CONTRE LES CHRÉTIENS
ou
RÉFUTATION DES ÉVANGILES

par

L'EMPEREUR JULIEN

PARIS
HENRI PLON, LIBRAIRE-ÉDITEUR

1863

 

SOMMAIRE.(1)

La secte des Galiléens est une fourberie purement humaine, qui ne contient que des contes d'enfant. Comparaison de l'idée de Dieu dans Moïse et chez les Grecs. Récit de là création du monde — par Moïse et par Platon. — Le Dieu de Moïse ne fait que créer ou arranger la nature matérielle, le monde des corps : il n'a aucune puissance pour engendrer la nature spirituelle, le monde animé; le Dieu de Platon enfante d'abord les êtres intelligents, les puissances, les anges, les génies, qui créent ensuite les formes ou la nature visible, les cieux, le soleil et les sphères.— Doctrine judaïque du paradis planté par Dieu. — D'Adam et d'Ève.—Tentation d'Ève. — Que penser du serpent qui parle? Dans quelle langue parlait-il?— Comment se moquer après cela des fables populaires de la Grèce? — Dieu interdit à nos premiers parents la connaissance du bien et du mal: il leur défend de toucher à l'arbre de vie, dans la crainte qu'ils ne vivent toujours; blasphèmes contre Dieu ou allégories. Alors pourquoi rejeter les mythes philosophiques? — Dieu choisit pour son peuple les Hébreux. Comment un Dieu juste-t-il abandonné les autres nations? Chez les Grecs, Dieu est le roi et le père commun des hommes. — Réfutation du récit de la tour de Babel. Il faut admettre, si on l'admet, l'escalade du ciel par les Géants homériques. — Ptéceptes vulgaires du Décalogue.— Le Dieu jaloux et courroucé. — Comparaison du législateur des Hébreux avec ceux de la Grèce et de Rome, les grands hommes de l'Égypte et de la Babylonie.—Jésus est au-dessous d'Esculapc. — L'inspiration divine n'a qu'un temps; les oracles fameux ont cessé dans la révolution des âges. — Les Galiléens n'ont pris des Hébreux que leur fureur et leur haine contre l'espèce humaine. — Jésus et Paul ne se sont proposé que de tromper des servantes, des esclaves ignorants; ils n'ont pu deviner le degré de puissance où
ils parviendraient un jour. — Peut-on citer, sous le rigne de Tibère ou de Clande, des chrétiens distingués par leur naissance ou par leur génie? — Impuissance de l'eau du baptême à guérir les maux du corps, tandis qu'elle est infaillible pour guérir ceux de l'âme. — Si le Verbe est Dieu, comment Marie, femme mortelle, a-t-elle enfanté un Dieu? Ni Paul, ni Matthieu, ni Luc, ni Marc, n'out osé dire que Jésus fût un Dieu. — Jean le premier a déclaré que le Verbe s'était fait chuir et cependant quand il nomme Dieu et le Verbe, il ne nomme ni Jésus, ni Christ. — Considérations sur le sacrifice d'Abraham.

(1) Une partie de ce sommaire est empruntée à l'analyse de l'ouvrage de Julien faite par Chateaubriand, Etudes histor.

Extraits du livre II de saint Cyrille.

1. Il me paraît bon d'exposer à tous les hommes les raisons qui m'ont convaincu que la secte des Galiléens est une fourberie purement humaine, inventée par la perversité, et qui, n'ayant rien de divin, a pipé la partie insensée de notre âme, qui se plaît aux fables, aux contes d'enfant, et lui a fait tenir pour des vérités un tissu de choses monstrueuses.

2. Comme j'ai à parler de tous leurs prétendus dogmes, je veux, avant tout, établir ce point, que ceux qui me liront, s'ils ont l'intention de répondre, fassent comme dans un tribunal, c'est-à-dire qu'ils ne s'évertuent pas à introduire un élément étranger à la cause, ou à récriminer, tant qu'ils n'ont pas détruit l'accusation. Il y aura plus d'ordre et plus de netteté dans leur défense, s'ils s'y renferment exclusivement en réfutant nos assertions, et si, en se lavant de nos reproches, ils ne nous chargent point d'une accusation nouvelle.

3. Mais il faut d'abord reprendre, en peu de mots, d'où nous vient l'idée de Dieu et quelle est celle que nous devons en avoir. Ensuite nous comparerons la notion qu'en ont les Grecs avec ce qu'en ont dit les Hébreux; puis nous demanderons à ceux qui ne sont ni Grecs ni Juifs, mais qui suivent la secte des Galiléens, pourquoi ils préfèrent l'opinion, de ces derniers à la nôtre ; puis enfin comment il se fait qu'ils ne se sont pas fixés à cette opinion, mais qu'ils l'ont abandonnée pour prendre un chemin qui leur fût propre. Ils prétendent qu'il n'y a rien de beau, rien de bon, ni chez nous autres Grecs, ni chez les Hébreux qui suivent la loi de Moïse, et cependant ils se sont approprié les vices inhérents à chacune de ces deux nations, empruntant à la crédulité juive la négation des dieux, à notre indolence et à notre grossièreté d'esprit un système infâme et méprisable, et voulant qu'on appelle cela la religion par excellence.

4. Les Grecs, j'en conviens, ont inventé sur les dieux des fables incroyables et monstrueuses. Ils disent que Saturne a avalé ses enfants et qu'il les a ensuite vomis. Puis ce sont des mariages incestueux. Jupiter a couché avec sa mère et en a eu des enfants : il a épousé sa fille, et, après avoir couché avec elle, il l'a donnée à un autre. Il y a encore le démembremen de Bacchus et ses membres recollés. Voilà les contes que nous font les Grecs.

5. A cela, si vous voulez bien, comparons Platon. Remarquez ce qu'il dit du Créateur et quelles paroles il lui prête au moment de la création du monde, afin de comparer la cosmogonie de Platon et celle de Moïse. C'est le moyen de voir lequel des deux est le meilleur, le plus digne de Dieu, ou de Platon, qui adorait des idoles, ou de celui de qui l'Écriture a dit que Dieu lui parlait face à face : Au commencement Dieu fit le ciel et la terre. La terre était sans apparence et sans forme ; les ténèbres étaient au-dessus de l'abîme et l'esprit de Dieu flottait sur les eaux. Et Dieu dit : « Que la lumière soit, et la lumière fut. Et Dieu vit que la lumière était bonne. Et Dieu sépara la lumière des ténèbres. Et Dieu appela la lumière jour, et il appela les ténèbres nuit. Ainsi fut le soir, ainsi fut le matin, ce fut le premier jour. Et Dieu dit : « Qu'il y ait un firmament au milieu des eaux. » Et Dieu appela le firmament ciel. Et Dieu dit : « Que l'eau, qui est sous le ciel, se rassemble en une seule masse, afin que le sec paraisse. » Et cela fut. Et Dieu dit : « Que la terre porte l'herbe du gazon et le bois qui donne du fruit. » Et Dieu dit : Qu'il se fasse deux grands luminaires dans le firmament du ciel, pour qu'ils répandent la clarté sur la terre. Et Dieu les plaça dans le firmament du ciel, pour luire sur la terre et pour faire le jour et la nuit. » Dans tout cela évidemment Moïse ne dit point que l'abîme ait été fait par Dieu, ni les ténèbres, ni l'eau. Et cependant il aurait dû, lui qui avait dit que la lumière avait été produite par un ordre de Dieu, s'expliquer aussi sur la nuit, sur l'abîme et sur l'eau. Or, il ne dit absolument rien de leur naissance, quoiqu'il en fasse souvent mention. En outre, il ne parle point de la naissance ni de la création des anges, ni de quelle manière ils ont été produits, mais il semble, d'après ce que dit Moïse des corps répandus dans le ciel et sur la terre, que Dieu n'est le créateur d'aucun être incorporel, mais seulement l'ordonnateur de la matière soumise à ses lois. Quant à l'expression « La terre était sans apparence et sans forme » , elle est d'un homme qui suppose à la matière une essence humide et sèche, et qui lui donne Dieu pour organisateur.

6. Faisons porter la comparaison sur un point unique voyons comment Dieu opère l'arrangement de la matière dans Moïse et comment dans Platon. « Et Dieu dit : « Faisons
l'homme à notre image et ressemblance pour qu'ils dominent sur les poissons de la mer, et sur les oiseaux du ciel, et sur les bêtes, et sur toute la terre, et sur tous les reptiles qui rampent sur la terre. " Et Dieu fit l'homme, et il les fit mâle et femelle, et il leur dit : " Croissez, multipliez, et remplissez la terre, commandez aux poissons de la mer, aux oiseaux du ciel, à toutes les bêtes et à toute la terre. " Écoute maintenant le discours que Platon fait prononcer au Créateur de l'univers : « Dieux des dieux, les oeuvres dont je suis l'ordonnateur et le père ne périront jamais : je le veux ainsi. Tout être créé est périssable; mais vouloir détruire ce qui est bien ordonné, ce qui se tient bien, c'est d'un méchant. Puis donc que vous avez été créés, vous n'êtes pas immortels ni impérissables; cependant vous ne périrez jamais, vous ne subirez point la condition mortelle, ma volonté étant un lien plus fort et plus puissant que celui qui vous liait au moment de votre naissance. Apprenez maintenant ce que je vais vous découvrir. Il reste à créer trois espèces d'êtres mortels. S'ils n'existaient point, le ciel serait imparfait ; car tous les êtres qui s'y trouvent n'auraient point la vie. Mais si je les créais et s'ils prenaient part àl la vie, ils seraient égaux aux dieux. Afin donc qu'il y ait des êtres mortels et que le grand tout soit parfait, appliquez votre nature à la production des êtres et imitez la puissance que j'ai eue en vous créant. Pour moi, dans la limite où il leur est possible d'approcher des immortels, cette essence appelée divine, et qui domine chez ceux qui aspirent constamment vers vous et vers la justice, je la répandrai et je vous la donnerai pour la verser en eux. Quant à vous, unissant le mortel à l'immortel, produisez, engendrez des êtres, nourrissez-les, faites-les croître, et, quand ils périront, recevez-les de nouveau dans votre sein.»

7. Tout cela est-il un rêve? Voyez-le et jugez. Platon nomme ici les dieux visibles, le Soleil, la Lune, les Astres et le Ciel, mais ce ne sont que les images d'êtres invisibles. Le Soleil, qui se montre à nos yeux, est l'image d'un soleil intelligible et que nous ne voyons pas. La Lune, qui se montre à nos yeux, et chacun des astres, ne sont que l'image d'objets intelligibles. Platon a donc connu ces dieux invisibles, émanés du Dieu suprême et coexistant avec le Dieu qui les a créés et produits. Platon a donc raison de faire dire par le Dieu suprême aux dieux Invisibles : "Dieux des dieux,"» c'est-à-dire des dieux invisibles. Or, ce Dieu suprême est celui qlui a produit dans le monde intelligible le ciel, la terre, la mer, les.astres et leurs archétypes. Vois comme tout cela est juste : il en est dé même de ce qui suit. « Il reste, » dit le Dieu suprême, « il reste à créer trois espèces d'êtres mortels, à savoir les hommes, les animaux et les végétaux. Or, chacune d'elles est séparée par des caractères distincts. Il ajoute : « Si chacun de ces êtres était créé par moi, il serait absolument et nécessairement immortel.» En effet, ce qui émane des dieux, même le monde visible, ne peut manquer d'être immortel, étant issu de l'Etre suprême. Or quel est le principe de l'immortalité qui se communique nécessairement à tout être émané de l'Etre suprême? C'est l'âme raisonnable. Il dit encore : « Celles de ces espèces qui aspirent vers vous, je répandrai l'essence divine et je vous la donnerai pour la verser en eux. Quant à vous, unissez le mortel à l'immortel. » Il est évident par là que les dieux créateurs, ayant reçu de leur père la puissance créatrice, ont produit sur la terre les êtres mortels, attendu que, s'il ne devait y avoir aucune différence entre le ciel et l'homme, les animaux, les reptiles et les poissons qui nagent dans la mer, il aurait fallu qu'il n'y eût qu'un seul et même créateur de tous les êtres (1).

(1) On aurait peine à croire combien ce passage a été singulièrement défiguré par le marquis d'Argens et par son copiste Tourlet.

Mais, puisqu'il y a un intervalle immense entre les immortels et les mortels, sans qu'aucune addition ajoute et sans qu'aucune diminution retranche rien à ces êtres périssables et éphémères, il faut bien que la cause qui a créé les uns soit différente de celle qui a créé les autres.

8. A quoi me sert d'invoquer ici le témoignage des Grecs et des Hébreux? Il n'y à pas un homme qui, lorsqu'il étend, en priant, ses mains vers le ciel, et qu'il prend Dieu ou les dieux à témoin, n'ait l'idée d'un être divin et ne se sente porté en haut. Et cette impression est toute naturelle chez les hommes. Voyant qu'il n'y a ni diminution ni augmentation dans les choses célestes, qu'il n'y arrive jamais aucun désordre, mais que leur mouvement est toujours régulier, leur ordonnance toujours symétrique, que les phases de la lune sontr réglées, réglés les levers et les couchers du soleil, à des époques réglées elles-mêmes, ils ont vu là un dieu et le trône d'un dieu. Car un être qui n'est susceptible ni d'augmentation ni de diminution, et qui placé en dehors de toute modification et de tout changeaient, ne saurait avoir d'origine, ni de fin. Être immortel et impérissable, il est exempt de toute souillure ; être éternel et immuable, il est emporté, nous le voyons, par un mouvement circulaire autour du grand Créateur, soit par une âme supérieure, et divine qu réside en lui, soit par un mouvement imprimé par Dieu, même, comme celui que notre âme imprime à nos corps, impulsion qui le fait rouler dans un cercle immense par un essor incessant et éternel.

Extraits du livre III de saint Cyrille.

1. Comparez à cela la doctrine judaïque, le paradis planté par Dieu, Adam fait par lui et Eve créée après Adam. Dieu dit (1) : « Il n'est pas bon que l'homme soit seul. Faisons-lui une aide à sa ressemblance. »

(1) Genèse, II, v. 18.

Cependant cette aide non seulement ne l'aide en rien, mais elle le trompe, et elle devient pour lui et pour elle la cause de leur expulsion des délices du paradis. Voilà qui est tout à fait fabuleux. Est-il raisonnable que Dieu ait ignoré que l'être donné en aide à l'homme serait pour lui une source de mal et non pas de bien?

2. Quant au serpent dialoguant avec Ève, de quelle langue dirons-nous qu'il se servit? De celle de l'homme? En quoi toutes ces fables diffèrent-elles des fictions des Grecs?

3. Et la défense imposée par Dieu aux êtres humains qu'il avait créés de faire la distinction du bien et du mal, n'est-ce pas le comble de l'absurdité? Peut-il y avoir un être plus stupide que celui qui ne peut pas distinguer le bien du mal? Il est évident qu'il ne fuira pas l'un, je veux dire le mal, et qu'il ne recherchera pas l'autre, je veux dire le bien. Dieu avait donc défendu à l'homme de goûter à ce qui est le fond même de la raison, qui est la faculté la plus noble de l'homme. En effet, le propre de la raison, c'est de savoir distinguer le bien du mal : vérité frappante, même pour les insensés.

4. Ainsi le serpent était le bienfaiteur plutôt que l'ennemi du genre humain : et ce qui le prouve mieux encore, c'est ce qui suit, où l'on dit que Dieu est jaloux. En effet, quand il voit l'homme en possession de la raison, afin, dit-il, qu'il ne goûte point de l'arbre de vie, il le chasse du paradis, en disant nettement ;
: « Voici qu'Adam est devenu comme l'un de nous, connaissant le bien et le mal. Et maintenant pour qu'il n'étende pas sa main, qu'il ne touche pas à l'arbre de vie, qu'il n'en mange point et qu'il ne vive pas éternellement, le Seigneur Dieu l'a chassé des délices du paradis. »(1)

(1) Genèse, III, v. 22.

Si chacun de ces mots n'est pas une allégorie cachant un sens secret, ce que je crois, tout ce récit est plein de blasphèmes contre Dieu. En effet, ignorer que l'aide donnée à l'homme sera cause de sa chute, lui interdire la connaissance du bien et du mal, la seule règle de la vie humaine, et puis craindre par jalousie que l'homme, prenant sa part de la vie, ne devienne de mortel immortel, c'est par trop d'envie et de méchanceté.

5. Parlons maintenant de ce qu'ils disent de vrai sur Dieu et que nos pères nous ont enseigné dès l'origine, à savoir que le Créateur veille sur cet univers. Moïse ne dit pas un mot de ce qui se passe au-dessus du monde : il n'a rien osé avancer sur la nature des anges, bien qu'il ait dit et répété souvent que ce sont les ministres de Dieu. Sont-ils créés ou incréés, sont-ils faits par un autre que Dieu, sont-ils exclusivement les ministres de Dieu, ou exercent-ils d'autres fonctions, rien de précis à cet égard. Mais il parle en détail du ciel, de la terre, des choses répandues à sa surface et de la manière dont elles sont arrangées. Il dit que Dieu ordonna que les unes fussent faites, comme le jour, la lumière, le firmament, et qu'il fit les autres, comme le ciel, la terre, le soleil et la lune, et qu'il sépara les êtres cachés jusque-là, l'eau, je pense, et le sec. En outre, Moïse n'a rien osé dire sur la génération et la création de l'esprit : il a dit simplement : "l L'esprit de Dieu était porté au-dessus de l'eau. " Etait-il incréé ou créé? Il n'en dit rien.

6. Comme il est évident que Moïse n'a point tout expliqué sur ce qui concerne le gouvernement du monde par son Créateur, comparons entre elles l'opinion des Hébreux et celle de nos pères sur ce sujet. Moïse dit que le Créateur du monde choisit la nation des Hébreux, veilla exclusivement sur elle, ne se préoccupa que d'elle et lui donna à elle seule tous ses soins. Quant aux autres nations, comment et par quels dieux elles sont gouvernées, il n'en est pas question; à peine semble-t-il leur accorder de jouir du soleil et de la lune. Mais reparlerons plus loin. Je nous en me borne à constater que Moïse, et après lui les prophètes et Jésus le Nazaréen prétendent que Dieu est exclusivement le dieu d'Israël et de la Judée, et que c'est là son peuple de prédilection. Ajoutons que tous les charlatans, et tous les imposteurs qui furent jamais ont été surpassés par Paul. Écoutons ce qu'ils disent, et Moïse d'abord : (1) « Tu diras à Pharaon : Mon fils premier-né Israël. J'ai dit : Renvoie mon peuple, pour qu'il me serve, et tu n'as pas voulu le renvoyer.... » Et un peu plus loin : "Et ils dirent : le dieu» des Hébreux nous a appelés. Nous irons donc dans le désert, faisant une route de trois jours pour sacrifier au Seigneur notre Dieu. " Et puis encore un peu plus loin : « Le Seigneur Dieu des Hébreux m'a envoyé vers toi, disant Renvoie mon peuple, afin qu'ils me fassent un sacrifice dans le désert. »

(1) Exode, IV, 22, 23; V, 3; VII, 16.

7. Que les Juifs aient été exclusivement sous le patronage de Dieu, qu'ils aient été son héritage de prédilection, c'est une assertion non seulement de Moïse et de Jésus, mais aussi de Paul. Et cela doit paraître étonnant de sa part. Car, à chaque instant, comme les polypes sur les rochers, il change de croyance relativement à Dieu, tantôt prétendant que les Juifs sont l'héritage exclusif de Dieu, tantôt affirmant que les Grecs y ont aussi part, puisqu'il dit que Dieu n'est pas seulement le dieu des Juifs, mais le dieu des Gentils, positivement des Gentils. Il est donc juste de demander à Paul pourquoi, si Dieu n'est pas seulement le dieu des Juifs, mais des Gentils, il a envoyé seulement aux Juifs l'esprit prophétique, Moïse, l'onction, les prophètes, la loi, les paradoxes et les miracles fabuleux. Tu les entends crier : « L'homme a mangé le pain.des anges. » A la fin, Dieu leur envoie Jésus, qui n'est ni oint, ni prophète, ni maître, ni héraut de cet amour de Dieu pour les hommes qui doit plus tard se montrer sur la terre. Mais il attend des myriades, ou, si vous voulez, des milliers d'années, laissant dans l'ignorance et livrés au culte des idoles tous les peuples depuis le lever du soleil jusqu'à son coucher, et tous ceux depuis les ourses jusqu'au midi, à l'exception d'une petite peuplade, habitant depuis deux mille ans à peu près un coin de la Palestine. Si ce Dieu est le dieu de nous tous, si c'est le créateur de toutes choses, pourquoi nous a-t-il abandonnes? L'auteur ajoute (1) : Convenez avec nous que le Dieu créateur de toutes choses est un produit de votre imagination toute pure, le rêve fantastique de quelqu'un de votre race? Car tout cela n'est-ce pas de la partialité? Votre Dieu n'est-il point jaloux? Or, pourquoi Dieu est-il jaloux? Pourquoi venge-t-il les fautes des pères sur les enfants?

(1) C'est saint Cyrille qui parle avant de citer Julien.

Extraits du livre IV de saint Cyrille.

1. Mais considérons maintenant quelles sont nos doctrines sur cette question. Nos auteurs disent que le Créateur de l'univers est le père et le roi commun, qu'il a distribué le reste des nations à des dieux protecteurs des nations et des villes, et que chacun d'eux exerce spécialement les fonctions qui lui sont dévolues. En effet, tout étant parfait dans le Père et composant un tout absolu, il y a dans les parties une puissance qui reçoit des applications relatives : Mars préside aux actes guerriers des nations : Minerve est la déesse de la prudence et de la guerre : Mercure leur apprend la ruse plutôt que l'audace ; en un mot chaque nation obéit à l'ascendant particulier de celui des dieux qui est chargé de veiller sur elle. Si l'expérience ne confirme pas ce que je dis, que toutes nos croyances ne soient que mensonge, folle persuasion, et que l'on approuve les vôtres. Mais c'est tout le contraire. De tout temps l'expérience a confirmé ce que nous disons, et elle n'a jamais paru s'accorder avec ce que vous dites. D'où vient donc cette prétention? Dites-moi pourquoi les Celtes et les Germains sont braves, les Grecs et les Romains polis avant tout et civilisés, mais cependant fiers et belliqueux; les Egyptiens plus avisés et plus industrieux ; les Syriens peu propres à la guerre, mous, mais avec un mélange d'esprit, de chaleur, de légèreté et de facilité à apprendre. Si l'on ne voit pas la cause de cette différence entre les nations, et si l'on soutient que tout cela est l'effet du hasard, comment croira-t-on que le monde est gouverné par une providence? Mais si l'on en voit la cause, qu'on la dise, au nom du Créateur lui-même, et qu'on me l'apprenne.

2. Il est constant que les lois correspondent à la nature respective des peuples chez lesquels elles sont établies. Politiques. et humaines chez ceux qui sont doués d'humanité, elles sont dures et sauvages chez.ceux qui ont un naturel tout à fait différent des premiers. En effet, les législateurs ont ajouté peu de chose, dans leurs prescriptions, au naturel et aux usages. Voilà pourquoi les Scythes accueillirent Anacharsis comme un insensé. On aurait peine à trouver quelques peuples de l'Occident, sauf un très petit nombre, qui cultivent la philosophie et la géométrie et qui même soient propres à ce genre d'études, quoique l'empire romain ait étendu si loin ses conquêtes. Le talent de la parole et l'art des rhéteurs n'y est le privilége que de quelques esprits d'élite, mais ils sont étrangers à toutes les autres sciences. Tant la nature a de force. Qu'est-ce donc que cette différence dans les usages et dans les lois des nations?

3. Moïse explique d'une manière fabuleuse la variété, des langues. Il dit que les fils des hommes s'étant réunis, voulurent bâtir une ville, et, dans cette ville, une grande tour. Dieu dit alors qu'il va descendre et confondre leur langage. Et pour qu'on ne croie pas que j'en impose, nous lirons le texte même de Moïse (1) : « Et ils dirent : Venez : bâtissons-nous une ville et une tour, dont la tête ira jusqu'au ciel, et faisons-nous un nom avant de nous disperser sur la face de toute la terre. Et le Seigneur descendit voir la ville et la tour qu'avaient bâties les fils des hommes. Et le Seigneur dit : Voici : ce n'est qu'une seule race, qu'une seule langue pour tous, et ils ont entrepris cela, et maintenant ils ne manqueront pas, étant tous, de faire ce qu'ils ont entrepris. Venez : descendons là et confondons leur langue, afin que pas un n'entende la parole de son voisin. Et le Seigneur Dieu les dispersa sur la face de toute la terre, et ils cessèrent de bâtir la ville et la tour. »

(1) Genèse, I, v: 4, 5, 6, 7, 8.

Vous voulez croire cela, et vous ne croyez pas ce qu'Homère dit des Aloades (1), qui s'avisèrent de mettre trois montagnes l'une sur l'autre " afin d'escalader le ciel"

(1) Otuis et Ephialte, géants monstrueux, fils du Neptune et d'Iphidémie. Voyez Homère, Odyssée.,XI, v. 307 et suivants

Moi je dis que cette histoire est aussi fabuleuse que l'autre ; mais vous qui croyez la première, dites-moi, au nom des dieux, pourquoi vous reprochez la seconde à Homère comme une fable. On ne peut dire, ce me semble, qu'à des ignorants que, en supposant même que tous les hommes de la terre habitée n'eussent eu qu'une même parole et une même langue, ils n'auraient jamais pu bâtir une ville allant jusqu'au ciel, eussent-ils mis en briques la terre entière. Car il aurait fallu une masse de briques égale à toute la terre pour aller jusqu'aux cercles de la lune. Supposons, en effet, que tous les hommes, réunis et ayant une même parole et une même langue, aient mis la terre entière en briques et en aient épuisé les pierres, comment atteindront-ils jusqu'au ciel, en supposant même que leur oeuvre soit plus allongée qu'un fil que l'on dévide? Le moyen de croire vraie une fable aussi évidemment faùsse ! Et vous qui prétendez que Dieu se fit peur de la concorde des hommes et que c'est pour cela qu'il confondit leurs langues, vous osez.nous dire que vous avez une juste notion de la Divinité?

4. Je reviens à ce que dit Moïse de la confusion des langues. La cause en est, selon lui, que Dieu craignit que les hommes ayant la même parole et la même langue, n'escaladassent le ciel. Et comment Dieu s'y prit-il? Dieu descendit du ciel, ne. pouvant faire cela de là-haut, à, ce qu'il paraît, et obligé de descendre sur la terre. Quant à la différence des coutumes et des lois, Moïse ni pas un autre n'en disent rien, et cependant il y a plus de variété dans les lois et dans les habitudes politiques des nations humaines que dans leurs langues. Quel est le Grec qui ne regarde comme un crime d'avoir commerce avec sa soeur, sa fille. ou sa mère? Les Perses jugent que ce n'est point mal; Ai-je besoin de démontrer en détail que la nation germaine est amie de la liberté et impatiente du joug, tandis que les Syriens, les Perses et les Parthes sont d'une humeur douce et facile, ainsi que les barbares, qui sont à l'orient et au midi et qui, tous sans exception, se soumettent volontiers aux dominations les plus despotiques? Si tout cela ,s'est fait sous une providence supérieure et divine, pourquoi chercher un être plus grand et plus digne de nos hommages, pourquoi honorer en vain un Dieu qui ne prévoit rien? S'il ne se préoccape ni de la vie, ni des coutumes, ni des moeurs, ni des bonnes lois, ni de la constitution politique,des peuples, lui sied-il de réclamer un culte de la part des hommes? Pas du tout. Voyez dans quelle absurdité tombe votre raisonnement. Parmi les biens qu'on voit dans la vie humaine, les premiers sont les biens de l'âme, puis après viennent les biens du corps. Si donc Dieu ne s'est point préoccupé des biens de notre âme, s'il n'a pourvu en rien à notre bien-être physique, s'il ne nous a envoyé ni docteurs, ni législateurs, comme aux Hébreux, d'après ce que dit Moïse, et après lui les prophètes, quel beau gré pouvons-nous lui en savoir

5. Mais voyons si ce n'est pas votre Dieu qui nous a donné nos dieux à nous, ces dieux que vous ne connaissez point, ces bienfaiteurs des hommes, qui ne le cèdent en rien au Dieu des Hébreux, adoré dans la Judée, sur laquelle s'étendit exclusivement sa Providence, comme le disent Moïse et ceux qui lui ont succédé jusqu'à nous; La preuve que sur la question de savoir si le Dieu créateur, adoré par les Hébreux, veille sur le monde, nous avons des notions plus justes que vous, c'est qu'il nous a donné des biens plus grands qu'à eux, biens de l'âme et du corps, dont il sera question plus loin, et qu'il nous a envoyé des législateurs qui valent Moïse, si même plusieurs ne le surpassent point de beaucoup.

6. Ainsi que nous l'avons dit, si Dieu n'a pas établi dans chaque nation, pour la gouverner, un génie ou un démon sous ses ordres, et une race spéciale d'âmes qui obéit et se plie à des êtres supérieurs, d'où résulte la différence des lois et des coutumes, qu'on me montre de quelle autre cause elle peut provenir. Il ne suffit pas de dire : « Dieu dit, et ce fut. » Il faut encore que la nature de ce qui se fait s'accorde avec les ordres de Dieu. Je m'explique plus nettement. Dieu commande, par exemple, que le feu se porte vers le haut et la terre vers le bas. Ne fallait-il pas pour que cet ordre s'accomplît, que le feu fût léger et la terre pesante? Et ainsi du reste. Il en est de même pour les choses divines. Etant donné que la race humaine est périssable et mortelle, il suit nécessairement que ses oeuvres mobiles. Mais Dieu étant éternel, éternels aussi doivent être sont périssables, sujettes au changement et essentiellement ses ordres. Ses ordres étant éternels, ils sont la nature mène des êtres ou conformes à la nature des êtres. Car comment la nature pourrait-elle être en lutte avec un ordre de Dieu? Comment pourrait-elle exister en dehors de cet accord? Si donc, de la même manière que Dieu a ordonné la confusion des langues et leur dissonance, il a voulu qu'il y eût une différence dans la constitution politique des nations, il ne l'a pas fait seulement par un ordre de lui, mais il a dû nous créer en vue de cette différence. Il a donc fallu d'abord une différence naturelle entre des nations qui devaient vivre différemment. On le voit d'après les corps mêmes, si l'on considère la différence qu'il y a entre les Germains, les Scythes, les Libyens et les Éthiopiens. Cela peut-il se faire par un ordre pur et simple? Le climat, le pays, l'état du ciel n'y sont-ils pour rien?

7. Moïse s'est plu à obscurcir ce fait à dessein, et il n'a pas attribué la confusion des langues à son Dieu seulement. En effet, il dit que Dieu ne descendit pas seul, mais plusieurs avec lui, et il ne dit pas quels étaient ceux-là. Il est évident qu'il donne à entendre que ceux qui descendirent avec lui étaient semblables à lui. Si donc le Seigneur n'est pas le seul auteur de la confusion des langues, mais que ceux qui étaient avec lui les ont aussi confondues, on est fondé à en conclure qu'ils sont les auteurs de la diversité des nations.

8. Où donc ai-je voulu en venir par cette longue discussion? A ceci, que, si le Créateur prêché par Moïse veille sur le monde, nous avons de lui une opinion meilleure en le considérant comme le maître commun de l'univers. Les autres dieux sont préposés aux nations et placés sous ses ordres, comme les ministres d'un roi, et s'acquittent chacun de leurs fonctions d'une manière différente. Ainsi nous ne mettons point Dieu dans la dépendance de ces subalternes et nous ne supposons pas qu'il partage avec les dieux qui dépendent de lui. Que si Dieu, pour honorer quelqu'un de ses ministres, lui a confié le gouvernement de l'univers, mieux vaut, en suivant notre doctrine, reconnaître à la fois ce Dieu de l'univers, sans méconnaître l'autre, que d'honorer le Dieu à qui est échu le gouvernement d'une petite partie du monde, au lieu d'honorer le Dieu de l'univers.

Extraits du livre V de saint Cyrille.

I. On trouve admirable la loi de Moïse, le Décalogue (1): « Tu ne voleras point. Tu ne tueras point. Tu ne rendras pas de faux témoignage. »

(1) Exode, chap. xx, et Deutéronome, chap. IV.

Transcrivons mot à mot chacun des commandements que Moïse assure avoir été écrits par Dieu lui-même : « Je suis le Seigneur ton Dieu, qui t'ai retiré de la terre d'Egypte. » Et après : « Tu n'auras point d'autres dieux que moi. Tu ne te feras point d'idole. » Et il en donne la raison : « Car je suis le Seigneur ton Dieu, qui punit les fautes des pères sur les enfants, le Dieu jaloux. Tu ne prendras pas en vain le nom du Seigneur Dieu. Souviens-toi du jour des sabbats. Honore ton père et ta mère. Tu ne forniqueras point. Tu ne tueras point. Tu ne voleras point. Tu ne rendras pas de faux témoignage. » Quelle nationi je le demande au nom des dieux, sauf le : « Tu n'adoreras pas d'autres dieux» et le " Souviens-toi des sabbats " , quelle nation ne croit pas devoir observer les autres commandements? Si bien qu'il y a partout contre ceux qui les violent des peines, ici plus sévères, là les mêmes, ailleurs moins rigoureuses que celles de Moïse.

2., Mais ce commandement : « Tu n'adoreras pas d'autres dieux » est dans la bouche de Moïse un grand blasphème contre Dieu, et il ajoute : « Je suis le Dieu-jaloux. » Et dans un autre endroit : « Notre Dieu est un feu dévorant (1

(1) Deutéronome, chap. iv, v. 24.

Est-ce qu'un homme jaloux et envieux ne te paraît pas digne de blâme? Et tu crois pieux de donner à Dieu le nom de jaloux? Comment peut-il être raisonnable d'avancer un pareil mensonge? Si Dieu est jaloux, c'est malgré lui que les autres dieux sont adorés et que devant eux s'inclinent toutes les autres nations. Comment se fait-il alors que ce jaloux n'ait pas empêché les nations d'adorer les autres dieux, afin de n'adorer que lui seul? Ne le pouvait-il pas, ou bien n'a-t-il pas voulu, dès le principe, empêcher que les autres dieux ne fussent adorés? Il y a impiété à soutenir la première alternative et à dire qu'il ne le pouvait point; quant à la seconde, elle s'accorde avec notre religion. Loin de nous ces enfantillages, et ne nous entraînez point à de semblables blasphèmes !

3. Si Dieu veut que l'on n'adore personne, pourquoi donc adorez-vous son Fils, qu'il n'a jamais reconnu et regardé comme sien, je le prouverai facilement, et dont vous faites, je ne sais pourquoi, un enfant supposé?

4. Est-ce que Dieu n'a pas l'air de se fâcher, de s'indigner, de s'emporter, de jurer et de passer en un instant d'un parti à l'autre, dans le passage de Moïse où il est question de Phinées? Si quelqu'un de vous a lu les Nombres, il sait ce que je dis. Après que l'homme initié à Béelphégor a été tué avec la femme qui l'avàit séduit, de la propre main de Phinées qui fait à la femme une blessure hideuse et douloureuse, Moïse fait dire à Dieu (1)

(1) Nombres, chap. xxv, v. 11.

« Phinées, fils d'Eléazar, fils du grand prêtre Aaron, a détourné ma colère de dessus les fils d'Israël, parce qu'il a été furieux de ma fureur au milieu d'eux, et, dans ma fureur, je ne les ai point détruits. » Quoi de plus léger que le motif pour lequel l'écrivain prétend faussement que Dieu se laisse emporter par la colère? Est-il rien de plus absurde de voir que, si dix, quinze, cent, mettons même mille hommes ont osé violer les lois établies par Dieu, il faut pour ces mille hommes en faire périr six cent mille (1) ?

(1) Le texte de la Vulgate, Nombres, chap. xxv, v. 9, dit seulement vingt quatre mille.

Il me paraît plus sage, comme à tout homme sensé, de sauver un méchant avec mille bons que de perdre mille bons avec un méchant. Il entasse ensuite paroles sur paroles (1) pour dire que le Créateur du ciel et de la terre ne doit pas entrer dans des colères si sauvages, comme quand il veut, à diverses reprises, anéantir la race entière des Juifs.

(1) Ce premier membre de phrase est de saint Cyrille.

Si la colère, dit-il, d'un héros ou de quelque démon obscur, est funeste à des villes, à,des pays entiers, qu'arrivera-t-il de la colère d'un si grand Dieu contre les démons, les anges ou les hommes?

5.Il faut le comparer à la douceur de Lycurgue, à la clémence de Solon ou à la bonté et à la modération des Romains envers leurs ennemis.

6. Combien nos moeurs valent mieux; que les vôtres, jugez-en par ceci. Nos philosophes nous ordonnent d'imiter lès dieux autant que nous pouvons. Or, cette imitation consiste dans la contemplation des êtres. Que-cet état suppose l'absence de passion et l'usage de la méditation, c'est évident sans que je le dise. Ainsi se préparer par l'absence de passions à la contemplation des êtres, c'est le moyen d'imiter Dieu. Or, quelle est l'imitation de Dieu chez les Hébreux? La colère, l'irritation, une fureur sauvage.« Phinéès, dit-il, a détourné ma colère. Il a été furieux de ma fureur au milieu des fils d'Israël. » Parcè que Dieu trouve un homme qui partage son indignation et sa douleur, il a l'air de renoncer à son indignation. Moïse, en parlant de Dieu, feint mille traits semblables dans un grand nombre ie passages de son écrit.

7. Non, Dieu ne s'est point occupé exclusivement des Hékreux, mais il veille sur toutes les nations, et il n'a donné aux Hébreux rien de bon, rien de grand, tandis qu'il nous a comblés de faveurs beaucoup plus remarquables. Les Egyptiens peuvent citer chez eux les noms d'une foule des sages, dont un grand nombre ont succédé à Hermès (1), j'entends par là celui qui est trois fois populaire en Egypte.

(1) Chez les Égyptiens Thoth, et chez tes Grecs Hermès on Mercure Trismégiste, inventeur de l'écriture, de la grammaire, des sciences, des arts, etc. Il existait sous son nom quarante-deux livres sacrés que gardaient les prêtres égyptiens. Le texte de Julien n'est pas très-net en cet endroit.

Les Chaldéens et les Assyriens en ont eu autant depuis Ninusi et Bélus, et les Grecs des milliers depuis Chiron. Et depuis lors se sont montrés toutes sortes d'hommes éclairés et d'interprètes des choses divines : privilège dont se vantent exclusivement les Hébreux. Il raille ensuite David et Samson d'heureuse mémoire, prétendant qu'ils ne sont pas déjà si vaillants dans les combats, mais de beaucoup inférieurs en force aux Égyptiens et aux Grecs, et que leur souveraineté s'étendit à peine jusqu'aux frontières de la Judée

8. Mais il nous a donné,les principes de la science et l'enseignement philosophique. Et lequel? La connaissance des phénomènes célestes a été perfectionnée chez les Grecs, à la suite des premières observations faites par les Barbares à Babylone. La géométrie, née de la géodésie en Égypte, a fait les immenses progrès que nous voyons. Ce sont encore les Grecs qui ont élevé l'arithmétique, inventée par les marchands phéniciens, au noble rang de la science. Les Grecs enfin joignant les trois sciences en une, adaptent l'astronomie à la géométrie, combinent l'arithmétique avec les deux premières, et constatent les rapports harmonieux qui existent entre elles. De là nait chez eux la musique,
grâce à la découverte des lois de l'harmonie fondées sur la convenance parfaite, ou à peu près, du son avec la faculté de le percevoir.

Extraits du livre VI de saint Cyrille.

1. Quelles sciences citerai-je une à une, ou quels hommes? Platon, Socrate, Aristide, Cimon, Thalès, Lycurgue, Agésilas, Archidamus, tous les philosophes, les chefs d'armée, les artistes, les législateurs? On trouvera que les plus pervers et les plus cruels de ces chefs d'armée se sont montrés plus cléments envers ceux qui leur avaient fait les plus grandes offenses que Moïse à l'égard des gens qui ne lui avaient rien fait du tout.

2. Quel règne vous citerai-je? Celui de Persée, d'Éaque, ou du Crétois Minos, qui, après avoir purgé la mer infestée par des pirates, refoulé et chassé les Barbares jusqu'à la Syrie et la Sicile, étendit des deux côtés les frontières de son royaume, établit sa domination non seulement sur les îles, mais encore sur tout le littoral, et partagea avec son frère Rhadamanthe son territoire et les soins des peuples qu'ils avaient à gouverner? Minos donna des lois qui lui avaient été communiquées par Jupiter, et Rhadamanthe, sous sa direction, fut chargé de rendre la justice.

3. Mais Jésus, après avoir séduit quelques misérables d'entre vous, n'est connu que depuis trois cents années. Il n'a rien fait, tout le temps qu'il a vécu, qui soit digne de mémoire, à moins qu'on ne regarde comme un grand exploit de guérir des boiteux et des aveugles et d'exorciser des possédés dans les villages de Bethsaïde et de Béthanie.

4. (1) Après avoir raconté l'histoire de Dardanus, qu'il traite lui-même de vaine rhapsodie, il passe immédiatement à la fuite d'Enée, raconte l'arrivée des Troyens en Italie, fait mention de Rémus et de Romulus, s'étend longuement sur la fondation de Rome, dit que le très sage Numa est un présent fait aux Romains par Jupiter, et s'exprime ainsi : Après que laville, à son berceau, eut triomphé des guerres qui l'entouraient, en vainquant ses ennemis, et que, accrue par ses malheurs mêmes, elle jouit d'une plus grande sécurité, Jupiter leur donna le roi très philosophe Numa. Ce Numa était un modèle de vertu, vivant dans les bois solitaires, et toujours en commerce avec les dieux à cause de la sainteté de ses pensées. C'est lui qui établit la plupart des lois relatives à la religion.

(1) Toute la première phrase de cet alinéa est de saint Cyrille, résumant un passage de Julien. Le texte de Julien commence à la seconde phrase

5. Or, c'est par une inspiration, par une suggestion divine, par la voix de la sibylle et par celle des hommes appelés en grec chresmologues (1), que Jupiter semble avoir communiqué ses bienfaits à la ville de Rome.

(1) Diseurs d'oracles.

Un bouclier tombe du ciel, on trouve une tête sur une colline, d'où est venu, je crois, le nom du temple où réside le grand Jupiter mettrons-nous ces faveurs au nombre des premières ou des secondes? Pauvres hommes que vous êtes, vous refusez d'honorer et de vénérer le bouclier tombé du ciel que l'on a gardé chez nous, gage que nous a envoyé réellement et effectivement le grand Jupiter ou Mars, père des Romains, afin d'être à jamais le rempart de notre cité, et vous adorez le bois de la croix, vous en tracez l'image sur votre front et sur vos maisons! Doit-on haïr les gens sensés ou plaindre les insensés de votre secte qui se sont jetés, à votre suite, dans une voie tellement funeste, que, abandonnant les dieux éternels, ils s'en vont chez les Juifs adorer un mort?

6. L'inspiration que les dieux envoient aux hommes est rare et n'arrive qu'à un nombre très restreint : il est difficile à tout homme d'y avoir part, et en tout temps. Ainsi, elle a cessé chez les Hébreux, et elle n'existe plus chez les Égyptiens. On voit les oracles céder d'eux-mêmes au cours des années. C'est pour cela que, dans sa bonté, Jupiter, le père et le maître des hommes, voulant que nous ne fussions point privés de toute communication avec lès dieux, nous a donné l'observation des arts sacrés, afin que nous eussions l'assistance nécessaire dans nos besoins.

7. J'allais oublier le plus grand bienfait du Soleil et de Jupiter. Ce n'est pas sans raison que je le place à la fin. Il ne nous appartient pas à nous seuls, il est commun à tous les Grecs, nos frères d'origine. Jupiter, parmi les dieux intelligents émanés de lui, engendra Esculape, et le rendit manifeste à la terre par la puissance génératrice du Soleil, Esculape, descendu du ciel sur la terre, parut à Epidaure sous la forme humaine, et de là, s'avançant plus loin, il étendit sa main secourable sur la terre entière. Il vint à Pergame, en Ionie, à Tarente, et enfin à Rome, puis dans l'île de Cos et à Æges. Enfin, il visita toutes les nations de la terre et de la mer, et non point chacun de nous séparément, guérissant les âmes malades et les corps infirmes.

8. Les Hébreux peuvent-ils se vanter que Dieu leur ait accordé semblable bienfait, eux pour lesquels vous avez déserté nos rangs? Si encore vous aviez embrassé leur doctrine, vous ne seriez pas tout à fait malheureux, et votre nouveau sort, quoique moins bon que le premier, quand vous étiez avec nous, serait tolérable et supportable. Au lieu de plusieurs dieux, vous n'en adoreriez qu'un seul, mais au moins vous n'adoreriez pas un homme, ou, pour mieux dire, plusieurs hommes misérables. Et puis, en subissant une loi dure, sévère, qui a quelque chose de sauvage et de barbare, au lieu de nos lois douces et humaines, si vous étiez plus maltraités de ce côté,
vous seriez toutefois plus saints et plus purs sous le rapport de la religion. Mais vous avez fait aujourd'hui comme les sangsues, vous avez tiré le mauvais sang et laissé le plus pur.

9. Vous ne vous préoccupez point s'il y a eu chez eux de la sainteté. Vous n'imitez que leur colère et leur fureur. Vous détruisez, les temples et les autels ; vous égorgez non-seulement ceux qui restent fidèles au culte de leurs pères, mais ceux d'entre vous que vous dites infectés d'hérésie, et qui n'adorent pas le mort de la même manière que vous. Mais, ce sont là de vos inventions. Jamais Jésus ne vous a donné de préceptes à cet égard, ni Paul. La raison en est qu'ils n'ont jamais espéré que vous en arriveriez à ce degré de puissance. C'était assez pour eux de tromper des servantes, des esclaves, et, par ceux-ci; des femmes et des hommes tels que Cornélius et Sergius. Si l'on a vu sous le règne de Tibère ou de Claude un seul homme distingué se convertir à leurs idées, regardez-moi comme le plus grand des imposteurs.

10. Mais je ne sais quelle inspiration et quel entraînement m'avaient fait vous demander pourquoi vous aviez déserté nos rangs et passé chez les Juifs, pourquoi vous vous étiez montrés ingrats envers nos dieux? Répondez. Est-ce parce que les dieux ont donné à Rome l'empire du monde et aux Juifs quelque temps de liberté, puis une servitude perpétuelle chez les autres nations? Voyez Abraham : n'habite-t-il pas sur une terre étrangère? Et Jacob? n'est-il pas successivement esclave en Syrie, puis en Palestine, et, dans sa vieillesse, chez les Egyptiens? Mais dira-t-on, est-ce que Moïse, de son bras puissant, ne les a pas tirés de l'Egypte, de la maison de servitude ? C'est vrai ; mais, une fois établis dans la Palestine, n'ont-ils pas changé plus souvent de fortune que le caméléon, comme l'affirment ceux qui l'ont vu, ne change de couleur, obéissant tantôt à des Juges, tantôt à des étrangers? Une fois soumis à leurs rois {comment cela se fit-il, n'en parlons point : car Dieu ne leur accorda point de lui-même de vivre sous des rois ; d'après ce que dit l'Écriture, il ne fit que céder à leur contrainte et il les avertit qu'ils seraient mal gouvernés), ils vécurent enfin dans un pays à eux et labourèrent leur petit coin de terre pendant quatre cents ans ; mais ils furent les esclaves des Assyriens d'abord, puis des Mèdes, et enfin des Perses, et ils sont les nôtres aujourd'hui.

Il. Ce Jésus que vous prêchez était un sujet de César. Si vous le niez, je vous le prouverai plus tard, ou plutôt montrons-le tout de suite. Ne tlites-vous pas, en effet, qu'il fut compris avec son père et sa mère dans le dénombrement sous Cyrénius? Une fois né, quel bien a-t-il fait à ses concitoyens? Ils ne voulurent pas lui obéir. Comment se fait-il que ce peuple au coeur dur, au cou de pierre, ait obéi à Moïse? Ce Jésus, qui commandait aux esprits, qui marchait sur la mer, qui chassait les démons, et qui, comme vous le prétendez, aidait le ciel et la terre (il est vrais que pas un de ses disciples n'a osé le soutenir, excepté Jean, et encore ni très clairement, ni très précisément; mais accordons qu'il l'a dit), ce Jésus n'a jamais pu changer, pour leur propre salut, les opinions de ses amis et de ses parents.

Extraits du livre VII de saint Cyrille.

1. Nous reviendrons sur cela plus tard, quand nous parlerons de l'imposture et de la fourberie des Evangiles. Pour le moment, répondez à cette question. Quel est le plus avantageux ou d'être continuellement libre et de commander deux mille ans à la plus grande partie de la terre et de la mer, ou d'être esclave et soumis à une puissance étrangère? Personne n'est assez éhonté pour préférer ce dernier parti. Croira-t-on de même qu'il vaut mieux à la guerre être vaincu que vainqueur? Peut-on être assez insensé pour cela? Si ce que nous disons est vrai, montrez-moi chez les Hébreux un général comme Alexandre, montrez-m'en un comme César. Vous ne le pourriez pas. Je sais, au nom des dieux, que je fais injure à ces grands hommes ; mais je les ai cites comme les plus connus. Il y à, en effet, des hommes inférieurs à eux et inconnus du vulgaire, qui, malgré cela, sont plus illustres que tout ce qu'il y a eu de pareil chez les Hébreux.

2. Les lois civiles, la forme des jugements, la borne distribution et l'éclat des cités, les progrès dans les sciences, la culture des arts libéraux n'est-elle pas demeurée chétive et harbare chez les Hébreux? Cependant le misérable Eusèbe (1) veut qu'il y ait eu chez eux des poèmes envers hexamètres, et il préténd qu'il existait chez les Hébreux une science logique, dont il n'a connu le nom que chez les Grecs.

(1) Sans doute Eusèbe de Césarée.

Où trouver chez les Hébreux-un art médical comparable à celui d' Hipocràte, chez les Grecs, et des médecins qui lùi ont succédé?

3: Le très sage Salomon est-il comparable aux Grecs Phocylide, Théognis et Isocrate ? En quoi? Si l'on compare les Exhortations d'Isocrate avec les Proverbes de Salomon, l'on verra, j'en suis certain,«que le fils de Théodore l'emporte sur le roi très sage. Mais, dira-t-on, Salomon était exercé dans le culte de Dieu. Qu'importe? Le même Salomon n'adora-t-il pas nos dieux, trompé, à ce qu'on raconte, par une femme? 0 grandeur de vertu! ô trésor de sagesse! Il ne put triompher du plaisir, et il fut séduit par les discours d'une femme. S'il s'est laissé tromper par une femme, ne lui donnez point le nom de sage. Si vous croyez qu'il fut sage, ne croyez point qu'il ait été trompé par une femme. C'est de son chef privé, c'est par prudence, c'est pour obéir aux enseignements de son Dieu, qui lui est apparu, qu'il a sacrifié aux dieux étrangers. Une rivalité jalouse est indigne des hommes de bien. A:plus forte raison ne saurait-elle atteindre ni les anges ni les dieux. Et vous, vous vous attachez à des puissances spéciales auxquelles on donnerait, sans se tromper, le nom de démons. Elles sont pleines d'ambition et de vaine gloire, tandis qu'il n'y a rien de pareil chez les dieux.

4. Pourquoi goûtez-vous aux sciences des Grecs, si la lecture de vos Écritures vous suffit?.Mieux vaudrait les défendre aux hommes que de les empêèher de goûter aux viandes offertes en sacrifice. Car, comme dit Paul, celui qui en goûte ne fait pas de mal. Mais la conscience de votre frère qui vous voit est scandalisée. Voilà ce que vous dites, vous les plus sages des hommes ! Mais, grâce à ces sciences, tout ce que la nature a mis en vous d'excellent se détache de l'impiété. Oui, n'eussiez-vous qu'une lueur de bon naturel, aussitôt vous vous sentez du dégoût pour vos idées impies. Mieux vaudrait donc vous détourner de ces études que des viandes sacrées. Mais vous savez bien, j'en suis sûr, la différence qu'il y a entre votre instruction et la nôtre. Jamais chez vous un homme ne deviendrait courageux ni vertueux, tandis que chez nous, avec notre éducation, tout homme devient meilleur, à moins d'avoir une nature tout à fait nulle. Mais quand on a une bonne nature, fécondée par l'instruction, on devient pour les hommes un présent des dieux, soit qu'on allume le flambeau de la science, soit qu'on se tourne vers la politique ou vers la guerre, soit enfin que l'on parcoure la terre et la mer : véritable mission de héros. La preuve en est évidente. Vous-mêmes, parmi vos enfants, vous en choisissez pour les appliquer à l'étude des Écritures. Eh bien, si, arrivés à l'âge.d'homme, ils sont devenus meilleurs que des esclaves, dites que je suis un fou et un maniaque. Et avec cela, vous êtes assez malheureux, assez insensés pour croire divins des livres dont la lecture n'a jamais rendu personne plus sage, plus courageux, plus vertueux. Et ceux qui permettent d'acquérir le courage, la prudence et la justice, vous les livrez à Satan et à ses adorateurs.

5. Esculape guérit nos corps; les Muses, avec Esculape, Apollon et Mercure, dieu de l'éloquence, instruisent nos âmes ; Mars et Ényo nous assistent dans les combats; Vulcain règle et dispose ce qui a trait aux arts, et Minerve, vierge et née sans mère, préside à tout cela sous l'oeil de Jupiter. Voyez donc par combien d'avantages nous vous sommes supérieurs, je veux dire par les arts, la sagesse, l'intelligence ; soit que vous considériez les arts qui servent à nos besoins, ou ceux qui se proposent l'imitation du beau, la statuaire, la peinture, l'économie et la médecine, qui, émanée d'Esculape, a répandu sur toute la terre des bienfaits, dont Dieu ne cesse de nous faire jouir. Esculape m'a guéri souvent malade, après m'avoir prescrit des remèdes, j'en prends à témoin Jupiter. Si donc nous, qui sacrifions à l'esprit d'apostasie, nous sommes mieux partagés sous le rapport de l'esprit du corps et des avantages extérieurs, pourquoi quittez-vous tout cela pour courir à d'autres objets?

6. Mais pourquoi donc, infidèles à la doctrine des Hébreux, à la loi que Dieu leur a donnée, renonçant à la croyance de vos pères et vous livrant à ce qu'ont annoncé les prophètes, êtes-vous plus éloignés d'eux que de nous? Si quelqu'un de vous veut considérer ce qui est vrai, il verra que votre impiété vient de l'audace des Juifs, ainsi que de l'indifférence et de la confusion des Gentils. Prenant des deux non ce qu'il y avait de bon, mais ce qu'il y avait de pire, vous en avez fait un tissu de mal. Les Hébreux ont quelques bons préceptes pour le culte et les cérémonies saintes, un très grand nombre de recommandations qui exigent une vie et une conduite très religieuses. Leur législateur s'était borné à leur défendre de rendre un culte à tous les dieux, mais à un seul, dont «, la portion est Jacob et le lot d'héritage Israël » (1).

(1) Deutéronome, chap. XXXII, v. 9.

A ce premier précepte, il ajoute, si je ne me trompe : « Tu ne maudiras point les dieux. » Mais l'insolence et l'audace de ceux qui vinrent après lui, voulant détruire tout sentiment religieux dans le peuple, conclut de la défense d'adorer d'autres dieux l'ordre de les maudire. C'est là tout ce que vous en avez tiré, si bien que, dans tout le reste, vous n'avez plus eu rien de commun avec eux. Ainsi, des innovations des Hébreux, vous avez pris la malédiction contre les dieux honorés par les autres peuples, et de notre culte vous avez abandonné la piété envers les êtres supérieurs et les institutions chères à nos pères. Vous n'en avez retenu que la permission de manger de tout, comme des légumes d'un jardin. S'il faut vous dire la vérité, vous n'avez fait qu'augmenter la confusion qu'on voit régner chez vous. C'est là, je crois., ce qui arrive probablement chez les autres nations et dans toutes les professions de la société, cabaretiers, publicains, danseurs et autres métiers, et vous croyez devoir vous y conformer.

7. Que ce ne soient pas seulement ceux d'aujourd'hui, mais encore ceux qui ont reçu dans le principe les instructions de Paul qu'on puisse accuser d'être ainsi, on en a la preuve évidente dans ce que Paul leur écrit. Car je ne crois pas qu'il eût été assez imprudent pour leur reprocher les désordres, au sujet desquels il leur écrit, s'il ne les en avait pas sus coupables. S'il leur eût écrit des louanges, se fussent-elles trouvées vraies, il en aurait rougi ; fausses et mensongères, il aurait évité, en dissimulant, le soupçon de caresse complaisante et de basse flatterie. Maïs voici les paroles que Paul écrit sur ses disciples à ses disciples mêmes (1) : « Ne vous y trompez pas. Ni les idolâtres, ni les adultères,. ni les efféminés, ni ceux qui couchent avec des mâles, ni les voleurs, ni les avares, ni les ivrognes, ni les insulteurs, ni les rapaces ne posséderont le royaume de Dieu. Vous n'ignorez pas, frères, que vous étiez ainsi, mais vous avez été lavés et sanctifiés au nom de Jésus-Christ. »

(1) 1 Ép. aux Corinthiens, chap. VI, v. 9, 10 et 11.

Tu vois que, d'après les propres paroles de Paul, ses disciples étaient ainsi, mais ils ont été sanctifiés et lavés, grâce à une eau qui a la vertu de nettoyer, d'enlever les souillures et de pénétrer jusqu'à l'âme. Le baptême, en effet, ne guérit ni la lèpre, ni les dartres, ni les boutons farineux, ni les verrues, ni la goutte, ni la dyssenterie, ni l'hydropisie, ni les panaris, ni aucune infirmité du corps, petite ou grande, mais il guérit les adultères et les rapines, et, en un mot, tous les vices de l'âme.

Extraits du livre VIII de saint Cyrille,

1. Puisqu'ils prétendent différer des Juila d'à présent, être les vrais Israélites, d'après les prophètes, les seuls qui croient à Moïse et aux prophètes qui lui ont succédé dans la Judée, voyons en quoi ils sont d'accord avec eux. Commençons Moïse, par qu ils affirment avoir prédit la naissance de Jésus. Moïse, non pas une fois, n' deux, ni trois, mais maintes, et maintes fois, dit qu'il faut adorer un seul Dieu, qu'il appelle le Dieu suprême, mais jamais il ne parle d'un autre Dieu, quoiqu'il parle des anges, des seigneurs et de plusieurs dieux. Mais il y a toujours pour lui un Dieu souverain, absolu, et il n'a pas l'air de croire qu'il y en ait un secon4, qui n'est ni semblable ni dissemblable, comme vous l'avez inventé. Si vous trouvez une seule parole dans Moïse sur ce sujet, vous avez le droit de la citer. Car ces paroles (1): « Le Seigneur votre Dieu suscitera un prophète tel que moi dans vos frères, et vous l'écouterez n'ont été dites » , en aucune manière jau sujet du fils de Marie. Si cependant l 'on vous fait cette concession, remarquez que Moïse dit qu'il sera semblable à lui et non pas à Dieu, et que ce pro- phète sera issu comme lui des hommes, et non pas de Dieu. Et cet autre passage (2) : « Le prince ne manquera point dans Juda ni le chef d'entre ses cuisses, »

(1) Deutéronome, chap. XVIII, v. 15.

(2) Genèse, chap. XLIX, V 10.

ce n'est pas de lui du tout qu'il faut l'entendre, mais de la royauté de David, qui semble finir avec le roi Sédécias. Du reste, il y a ici deux versions dans l'Ecriture. Il y est dit i « Jusqu'à-ce que soient venues les choses qui leur sont réservées ; » vous avez mis à la place : « Jusqu'à ce qu'arrive celui à qui il est réservé. » Or, il est évident que rien de tout cela ne convient à Jésus. Car il n'est point de Juda, puisque vous prétendez qu'il n'est pas né de Joseph, mais du Saint-Esprit. Et pour Joseph lui-même, vous avez beau le rattacher à la généalogie de Juda, vous ne pouvez pas réussir dans cette imposture, et l'on prouve que Matthieu et Luc sont tout à fait en désaccord sur cette généalogie.

2. Gomme nous devons examiner avec soin l'authenticité de ce fait dans le second livre, laissons-le de côté pour le moment. Supposons donc que ce soit là le prince issu de Juda; mais ce n'est point un Dieu issu de Dieu, et l'on ne peut dire avec vous que « tout a été fait par lui et rien n'a été fait sans lui » . Mais il-est dit dans les Nombres : « Il se lèvera un, astre de Jacob et un homme d'Israël. » Ces paroles conviennent à David et à ses successeurs, c'est évident. Car David. était fils de Jessé. Si vous voulez essayer de tirer quelque lumière de ce passage, faites-le; mais pour un sens que vous donnerez, je vous en rendrai mille. Quant à croire qu'il n'y a qu'un seul Dieu d'Israël, Moïse dit dans le Deutéronome : « Afin que tu saches que le Seigneur est ton Dieu et qu'il n'y en a pas d'autre que lui. Et un peu plus loin : « Rappelle dans ton coeur que le Seigneur ton Dieu est dans le ciel en haut et sur la terre en bas, et qu'il n'y en a pas d'autre que lui. » Et puis encore : « Ecoute, Israël, notre Seigneur est le seul seigneur. » Et enfin : Voyez» que je suis seul, et il n'y a pas d'autre Dieu que moi. » Voilà ce que dit Moïse, affirmant qu'il n'y a qu'un seul Dieu. Peut-êtré ceux-ci nous répondront-Hs : « Nous n'en admettos également ni deux ni trois. » Et moi je leur dirai, à mon tour, qu'ils les admettent, et j'invoquerai le témoignage de Jean, disant : « Au commencement était le Verbe, et le Verbe était en Dieu, et le Verbe était Dieu. " Tu vois qu'il dit que le fils de Marie, ou tout autre, était en Dieu; et que je réponde en même temps à Photin (1) peu importe pour le moment : je vous laisse libre le champ de la dispute ; mais que Jean dise que ce Verbe était en Dieu, ce témoignage me suffit.

(1) Evêque de Sirmium, qui mettait des restrictions à la divinité de Jésus- Christ. On attribue à Julien une lettre latine adressée à cet hérésiarque. Voyez la traduction de Julien par Tourlet, t. III, p. 354.

Seulement comment concilier ces paroles avec celles de Moïse? Mais, dira-t-on, elles s'accordent avec celles d'Isaïe. Isaïe dit : « Voici : une vierge aura dans le ventre et enfantera un fils. » Supposons que cela soit dit au sujet de Dieu, bien que cela n'ait pas été dit le moins du monde. Car cette femme n'était pas vierge, puisqu'elle était mariée, et que, avant d'être mère, elle avait couché avec son mari. Mais enfin accordons que cela soit. Est-ce qu'Isaïe dit que la Vierge accouchera d'un Dieu ? Et vous, vous ne cessez d'appçler Marie mère Dieu. Est-ce qu'Isaïe dit que le fils né de la Vierge sera le fils unique de Dieu, le premier-né de toute la création? Quantà la parole de Jean : « Tout a été fait par lui, et rien n'a été fait sans lui, » peut-on me la faire voir dans les prophète»? Mait, ce que nous affirmons, écoutez-le de leur propre bouche. : « Seigneur, notre Dieu, prends-nous : hors de toi, nous n'en connaissons pas d'autre. » Ils nous montrent aussi le roi Ezéchias priant de la sorte : « Seigneur, Dieu d'Israël, qui est assis sur les chérubins, tu es le seul Dieu. » Laisse-t-il de la place à un second?

3. Mais si Dieu ou celui que vous appelez le Verbe (dit Julien) vient de Dieu, et s'il est produit de la substance du Père,pourquoi appelez-vous la Vierge mère de Dieu? Comment at- elle enfanté un dieu,, étant une créature humaine ainsi que nous? Ensuite, comment se fait-il que Dieu ayant dit expressément : « Je suis, et il n'y a pas d'autre sauveur que moi, » vous osiez appeler sauveur le fils de Marie? — Il a aussi posé cette question dans son écrit.

Extraits du livre IX de saint Cyrille.

1. Que Moïse appelle les anges des dieux, c'est un fait que vous pouvez apprendre par ses propres paroles : « Les fils de Dieu voyant que les filles des hommes étaient belles, ils prirent des femmes parmi toutes celles qu'ils avaient choisies. » (1)Et un peu plus loin : « Et après cela, les fils de Dieu, ayant connu les filles des hommes, ils en eurent des enfants : or, ces enfants étaient les géants renommés de tout temps. »

(1) Genèse, chap. vi, v. 2 et 4.

Ce sont donc les anges qu'il désigne : c'est évident et hors de toute supposition; et ce qui rend le fait encore plus clair, c'est qu'il ne dit pas qu'il soit né d'eux des hommes, mais des géants. En effet, il est certain que, s'il avait cru que des géants eussent des hommes pour pères, et non pas des êtres d'une nature plus, relevée et plus puissante, il n'aurait pas dit qu'ils étaient 'nés des anges. Or, il m'a l'air de donner à entendre que la race des géants est issue d'un mélange du mortel avec l'immortel. Eh bien! ce Moïse, qui nomme plusieurs fils de Dieu, et qui ne les appelle pas des hommes, mais des anges, s'il avàit connu le Verbe fils unique, ou le fils de Dieu, ou quel que soit le nom que vous lui donniez, ne l'aurait-il pas fait connaître aux hommes? Moïse qui regardait comme si glorieuse cette parole au sujet. d'Israël : « Mon fils premier-né Israël, » pourquoi n'a-t-il rien dit de semblable au sujet de Jésus? Il enseignait qu'il n'y a qu'un Dieu, seul et unique, qui a plusieurs fils, auxquels il, a distribué les nations; mais ce fils premier-né ; ce Verbe-Dieu, et toutes les fables que vous avez débitées dans la suite, il n'en a eu aucune idée, il n'en a jamais parlé clairement. Écoutez, au contraire, les paroles de Moïse et des autres prophètes. Moïse ne cesse de répéter des paroles comme celles-ci : "Tu craindras le Seigneur ton Dieu, et tu n'adoreras que lui seul. » Comment donc Jésus est-il montré disant à ses disciples : « Allez enseigner toutes les nations et baptisez-les au nom du Père, du fils et du Saint- Esprit, » Comme si elles devaient aussi l'adorer? Et vous, persistant dans cette idée, vous dites que le Fils est Dieu avec le Père.. Écoute maintenant ce que Moïse dit au.sujet des expiations

4 . « II prendra deux boucs parmi les chèvres pour les péchés, et un bélier en holocauste. Et Aaron offrira un veau pour les péchés, et un autre pour lui; et il priera pour lui et pour sa maison. Et il prendra les deux boucs et il les présentera„ au Seigneur devant la porte de la tente du témoignage. Et Aaron tirera au.sort les deux boucs, un sort pour le Seigneur et un sort pour le bouc émissaire, afin de l'envoyer, dit-il, en émission dans le désert. » Car c'est là la manière de l'envoyer en émission. "Quant à l'autre bouc, dit-il, il l'égorgera ce bouc pour les péchés du peuple devant le Seigneur ; et il apportera de son sang du côté intérieur du voile, et il répandra le sang sur la base de l'autel des sacrifices, et il fera une expiation sainte pour les souillures des fils d'Israël, pour leurs injustices et pour tous leurs péchés. "

3. Que Moïse ait connu les rites des sacrifices, c'est un fait évident d'après ce qui a été dit. Il n'a donc point pensé comme vous qu'ils fussent immoraux, et la preuve en est dans ces mots que je vous prie encore d'écouter : « L'âme qui aura mangé des viandes du sacrifice salutaire, qui est au Seigneur et qui en aura contracté la souillure, cette âme sera exterminée de son peuple. »

4. Il convient ici de rappeler quelques-unes des choses dites antérieurement, afin de voir pourquoi elles ont été dites. Pourquoi en effet, après avoir désèrté nos croyances, n'embrassezvous pas la loi des Juifs et ne restez-vous pas fidèles aux prescriptions de Moïse? Quelqu'un de clairvoyant dira : « Les Juifs ne sacrifient point. » Mais je lui prouverai qu'il est aveugle : d'abord, parce que vous n'observez aucun des autres rites en usage chez les Juifs; et puis, parce que les Juifs, même aujourd'hui, sacrifient en secret, mangent des victimes, prient avant de sacrifier, et donnent l'épaule droite en prémices aux prêtres. Seulement, comme ils n'ont plus ni temple, ni autel, ni ce qu'ils appellent sanctuaire, ils ne peuvent offrir à Dieu les prémices dé victimes. Mais vous, qui avez trouvé un nouveau mode de sacrifices, et qui n'avez pas besoin de Jérusalem, pourquoi ne sacrifiez-vous pas? Je crois du reste vous en avoir dit assez sur ce sujet, en vous en parlant tout d'abord, lorsque j'ai voulu vous prouver que les Juifs ne diffèrent point des Gentils, sauf ,qu'its croient à un Dieu seul et unique. C'est un dogme qui leur est propre et à nous complétement étranger. Tout le reste leur est commun avec nous, temples, enceintes sacrées, autels des sacrifiçes, purifications, observances, en quoi nous ne différons en rien, ou du moins en fort peu de chose, les uns des antres.

5. Pourquoi dans l'usage des viandes n'en reconnaissez-vous pas de pures et d'impures comme les Juifs, et pourquoi dites-vous que l'on peùt manger de toutes comme des légumes d'un jardin? Vous vous en rapportez à Pierre qui dit : « Ce que Dieu a purifié, ne le regarde point comme immonde. » Mais cela prouve-t-il que ce que Dieu a jadis cru immonde, il le déclare pur maintenant? Moïse, en désignant les quadrupèdes, dit : « Tout animal qui a l'ongle séparé et qui rumine est pur, et celui qui n'est pas fait ainsi est immonde. » Si, depuis la vision dè Pierre (1), le porc est devenu un ruminant, croyons-le : seulement c'est un grand miracle qu'il le soit devenu après la vision de Pierre.

(1) Voyez la vision de saint Pierre dans le chap. X des Actes des Apôtres.

Mais s'il a menti en disant qu'il a eu cette vision, ou, pour parler avec vous, cette apocalypse, dans la maison du corroyeur (1), comment le croirions-nous si vite sur un point si important ?

(1) Simon.

En effet, dans quels, embarras ne vous eût-il pas jetés, si, outre la chair de porc, il vous avait défendu de manger des volatiles et des poissons, affirmant que, indépendamment des autres, ces animaux étaient repoussés, de Dieù et regardés comme immondes?

6. Mais pourquoi m'étendre longuement sur ce qu'ils disent, ; quand on peut voir quelle en est là force? Ils disent, en effet, que Dieu, outre une première loi, en a établi une seconde; | que la première, écrite, pour la circonstance, était restreinte à un certain temps, et que la seconde fut écrite par Moïse pour être appliquée au temps et au lieu où il se trouvait. C'est là un mensonge, et je le prouverai clairement, en invoquant non pas dix, mais dix mille témoignages de Moïse, où il; dit que la loi est éternelle. Écoutez ce passage de l'Exode? : «Et ce jour sera pour vous comme un monument; et vous fêterez cette fête en l'honneur du Seigneur dans toutes vos générations. Vous fêterez cette fête à perpétuité. Vous mangerez sept jours des pains sans levain, et, dès le premier jour, vous ferez disparaître le levain de vos maisons. » Il entasse ainsi d'autres passages pour prouver que la loi a été dite éternelle ; mais je crois qu'il faut abréger ces longues citations : il ajoute J'omets un grand nombre d'autres passages où Moïse dit que la lui est éternelle, et je ne veux point les citer, tant ils abondent. A vous de me montrer où est dit ce que Paul a osé avancer, à savoir que « le Christ est la fin de la loi Où Dieu a-t-il promis une autre loi que celle qui était établie ? Nulle part ! Nulle part il n'est question de changer la première. Ecoute encore Moïse : « Vous n'ajouterez pas un, mot à ce que je vous commande, et vous n'en retrancherez pas un mot. Observez les commandements du Seigneur votre Dieu, tels que je vous les commande aujourd'hui. Et maudit soit tout homme qui ne les observe pas tous. » Et vous vous croyez que c'est peu de chose d'ôter ou d'ajouter aux préceptes écrits dans la loi ! Vous regardez comme un acte de courage de la violer entièrement, comme un trait de grandeur d'âme de ne point considérer la vérité, mais ce qu'approuve le vulgaire.

Extraits du livre X de saint Cyrille.

1. Vous êtes assez misérables pour ne pas même observer les préceptes que vous ont donnés les apôtres : et cela s'est fait par la perversité et l'impiété de leurs successeurs. Ni Paul, ni Matthieu, ni Luc, ni Marc n'avaient osé dire que Jésus fút Dieu; mais l'excellent Jean ayant remarqué qu'un grand nombre de villes grecques et italiennes étaient atteintes de cette maladie, et ayant appris sans doute que les tombeaux de Pierre et de Paul étaient honorés en secret, osa le premier soutenir cette doctrine. En effet, après quelques mots sur Jean-Baptiste, il revient à son fameux Verbe, et il dit :"Et le Verbe est devenu chair, et il a habité parmi nous. " (1).

(1) Évang. selon saint Jean, chap. i, v. 14 et suivant v 18, 14.

Comment, il a craint de le dire. Mais mille part il ne nomme ni Jésus, ni le Christ, quand il parle de Dieu et du Verbe. Il cherche à tromper nos oreilles doucement, secrètement, disant que Jean-Baptiste a rendu ce témoignage à Jésus que c'est lui qu'il faut croire qui est le Verbe de Dieu. Que Jean ait dit cela du Christ, je ne le nie point, bien qu'il semble à quelques impies qu'autre est Jésus-Christ, autre le Verbe prêché par Jean. Mais il n'en est point ainsi. Car il dit lui-même que le Verbe-Dieu est bien le Christ-Jésus connu de Jean-Baptiste. Remarquez avec combien de précaution, de ménagement et de dissimulation il introduit daas son drame ce dénoûment impie. Sa fourbe hypocrite lui fait ajouter ces paroles ambiguës : « Personne n'a jamais vu Dieu. Le fils unique, qui est dans le sein du Père, nous l'a révélé. » Faut-il entendre par là le Dieu-Verbe, devenu chair, le fils unique, qui est dans le sein du Père? Or, si c'est lui, comme je le crois, vous avez vu Dieu. Car : « Il a habité parmi nous et vous avez vu sa gloire? Pourquoi alors ajoutes-tu que personne n'a jamais vu Dieu? Car vous l'avez vu, sinon Dieu le Père, du moins le Verbe-Dieu. Mais si autre est le Dieu fils unique, autre le Verbe-Dieu, comme je l'ai entendu dire à plusieurs de votre religion, Jean lui-même ne-semble pas avoir osé le soutenir.

3. Julien toujours disposé à nous prêter ses inventions et à accuser tout ce qu'il y a de saint, nous reproche ainsi notre vénération pour les saints martyrs. Ce mal, dit-il, provient de Jean ; mais ce que vous avez inventé dans la suite, en ajoutant de nouveaux morts à votre ancien mort,comment le détester assez? Vous avez tout rempli de tombeaux et de sépulcres, quoiqu'il ne vous soit dit nulle part de vous rouler devant les sépulcres et de les honorer. Mais vous en êtes venus à ce point de perversité, que vous croyez ne devoir tenir compte à cet égard des paroles de Jésus le Nazaréen. Écoutez ce qu'il dit des sépulcres : « Malheur à vous, scribes, et pharisiens, hypocrites, parce que vous ressemblez,à des sépulcres blanchis : au dehors, le sépulcre paraît beau; mais au dedans il est plein d'ossements morts et de toutes sortes d'ordures. Si Jésus dit que les sépulcres sont pleins d'ordures, comment se fait-il que vous invoquiez Dieu sur eux? Joignez à cela qu'un disciple ayant dit : « Seigneur, permets-moi de m'en aller tout de suite, pour ensevelir mon père, » Jésus lui dit :« Suis-moi, et laisse les morts ensevelir leurs morts. »

4. Cela étant, pourquoi vous roulez-vous devant les tombeaux? Voulez-vous en savoir la cause? Ce n'est pas moi qui vous la dirai, c'est le prophète Isaïe : " Ils dorment sur les tombeaux et dans les cavernes à cause des songes." Vous voyez donc comment c'était jadis chez les Juifs une oeuvre de magie de dormir sur les tombeaux pour avoir des songes. Il est croyable que vos apôtres, après la mort de leur maître, ont transmis cette coutume aux premiers d'entre vous qui ont cru, qu'ils ont exécuté ces manoeuvres avec plus d'habileté que vous et qu'ils ont ensuite, étalé en public leurs laboratoires de magie et d'abomination.

5. Vous pratiquez, du reste, ce que Dieu, a défendu, dès l'origine, par Moïse et par les Prophètes, et vous évitez de conduire des victimes à l'autel et de sacrifier. Car le feu ne descend plus du ciel, comme du temps de Moïse, pour consumer les victimes, fait qui, d'ailleurs, n'est arrivé qu'une fois à Moïse, et une seconde fois, longtemps après, à Élie, natif de Teshé Moïse croyait donc qu'il fallait apporter le feu d'un autre lieu, et le patriarche Abraham était du même avis. C'est ce que je vais raconter en peu de mots. -Ici Julien raconte l'histoire d'Isaac ét cite de nouveau l'exemple d'Abel. Il dit que, lorsque son frère et lui sacrifiaient, ils n'avaient pas eu le feù du ciel, mais qu'ils l'avaient apporté d'ailleurs 'sur les autels, et il se donne beaucoup de mal à éclaircir la question de savoir pourquoi Dieu approuve le sacrifice d'Abel et réprouve celui de Cain. Il se demande.ce que veut dire : « Est-ce que, si tu as bien offert, mais mal partagé, tu n'as fait une faute? Reste en repos; » et il s'efforce d'ajuster cette parole à ses observations. Il dit qu'à un Dieu vivant un sacrifice est plus agréable d'êtres animés que de fruits de la terre.

6. Mais ne considérons pas seulement ce passage. Voyons-en d'autres où les fils d'Adam offrent des présents à Dieu : « Dieu jeta les yeux sur Abel et sur ses offrandes, mais il ne fit pas attention à Caïn et à ses sacrifices. Et cela fit beaucoup de peine à Caïn, et son visage fut abattu. Et le Seigneur Dieu dit à Cain : "Pourquoi es-tu devenu triste et pourquoi ton visage est-il abattu? Est-ce que, si tu as bien offert, mais mal partagé, tu n'as pas fait une faute? " Désirez-vous savoir maintenant quelles étaient leurs offrandes" Or, il arriva après quelques jours que Caïn offrit en sacrifice à Dieu des fruits de la terre, et Abel offrit, de son côté, des premiers-nés de ses brebis et de leurs graisses. Oui, dit-on, ce n'est pas le sacrifice que Dieu a blâmé, mais le partage, quand il dit à Cain : " Est-ce que, si tu as bien offert, mais mal partagé, tu n'as fait une faute." Voilà ce que me dit un des plus sages évêques. Mais il s'est trompé lui-même, et, après lui, les autres. Car en quoi le partage de Caïn était blâmable, il ne put l'expliquer, ni en donner même une mauvaise réponse. Aussi le voyant tout confondu, je lui dis : « Dieu a bien fait de condamner ce que vous dites. La volonté était égale dans Abel et dans Caïn : ils pensaient tous deux qu'il fallait offrir à Dieu des présents et des sacrifices. Mais pour le partage, l'un atteignit le but, l'autre le manqua. Comment cela? Le voici. Parmi les choses terrestres, les unes sont animées et les autres inanimées : or, les choses animées ont plus de prix que les choses inanimées aux yeux du Dieu vivant et auteur de la vie, en tant qu'elles participent à la vie et qu'elles sont plus proches de l'âme. Ainsi Dieu favorisa celui qui lui avait offert le sacrifice le plus parfait. »

7. Il faut maintenant que je vous demande pourquoi vous ne vous circoncisez pas. Paul, dites-vous, prétend que la circoncision du coeur a été prescrite, et non celle de la chair (1) c'est la première et non pas la seconde qui était celle d'Abraham, et l'on ne doit point regarder comme conformes à la religion les paroles de Paul et de Pierre sur ce sujet.

(1) C'est, sinon la lettre, du moins le sens du texte de saint Paul, Ép. aux Rom.., chap. II, v. 25 et suivants.

Apprenez, en effet, qu'il est dit que Dieu donna la circoncision charnelle à Abraham comme un gage d'alliance et une marque distinctive (1) : « Et c'est le gage d'alliance que tu garderas entre moi et vous et entre toute ta race, de génération en génération. Et vous circoncirez la chair de votre prépuce; et ce sera en signe d'alliance entre moi et toi, et entre moi et ta race. »

(1) Genèse, chap. xvii, v. 10 et 11.

Julien ajoute à cela que le Christ lui-même a prétendu qu'il fallait observer la loi, lorsqu'il a dit (1): « Je ne suis point venu détruire la Loi, ni les Prophètes, mais l'accomplir. » Et plus loin : « Quiconque aura manqué au plus petit des préceptes de la Loi et qui enseignera ainsi aux hommes, sera appelé le plus petit dans le royaume des cieux. »

(1) Évang. selon saint Matthieu, chap. v, v. 17, 19.

Puisque Jésus a ordonné expressément d'observer la Loi, et qu'il a établi des peines contre celui qui manque même à un seul commandement, vous qui les violez tous, quel moyen d'apologie trouverez-vous? Ou Jésus est un menteur, ou vous êtes du tout au tout des infracteurs de la Loi. Julien nous accuse ensuite de ne point observer les sabbats, de ne point immoler un agneau à la manière des Juifs et de ne point manger des pains sans levain. Il ajoute que la seule raison qui nous reste pour excuser ce manquement est qu'il n'est point permis de sacrifier à ceux qui sont hors de Jérusalem.

8. « La circoncision dit le Seigneur à Abraham, sera faite sur ta chair. » Négligeant ce précepte, nous nous circoncisons le coeur, dites-vous. C'est bien. Il h'y a chez vous ni tourbe, ni méchant, tant vous vous circoncisez le coeur. A merveille. Nous ne pouvons, dites-vous encore,observer les azymes, ni faire la Pâque. Le Christ s'est immolé une fois pour nous, et il nous a défendu de manger des azymes. Certes, j'en atteste les dieux, je suis un de ceux qui vous détournent de prendre part aux fêtes des Juifs, mais j'adore le Dieu d'Abraham, d'Isaac et de Jacob, lesquels étant Chaldéens, de race sainte et sacerdotale, avaient appris la circoncision en voyageant chez les Egyptiens. Ils honorèrent un Dieu, qui me sera propice à moi et à tous ceux qui l'honorent comme Abraham, un Dieu plein de grandeur et de puissance, mais qui n'a rien de commun avec vous, parce que vous n'imitez point l'exemple d'Abraham, en érigeant des autels, en dressant des pierres pour les sacrifices, et en le servant par des cérémonies saintes.

9. Oui, Abraham sacrifiait comme nous, toujours, assidûment, et il se servait de la divination la meilleure, celle qui se fait par les sacrifices. Peut-être dira-t-on que c'est là de l'hellénisme. Mais il recourait aux augures, et.il avait un intendant de sa maison habile dans la science augurale. Si quelqu'un de vous ne le croit pas, je le prouverai en citant les propres paroles de Moïse : « Après ces paroles, il y eut un discours du Seigneur à Abraham, lui disant dans une vision nocturne : Ne crains pas, Abraham : je suis comme un bouclier sui toi. Ta récompense sera infiniment grande. Abraham dit : Maître, que me donneras-tu? Je m'en vais sans enfants, et le fils de Masec (1), né dans ma maison, sera mon héritier.

(1) Nous traduisons littéralement d'après le texte de saint Cyrille, que nous avons sous les yeux. Mais nous faisons observer que ce verset a été l'objet de longues controverses. Ainsi, le mot Masec se lit Damesech ou Damascus dans le texte approuvé par Sixte-Quint et Clément VIII; dans ce même texte, en vertu d'un autre changement, le mot, né dans la maison, se lit Éliézer, nom propre qui a un sens analogue au mot grec.

Et aussitôt la voix de Dieu vint à lui, disant : Celui-là ne sera point ton héritier, mais celui qui sortira de toi sera ton héritie. Alors il le conduisit dehors et lui dit : Regarde vers le ciel, et compte les étoiles, si tu peux les compter. Et il lui dit : Ainsi sera ta postérité. Et Abraham crut à Dieu; et cela lui fut réputé à justice. » Dites-moi maintenant pourquoi celui qui répondait, Ange ou Dieu, le conduisit dehors et lui montra les étoiles. Ignorait-il donc, quoique à l'intérieur, la multitude innombrable d'étoiles qui apparaissent sans cesse et qui scintillent au milieu de la nuit? Pour moi, je ne doute point qu'il ne voulut lui montrer les étoiles, qui traversent l'espace, pour lui confirmer sa promesse par les décrets du ciel, qui régit et qui sanctionne tout.

10. Mais, afin que l'on ne regarde point comme forcée l'explication du passage en question, je la confirmerai par ce qui suit immédiatement. Il est écrit à la suite : « Or, il lui dit : Je suis le Dieu, qui t'a fait sortir du pays des Chaldéens, pour te donner cette terre en héritage. Abraham dit : Seigneur maître, à quoi reconnaîtrai-je que j'aurai cette terre en héritage? Le Seigneur lui répondit : Prends-moi une génisse de trois ans, une chèvre de trois ans, un bélier de trois ans, une tourterelle et une colombe. Il prit tout cela et les partagea par la moitié et mit chaque moitié vis-à-vis l'une de l'autre; mais il ne partagea pas les oiseaux. Et des oiseaux descendirent sur les morceaux et Abraham s'assit avec eux (1). »

(1) Le texte approuvé par Sixte-Quint et par Clément VIII varie sur la fin de ce dernier verset: Il dit : " Et Abram les chassait. »

Remarquez que l'Ange qui apparut, ou Dieu, ne confirma point sa prédiction, comme vous, à la légère, mais par la divination accomplie au moyen de victimes. Julien ajoute qu'il confirma sa promesse par le vol des oiseaux; et il approuve la foi d'Abraham, en ajoutant que la foi sans un objet vrai lui paraît une faiblesse d'esprit et une folie. Or, la vérité, dit-il, ne consiste pas dans un simple mot, mais il faut que les paroles soient accompagnées d'un signe évident, garantissant la certitude de la prédiction qui doit s'accomplir dans l'avenir.

FIN DE L'OUVRAGE

sommaire