisait un ustensile très lourd à faire évoluer, le dictateur Camille le changea, avec lui, désormais, le combat à l'épée va remplacer la lance sur laquelle venait s'empaler l'ennemi. Il sera aussi l'instigateur d'une grande nouveauté, il va instaurer une solde. Désormais, ce fut la manipule, jugée plus légère qui fut le pivot de la légion romaine. Nous avons quelques détails de cette unité de manœuvre grâce à Polybe. Il nous dit qu'il y en avait trente par légion, soit dix manipules de hastati, dix de principes et dix de triarii . Chaque manipule était divisée en deux centuries, chacune commandée par un centurion assisté d'un optio qui était reconnaissable à deux plumets ornant les cotés de son casque, elles étaient composées grosso modo de 100 hommes sauf pour les triarii qui avait un effectif deux fois moindre, c'est ainsi qu'une légion devait avoir globalement 3000 fantassins lourds et sa plus petite unité se composait de 10 hommes logeant dans la même tente ( contuberniales ) commandé par un décurion.
Lors d'une bataille, ces manipules se disposaient en échiquier de façon à ce que, par les intervalles laissés libres, un rang puisse reprendre des forces et se reformer derrière l'autre situé dans son dos.
Dès le début du IVème siècle avant J.C., c'est l'âge qui va différencier la place de chacun dans la ligne de bataille et non plus la fortune et la manière de s'armer. C'est ainsi que le premier rang va être formé par les plus jeunes ( hastati ) ceux qui sont dans la force de l'âge vont constituer le deuxième rang ( principes ) et les plus vieux seront dans la troisième ligne ( triatii, pilani )
. L'armement défensif comme offensif était le même pour tous sauf que les deux premières lignes disposaient d'armes de jet (pilum) ayant une portée utile d'une trentaine de mètres.
On trouvait aussi une petite cavalerie légionnaire qui se composait de 300 hommes par unité servant surtout d'estafettes ou d'éclaireurs. Le dispositif de bataille les prévoyait aux ailes de l'armée. Lors des guerres puniques, on trouvait ces cavaliers divisés en 10 turmes de 3 décuries (30 hommes par turmes), ils seront commandés par un préfet ( praefectus alae ) et les diverses escouades (turmes) par des décurions. Ils ne seront plus que 120 au début de l'Empire, ce sont les troupes auxiliaires qui formeront le gros de la cavalerie, déjà, à la fin de la République , César se servira des Germains pour constituer cette troupe montée. Puis l'empereur Gallien passera leur nombre à 726 par légion.
Quels étaient les effectifs globaux ? Grâce à Tite Live, on les connaît pour la période républicaine. Il parle de 4 légions qui combattaient du printemps à l'automne, une déclaration de guerre était un acte religieux, des prêtres (les féciaux)se rendaient jusqu'à la frontière des ennemis et l'un d'entre eux projetait une lance ensanglantée vers le territoire hostile, avec l'agrandissement de Rome, il ne fut plus possible de pratiquait de la sorte, l'acte ( clarigatio) fut toujours accompli à Rome mais en direction des terres ennemies, ce ne fut plus qu'un symbole des temps anciens, le dernier à le faire fut Auguste qui essayait de rétablir une religion défaillante.
« Le fécial, arrivé sur les frontières du peuple agresseur, se couvre la tête d'un voile de laine et dit : "Écoute, Jupiter; écoutez, habitants des frontières (et il nomme le peuple auquel elles appartiennent); écoute aussi, Justice : je suis le héraut du peuple romain; je viens chargé par lui d'une mission juste et pieuse; qu'on ajoute foi à mes paroles." Il expose ensuite ses griefs; puis, attestant Jupiter, il continue : "Si moi, le héraut du peuple romain, j'outrage les lois de la justice et de la religion, en demandant la restitution de ces hommes et de ces choses, ne permets pas que je puisse jamais revoir ma patrie."Cette formule, il la dit en franchissant la frontière, il la dit au premier homme qu'il rencontre, il la dit en entrant dans la ville ennemie, il la dit encore à son arrivée sur la place publique; mais en faisant de légers changements soit au rythme, soit aux termes du serment. S'il n'obtient pas satisfaction, après trente-trois jours, délai prescrit solennellement, il déclare ainsi la guerre : "Écoute, Jupiter, et toi, Janus Quirinus, et vous tous, dieux du ciel, de la terre et de l'enfer, écoutez : Je vous prends à témoin de l'injustice de ce peuple (et il le nomme) et de son refus de restituer ce qui n'est point à lui. Au reste, les vieillards de ma patrie délibéreront sur les moyens de reconquérir nos droits."… L'usage était alors que le fécial portât aux frontières du peuple ennemi, un javelot ferré, ou un pieu en cornouiller durci au feu. Là, en présence de trois adultes au moins, il disait : "Puisque les peuples des Anciens Latins ou les citoyens des Anciens Latins ont agi contre le peuple romain des Quirites, et failli envers lui, le peuple romain des Quirites a ordonné la guerre contre les Anciens Latins; le sénat du peuple romain des Quirites, l'a proposée, décrétée, arrêtée, et moi et le peuple romain, nous la déclarons aux Anciens Latins, peuples et citoyens, et je commence les hostilités." En disant ces mots, il lançait son javelot sur le territoire ennemi. …Cette coutume a depuis été constamment observée. » Tite Live, I, 32.
Les portes du temple de Janus étaient ouvertes pour permettre au dieu de rejoindre l'armée. Ces 4 légions passèrent à 6 durant la seconde guerre punique. Durant les derniers siècles de la République , le nombre des légions varia énormément mais il culmina à un peu plus de 20. Sous l'Empire, on peut considérer qu'il y avait 350.000 hommes sous les armes pour une trentaine de légions qui étaient presque dans leur totalité stationnées aux frontières ( limes ) pour la défense de l'Empire.
Avec Auguste, on verra l'armée composée de 25 légions soit à peu près 160.000 hommes doublés par le même nombre d'auxiliaires, ce doublement est typique de la légion, il faut parler de l'infanterie lourde légionnaire plus les auxiliaires (cavalerie, archers etc… formés par les guerriers des peuples assimilés). Au Bas Empire, elle devint une unité de 1000 hommes ce qui correspondait plus à la mobilité requise pour la défense des territoires romains face aux barbares.
Nous connaissons la solde (stipendium) du légionnaire sous Domitien, elle était de 1.200 sesterces versée en trois fois.
Comment se faisait le recrutement ? Sous la République , la levée des futurs soldats s'effectuait au Champ de Mars, lieu où pouvait se réunir l'armée, hors du pomerium . Les citoyens, comme je l'ai déjà dit, étaient divisés en 5 classes (centurie), d'où le nom de centurion, chacune devait fournir un certain nombre d'hommes ; sous l'Empire, les engagements volontaires suffirent à combler les trous, les hommes qui étaient d'origine très humble étaient attirés par la solde et par le lopin de terre qui leur était promis à la fin de leur temps de service, chaque légion avait besoin d'à peu près 260 soldats nouveaux par an, ils étaient italiens à 65% sous le Haut Empire mais un siècle plus tard, ce chiffre tombera à 20%. A l'origine, il pouvait être appelé de 17 à 60 ans, 40 ans pour le service actif plus le reste comme vétéran mais les textes anciens ne font aucune mention de la durée légale du service, ce n'est qu'à partir d'Auguste que les historiens commencèrent d'en parler. Cette durée subit, au cours des âges, de nombreuses variations ; juste à la fin de la République , le soldat est astreint à 20 ans de présence ainsi que sous Auguste mais en 6 après J.C., ce temps est porté à 22 ans et on a même pu voir des hommes servirent 30 ou 40 ans.
« C'était une assez longue et assez honteuse lâcheté, de courber, trente ou quarante ans, sous le poids du service, des corps usés par l'âge ou mutilés par les blessures. Encore si le congé finissait leurs misères ! Mais après le congé il fallait rester au drapeau, et, sous un autre nom, subir les mêmes fatigues. Quelqu'un échappait-il vivant à de si rudes épreuves ? On l'entraînait en des régions lointaines, où il recevait comme fonds de terre, la fange des marais et des roches incultes. » Tacite, Annales, I, 17.
Au temps de la République , la légion était composée de soldats-citoyens qui servaient pour défendre leurs biens (aux époques qui précédèrent la réforme de Marius). Ils étaient rendus à la vie civile au bout de 10 campagnes pour un cavalier et de 16 pour un fantassin. C'est ainsi que l'on retrouve en son sein beaucoup de petits paysans qui avaient d'énorme difficultés à se réadaptés à leur libération.
« Les terres et les troupeaux furent mis dans les mains d'agriculteurs ou de pasteurs de condition servile, afin d'éviter les inconvénients que le service militaire faisait courir sur les hommes libres…la population des esclaves dans les campagnes augmenta tandis que celle des hommes libres diminua à cause du malaise, des contributions et du service militaire qui les accablaient… » Appien, B.C., I, 7.
---> Centurion
Elle devait recruter de très jeune gens puisque Caius Gracchus du faire voter une loi interdisant l'incorporation avant 17 ans. Le légionnaire, bien que citoyen romain, était soumis à une discipline très rude ; les châtiments pouvaient aller de la simple amende en passant par les coups reçu du centurion qui frappait avec son bâton ( vitis ), fait d'un ceps de vigne, insigne de son pouvoir, jusqu'à la mort soit individuelle soit collective (décimation). La peine la plus fréquente était d'aller camper au dehors de la protection des murs du camp ou avoir de l'orge à la place du blé à moudre pour sa subsistance. Il ne pouvait se marier, vivre en concubinage lorsqu'il était en garnison lui était toléré, c'est seulement au II ème après J.C. qu'il put convoler.
Dans les premiers temps, à la différence de la fin de la République et de l'Empire, la légion comprenait aussi bien l'infanterie lourde que les auxiliaires et les vélites (c'étaient eux qui gardaient les portes du camp lors du bivouac) ; c'étaient ceux des deux dernières classes, les plus pauvres, ne pouvant s'équiper que très partiellement, puis, on verra au temps des guerres puniques cette fonction échoir aux alliés latins ( socii ).
C'est Marius (en 107 avant J.C.) qui apporta la plus grande révolution à la légion et fit naître la dévotion du soldat non pas à l'Etat mais au général en chef pour peu que ce dernier fut charismatique.
Désormais, les pauvres y étaient admis (ceux qui n'étaient pas propriétaire), eux qui formaient une sixième classe. On ne tenait plus compte de la richesse ni de l'âge de celui qui allait être soldat, les plus défavorisés ( capite censi ) pouvaient désormais s'engager. Ce fut le début de l'armée de métier qui était dévouée beaucoup plus à son général qu'à la nation, c'était la fin du citoyen-soldat.
Avec Marius, l'unité tactique qui était jusqu'alors la manipule devint la cohorte, au nombre de 10 au sein d'une légion. Maintenant deux manipules composaient une cohorte, celle-ci avait un effectif de 600 hommes.
CENTURIE |
100 soldats |
|
MANIPULE |
200 soldats |
2 centuries |
COHORTE |
600 soldats |
3 manipules |
LEGION |
6000 soldats |
10 cohortes |
Toute évolution de carrière passait par la première cohorte, elle était l'unité la plus remarquable, commandée par le centurion primipile, le seul de son grade à participer activement aux réunions d'Etat-major, il est curieux de constater qu'elle se déployait toujours à gauche d'un dispositif de combat ; les centurions étaient égaux en rang hiérarchique pour toutes les autres cohortes, ils allaient de l'une à l'autre sans aucun problème, ils se devaient de permuter tous les, à peu près, 5 ans. L'avancement ne se faisait pas en fonction de la valeur humaine ni du courage d'un individu mais en prenant compte de sa position sociale. D'autres réformes de moindre importance virent le jour sous Hadrien puis Septime Sévère qui fit du centurionnat (primipile) la première marche de la carrière équestre. Puis vint Dioclétien qui engagea des barbares pour défendre les frontières, inutile de dépeindre leurs motivations, puis les gros propriétaires terriens y envoyèrent leurs domestiques, Végèce parle même à leur propos de marquage (peut-être pour les retrouver plus facilement en cas de désertion) :
« On ne soumettra pas immédiatement le conscrit à la marque du pointillage…Aussitôt que les conscrits auront obtenu la marque distinctive… » Végèce, I, 8.
« Une armée, dont le recrutement a été défectueux, n'a jamais rien fait qui vaille. Et, en interrogeant les leçons de l'expérience, si nous avons essuyé tant de désastres à la fois, c'est qu'une longue paix avait occasionné l'inattention et la négligence dans les enrôlements ; c'est que le meilleur de la nation s'adonnait aux fonctions civiles ; c'est que les conscrits étant mis en réquisition chez les propriétaires, un système de faveur et de partialité de la part des examinateurs ne recrutait l'armée que des sujets dont le maître se souciait le moins. » Végèce, I, 7.
Chaque légion, à partir d'Auguste, eut à sa disposition des machines de jets, par exemple comme le scorpio qui pouvait tirer jusqu'à 4 coups à la minute, servie par des spécialistes ( balestarii ) ayant plus de privilèges que le simple soldat. Déjà à cette époque existaient des services sanitaires avec à leurs têtes des médecins militaires mais ils ne seront officialisés que sous le Haut Empire ; tous les deux étaient directement sous les ordres du préfet de camp. La légion était un élément complexe, chaque homme avait un rôle bien défini au combat comme au repos, en fonction de sa spécialité et de ses capacités. Un entraînement intensif était le fruit d'une grande efficacité à la guerre comme pendant la paix.
Comme à tout organisme, il faut une hiérarchie. Voyons celle de la légion. Au temps de la République , elle était commandée par 6 tribuns militaires ( tribuni militum comitiati ) qui avait le pouvoir suprême chacun son tour durant deux mois ; ils devaient avoir une dizaine d'année d'expérience militaire et étaient élus par les comices centuriates, ils étaient aux ordres des consuls qui étaient les généraux en chef, ils disparurent à l'arrivée d'Auguste (voir « l'Histoire des Romains » de Victor Duruy) , on peut constater qu'il se dresse contre les propos de Mommsen). Une carrière de magistrat, sous la République , demandait une période passée à l'armée, soit celui qui était concerné prenait ses devoirs militaires au sérieux et alors on le voyait à la tête d'une troupe soit, comme Cicéron, c'était une obligation et il était fondu dans la jeunesse dorée qui accompagnait un général ; sous l'Empire toute carrière administrative équestre devait commencer par une période militaire qui pouvait durer plusieurs années ( tres militia ).
En résumé, à partir des réformes de Marius, on peut voir les cadres d'une légion ainsi (par ordre croissant) :
59 centurions.
5 tribuns angusticlaves (issus de la classe équestre = deux bandes étroites et pourpre sur sa tunique), chacun commandait deux cohortes.
1 préfet de camp qui était en troisième position dans la hiérarchie. Il s'occupait plus particulièrement du camp (comme son nom l'indique), des bagages, de l'artillerie et dirigeait les sièges.
1 tribun laticlave (issu de la classe sénatoriale = deux bandes larges et pourpre sur sa tunique), très jeune puisqu'il avait aux alentours de 20 ans, il était le second du légat, le remplaçait lors de ses absences et était là pour apprendre car il devait être légat plus tard lui-même.
1 légat, nommé par l'empereur et de classe sénatoriale qui commandait le tout.
LIVRES A CONSULTER :
de Yann Le Bohec
de François Gilbert