EXPLICATION
DES
INSTITUTS DE JUSTINIEN
AVEC LE TEXTE ET LA TRADUCTION EN REGARD,
PRÉCEDÉE
D'UN RÉSUMÉ DE L'HISTOIRE DU DROIT ROMAIN.
PAR M. J.-L.-E. ORTOLAN, AVOCAT A LA COUR ROYALE DE PARIS.
1827
TOME PREMIER
TABLE DES MATIÈRES
PAR ORDRE CHRONOLOGIQUE.
PREMIERE EPOQUE.
LES ROIS.
Fondation présumée de Rome ( 755 avant J.-C. ). . .
ROMULUS,Ses institutions. Tribus et curies, comices par
curies, sénat, patriciens et plébéiens
39 NUMA Ses institutions religieuses, le calendrier, les jours
fastes et néfastes
81 TULLUS HOSTILIUS. Les Féciaux
113 ANCUS MARTIUS. Les arts de la Grèce se répandent dans le
Latium .
158 TARQUIN L'ANCIEN. Cent plébéiens sont introduits dans le
sénat.
Mode de nomination de ces Rois. . . .
176 SERVIUS TULLIUS. Le cens, les classes, les comices par
centuries, les chevaliers
220 TARQUIN LE SUPERBE. Droit Papirien, expulsion des rois.
Politique extérieure de Rome , droit public, droit sacré ,
droit civil, moeurs et coutumes pendant cette époque
DEUXIÈME ÉPOQUE.
LA RÉPUBLIQUE.
§ 1. Jusqu'aux lois des douze Tables.
345 Nouveau gouvernement; consuls, questeurs du parricide,
questeurs du trésor
253 Dictateur, maître de la cavalerie
260 Tribuns des plébéiens, assemblées par tribus , édiles plébéiens.
303 Les décemvirs. Nouveaux décemvirs, leur expulsion,
lois des douze Tables.
Fragments des douze Tables.
Actions de la loi, actes légitimes.
Mode de juger, question de fait, de droit, jurisdictio, judicium,
imperium.
§ 2. Jusqu'à la soumission de toute l'Italie.
309 Tribuns militaires
311 Censeurs; leur influence dans l'Etat .
364 Les Gaulois sénonais..
387 Les plébéiens sont admis au consulat. Préteurs, édiles
curules, récupérateurs.
450 Publication des Fastes et des Actions par Flavius. . .
468 Loi HORTENSIA sur les Plébiscites. ......
488 Toute l'Italie est soumise.
Politique extérieure de Rome, droit public , droit sacré,
droit civil, moeurs et coutumes pendant cette époque.
§ 5. Jusqu'à l'Empire.
Préteur des étrangers.
490 à 608. Guerres puniques, guerres macédoniques, guerres
en Asie.Établissement des provinces, augmentation du nombre
des préteurs, proconsuls, propréteurs. Consultations publiques des jurisconsultes, centumvirs.
Loi AEBUTIA Suppression des actions de la loi.
621 Les Gracques. Lois agraires.
DROIT HONORAIRE.
663 à 684 Guerre sociale ; guerres civiles ; Marius, Sylla, proscriptions,
guerres des esclaves.
690 à 709. Premier triumvirat de Pompée, Crassus et. César.
Guerre entre les triumvirs ; César, dictateur perpétuel ; il
est assassiné.
711 0 723. Deuxième triumvirat d'Antoine,Lépide et Octave;
proscriptions, mort de CICÉRON; guerres entre les
triumvirs; triomphe d'Octave.
Politique extérieure de Rome, droit public, droit sacré,
droit civil, moeurs et coutumes pendant cette époque.
1093—34° CONSTANT ET CONSTANCE; suppression des formules
de droit.
1146—393 THEODOSE I.er, ARCADIDS, HONORIUS; défenseurs
des cités , division de l'empire.
1161—408 THÉODOSE II, en Occident.
1178—425 Ecoles publiques de Constantinople et de Rome,
loi sur les citations.
1238—475 ROMULUS-AUGUSTULE en Occident, ZENON en Orient.
Fin de l'empire d'Occident; Alaric et Rhadagaise,
Attila et Genséric; établissement des Francs,
des Bourguignons et des Visigoths dans les Gaules;
Odoacre, roi d'Italie; Théodorie.
1253—500 Sort du Droit romain sous les barbares: édit de
Théodoric; (1259—506) loi romaine des Visigoths, loi romaine des Bourguignons.
4280—527 JUSTINIEN 208
Code de Justinien, cinquante décisions, Digeste ou
Pandectes, Instituts, nouvelle édition du Code,
Novelles.
Victoires de Bélisaire et de Narsès. L'Afrique, la
Sicile, l'Italie et Rome sont reprises aux barbares.
Situation extérieure de Constantinople, droit public,
droit sacré, droit civil, moeurs et coutumes pendant cette époque.
Sort du droit romain en Orient et en Occident après
la mort de Justinien.
PRÉAMBULE.
T. I. De la Justice et du Droit.
T. II. Du Droit naturel, du droit des gens et du droit civil. .
RÉSUMÉ.
T. III. Du Droit sur les personnes.
DES HOMMES LIBBES OU ESCLAVES
CITOYENS OU ÉTRANGERS. HOMMES OU FEMMES.
INGÉNUS OU AFFRANCHIS .
T. IV. Des ingénus.
T. V. Des affranchis.
Modes solennels de manumission. —Modes non solennels.
T. VI. Par qui et pour quelles causes les manumissions ne peuvent
être faites .
T. VII. De l'abrogation de la loi Fusia Caninia
De la position des affranchis
RÉSUMÉ.
T. VIII. De ceux qui sont maîtres d'eux-mêmes ou sous le pouvoir
d'autrui.
POUVOIR SUR LES ESCLAVES ET LES ENFANTS(potestas), et d'abord sur
les esclaves.
T. IX. De la puissance paternelle.
T. X Des noces.
Du concubinage. De la Légitimation.
T. XI. Des adoptions.
POUVOIR SUR LA FEMME (manus)
T. XII. De quelles manières se dissout le droit de puissance.
Comment se dissolvaient le pouvoir marital et le mancipium.
ACTIONS RELATIVES AUX DROITS DE FAMILLE
RÉSUMÉ.
T. XIII. Des tutelles.
T. XIV. Qui peut être nommé tuteur par testament.
T. XV. De la tutelle légitime des agnats.
T. XVI. De la diminution de tête.
T. XVII. De la tutelle légitimé des patrons.
T. XVIII. De la tutelle légitime des ascendants
T. XIX. De la tutelle fiduciaire.
T. XX. Du tuteur atilien et du tuteur de la loi Julia et Titia.
De l'administration des tuteurs.
T. XXI. De l'autorisation des tuteurs.
De la tutelle des femmes.
T. XXIII. Des curateurs.
Administration et fin de la curatelles .
T. XXIV. De la satisdation des tuteurs ou curateurs.
T. XXV. Des excuses des tuteurs ou curateurs.
ACTIONS RELATIVES A LA TUTELLE OU A LA CURATELLE.
T. XXVI. Des tuteurs ou curateurs suspects.
RÉSUMÉ
PREFACE.
Je ne développerai pas longuement quel est le but et l'utilité du travail que je publie. L'idée qui m'a dominé c'est que la législation romaine, étant pour nous une législation morte, est tombée dans le domaine de l'histoire, et doit être examinée en France, principalement sous ce l'apport. J'ai voulu expliquer les Instituts de Justinien par les souvenirs que nous ont laissés les Romains de Rome et de Constantinople ; j'ai fait tous mes efforts pour que le lecteur soit transporté au milieu de la nation dont il étudiera les lois. Je considère le résumé historique contenu dans cette livraison comme la partie indispensable de l'ouvr âge; celle qui doit, si mon but a été atteint, jeter sans cesse de la lumière et de l'intérêt sur toutes les autres parties. Un livre remarquable a paru en Allemagne sur l'histoire romaine; il est de M. Nieburh. Ceux qui le connaissent me reprocheront peut être de ne point l'avoir suivi en retraçant la fondation de Rome et le règne de ses premiers rois. La nature d'un résumé n'admettait pas de discussions. Il fallait peindre les Romains, adopter surtout les croyances qu'ils avaient eux-mêmes sur leur origine, sur leurs institutions premières; celles que nous ont transmises leurs historiens, leurs jurisconsultes; celles auxquelles leurs lois font de fréquentes allusions. Voilà pourquoi je n'ai pas introduit dans mon ouvrage les aperçus savants et ingénieux de M. Nieburh; mais ce n'est que pour en parler que j'ai fait une préface. M. Nieburh distingue dans ce qu'on nous raconte de Rome trois parties : l'une purement fabuleuse, il la nomme mythologique ; l'autre mytho-historique : elle est un mélange de fables et de faits; la dernière enfin réellement historique. L'origine de Rome, Romulus, ses guerres, ses institutions, Numa Pompilius, son caractère religieux, sa nymphe Egérie, sont autant de fables poétiques qui appartiennent à la mythologie. A Tullus Hostilius, le troisième roi de Rome d'après la fable, commence la seconde partie mytho-historique. Ici l'on trouve quelques traces de la vérité, quelques monuments, la plupart des noms ne sont point inventés; mais les gestes plus ou moins brillants dont on les entoure, le combat des Horaces , l'arrivée à Rome de Tarquin, ses actions et ses victoires, sa mort, le meurtre de Servius, l'orgueil et les cruautés du dernier Tarquin, la vertu de Lucrèce, la chute des rois, la dissimulation, de Brutus, les guerres contre Porsenna, ne sont que des fictions basées sur quelques faits, embellies de tout le merveilleux de la poésie. Elles formaient le sujet de vieilles chansons populaires conservées par la tradition et de divers chants héroïques répétés à la table des grands qui prétendaient descendre de ces héros. Ennius le premier les mit en vers hexamètres; et Tite-Live les traduisit en prose. La partie historique, commence au moment où des auteurs ont écrit sur l'époque à laquelle ils assistaient et sur celle qui les avait précédés de peu d'années. Après, avoir ainsi rejeté tout le fabuleux, voici les idées plus vraisemblables que M. Nieburh met à sa place. Rome est une colonie étrusque; à quelle époque précise elle commença, et combien d'années précédèrent Tullus, c'est ce qu'on ignore entièrement. Les Etrusques formaient un des peuples les plus puissants de l'Italie. Ils jouissaient déjà d'une civilisation avancée : l'architecture, les arts, quelques sciences, le calendrier ne leur étaient point étrangers. Ceux qui s'établirent au bord du Tibre apportèrent dans leur colonie les moeurs, la religion, les rites et le gouvernement des villes d'Etrurie. Par la suite quelques Sabins, s'étant unis à eux. mêlèrent une partie de leurs coutumes à celles qui existaient déjà. Ce n'est que sous Tullus, lorsqu'Albe fut détruite, que Rome commença à recevoir des Latins. C'est ainsi que ses usages et ses institutions furent un mélange d'usages et d'institutions étrusques, sabines et latines , parmi lesquelles dominaient surtout celles des fondateurs. Je ne suivrai pas M. Nieburh dans les investigations savantes auxquelles il se livre et les conclusions ingénieuses auxquelles il parvient en s'appuyant d'une vaste érudition. Je n'ai voulu rapporter que ses opinions sur l'origine de Rome. Cette analyse pourra être de quelque utilité, et donnera sans doute le désir qu'une bonne traduction fasse bientôt jouir toute la France de cet ouvrage.
RÉSUME DE L'HISTOIRE DU DROIT ROMAIN.
Tout historien devrait être jurisconsulte, tout jurisconsuite devrait être historien. On ne peut bien connaître une législation sans bien connaître son histoire; mais qu'est-ce que cette histoire ? le tableau aride des lois classées par ordre chronologique? Non sans doute. Les moeurs de la nation , ses mouvements, ses guerres, son accroissement, sa civilisation, sont autant de causes qui modifient le droit dont elle se sert ; développez ces causes , indiquez leur influence, présentez les variations qu'elles ont amenées. Dans ces développements, faut-il subordonner l'histoire du peuple à celle du droit, et, sans avoir égard aux autres événements , marquer les divisions de son ouvrage aux époques où la jurisprudence a éprouvé de grandes modifications ? La plupart des auteurs l'ont fait ainsi. Cependant j'aimerais mieux, à l'inverse, subordonner l'histoire du droit à celle du peuple, et m'attacher pour points de division à ces grands événements politiques qui changent l'aspect d'une nation en changeant son gouvernement. Dans ces secousses, le droit public est renouvelé; et, si quelquefois les moeurs et le droit civil paraissent rester les mêmes, qu'on ne s'y trompe pas : le germe qui doit les modifier plus tard est apporté. En suivant ce système pour le droit romain, nous aurons à le considérer dans ce résumé sous trois époques : sous les rois, sous la république, sous les empereurs.
L'enfance de tous les peuples est inconnue ; les premières années de leur existence sont remplies par des traditions douteuses et des fables invraisemblables. C'est surtout aux Romains qu'il faut appliquer cette réflexion ; des savants , depuis plusieurs siècles, discutent sur les premiers temps de leur histoire. Que peuvent-ils faire ? si ce n'est à des croyances anciennes substituer des hypothèses nouvelles, plus raisonnables sans doute, mais tout aussi incertaines. Attachons-nous aux écrits des historiens et des jurisconsultes de l'antiquité : ce sont là nos premiers titres. Ecartons-en les narrations de détail, elles ne sauraient être exactes ; ne prenons que les faits principaux, et encore aidons-nous du raisonnement pour les dégager de ce que la crédulité ou l'orgueil de la nation peut y avoir ajouté, c'est ainsi que nous obtiendrons un résultat moins grand, mais plus certain. Dans la Grèce florissaient déjà depuis plusieurs siècles des villes dont l'histoire a passé jusqu'à nous : Athènes, Sparte, Corinthe, Mycènes. L'Italie était occupée par des habitants qui formaient presque autant de peuplades diverses qu'il y avait de bourgs; les Sabins, les Eques, les Volsques, les Étrusques, les Ombriens, les Samnites, les Campaniens. Dans cette partie voisine de l'embouchure du Tibre, et nommée Latium, s'élevaient quelques villes principales, Cure, Fidenne, Veies, Antemnes, Albe-la-Longue. Sur le territoire de cette dernière un jeune homme, élevé parmi les pâtres, réunit autour de lui quelques malfaiteurs; il appelle des gens de toutes les nations, Grecs, Toscans, Albains, et de toutes les conditions, pâtres, bandits, esclaves fugitifs. A leur tête il ravage les campagnes voisines, il s'avance jusqu'aux cités; ses bandes s'enrichissent du butin qu'elles font, se grossissent des personnes qu'elles dépouillent ; c'est sur les bords du Tibre, dans un terrain enfermé par plusieurs collines, qu'ils avaient fixé leur retraite. Quelles lois avaient-ils? Aucune. Ils connaissaient la force, et les coutumes qu'observent entre eux les pirates et les aventuriers. Par la force ils acquirent leur territoire, leur avoir, leurs compagnons, même leurs femmes; aussi la lance devint-elle chez eux le symbole de la propriété, et passat-elle par la suite même dans leurs procédures judiciaires. L'enlèvement des Sabines, loin de leur nuire, confondit avec eux les Sabins et leur roi ; poursuivant leur système de guerre, chaque ville vaincue était détruite; les habitants qui se rendaient étaient enrôlés parmi les citoyens romains; ceux qui résistaient, emmenés comme esclaves. C'est ainsi que la population s'accrut avec une rapidité étonnante, et dépassa bientôt celle de toutes les villes de l'Italie. La fusion des Sabins avec les Romains avait apporté parmi ces derniers un peuple qui comptait déjà une existence sociale; l'incorporation de chaque cité vaincue produisit le même effet. Aussi ne faut-il pas, assimilant les Romains à une horde de sauvages, qui passerait de l'état naturel à l'état de société, s'étonner de les voir dès leur naissance acquérir une espèce de civilisation, et se donner quelques institutions. Toutefois, il faut dépouiller ces institutions du coloris brillant dont elles ont été revêtues, par la suite , et se les figurer imparfaites à leur origine, et grossières comme leurs inventeurs. Nous allons les suivre dans leur marché progressive. Le droit public, le droit sacré, le droit civil et les moeurs arrêteront tour à tour notre attention. Le droit public qui forme la constitution de l'État, qui détermine le mode de faire les lois, de rendre la justice, de nommer aux emplois, de faire la paix ou la guerre; le droit sacré qui, lié intimement au droit politique , dont il n'est qu'une partie , fixe les cérémonies de la religion, la nomination et l'autorité des pontifes ; le droit civil qui règle les intérêts des particuliers dans les affaires qu'ils ont entre eux, comme dans leurs mariages, leurs contrats, leurs successions ; enfin les moeurs qui ont une influence si grande et sur le droit public, et sur le droit sacré et sur le droit civil. Distribution dit peuple en trois tribus et trente curies. — Assemblées de ces curies. — Création du sénat. — Division des citoyens en patriciens et plébéiens, telles sont les créations politiques que l'on attribue à l'époque de Romulus. TRIBUS ET CURIES. Il fallait nécessairement aux Romains, destinés à marcher à toute heure au combat, une organisation régulière. On composa d'un nombre égal de citoyens des tribus et des curies (1) ;
(1) Ce nom de Curies vient, d'après quelques auteurs, du mot curare, prendre soin, d'après d'autres, du nom de Cures , capitale des Sabins, parce que ces derniers, en se réunissant aux Romains, voulurent donner le nom de leur ville aux parties du peuple. C'est aussi pour cela que les Romains se nommèrent Quirites.
on pense qu'il y avait trois tribus, ce point est cependant contesté; ce qu'il y a
de plus certain, c'est que les curies étaient au nombre
de trente, soit que chacune des trois tribus eût été partagée
en dix curies, soit que ces deux divisions fussent
indépendantes l'une de l'autre.
COMICES.Dans une troupe qui se réunit pour vivre de
rapines et de guerre, le chef n'a pas un pouvoir absolu ;
les soldats indisciplinés qu'il conduit délibèrent avec lui
sur le but de leurs violences : ainsi durent faire les premiers
Romains. Une fois distribués régulièrement, fallait-il
décider une excursion, une guerre, une paix? les curies
étaient réunies, le roi exposait les propositions, les curies
donnaient leur vote. Telle est l'origine de ces assemblées,
nommées comices par curies, comitia curiata (1), qui à
mesure que le peuple se forma, durent acquérir plus d'ordre
et des pouvoirs plus marqués. Ces comices sont la
première puissance législative, et par conséquent la première
source des lois romaines.
SÉNAT. Les petits états de l'Italie, comme ceux de la
Grèce, possédaient en général une assemblée composée
des principaux habitants, et servant de conseil au chef.
Romulus dut être porté a imiter cette institution. Il était
d'ailleurs naturel de consulter les premiers de la nation,
avant d'en venir à la masse générale.
(1) Comitia vient de cum ire, aller ensemble, se rassembler ; notre
mot assemblées est la traduction exacte.
De là la création du sénat (1), destiné à servir de conseil d'administration au
roi, et à examiner les diverses propositions relatives aux
affaires publiques, avant qu'elles fussent soumises aux
curies.
PATRICIENS ET PLÉBÉIENS. Dans les bandes premières
qui se réunirent, sans doute il devait exister des inégalités, des personnes qui commandaient, d'autres qui
obéissaient. La réunion des Sabins dut en apporter encore;
et, quoique le partage égal du butin et des terres
nivelât les fortunes, les chefs et leur famille n'en conservaient
pas moins leur prépondérance. De là peut venir
la division du peuple en deux classes, celles des
et des plébéiens. Mais, qu'on ait marqué dès l'abord
cette division ; qu'on ait dit tel individu sera patricien, tel autre plébéien ; qu'on ait choisi surtout
pour patriciens, comme le disent Plutarque et Tite-Live,
ceux qui connaissaient leur père (patrem scientes), c'est
ce qu'il est difficile de croire : il est bien plus conforme
à la nature des choses de penser que la différence s'est
introduite insensiblement, les chefs militaires, les sénateurs
et leurs familles, s'élevant successivement au-dessus de la foule,
(1) Dans leur origine primitive, ces assemblées ont dû naturellement être réservées aux citoyens dont l'âge, attestait la prudence, et légitimait l'autorité. Les Grecs donnaient aux membres qui les composaient un nom qui signifiait vieillards. C'est, d'après Cicéron, par traduction de ce mot que les Romains adoptèrent celui de senatus. Les sénateurs se nommaient aussi Patres. Ils durent, dit Florus, à leur autorité le nom de Pères, à leur âge celui de Sénateurs : qui ex auctoritate Patres, ob oetatem senatus vocabantur. Le nombre des sénateurs était, d'après les historiens, de cent. Il fut doublé lors de l'incorporation des Sabins.
de telle sorte que les deux ordres de patriciens
et de plébéiens ont existé dans les moeurs avant
d'être dans les lois.
Le droit civil n'est pas le premier besoin d'un peuple
naissant, aussi les Romains n'en eurent-ils point dans
leur origine. S'élevait-il quelque différend , on l'exposait
au roi qui le vuidait d'après l'équité ou les moeurs du
peuple. Cependant l'on attribue à Romulus quelques lois
sur la puissance maritale et la puissance paternelle. Il est
bien plus vraisemblable qu'il n'exista à cette époque que
des coutumes qui prenaient leur source dans la vie guerrière
et sauvage des Romains. Leurs esclaves étaient un
butin, leurs femmes étaient un butin , leurs enfants suivaient
le sort de la mère par accession ; est-il étonnant que
le chef de famille, pater familias, eut sur ses esclaves, sur
sa femme, sur ses enfants, non pas une puissance ordinaire,
mais un droit de propriété pleine et entière?
droit de vie et de mort sur ses esclaves; droit de condamnation
sur sa femme et ses enfants; droit de vendre
ces derniers, de les exposer surtout lorsqu'ils étaient difformes.
D'autant mieux qu'il est certain que cette exposition
des enfants était alors dans les moeurs de presque
tous les peuples de ces contrées.
De quelque faible importance que nous paraissent ces
institutions naissantes, elles forment cependant la base
fondamentale du droit politique comme du droit civil des
Romains, et nous trouverons à toujours leurs traces imprimées
sur toute la législation.
(An 39.) Après la disparition de Romulus et une année
d'interrègne pendant laquelle les sénateurs exercèrent tour
à tour le pouvoir chacun pendant cinq jours, le peuple,
assemblé par curies, appela sur le trône un Sabin, Numa Pompilius. L'histoire représente ce roi aussi pacifique
que son prédécesseur avait été guerrier, s'appliquant
à adoucir les coutumes sauvages des Romains. Il
favorisa la culture des champs et développa les premiers
germes du droit sacré ; car c'est à lui qu'on attribue la
plupart des institutions religieuses de Rome.
Il est plus important qu'on le pense peut-être d'examiner
dès sa naissance le caractère que prend la religion
dans un état qui se forme. A Rome elle se lia intimement
au droit politique et au gouvernement des affaires
de l'état ; les fonctions sacerdotales furent considérées,
pour la plupart, comme des charges civiles auxquelles les
patriciens furent seuls élevés. Elles ne séparèrent point
de la société celui qui en fut revêtu ; il resta semblable
aux autres citoyens, capable de se marier, pouvant aspirer
en général aux autres dignités, et soumis du reste
à presque toutes les obligations publiques. Les pontifes
formèrent des collèges dont le roi fut le premier magistrat;
aucune entreprise importante n'eût été faite sans
immoler des victimes aux dieux et sans consulter les augures.
Cette magistrature sacerdotale, dont nous aurons
à suivre le développement, consistait à présager le résultat
de l'entreprise sur l'aspect du ciel, sur le vol et le
chant des oiseaux.
Ce n'est point dans les affaires publiques seulement que
la religion intervint, mais encore dans les affaires privées.
Tous les actes importants des Romains prirent un caractère
religieux; c'est là que les citoyens puisèrent cette
foi inviolable du serment, ce respect des choses sacrées,
la vénération des tombeaux, le culte de leurs lares et de
leurs dieux domestiqués, culte qui se transmettait dans
les familles comme une partie de l'hérédité. La fixation du calendrier fut confiée aux pontifes. Pour
que cette fixation n'offre aucun inconvénient, il faut que
l'année comprenne tout le temps précis que la terre met
à tourner autour du soleil. Alors les diverses époques se
développent avec les diverses saisons ; quand la terre achève
son cours, l'année termine le sien, et toutes les deux
recommencent périodiquement leurs révolutions qui s'accordent
toujours. La première année des Romains était
loin de présenter cet avantage ; elle n'était composée que
de dix mois, dont le premier était celui de mars et le
dernier celui de décembre. Ces dix mois ne formaient
que 304 jours; et, comme le temps que la terre met à
tourner autour du soleil est de 365 jours un quart, le
mois de mars qui avait commencé l'année, reparaissait
avant que la terre eut achevé sa révolution et que les
quatre saisons fussent terminées ; ainsi il se trouvait successivement
en hiver, en automne, en été, etc., et chaque
mois subissait un déplacement pareil. Ce désaccord entre
les mois et les saisons ne pouvait qu'entraîner une confusion
déplorable. C'est à Numa qu'on attribue la première
correction ; aux dix mois qui existaient déjà, il
en joignit deux autres, janvier et février, l'un au commencernent,
l'autre à la fin de l'année; mais ces douze mois ne
contenaient que 354 jours, et, d'après quelques écrivains,
355 : la différence avec le cours de la terre autour du soleil
était donc encore de 11 ou de 10 jours et un quart.
Les pontifes furent chargés de corriger cette inexactitude
en intercalant des jours de plus dans le courant de l'année.
Comment se faisait cette intercalation ? C'est un point qui
est bien loin d'être éclairci. Plutarque rapporte que Numa
avait ordonné lui-même qu'on ajouterait tous les deux
ans un mois intercalaire de 22 ou 23 jours alternativement. Cette méthode, qui du reste n'était pas entièrement
exacte, a-t-elle été suivie par les pontifes? Les historiens de
Rome sont trop peu d'accord là-dessus pour qu'on puisse rien
affirmer ; toujours est-il qu'on voit ces historiens se plaindre
souvent de l'arbitraire des intercalations et de l'irrégularité
du calcul du temps. Ce calcul se liait intimement
au droit privé ; la classification des jours de fêtes en dépendait,
classification qui naturellement devait appartenir
aux pontifes et qui n'était pas sans difficulté, car si
le peuple avait ses fêtes publiques pour les dieux de la
nation, chaque famille avait aussi ses fêtes privées pour
les dieux de la famille. Ces fêtes, et peut-être aussi quelques
considérations qui ne nous sont pas bien connues,
donnaient naissance à la division des jours en fastes et
néfastes. Les premiers étaient ceux où il était permis de
vaquer librement à ses affaires, les seconds ceux où l'on
ne pouvait agir en justice ni procéder à aucun de ces actes
juridiques qu'avaient les Romains. La fixation des fastes
était encore du ressort des pontifes, et les citoyens se
voyaient obligés de les consulter souvent pour savoir si
tel jour il était permis d'intenter telle action, de procéder
à tel acte, prérogative majeure qui donnait à ces magistrats
une espèce de suprématie dans les affaires privées.
Après Numa un espace de plus de 90 années est occupé
par les trois règnes de
TULLUS HOSTILIUS, (An 81.)
ANCUS MARTIUS , (An 113.)
TARQUIN L'ANCIEN , (An 136.)
Le mode de nomination de ces rois est essentiel à remarquer.
Le peuple assemblé par curies devait désigner celui qu'il se choisissait pour maître ; mais comme il ne
pouvait se réunir et délibérer que sur la proposition du
roi, dans l'intervalle d'un règne à l'autre, un patricien
était désigné par le sénat avec le titre d'entre-roi (interrex),
pour tenir provisoirement les rênes du gouvernement,
convoquer les comices et leur proposer l'élection
du monarque. Celui-ci, une fois désigné, avant de commencer
l'exercice de ses pouvoirs, assemblait lui-même
une deuxième fois les comices, et faisait rendre une seconde
loi sur sa nomination. Cicéron ne manque jamais
de répéter soigneusement pour Tullus, pour Ancus, pour
Tarquin, pour Servius, ce qu'il avait dit de Nurna : Quanquam
populus curialis eum comitiis regem esse jusserat,
tamen ipse de suo imperio curiatam legem tulit . Pourquoi
ces deux décisions sur le même sujet? Je pense que
la première rendue sur la proposition de l'entre-roi n'était
point une loi et n'avait rien de définitif; elle n'exprimait
que le choix du peuple, sans constituer le roi dans
ses pouvoirs , parce que son acceptation était nécessaire.
Mais du moment où celui-ci recevant le rang qu'on lui
offrait convoquait les comices et les faisait délibérer,
l'acte émané des comices était une véritable loi, qui
installait le roi dans tous ses droits et sanctionnait son
autorité.
Sous les trois règnes dont nous venons de parler,
l'esprit de conquête reprit sa première énergie. Le territoire
et les habitants de Rome furent augmentés du territoire
et des habitants de quelques cités voisines. Plusieurs
auteurs rapportent à Numa, d'autres à Tullus
Hostilius, une institution relative au droit des nations , celle du collége des Féciaux.
(1) Voyez Cicer. de Repub, l. 2. § 13. 17. 18. 20. 31.
Il est possible qu'elle ait été
fondée par Numa, car elle est dans le génie de ce roi ,
et mise en pratique pour la première fois par Tullus , qui
reprit les armes aussitôt parvenu au trône. Cicéron, dans
son Traité des lois, livre second, indique rapidement toutes
les attributions de ces pontifes : Foederum, pacis, belli,
induciarum , oratorum feciales judices sunto ; bella disceptanto.
«Que les Féciaux soient juges sur les traités, la paix,
la guerre , les trèves, les ambassades; qu'ils déclarent la
guerre. » Ainsi ces pontifes étaient consultés sur tous ces
points du droit des nations. Ils intervenaient dans les
traités d'alliance pour en jurer l'observation , ils étaient
chargés des déclarations de guerre. Un fécial accompagné
quelquefois d'un ambassadeur, demandait au peuple
qu'on voulait attaquer, réparation des griefs, vrais ou
faux, qui étaient le motif ou le prétexte de l'attaque , et
lorsque après trente-trois jours le peuple n'avait point obéi, le fécial prononçait cette formule que les historiens
nous ont transmise: Jupiter et toi Junon, Quirinus,
vous tous dieux du ciel, de la terre et des enfers , entendez moi
! Je vous prends à témoins que ce peuple est injuste,
qu'il refuse de nous rendre nos droits, le sénat de ma patrie
délibérera sur les moyens de l'y contraindre. Après la délibération
du sénat, si la guerre était décidée, le fécial
placé sur.la frontière ennemie lançait contre elle un javelot
et faisait ainsi la déclaration solennelle de la guerre.
Puisque cette nation s'est permis contre le peuple romain
d'injustes aggressions , puisque le peuple romain a ordonné
la guerre contre elle, puisque le sénat a proposé, décrété,
arrêté cette guerre , moi, au nom du peuple romain, je la
déclare et je commence les hostilités (Tit. liv. H. R. l. 1. §32.).
N'est-il pas surprenant qu'une nation qui ne vécut que des dépouilles des autres nations, qui commença par
les peuplades qui la touchaient, et finit par les peuples
les plus éloignés, eut dans ses injustices, des institutions
protectrices de la justice et de la bonne foi ? Non , car le
génie politique du peuple romain a presque toujours été
de mettre de son côté les apparences du bon droit. Cette
justice et cette bonne foi n'étaient que dans les formes,
si bien que postérieurement à l'établissement des féciaux,
on consacra, près de Rome, un champ nommé le Champ
Ennemi, et c'est là que le fécial, pour ne point perdre
un temps précieux dans un voyage trop long, allait faire
sa déclaration de guerre.
Sous Ancus Martius , les arts se répandirent rapidement
de la Grèce dans le Latium. Ce n'est point comme
un faible ruisseau, dit Cicéron, mais comme un fleuve
immense que les arts et les sciences de la Grèce affluèrent
alors dans nos murs (1). Rome qui n'avait été, dans
son origine, qu'un amas de cabanes formant un camp
plutôt qu'une ville, commençait à s'embellir. C'est alors
que furent construits ces solides égouts que l'on voit encore
aujourd'hui et qui ont fait dire à quelques auteurs
qu'une ville qui avait de pareils monuments devait compter
déjà une existence longue et antérieure à Romulus.
Tarquin augmenta le nombre des sénateurs qui se
trouva porté à trois cents, par l'incorporation dans cette
assemblée de cent plébéiens. Ces nouveaux sénateurs
prirent le nom de Conscripti.
(1) Cicer. Republ. liv. 2. § 19.
Voilà d'où vient la dénomination
de Patres et conscripti et par suite Patres conscripti, qui ne se donnait jamais qu'aux sénateurs réunis
en assemblée ; voilà aussi l'origine de ces maisons qu'on
appelait minores gentes , dénomination qui fut toujours
appliquée aux familles nouvelles ; de telle sorte que, sous
les empereurs encore, les patriciens avaient à honneur
d'être patricii majorum gentium , c'est-à-dire , descendants
des sénateurs de Romulus, tandis qu'on prisait
(An 176.) Nous arrivons à Servius Tullius, et nous trouvons
ici des innovations importantes pour le droit public :
le cens, les classes, les comices par centuries et l'ordre
naissant des chevaliers.
Depuis 176 ans qu'elle existait, Rome avait eu le temps
de voir les familles se former , les biens se répartir inégalement,
les ambitions croître, les grands se détacher
des petits, les riches des pauvres, et cependant dans la
répartition des impôts , dans les délibérations des curies,
riches et pauvres, patriciens et plébéiens , tous étaient
confondus, tous donnaient un tribut égal et un vote
égal. Servius apporta à ces deux vices de gouvernement,
le remède que la justice et une politique sage exigeaient.
LE CENS. Chaque chef de famille , tous les cinq ans,
fut obligé de se faire inscrire sur un tableau en indiquant
le nombre des personnes qui composaient sa famille, et
la quotité de ses biens , tant en meubles qu'en immeubles.
Ce tableau qu'on nomma cens, fit connaître à des
époques périodiques la population des Romains, et leurs
fortunes respectives. L'inscription sur le cens fut l'appanage
des seuls citoyens romains ; les enfants au dessous
de dix-sept ans n'y figuraient que pour le dénombrement, les esclaves n'y étaient indiqués que par leur quotité, parmi les meubles de leurs maîtres ; et par la suite,
le mode de les affranchir consista simplement à les faire
inscrire sur ce tableau.
LES CLASSES.L'institution du cens ayant déterminé la
fortune de chaque citoyen, conduisit à distribuer ceux ci
en six classes, en suivant l'ordre des richesses. Quelle
était la gradation d'une classe à l'autre ? c'est ce qu'on
ne peut savoir sans doute bien exactement, quoique Tite-Live nous en donne le tableau. Ces classes furent
diversement imposées et les charges de l'état se trouvèrent
ainsi peser sur chacun proportionnellement à ses moyens.
La dernière classe composée de gens qui n'avaient rien
ou presque rien, fut dispensée de toute contribution; elle ne
fut pas même obligée d'aller à la guerre, car alors on ne
voulait que des soldats citoyens, qui combattissent sans
paie, par amour pour la patrie et non par métier. On nommait
assidui (de asses dare, payer de l'argent) les riches,
tandis que les membres de la dernière classe s'appelaient
proletarii; parce qu'on ne leur demandait pour toutes contributions
que de donner des enfants à l'état.
LES COMICES PAR CENTURIES. De même qu'on avait proportionné
à là fortune des citoyens leur impôt, de même on voulut y proportionner leur vote, afin d'enlever à la
populace la pluralité des suffrages. Voici comment on
parvint à ce but. Chacune des six classes de citoyens fut
partagée en un certain nombre de centuries, en tout
cent quatre-vingt-treize. Mais avec la première classe composée
des gens les plus riches, on forma, quoiqu'elle fût
la moins nombreuse, plus de centuries qu'avec les autres
réunies toutes ensemble , et comme dans les comices on
ne recueillit pas les votes par tête, mais par centuries , les
riches eurent à eux seuls plus de centuries, et partant
plus de voix que tous les autres citoyens. Les gens pauvres
de la dernière classe, les protélaires, avaient tous été
cumulés dans la dernière centurie et ils n'avaient ainsi
à eux tous qu'une voix.
(1) Voici, d'après Tite-Liye, le tableau des centuries :
1re classe, y compris les 18 centuries de chevaliers 98 centuries.
On y joignit 2 centuries d'ouvriers. . . 2
2.e classe. . .... 20
3.e .. ... . . . .. . . . . 20
4.e . . 20
5.e , . . ... . ..... ... 30
On y joignit 3 centuries de musiciens. . . ... 3
6.e .. 1
Total des centuries. . . .194
Denis d'Halicarnasse n'est pas d'accord en cela avec Tite-Live,
il ne compte en tout que 193 centuries, parce qu'il ne met que deux
centuries de musiciens; il place les centuries d'ouvriers dans la 2.e
classe, et non-dans la 1.re. Cicéron différé encore de ces deux auteurs.
(De Re publ. liv. 2. §22.) D'après lui, il y avait bien 193 centuries
, mais la 1.re classe n'en comprenait que 88, plus une centurie
d'ouvriers; de sorte qu'il fallait pour avoir la majorité y joindre encore
8 centuries des classes suivantes.
Encore cette voix ne purent-ils presque jamais la donner; en effet, chaque centurie, en commençant par la première classe, était appelée à son tour à donner son vote qu'on proclamait à haute voix; dès qu'on avait ainsi obtenu dans un sens quelconque la majorité nécessaire, on s'arrêtait et les centuries suivantes n'étaient plus consultées, de cette sorte il ne dût jamais arriver que les prolétaires donnassent leur vote. Ils ne se rendaient au champ de Mars que comme spectateurs, pour entendre la décision du peuple qui était prise avant d'arriver jusque eux, et leur droit de suffrage devenait une espèce de dérision. La chose eût été moins choquante pour eux, si l'on n'avait proclamé le résultat qu'après avoir fait voter toutes les centuries. Les pauvres alors auraient toujours donné leur suffrage, et quoiqu'il n'eût en réalité rien fait à la décision , n'importe, ils auraient pu dire qu'ils avaient pris part à cette décision, les formes du moins auraient été sauvées ; tandis qu'ils pouvaient se regarder comme nuls dans l'état, car pour eux point d'impôt sur le cens, point de service aux armées, point de vote dans les comices.
L'ORDRE DESCHEVALIERS. Tandis que les citoyens se divisent ainsi en différentes classes, un ordre destiné à se placer par la suite entre les sénateurs et les plébéiens, prend chaque jour un accroissement progressif, je veux parler des Chevaliers. La première cavalerie des Romains ne fut composée que des chevaux pris à la guerre. Ainsi que tout autre butin, ces chevaux auraient pu être partagés, mais ils furent gardés comme propriété publique, et le cheval de l'état fut confié à un cavalier chargé de le soigner. Ce sont ces cavaliers qui, sous le nom de Célères, formaient la garde de Romulus, leur nombre s'accrut avec les forces de Rome; les fils des sénateurs, les jeunes patriciens, s'empressèrent d'entrer dans ce corps d'armée plus agréable que les autres. Servius, en augmentant de nouveau leur nombre, exigea qu'ils fussent pris dans la première classe des citoyens, parmi ceux qui payaient le cens le plus élevé de cette classe; ils y formèrent eux seuls dix-huit centuries. Tous patriciens ou riches plébéiens, appelés les premiers lorsqu'on délibérait, composant une grande partie de la classe qui faisait presque à elle seule les décisions, ils ne purent manquer d'acquérir une prépondérance parmi les autres citoyens : voilà comment destinés dans le principe à n'être qu'un corps de l'armée , ils devinrent par la suite un corps politique. (An 220.) Sous le règne deTarquin le Superbe, successeur de Servius, on place d'après Denis d'Halicarnasse et Pomponius, un jurisconsulte nommé Papirius auquel on attribue le premier ouvrage qui ait été fait à Rome sur le droit. Pomponius dit que cet ouvrage qui portait le nom de droit civil papirien (jus civile papirianum), consistait dans la collection des diverses lois que les rois de Rome avaient fait rendre par les comices ; mais cette assertion a été mise en. doute par beaucoup d'écrivains qui se fondent sur ce que le droit civil n'était point alors fixé par des lois, les comices n'ayant guère statué jusques là que sur des élections, des jugements, des délibérations de guerre ou de paix. Ce livre n'était donc d'après eux que l'exposé de quelques coutumes et de quelques règles non écrites. Cependant depuis la fondation de Rome deux cents années étaient à peine écoulées, le peuple ne comptait encore que sept rois, et déjà un grand changement politique se préparait sans qu'on s'en aperçût. Les institutions de Servius avaient donné le pouvoir à l'aristocratie ; les riches presque tous patriciens avaient dominé dans les comices ; le sénat avait accru son influence, et à côté du roi dont l'autorité diminuait, s'étaient élevés les riches et les grands de la nation avec une puissance toujours croissante. Tarquin essaya d'arrêter cette puissance ; mais aigris par la résistance, impatiens de la domination royale, surs de leurs forces, le sénat et les patriciens saisirent l'occasion favorable, l'attentat commis sur la chaste Lucrèce servit à soulever le peuple, et Rome devint une république. (An 244.) Ici commence notre seconde période; jetons un dernier regard sur celle qui vient de s'écouler, et joignant le point de départ des Romains au point où ils sont parvenus, voyons quelle marche ils ont suivie dans le développement de leur politique, de leurs institutions et de leurs moeurs.
La première politique de Rome est l'envahissement. Les petits bourgs qui la touchent, les villes plus considérables qui l'environnent sont détruites ; les habitants sont transportés à Rome, incorporés parmi les vainqueurs jouissant des mêmes droits ; alors cette qualité de citoyen romain n'est pas un bien dont on soit avare, on la donne à tous les vaincus. Lorsque Rome a acquis une population et un territoire, au lieu de chercher à les accroître, au lieu de détruire les villes soumises, et de rendre les habitans Romains en les transportant à Rome, on transporte parmi eux des Romains. Des prolétaires, des affranchis sont envoyés, on les confond avec les premiers habitants, on partage entre eux les terres, et voilà une colonie qui dépend de Rome comme d'une métropole dont elle sert à garder le territoire, en même temps qu'elle lui offre un moyen d'étendre ses conquêtes. Ces colonies sous les rois sont encore peu nombreuses, et sans doute leur gouvernement est irrégulier ; mais nous les verrons se multiplier et s'organiser sous la république. Les colons jouissent de tous les droits privés du citoyen romain , tels que ceux de succession, de puissance paternelle et maritale, mais non du droit politique de voter dans les comices. Ce système de colonie ne peut s'appliquer à tous les peuples belliqueux qui entourent les Romains. Vaincus dans une guerre, ils recommencent bientôt; leur résistance opiniâtre suggère alors un système d'humanité politique. On laissé aux peuplades qu'on a vaincues leurs lois, leur gouvernement, leur indépendance apparente ; par un traité d'alliance on les attache aux Romains, qui, s'obligent à les protéger, et auxquels ils doivent de leur côté fournir des troupes et des denrées. C'est ainsi que bientôt un pacte fédératif unit à Rome les peuples, du Latium. Voilà ces alliés qui portaient le nom de Latins (Latini) ; ils n'ont à Rome aucun droit de citoyen , ni dans l'ordre privé ; ni dans l'ordre publie; seulement ils peuvent invoquer le droit qui est commun à tous les hommes comme celui qui règle les ventes, les achats, les échanges, etc. C'est ainsi que Rome avec un territoire resserré, avec des citoyens peu nombreux, apparaît défendue à l'extérieur par ses colons qui n'ont aucune part à son gouvernement, et appuyée dans le Latium sur ses alliés qui n'ont chez elle ni les droits privés, ni les droits publics de citoyen.
Trois corps politiques se présentent avec des pouvoirs
distincts, le peuple, le sénat, le roi.
Le peuple qui un dans son origine, s'est décomposé
bientôt en deux castes, les patriciens et les plébéiens, parmi
lesquels un troisième ordre, celui des chevaliers, commence
déjà à s'introduire.
Le sénat qui, formé d'abord de cent patriciens et porté
successivement jusqu'à trois cents, a corroboré chaque jour
sa puissance, s'est élevé rival des rois auxquels il devait
servir de conseil, et a fini par les renverser.
Le roi, dont le rang n'est point héréditaire, mais qui,
désigné par les comices du peuple, est maître de refuser
la dignité qu'on lui offre.
Les pouvoirs de ces trois corps politiques, quoiqu'ils ne
soient déterminés par aucune loi positive, sont distribués,
en général comme il suit.
Le peuple élit ses rois donné quelquefois son consentement
aux déclarations de guerre ou de paix, fait les
lois ou les abroge.
Le sénat est consulté sur les affaires importantes de
l'administration ; les projets de guerre ou de paix lui sont
soumis avant d'être présentés au peuple ; il rend sur les
matières dont il s'occupe des décrets nommés sénatus consultes.
Le roi a le commandement absolu des armées ; il nomme au rang de sénateur, convoque les comices, le
sénat, fait exécuter les lois, rend la justice, et, comme
souverain pontife, préside au culte religieux.
Appliquant au gouvernement de Rome la décomposition
moderne de la souveraineté en trois pouvoirs, voici
le tableau que nous trouverons :
Pouvoir législatif. Il est exercé par le roi, le sénat et le
peuple. Ce dernier délibère d'abord dans les comices par
curies où chaque citoyen ayant un vote égal, les patriciens,
s'ils ont quelque prépondérance, ne la doivent
qu'à leur influence morale sur l'esprit de leurs clients ;
plus tard, dans les comices par centuries où à l'aide d'une
distribution ingénieuse, la classe des riches, quoique
moins nombreuse, a la pluralité des suffrages. Du reste ,
l'établissement des comices par centuries, ne détruit pas
les comices par curies; ces deux institutions se conservent
ensemble, et forment la première source des lois romaines.
Pouvoir exécutif. Il est confié principalement au roi
qui néanmoins est soumis dans les affaires d'administration
à prendre l'avis du sénat, et qui souvent demande
même le consentement du peuple lorsqu'il s'agit de la
paix, ou de la guerre.
Pouvoir judiciaire. Il appartient en règle générale au
roi. Ce dernier juge lui-même les affaires privées. Il est
assisté dans ces fonctions par des patriciens qu'il désigne.
Quant aux affaires criminelles dans lesquelles il s'agit de
la vie d'un citoyen, on voit le peuple investi quelquefois
du droit de les examiner, et nous en avons un
exemple dans le jugement d'Horace, si cette histoire doit
être regardée comme vraie. Le droit sacré intervient à Rome et dans le droit des
nations, et dans le droit public, et dans le droit privé ;
le roi préside tout ce qui tient à la religion, et les plus
hautes familles des patriciens briguent les charges du sacerdoce
qui d'ailleurs ne sont pas pour la plupart incompatibles
avec l'aptitude aux autres fonctions publiques.
Trois institutions principales sont à remarquer dans
le droit sacré.
1.° Le collége des Pontifes. Il est composé de quatre
membres; et placé à la tête de la hiérarchie sacerdotale,
avec une jurisdiction religieuse qui s'étend sur tous les
autres sacerdoces et sur une infinité d'affaires privées,
telles que les mariages, les adoptions, les sépultures, le
culte que chaque famille doit à ses dieux et à ses pénates.
2.° Le collége des Augures. Il ne se compose encore
que de quatre membres, dont les fonctions principales
sont de consulter les cieux avant toute entreprise importante.
Plus d'une fois on les voit dissoudre une assemblée, arrêter un général prêt à combattre, parce que les
auspices sont défavorables.
3.° Le collége des Féciaux. Ces prêtres doivent connaître
des affaires relatives au droit des nations, aux alliances
et aux guerres.
Le droit d'élire les pontifes n'appartient point encore
aux comices, mais à chaque collége. La dignité sacerdotale
est conférée à vie, et les plébéiens ne peuvent y
prétendre.
Les contestations privées relatives aux droits civils, sont vuidées par le roi et les patriciens qu'il s'est adjoint. L'équité naturelle, les usages naissants, guident ces juges dans leurs décisions. Point de loi écrite, point de jurisconsulte, point d'orateur chargé de défendre les parties. Il est vrai qu'on attribue à quelques rois de Rome certains règlements sur le mariage, sur la puissance paternelle, sur les droits des créanciers ; mais l'existence de ces règlements inconnus est controversée, et l'on peut dire en général que tout le droit civil de cette époque gît dans les moeurs et les coutumes.
Ce sont les coutumes seulement qui règlent les échanges et les ventes. Les échanges sont fréquents comme dans toute société qui commence; la vente, plus rare. Elle se fait avec des métaux que l'on donne au poids; et, lorsque quelques monnaies commencent à paraître, elles sont de cuivre, portant l'empreinte d'un boeuf ou d'un mouton, d'où leur vient le nom de pecunia. C'est aux moeurs rudes et grossières du peuple qu'il faut attribuer ces droits exorbitants qui permettent au créancier de s'emparer du débiteur qui ne le paie pas, et d'en faire son esclave. Mais le tableau qui frappe le plus dans les moeurs romaines, est celui que présente chaque famille. Elle se groupe autour du chef et forme, au milieu de la société générale, une petite société soumise à un régime despotique. Ce chef, pater familias, est propriétaire absolu de tous les biens, et même de toutes les personnes qui composent sa famille; il a sous sa puissance immédiate ses esclaves, ses enfants, sa femme; autour de lui se rangent encore, quoiqu'ils lui soient soumis moins directement, ses affranchis, et, lorsque le chef est patricien, ses clients. De là naissent des institutions qui trouveront une application perpétuelle dans le droit civil relatif aux personnes. 1.° L'esclavage qui jette dans l'état et dans les familles une classe d'hommes sans droits, assimilés à des choses, dont on peut disposer et trafiquer à volonté : institution, contraire à la nature, mais commune à tous les peuples de ce temps. 2.° La puissance paternelle particulière au seul peuple romain, qui pèse sur le fils quelqu'âgé qu'il soit, et rend son père maître de sa personne, de ses enfants, de son travail, même de sa vie. 3.° La puissance maritale, peut-être moins sévère que les deux autres, parce qu'elle dut être modifiée dès sa naissance par l'influence des parents de la femme. 4.° L'affranchissement qui, faisant passer un individu de l'état de chose à l'état d'homme libre, sans rompre cependant tous les liens et tous, les devoirs qui l'attachaient à son ancien maître, donne au milieu de Rome une classe particulière de citoyens , conservant encore pendant plusieurs générations l'empreinte de leur ancien esclavage. On ne sait comment s'opérait l'affranchissement avant l'institution du cens ; depuis cette époque, c'est par l'inscription sur le tableau des citoyens que l'esclave devient affranchi et acquiert les droits de cité.
5.° La clientelle qui forme entre le patricien puissant et les pauvres plébéiens qui l'entourent un lien étroit d'obligations réciproques. Le patron doit protéger son client, le diriger dans ses affaires, l'aider de son crédit, tandis que le client doit le payer de son zèle obséquieux et de son dévouement sans bornes. La religion et les moeurs revêtaient ces devoirs d'un caractère tellement sacré, que le patron ou le client qui les oubliait, était frappé d'anathème : union politique qui nous étonne aujourd'hui , mais que nous concevrons plus facilement lorsque, corrompue dans la suite par la civilisation et devenue un instrument de brigue et de dilapidation, elle sera à l'unisson de nos moeurs. Après cet aperçu, qu'on ne dise point qu'il n'y avait pas encore à Rome de droit civil. Il n'y avait pas de droit écrit, mais un droit coutumier fortement enraciné, premier germe de toutes les lois qui naîtront par la suite.
§ 1.er Jusqu'aux lois des 12 Tables.
Plusieurs puissances ne peuvent dans un même état exister ensemble sans être rivales, c'ést-à-dire ennemies l'une de l'autre. Sont-elles trois? deux se réunissent pour détruire la troisième. Ne sont-elles que deux? les dissentions n'en sont que plus vives. Rome nous en offre un exemple. Des trois corps politiques que nous avons comptés dans le gouvernement, il ne reste que les patriciens et les plébéiens. Ils étaient unis pour renverser les rois, et maintenant va commencer entre eux cette lutte continue, dans laquelle les patriciens s'étant emparés de tous les honneurs, de tous les priviléges, de toutes les dignités, les plébéiens arracheront successivement leur part dans les honneurs, dans les priviléges, dans les dignités: lutte qui commence à l'affranchissement des deux ordres hors de l'autorité royale, et qui se terminera par leur asservissement sous le despotisme impérial. (An 245.) On pourrait croire au premier abord que le gouvernement n'a subi dans cette secousse qu'un changement bien léger. Point d'innovation apparente dans les comices, dans le sénat, dans l'administration; l'autorité royale est seulement remise à deux consuls élus comme les rois par le peuple, et dont le pouvoir ne doit durer qu'une année. Mais la position des chefs, l'esprit des citoyens sont totalement changés, et de là dépendent tous les évènements qui suivront. Les consuls sont bien loin de prendre la place des rois. Ceux-ci au-dessus des sénateurs et des patriciens formaient un corps politique indépendant, et l'équilibre avait à s'établir entre le roi, le peuple et le sénat. Les consuls au contraire ne sont que des patriciens; ils sont dirigés par le sénat, et ne font rien que sous son influence: l'équilibre politique doit s'établir entre le sénat et le peuple, et la puissance détruite des rois se distribuer sur ces deux corps. Le sénat augmente son pouvoir exécutif; l'administration se concentre sur lui, c'est lui qui traite avec les alliés, avec les ennemis; en un mot c'est lui qui tient la barre du gouvernail. Le peuple augmente son indépendance ; il a mesuré sa force, il sait qu'il fait les lois, les magistrats ; il sait que le joug: qu'il s'est imposé, il peut le renverser : les faisceaux des consuls se baissent devant lui. Peine de mort contre celui qui prendra une magistrature sans son consentement ; peine de mort contre celui qui aspirera à la royauté ; droit d'appel au peuple contre toute sentence d'un magistrat qui condamnera un citoyen à être mis à mort, exilé ou battu de verges. Parmi ces lois obtenues par le peuple arrêtons-nous à la dernière. Elle portait le nom de loi Valeria, parce que c'est sur la proposition du consul Valerius Publicola qu'elle fut rendue par les centuries ; elle défendait qu'aucune peine qui priverait un citoyen romain de la vie, de la liberté, de ses droits de cité, pût être prononcée légalement par un magistrat seul. Les comices par centuries devaient être assemblés et juger ces affaires criminelles. Ce droit n'existait-il pas déjà sous les rois ? Plusieurs historiens l'affirment, et Cicéron dans son Traité sur la république s'exprime ainsi : " Provocationem autem etiam a regibus fuisse declarant pontifices libri, significant nostri etiam augurales". Le droit d'appel existait aussi contre les décisions des rois, c'est ce que déclarent les livres des pontifes et ceux des augures.Quelle innovation apporta donc la loi Valeria? Elle transforma en droit écrit ce qui n'était pour ainsi dire qu'une coutume quelquefois négligée, et depuis, les comices furent attentifs à user de leurs droits. Chacun pouvait, aussi bien qu'un magistrat, poursuivre devant le peuple la punition des crimes capitaux ; mais les comices déléguaient souvent leurs pouvoirs à des citoyens appelés quaestores parricidii qui devaient présider à ces affaires criminelles, diriger l'instruction, et faire rendre le jugement au nom du peuple. Qu'on n'attribue point à ce mot parricidium le sens qu'on lui a faussement donné par la suite : il signifie paris-cidium, meurtre de son semblable, homicide, et non patris-cidium, meurtre de son père, patricide ; aussi lit-on dans Festus cette loi attribuée à Numa : "Si quis hominem liberum dolo sciens morti duit, parricida esto". La loi Valeria ne s'appliquait pas aux étrangers, aux esclaves ; les consuls pouvaient de leur propre autorité les faire punir, battre de verges, ou mettre à mort. Elle ne s'appliquait pas à l'armée, car la discipline si rigoureuse des Romains eût été détruite bientôt si l'on avait opposé une telle barrière au pouvoir du général. Enfin elle s'arrêtait devant la puissance paternelle, et chose étonnante, celui dont l'état ne devait dépendre que du peuple réuni, pouvait être mis à mort sur le jugement et l'ordre de son père. On attribue au même consul Valérius la création d'une magistrature nouvelle. Le trésor public avait été confié jusqu'ici au roi et ensuite aux consuls, sauf à eux à le faire administrer, et garder à leur volonté. Sur la proposition, de Valérius deux questeurs furent nommés par le peuple pour remplir spécialement cet emploi ; on les appela quaestores, parce qu'ils devaient rechercher et recueillir les deniers publics, comme on avait nommé quaestores parricidii ceux qui devaient rechercher les preuves des crimes capitaux. Cette charge commence le démembrement du consulat; elle fut réservée dans son origine aux seuls patriciens, et elle devint par la suite le premier pas vers les dignités. Cependant Tarquin après son expulsion ne resta point inactif; les guerres qu'il suscita contre les Romains obligèrent ceux-ci à déployer toute leur énergie, et neuf années s'étaient déjà écoulées depuis le renversement du trône, lorsque menacés à l'extérieur par une armée considérable que le gendre de Tarquin réunissait contre eux; tourmentés à l'intérieur par les dissentions qui commençaient à naître entre les deux ordres, ils purent craindre pour leur république. Dans cette crise le sénat recourut, à un remède vigoureux; une nouvelle charge fut établie, la dictature, empruntée aux Toscans. (An 253. ) Sur l'ordre du sénat les consuls nommèrent parmi les patriciens un dictateur qui fut revêtu pour six mois d'une autorité absolue; toutes les dignités furent suspendues devant la sienne : comme magistrat, comme général il commanda à Rome, à l'armée ; les haches furent rendues aux faisceaux de ses licteurs ; il put condamner les citoyens aux verges, à l'exil, à la mort sans l'assentiment du peuple ; le pouvoir législatif fut le seul qu'on ne lui remit pas. Une puissance si énergique était propre à sauver l'état d'une crise violente; aussi la vit-on par la suite employer à Rome dans tous les dangers pressants : mais elle pouvait conduire à la tyrannie, et c'est ce qui arriva, non pas tant que les dictateurs, citoyens de la république, songèrent à la sauver, et déposèrent leurs faisceaux après le danger ou après les six mois ; mais plus tard , lorsque les généraux combattirent pour eux-mêmes, ou pour leur parti. On adjoignit au dictateur un lieutenant qu'il pouvait se choisir, et qui portait le titre de maître de la cavalerie (magister equitum). Une chose remarquable c'est que ce lieutenant paraissait à cheval à la tête de l'ordre des chevaliers, tandis que le dictateur, précédé de ses vingt quatre licteurs, était obligé de marcher toujours à pied à Rome comme à l'armée. Avait-on voulu diminuer par les apparences le pouvoir sans bornes qui lui était confié, et, pour ne point alarmer les plébéiens à l'aspect de ce pouvoir, avait-on voulu que le patricien qui en était revêtu, loin de marcher à la tête des nobles qui formaient la cavalerie, fut rejeté dans l'infanterie à côté des plébéiens qui la composaient, et parut être leur général plutôt que celui des patriciens ? Quoiqu'il en soit, les charges de dictateur et de maître de la cavalerie, toutes deux importantes, donnant toutes deux droit aux licteurs et à leurs faisceaux, furent réservées aux seuls patriciens, comme l'étaient celles des consuls et toutes les autres dignités. Une fois rassurés sur la crainte qu'avaient inspirée Tarquin et ses partisans, une fois l'autorité du dictateur déposée, l'union momentanée que l'approche du péril avait fait naître disparut, et la lutte des plébéiens contre les patriciens commença. La situation politique des premiers n'était pas avantageuse. Les patriciens seuls composent le sénat, seuls ils sont admissibles aux charges religieuses, seuls ils peuvent être consuls, questeurs, dictateurs, maîtres de la cavalerie ; à l'armée ils commandent, et dans les comices ils dominent. La position privée des plébéiens n'est pas plus heureuse : pauvres , n'ayant guère de recours à ces arts et à ces professions mercantiles inconnues ou du moins rares alors à Rome, ne possédant pour ressource que l'agriculture ou la guerre, leur petite récolte ou leur part de butin, ils se voient souvent obligés d'emprunter des riches; le moment d'acquitter l'obligation arrive, le débiteur est dans l'impossibilité d'y satisfaire ; le créancier alors, en vertu des droits dont nous avons parlé, s'empare de lui et l'emmène comme son esclave : vexation privée qui, se multipliant fort souvent et se joignant aux vexations politiques, devait entraîner quelque fâcheux résultat. Un de ces débiteurs échappé, de la maison de son créancier, parut sur la place couvert de plaies. A ce spectacle on s'agite, le mécontentement se communique, il éclate, et les plébéiens se retirent en armes sur une colline au-delà de l'Anio (an 260). Cette sédition coûta cher aux patriciens. Ils avaient dans leur ordre deux consuls; ils furent contraints d'accorder aux plébéiens deux magistrats qui reçurent le nom de tribuns des plébéiens (1).
(1) Tribuni plebis, tribuns des plébéiens, et non tribuns du peuple, tribuni populi, comme on le dit vulgairement.
Les tribuns seront choisis parmi les plébéiens ; leur première fonction sera de les défendre. Ils auront le droit de s'opposer aux actes des consuls, de paralyser les décrets du sénat par leur seul veto ; ils pourront même arrêter les autres magistrats et les citer devant l'assemblée du peuple. On exigea pour tous ces droits les garanties les plus fortes. Le peuple dans les comices par centuries les confirma, le sénat les sanctionna et la religion les consacra. Les tribuns, la colline sur laquelle on s'était retiré pour les obtenir, les lois qui les avaient constitués devinrent des objets sacrés : cette colline prit le nom de Mont sacré, ces lois celui de lois sacrées; la personne des tribuns fut inviolable, sacro-sancta, et quiconque attenterait à leur vie devait être dévoué aux dieux infernaux. Cette première victoire des plébéiens conduisit à toutes les autres. Les tribuns, d'abord au nombre de deux, furent bientôt portés jusqu'à dix. Il est vrai qu'en augmentant leur nombre on aurait pu rompre leur union et affaiblir leur énergie ; mais il n'en fût point ainsi dans les commencements : avides de capter la faveur de leur ordre, prompts à s'opposer aux sénateurs et aux patriciens se consultant entre eux sur les mesures qu'ils devaient adopter, prenant l'avis des principaux plébéiens, ils ne tardèrent pas à vouloir présider aussi des assemblées, et à substituer à leurs délibérations privées les délibérations publiques de toute la classe. Mais dans quel ordre la convoquer, car on ne pouvait suivre ni celui des curies, ni celui des centuries consacrés à d'autres assemblées ? Il existait une troisième division du peuple en tribus. Ces tribus n'étaient d'abord qu'au nombre de trois ; elles avaient été augmentées successivement, et l'on en compta par la suite jusqu'à trente-cinq : elles étaient distinguées en tribus de la ville et tribus de la campagne. Les tribuns adoptèrent cette division pour leur projet et convoquèrent les Romains par tribus (an 263). Les consuls, les sénateurs, les pontifes, les augures les patriciens quoiqu'ils fissent aussi partie des tribus, se gardèrent bien de se rendre à ces assemblées présidées par des plébéiens, ouvertes sans consulter les augures ; ils ne les considérèrent que comme une réunion de caste, et les plébéiens s'y trouvèrent seuls. Voilà l'origine de ces réunions qui d'abord destinées aux délibérations politiques d'un seul ordre de citoyens, s'emparèrent bientôt de certains jugements, de certaines élections, rendirent des lois sur le droit privé, et devinrent une branche du pouvoir législatif. Elles portaient le nom de Concilia, quoiqu'on les désigne plus souvent aujourd'hui sous celui de Comices par tribus, Comitia tributa; leurs décisions se nommaient Plebis-scita, ordres des plébéiens, et quelques auteurs par opposition ont désigné sous de nom de Populi-scita, ordres du peuple, les lois rendues par les comices. Les assemblées des plébéiens ne tardèrent pas à enlever aux comices du peuple le droit d'élire les tribuns, et comme les consuls avaient sous leurs ordres deux questeurs, elles adjoignirent aux tribuns deux magistrats nommés Edites plébéiens, qui furent chargés des détails de la police, et surtout de la garde des édifices publics où les plébiscites étaient déposés. Par toutes ces innovations, la situation politique des plébéiens se trouva bien améliorée ; ils songèrent aussi à leur situation privée. Les intérêts des particuliers étaient incertains, abandonnés à l'arbitraire des consuls et des patriciens qui rendaient la justice, les plébéiens, excités par leurs tribuns, demandèrent des lois civiles. Plusieurs fois ils décidèrent dans leurs réunions que des personnes seraient chargées de rédiger ces lois : toujours le sénat refusa de donner sa sanction à une pareille mesure ; mais enfin il se vit contraint de céder. D'après quelques historiens, des députés furent envoyés dans la Grèce pour recueillir la législation de cette contrée d'où étaient venues les premières idées d'arts et de civilisation, et c'est à leur retour que dix magistrats choisis par les comices dans l'ordre des sénateurs reçurent la mission de rédiger les lois civiles de la république. (An 303). Ces magistrats, nommes décemvirs, furent revêtus: d'un pouvoir absolu semblable à peu près à celui de dictateur; toutes les charges furent suspendues ; les consuls, les questeurs, les tribuns et les édiles déposèrent leur autorité. Le peuple lui-même se départit du droit de juger les affaires capitales. Tout fut remis dans les mains de ces magistrats. Ils n'usèrent qu'avec modération des pouvoirs exorbitants qu'on leur avait confiés ; ils rédigèrent dix tables de lois qui, après avoir été exposées, sur la place publique, promulgatoe, furent confirmées: dans les comices: L'année expira, elle devait servir de terme à la nouvelle dignité ; mais la législation ne paraissait pas complète, et dix décemvirs, parmi lesquels se trouvaient quelques plébéiens, furent choisis de nouveau pour l'année suivante ; loin d'imiter la modération de leurs prédécesseurs , ils firent peser sur Rome tout le poids de leur autorité. Ils cherchèrent à perpétuer cette autorité : ils devinrent des tyrans. Le crime de l'un d'eux mit fin à cette tyrannie; le corps sanglant de Virginie immolée par son propre père, rappela celui de Lucrèce ; les soldats s'avancèrent en armes vers Rome et campèrent sur le Mont sacré ; le peuple se souleva dans la ville, et les décemvirs subirent la juste punition de leurs crimes. Deux d'entr'eux périrent dans les prisons; les huit autres s'exilèrent, leurs biens furent confisqués (an 305). Les consuls, les tribuns, les autres magistrats reparurent, et le gouvernement reprit son ancienne forme. Les derniers décemvirs avaient travaillé à deux tables de lois supplémentaires; elles furent adoptées comme les premières, et le droit se trouva fixé par ces douze tables : lois obtenues après tant de débats, qui traversèrent les divers âges de Rome et survécurent même à la république; lois qu'on respectait jusqu'au point de n'oser y déroger qu'à l'aide de subterfuges; lois dont Cicéron lui-même parle avec une espèce d'enthousiasme (1)! Leurs dispositions sont quelquefois grossières et même barbares, leur style concis, impératif, souvent incompréhensible. On peut y lire les moeurs actuelles de la nation et son degré de civilisation. Voici les fragments qu'on en a recueillis épars dans les divers, auteurs ; quelques présomptions seulement ont servi de guide dans l'ordre des matières.
(1) Qu'on en soit révolté : mais je dirai ce que je pense. Pour celui qui remonte à la source des lois , je trouve que le petit livre des douze tables est par sa force et son utilité bien au-dessus des bibliothèques de tous les philosophes. (Cic. de Orat. I. 45.)
Cependant Cicéron nous apprend que la première table contenait le mode d'appeler en justice; la dixième les cérémonies des funérailles, et l'une des deux dernières, la défense du mariage entre les patriciens et les plébéiens. Denis d'Halicarnasse indique comme se trouvait dans la quatrième table, le droit accordé au père de famille de vendre ses enfants. Ces indices certains ont servi de point de départ, et d'après, quelques autres considérations (1), on est parvenu à placer dans un ordre probable le sujet de chaque table. C'est à Godefroy que nous devons en France les recherches les plus complètes sur cette matière, mais peut-être n'a-t-il pas été assez difficile. Une présomption légère, une phrase d'un auteur lui suffit bien des fois pour supposer une loi des douze tables, en composer le texte et lui assigner une place. Dans les lois même dont les termes nous sont parvenus , il n'a pas craint de suppléer aux altérations de ces termes par des corrections que le sens lui indiquait. Je profiterai de son travail, ou pour mieux dire, je ne présenterai que son travail, mais en écartant tout ce qui ne nous est pas arrivé comme fragment réel des douze tables ; car selon moi plutôt que de toucher à ces débris, il vaut mieux les présenter incomplets et mutilés par les années.
(1) Caïus a écrit six livres sur les douze tables ; on trouve au digeste plusieurs fragments de cet ouvrage, avec l'indication du livre où ils se trouvaient. On a supposé que chacun des six livres correspondait à deux tables, et cette supposition a servi de guide.
FRAGMENTS DES DOUZE TABLES (1).
TABULA PRIMA.
Si in jus vocat, (ito). (Cicer.)
SI VIS VOCATIONETESTAMINI( ni
it testamino ), igitur en capito.
(Porphirio.)
Si calvitur, pedemque struit,
manum endo jacito. (Festus.)
Si morbus aevitasve vitum escit,
qui in jus vocabit, jumentum
dato. Si nolet, arceram ne sternito.
(Aulu-Gellius.)
Rem uti pacunt ORATIONEM
(orato ; ni) pacunt in comitio aut
in foro antè meridiem causam
conscito, quom perorant ambo
praesentes. ( Orat. ad Herrennium.
) Post meridiem praesenti
stlitem addicito. Sol occasus suprematempestas
esto. (Aul. Gell.)
PREMIÈRE TABLE.
Si quelqu'un, est cité en justice
qu'il aille..
Si non que le demandeur appelle
des témoins, et l'arrête..
S'il cherche, à tromper ou à s'enfuir,
qu'il soit saisi de force.
S'il est, retenu par l'âge ou la
maladie, que le demandeur soit tenu
de lui fournir un moyen de transport;
mais non une voiture couverte.
Que selon les transactions des
parties l'affaire soit discutée; s'il
n'y a pas de transaction, qu'elle le
soit au comitium ou au Forum lorsque
les deux plaideurs sont présents
avant midi. Après midi, s'il n'y a
qu'une partie présente , qu'on lui adjuge le procès. Que le coucher du
soleil termine toute instruction.
(1) Dans ces fragments nous mettrons en majuscules les mots qui
paraissent altérés, et en caractère italique entre parenthèses les corrections
qu'on peut supposer. Nous indiquerons fidèlement le nom de
chaque auteur d'où le fragment a été puisé.
Les formes sur la citation en justice (de in jus vocando),
sont simples et rudes ; le demandeur, quand son adversaire
refuse de le suivre devant le juge, appelle des témoins,
le saisit et l'entraîne. Les parties peuvent transiger, convenir
entre elles que leur querelle sera vidée à l'amiable
par des amis ; mais si elles ne font aucune de ces conventions, on a recours au magistrat. C'est à la face de tous
les citoyens, sur la place publique, que ce magistrat distribue
la justice. Un endroit quelconque du Forum peut
lui servir de tribunal; mais plus spécialement cette partie
nommée Comitium, qui était couverte d'un toit, et au milieu
de laquelle s'élevait la tribune aux harangues,
TABULA SECUNDA.
... (Si) quid horum fuit unum
judici arbitrove, reove, eo die
diffensus esto. (Festus.)
Cui testimonium defuerit, is
tertiis diebus ob portum obvagulatum
ito. (Festus.)
Si nox furtum factum escit, si
im occisit, jure coesus esto. (Macrobius.)
Si adorat futo quod nec manifestum
erit... (duplione decidito.)
(Festus.)
DEUXIEME TABLE.
....Si l'un de ces événements,
survient au juge, à l'arbitre ou à
l'une des parties, qu'on remette la
cause.
Que celui à qui un témoin refusera
son témoignage aille par trois jours
de marché, l'appeler devant sa
porte en le lui reprochant à grands
cris.
Si quelqu'un commettant un vol
de nuit est tué, qu'il le soit à bon
droit.
Si l'on poursuit en justice un vol
non manifeste, que la peine du voleur
soit du double.
Les deux fragments placés dans cette table sont les seuls que nous ayions sur les vols ; mais Aulu-Gelle, sans rapporter les termes de la loi, nous en apprend les dispositions, et les notions qu'il nous donne sont confirmées par Caïus. Les vols se divisaient en vols manifestes et non manifestes : vol manifeste quand le voleur est pris en flagrant délit, de manière qu'on ne peut douter de sa culpabilité; vol non manifeste dans les cas contraires. La peine du vol manifeste était : pour l'homme libre, battu de verges , et donné en esclavage (addictus) à celui qu'il avait volé; pour l'esclave, précipité de la Roche Tarpéienne ; pour l'impubère, châtié à la discrétion du magistrat. La peine du vol non manifeste était, outre la restitution de l'objet, la condamnation au double de sa valeur. Du reste il était permis de tuer le voleur de nuit, et même le voleur de jour lorsqu'il se défendait à main armée. Voici une chose à remarquer. Quelqu'un soupçonnait-il qu'un objet volé se trouvait dans une maison? il pouvait procéder à sa perquisition en se présentant nu, pour qu'on ne pût l'accuser de porter avec lui cet objet, entouré néanmoins d'une ceinture (licium) par respect pour la décence, tenant un plat (lanx), soit pour y mettre l'objet quand il l'aurait trouvé, soit, pour que ses mains étant employées à le tenir, on ne pût craindre qu'elles cachassent quelque chose (Caïus, Comm. III. 193. ). Le vol, découvert de cette manière, se nommait : furtum lance licioque conceptum, ou simplement furtum conceptum; le coupable était puni autant qu'un voleur manifeste.
TABULA TERTIA.
Aeris confessi rebusque jure judicatis
triginta dies justi sunto,
post deinde manus injectio esto,
in jus ducito. Ni judicatum facit,
aut quis endo eo in jure vindicit,
secum ducito, vincito aut nervo
aut compedibus quindecim pondone MINORE(majore), aut si volet
MAJORE(minore), viocito. Si volet
suo vivito. Ni suo vivit, qui, eum
vinctum habebit, libras farris endodies dato. Si volet plus dato. (Aulu-
Gell.)
... Tertiis nundinis partis secante.
Si plus, minusve secuerunt,
se fraude esto. (Aulu-Gell.)
Assiduo vindex assiduus esto;
proletario quoiquis volet vindex
esto. (Aulu-Gell.)(1)
TROISIÈME TABLE.
Pour un paiement ordonné sur l'aveu
du débiteur ou sur la décision du
juge, qu'on accorde trente jours ;
passé ce délai, qu'il y ait sur lui saisie
de force (manus injectio), et qu'on
le conduise au juge. Là, s'il ne paie
pas, ou si personne ne le vendique
en s'offfant pour caution (vindex),
qu'il soit emmené chez le créancier,
lié, au cou ou aux pieds avec des
chaînes pesant 15 livres au plus et
moins si l'on veut. Qu'il soit libre
de vivre à ses propres dépens, sinon
que son créancier lui fournisse
chaque jour une livre de farine, ou
plus, s'il le veut bien.
... Après, trois jours de marché,
qu'ils le mettent en pièces, et s'ils
en font plus ou moins de morceaux,
qu'il n'y ait pas de mal.
Que le riche ne puisse donner
qu'un riche pour répondant, le prolétaire
un individu quelconque.
Après de telles lois doit-on s'étonner si les dettes ont
amené plus d'une fois à Rome le soulèvement de la classe
pauvre?
(1) J'ai mis ce fragment à la troisième table, et non à la première, où l'avait placé Godefroy, parce que nous savons aujourd'hui de Caïus que le vindex était celui qui vendiquait le débiteur, et répondait du paiement, pour empêcher qu'il fut emmené comme esclave par le créancier, et non pas celui qui répondait que le débiteur se présenterait en justice. Ainsi, c'est dans la troisième table qu'on doit parler du vindex.
Et cependant aux soins que les décemvirs ont pris d'en adoucir et d'en légaliser les rigueurs, il est aisé de reconnaître un résultat de ces rebellions à peine éteintes. Le délai de trente jours, la présence du magistrat; la caution, le poids des chaînes qui est limité, la nourriture qui est ordonnée, sont pour les débiteurs autant de concessions ou de garanties. Nous savons encore que le créancier devait garder soixante jours son débiteur enchaîné, dans cet intervalle le conduire trois jours de marché au Comitium, et proclamer la somme pour laquelle il le retenait. Ce n'est qu'après ces formalités, lorsque personne n'avait payé la dette, qu'il pouvait en faire son esclave, ou le vendre à des étrangers. Mais que penser de cette loi qui ne nous est parvenue que mutilée, et dans laquelle nous pouvons lire encore le droit accordé aux créanciers, s'ils sont plusieurs, de se partager les lambeaux de leur débiteur? Quelques personnes ont voulu n'y voir qu'une métaphore, et elles l'appliquent non à la personne, mais seulement à la fortune. Cependant les Romains eux-mêmes, comme l'attestent leurs écrivains, prenaient les termes de la loi dans leur sens naturel. Disons pour la justifier qu'elle n'était qu'un moyen d'effrayer le débiteur, sa famille, ses amis, et que jamais elle n'a été mise à exécution. On croit que dans cette table se trouvaient aussi quelques règles sur l'intérêt de l'argent (foenus). Un taux légal était fixé, et celui qui le dépasserait devait être puni par la restitution du quadruple. Quel était ce taux? Tacite (Ann. 6. 16.) l'indique sous le nom de unciarium foenus ; mais ces expressions sont traduites si diversement par les auteurs, que les uns entendent par là un pour cent par an, les autres douze pour cent (1).
(1) M. Nieburh adopte cett dernière opinion; mais par quelques considérations sur l'année romaine, il trouve que cet intérêt revient à celui de 9 à 10 pour cent de nos jours.
TABULA QUARTA.
Si pater ter venumdavit,
filius à patre liber EST(esto).
(Ulpien. Caïus).
QUATRIÈME TABLE.
Si un père a vendu trois fois son
fils, que celui-ci soit libre de la puissance
paternelle.
Les décemvirs transformèrent en lois ce qui sans doute
n'était encore que moeurs. La puissance maritale et la
puissance paternelle furent consacrées. La puissance maritale
(manus) ne pouvait se rencontrer que dans ce mariage
désigné sous le nom de justae nuptiae, pour lequel la
première condition était chez les deux parties la qualité
de citoyen romain. Mais qu'on ne croie pas que cette
puissance provenait du mariage seul; elle n'avait lieu, que
lorsque certains actes avaient accompagné ce mariage.
Il fallait qu'il eût été célébré avec les cérémonies religieuses
de la confarréation, ou que le mari eut acheté solennellement
sa femme du chef de famille à qui elle appartenait.
Hors ces deux cas, le mariage des citoyens ne
donnait pas au mari la puissance maritale; mais celui-ci
pouvait l'acquérir si sa femme passait avec lui une année
sans coucher trois nuits au moins hors de sa maison. Aussi
dit-on que cette puissance maritale s'obtient par la confarréation,
par la coemption et par l'usage (farreo, coemptione,
usu.) La femme ainsi acquise au mari (in manu conventa)
n'était plus dans la famille du chef à qui elle avait
appartenu ; mais elle passait dans celle de son mari. La puissance paternelle n'était donnée que sur les enfants
issus du mariage des citoyens; mais on pouvait l'acquérir
encore: par l'adoption, en achetant celui qu'on
voulait adopter du chef à qui il appartenait (1) ; ou par
l'adrogation en obtenant l'assentiment du peuple assemblé
par centuries, si celui qu'on voulait adopter était lui-même
chef. Cette puissance paternelle resta à cette époque
ce qu'elle avait été jusques-là; les décemvirs conservèrent
au père le droit de tuer son enfant s'il était difforme; celui
de lui infliger les peines qu'il croirait convenables,
même celle de mort, en le jugeant dans une assemblée
composée, d'amis et de parents; celui de le vendre, et
c'est ici qu'il faut appliquer le fragment qui nous reste :
le fils vendu par son père n'était point libéré de la puissance
paternelle; si l'acheteur l'affranchissait, il retombait
sous cette puissance, et ce n'était qu'après trois ventes
que tous les droits du père étaient épuisés; mais ceci ne
s'appliquait qu'aux enfants mâles et au premier degré.
TABULA QUINTA.
Uti legassit super pecunia tutelave
suaerei, ita jus esto. (Ulpien).
Si intestato moritur, cui suus
heres nec... (sit) adgnatus proximus
familiam habeto. (Ulpien. )
Si (ad)gnatus NESCIT (nec sit)
gentiles familiam HERES HANC
(heredes habento). (Ulp.)
Si furiosus esse incipit...(Cic.)
CINQUIÈME TABLE.
Que la disposition testamentaire
du chef de famille sur ses biens ou
sur la tutelle des siens fasse loi.
Si quelqu' un meurt intestat, sans
héritier sien, que le plus proche
agnat prenne la succession.
A défaut d'agnats que les gentils soient héritiers.
Si quelqu'un tombe en démence..
(1) Cependant il n'est pas certain que l'adoption se fît par l'achat du fils de famille; peut-être la cession faite devant le magistrat ( in jure cessio ) suffisait-elle.
Le lien seul de la parenté naturelle n'est rien chez les
Romains; il est remplacé par un lien civil auquel sont
attachés tous les droits que les autres peuples donnent à
la parenté. Ce lien, c'est la qualité de membre de la même
famille. Le chef, tous ceux qui réunis sous la puissance
paternelle ou maritale forment une même famille, voilà
les seuls parents civils; par rapport au chef, les membres
sont sui, siens, ils lui appartiennent; entre eux ils sont
agnati, agnats. Que le chef meure, la grande famille se
décompose en plusieurs petites commandées par chaque
fils qui devient indépendant; mais le lien d'agnation n'est
pas rompu, il continue d'exister entre ces diverses familles,
et même de lier les nouveaux membres qui naissent.
On dirait que le chef primitif, celui à qui ils ont obéi
jadis, eux ou leurs ascendants, les réunit encore sous son
autorité. Ces membres succèdent seuls au père à qui ils
appartiennent, ils se nomment ses héritiers siens, heredes
sui ; seuls ils se succèdent entre eux comme agnats. L'étranger
introduit dans la famille par adoption, l'épouse par
la confarréation, la coemption ou l'usage, y prennent
tous les privilèges de l'agnation. Mais aucun droit n'est
donné au fils ou à la fille renvoyés de la famille par le
chef, aucun droit à leurs descendants, aucun droit aux
parents quelconques du côté des femmes, parce qu'ils
n'entrent pas dans la famille de leur mère, aucun droit
enfin ni à la mère envers ses enfants, ni aux enfants envers leur mère, à moins que celle-ci n'ait été liée à la famille
par la puissance maritale.
Outre le lien d'agnation, il existait encore un autre
rapport civil, la gentilité : matière obscure dont nous dirons
quelques mots, mais plus tard.
Le fragment incomplet placé à la fin de cette table est
relatif à la curatelle des furieux. Il est tiré de Cicéron , et
on le complète ainsi par un autre passage du même auteur
: Si furiosus esse incipit agnatorum, gentiliumque in
eo pecuniaque ejus potestas esto.
TABULA SEXTA,
Quum nexum faciet mancipiumque,
uti lingua nuncupassit,
ita jus esto. (Festus.)
Usus auctoritas fundi biennium.......casterarum rerum
(annuus). (Cicer.)
Adversus hostem aeterna auctoritas.
(Cicer.)
Tignum junctum aedibus vineaeque
ET CONCARETne solvito.
(Festus.)
SIXIÈME TABLE.
Lorsque quelqu'un aura formé
les contrats de nexum et mancipium que les paroles qu'il aura
prononcées fassent loi.
Que la propriété s'aquière par
l'usage de deux ans pour les fonds,
d'un an pour les autres objets.
Que le droit de propriété romaine
soit éternellement imprescriptible
par un étranger.
Que les bois employés dans les
édifices ou liés aux vignes ne soient
point arrachés.
Les Romains avaient mis à côté du mariage naturel
un mariage des citoyens , justoe nuptioe; à côté de la parenté
naturelle, une parenté de citoyen, agnatio. Ils placèrent
encore à côté de la propriété ordinaire une propriété
de citoyen , dominium ex jure quiritium ; à côté de la vente naturell, une vente propre aux citoyens, mancipium
; enfin, à côté des engagements ordinaires, un
engagement de citoyen, nexus , stipulatio. Ainsi cette qualité
de citoyen imprimait à leur mariage, à leur parenté, à
leur propriété, à leurs ventes, à leurs engagements, partout,
un caractère singulier de force, qui donne la vie
à leurs institutions.
La propriété romaine, rendue plus indélébile par ce
caractère, ne pouvait être détruite et transportée d'un
citoyen à l'autre que par certains évènements limités par
la loi, avec des formes particulières et solennelles; les
étrangers ne pouvaient point l'acquérir.
Pour la vente, l'objet à vendre, le cuivre qui en était
le prix, la balance pour le peser, voilà des choses utiles,
surtout chez un peuple qui ne connaît guère les monnaies
et compte le métal au poids. Chez les Romains,
elles devinrent des formes légales ; on y ajouta le porte balance,
les cinq témoins, les paroles sacramentelles.
Cet acte, mancipium, mancipatio , alienatio per aes et libram,
devint d'un usage fréquent; le père l'employa pour
vendre ses biens, son esclave, son fils ; le mari l'employa
pour acheter la puissance maritale sur sa femme; il s'introduisit
même comme symbole dans les donations et
les testaments. Du reste , ceci n'empêchait pas qu'il y eut
avec les étrangers et même entre citoyens, cette vente
ordinaire commune entre tous les hommes, et qui se fait
par l'accord des parties.
Quant aux engagements, à l'exception de ceux qu'on
permettait à tous les hommes, tels que la vente ordinaire,
le louage, le mandat, ils ne pouvaient résulter
du seul consentement ; il fallait ou qu'une chose eût été
livrée comme dans le prêt, le gage, le dépôt, ou que l'obligation eût été contractée avec des formes rigoureuses
et des paroles sacramentelles , (nuncupatio). Sans
ces paroles , la convention n'était point obligatoire ; avec
ces paroles, elle faisait loi. Est-ce à ces engagements solennels
ou à un contrat particulier que fait allusion le mot
des douze tables, nexus ? On l'ignore : les auteurs discutent
là-dessus. Quoi qu'il en soit, ces contrats prirent le
nom de stipulatio.
TABULA SEPTIMA.
Si injuriam faxit alteri, XXV
aerispoenae sunto. (Aulu-Gell.)
Si membrum rupit, ni cum eo
pacit, talio esto. (Aulu-Gell. Fes.)
Qui se sierit testarier, libripensve
fuerit, ni testimonium fariatur,
improbus intestabilisque
esto. (Aulu-Gell.)
Patronus si clienti fraudem fecerit,
sacer esto. (Servius;)
SEPTIEME TABLE.
Si quelqu'un fait injure à autrui,
que la peine soit de vingt-cinq as.
S'il brise un membre , et ne transige
pas, le talion.
S'il a été témoin dans un acte
ou porte-balance, et qu'il refuse son
attestation, qu'il soit infâme, incapable
de témoigner, et indigne
qu'on témoigne pour lui.
Que le patron qui a fraudé son
client soit dévoué aux dieux.
Quelques dispositions pénales autres que celles dont
nous avons donné les termes, nous sont connues. Le
dernier supplice, décerné contre celui qui par magie donnera
la mort, flétrira les récoltes ou les transportera du
champ de son voisin dans le sien, atteste l'ignorance de
ce temps, tandis qu'on voit une sévérité forte mais juste
dans ces lois qui frappent l'incendiaire, condamné à être
brûlé ; le faux témoin, précipité de la Roche tarpéïenne; le patron, pour avoir trompé son client, dévoué aux
Dieux, le juge prévaricateur et l'homicide, punis de mort ;
enfin le patricide, cousu dans un sac de cuir et jeté à
la mer.
On place dans cette table une loi qui punissait aussi de
mort celui qui aurait diffamé un citoyen par des paroles
ou des libelles. L'existence de cette loi est attestée par
Cicéron dans le quatrième livre sur la République : Nostrae
»contra duodecim tabualae, cum paupercas res capite sanxissent,
in his hanc quoque sanxiendam putaverunt, si quis occentavisset, sive carmen condidisset, quod infamiam faceret flagitiumve alteri. Mais rien n'autorise à prendre ces
dernières expressions pour celles même de la loi. On y
voit plutôt le latin de Cicéron que celui des douze tables.
TABULA OCTAVA. HUITIÈME TABLE.
Aucun fragment ne reste sur cette table. Godefroy y
place quelques dispositions relatives aux biens fonds,
mais il est obligé d'en composer lui-même les termes.
TABULA NONA.Privilegia ne inroganto.
De capite civis, nisi per maximum
comitiatum ne ferunto.
(Cicer.)
NEUVIÈME TABLE.
Qu'on ne propose point de lois
contre des particuliers.
Que les grands comices décident
seuls de la tête d'un citoyen.
On ne peut donner précisément ces deux lois pour les
termes réels des douze tables; on les a prises dans Cicéron
en mettant les verbes à l'impératif.
TABULA DECIMA.
Hominem mortuum in urbe
ne sepelito neve urito. (Cicer.)
Hoc plus ne facito. Rogum ascia
ne polito. (Id.)
Mulieres genas ne radunto,
neve lessum funeris ergo habento.
(Id.)
Homini mortuo ne ossa legito,
quo post funus faciat. (Id..)
Qui coronam parit ipse, pecuniave
ejus, virtutis ergo duitor ei.
(Plinius.)
Neve aurum addito. (Cicer.)
Quoi auro dentes vincti escunt,
astim cum illo sepelire urereve se
fraude esto. (Id.)
DIXIÈME TABLE.
N'inhumez et ne brûlez dans la
ville aucun mort.
Ne faites rien de plus que ceci ; ne
façonnez point le bois du bûcher.
Que les femmes ne se déchirent
point le visage, et ne poussent point
des cris immodérés.
Ne recueillez point les ossements
d'un mort pour faire ensuite de secondes
funérailles.
Que celui qui a gagné une couronne
par lui-même, ou par ses
esclaves et ses chevaux, puisse porter
après sa mort ce prix de la valeur.
N'ajoutez point de l'or avec le
cadavre.
Si les dents sont attachées avec
de l'or, qu'il soit permis de brûter
ou d'ensevelir cet or avec le cadavre.
TABULA UNDECIMA. ONZIÈME TABLE.
TABULA DUODECIMA.
Si vindiciam falsam tulit... (rei).
SI VELITIS... TOR. (sivelitis)... arbitros
tres dato ; eorum arbitrio
fructus duplione damnum decidito.
(Festus.)
DOUZIÈME TABLE.
Si quelqu'un a emporté un objet
qu'il vendique de mauvaise foi,
que l'on nomme trois arbitres de la
contestation , et que sur leur arbitrage
il soit condamné à restituer
le double des fruits.
Les deux dernières tables devaient servir de supplément
aux dix autres. Il s'en faut de beaucoup que Cicéron
en parle avec la même admiration ; voici ce qu'il
en dit dans son Traité sur la République : « Qui (les derniers décemvirs) duabus tabulis iniquarum legum aditis, quibus, etiam quae disjunctis populis tribui solient, connubia , hoec illi ut ne plebei cum patricibus essent inhumanissima lege sanxerunt. Ils ajoutèrent deux tables de lois iniques, dans lesquelles le mariage, qui est permis ordinairement même avec les peuples étrangers, fut interdit par la plus odieuse des dispositions entre les plébéiens et les patriciens. » Cette défense, dont Tite-Live
et Denis d'Halicarnasse parlent comme Cicéron, était
conçue à peu près en ces termes : Patribus cum plebe connubii
jus nec esto. N'est-il pas étonnant, si les deux tables
supplémentaires étaient composées de lois iniques,
qu'elles aient été adoptées par le peuple? Il est probable
plutôt que Cicéron leur donne en masse cette épithète,
mais seulement à cause de la loi qui interdisait le mariage.
Ainsi sont réglés par les douze tables les droits privés
de chacun. Il fallait encore indiquer les moyens à prendre
pour la défense de ces droits, car la procédure est la
sanction, le complément indispensable de toute législation.
Les moeurs avaient introduit chez les premiers Romains
des formes simples, mais violentes. Un créancier
voulait-il se faire rendre justice? il prenait de force son
débiteur et l'entraînait devant le juge; un propriétaire
trouvait-il dans les mains d'un autre un objet qu'il prétendait
lui appartenir? il saisissait sa lance pour le reprendre, tandis que son adversaire s'armait de son côté ;
un débiteur insolvable était-il dans l'impossibilité d'acquitter
une obligation reconnue et certaine? le créancier
se payait sur sa personne et l'emmenait comme son esclave
; quelqu'un voulait-il des sûretés de celui qui lui devait?
il s'emparait d'autorité de quelque objet lui appartenant
et le gardait comme un gage jusqu'à ce qu'on l'eût
payé.
Voilà des actes de violence par lesquels, chez un peuple
rude et non civilisé, chacun défend ses droits. Ces actes
furent entourés de formes régulières et solennelles ; ce
qu'il y avait de plus violent ne fut conservé que comme
symbole; le magistrat dut presque toujours y intervenir,
et l'on forma ainsi les actions de la loi (legis actiones) que
l'on mit en rapport avec les dispositions des douze tables,
et qui réglèrent la manière d'amener sa partie devant le
magistrat, d'exposer ses prétentions, de demander un juge,
de saisir son débiteur ou ses biens pour gage. Les actes
symboliques qu'il fallait faire étaient accompagnés de paroles
sacramentelles qui, pour la plupart, variaient selon
l'objet ou la cause de la demande, et dans lesquels un seul;
mot de changé annulait la procédure. Ces formes et ces paroles se trouvaient même transporttées dans quelques actes qui n'avaient point de rapport à
des contestations ; mais qui devaient se passer devant le
magistrat, tels que l'affranchissement, l'adoption la cession
en justice, etc. Ces actes prenaient le nom d'actes
légitimes (actus legitimi ).
Enfin l'on avait encore revêtu de solennités indispensables
d'autres contrats dans lesquels la présence du magistrat
n'intervenait jamais, comme le mancipium, le nexus.
Qu'on ne croie pas cependant que tontes ces institutions
ont été imaginées après la confection des douze tables.
Elles existaient bien avant ; mais dans les coutumes.
A cette époque, de même qu'on transforma en lois écrites
les usages relatifs aux intérêts privés de même on régularisa
, en les rendant, obligatoires, les usages relatifs aux
procédures.
Mais ces formes et surtout ces paroles sacramentelles
ne furent point rendues publiques. Celles des legis actiones
n'étaient connues que des patriciens qui les avaient
composées ; le collége des pontifes était chargé d'en conserver
le dépôt, on ne pouvait procéder à ces actions que
dans certains jours nommés fastes ; la connaissance de
ces jours était réservée aux pontifes seuls chargés de faire
au calendrier les intercallations nécessaires. C'est ainsi
que chaque particulier dépendait encore pour ses affaires,
des pontifes et des grands à qui il devait recourir nécessairement.
Joignez à cela que les lois des douze tables laconiques
et obscures avaient besoin d'être expliquées et
étendues par l'interprétation aux divers cas qu'elles n'avaient
point compris ; que les patriciens seuls étaient versés
dans leur étude, que seuls ils occupaient les magistratures éminentes auxquelles appartenait le droit d'instruire
les affaires, et de toutes ces observations il sera facile de
conclure que, même après la promulgation des douze tables,
les patriciens, pour tout ce qui concernait les droits
civils, conservèrent une influence bien grande.
Comment les consuls remplissaient-ils à cette époque
les fonctions judiciaires qui leur étaient confiées? Nous
voyons plus tard que le magistrat chargé de présider à la
justice, ne prononçait pas lui-même dans les affaires qu'on
portait devant lui. Les parties exposaient leur cause à son
tribunal en observant rigoureusement les actions qui devaient
régler cet exposé; le magistrat voyait qu'elles étaient
leurs prétentions respectives, quelles étaient les lois qu'on
devait appliquer, et alors il renvoyait les plaideurs devant
un juge qu'il nommait parmi les citoyens et auquel
il donnait une formule adaptée à la cause dont voici le
sens généralisé : «s'il est prouvé que tel fait soit vrai, prononcez
telle condamnation contre un tel. » Le juge n'avait
donc qu'à examiner les faits et à prononcer le jugement
que lui avait indiqué le magistrat et que ce dernier devait
ensuite faire exécuter. Aussi disait-on que le magistrat
avait la préparation de l'affaire avec l'indication du droit,
(Jurisdictio), ainsi que l'exécution, (imperium). Tandis que
le juge n'était chargé que de l'examen des faits et du
prononcé du jugement, (judicium).
Ce mode de juger les procès était-il déjà introduit lors
de la publication des douze tables? Des auteurs également
recommandables sont divisés sur ce point. Les uns
le placent même sous les rois ; d'autres, plusieurs années
après les douze tables. Il me semble que la nature même
de cet usage pourrait nous en indiquer l'origine. A l'éppoque où les rois et ensuite les consuls
étaient seuls
chargés de rendre la justice, est-il probable qu'ils pussent
seuls vider toutes les contestations en même temps qu'ils
s'occupaient des affaires publiques ? N 'est-il pas naturel
que, pour conserver leur puissance judiciaire, ils aient
gardé ce qu'il y avait de plus précieux dans cette puissance, le droit de régler la condamnation et de faire exécuter
le jugement, abandonnant à des personnes qu'ils
désignaient, l'examen des faits, c'est-à-dire la partie la
moins importante et la plus minutieuse des fonctions du
juge? Pour moi, je crois volontiers qu'il en est ainsi,
surtout si je songe que l'action de la loi nommée Judicis
postulatio, demande d'un juge, existait sous les
douze tables, et que cette action ne pouvait guère avoir
d'autre but si ce n'est celui que nous lui connaissons,
c'est-à-dire de demander au magistrat un juge chargé
d'examiner les faits.
Ici peuvent s'arrêter nos réflexions sur le temps qui
s'est écoulé depuis l'expulsion des rois. Dans ce court intervalle
d'années, le droit public et le droit civil ont pris
un nouvel aspect. Les patriciens et les plébéiens vivent
dans l'état en présence les uns des autres. Les premiers ont
leurs magistrats : les consuls et les questeurs ; les seconds
ont les leurs : les tribuns et les édiles. Toute l'influence
que donnent la noblesse des ayeux , les fonctions du sacerdoce, le commandement des armées, l'éclat des victoires,
la connaissance de la politique et des lois, est du
côté des patriciens; du côté des plébéiens le nombre,
la force, l'impatience, les séditions. Mais un danger menace-t-il l'état ? des ennemis pressent-ils Rome ? les troubles
cessent, un dictateur s'élève et le gouvernement énergique d'un seul sauve la république qui, lorsque le
péril est passé, reprend ses magistrats, ses rivalités et
ses agitations.
Le droit civil est écrit, et les douze tables exposées sur
la place publique ont appris à chacun ses droits et ses
devoirs. Les actions de la loi tracent la marche qu'il faut
suivre pour réclamer devant la justice. La connaissance de
ces actions, aussi nécessaire que celle des lois, est cachée.
La plupart des patriciens possèdent seuls ce mystère
légal, et le plébéien est contraint de recourir à son
patron, aux pontifes ou à quelque patricien versé dans cette
science.
Tel est le point où Rome est parvenue. C'est ainsi que
toujours dans un peuple qui croît, les distinctions s'établissent, les rivalités naissent, les ressorts politiques se
compliquent, le droit civil se fixe, et la procédure se régularise.
§. 2. Jusqu'à la soumission de toute l'Italie.
En politique faites une concession à une caste, il faudra
bientôt en faire une seconde ; chaque avantage obtenu
par un parti augmente sa force et conduit à un autre
avantage. Les patriciens revêtus d'abord de tous les pouvoirs
en ont, cédé quelques-uns , ils seront obligés de les
céder tous. Dans l'espace d'années que nous allons parcourir,
nous verrons chaque jour s'effacer l'éclat de cette
noblesse et tomber sa suprématie.
La loi Valeria Horatia de plebisoitis , le plébiscite Canuleium
de connubio patrum et plebis, la création des tribuns militaires et celle des censeurs sont autant de
changements dus aux dissensions perpétuelles des deux
ordres.
(An 305.)
LOI HORTENSIA DE Elle fut rendue sous les consuls Valérius et Horatius , immédiatement après l'expulsion des décemvirs. Cette loi reconnaissant le pouvoir législatif à l'assemblée des plébéiens, déclara les plébiscites obligatoires pour tous. Il paraît cependant qu'elle ne fut pas toujours, observée, et que des contestations s'élevaient encore à ce sujet, car on voit plusieurs années après deux nouvelles décisions sur la même matière.
( An 309. ) LOI CANULEIA DE CONNUBIOPATRUMET PLÉBIS.
Ce plébiscite proposé par le tribun Canuleius abrogea la
disposition des douze tables qui défendait le mariage des
patriciens avec les plébéiens ; il ne tarda pas à recevoir
son exécution , et l'introduction des familles plébéiennes
dans les familles patriciennes fut une des causes qui contribuèrent
le plus à effacer la différence qui existait entre
les deux castes (1).
(1) Florus semble rattacher à ce plébiscite la troisième sédition des
plébéiens et leur retraite sur le mont Janicule. Après avoir parlé de
la première sur le Mont-Sacré, de la seconde sur le Mont-Aventin,
il ajoute : « Tertiam seditionem excitavit matrimoniorum dignitas, ut
»plebei cum patriciis jungerentur : qui tumultus in Monte Janiculo, duce Canuleio tribuno plebis exarsit. L'orgueil des alliances, l'ambition de s'unir aux patriciens poussa les plébéiens à la troisième sédition. C'est sur le Mont-Janicule que le tribun Canuleius fît éclater l'incendie.» (Flor. liv. 1.§. 25.)
Bien que la prohibition des mariages entre patriciens et plébéiens
ait amené des troubles et des dissensions, il ne faut pas cependantattribuer à cette cause cette retraite des plébéiens. Les auteurs qui
parlent de la loi Canuleia (tels que Cicéron, De Rep. liv. 2. §. 37) n'en
parlent point avec ces circonstances, et Pline présente la sédition
comme ayant eu lieu plus tard, en 465.
Q. Hortensius dictator, cum,
plebs secessisset in Janiculum, legem in Esculeto tulit, ut quod ea jussisset, omnes quirites teneret. A l'époque où les plébéiens s'étaient
retirés sur le Janicule, le dictateur Q. Hortensius présenta une loi
qui rendît les plébiscites obligatoires pour tous les citoyens. » (Plin.
Nat. hist. liv. 16. §. 10.)
TRIBUNS MILITAIRES. Il manquait aux plébéiens un des droits publics les plus importans : la capacité d'aspirer aux dignités de la république. Ils demandèrent l'accès au consulat. Ce n'est point sans résistance qu'ils l'obtinrent, mais déjà eux et leurs tribuns étaient redoutables ; on craignait leurs séditions, on céda. Ici qu'on remarque une politique adroite des sénateurs ; puisqu'il faut partager la puissance consulaire ; ils cherchent à l'affaiblir ; au lieu de deux magistrats, ils veulent qu'on en choisisse trois ; au lieu de leur laisser le nom de consuls, ils les nomment tribuns militaires ; il semble que le consulat n'est point sorti des rangs patriciens ; plutôt que de l'abandonner, on l'a éteint, ou pour mieux dire on l'a assoupi; mais on saura bientôt le faire revivre. D'abord l'avantage qu'ils venaient d'obtenir ne fut pour les plébéiens qu'un avantage de droit: ils étaient admissibles au tribunat militaire, ils n'y furent point admis. Faut-il s'en étonner ? Je m'étonnerais du contraire. L'élection appartenait aux comices par centuries, et nous savons comment ils étaient composés; aussi n'est-ce que près de 40 ans après la création des tribuns, lorsque leur nombre eut été porté jusqu'à six, que l'on commença à compter quelques plébéiens parmi eux. La puissance des premiers tribuns militaires ne fût pas de longue durée; elle exista quelques mois, et ils cédèrent le gouvernement aux consuls qui, plusieurs années après, furent remplacés à leur tour par des tribuns et ainsi successivement. C'est une chose curieuse que de voir, pendant plus de 40 ans, suivant les oscillations des deux partis, paraître et disparaître le consulat, le tribunat militaire, et au-dessus s'élever quelquefois la dictature et cependant Rome étend ses succès, fait chaque jour un pas dans le Latium, s'avance vers la conquête de l'Italie. C'est qu'alors les vertus républicaines étaient au milieu des citoyens, le dévouement à la patrie n'était qu'un sentiment naturel , les armées ne connaissaient que Rome et son triomphe, un ennemi qui marchait vers la cité suspendait toutes les divisions et ne trouvait que des Romains. ( An 311. ) CENSEURS.Les consuls avaient présidé tous les cinq ans au dénombrement des citoyens, rédigé les tables du cens, fixé chacun dans sa classe, dans sa tribu, dans sa curie, inscrit au rang des chevaliers, des sénateurs ; c'est ainsi qu'ils avaient ouvert ou fermé à volonté l'entrée de l'ordre équestre et du sénat. Confiera-t-on ce pouvoir aux tribuns militaires ? à des magistrats qui peuvent- être plébéiens? Ne vaut-il pas mieux le détacher, en faire une puissance à part et se la réserver? Tel est sans doute le calcul politique qui donna naissance à une nouvelle dignité, la censure. Les censeurs étaient au nombre de deux ; ils ne pouvaient être pris que parmi les membres du sénat; ils étaient élus par les comices des centuries ; le même sénateur ne pouvait occuper deux fois cette magistrature dont la durée primitive fut de cinq ans, espace compris d'un recensement à l'autre. Plus tard cette durée fut réduite à un an et demi, et le restant du lustre s'écoulait sans que Rome eût de censeurs. On comprend de quelle influence était le droit qu'avaient les censeurs de classer les citoyens à leur rang ; il n'est cependant point inutile de faire sentir cette influence pour la composition des diverses tribus. On ne compta jamais que quatre tribus urbaines, et le nombre des tribus rustiques fut porté jusqu'à trente-un et même davantage : dans les premières les censeurs inscrivaient tous les.gens qui, ne possédant aucune propriété rurale, étaient rejetés dans la ville ; les affranchis, les artisans, les prolétaires les composaient en grande partie. Quant aux propriétaires, les censeurs les classaient avec les agriculteurs dans les tribus de la campagne où ils possédaient leurs biens ; c'est ainsi que la classe la plus turbulente et la plus dangereuse était réduite, même dans les assemblées plébéiennes, à quatre voix sur trente-cinq (1). Souvent cette classe a cherché à se faire distribuer dans les tribus de la campagne ; quelquefois elle y est parvenue, et les discussions alors s'en sont ressenties. Mais la plus belle attribution des censeurs n'est point celle dont nous venons de parler; toute la puissance morale qui peut exister dans un état leur fut remise : gardiens des moeurs publiques: et des moeurs privées, ils pouvaient flétrir de leurs notes infamantes le plébéien, le sénateur, le consul, le peuple lui-même.
(1) Cependant au moment où nous sommes arrivés, an 311 , le nombre des tribus ne s'élevait pas encore à trente-cinq.
Ils atteignaient le luxe du riche, les moeurs du libertin , la mauvaise foi du parjure, la négligence du soldat, la faiblesse du magistrat, qui dans un danger désespérait de la république. On a vu des censeurs noter des tribus entières, puissance immatérielle qui devait toute sa force à l'opinion publique et au civisme de chaque Romain! Au milieu des discussions politiques des comices, les armées romaines ne dormaient pas, témoins les Eques et les Volsques vaincus dans plusieurs combats, Fidenne livrée aux flammes, Falérie soumise aux Romains, Veies prise après un siége de dix années. Les soldats avaient juré de ne rentrer à Rome qu'après avoir pris la ville, et les Romains tenaient leur serment. C'est dans ces guerres que pour la première fois on paya un salaire aux légions, innovation funeste qui donnera au lieu de soldats citoyens des soldats mercenaires (1). (An 364. ) Aux triomphes succédèrent tout-à-coup des revers terribles : des barbares d'une stature gigantesque, couverts d'armes pesantes, venus d'au-delà les Alpes, se débordent sur l'Italie; ce sont les Gaulois Sénonais: l'armée romaine est vaincue, Rome envahie, les vieillards et les sénateurs massacrés sur leurs chaises curules, les édifices embrasés, tout n'est qu'un amas de cendres et de débris.
(1) La paie fut pour la première fois accordée aux fantassins l'an de Rome 547 ; ce n'est que trois ans après qu'on la donna aussi à la cavalerie, composée, comme nous le savons, de citoyens plus riches. (V. T. L. liv. iv. 59 et liv. v. 7.) Cette mesure fut sans doute indispensable du moment où la durée, des guerres se prolongea; mais elle ne tarda pas, en ouvrant l'entrée des armées aux affranchis, à transformer le service militaire en un état. On créa à cette époque une capitation, ou impôt par tête, destinée à faire les fonds pour la solde. Les prolétaires y furent soumis : de là leur vient peut-être la dénomination de capite censi, imposés pour leur tête.
Mais la cité n'est point dans les murs et les maisons ; elle est au Capitole avec les Romains; et bientôt précipités par Manlius du haut des rochers, taillés en pièces par Camille, les Gaulois expièrent cruellement leurs triomphes de quelques mois. Rome sortit de ses ruines pour ressaisir la suprématie qu'elle avait déjà dans le Latium. Vingt ans environ après cette époque ( an 387 ), le deuxième ordre acheva ce qu'il avait commencé ; il se fit enfin déclarer admissible au consulat, et dès lors le tribunat militaire s'évanouit pour toujours. Deux soeurs avaient épousé l'une un patricien , l'autre un plébéien; celle-ci entend un jour dans la maison de sa soeur le bruit des faisceaux inconnus dans la sienne; elle en est effrayée, et les railleries qu'elle essuie de l'épouse du patricien humilient son orgueil. Son époux partage cette humiliation; il parvient au tribunat, et se venge en ouvrant aux plébéiens l'entrée des magistratures (Florus, liv. I. §. 26.). Ainsi fut amené un événement qui se préparait depuis long-temps et devait avoir lieu tôt ou tard. La même politique qui lors de l'établissement des tribuns militaires avait porté les patriciens à créer les censeurs, les porta de nouveau, en admettant un plébéien parmi les consuls, à détacher du consulat deux magistratures nouvelles. De là les préteurs et les édiles curules (An 387.).
LES PRÉTEURS(1). Il n'y eut d'abord qu'un seul préteur; il était nommé par les centuries et devait être patricien. On remit en ses mains l'autorité judiciaire qu'on enleva aux consuls.
(1) Le mot de praetor vient de prae-ire. Il paraît que cette dénomination
était donnée par quelques peuples du Latium aux magistrats
qui étaient à la tête de l'Etat, et que les Romains l'empruntèrent à
ces peuples.
La préture devint la seconde dignité de la république. Le magistrat qui en était revêtu marchait précédé des licteurs ; il était le collégue des consuls , quelquefois même les écrivains lui en donnent le titre. En leur absence, et tandis qu'ils conduisaient les armées, il les suppléait à Rome. Alors c'est lui qui convoquait le sénat et le présidait, qui assemblait les comices et présentait les projets de lois. Nous verrons sa puissance se développer et une partie du pouvoir législatif s'arrêter sur lui.
LES EDILES CURULES. Il existait déjà deux magistrats
plébéiens nommés Ediles et chargés sous l'inspection des
tribuns des détails de la police. A cette époque, deux
magistrats patriciens furent créés, portant le même nom,
ayant des fonctions analogues, quoique supérieures ; on
les nomma Ediles majeurs, Ediles curules, et les autres
prirent le nom d'Ediles plébéiens. Ces derniers se virent
réduits à des fonctions subalternes. Surveiller les marchés,
le prix et la qualité des denrées, la justesse des
poids et des balances, la liberté et la propreté des
rues ; mais toute la haute police fut confiée aux édiles
curules. A eux appartenait le soin de veiller à l'entretien
des routes et des ponts ; à la conservation des temples et
des amphithéâtres ; à l'approvisionnement de la ville , à
la tranquillité et à la sûreté publiques. Ils avaient pour les
affaires relatives à ces objets un tribunal et une jurisdiction.
Ce qui devint le privilége le plus recherché et la
partie essentielle de leur magistrature, c'est la direction
des jeux publics. Déjà paraissaient dans les cirques ces pugilats, ces luttes, ces courses de chevaux; ou de chars
empruntés aux jeux olympiques de la Grèce ; dans les amphithéâtres,
ces combats de gladiateurs ou de bêtes féroces,
spectacle sanguinaire et national ; plus tard s'élevèrent
quelques théâtres et les représentations de la scène.
Ces jeux servaient à célébrer les fêtes publiques, les fêtes
privées, surtout les funérailles des grands; chaque citoyen
avait la liberté d'en offrir au peuple, mais ils étaient
toujours sous la surveillance des édiles. Ceux-ci devaient
eux-mêmes en donner à leurs frais une fois au moins
durant leur administration. Ils se gardèrent bien de
manquer à cette obligation, mais ils n'y perdirent rien.
Donner des spectacles à la foule devint bientôt un moyen
de gagner des suffrages.
RÉCUPÉRATEURS.Un seul prêteur ne pouvait pas rendre
la justice à toute la république, aussi devait-il nécessairement
être assisté par des juges inférieurs. Ici se range
la division de tout procès en deux parts; 1.° préparation
de l'affaire et solution du point de droit (jurisdictio) ;
2.° examen des faits et prononcé du jugement (judicium).
Déjà nous avons parlé de cette division page 55. Le préteur
avait conservé les premières fonctions. Il abandonnait
les autres à des juges qu'il désignait. Ces juges portent
divers noms dans les écrivains anciens ; tantôt simplement
judices, juges, ou judices pedanei, juges inférieurs;
tantôt arbitres, arbitres, et le plus souvent recuperatores,
récupérateurs. Cependant le titre d'arbitre doit être réservé
plus spécialement aux citoyens que le préteur chargeait
dans certaines actions , d'examiner les faits et de
prononcer librement la condamnation qu'ils jugeraient
convenable d'après la justice et l'équité (ex aequo et bono, in quantum aequius melius). Ils différaient en cela des autres
juges auxquels le préteur dictait d'avance la sentence
qu'ils devraient prononcer après avoir vérifié les faits. La
manière dont les récupérateurs étaient choisis et organisés
n'est pas absolument certaine. Il paraît cependant
que c'est le préteur lui-même qui, en entrant en charge,
prenait parmi les citoyens tous ceux qu'il destinait, pendant
l'année de sa magistrature, à remplir ces fonctions ;
c'était là une charge publique que chacun devait porter
à son tour (1). Dans chaque cause le magistrat indiquait
le nombre de récupérateurs qu'il jugeait nécessaire et ils
étaient tirés au sort par les parties sur la liste de l'année.
Nous verrons plus tard paraître dans l'ordre judiciaire
d'autres magistrats dont les attributions sont peu déterminées,
mais dont l'existence est certaine. Bien différents
des récupérateurs, ils devaient aider le préteur dans ses
fonctions, juger la question de droit et donner aux juges
du fait la formule du jugement. Ces magistrats n'étaient
point comme les récupérateurs pris pour une année seulement
parmi tous les citoyens ; ils n'étaient fournis que
par le sénat; ils occupaient de véritables charges judiciaires.
(1) Nous avons imité cette institution dans celle du jury; mais les Romains l'employaient pour les affaires civiles et criminelles, nous l'employons pour les affaires criminelles seulement ; chez les Romains le préteur donnait avant la vérification des faits la solution du point de droit et la sentence qu'il faudrait prononcer ; chez nous la cour n'applique la loi qu'après la décision des jurés, on fait même un devoir à ceux-ci de, ne s'occuper en rien dans leurs délibérations de la peine qui peut attendre le coupable; enfin chez les Romains les récupérateurs prononçaient eux-mêmes le jugement qui leur avait été indiqué; chez nous, c'est la cour et jamais le jury.
Existaient-ils déjà à l'époque où nous sommes
parvenus ? Rien n'est plus incertain. Cependant je le croirais
volontiers. Comment penser en effet que la solution
de toutes les questions de droit, dégagées même des faits,
puisse être donnée par un seul homme, le préteur?
(An 4.16). Les Gaulois sont refoulés par de là le Pô,
tout le Latium a subi; le joug, et Rome commence à combattre
pour le reste de l'Italie. Les plébéiens déjà admis
au consulat parviennent à la censure; ces deux charges
leur ouvrent l'entrée du sénat et, peu de temps après,
celle de la préture ; enfin la loi Pétillia Papiria de nexis et
la publication des fastes par Flavius sont pour eux de nouveaux
avantages.
(An 428. )LOI PETILLIA PAPIRIA DE NEXIS. Cette loi apportée
par une rumeur populaire et par un soulèvement
spontané contre la barbarie luxurieuse d'un créancier,
modifia la disposition des douze tables qui permettait
d'emmener son débiteur et de le charger de chaînes. Il
fut toujours permis de le retenir, mais sans aucun lien ;
cependant un passage de Tite-Live, mal interprété, pourrait
faire croire que les créanciers furent réduits à exercer
leur action sur les biens , jamais sur la personne du débiteur.
(V. T.-Liv. H. R. liv. 8. §. 28).
( An 450 ).PUBLICATION DES FASTES ET DES ACTIONS.
Caius-Flavius , fils d'un affranchi, secrétaire d'un jurisconsulte
renommé, d'Appius Claudius Caecus, publia
le premier la série des jours fastes et les mystères
des actions. Son livre prit le nom de droit Fiavien (jus
Flavianum), et dépouilla les pontifes ainsi que les jurisconsultes
patriciens d'une partie de leur influence dans les
affaires. Cet événement, du reste, ne nous est pas bien connu ; déjà, du temps de Cicéron, il donnait matière à
controverse. Quelle analogie et quelle différence précise
existait-il entre les fastes et les actions? Flavius était-il
édile-curule et profita-t-il de cette magistrature pour divulguer
les secrets auxquels il avait été initié ? ou bien
surprit-il à son maître ces mystères, et le peuple reconnaissant
parvint-il à le nommer tribun, sénateur , édile curule (
1)? C'est ce qu'on ne saurait affirmer. Quoiqu'il
en soit, comptons les pas que les plébéiens viennent de
faire dans l'ordre politique : ils sont immenses. Le consulat,
la préture, la censure, l'édilité majeure, le sénat,
ils partagent tout avec le premier ordre ; la publication
des fastes et des actions leur permet de cultiver l'étude
des lois et de rivaliser de talents avec les patriciens. Que
leur manque-t-il encore? les dignités sacerdotales. Trois
années après (an 453), ils les envahissent aussi. Le
nombre des pontifes est porté jusqu'à huit, celui des
augures à neuf; quatre plébéiens sont admis dans le premier
collége, et cinq dans le second.
(An 468.)LOI HORTENSIA DE PLEBISCITIS. Déjà deux
lois avaient été rendues relatives à l'autorité des plébiscites
(2) ; en voici une troisième.
(1) Pomponius le raconte ainsi dans son histoire du droit. (Dig. liv. 1. tit. 2. § 7.)
(2) La première, la loi Horatia dont nous avons déjà parlé (an 305 ); la seconde , la loi Publilia(an 416 ). Les historiens romains ne sont pas bien d'accord sur l'existence de ces trois lois et sur leurs dates respectives ; les auteurs modernes ont discuté pour éclaircir ce point qui est resté aussi douteux. Ce qu'il y a de certain, c'est que depuis la loi Hortensia les plébiscites furent toujours, reconnus comme des lois.
Quelques mots de Pline, déjà cités, nous apprennent que les plébéiens, pour la troisième fois, s'étaient retirés de Rome ; ils étaient campés sur le Janicule, quand le dictateur Hortensius fit accepter la loi qui porte son nom et confirme la force obligatoire des décisions des plébéiens. Cette force ne leur fut plus disputée; on peut donc placer ici les plébiscistes au rang des sources du droit, non pas seulement du droit public, mais encore du droit civil. Bientôt même presque toutes les décisions qui existeront sur cette matière seront rendues par les assemblées plébéiennes. Théophile, dans sa paraphrase des instituts, nous dit, textuellement que la loi Hortensia, en même temps qu'elle consacre la force obligatoire des plébiscites, établit aussi celle des sénatus-consultes. Si l'on suivait cette opinion, il faudrait aussi' compter ces sénatus-consultes. comme la troisième source du droit (1).
(1) Le moment où le sénat a reçu le pouvoir législatif n'est pas connu précisément. Tacite dit bien sous le règne de Tibère ; « Tum primum e campo comitia ad patres translata sunt. Alors pour la première fois les comices furent transportés du champ de Mars au sénat. »(Ann. liv. 1. § 35.) Mais il ne dit cela qu'à l'occasion de l'élection aux magistratures, et il ajoute : « Le peuple ne se plaignit de cette usurpation de ses pouvoirs que par de vains murmures, et les sénateurs, dispensés d'acheter ou de mendier les suffrages surent gré à Tibère de la modération qu'il mit à ne recommander que quatre candidats. » (Ibid.) Quant au pouvoir législatif, le sénat l'avait-il déjà, ou le prit-il comme une conséquence du droit d'élection? Déjà il l'avait exercé auparavant, puisqu'on a des sénatus-consultes relatifs au droit civil, et qui datent: de l'empire d'Auguste ; on sait aussi que quelques-uns ont été rendus dans les derniers temps de la république; si l'on rapproche ces observations de cette phrase de Cicéron: « Le droit civil est fixé par les lois, les sénatus-consultes, les jugements, les réponses des prudents, les édits des magistrats, l'usage et l'équité., » (Cic. Top. 5.) on en conclura que même du temps de cet orateur les sénatus-consultes étaient déjà comptés comme une source du droit ; enfin si, remontant plus haut, on croit ce que dit Théophile : «... Cumque his utrique adversarentur et senatus dedignaretur plebiscita recipere, et plebs id aegre ferens, senatus-consultis parere nollet, futurum erat, ut veteres inimicitioe renovarentur, donec idem Hortensius, sedata eorum dissensione, persuasit, ut alteri alterorum jura acciperent, et his obtemperarent. (Theop. P. Inst. liv. t, T. 2. § 5. Traduction de Fabrot). Au milieu de ces prétentions contraires, le sénat dédaignant de recevoir les plébiscités, et les plébéiens irrités refusant d'obéir aux sénatus-consultes, les anciennes dissensions allaient infailliblement renaître, lorsque le même Hortensius les apaisa en persuadant à chaque parti de recevoir les décisions de l'autre, et de s'y conformer, il faudra décider que l'autorité des sénatus-consultes, comme source du droit, date de la loi Hortensia. A ces raisonnements que d'autres viennent corroborer encore, il faut avouer qu'on en oppose aussi de très puissants : le silence des auteurs qui ont parlé de la loi Hortensia comme ayant ratifié les plébiscites, et n'ont rien dit des sénatus-consultes ; le système constitutif de Rome qui ne donnait au sénat que le droit d'administration y et réservait soigneusement au peuple les lois et les élections; enfin le manque de sénatus-consultes considérés comme lois avant Tibère, car ceux qui existent se réduisent à un très-petit nombre, et leur sujet parait se lier à l'administration ; la grande quantité au contraire que l'on en trouve à partir de cette époque. Comment concilier ces raisonnements ? D'un côté, il me paraît difficile de prendre à la lettre l'assertion du seul Théophile, car comment penser que si le sénat avait reçu positivement par une loi le pouvoir législatif il eût tardé si longtemps d'en user, ou du moins qu'aucune de ces lois ne nous fût parvenue ? De l'autre, si je réfléchis que le sénat avait le droit de rendre des décisions pour l'exécution des lois, que bien souvent il n'y a pas loin des ordonnances qui doivent faire exécuter les lois aux ordonnances qui sont des lois elles-mêmes, que bien souvent il n'y a pas loin des décisions administratives aux décisions civiles, et l'on peut en mille exemples dans nos gouvernements modernes, je trouve tout naturel qu'un sénatus-consulte soit sorti quelquefois de ses limites, que le peuple jaloux, mais seulement de ses droits politiques et de ses droits de suffrage, l'ait accepté, s'y soit soumis, que l'usage l'ait validé, et qu'il ait pris place au rang des lois. Ainsi s'explique la phrase de Cicéron et l'existence de quelques sénatus-consultes. Sous Tibère, le sénat, investi du droit d'élection, fut confirmé davantage dans le pouvoir législatif qu'il avait exercé quelquefois, et le peuple cessa d'être convoqué.
Voici l'époque où la puissance de Rome frappe successivement
et avec rapidité les divers peuples de l'Italie. Aux Samnites détruits malgré leur victoire des Fourches
Caudines, succèdent les douze nations étrusques; aux
Etrusques , les Tarentins aidés de Pyrrhus ; à ceux-ci
les Picentins, les Salentins et enfin les Volsiniens. Alors
paraît une pompe vraiment triomphale, les soldats de
la Macédoine et de la Théssalie, l'or, les statues, les tableaux
de Tarente et les éléphants de Pyrrhus, chargés
de leurs tours qui n'avaient su les défendre.
(An 488.) Rome existe depuis quelques siècles ; que
sont devenus les peuples qui, à son berceau, se partageaient
ces contrées? Les Albains, les Sabins , les Veiens
sont confondus dans la nouvelle cité; les Eques, les Volsques,
les Samnites ont résisté , ils n'existent plus; les
Etrusques , les Campaniens , les Tarentins ont subi le
joug de l'alliance, et Rome commande à l'Italie. Son
empire s'agrandira chaque jour ; la simplicité , la pauvreté,
la force républicaine disparaîtront ; la rudesse des
institutions se polira; avant que ce changement s'opère,
examinons encore une fois dans leur ensemble ces institutions
que nous avons vues naître. Diviser les peuples pour les combattre les uns après les
autres; se servir de ceux qui sont soumis pour vaincre
ceux qui ne le sont pas ; ménager ses forces, user celles
des alliés ; sous prétexte de défendre ces alliés, envahir
le territoire de leurs voisins; intervenir dans les querelles
des nations pour protéger le faible et subjuguer ainsi le
faible et le fort; faire une guerre à outrance, et se montrer
plus exigeant dans les revers que dans la victoire ; éluder
par des subterfuges les serments et les traités ; parer toutes
ses injustices du voile de l'équité et de la grandeur : telles
sont les maximes politiques qui ont donné à Rome le
sceptre de l'Italie, et qui lui donneront celui du monde
connu.
Mais c'est plutôt sa position de droit vis-à-vis les autres
nations qu'il nous faut examiner. On peut compter à cette
époque des citoyens (cives), des colons (coloni), des alliés
latins (latini), des alliés jouissant du droit italique (socii
ex jure italico), des étrangers (peregrini), des barbares
(barbarï).
Citoyens. Ce titre qu'on imposait autrefois à tous les vaincus,
on le garde aujourd'hui avec orgueil; à ce titre sont
attachées la jouissance des droits civils et des droits politiques,
la faculté d'élire et d'être élu aux magistratures,
celle de donner son suffrage dans la confection des lois;
des cités entières briguent de l'obtenir ; il n'appartient en
principe qu'à ceux qui sont nés à Rome ou sur le territoire
étroit qui l'environne. Cependant des plébiscites l'accordent
quelquefois à des habitants de l'Italie distingués
par leurs richesses ou leur influence ; les chefs qui gouvernent
les cités alliées par cela seul sont citoyens romains; plusieurs de ces villes elles-mêmes ont déjà obtenu
la jouissance des droits de cité, mais sans droit de
suffrage (civitatem absque suffragio).
Colons. La puissance de Rome s'étend, les colonies
se multiplient; il faut aujourd'hui contenir toute l'Italie ;
on intercalle de distance en distance quelques cités sur
lesquelles on puisse compter. Dans les villes qui ont montré
la résistance la plus opiniâtre un sénatus-consulte ordonne
l'établissement d'une colonie. Des commissaires
nommés triumvirs sont désignés ; ils enrôlent les affranchis,
les prolétaires qui se présentent, les conduisent sur
les lieux , distribuent entre eux et entre les habitants anciens
le territoire de la ville conquise. On forme avec les
principaux de ces colons une espèce de sénat dont les
membres se nomment décurions; la colonie choisit chaque
année deux magistrats , duumvirs, simulacres des
consuls. Tous ces colons s'enorgueillissent du nom de Romains
qu'on leur permet de porter. Cet orgueil répond de
leur fidélité (1). Ils servent de boulevard pour la défense
et de point d'appui pour l'attaque. Ils ont presque tous les
droits civils dans l'ordre privé, aucun dans l'ordre politique.
Leurs magistrats seulement, par cela seul qu'ils sont élus
duumvirs, acquièrent la plénitude des droits de citoyen,
même celui de suffrage.
Alliés Latins. Les divers peuples du Latium attachés à
la fortune romaine par des traités d'alliance, ont quelquefois
secoué le joug de ces traités pour en reprendre
quelque temps après de plus onéreux; mais en 416 la défaite
du Lac Régille les a tous irrévocablement soumis.
(1) D'ailleurs la sévérité de Rome contre les colonies infidèles les contenait assez.
Plus anciens que les autres alliés contre lesquels ils ont combattu avec Rome, plus rapprochés de la métropole, ils se lient, se confondent plus facilement avec les Romains, jouissent d'une situation plus favorable, et obtiennent bien plus aisément les droits de cité pour eux du pour quelques-unes de leurs villes.Alliés jouissant dix droit italique. Les villes de l'Italie, subjuguées les dernières, obéissent aussi à des traités. Ayant rendu moins de services à Rome et surtout pouvant lui en rendre moins que les villes latines, elles reçoivent des conditions plus onéreuses. Cependant voici la base générale de tous les traités accordés soit au Latium soit à l'Italie : chaque ville alliée (municipium) sera libre de droit; gouvernée selon ses lois et ses coutumes ; sous des magistrats choisis par les habitants, dictateurs, préteurs, ou sénateurs peu importe; elle pourra implorer le secours de Rome lorsqu'on l'attaquera ; elle sera obligée de fournir à la première réquisition une quantité déterminée de troupes qui obéiront au général romain ; ses habitants à l'exception des magistrats n'auront à Rome aucun droit de cité, à moins qu'on leur en accorde quelques-uns. Ils pourront invoquer le droit des gens, et leurs engagements avec des Romains seront maintenus lorsqu'ils appartiendront à ce droit. Outre ces conditions, on détruit par une autre clause le corps politique des alliés; on défend aux villes municipales d'avoir entre elles ces assemblées générales qui réunissant leurs divers habitants, pourraient engendrer une ligue redoutable aux Romains ; chaque municipalité est isolée, chaque peuple démembré, Rome est le point central, et tout obéit à l'impulsion partie de là. Etrangers. Le terme générique de peregrini s'applique à tous ceux qui ne jouissent pas à Rome au moins des droits privés de citoyens, et sous ce rapport il peut encore être donné à tous les alliés, tant à ceux du Latium qu'à ceux de l'Italie.Barbares. Cette dénomination est donnée par les Romains à tous les peuples nouveaux qu'ils trouvent à combattre. Pour eux les Marses, les Volsques, les Samnites ont été des barbares, des barbares les soldats de Pyrrhus ; les Gaulois toujours renaissant et toujours redoutables ne perdront jamais ce titre.
Nous comptions trois corps politiques ; le peuple, le sénat et le roi ; nous en compterons trois encore : le peuple, le sénat et les plébéiens. Ainsi, l'autorité royale en tombant a donné naissance à l'autorité plébéienne. L'ordre des chevaliers s'est accru, son influence est plus grande ; mais il n'a point encore ces privilèges et ces fonctions qui lui seront réservés par la suite. Le peuple, comme corps politique, se compose de la réunion de tous les citoyens, quels que soient leur rang et leur fortune. Le sénat est formé des personnes inscrites par les censeurs sur le tableau des sénateurs. Les plébéiens ne sont plus ces hommes exclus de presque tous les droits publics. En masse ils ont leurs assemblées, leurs lois, ils prennent une part activé au gouvernement; en particulier ils sont admis aux principales magistratures civiles, enrôlés parmi les chevaliers, classés au rang des sénateurs. Ces trois corps politiques n'exercent plus tous les pouvoirs par eux-mêmes. Les magistratures se sont multipliées. La royauté d'un seul a été détruite pour faire place au consulat de deux ; le consulat démembré a produit la censure, la préture, l'édilité majeure; à la tête des plébéiens sont les tribuns ; sur un plan inférieur à ces magistrats les questeurs et les édiles plébéiens. Toutes ces dignités sont annuelles à l'exception de la censure. Les unes donnent droit à la chaise curule et aux images (sella curulis, imagines majorum) , les autres ne donnent aucun de ces priviléges, et les magistrats qui en sont revêtus se nomment magistrats pédaires (magistratus pedarii). Le droit de chaise curule est le droit de se faire porter et de siéger sur une chaise honorifique, marque de la dignité qu'on occupe, ou qu'on a occupée (1). Le droit aux images est le droit de léguer son image à sa famille; celle-ci conserve avec orgueil une représentation des membres qui ont rempli les hautes magistratures, et à chaque décès ces membres portés en effigie à la pompé funéraire, attestent l'illustration de la famille(2).
(1)C. Flavius, celui qui a publie les fastes, étant édile, se présenta pour visiter son collègue qui était malade. Une assemblée de jeunes patriciens se trouvait chez ce dernier. Ils se donnent sur le champ le mot pour qu'à l'entrée de l'édile plébéien personne ne se lève devant lui. Le petit complot s'exécute, mais Flavius qui s'en aperçoit ordonne à ses gens d'apporter sa chaise curule, et du haut du siége honorifique il confond de tout l'éclat de sa magistrature ceux qui croyaient l'humilier. (Tite-Live.) Je rapporte cette anecdote parce qu'elle peint et les sentiments qu'avait inspirés aux patriciens l'admission des plébéiens aux grandes magistratures et la considération, attachée aux signes extérieurs de ces dignités.
(2) Ces images n'étaient pas, comme presque tout le monde l'a cru, de simples portraits ; un individu prenait le masque de celui qu'on voulait représenter, ses vêtements d'honneurs, les insignes de sa dignité, et jouait véritablement son rôle comme s'il assistait au convoi. A voir ainsi tous les aïeux en personne, suivant sur leurs chaises curules le char funéraire, ne devait-il pas sembler qu'ils conduisaient en pompe celui que la mort venait de jeter parmi eux? Pouvons-nous être étonnés que les Romains distinguassent si bien les anciennes et les nouvelles maisons, puisqu'à chaque funéraille on réunissait les morts aux vivants, et l'on promenait ainsi la famille entière. Lorsqu'on n'apercevait au milieu de la foule que deux ou trois de ces consulaires défunts, leur petit nombre attestait publiquement la date récente de la maison ; mais lorsque plus de cent aïeux placés à la file les uns des autres formaient un long cortège, on voyait les souvenirs et les dignités de la race se prolonger jusques dans les premiers siècles de Rome.
Pouvoir législatif. Le peuple, le sénat et les plébéiens
l'exercent chacun. Le peuple et le sénat dans les lois, les
plébéiens dans les plébiscites, peut-être aussi le sénat
dans les sénatus-consultes. Ainsi peuvent déjà se compter
trois sources du droit écrit : les lois, les plébiscites et les
sénatus-consultes.
1.° Les lois rendues par les comices des centuries, car
déjà les curies n'existent que fictivement pour quelques
décisions relatives au pouvoir exécutif. Le sénat concourt
à la création des lois, il a l'initiative. Il prépare et discute
dans son sein les projets, convoque les comices ordinairement
au champ de Mars, un magistrat-sénateur propose
la loi, les centuries ne peuvent y faire aucun changement,
chaque citoyen en passant devant le scrutateur déclare
simplement qu'il adopte ou qu'il rejette. Les suffrages
se donnent encore à haute voix. Des auspices défavorables
ou le tonnerre qui gronde dissolvent l'assemblée :
Jove tonante cum populo agere nefas.
2.° Les plébiscites, émanés des conciliabules plébéiens convoqués par tribus au Forum ou au Capitole. L'initiative
est aux tribuns, les voix se donnent hautement comme
dans les centuries, la sanction du sénat n'est plus nécessaire.
3.° Les sénatus-consultes auxquels il n'est pas certain
que la loi Hortensia ait donné force obligatoire ; mais qui
du moins de loin en loin statuent d'une manière générale
et non administrative, et par un consentement tacite sont
exécutés comme lois (1).
A ces sources du droit écrit il faut ajouter quelques
sources du droit coutumier ; l'interprétation et l'autorité
des jurisconsultes (interpretatio) ; les opinions formées au
barreau comme, résultat de la discussion des plaidants et
de la série des jugements (disputatio fori) ; les usages constants
et généralement; observés quoique non écrits. Ces
sources du droit, dit Pomponius, ne portent pas un nom
particulier comme les lois, les plébiscites, les sénatus-consuites;
on ne les désigne que sous le nom générique de
droit civil, nom qui appartient à toutes les lois propres
aux citoyens.
Enfin on aura le tableau complet des parties qui composent
la législation à notre époque si l'on joint ici les actions
de la loi, car bien qu'elles aient été divulguées par Flavius, elles n'en continuent pas moins d'être une branche
essentielle du droit.
(1) Lorsqu'un tribun des plébéiens arrêtait par son veto la décision du sénat, elle ne portait plus le nom de Senatus-consultum , mais celui de Sénatus-auctoritas.
Pouvoir exécutif. Il se partage entre le peuple, le séna
et les plébéiens; quelques magistrats en exercent la part
qu'on leur a confiée.
Le peuple et les plébéiens ne concourent à ce pouvoir
que dans l'élection aux diverses magistratures. Le peuple
assemblé par centuries élève aux dignités de consul, censeur, prêteur, édile majeur; les plébéiens aux dignités inférieures
de questeurs, tribuns, édiles plébéiens et à celle
de grand pontife. C'est ici principalement qu'il faut rattacher
l'existence fictive des curies. L'élection des tribuns
et du grand pontife appartenait primitivement aux curies,
les tribus s'en emparèrent; mais pour légaliser leur
choix on voulut qu'il fût confirmé par une loi, curiate.
Trente licteurs représentent chacun une des trente curies,
les augures accomplissent les solennités, que la religion
exige, et les licteurs adoptent ce que les tribus ont déjà
décidé ; c'est ainsi que dans les formes on respecte les anciens
usages que l'on viole dans le fond.
Le sénat possède à proprement parler toute cette force
executive qui consiste à délibérer et à agir. Il dirige les
consuls, il impose les conditions aux peuples vaincus;
il récompense ou punit les colons et les alliés selon qu'ils
ont bien ou mal mérité de Rome ; il vuide en arbitre les
querelles des nations; l'envoyé de Pyrrhus a déjà dit de
lui : « Le sénat romain m'a paru une assemblée de rois.»
Les magistrats dont les fonctions se rattachent au pouvoir
exécutif sont : les deux consuls qui commandent à
Rome et surtout à l'armée ; les deux censeurs qui font le
recensement, classent les citoyens, et fixent les impôts de
chacun. Les deux édiles majeurs qui surveillent la haute police ; les questeurs qui gardent et administrent le
trésor
public; enfin les tribuns et les édiles plébéiens, quoiqu'ils
ne soient à proprement parler que les magistrats
particuliers d'une caste.
Pouvoir judiciaire. Le peuple, les plébéiens et le préteur
sont les autorités judiciaires. Distinguons les affaires
criminelles des affaires civiles.
Affaires criminelles. Il n'existe pas de magistrat chargé
spécialement de poursuivre le châtiment des crimes, chaque
citoyen peut se porter accusateur du coupable et le
traduire devant la justice. Les comices par centuries peuvent
seuls prononcer la peine de mort; les tribus celle de
l'exil ou des amendes. S'agit-il d'un crime public qui a
fixé l'attention des citoyens, dans lequel l'accusé est un
magistrat, un consulaire? les centuries ou les tribus se
gardent bien d'abandonner la connaissance de la cause.
S'agit-il d'un accusé plus obscur, d'une affaire moins éclatante,
ou d'un crime privé? elles se contentent de déléguer
leurs pouvoirs à un questeur du parricide ; le sénat
quelquefois dans ces occasions nomme lui-même le questeur,
et le peuple ne songe pas à revendiquer ses droits.
Enfin les accusés sont-ils des étrangers, des esclaves, en
général des personnes qui ne jouissent pas des droits de
citoyens? ou bien ne s'agit-il que d'infliger une peine peu
considérable? le préteur est l'autorité compétente. Lorsque
l'affaire est portée au préteur, et peut-être aussi lorsqu'elle
est remise à un questeur du parricide, ces magistrats
font désigner sur la liste des récupérateurs une certaine
quantité de juges chargés d'examiner les faits et de prononcer
sur leur existence.
Affaires civiles. Devant le préteur s'intente l'action et
s'expose l'affaire. Celui-ci donne aux parties ou des arbitres libres de prononcer telle sentence que l'équité leur
suggérera ou des récupérateurs, obligés à juger d'après
l'examen des faits, selon la formule qui leur a été donnée;
quelquefois aussi le préteur examine et juge lui-même;
le jugement alors est rendu extraordinairement, hors l'usage
(extra ordinem judicium).
Le droit sacré a subi lui-même quelques variations. Son intervention dans le gouvernement et dans le droit civil est toujours aussi forte, et aussi fréquente. Depuis l'abolition de la royauté la dignité de grand pontife, dont les rois étaient revêtus, est devenue une dignité particulière déférée par le choix des tribus, et confirmée par une loi curiate. Elle n'est point annuelle comme les autres magistratures, mais à vie. Le grand pontife à la chaise curule, le droit d'images, un tribunal où il juge toutes les affaires qui se lient à la religion ; c'est lui qui conserve les souvenirs historiques en notant les événements sur des tables qu'il expose chez lui, et qui se nomment les grandes annales. (Cic. de Or. 11. 12.) Le collége des pontifes est augmenté et le nombre des membres porté jusqu'à huit, celui des augures jusqu'à neuf. Les plébéiens peuvent en faire partie.
Sur les personnes, les choses, les testaments, les successions, les contrats, les actions, tout prend un caractère particulier, au seul peuple romain. Sur les personnes : des individus, chefs de famille, maîtres d'eux-mêmes (sui juris) ; d'autres soumis au pouvoir d'autrui (alieni juris) ; la puissance paternelle, la puissance maritale, la puissance sur l'esclave, encore intactes et telles que nous les avons développées; les droits (mancipium) sur l'homme libre qu'on achète, sur celui qui est livré pour le paiement de ses dettes ou pour la réparation de quelque dommage ; le lien civil (agnatio) qui ne tient qu'à l'existence dans la même famille et auprès duquel la parenté du sang (cognatio) n'est rien ; enfin la tutelle perpétuelle qui pèse sur les femmes durant leur vie entière. Sur les choses : la propriété du citoyen romain mise à côté de la propriété ordinaire, indestructible si ce n'est par les moyens qu'indique la loi, de telle sorte que celui qui vous a livré, abandonné sa chose, peut encore la poursuivre et la reprendre dans vos mains s'il ne l'a pas livrée avec les formalités voulues. Sur les testaments : La liberté absolue laissée au chef de disposer à volonté de tous ses biens, même de ceux que lui ont acquis les membres de la famille sans que ceux-ci puissent se plaindre s'ils ont été dépouillés ; les formes du testament qui d'abord devait être décrété par les curies comme une loi, (testamentum calatis comitiis) et qui se fait aujourd'hui par une vente solennelle de l'hérédité (Testamentum per aeset libram, per mancipationem). Sur les successions : les droits d'hérédité, accordés non pas au lien du sang, mais au lien civil seulement (agnatio) ; Le fils qui renvoyé de la famille n'y a plus aucun droit ; la mère qui ne succède pas à l'enfant, l'enfant qui ne succède pas à sa mère. Sur les contrats ; quelques conventions particulières, en fort petit nombre, désignées par la loi comme obligatoires pour ceux qui les ont formées ; toutes les autres conventions ne pouvant produire de lien que si elles sont accompagnées des paroles solennelles de la stipulation, de sorte que ce n'est point le consentement, ce sont les formes qui obligent (1);
(1) Il est mis en doute qu'à cette époque les conventions du droit
des gens, la vente, le louage, la société, le mandat, fussent déjà
obligatoires par le seul consentement. Les raisons qu'on en donne
sont celles-ci : 1.° la terminaison de ces contrats est en tio, comme
emptio-venditio, locatio-conductio ; tandis que les anciens contrats
finissent en um, mutuum, depositum, mancipium, nexum; 2.° les termes
primitifs venum-dare vendre , con-ducere prendre à bail, societatem
coire se mettre en société, man-dare donner un mandat, semblent
indiquer non pas une simple convention, mais un acte avec son
exécution. De ces deux raisons la première ne me parait pas décisive,
car on disait bien anciennement mutui-datio, stipulatio pour le contrat,
et mutuum , stiputatum pour l'objet du contrat, comme on dit
emptio-venditio pour l'achat, la vente, et emptum, venditum pour la
chose achetée, vendue ; dans la langue latine la terminaison en tio
désigne un évènement, une action; la terminaison en um un objet, un
substantif neutre mutuum, mancipium ; celle en tum, un participe, un
adjectif neutre, negotium depositum, commodatum. La seconde raison
est plus positive ; enfin l'on pourrait encore, et c'est selon moi ce
qu'il y aurait de plus convaincant, invoquer l'esprit sévère du droit
primitif, cette rigueur de formes dont on ne s'était pas encore écarté,
et qui doit faire conclure que jamais on ne pouvait s'obliger aux yeux
du droit civil, par le simple consentement. Malgré ces raisons très fortes,
il est bien difficile de penser que des engagements aussi naturels
que la vente et le louage, qui se répètent à chaque instant du
jour pour les plus petites choses, sans lesquelles aucune réunion ne
peut exister, que ces engagements, dis-je, ne fussent pas reconnus
par la loi. Voilà pourquoi je les ai cités, même en parlant des douze tables. Le lecteur pèsera les raisons, et se décidera, une
chose certaine, c'est que ces conventions existaient comme obligatoires
par le seul consentement au temps de Cicéron, qui en parle
dans plusieurs passages.
Sur les Actions : la nécessité des actes et des formules sacramentelles dont il faut accompagner sa demande; le plaideur renvoyé par le juge lorsqu'il, n'a point observé fidèlement toutes les formalités et ne pouvant plus recommencer sa poursuite parce qu'il a usé son action. Voilà autant de principes de droit qu'on ne retrouve presque dans aucune autre législation. C'est ici le moyen âge de la république ; l'âpreté de Rome naissante s'unit à la force donnée par les victoires ; la rigueur des premiers principes existe encore dans toute son énergie; mais nous sommes sur la limite: les conquêtes lointaines vont venir, les richesses, le luxe, les étrangers, la civilisation, les lois naturelles, le droit prétorien et devant toutes ces innovations vont disparaître lentement le droit public, et le droit civil de la république.
Parmi les premières coutumes de Rome celles qui se liaient le plus intimement au droit sont maintenant presque toutes transformées en lois. Il est cependant d'autres usages qui méritent de fixer notre attention parce qu'ils servent à peindre l'époque actuelle. Les généraux se dévouent pour la république afin de dévouer avec eux les légions et les auxiliaires ennemis; les dictateurs quittent l'épée pour la charrue et le commandement de leur armée pour la culture de leur champ ; les consuls reçoivent les envoyés des peuples ennemis assis à une table rustique, couverte de vases d'argile ; des lois somptuaires et mieux que tout cela l'opinion publique flétrissent le luxe, et quel luxe ? un consulaire est noté par le censeur parce qu'il possède en vaisselle d'argent le poids de dix livres ; la pourpre paraît à peine sur la robe des magistrats ; mais cette robe, la prétexte (1), ne peut être portée par les simples citoyens, et la robe des citoyens , la toge, ne peut être portée ni par les esclaves, ni par les étrangers. L'hospitalité s'exerce dans toute sa simplicité ; partout enfin se voient encore la force et la pauvreté ; mais ce que nous avons dit pour le droit civil, nous pouvons le dire aussi pour les moeurs ; nous sommes sur la limite, elles vont commencer à s'évanouir progressivement. Déjà les richesses de Tarente et de l'Italie préparent ce changement ; d'un autre côté la décadence du patriciat, l'élévation des plébéiens effacent quelques coutumes anciennes , la clientelle s'affaiblit, les liens qu'elles produisaient perdent de leur énergie et de leur utilité, une infinité de plébéiens se suffisent à eux-mêmes, ne cherchent point de patron, et les grands prendront bientôt pour leurs clients, à défaut de citoyens, des villes alliées et des provinces entières.
(1) Il ne faut point confondre la prétexte des magistrats avec la prétexte que portaient les enfants au-dessus de douze ans jusqu'au moment où, considérés comme citoyens, ils prénaient la loge virile.
Que les lois politiques changent instantanément dans
un état, cela est rare ; que les moeurs soient subitement
métamorphosées, c'est impossible. Un esprit superficiel
pourra le croire parce qu'il ne voit les choses que lorsqu'elles
sautent aux yeux de tout le monde, un esprit
judicieux ne s'y trompera pas parce qu'il observe les évènements
et calcule leur résultat.
Les Romains viennent d'obtenir un grand succès, la
soumission de l'Italie ; encore un siècle , et ils en obtiendront
un plus grand : la soumission de l'Afrique et
de l'Asie, Gardons-nous de penser qu'après le premier,
ils aient toujours conservé l'austère grossièreté de Rome
naissante, et que, sans transition, tout-à-coup, après le
second, ils se soient écriés : Voici des tableaux, des
musiciens , de l'or, des triomphes, nous sommes riches
plus de continence, nous sommes vainqueurs plus de
force.
Ce qui nous reste à voir de la république me paraît divisé
en deux parts; l'une s'arrête à la ruine de Carthage,
de Numance, de Corinthe, l'autre commence là et conduit
jusqu'à l'empire. Dans la première se préparent
chaque jour les moeurs et les évènemens de la seconde.
Les trésors apportés par chaque nouvelle victoire, le
nombre d'esclaves multiplié, l'exemple des peuples
soumis habituent et disposent au luxe; mais les défaites
essuyées quelquefois , la crainte d'Annibal aux portes de
Rome, le désir de la domination retrempent les esprits
et les contiennent. Alors on voit l'austérité à côté de la
mollesse des citoyens de l'ancienne Rome auprès de hommes de la nouvelle ; des censeurs font construire de
magnifiques portiques pour un théâtre, un consul les fait
renverser; le faste s'introduit dans les vêtements et la
table, des lois somptuaires cherchent à l'étouffer; les
rhéteurs, les philosophes stoïciens ou épicuriens répandent
leurs discussions et leurs maximes, les décrets du
sénat les réprouvent ; le succès des armes croît, la pureté
des moeurs décroît, et lorsque Rome est victorieuse, elle
est corrompue.
Voilà pour les moeurs , quant à la politique , je ne sais
si je donne trop d'extension à mon idée, mais pour moi
l'histoire romaine de ces temps se renferme dans ceci : depuis
l'expulsion des rois jusqu'à la réduction de l'Italie, au dedans
lutte, pour le triomphe des patriciens ou des plébéiens,
au-dehors guerre pour la soumission de l'Italie ;
depuis cette soumission jusqu'à la conquête de l'Afrique
et de l'Asie, au-dedans les plébéiens ont triomphé, plus
de lutte ; au-dehors. guerre pour la domination générale;
depuis cette domination jusqu'à l'extinction de la république,
au-dehors Rome commande, plus de guerre importante;
au-dedans guerres civiles pour un général, un
consul, un dictateur. Le motif des guerres est le choc,
les haines des ambitieux : où doit conduire ce système ?
Au triomphe de l'un d'eux, c'èst-à-dire à l'empire. Voyons
en détail ces événements dont nous venons d'indiquer les
sources. (An 488.)
Une fois, l'Italie attachée à Rome , les relations
commerciales s'étendirent ; alors afflua dans la ville
une multitude d'étrangers, ils y venaient comme dans
leur métropole exercer les arts mécaniques et les professions
mercantiles que le citoyen dédaignait ; ils apportaient
avec eux de nouveaux objets, de nouveaux besoins, de nouveaux contrats, de nouvelles contestations.
C'est à cette époque qu'il faut rapporter sans aucun doute
une magistrature nouvelle, celle du préteur des étrangers
(praetor peregrinus). Le moment précis de sa création n'est
pas connu ; il devait rendre la justice aux étrangers dans
leurs procès entre eux ou avec les Romains (plerumque
inter perepginos jus dicebut, inter cives et peregrinos jus dicebat).
Il appliquait à ces étrangers non les règles du droit
civil, c'est-à-dire du droit propre aux seuls citoyens, mais
celle du droit des gens, c'est-à-dire du droit applicable à
tous les hommes. Le premier préteur prit le nom de préteur
de la ville (praetor urbanus) ; sa dignité était supérieure
à celle du préteur des étrangers ; ainsi il avait des
licteurs, tandis que l'autre n'en avait point.
(De 490 à 608. ) L'Italie soumise, les armes romaines
se portèrent au-dehors. Quelle était alors la situation des
autres contrées? En Europe, dans le nord les Gaules et
la Germanie à peu près inconnues ; dans les alentours de
l'Italie, l'Illyrie aux habitans indigènes, la Sicile aux
Carthaiginois et au roi de Syracuse, la Sardaigne et les
îles de la Méditerranée pour la plupart aux Carthaginois,
la Macédoine aux successeurs d'Alexandre, la Grèce dont
les villes formaient une espèce de ligue, enfin d'un autre
côté l'Espagne aux Carthaginois sur le littoral, dans l'intérieur
des terres aux Indigènes ; en Afrique, les Carthaginois, les Numides, les Egyptiens ; en Asie, l'empire
d'Alexandre distribué de nouveau en divers royaumes.
Sur ce tableau il est aisé de voir que les Carthaginois,
ayant le pouvoir le plus étendu parmi les nations d'alors,
touchant à l'Italie par divers points, durent s'offrir les
premiers pour rivaux. Le roi de Syracuse implore contre
Carthage le secours des Romains; ces derniers saisissent l'occasion, la lutte commence en Sicile. Elle embrasse
l'espace de plus d'un siècle, et ne cessequ'à la ruine
de Carthage. Les années de repos que se laissèrent les
deux villes ennemies décomposent cette lutte en trois
guerres puniques (1).
(1) La première guerre punique comprend depuis l'année 490 jusqu'à 513. C'est alors que Régulus conduisit les légions auprès de Carthage où elles furent détruites par Xantippe, général emprunté à Lacédémone. La fermeté magnanime du Romain prisonnier, et député vers Rome, sera longtemps citée pour exemple . La guerre fut terminée après vingt-quatre ans par un combat naval où les Carthaginois perdirent plus de cent vaisseaux, et à la suite duquel ils accédèrent aux conditions qu'imposaient les Romains. Entre la première et la deuxième guerre punique il y eut un intervalle de vingt-trois années, pendant lequel une grande partie de l'Illyrie fut soumise, et les Gaulois apparus de nouveau à quelques journées de Rome, furent de nouveau taillés en pièces. La deuxième guerre punique commence en 536, et se termine en 558. Le passage d'Annibal à travers l'Espagne et la Gaule pour descendre tout à, coup sur l'Italie, les funestes échecs éprouvés par les Romains jusqu'à la bataille de Cannes, l'apparition de généraux tels que Scipion le premier Africain, la diversion qu'il opère en se transportant en Afrique ; tout cela jette sur ce passage de l'histoire romaine une vivacité et un intérêt toujours croissants. La guerre se termina par la bataille de Zama où luttait Annibal contre Scipion; ce dernier fut vainqueur, et Carthage reçut de Rome un traité plus dur encore que celui dont elle avait voulu secouer le joug. Cinquante-un ans s'écoulèrent entre la deuxième et la troisième guerre punique; pendant ce temps s'élevèrent la première et la deuxième guerre macédonique dans lesquelles furent vaincus Philippe dans la première, son fils Persée dans la seconde. La troisième guerre punique s'alluma en 604, et s'éteignit en 608 par la ruine et la destruction de Carthage sous les coups de Scipion, petit-fils du premier Africain, et surnommé le deuxième Africain. La même année se termina aussi la troisième guerre macédonique ; Corinthe fut détruite dans la Grèce, Numance en Espagne, et l'Asie-Mineure fut en partie subjuguée.
De nouveaux spectacles apparaissent dans l'histoire des Romains ; les noms de flottes, de
vaisseaux, de tempêtes, de naufrages se mêlent au récit
de leurs défaites et de leurs victoires. L'issue des trois
guerres puniques leur fut toujours avantageuse : ils ne
posent les armes que lorsqu'ils peuvent dicter les conditions.
La première guerre leur laissa la Sicile; la seconde la
Sicile, la Sardaigne et l'Espagne ; la troisième la Sicile, la
Sardaigne, l'Espagne et les possessions de Carthage en
Afrique. Dans l'intervalle qui sépare les guerres puniques,
tandis que les Carthaginois reposaient, les Romains avaient
repoussé les Gaulois, pris la Gaule cisalpine, soumis l'Illyrie
jusqu'au Danube, paru dans la Grèce. A côté des
trois guerres puniques, se présentent comme des épisodes
les trois guerres macédoniques qui finissent par abandonner
aux Romains la Macédoine contre laquelle ils
avaient pris les armes, et la Grèce pour laquelle ils les
avaient prises; enfin, les guerres en Asie contre Antiochus
leur donnent l'Asie Mineure qui touche à la Grèce.
Toutes ces conquêtes s'achevèrent dans la même année :
alors il ne resta plus de libre du joug romain que les contrées
les plus éloignées et les moins connues, les Gaules
transalpines, la Germanie, l'Egypte, tout le fond de
l'Asie , les Thraces, les Parthes, les Indiens.
Dans cet espace de plus d'un siècle rempli par les
guerres que Rome soutient pour étendre sa domination,
quelques institutions relatives au droit sont à remarquer : l'établissement des provinces , l'augmentation du nombre
des préteurs, la création des proconsuls et des propréteurs,
les consultations publiques des prudents, les centumvirs,
quelques autres magistrats, enfin l'abolition des actions
de la loi.
ÉTABLISSEMENTDES PROVINCES. Quelques-uns des pays
nouveaux furent attachés au système politique de Rome
par des traités d'alliance,, mais la plupart furent réduits
à la qualité de provinces; de ce nombre sont la Sicile
(515), la Sardaigne (526) , la Gaule cisalpine, l'Illyrie,
l'Espagne, l'Afrique carthaginoise (608). Les provinces
furent enchaînées sous la domination directe de Rome,
gouvernées par des magistrats romains, assujéties à un
impôt. Les habitants n'étaient point citoyens, mais sujets
tributaires. Du reste il y avait dans les diverses villes de
la même province des différences assez nombreuses. La
plupart étaient villes sujettes, celles-là payaient le tribut;
d'autres villes municipales libres, celles-ci ne devaient
aucun impôt; quelques-unes préfectures, elles étaient administrées
par un préfet envoyé de Rome : c'est principalement
lorsqu'on voulait punir une ville municipale ou
une colonie qu'on la transformait en préfecture ; on jeta
aussi dans les provinces quelques colonies. Ces différences
de qualité amenaient des différences dans le mode
de gouvernement de chaque ville et dans l'étendue des
droits accordés aux habitants, mais le tout était sous le
pouvoir général du gouverneur.
AUGMENTATIONDU NOMBREDESPRÉTEURS.Les provinces
furent d'abord administrées par des magistrats que les
comices de Rome nommaient spécialement pour cet emploi. Ces magistrats prirent le nom de préteurs : c'est
ainsi qu'en 527, outre les deux préteurs de Rome, on
en créa deux nouveaux, l'un pour la Sicile , l'autre pour
la Sardaigne ; en 557 , deux pour l'Espagne qu'on avait
divisée en deux gouvernements. Il y avait donc alors six
préteurs, dont quatre pour les provinces ; mais le nombre
de ces provinces s étant accru, on adopta pour leur administration
un autre système. Cette administration fut
confiée aux consuls et aux préteurs qui sortaient de
charge; leurs fonctions expiraient à Rome, ils allaient
les continuer dans leurs gouvernements sous le titre de
proconsuls ou propretéurs (pro consule, pro praetore). Quant
aux quatre préteurs créés primitivement pour les provinces, ils commencèrent à rester une année à Rome où,
sans avoir une jurisdiçtion spéciale, ils aidaient leurs collègues
dans l'administration de la justice.
PROCONSULS. Lorsque Rome comptait encore qu'un
ennemi et qu'une armée, les deux consuls suffisaient
pour commander. Dès qu'on eut à combattre à la fois en
Italie, en Sicile, en Espagne, en Afrique, il fallut plusieurs
armées, plusieurs généraux. Alors le consul placé
à la tête des légions, quand sa puissance consulaire expira,
fut souvent continué par une loi curiate dans son
commandement comme représentant le consul (pro consule).
C'est ainsi que Scipion le deuxième Africain s'exerça
par dix ans de généralat à la ruine de Carthage. Voilà
l'origine première du proconsulat. Les guerres terminées
apportèrent pour butin à Rome des provinces qu'il fallait
gouverner et contenir dans lesquelles on pouvait craindre
des soulèvements où par conséquent il fallait entretenir
une armée ; les proconsuls reçurent alors le gouvernement de ces provinces et le commandement de ces armées.
Le titre qu'ils portaient prit donc une nouvelle
acception et finit par désigner le gouverneur d'une province.
Le proconsul commandait d'une manière absolue dans
son gouvernement ; là , point de collègue, point de censeurs, point de tribuns, point de préteurs. L'armée, l'administration,
la justice, tout était dans ses mains. Il se
composait avec des citoyens, une liste de récupérateurs
qui l'assistaient dans les fonctions judiciaires. Il avait sous
ses ordres un questeur, nommé par, le peuple, chargé du
trésor de la province, et quelques délégués qu'il choisissait
lui-même, dont le sénat fixait seulement le nombre.
Ces délégués ( legati proconsulis, mots que l'on traduit par
lieutenants) représentaient le gouverneur partout où celui-
ci ne se trouvait pas ; ils étaient précédés d'un licteur
et exerçaient tous les pouvoirs que le proconsul leur
avait remis. Les impôts n'étaient point retirés directement
; on employait pour leur perception le mode le plus
vicieux, celui des fermes. Comme il arrive toujours, les
fermiers (publicani, publicains) pressuraient les tributaires
et trouvaient le secret de doubler leurs impôts. Les
chevaliers avaient eu l'art d'obtenir toujours ces fermages
et de les faire considérer en quelque, sorte comme attachés
à leur ordre.
PROPRÉTEURS. Les provinces, étaient les unes consulaires,
les autres prétoriennes ; les premières étaient celles où il
était nécessaire d'entretenir une armée , on les confiait
ordinairement aux consuls sortants ; les secondes, celles où
quelques troupes suffisaient, elles étaient données, aux préleurs;
mais ce n'étaient que des causes variables, comme l'état du pays, sa position par rapport au siége actuel de
la guerre qui déterminaient le sénat à considérer telle
province comme consulaire ou comme prétorienne. Aussi
cette qualité pouvait-elle changer d'une année à l'autre.
Les provinces prétoriennes avaient, comme les consulaires, un questeur, des lieutenants et des publicains.
Les proconsuls et les propréteurs, en règle générale,
ne recevaient leurs pouvoirs que pour une année; au sortir
de leur gestion , ils devaient rendre leurs comptes au
sénat, mais on les voit presque toujours dans l'histoire
ne présenter que des comptes illusoires, se maintenir
par l'intrigue ou par la force dans leur charge, s'unir aux
lieutenants, aux questeurs et aux publicains pour épuiser
la province par leurs dilapidations et l'écraser par leur
arbitraire.
CONSULTATIONS PUBLIQUES DES JURISCONSULTES.Depuis la
publication des actions et l'égalité politique des plébéiens
et des patriciens, des citoyens distingués des deux ordres
s'adonnèrent à l'étude du droit civil : ce droit cessa chaque
jour d'être considéré comme un mystère. Tiberius Coruncanius,
le premier plébéien parvenu à la dignité de grand
pontife, ouvrit aussi le premier l'entrée de son vestibule
à tous les citoyens, répondant publiquement aux consultations
qu'on lui adressait (Pomp. Hist. Jur., § 35. ). Il
mourut en 509, laissant des imitateurs, et de là naquit
cette classe de savants nommés jurisconsulti, ou simplement
consulti, jurisperiti ou periti, jurisprudentes ou prudentes;
il en est un parmi eux , G. Scipion Nasica , à qui
le sénat avait même donné aux frais du public une maison
sur la Voie sacrée, pour qu'il pût être consulté plus facilement
(Pomp., H. J., § 07. ). Des jeunes gens entouraient ces jurisprudents, les suivaient au Forum, recueillaient
les réponses qu'ils faisaient aux plaideurs, et se disposaient
ainsi à la carrière qu'ils parcourraient un jour.
Les leçons qu'ils recevaient ne développaient point à leur
esprit une science, maïs elles formaient une collection de
décisions diverses auxquelles ils ajoutaient, pour compléter
leur instruction, l'étude des douze tables qu'ils apprenaient
par coeur. Les réponses des prudents ainsi recueillies,
guidèrent les plaideurs, quelquefois même les
magistrats; leur autorité s'accrut chaque jour; elles réglèrent
les cas nouveaux et devenant obligatoires par l'usage, elles s'incorporèrent dans la législation comme une
source du droit non écrit. Un des effets principaux de ces
consultations gratuites et publiques, dut être la perte des
rapports de clientelle déjà affaiblis par l'émancipation des
plébéiens et devenu à ce moment presque inutiles.
Parmi les jurisconsultes de ce temps, il faut distinguer
Sextus Aelius qui, au rapport de Pomponius (Hist. J. ,
§ 7, 58), composa un ouvrage nommé Tripertita, et contenant
1° les douze tables, 2° l'interprétation, 5° les actions
de la loi. Il paraît même qu'il avait composé de son
chef quelques nouvelles formules pour des cas où elles
manquaient ( quia deerant quoedam genera agendi,.. Sextus
Aelius alias actiones composuit, et librum populo dedit qui
appellatur jus AElianum.). On ne sait pas précisément l'époque
où il parut, mais ce doit être nécessairement avant
la loi Aebutia qui supprime les actions de la loi.
CENTUMVIRS.L'origine des centumvirs, leur organisation,
leur jurisdiction sont entièrement incertaines. Ce n'est pas
que plusieurs auteurs anciens ne parlent de ces magistrats;
mais d'une manière vague qui ne nous permet de faire que des hypothèses. Etaient-ils nommés comme les récupérateurs?
leurs fonctions étaient-elles semblables? dans quelles
causes jugeaient-ils? C'est ce qu'on ignore : cependant ils ne
doivent point être confondus avec les récupérateurs. Il n'y
avait de centumvirs qu'à Rome, tandis qu'il y avait des
récupérateurs même dans les provinces. Les centumvirs
étaient, à ce qu'il paraît, des magistrats revêtus d'une
véritable autorité judiciaire et formant entre eux un collége
; ils décidaient des causes civiles. Le digeste et le code
nous prouvent que les procès sur les successions étaient
portés devant eux (Dig., L. 5., t. 2, loi 13 et 17,— Cod.,
L. 5, t. 31 , loi 12 in princ.), et Cicéron, dans son Traité
sur l'art oratoire, fait une longue énumération des affaires
de leur compétence. Leurs décisions étaient de la, plus
haute importance, si l'on en juge par la loi du code que
nous venons de citer, et qui dit en parlant d'eux : magnitudo
etenim et auctoritas centumviralis judicii non patiebatur,
per alios tramites viam hoereditatis petitionis infringi.
Du reste, quelles que fussent leurs attributions précises,
les centumvirs servirent, à décharger les préteurs d'une
partie de leurs travaux judiciaires (1).
(1) On peut remarquer encore quelques magistratures créées à peu près à la même époque: les tribuns du trésor (tribuni aerarii ) préposés à la comptabilité sous la surveillance des questeurs ; les triumvirs des monnaies (triumviri monetales) , chargés de faire battre les diverses pièces de cuivre, d'or ou d'argent (aeris, argenti, auri flatores); les triumvirs capitaux (triumviri capitales) qui devaient surveiller les prisons (qui carceris custodiam haberent) , et qui avaient peut-être aussi quelque jurisdiction criminelle; enfin les cinq officiers (quinqueviri) créés pour remplacer par leur surveillance pendant la nuit, les magistrats qui, après le coucher du soleil, ne paraissaient plus en public revêtus de leurs dignités. (Pomp. hist. jur. § 30, 31.)
LOI AEBUTIA.SUPPRESSION DES ACTIONSDE LA LOI. Du moment que des jurisconsultes commencèrent à répondre publiquement sur les lois, le droit fut considéré non plus comme un objet sacré auquel il fallait se soumettre sans examen; mais comme une science qu'on pouvait étudier; les règles durent alors perdre de leur rudesse et de leur caractère symbolique; les actions de la loi avec leurs actes solennels et fictifs durent paraître subtiles et sans utilité. Aussi la loi Aebutia en les supprimant, fit disparaître tous ces actes qui formaient devant le juge une espèce de pantomime; et ne laissa plus subsister, quant à la manière d'agir en justice, que des formules, des paroles consacrées. C'est le manuscrit de Gaïus qui nous a révélé cette circonstance ; voici les termes de ce jurisconsulte : « Sed istae omnes legis actiones paulatim in odium vnrunt : namque ex nimia subtilitate veterum , qui tunc jura condiderunt, eo resperducta est ut vel quei minimum errasset, litem perderet. Itaque per legem Aebutiam et duas Julias sublatae sunt istae legis actiones, effectumque est ut per concepta verba, id est performulas litigaremus. (G. Comm. IV. §. 30 ). Cependant on conserva encore les actions de la loi dans deux cas, parmi lesquels se trouve celui où le procès était porté devant, les centumvirs. A quelle époque fut rendue cette loi Aebutia? Ni Gaïus , ni Aulu-Gelle qui dit quelques mots sur la loi ( 16. c 10), ne nous apprennent cette époque. On est réduit à chercher dans l'histoire romaine les années où se trouvent des tribuns du nom d'Aebutius, et l'on a à choisir entre les années 520, 577, 585. C'est communément la première l'année, 520, à laquelle on s'arrête; néanmoins c'est l'opinion qui me paraît la moins admissible. Saextus Aelius, est placé par les auteurs à peu près en 550 ; or il est plus que probable qu'il n'aurait pas fait suivre les douze tables d'un traité sur les actions de la loi, si ces actions eussent déjà été supprimées. D'un autre côté , la loi Furia testamentaria, qui est présumée avoir été portée en 871, faisait, d'après Gaïus ( Comm. IV. §. 25), une nouvelle application à un cas nouveau de l'action de la loi Manus injectio ; il est donc probable qu'à cette époque les actions de la loi n'étaient point supprimées (1). Ces raisonnements me feraient préférer pour la date de la loi Aebutia , l'an 677 ou 583. Quant aux lois Juliae, l'une appartient à Jules César, l'autre à Auguste : elles étaient relatives à la procédure qu'on devait suivre dans les affaires civiles, et par leurs dispositions elles confirmaient la loi Aebutia quant à l'abolition des actions de la loi. Pendant que les jurisconsultes donnaient à Rome des consultations publiques, une nouvelle classe d'hommes s'était glissée, celle des rhéteurs et des philosophes. C'est, au dire de Suétone, un député de la Grèce qui dans l'intervalle de la seconde à la troisième guerre punique, s'étant cassé la jambe, pendant sa convalescence se forma un auditoire et se mit à professer publiquement la philosophie; des écoles semblables s'ouvrirent bientôt (2);
(1) Il est vrai qu'on pourrait dire à cette dernière observation qu'il n'est pas étonnant que la loi Furia testamentaria, pour un cas où il s'agit de legs, ait fait une nouvelle application de l'action de la loi manus injectio à une époque où ces actions étaient déjà supprimées; parce qu'elles étaient conservées encore dans les causes soumises aux centumvirs parmi lesquelles se rangent les causes testamentaires. Mais qu'on lise le commentaire de Gaïus au passage que nous indiquons, et il ne sera pas difficile de voir qu'il parle de la loi Aebutia, comme étant postérieure à la loi Furia.
(2) Ces rhéteurs et leurs écoles furent réprouvés par le sénat et par les censeurs. Suétone nous transmet là-dessus deux actes qu'on
verra peut-être avec intérêt: " Sous le consulat de ..., le sénat, au
rapport de Marcus-Pomponius, prêteur, d'après ce qui a été dit sur les philosophes et les rhéteurs, a décrété que M. Pomponius y prît garde, et que dans l'intérêt de la république il ne souffrit point ces hommes dans la ville . " Le deuxième acte est une déclaration
des censeurs : « E. Domitius Aenobarbus et L. Licinius Crassus, censeurs, ont déclaré ce qui suit : Nous avons appris que des hommes sous le nom de rhéeurs latins, on établi de nouvelles écoles, que les jeunes gens affluent auprès d'eux, qu'ils y passent des journées entières. Nos ancêtres ont réglé ce que les enfants doivent apprendre et les écoles qu'ils doivent suivre; nous desapprouvons ces nouveautés contraires aux anciens usages, et nous les croyons mauvaises; ainsi nous faisons connaîtres notre décision à ceux qui tiennent ces écoles et à ceux qui les fréquentent; cela nous déplaît. »
( Suet. de Claris rhetoribus.)
plus tard (en 604 ) trois députés d'Athènes, Diogènie, Critolaus,
Careades, attirèrent par leur éloquence l'attention
des Romains. Ce dernier soutint un jour l'existence
de la justice et le lendemain prouva qu'elle n'était qu'un
mot; aussi l'austère Caton demandait-il qu'on renvoyât
bien vîte de tels ambassadeurs. Les principes des Stoïciens
s'élevèrent à côté de ceux d'Epicure, et c'est ainsi
que l'esprit des discussions morales et métaphysiques se
répandit généralement et fut introduit même au milieu
des jurisconsultes.
Arrêtons ici nos réfexions sur le siècle écoulé et regardons le
siècle que va suivre. Nous sommes parvenus au
point où les historiens marquent la décadence rapide des
moeurs, où toutes les institutions de la république s'écroulèrent.
Les suffrages de comices furnt achetés, les jugements
vendus, la censure anéantie ou dégradée, la dictature perpétuelle, les provinces pillées. On vit des
richesses énormes s'amonceler dans les mains d'un seul
citoyen, un luxe effréné fut étalé, les armées appartinrent
à leurs généraux et non à Rome, le sang des Romains
coula et tout cela finit par le pouvoir absolu.
(An 621 ). Les troubles civils commencent aux Gracques,
leurs séditions (Grachanae) sont illustres dans l'histoire.
Le premier, T. Semproniuus Granchus était tribun lorsqu'il
alluma l'incendie par une proposition de lois agraires.
Les champs conquis étaient autrefois partagés entré les
Romains, Cela devait être lorsqu'on se battait pour vivre
et pour se placer, mais dès qu'on se battit pour commander,
les terres enlevées aux ennemis, à l'exeption
de celles qu'on distribuait aux colons, furent conservées
par l'état comme propriété publique. Elles devaient être
affermées et leur revenu (vectigal) versé dans le trésor.
Des sénateurs et des patriciens, profitant, à ce qu'il paraît,
de leur position à la tête des affaires, s'étaient approprié
ces terres dont ils jouissaient sans payer de
redevance. Les avaient-ils véritablement achetées de l'état?
C'est ce qu'ils disaient; leur prétendu droit n'était-il
qu'une longue usurpation ? C'est ce que le peuple soutenait.
Plusieurs fois on avait par des lois agraires, demandé
le partage de ces champs; alors s'élevaient et s'agitaient
en masse les prolétaires, réclamant à grands cris une
part de ce qu'ils appelaient leurs propriétés usurpées. C'est
ce foyer de querelles que T. Grachus souleva. Sa proposition
avait été adoptée, il était nommé avec son jeune
frère
et son beau-
père pour faire la répartition ; mais
tandis qu'il était sur la place publique, ceux que sa loi
attaquait, soutenus du sénat et des patriciens, entourés
de leurs partisans et de leurs satellites, accourent à main armée, dissipent violemment l'assemblée; le tumulte
croît; Grachus est poursuivi jusqu'au capitole, il porte
la main sur sa tête pour indiquer qu'on en veut à sa vie;
ses ennemis s'écrient qu'il demande la couronne, il est
massacré.
(An 632 ). C. Grachus lui succéda. Le second des
Gracques porté au tribunal comme le premier, éloquent,
ardent, ulcéré par la mort de son frère, soutenant ses
lois, en proposant de nouvelles, périt comme lui dans
une émeute, obligé de recourir au fer et au bras de son
esclave pour échapper à celui de ses ennemis ; mais les
séditions n'expirèrent point avec lui.
Vers le milieu du septième siècle et dans l'intervalle de
plus de trente ans, notre attention doit reposer plus spécialement
sur trois objets : les questions perpétuelles
créées successivement les unes après les autres ; les lois judiciaires
transmettant le pouvoir de juger, du sénat à
l'ordre des chevaliers , de l'ordre des chevaliers au sénat ;
enfin le droit honoraire prenant naissance et croissant
chaque jour en autorité.
QUESTIONS PERPÉTUELLES.Leur établissement amena des
modifications très remarquables dans la juridiction criminelle.
La connaissance de quelques crimes fut enlevée
successivement au peuple et transportée à des tribunaux
permanents (questiones perpetuae). Pour chacun de ces
crimes, on créa une loi et un tribunal particuliers. Chaque
loi fixait le nombre de juges dont il fallait composer la
question, le nombre et la qualité des témoins qu'on pourrait
entendre, les délais à accorder soit à l'accusé soit à
l'accusateur, en un mot, toute la procédure. Chaque tribunal
était organisé pour une année et présidé ordinairement par l'un des quatre préteurs qui n'avaient pont
de jurisdiction déterminée. Voici le tableau des premières
questions perpétuelles : 605, loi Calpurnia de repentundis, questio pecunioe repetundoe, contre les exactions et les
abus de pouvoir commis dans les provinces ; 635; loi Maria de ambitu, questio ambitus, contre les brigues employées
pour acheter ou obtenir illégalement les magistratures
; dans la même année Questio peculatus , contre
les vols et les concussions commises sur le trésor de la
république ; 652, loi Appuleia majestatis, questio de majestate,
contre tous les actes qui attentaient à la sûreté
ou à la majesté du peuple; dans la même année, loi Luctatia
de vi, questio de vi ; 659 , loi Licinia Mucia de civitate, questio de civitate ; 665 , loi Fabia de plagio, questio de plagio; enfin sous Sylla nous verrons aussi
établir des questions perpétuelles, pour les crimes privés
tels que les faux, les meurtres.
Lois JUDICIAIRES,Il paraît que les juges nommés à chaque
cause pour composer la première question perpétuelle,
furent pris dans le sénat. C. Grachus fit adopter une loi
qui enlevait aux sénateurs cette puissance judiciaire et la
donnait aux chevaliers (1). C'est la première loi judiciaire
(lex Sempronia judiciaria, an 632).
(1) Ne s'agit-il que de la jurisdiction criminelle, ou fit-on passer aussi aux chevaliers la jurisdiction civile ? La question n'est pas résolue. Dans le dernier cas il faudrait dire que les centumvirs, et peut-être d'autres magistrats qui assistaient le prêteur, étaient fournis par le sénat, et qu'en vertu de la première loi. judiciaire ils le furent par l'ordre des chevalier.
Mais quelles
rivalités, quelles agitations ne dut-elle pas amener, puisqu'aussitôt nous voyons apparaître les unes apres les autres
des lois judiciaires se modifiant, se détruisant, comme
si les sénateurs et les chevaliers luttaient et s'arrachaient
tour à tour le pouvoir. (632) loi Sempronia judiciaria,
aux chevaliers ; (648) loi prima Servilia jud., partage
entre les deux ordres; (654) loi secunda Servilia jud. ,
aux chevaliers; (663) loi Livia jud. , partage entre les
deux ordres ; ( 672) sous Sylla, loi Cornelia jud., aux sénateurs
; (684) sous Pompée , loi Aurelia jud., partage
entre les deux ordres. Tel est le tableau mobile que présentent
ces lois.
DROIT HONORAIRE.Voici une nouvelle branche du droit.
Comment a-t-elle été reçue? par une loi spéciale ou par
l'usage? J'adopterai la dernière opinion, elle me paraît
la plus probable. En effet, quatre magistrats présidaient
à une jurisdiction particulière, le préteur de la ville, celui
des étrangers et les deux édiles. Il était tout naturels surtout
avec une législation aussi laconique que celle de
Rome, que ces magistrats publiassent des ordonnances,
d'abord pour faciliter l'exécution des lois, pour indiquer
aux citoyens les voies à prendre dans leurs réclamations ;
peu à peu ces ordonnances prirent un caractère législatif.
Il est facile d'expliquer comment elles y furent amenées.
Le préteur de la ville rencontrait dans le courant des affaires,
des cas imprévus, des cas où la loi paraissait injuste, il sentait la nécessité de suppléer à cette loi ou de
la corriger par quelque moyen, il déclarait que dans tel
et tel cas il prendrait telle décision. Le préteur des étrangers
avait à employer un droit presque nouveau, le droit
des gens, il ne trouvait rien là-dessus dans, la loi civile,
il fallait bien pour prévenir l'arbitraire qu'il posât quelques règles, qu'il consacrât quelques principes. Quant
aux édiles, chargés d'une police générale, n'avaient-ils
pas des réglements à faire sur les jeux, sur les constructions,
sur la sûreté des rues ? et dans les provinces le gouverneur
arrivant dans un pays conquis, qu'il fallait organiser, dont les lois devaient être fondues avec les lois
romaines, pouvait-il se dispenser d'indiquer d'après
quelles règles il allait gouverner? Ces ordonnances furent
régularisées ; elles se publièrent au commencement de la
magistrature ; les magistrats qui les avaient faites se trouvèrent astreints à s'y conformer. Elles devinrent ainsi obligatoires
pendant toute une année : aussi Cicéron les
nomme-t-il lex annua. Mais comme elles n'étaient que
des actes émanés de magistrats et non des actes législatifs,
elles expiraient avec le pouvoir de leur auteur,
et le magistrat qui suivait, modifiait, abrogeait ce qu'avait
ordonné son prédécesseur. Souvent néanmoins
il adoptait quelques chefs de l'ordonnance précédente;
en effet, il y eut des dispositions tellement utiles,
qu'elles se transmirent chaque année, et qu'on s'attendit
à les retrouver toujours comme une règle qu'on n'avait
plus le droit d'abroger : l'usage successif en fit une espèce
de loi, et ces dispositions se rangèrent dans le droit
coutumier. Voilà comment il dut arriver que sans aucune
loi (1),
(1 ) On trouve bien en 687, au temps de Cicéron , une loi sur les édits des préteurs ; lex Cornelia. C'est à cette loi que quelques auteurs attribuent le pouvoir donné aux magistrats de faire des édits. Le fait est qu'elle ordonne aux préteurs de publier un édit en commençant leurs fonctions, et de s'y conformer pendant toute l'année. Elle régularise la publication des édits, mais il n'en faut pas conclure qu'elle les introduit pour la première fois, et qu'ils n'existaient pas auparavant. Cicéron, dans une oraison contre Verrès, se plaint des dispositions que ce magistrat avait insérées dans son édit, et de l'injustice avec laquelle il prononçait selon ses intérêts contre les termes de cet édit : or l'action contre Verrès est antérieure à la loi Cornelia. On trouve aussi dans une loi découverte au siècle dernier, lex de Gallia cisalpina, une mention de l'édit du préteur des étrangers ; mais on ne peut induire de là rien de certain ; on ne sait si cette loi est antérieure à la loi Cornelia, et l'on peut la placer, soit pendant les guerres puniques, à l'époque où la Gaule cisalpine fut réduite en province, soit beaucoup plus tard, en 705 , lorsque les habitants de cette Gaule reçurent le droit de cité. Sans entrer dans une discussion trop longue, je m'en tiendrai à l'opinion de ceux qui considèrent ces édits comme ayant été introduits par l'usage pendant la première partie du septième siècle; je suis même persuadé que l'institution du préteur des étrangers et des gouverneurs de province pour qui un édit était indispensable dût amener sinon l'origine, du moins l'extension des édits
mais par le consentement tacite du peuple qui vaut bien autant, les magistrats furent confirmés dans le pouvoir de publier des ordonnances obligatoires pendant leur magistrature, et voilà comment certaines dispositions de ces ordonnances devinrent même des lois. Les ordonnances des magistrats portaient le nom de edicta, édits, du verbe edicere. Il faut distinguer l'édit du préteur, praetoris edictum, celui des édiles, edictum aedilium ou aedilitium edictum ; celui du proconsul ou du propréteur, edictum provinciale. On leur donnait le titre de edicta perpetua, parce qu'ils étaient faits non pour, une affaire particulière, mais pour toute l'année (jurisdictionis perpetuoe causa, non prout res incidit). Il y avait quelquefois des édits rendus pour une circonstance momentanée et propres seulement à cette circonstance, ils se nommaient edicta repentiria. On désignait par edictum tralatitium celui qui était maintenu et passait d'une magistrature à l'autre; les décisions approuvées par l'usage et transmises d'édit en édit formèrent une espèce de droit introduit par les magistrats, qui se nomma, jus honorarium, drot honoraire. On peut le décomposer en droit prétorien (jus praetorium) et droit des édiles (jus aedilium); le premier est beaucoup plus important. Ce droit ne reposait pas sur la rigueur sévère des lois civiles, il admettait des tempéraments, il donnait plus à l'équité, plus à la nature, il convenait davantage à ce qu'on nommé la civilisation; mais aussi il préparait la disparition successive du droit primitif (1). Nous verrons Cicéron se plaindre déjà que de son temps on n'étudiât plus comme autrefois les douze tables et qu'on les remplaçât par l'édit des préteurs. Cependant les Romains ne se bornaient pas aux succès contre Carthage et contre la Macédoine. Les armées portaient au loin le joug. Jugurtha, roi de Numidie, leur résista , non avec des armes, avec de l'or. Il acheta les suffrages du sénat, il acheta la paix, il acheta la fuite d'une armée; Rome périra, disait-il, si elle trouve un acheteur. Il orna le triomphe de Marius, et la Numidie fut enchaînée au nombre des provinces romaines. Elle avait servi à dompter Carthage, elle devait être domptée à son tour. Sur les bords du Var, sur ceux du Rhône et de l'Isère, les légions combattirent les habitants sauvages des Gaules. Les Cimbres, les Teutons, émigrant de la Germanie vers un climat plus doux, furent exterminés.
( 1) Papinien dit que le droit prétorien avait été introduit adjuvandi, vel supplendi, vel corrigendi juris civilis gratia (Dig. liv. I, t. I, loi 7, § I, fragment de Papinien.)
Alors parurent aussi à la suite les unes des autres la guerre sociale, les guerres civiles, les guerres des esclaves. (An 663). GUERRE SOCIALE.Les alliés du Latium, ceux de l'Italie, avaient fait la puissance de Rome , et le titre de citoyens leur était refusé! Déjà depuis quelques années les tribuns qui voulaient se faire un parti promettaient une loi qui réparerait cette injustice. On voyait alors ces alliés accourir à Rome, se presser sur la place publique, attendant la proposition ; mais ces promesses n'avaient point d'effet. L'Italie se souleva ; les drapeaux, des villes municipales flottèrent de toute part et s'avancèrent sur Rome; la guerre fut courte et meurtrière ; des consuls, des légions romaines, des légions alliées y périrent ; l'Italie perdit plus de trois cent mille hommes (Vell. Pat. 2, § 15). Rome ne triompha qu'en inscrivant au nombre de ses citoyens, d'abord ceux qui n'avaient point pris les armes ou qui les quittèrent les premiers, ensuite tous ceux qui combattaient encore (lex Julia, lex Plautia, de civitate). Ainsi dans l'espace de deux ans (665), furent acquis à presque toute l'Italie les droits de cité , même ceux de suffrage; mais pour diminuer l'influence de ces nouveaux citoyens, on les classa dans huit tribus nouvelles qui s'ajoutèrent aux tribus déjà existantes; et dans les délibérations, l'Italie entière n'eut que huit voix, tandis que Rome en avait trente-cinq. Disproportion du reste qui dura peu, les Italiens parvinrent bientôt à se faire distribuer dans les trente-cinq tribus romaines. (An 667). GUERRES CIVILES. Les gouverneurs se rendaient indépendants du sénat, des tribuns cherchaient à se maintenir par la force dans leur magistrature expirée ; Marius avait été nommé consul pendant six ans, atteinte funeste aux lois constitutives qui exigeaient dix ans d'intervalle entre deux consulats ; mais au milieu de ces troubles et de ces violations du droit public, les citoyens n'avaient point encore marché contre les citoyens. La guerre sociale était un prélude ; Marius et Sylla apportèrent avec eux les guerres civiles. Ce n'est plus pour les plébéiens, pour le sénat, pour les lois, c'est pour le commandement qu'ils se battent. Rome tomba tour à tour dans leurs mains et dans celles de leurs soldats. Pour bien peindre les maux épouvantables dont elle fut le théâtre, il faut dire comme Montesquieu : « Je supplie qu'on me permette de détourner les yeux des guerres de Marius et de Sylla. » Celui-ci triompha le dernier et fut nommé dictateur perpétuel ; il abattit les plébéiens, comprima les tribuns, abaissa les chevaliers, releva les sénateurs. Les assemblées par tribus furent dissoutes, les comices par centuries investis de tout le pouvoir, Sylla voulait rendre au sénat son ancienne splendeur, à la république son énergie primitive. Il fallait lui rendre ses vertus, son désintéressement et surtout sa liberté. C'est peut être cette dernière idée qui le conduisît après cinq ans de dictature, à cette abdication que l'histoire rapporte avec étonnement. On peut remarquer de lui quelques lois : Lex Cornelia judiciaria qui enlevait aux chevaliers le pouvoir judiciaire et le rendait aux sénateurs ; lex Cornelia de Falsis, nommée aussi Testamentaria, lex Cornelia de Sicariis, qui établissaient deux nouvelles questions ; l'une contre les crimes de faux en matière de testament, l'autre contre les meurtres. C'est probablement cette dernière loi dont parlent les institutes de Justinien, liv, 4, tit. 4, § 8, comme ayant statué aussi sur la punition de certaines injures violentes. (682) (1) GUERRES DES ESCLAVES. Parmi les troubles et les combats de cette époque passent les guerres des esclaves presque inaperçues, et cependant ne devrait-on pas les signaler plus que toute autre guerre? Des trou peaux innombrables de captifs envoyés de toutes les parties du monde étaient entassés dans les propriétés romaines. Le citoyen riche possédait des milliers de têtes; tout-à-coup, dans la Sicile, ces têtes se relèvent, les chaînes sont brisées, les esclaves sont des soldats , au nombre de soixante mille. Rome envoie contre eux des armées; ils les battent, ils enlèvent les camps de, quatre préteurs, succombent sous les coups d'un consul et reçoivent, au lieu de la liberté qu'ils voulaient conquérir, la mort cruelle des esclaves, le supplice de la croix. Ils laissent des successeurs ; une nouvelle armée paraît, triomphe et tombe comme la première: ils s'étaient laissés bloquer, et, domptés par la famine, ils s'entr'égorgèrent pour échapper aux Romains. C'est au sein même de l'Italie que surgit la troisième guerre servile. Des esclaves gladiateurs échappés de Capoue, poussèrent le cri de liberté. Spartacus, leur chef, est illustre; couvert de la pourpre consulaire, il a ravagé l'Italie; mis en fuite les légions; toutes les forces romaines se sont réunies contre lui: enfin il a été accablé, lui et les siens, au milieu du carnage, sans demander quartier.
(1) C'est à peu près de 660 à 680 que l'on place un plébiscite dont un fragment a été trouvé pendant le dernier siècle près d'Héraclée, dans le golfe de Tarente; d'où lui est venue la désignation de table d'Héraclée. Ce fragment est de quelque utilité pour certains points de l'étude du droit à cette époque.
Là s'arrêtèrent les efforts des esclaves qui rentrèrent dans leurs fers et dans leur nullité. (684) Avec Marius et Sylla n'étaient point mortes les guerres civiles. Catilina, Pompée et César, Antoine et Octave vinrent après eux. L'ouvrage de Sylla fut détruit par Pompée. Les plébéiens reprirent leurs assemblées, les tribuns leurs privilèges; les chevaliers leurs pouvoirs judiciaires qu'ils partagèrent avec le sénat (1). Mais à quoi bon examiner ces lois éphémères qui se choquent et se détruisent? qu'est-ce que tout cela? sinon des mouvements convulsifs qui annoncent la dissolution prochaine de la république. Pompée eut beau faire traverser aux légions l'Asie dans tous les sens, vaincre Mithridate, parcourir l'Arménie, la Colchide, l'Albanie, la Syrie, l'Arabie, les mener jusques dans Jérusalem, il ne fit que hâter cette dissolution. Passons rapidement ces dernières années de la république; passons ce pacte ou plutôt cette ligue formée entre Pompée, Crassus et César, sous le nom de triumvirat (690). Ils s'unissaient pour commander au sénat, dicter le choix des candidats, se partager les provinces; à Pompée l'Espagne, à Crassus la Syrie, à César les Gaules. C'est alors que ce général, qui garda dix ans son gouvernement, explora ces terres inconnues, pénétra jusque dans la Grande-Bretagne, soumettant tous les peuples sauvages qu'il découvrait, écrivant ses Commentaires immortels.
(1) En vertu de la loi Aurelia judiciaria. Le pouvoir judiciaire ne fut pas donné seulement aux sénateurs et aux chevaliers, on admit aussi dans son exercice les tribuns du trésor dont nous avons parlé.
Passons la lutte de Pompée et de César. L'ambition les avait unis, elle ne tarda pas à les séparer. César vainquit en Thessalie Pompée, en Afrique Scipion et Caton, en Espagne les fils dis Pompée. Le sénat, le peuple, Rome; se livrèrent à lui; les consulats lui furent prodigués, puis la dictature perpétuelle que Brutus et les sénateurs conjurés terminèrent au bout des six mois, en immolant le dictateur au milieu du sénats comme s'ils avaient voulu mettre à sa dignité avec leurs glaives, le terme qu'on y mettait jadis avec les lois (709). Avant cette mort, toute la Gaule cisalpine avait déjà reçu le droit de cité (1) ; deux nouveaux édiles avaient été créés, les édiles céréaux (Aediles cereales, qui frumento proeessent ), le nombre des préteurs avait été porté jusqu'à dix, il le fut ensuite jusqu'à seize. Passons les guerres amenées par le meurtre de César. Les républicains étaient commandes par Cassius et Brutus. Celui-ci, imitateur du premier Brutus, voulait régénérer la république qu'avait fondé le premier, comme si lorsque le pays, les Hommes, les biens, tout a changé, les institutions pouvaient rester les mêmes. Passons, le second triumvirat d'Antoine, de Lépide et d'Octave, ou pour mieux dire d'Octavien-César (2), car
(1) C'est peut-être à cet événement, qu'il faut rapporter le plébiscite de Gallia cisalpina relatif principalement au mode de procédure qu'il faut suivre dans cette province. Des fragments de ce plébisciet ont été découverts dans le dernier siècle.
(2) Les adoptés prenant le nom de l'adoptant, et donnant à leur nom natuel la terminaison adjective ianus, Octave après son adoption doit s'appeler Octavien-César.
Jules-César l'avait adopté dans son testament et lui avait laissé un héritage qu'il sut bien reconquérir. Passons les terribles proscriptions qui reparurent avec le deuxième triumvirat ; mais cependant ces proscriptions rappellent un homme qu'il me serait impardonnable d'oublier, celui qu'on propose encore pour maître au barreau, Cicéron. Ses rouvrages sont restés comme des sources précieuses et pour le droit et pour l'histoire. En lisant ses lettres à Atticus et à Brutus, on assiste aux drames critiques dont il parle, on voit les intérêts divers, les ambitions opposées, les craintes, les espérances des partis; parmi des hommes corrompus (1), leur opposer tantôt une politique adroite, tantôt des paroles éloquentes, s'appuyer sur ses clients, sur ceux de ses amis, sur les villes qu'il protège; on lui reconnaît quelques faiblesses, et le tableau plaît davantage parce qu'il est plus naturel; mais au milieu de ces faiblesses, l'amour du bien et le désir d'une juste gloire l'animent toujours.
(1) Deux citations de ces lettres nous feront juger le degré de corruption auquel Rome était parvenue. L'une est relative aux jugements, l'autre aux magistratures : Cicéron raconte comment Clodius fut absout de l'accusation portée contre lui. « Dans deux jours il (un affidé de Clodius) a terminé la chose par le ministère d'un seul esclave gladiateur. Il a fait venir les juges chez lui, il a promis, cautionné, adonné. Il a même, grands dieux! quelle abomination ! il a, comme pour supplément de prix, procuré à plusieurs les faveurs de quelques dames romaines. Aussi les gens probes s'étant retirés, le Forum étant envahi par des esclaves, il n'y a eu que vingt-cinq juges assez courageux pour braver tous les périls et s'exposer à périr plutôt qu'à perdre la république. Mais trente ont plus écouté la cupidité que l'honneur. Pourquoi, dit Catulus à l'un de ces juges qu'il rencontra, pourquoi nous demandiez-vous, des gardes ? était-ce de peur qu'on ne vous volât l'argent que vous a payé Clodius? » (Lett. à Att. liv. I. lett. 16.) Voici la deuxième citation : « Les consuls sont couverts de honte. Memmius a lu au sénat une convention qu'ils ont faite et que voici : En cas que les deux consuls parviennent à faire nommer pour l'année prochaine Memmius et son compétiteur, ceux-ci s'engagent à payer à ces consuls 400,000 sesterces s'ils ne «leur fournissent trois augures qui affirmeront avoir vu faire en leur faveur la loi curiate, bien qu'on n'en ait point fait, et de plus deux consulaires qui attesteront avoir signé le décret sur l'organisation de leurs provinces, bien qu'il n'y ait pas eu de décret. » (Ibid. liv. IV. lett. 18. ) Quelle dépravation ! et en même temps quelle confusion! puisqu'on peut faire croire au peuple et au sénat qu'ils ont fait une loi et un décret qu'on n'a pas même proposés
Il avait sauvé Rome de Catilina, reçu le nom de Père de la patrie, suivi le parti de Pompée contre César ; il avait fait retentir le Forum de ses philippiques contre Antoine: aussi la vengeance ne l'épargna point. Lorsqu'après le second triumvirat le sang des proscrits coula, lorsque leurs têtes sanglantes parurent exposées sur la tribune aux harangues , là, sur cette même tribune, on reconnut la tête de Cicéron. « Une indignation que mon âme ne peut retenir me «force d'interrompre un moment ces récits. Marc-Antoine! »c'est en vain que tu as mis à prix la tête du plus éloquent, du plus illustre des hommes, et que tu as compté un funeste salaire au meurtrier du consul magnanime qui sauva la république. Tu n'as pu ravir à Cicéron que des jours inquiets, près de s'éteindre, et qui, sous ta domination, auraient; été plus misérables que ne le fut sa mort sous ton triumvirat. T'étais-tu promis d'obscurcir la gloire de ses actions et celle de ses discours ? Tu n' as fait qu'en accroître l'éclat. Son nom vit et vivra dans la mémoire des siècles.... La postérité tout entière, en admirant les écrits dont il a flétri ton nom , détestera son assassin, et le genre humain périra plutôt que le souvenir de Cicéron. » Qui n'admirerait ce beau mouvement de Velleius Paterculus ! Je n'ai pu m'empêcher de le partager (1). Les amitiés formées par l'ambition finissent toujours par des haines. La discorde ne tarda pas à paraître entre les seconds triumvirs, comme elle avait paru entre les premiers. Lépide fut abandonné en Sicile par son armée qui suivit César ; Antoine, vaincu à Actium , se donnais mort, et César-Octavien resta maître de Rome. Il ne tarda guère à y entrer aux acclamations du sénat et du peuple; c'est alors que, dans ses mains, la république expira pour toujours.
Les maximes politiques n'ont point changé. Ou les a appliquées à des nations puissantes ; et, comme elles avaient servi â soumettre l'Italie elles ont servi à conquérir le monde connu. Plus d'une fois un roi étranger, a, dans son testament, institué le peuple romain pour son héritier, et le peuple romain, après sa mort, s'est mis en possession de ses états.
(1) Vell. Paterc. liv. 2. § 66. J'ai emprunté la traduction de M. Després, ancien conseiller de l'université; il me semble difficile de mieux rendre l'original.
Citoyens. Ce titre accordé fréquemment à des particuliers et à des villes, appartient aujourd'hui aux habitants de l'Italie, en y comprenant même la Gaule cisalpine. Des rois, avec la permission du peuple, s'en décorent et le préfèrent à celui de roi. Colons. Les colonies situées dans l'Italie ont obtenu avec les alliés les droits de citoyens ; mais d'autres colonies sont fondées dans les contrées nouvellement soumises, comme l'Afrique, l'Asie , l'Espagne, les Gaules. Il s'est introduit aussi sous le nom de colonies militaires, un moyen de spoliation que les généraux emploient pour payer les troupes qui ont servi leur ambition. Ils dépouillent les villes qui ont pris parti contre eux et distribuent aux soldats une portion de leur territoire. C'est ainsi que Sylla, Jules-César et les triumvirs s'acquittèrent envers leurs armées. Nous voyons Virgile venir à Rome implorer Octave pour qu'on lui rende son petit patrimoine ; nous le voyons, dans une églogue charmante, exprimer les regrets du malheureux berger fuyant à la hâte avec son troupeau le champ héréditaire, devant le farouche centurion qui va s'en emparer.Alliés latins, alliés de l'Italie. Depuis la guerre sociale, les villes municipales du Latium et de l'Italie se gouvernent toujours de la même manière ; mais les habitants jouissent à Rome des droits de cité et se confondent chaque jour avec les Romains.Alliés étrangers. Rome, avant d'avoir des sujets, a eu des alliés étrangers. Ceux de l'Achaïe l'ont aidée à soumettre la Macédoine, le roi de Syracuse à chasser les Carthaginois de la Sicile, le roi de Numidie à détruire Carthage; mais les Achaïens, le roi de Syracuse, celui de Numidie et tous les autres alliés se trouvent sous le joug. C'est par gradation, à l'aide d'une scission, d'une guerre habilement ménagée qu'ils y sont parvenus. Leur titre d'allié a disparu ou n'est plus qu'un vain mot. Les rois se rangent en sujets sous la protection du sénat, sous celle des consuls ou des généraux. On partage, on brise, on relève leur trône à volonté. Pompée, César disposent des couronnes ; Antoine met aux pieds de Cléopâtre les royaumes de Phénicie, de Chypre, et celui de Judée qu'il avait donné peu de temps auparavant à Hérode.Sujets. Sous ce nom se classent les habitants des provinces Soumis à un tribut, pliant sous la domination romaine, livrés aux proconsuls, aux lieutenants, aux questeurs, aux publicains, leurs dépouilles enrichissent tous ceux que Rome leur envoie ; leur misère augmente chaque jour avec les déprédations. Qu'on lise Cicéron dans sa harangue pour la loi Manilia, dans son action contre Verrès, qu'on lise Jules-César, on est effrayé du tableau qu'ils présentent. Le gouvernement des provinces les plus riches s'arrache par l'intrigue et l'argent; on calcule sur ce qu'il pourra produire, la somme qu'on peut sacrifier pour acheter les suffrages.
Le peuple, le sénat, les plébéiens sont toujours les trois corps politiques. Entre ces deux derniers se placent les chevaliers dont le nombre et la fortune sont augmentés et qui luttent souvent contre les sénateurs. Mais au milieu des guerres civiles, sous le despotisme des ambitieux et sous l'oppression des armées, que sont devenus ces corps politiques et quelle a été leur influence? Ils ont suivi les variations des partis et se sont baissés devant le général qui triomphait. Ils touchent au moment où ils ne connaîtront plus qu'une chose, l'obéissance. Aussi, en parlant du pouvoir législatif, du pouvoir exécutif et du pouvoir judiciaire, si l'on dit quelles sont les lois et ce qui devrait être, on croira qu'il existe encore de l'ordre et des principes ; mais si l'on dit quels sont les faits et ce qui est, on verra que tout est renversé. Pouvoir législatif. Les comices par centuries, les assemblées par tribus, le sénat , voilà toujours les autorités législatives ; on peut y joindre certains magistrats, car leurs édits sont au moins des lois annuelles. Le changement le plus important pour les assemblées du peuple ou des plébéiens, c'est que les votes se donnent aujourd'hui au scrutin secret. On distribue à chaque citoyen deux bulletins, l'un pour l'adoption portant ces lettres U..R. (uti rogas). l'autre pour le rejet marqué d'un A. (antiquo.) Les sources de la législation sont, pour le droit écrit : les lois qui sont devenues de plus en plus rares; les plébiscites qui se sont multipliés et ont remplacé presqu'entièrement les lois ; les sénatus-consultes qui, à mesure que les pouvoirs se confondent, prennent plus fréquemment la puissance législative et finiront par remplacer à leur tour les lois et les plébiscites. Pour le droit non écrit : les édits des magistrats (1)
(1) Pourquoi place-t-on les édits des magistrats comme source du droit coutumier, puisqu'ils étaient écrits in albo, ubi de plano recte legi possit? C'est qu'à l'époque où nous sommes, l'édit lui-même n'est pas à proprement parler une loi; il n'est obligatoire que pour une année, il se rattache à l'exercice des fonctions du magistrat qui l'a publié et finit avec ces fonctions (lex annua). On ne peut donc appeler réellement lois que ces décisions des édits qui ont passé en usage et que les préteurs adoptent toujours comme obligatoires, et l'on a raison de les classer dans le droit coutumier.
dont quelques dispositions transmises d'année en année et confirmées par l'usage deviennent des lois de coutume, qui étendent le droit civil, le détournent souvent de l'austérité des premiers principes et le rapprochent de l'équité naturelle ; les réponses des prudents qui, reçues par les plaideurs, adoptées par les juges, répétées dans des cas analogues, donnent une branche du droit coutumier d'où découlent certaines solutions, certaines maximes de droit et certains modes de procédures. Nous pouvons pour offrir la récapitulation de ces sources du droit, citer ici un passage de Cicéron dont nous avons déjà donné la traduction :... ut si quis jus civile dicat id esse quod in legibus, senatus consultis, rebus judicalis , juris peritorum auctoritate, edictis magistratum, more, aequitate consistat. (Cic. Top. 5. ) Pouvoir exécutif. En principe, il repose toujours dans les mêmes mains : les élections appartiennent toujours au peuple et aux plébéiens, l'administration au sénat et à quelques magistrats, le commandement des armées aux consuls, ainsi qu'aux proconsuls ou aux propréteurs revêtus de ce commandement par une loi curiate (1) ; en fait l'argent, l'intrigue ou la force font les élections ; chaque candidat fait venir à Rome ses satellites, ses soldats, les villes entières qu'il a prises sous sa protection.
(1) Pour donner aux proconsuls ou aux propréteurs la puissance militaire et le commandement des armées, il fallait une loi rendue par les curies. C'est encore un des cas où l'on avait recours au simulacre de ces assemblées.
Des citoyens, par une association illégale, dominent tous les corps politiques et se partagent en quelque sorte l'empire ; les gouverneurs des provinces se rendent indépendants du sénat ; les généraux se maintiennent à la tête de leur armée; on voit des consulats de plusieurs années et des dictatures perpétuelles (1). Les tribuns du trésor, les triumvirs des monnaies, les triumvirs capitaux, les quatuorvirs pour les routes, les quinquevirs pour la garde de nuit, les deux édiles céréaux, les gouverneurs, les lieutenants et les questeurs des provinces sont de nouvelles magistratures. Pouvoir judiciaire. Les préteurs aujourd'hui au nombre de seize, les centumvirs, les décemvirs, les récupérateurs sont les magistrats qui concourent au pouvoir judiciaire; les édiles ont aussi un tribunal et une jurisdiction. Affaires criminelles. L'établissement des questions perpétuelles a enlevé au peuple une grande partie de ses pouvoirs ; néanmoins aucun citoyen ne peut être traduit devant ces tribunaux permanents, si ce n'est en vertu d'une loi, d'un plébiscite, ou d'un sénatus-consulte approuvé par les tribuns. Ces actes permettent et règlent la mise en accusation. On procède ensuite à la désignation des juges. C'est, en règle générale, l'accusateur qui les choisit sur le tableau. Il en prend un nombre double de celui qui est nécessaire pour former la question, et l'accusé doit en récuser la moitié.
(1) On resta près d'un siècle, jusqu'à Sylla, sans nommer de dictateur. Le sénat, dans les dangers pressants, donnait aux consuls un pouvoir plus énergique en déclarant la patrie en danger, et prononçant cette formule: videant consules, ne quid detrimenti res publica capiat.
Dans certains cas cependant, les juges sont tirés au sort : l'accusateur et l'accusé ont chacun le droit de récuser ceux qu'ils ne veulent point admettre. (Cic. , Lett. à Attic.,liv. I, lett. 16, §3, 4, 5.) Le droit de fournir les juges, disputé entre les sénateurs et les chevaliers, est tantôt aux premiers, tantôt aux seconds, quelquefois partagé : c'est ce qui a lieu au moment où nous sommes parvenus (1). Affaires civiles. Quoique les actions de la loi soient presqu'entièrement supprimées, la division du jugement en deux parties, le point de droit et le point de fait, existe toujours. Les préteurs, les arbitres, les récupérateurs ont toujours les mêmes fonctions judiciaires. A ces magistrats se sont ajoutés les décemvirs (2) et les centumvirs, dont nous ne connaissons ni l'organisation, ni la compétence précises. Dans les provinces, le proconsul, le propréteur, leurs lieutenants et les récupérateurs qu'ils choisissent, rendent la justice criminelle et civile.
(1) Il est à remarquer que lorsqu'un citoyen se voyait accusé d'un crime capital, il pouvait s'exiler volontairement: on ne le jugeait point alors par contumace, mais ses biens seulement étaient confisqués , et il échappait à la peine de mort.
(2) Voici ce que dit Pomponius de ces décemvirs : deinde cum esset necessarius magistratus, qui hastae praesset, decemviri in litibus judicandis sont constituti (H. J. § 39.) Quels étaient ces décemvirs? Que signifient ces expressions qui hastae proeesset ? Entre autres suppositions on a fait celle-ci : que le collège des centumvirs était partagé en plusieurs sections, que chacune de ces sections portait le nom de hasta, et que les décemvirs étaient chargés de présider ces sections. Mais n'est-il pas étonnant que Pomponius parle de ces décemvirs et ne dise rien des centumvirs ?
Quelquefois cependant, le gouverneur laisse à certaines villes, surtout dans les affaires civiles, leurs juges particuliers. Revenus publics, dépenses publiques. Jusqu'au roi Servius Tullius, l'impôt avait été égal pour chaque citoyen : il consistait dans une capitation. Après la division des classes, il fut remplacé par un impôt territorial, on y avait ajouté lors de l'établissement de la solde une nouvelle capitation. Enfin lorsque Rome victorieuse engloutit l'or des nations vaincues, les impôts devaient disparaître. C'est en 586, après la conquête de la Macédoine, que les citoyens furent affranchis de toute contribution. Depuis ce moment, quels ont été et quels sont encore aujourd'hui les revenus publics? Les terres publiques affermées au profit du trésor, le butin fait sur les ennemis, les tributs des provinces apportant à Rome l'or et les denrées de toutes les nations , les bénéfices sur la vente du sel qui se fait exclusivement au profit de l'état, certains droits d'entrée perçus dans les ports, le droit d'un vingtième sur les ventes et sur les affranchissements des esclaves, voilà pour les revenus. Voici pour les dépenses : l'entretien des troupes, leur solde, les guerres lointaines, les constructions et l'embellissement des monuments publics, les routes, les aqueducs, et surtout les distributions de grains qu'on fait gratuitement à certaines classes. A voir ainsi les citoyens sur la place publique, tendre la main pour recevoir une nourriture gratuite et de là courir aux cirques applaudir aux jeux gratuits qu'on leur donne, on conçoit déjà combien il est juste de dire que les Romains avilis ne demandaient plus à leurs chefs que du pain et des jeux. Les magistratures ne sont point encore salariées ; mais les proconsuls, les propréteurs, leurs lieutenants ont su trouver dans leurs places un moyen de s'enrichir, si ce n'est aux dépens de l'état, du moins aux dépens des provinces.
Le droit sacré a perdu une grande partie de son influence sur le droit civil. Il s'unit toujours à l'administration de l'état; les augures n'ont pas cessé de consulter les auspices; leur collége est, depuis Sylla, composé de quinze membres. On voit Cicéron se mettre au rang des candidats et aspirer à en faire partie. Ce sont aujourd'hui les comices qui nomment à ce collège, comme aussi à celui des pontifes. Avec les conquêtes de Rome, ses dieux se sont multipliés. Elle renferme ceux de tous les peuples qu'elle a vaincus. Une ville est-elle détruite, le général romain conjure ses divinités tutélaires de l'abandonner, de venir à Rome; on lui donne des autels et un culte. Scipion ne manqua pas d'adresser cette prière aux dieux de Carthage, et l'on nous a conservé la formule qui probablement était consacrée : « S'il est un dieu , une déesse qui protège les Carthaginois et leur cité, et toi dieu grand ! qui a pris sous ta tutelle cette ville et son peuple, je vous prie, je vous conjure, je vous supplie d'abandonner et le peuple et la cité, de quitter leurs demeures, leurs temples, leurs choses sacrées, leur ville; de vous re tirer d'eux , de jeter parmi eux l'épouvante, la terreur, l'oubli; venez à Rome vers moi et les miens; choisissez nos demeures, nos temples, nos choses sacrées, notre ville; présidez au peuple romain, à mes soldats, et à moi; donnez-nous le savoir et l'intelligence. Si vous cédez à mes prières, je fais voeu de vous offrir des temples et des jeux » (Macrob. Saturn., 3, 9.).
Les lois civiles suivent la fortune , le territoire, les moeurs ; il est impossible que Rome vaste, riche et polie, ait les mêmes loi s que Rome petite, pauvre et grossière. Le droit civil de la république avec son énergie, ses règles impératives et dures, cède à des principes plus naturels, plus civilisés; le changement des idées, le mélange des Romains avec les autres peuples apportent des règles moins singulières et plus générales ; mais ici paraît un contraste que nous remarquerons toujours davantage. Tandis que les édits des préteurs, les réponses des prudents, les ouvrages des jurisconsultes se dirigent sans cesse vers l'équité, les liens et les usages naturels, le droit primitif fondé sur le mépris de cette équité, de ces liens et de ces usages est toujours proclamé ; on le pose comme une base fondamentale de la science, et l'on voit apparaître ses principes les plus rigoureux et les plus extraordinaires, au milieu des mots, des distinctions et des suppositions qui servent à l'éluder, sSur les personnes. La puissance sur les esclaves est la même, quoique leur nombre et leur position de fait soient bien changées; la puissance paternelle s'est affaiblie de beaucoup ; la puissance maritale a presqu'entièrement disparu. Des trois modes de l'acquérir, la coemption est rarement employée ; la confarréation ne se pratique plus qu'entre les pontifes, et l'usage (usus) paraît être tombé en désuétude; les droits sur l'homme libre, acheté ou abandonné en propriété, n'ont presque plus lieu que fictivement, et dans les cas où ils existent encore, ils sont bien modérés ; la parenté de sang (cognatio) commence aux yeux du préteur à produire quelque lien et quelques effets ; la tutelle perpétuelle des femmes est presque abolie; le tuteur n'intervient que dans les actes les plus importants, pour la forme et sans pouvoir refuser son autorisation, à moins toutefois que ce tuteur ne soit un des agnats ; mais les femmes ont le moyen par une vente fictive (1) d'échapper à la tutelle de ces derniers. Sur les choses. Elles peuvent être ou dans la propriété d'un citoyen ( in dominio), ou dans les biens (in bonis) ; le dominium est la propriété romaine; l'autre rapport nouvellement introduit et pour lequel un terme exact nous manque, est une sorte de propriété naturelle (les commentateurs la nomment dominium bonitarimn). Il est des choses pour lesquelles la simple tradition peut déjà faire acquérir la propriété romaine sans les formalités de la mancipation : elles se nomment nec mancipi res, choses, qui n'ont pas besoin de mancipation ; il en est d'autres sur lesquelles la tradition seule ne donne que le droit imparfait dont nous venons de parler ( elle les met in bonis) : on les appele mancipi ou mancipii res, choses de mancipation. Parmi ces dernières se rangent les choses les plus précieuses, par exemple les terres situées en Italie, les bêtes de somme ou de trait, les esclaves, les personnes libres.
(1) Les femmes par une vente simulée (coemptio) feignaient de passer sous la puissance (in manu) de l'acquéreur. Et comme alors elles sortaient de leur famille ainsi que nous l'avons dit en parlant de la femme, les agnats perdaient leurs droits, et leur tutelle cessait. Voilà un des cas où l'on employait des institutions de l'ancien droit, pour éluder ce même droit.
Sur les testaments. Les prudents et l'usage ont diminué le droit absolu du père de famille. S'il veut déshériter ses enfants, il doit en déclarer formellement la volonté, sinon son testament sera nul ; il doit avoir aussi un juste motif, sinon son testament pourra être attaqué devant les centumvirs comme contraire aux devoirs de la nature, et sous le prétexté fictif que le testateur était en démence (1). Sur les successions. Le lien civil (agnatio) n'est plus le seul qui donne des droits de succession. Le préteur chargé pour faire exécuter la loi de livrer à l'héritier la possession des biens du défunt, a imaginé de faire de cette possession une espèce d'hérédité prétorienne qu'il donne souvent à des personnes auxquelles le droit civil refuse l'hérédité (2). C'est ainsi qu'il accorde la possession de biens à l'enfant émancipé, quelquefois à l'enfant donné en adoption, quoiqu'ils ne soient plus dans la famille : c'est ainsi que, lorsqu'il n'y a ni héritier sien, ni agnat, au lieu de donner la possession de biens au fisc, il la livre au plus proche cognat. Sur les contrats. Le nombre des conventions obligatoires est augmenté.
(1) Hoc colore quasi non sanée mentis fuerint, cum testamentum ordinarent, disent les institutes l. II. t. 18. pr. Voilà un cas où pour justifier une nouvelle cause de nullité qui n'était pas fournie par le droit ancien, on la rattache, on l'assimile en quelque sorte à une autre cause de nullité déjà existante.
(2) Voilà un cas où à l'aide d'un mot on change le droit ancien en paraissant le respecter. On ne donne pas à l'enfant l'hérédité, le titre d'héritier, parce que le droit civil les lui refuse ; mais on lui donne la possession de biens (bonorum possessio), le titre de possesseur de biens, ce qui revient au même sous d'autres mots.
Aux contrats formés par les paroles solennelles de la stipulation, il faut joindre ceux qui se contractent par certains écrits (litteris). Des personnes même n'attribuent qu'à cette époque les contrats existant par le seul consentement. Le préteur a de plus reconnu comme obligatoires quelques-unes de ces conventions qui d'après le droit civil ne produisaient aucun lien quand on ne les avait pas accompagnées de stipulations. Ces conventions non obligatoires se nommaient pactes, et quoique quelques-unes d'entre elles obligent aujourd'hui, elles conservent encore ce nom. Sur les actions. Les actions de la loi sont abolies par la loi Aebutia ; ainsi l'on n'exige plus pour procéder en justice les actes solennels et symboliques qui existaient autrefois. Toutes les solennités ne consistent plus maintenant que dans les formules sacramentelles qui sont employées. Cependant les actions de la loi sont conservées encore dans deux cas parmi lesquels se range celui où l'on agit devant les centumvirs. Dans bien des circonstances où le droit civil ne donne point d'action quoique l'équité ou l'utilité sociale paraissent l'exiger, le préteur en donne que l'on nomme actions prétoriennes (honorariae actiones), et à l'inverse, dans des cas où le droit strict donne des actions contraires à l'équité, le préteur accorde pour les repousser des moyens que l'on nomme exceptions (1).
(1) Voilà encore un moyen ingénieux de corriger le droit ancien.
Une action est-elle contraire à l'équité naturelle, le préteur ne déclare
pas qu'il l'abolit, qu'elle n'aura plus lieu. Le droit civil la donne,
il ne se permettrait pas de la détruire ; mais il promet de n'y avoir aucun égard, de la considérer comme non avenue lorsqu'on l'intentera
devant lui, et pour cela il crée ce qu'on nomme une exception,
qui sera un moyen de défense contre l'attaque (l'action).
C'est ici que l'on marqué ordinairement le point où le droit romain commence à fleurir : c'est ici que nous signalerons sa décadence. En effet, à l'aperçu rapide que nous venons d'exposer, il est facile de conclure que le droit simple et rude d'autrefois disparaît en réalité, quoiqu'on ne cesse de l'invoquer en principe. Chaque jour la civilisation , le changement des moeurs apportent une nouvelle modification. Le droit commence à devenir une science, cela est vrai; cette science commence à se rattacher à l'équité et aux lois naturelles, cela est encore vrai; mais elle porte en elle un grand vice, elle est formée de deux éléments contraires : les principes anciens qui lui servent de fondement, les décisions et les institutions nouvelles auxquelles on veut arriver; de là ce droit civil en opposition avec le droit prétorien et les réponses des jurisconsultes ; de là ces subterfuges ingénieux et subtils que l'on emploie pour tout concilier. Il faut avouer cependant qu'une fois les deux éléments contradictoires admis, il est impossible d'avoir, pour les faire accorder, plus d'esprit, plus de jugement, plus de méthode que les prudents et les préteurs. En résumé, parle-t-on en jurisconsulte, abstraction faite de l'histoire romaine, et ne juge-t-on le droit qu'en lui-même , par rapport à la nature commune des hommes ? il est juste de dire qu'il s'améliore et qu'ici se développe cette vaste science destinée à régler un jour toutes les nations ; parle-t-on en historien, jugeant les lois pour le peuple qui se les donne, par rapport au caractère particulier de ce peuple et de ses institutions ? il faut dire que la république et ces lois fortes qui ont fait sa prospérité se sont évanouies.
Quand les institutions politiques et les lois civiles ne sont plus, les moeurs, qui les produisent, doivent être bien changées ; mais est - il nécessaire ici de peindre les nouvelles moeurs? Ne se lisent elles pas assez dans le récit des événements ? Cependant deux usages méritent quelques réflexions particulières (1).
(1) Peut-être n'est-il pas inutile de donner une idée de la manière
dont les Romains désignaient les individus. 1.° Le prénom (praenomen) servait à distinguer les divers membres de la même famille ; la
langue romaine n'en comptait pas un grand nombre, aussi ne les écrivait-on ordinairement que par la lettre initiale. Le fils aîné prenait
celui du père ; les filles en général n'en portaient point : elles se distinguaient
dans la famille par les épithètes de major, minor, prima,
secunda, tertia , etc. 2.° Le nom (nomen) appartenait à toute la race, il
était toujours énoncé le second; les filles le portaient au féminin; 5.° Le
surnom (cognomen) était une espèce de sobriquet donné à l'occasion
de quelque haut fait, de quelque plaisanterie, de quelque beauté,
de quelque difformité. Quelquefois le cognomen restait à la famille entière
de celui qui l'avait porté le premier, et alors outre ce surnom
général les divers membres pouvaient avoir un second surnom qui
leur était personnel; ce second surnom est nommé par quelques auteurs agnomen. Dans la désignation du grand pontife Ap. Claudius
Caecus, nous trouvons le prénom Appius, le nom Claudius et le surnom Caecus. Dans la famille des Scipions nous pouvons citer P. Cornelius
Scipio Africanus, L. Cornelius Scipio Asiaticus ; Publius et
Les consulaires, les premiers magistrats de la république viennent devant les juges
plaider les affaires des citoyens; c'est que leurs discours se
prononcent au Forum , devant tout le peuple ; c'est là un
moyen de se mettre en évidence, surtout dans les causes
civiles ou criminelles qui se rattachent à la politique.
L'autre usage n'appartient pas au droit; il n'en est pas
moins remarquable ; c'est la facilité étonnante avec laquelle
les Romains de ces derniers temps se donnent la
mort: un parti est-il défait, le général, les lieutenants,
les chefs se percent de leur épée, ou demandent ce service
à un ami; ainsi meurent Scipion, Caton, Cassius, Brutus,
Antoine, pour ne citer que les noms les plus illustres.
Montesquieu avec son style rapide indique plusieurs causes
à cette coutume; il me semble qu'il en est une décisive,
et la voici : lorsque les consuls combattaient pour la république
étaient-ils vaincus, la république vivait toujours,
Lucius sont les prénoms des deux frères, Cornelius le nom de la race,
Scipio le surnom général de la famille, Africanus et Asiaticus le surnom
particulier de chacun des frères.
Les adoptés prenaient le nom de l'adoptant, et conservaient celui
de leur ancienne famille, transformé en ajectif; c'est ainsi que
César-Auguste se nommait Octavianus Octavien, parce que, fils de C.
Octavius, il avait été adopté par le testament de J. César.
Les femmes mariées ajoutaient au nom de leur famille celui de
leur époux, mis au génitif, comme indice de leur dépendance. Calpurnia
Antistii, Calpurnia, femme d'Anstitius, celle qui avala des
charbons ardents lorsque son mari eut été victime du parti de Marius.
Les esclaves n'avaient jamais qu'un nom: Stichus, Geta, Davus;
une fois affranchis, ils y joignaient le prénom et le nom de leur patron.
C'est ainsi que Térence, dont nous ne connaissons pas le nom
d'esclavage, prit après son affranchissement celui de son maître P.
Terentius, qu'il a fait passer à la postérité. ils continuaient à vivre avec elle ; mais lorsque les chefs
ne se battent que pour un parti, après une défaite entière
que leur reste-t-il? Le parti est anéanti; ils doivent disparaître
avec lui : que feraient-ils avec le vainqueur? Qu'on
remarque que cet usage est venu à la suite des guerres
civiles et des proscriptions : ce sont des condamnés à mort
qui se tuent pour échapper au supplice (1) ; la nécessité
a fait du suicide un point d'honneur.
(1) Ils ne pourraient fuir nulle part, puisque le vainqueur va commander au monde connu : s'ils cherchaient un asile ils subiraient le sort de Pompée et de son fils Sextus.
§ I. Jusqu'à Constantin.
(An 725) CÉSAR-AUGUSTE Caesar-Octavianus, Augustus
cognomine. Après la bataille d'Actium et les triomphes qui la
suivirent César-Octavien ne proclama point que la république
était renversée, qu'un nouveau mode de gouvernement
allait s'élever, qu'un seul commanderait à l'État ; ce n'est
que lentement et par gradation qu'il parvint au but. «Sylla, homme emporté, dit Montesquieu, mène violemment les Romains à la liberté; Auguste, rusé tyran, les conduit doucement à la servitude. » Il gagne ses soldats par
des largesses, ses ennemis par la clémence, les Romains
par l'abondance et les jeux. Le tumulte et les maux des
guerres civiles ont cessé, la tranquillité renaît, avec elle
tous les beaux-arts ; c'est au milieu d'un cortège de rhéteurs,
de poètes et d'historiens que chaque jour croît et
s'affermit la puissance d'un seul. Le sénat et le peuple semblent
eux-mêmes serrer leurs fers d'année en année : le sénat donne à Octavien le titre d'imperator à perpétuité ( 1) ;
il confirme tous ses actes et leur jure obéissance (725).
Deux ans après le sénat décore Octavien du titre de Père
de la patrie (P. P.), de celui d'Auguste, réservé aux choses
saintes; il lui remet pour dix ans le pouvoir suprême; il
lui abandonne les plus belles provinces de l'empire comme
lui appartenant (provinciae Caesaris), quelques-unes seulement
restent au peuple (provinciae populi) (727). Quatre
ans après le peuple donne à Auguste la puissance tribunitienne
à perpétuité, à perpétuité la puissance proconsulaire
(731); quatre ans après, à perpétuité, la puissance
consulaire (735). Deux ans après le sénat renouvelle pour
dix ans le pouvoir absolu d'Auguste (737). Enfin, deux
ans encore, et le peuple donne à Auguste le titre de souverain-
pontife : comme faisaient les rois il présidera au
culte des dieux (740). C'est ainsi que sans paraître détruire
les magistratures de la république Auguste les amortit en
les cumulant sur sa tête, et de leur réunion compose le
pouvoir absolu.
Cependant il y eut encore des consuls (2), des proconsuls,
des préteurs, des tribuns; on les donnait pour collègues
au prince, dont ils étaient les premiers sujets.
(1) C'est un ancien titre d'honneur que les acclamations des soldats donnaient au général dans la joie et les transports qui suivent la victoire : plusieurs pouvaient le porter à la fois; il ne conférait aucune autorité particulière (Tac, Ann. 3. § 74.). Il finit par désigner le chef suprême de l'Etat.
(2) Comme les consuls se trouvaient dans le fait dépouillés de la direction générale de l'Etat, que l'empereur avait prise, on leur rendit une partie de la juridiction qu'ils avaient autrefois, et ils partagèrent avec le préteur quelques fonctions de la justice criminelle.
L'empereur s'associait à leur élection en désignant des candidats
sûrs d'être nommés. Auguste ne manqua pas de porter
ces dignités dans sa famille, sur ses neveux, ses beaux fils,
ses petits-fils à peine sortis de l'enfance. Mais pour
compléter le nouveau système qui s'élevait il fallait une
organisation dépendante du prince, de nouveaux dignitaires
nommés par lui, attachés à sa fortune ; aussi voyons nous
commencer sous Auguste plusieurs charges nouvelles,
qui recevront sous ses successeurs plus ou moins de développement
: les lieutenants , les procureurs de l'empereur,
le, préfet de la ville, les préfets du prétoire, les questeurs
candidats de l'empereur, le préfet des approvisionnements,
le préfet des gardes de nuit.
LIEUTENANTS DE L'EMPEREUR (Legati Caesaris). Les provinces, nous l'avons dit, étaient partagées entre le peuple et l'empereur : une partie, considérée comme appartenant plus spécialement au peuple (provinciae populi), était gouvernée comme autrefois par les consuls et les préteurs sortant de charge; leur impôt, versé dans le trésor public, se nommait stipendium. Les autres étaient comme la propriété de César (provinciae Caesaris); leur impôt se nommait tributum (Gaj. Comm. 2. § 21) ; elles étaient administrées par des officiers envoyés par le prince (legati Caesaris). Il existait quelques différences, mais fort légères, dans les privilèges et les pouvoirs des proconsuls et des lieutenants de l'empereur : on désigne l'un et l'autre de ces magistrats sous la dénomination générale de président de la province (Praeses provinciae) (1). (V. au Dig. liv. 1. t. 16. 18.)
(1) Le gouvernement de l'Egypte était considéré comme au-dessus de celui de toutes les autres provinces impériales; le lieutenant y
avait un titre particulier, Praefectus augustalis. On envoyait aussi,
dans cette province un magistrat chargé de rendre la justice de concert
avec le président; il portait le nom de
Juridicus per Aegyptm,
Juridicus Alexandriae. (Dig. l. 1, t. 17. 20.)
PROCUREURS DE L'EMPEREUR (Procuratores Caesaris).
Comme les provinces,
le trésor s'était divisé en deux parts,
l'une pour le public (aerarium), l'autre pour le prince (fiscus). Auguste, pour veiller à ses intérêts et administrer
les biens qui composaient son domaine particulier, plaça
dans les provinces une espèce d'intendants, de fondés,
de pouvoirs, remplissant à peu près les fonctions de
questeurs ; ces derniers n'étaient point envoyés dans les
provinces impériales. On ne devrait pas compter au rang
des magistrats ces procureurs, qui n'étaient pour ainsi
dire que les agents d'affaire de César, aussi n'étaient-ils
choisis dans le principe que parmi les affranchis; mais,
dans un pays où le prince est tout, ses agents d'affaires
sont beaucoup, et les procureurs de l'empereur acquirent
par la suite une importance administrative, reçurent le
droit de juger toutes les affaires relatives au fisc, et remplacèrent même quelquefois les présidents de la province.
(V. au Digest. liv. 1. t. 19.)
PRÉFET DE LA VILLE (Praefectus urbi). Le préfet de la ville était autrefois le magistrat qui restait à Rome pour gouverner et rendre la justice lorsque les consuls s'éloignaient à la tête des armées ; Auguste en fit une autorité permanente et locale. Le préfet de la ville devait, de concert avec les consuls, juger extraordinairement certains criminels ; il avait aussi quelques-unes des fonctions attribuées jadis aux édiles curules. Son autorité s'accrut avec celle de l'empereur; nous le verrons enfin, chargé de presque toute la jurisdiction criminelle, s'élever au-dessus des préteurs. Il n'y avait du reste de préfet qu'à Rome, et ses pouvoirs, renfermés dans des limites étroites, ne s'étendaient point au-delà d'un rayon de cent milles autour de la ville. (Digest. liv. 1. t. 12.)
PRÉFETS DU PRÉTOIRE (Praefecti praetorio). Auguste se forma
un corps de troupes nommées gardes prétoriennes, soldats
dévoués entièrement au pouvoir. Il mit à leur tête
deux chevaliers, nommés Préfets du prétoire par imitation,
dit un fragment au Digeste, des anciens dictateurs,
qui se nommaient un maître de la cavalerie. Le nombre
de ces préfets fut tantôt augmenté, tantôt diminué: ils
avaient d'abord une autorité toute militaire; ils y joignirent
sous les empereurs suivants une autorité civile, et
finirent par ne plus garder que cette dernière. Ce sont ces
préfets du prétoire dont les fonctions prirent tant d'éclat
sous les jurisconsultes illustres qui en furent revêtus. (Dig
liv, 1. t. 11.)
QUESTEURS CANDIDATS DE L'EMPEREUR (Quaestores candidati principis). Différant des questeurs chargés de l'administration du trésor, soit à Rome, soit dans les provinces, ceux-ci furent créés par Auguste pour lire dans le sénat les écrits qu'il adressait à ce corps, et tous les actes qu'il jugeait à propos de lui communiquer. (Digest. liv. 1. t. 15. )
PRÉFET DES APPROVISIONNEMENTS (Praefectus annonum).
Le nom de ce magistrat suffit pour nous indiquer quelles
étaient ses fonctions : il était placé sous l'autorité du préfet
de la ville.
PRÉFET DES GARDE DE NUIT (Praefectus vigilum). Pour veiller pendant la nuit à la tranquillité publique, on avait autrefois cinq magistrats (quinque viri), dont nous avons déjà parlé. Auguste consacra à ce service sept cohortes commandées chacune par leur tribun, et distribuées dans la ville de manière que chacune eut deux quartiers à surveiller, ce qui nous prouve que Rome était divisée en quatorze quartiers. Pour diriger toutes ces cohortes il fut créé un magistrat spécial (praefectus vigilum), qui devait faire faire des rondes nocturnes, ordonner aux locataires toutes les précautions propres à préserver du feu , punir les contraventions; on ajouta même à sa juridiction la connaissance de quelques délits qui se rattachent à la sûreté publique, les vols avec effraction, les vols commis dans les bains. Cependant toutes les fois que le crime entraînait une peine trop forte le préfet des gardes de nuit n'était plus compétent, et devait renvoyer au préfet de la ville. (Dig. liv. 1. t. 15.) Toutes ces magistratures impériales en s'étendant étouffèrent par la suite les magistratures républicaines : plusieurs de ces dernières disparurent en entier; quelques unes ne restèrent que de nom, fort peu, comme celle des préteurs, conservèrent une partie de leur importance, et le pouvoir absolu s'éleva entouré d'institutions nouvelles qui lui devaient naissance et servaient à le soutenir. Ce changement remarquable dans l'administration on le voit aussi dans la législation ; sous l'influence des volontés impériales non-seulement les sénatus - consultes prirent plus d'extension, et réglèrent plus fréquemment des points de droit civil, mais le prince de son côté commença à publier ses volontés, et à leur donner force de loi sous le nom de constitutions.
CONSTITUTIONS DES EMPEREURS (Constitutiones principum).
C'est ici la dernière et plus tard l'unique source du droit.
Le nom générique de constitution embrasse tous les actes
émanés du prince; mais il faut les diviser en trois classes
distinctes; 1°. les ordonnances générales promulguées
spontanément par l'empereur (edicta, édits); 2.° les jugements
rendus par lui dans les causes qu'il évoquait à
son tribunal (decreta, décrets) ; 5.° les actes adressés par
lui à diverses personnes comme à ses lieutenants dans les
provinces, aux magistrats inférieurs des cités, aux préteurs
ou proconsuls qui l'interrogeaient sur un point douteux
de jurisprudence, à des particuliers qui l'imploraient
dans une circonstance quelconque (mandata, epistoloe,
rescripta, mandats, épîtres, rescripts). De ces constitutions
les unes étaient générales, et s'appliquaient à tout le
monde, d'autres particulières et destinées seulement aux
cas et aux personnes pour lesquelles elles étaient rendues.
Mais ici s'élèvent deux questions controversées : à quelle
époque et de quel droit les constitutions impériales ont-elles
commencé?
A quelle époque? Sous Adrien seulement, disent plusieurs
auteurs; et leur opinion se fonde sur ce que jusque
là le droit nous paraît réglé en entier par des plébiscites
et sénatus-consultes. La plus ancienne constitution
que nous rencontrions dans le recueil que Justinien
nous en a laissé est en effet de l'empereur Adrien; mais
est-ce là une raison suffisante quand tout nous prouve
que l'origine des constitutions doit remonter plus haut?
Auguste avait des lieutenants dans les provinces impériales
soumises entièrement à lui et indépendantes du sénat;
ne devait-il pas nécessairement envoyer à ces lieutenants
des instructions? Qu'on lise l'histoire; on se convaincra qu'il le faisait fréquemment: il y avait donc
des
mandats. Bien souvent des particuliers s'adressaient à
Auguste ; ils imploraient sa protection, des faveurs :
ne
fallait-il pas leur répondre? Il y avait donc des rescripts.
Rien avant Adrien l'empereur a jugé des affaires importantes
qu'il enlevait aux tribunaux ordinaires; l'histoire
nous en offre plus d'un exemple : Tacite nous peint le sénat
lui-même après le meurtre de Germanicus, priant Tibère
de connaître et de juger lui seul cette affaire. Il y
avait donc des décrets. Enfin ne trouvons-nous pas des citations
indirectes de constitutions qui introduisaient de
nouvelles dispositions dans le droit, et ne pouvaient être
pour la plupart que des édits? (1)
(1) Jules-César accorde le premier aux militaires le droit de faire leur testament sans formalité. « Militibus liberam testamenti factionem. primus quidem divus Julius Caesar concessit. Sed ea concessio temporalis erat. » (Dig. 1. 29. t. 1. loi 1. princ. f. Ulp.) Auguste, Nerva, Trajan accordent aux militaires le droit de tester sur leur pécule castrant. « ... Quod quidem jus in primis tantum militantibus datum est, tam auctoritate divi Augusti, quant Nervae nec non optimi imperatoris Trajani: postea vero subscriptione divi Hadriani etiam dimissis à militia, id est veteranis concessum est. » ( Inst. I. 2. t. 12. p.) Auguste ordonne le premier qu'on exécute les fidéicommis. « Postea primus divus Augustus semel iterumque gratia personarum motus vel quia per ipsius salutem rogatus quis diceretur, aut ob insignem quorumdam perfidiam, jussit consulibus auctoritatem suam interponere. (Inst. l. 2. t. 23. § 1.) C'était ici des mandats ou des rescripts. Tibère décide un point de droit en discussion dans une affaire concernant un de ses esclaves. Les Institutes, après avoir exposé le point de droit et la décision, ajoutent : « Idque Tiberius Caesar in persona Parthenii servi sui constitua. » (Inst. l. 2. t. 15. § 4.) Cette constitution était au moins un décret.
L'erreur n'a donc pu venir que de ce que plusieurs innovations importantes apportées au droit civil nous paraissent consacrées par des plébiscites ou des sénatus-consultes, Auguste et ses premiers successeurs ayant eu le soin de consulter quelquefois le peuple ou le sénat, et de revêtir leurs volontés des formes usitées dans la république. De quel droit? Du droit du plus fort, si ces deux mots peuvent s'allier. Un seul homme s'est élevé, plaçant sous lui les magistrats et le peuple, mettant sa volonté au-dessus de la volonté générale : n'est-ce point avoir pris le pouvoir de rendre des constitutions? Mais ce qu'avait fait la force, la législation l'a-t-elle légitimé? Ceci nous conduit à examiner une loi qui a donné matière à bien des doutes ; la loi Regia.
LOI REGIA (Lex Regia). D'après les ïnstitutes le droit
qu'a l'empereur de donner à sa volonté force obligatoire
est incontestable, parce que le peuple par la loi Regia lui
a cédé tous ses pouvoirs, assertion qui se trouvé répétée au Digeste dans un fragment d'Ulpien ; cependant aucun
historien ne nous révèle l'existence de cette loi Regia,
et dès lors d'un côté on a accusé Tribonien de l'avoir supposée
en falsifiant le passage d'Ulpien; de l'autre on l'a
défendu. Enfin la découverte du manuscrit de Gaïus levant
les doutes sur l'existence d'une loi en a laissé sur sa
nature et ses dispositions; est-ce une loi unique rendue
définitivement pour régler les pouvoirs des empereurs ?
ou bien cette loi était-elle répétée à chaque avènement à
l'empire? Tout me semble prouver qu'il s'agit ici seulement
de la loi faite par le peuple ou le sénat après le choix
d'un empereur, pour le constituer dans ses pouvoirs; et les
divers passages que l'on cite ne me paraissent avoir d'autre sens que celui-ci: Comme c'est par
une loi que le peuple
donne l'empire et cède ses pouvoirs à l'empereur, celui-ci incontestablement a le droit de rendre des constitutions (1).
(1) Je ne sais si je me trompe dans cette question qui me paraît résolue
par le manuscrit de Gaïus et un passage de Cicéron, mais voici
les textes et mes raisonnements; on en jugera. Sed et quod pvincipi placuit, legis habet vigorem; cum lege Regia,
quae de ejus imperio lata est, populus ei et in cum omne imperium, suum et potestatem concedat. (D'autres mettent concessit). (Inst. liv.
I. t. 6.)
Quod principi placuit legis habet vigorem , utpote cum lege Regia,
quae de imperio ejus lata est, populus ei et in eum omne suum imperium
et potestatem conferat. (D. 1. 4. loi 1. f. Ulp.)
Constitutio principis est quod imperator decreto, vel edicto, vel epistola
constituit, nec unquam dubitatum est quin id legis vicem obtineat,
cum ipse imperator per legem imperium accipiat. (Gaïus. Comm. 1.
§ 5.)
Le passage de Gaïus est clair, et littéralement on ne peut le traduire
qu'ainsi : «Personne n'a jamais douté que ces constitutions fassent loi, puisque c'est par une loi que le prince lui-même reçoit l'empire. ».
Le sens des Institutes et du fragment d 'Ulpien est plus obscur. Ces
mots, quae de ejus imperio lata est, signifient-ils : « la loi Regia qui a été rendue pour régler les pouvoirs des empereurs»; ou bien : «la loi Regia
qui a été rendue pour constituer l'empereur dans ses pouvoirs ?»Dans
le premier sens on ne dirait pas ce que dit Gaïus; dans le second, on
serait entièrement d'accord. Toute la question gît donc en entier dans
l'appréciation exacte de ces mots de imperio ejus. Un trait de lumière
me paraît jaillir à cet égard des fragments de la République de Cicéron, découverts par; M. Mai, la citation est longue, mais elle est trop
importante pour me point la faire; Cicéron parle de la manière dont
les différents rois de Rome furent portés sur le trône : ..... Numam Pompilium....regem... patribus auctoribus , sibi ipse
populus adscivit, qui ut huc venit quamquam populus cariatis eum comitiis regem esse jusserat, tamen ipse de suo imperio curiatam legem
tulit. (Cic. R. P. l. 2. § 13.)
Mortuo rege Pompilio, Tullum Hostilium populus regem, interregerogante, comitiis curiatis creavit : isque de imperio suo, exemplo Pompilii,
populum consuluit curiatim. (Ib. § 17.)
Post eum Numae Pompilii nepos ex filia, rex a populo est Ancus
Martius constitutus : idemque de imperio suo legem curiatam tulit.
(§ 18.)Mortuo Martio, cunctis populi suffragiis rex est creatus L. Tarquinius...isque ut de suo imperio legem tulît , etc. ( § 20. )
Post eum Servius Sulpicius primus injussu populi regnavisse traditar....
sed Tarquinio sepulto, populum de se ipse consuluit, jussusque
regnare legem de imperio suo curiatam tulit. (§ 21.)
Ne voyons-nous pas ici identiquement les expressions des Institutes?
Cette loi Regia dont parle Ulpien quae de ejus imperio lata est,
n'est-elle pas pour les empereurs ce qu'était pour chaque roi la loi
dont parle Cicéron de imperio suo legem tulit? D'où pourrait même
venir cette dénomination qu'Ulpien donne à la loi, lex Regia ? L'aurait-on inventée à une époque où les Romains, tombés sous le pouvoir
absolu, avaient encore en horreur le nom de roi? ne faut-il pas
la faire remonter aux premiers rois, et voir dans le jurisconsulte
une expression ancienne dont il se sert? Chaque roi était appelé par le choix du peuple; après avoir accepté il se faisait constituer dans
ses pouvoirs (legem de imperio suo ferebat) (v. p 12.). Chaque empereur
était désigné ou par son prédécesseur ou par les acclamations
de l'armée ; une loi ( alors sénatus-consulte ) le confirmait dans
l'empire (Lex Regia de imperio ejus ferebatur). On concevrait le
silence des historiens sur cette loi, toute de forme et toujours prête
pour celui qui triomphait : mais ce silence n'existe même pas ; ils
nous montrent toujours le sénat confirmant le choix des armées,
et Eutrope dit en parlant de Maximin : Post hunc Maximinus ex
corpore militari primus ad imperium accessit, sola comitiis regem esse jusserat, tamen ipse de suo imperio curiatam legem
tulit (Cic. R. P. l. 2. § 13.)
Mortuo rege Pompilio, Tullum Hostilium populus regem, interrege
rogante, comitiis euriatis creavit : isque de imperio suo, exemplo Pompilii,
populum consuluit curiatim. (Ib. § 17.)
Post eum Numae Pompilii nepos ex filia, rex a populo est Ancus
Martius constitutus : idemque de imperio suo legem curiatam tulit.
(§ 18.)
Mortuo Martio, cunctis populi suffragiis rex est creatus L. Tarquinius...
isque ut de suo imperio legem tulît , etc. ( § 20. )
Post eum Servius Sulpicius primus injussu populi regnavisse traditar....
sed Tarquinio sepulto , populum de se ipse consuluit, jussusque
regnare legem de imperio suo curiatam tulit. (§ 21.) Ne voyons-nous pas ici identiquement les expressions des Institutes?
Cette loi Regia dont parle Ulpien quae de ejus imperio lata est,
n'est-elle pas pour les empereurs ce qu'était pour chaque roi la loi
dont parle Cicéron de imperio suo legem tulit? D'où pourrait même
venir cette dénomination qu'Ulpien donne à la loi, lex Regia ? L'aurait-on inventée à une époque où les Romains, tombés sous le pouvoir
absolu, avaient encore en horreur le nom de roi? ne faut-il pas
la faire remonter aux premiers rois, et voir dans le jurisconsulte
une expression ancienne dont il se sert? Chaque roi était appelé par le choix du peuple; après avoir accepté il se faisait constituer dans
ses pouvoirs (legem de imperio suo ferebat) (v. p 12.). Chaque empereur
était désigné ou par son prédécesseur ou par les acclamations
de l'armée ; une loi ( alors sénatus-consulte ) le confirmait dans
l'empire (Lex Regia de imperio ejus ferebatur). On concevrait le
silence des historiens sur cette loi, toute de formé et toujours prête
pour celui qui triomphait : mais ce silence n'existe même pas ; ils
nous montrent toujours le sénat confirmant le choix des armées,
et Eutrope dit en parlant de Maximin : Post hunc Maximinus ex
corpore militari primus ad imperium accessit, sola militum voluntate, cum nulla senatûs intercessisset auctoritas. (Eutr. liv. 9.) Comment
pourrait-on justifier au contraire l'oubli des historiens et des jurisconsultes
sur une loi unique qui aurait donné aux empereurs le
pouvoir législatif ?Toutes ces raisons me font conclure que le passage
d'Ulpien et des Institutes ne signifient rien autre que le passage
de Gaïus: personne ne doute que les volontés de l'empereur aient force
de loi, parce que c'est par une loi que lui-même reçoit l'empire.
RÉPONSES DES PRUDENTS (Responsa prudentum). Quand
tous les pouvoirs se rattachaient à l'empereur, celui de la justice ne pouvait rester libre; les magistrats étaient déjà
soumis, les jurisconsultes le furent aussi, et leur antique
indépendance faiblit devant la volonté impériale. « Il est
bon de savoir, dit Pomponius , qu'avant le siècle d'Auguste le droit de répondre publiquement n'était point
donné par les chefs de la république, mais il était ouvert à tous ceux qui se confiaient assez en leurs connaissances dans les lois ; ils ne donnaient point leurs
réponses cachetées, mais le plus souvent ils écrivaient
eux-mêmes aux juges, ou les parties consultantes faisaient attester par témoins quelles avaient été ces réponses. Auguste, dans le but d'augmenter l'autorité du
droit, ordonna le premier que les jurisconsultes répondraient avec son autorisation, et depuis cette autorisation commença à être demandée comme une faveur. »
(Pomp. H. J. § 47. ) Qu'on ne croie point cependant que
l'autorité impériale conférât aux prudents le droit d'obliger
les juges ; rien ne fut changé aux anciennes coutumes
en ce sens que la réputation que s'était acquise le
jurisconsulte donnait plus ou moins d'influence à ses décisions
; lorsque, souvent répétées et approuvées par d'autres
prudents, elles avaient passé en usage, alors seulement
elles s'incorporaient dans le droit coutumier. Plus
tard, il est vrai, nous verrons des constitutions impériales leur donner réellement force de droit écrit. Il parait que
le nouvel ordre introduit par Auguste n'empêcha point
que l'opinion publique considérât les jurisconsultes
comme puisant leur droit dans leur capacité ; car après
le passage que nous avons cité, Pomponius ajoute: « Des
personnages prétoriens demandant à Adrien l'autorisation
de répondre sur le droit, cet excellent prince leur
répondit que ce n'était point une faveur qu'ils dussent
demander, mais un droit qui leur appartenait selon l'uusage; et que si quelqu'un se confiait assez dans son savoir
il pouvait se préparer à répondre au peuple. "
LABÉON ET CAPITON. (M. Antistius Labeo et C. Ateius Capito). Ces deux jurisconsultes rivaux différaient d'opinions en politique aussi bien qu'en législation. Empruntons leur parallèle à Tacite et à Pomponius. «Comptant pour aïeul un centurion de Sylla, pour père un ancien préteur, Ateius Capiton, par l'étude des lois, se plaça au premier rang. Auguste s'était hâté de l'élever au consulat pour qu'il dépassât en dignité Antistius Labéon, qui le dépassait en savoir ; car ce siècle produisit à la fois deux de ces génies qui sont l'ornement de la paix : Labéon, incorruptible et libre, obtint plus de célébrité; Capiton, complaisant du pouvoir, plus de faneurs. Pour le premier, qui n'arriva qu'à la préture, naquit de sa disgrâce la considération publique; pour le second, qui monta jusqu'au consulat, de sa fortune l'envie et l'animadversion. » (Tacit, Ann. l. 3. § 75.) " Ateius Capiton continua à présenter les choses telles qu'elles lui avaient été présentées à lui-même ; Labéon , doué d'un esprit ingénieux, plein de confiance dans sa doctrine, versé dans la connaissance des autres sciences, s'éleva à des vues nouvelles, et introduisit plusieurs innovations. » (Pomp. H. J. § 47. ) C'est à ces deux jurisconsultes que le même Pomponius rapporte la naissance de deux sectes ; à Labéon celle des proculéiens, à Capiton celle des Cassiens ou Sabiniens (1). Un pareil événement n'était point sans importance; dans un gouvernement où les jurisconsultes, revêtus comme d'un caractère public, guidaient par leurs réponses les plaideurs et même les juges, ce ne fut point sans une certaine sensation qu'on dut les voir former une scission et se diviser en deux partis opposés. Mais quel était le point de division? Les uns disent que les proculéiens étaient pour l'équité, les sabiniens pour le droit rigoureux; d'autres présentent au contraire les sabiniens comme les défenseurs de l'équité, et les proculéiens comme ceux du droit rigoureux. Le fait est que s'il existait un principe général en dissidence, une espèce de théorie différente pour chaque secte, elle ne nous est point connue; mais en revanche nous connaissons une infinité de points particuliers sur lesquels ils n'étaient point d'accord ; nous savons que leurs discussions, modifiées par les jurisconsultes, leurs successeurs, se prolongèrent sous les empereurs, et nous en retrouvons encore des traces dans le corps de droit de Justinien. Si, après avoir examiné les changements survenus dans le droit politique, nous portons nos regards sur le droit civil, nous y trouverons sur les mariages, les fidéicommis, les affranchissements, trois innovations essentielles, toutes trois amenées par les circonstances.
(1) Ces sectes, comme l'on voit, ne prirent point leurs noms des premiers fondateurs, mais de quelques disciples postérieurs. La secte des Proculéiens est connue aussi sous le nom de Pégasiens
MARIAGES. Les derniers temps de la république avaient
offert; une dépravation de moeurs étonnante ; le mariage
des citoyens (justae nuptiae) avait été ou abandonné,
ou changé en libertinage par des divorces annuels. On
pouvait dire alors des dames romaines: elles ne comptent
point les années par les consuls, mais par leurs maris.
Auguste pour arrêter ces excès fit recevoir deux lois,
lex Julia, lex Papia Poppea, qui, à en juger par les seuls
fragments qui nous restent, durent former une partie
très-étendue du droit civil de cette époque. La première
fixait plusieurs règles sur les mariages, qu'elle voulait entourer
d'une faveur spéciale : elle accordait aux citoyens
mariés des privilèges; elle infligeait aux célibataires des
punitions. Tout homme âgé de plus de 20 ans et moins
de 66 , toute femme âgée de plus de 20 ans et moins de
50, qui n'étaient point mariés, ou qui après la dissolution
d'un premier mariage n'en avaient point contracté un
nouveau dans un délai fixé, étaient célibataires (caelebes).
Tout célibataire ne pouvait rien recevoir par testament si
ce n'est de ses parents; les dispositions faites en sa faveur
étaient non avenues, et portaient le nom de caduca. Par cette
loi tous les citoyens dans l'empire se trouvèrent divisés en
deux classes; les célibataires, les mariés. La seconde punissait
ceux qui n'avaient point d'enfants; tout individu
âgé de plus de 25 ans et moins de 60, sans enfant au
moins adoptif, était orbus , et comme tel ne pouvait recueillir
que la moitié des dispositions faites en sa faveur
par testament ; l'autre moitié se rangeait parmi les caduca.
Cette loi divisa les Romains en deux nouvelles classes; ceux qui avaient des enfants, ceux qui n'en
avaient point.
FIDÉICOMMIS. Certaines dispositions testamentaires étaient nulles d'après le droit civil; le testateur qui voulait les faire ne pouvait que les confier à la bonne foi de son héritier (fidei committere), et le prier de vouloir bien les exécuter. Ces dispositions se nommaient fideicommissa. D'un autre côté toute volonté du défunt était nulle encore si elle n'avait été exprimée dans un testament avec les formes qui devaient accompagner cet acte ; consignées dans des lettres, dans des écrits sans solennité (codicilli), elles n'étaient qu'une prière adressée à l'héritier, qui restait libre de ne point y accéder. Cependant plus l'on s'éloignait de l'ancienne jurisprudence ; plus cette nullité paraissait rigoureuse, plus l'opinion publique réprouvait celui qui voulait s'en prévaloir. Auguste, institué plusieurs fois héritier se fit un devoir d'exécuter les dispositions dont on l'avait chargé; il ordonna même aux consuls de faire intervenir leur autorité pour protéger les volontés du testateur lorsque l'équité et la bonne foi l'exigeraient. Les moeurs et l'approbation commune confirmèrent ces décisions ; bientôt elles prirent une extension telle qu'on vit peu de testaments sans fidéicommis et sans codicilles. On fut enfm, comme nous le verrons, obligé de créer deux nouveaux préteurs , chargés spécialement de ces sortes d'affaires. (Inst. l. . t. 25. § 1.)
AFFRANCHISSEMENTS.Les guerres de Marius et de Sylla , de Pompée et de César, armant des milliers d'esclaves, avaient jeté dans Rome des légions d'affranchis ; les victoires éloignées, cumulant dans l'Italie les captifs, avaient diminué leur valeur et multiplié les affranchissements : on affranchissait pour augmenter le nombre de ses clients, quelquefois pour que l'esclave, devenu citoyen , reçût sa part dans les distributions gratuites, le plus souvent au moment de sa mort, pour qu'un long cortège, coiffé du bonnet; de la liberté, suivît le char funéraire. La loi Aelia Sentia et la loi Furia Caninia apportèrent des restrictions à ces libéralités immodérées. Nous aurons à les examiner en expliquant les Instituts de Justinien, car elles se prolongèrent jusqu'à cette époque. Avant de quitter le règne d'Auguste rappelons un événement qui, presque inaperçu dans l'empire romain, doit changer la face de cet empire, et plus, tard celle de tout l'univers. C'est en 753, quatorze ans avant la mort d'Auguste, que Jésus-Christ naquit dans un bourg de la Judée. Sa naissance nous donne une ère nouvelle, que nous ajouterons à l'ère de la fondation de Rome. (An de Rome 767, — de J.-C. 14.)
TIBÈRE (Tiberius.)
Tibère avait été adopté par Auguste. A la mort de ce
dernier on ne savait comment les choses se feraient;
c'est pour la première fois qu'on allait passer d'un empereur
à l'autre. Tibère prit bien de fait le gouvernement;
mais il paraissait n'agir qu'en sa qualité de tribun et seulement
pour faire régler les honneurs dus à la mémoire
de son père. Les sénateurs intérieurement connaissaient
bien leurs droits ; mais ils étaient dans l'attente, les yeux
fixés sur le prince, cherchant à étudier leur conduite dans
la sienne. Il faut lire dans Tacite cette scène si bien jouée,
où les sénateurs conjurent le fils adoptif d'Auguste d'accepter
l'empire, où celui-ci oppose toute sorte de raisons
pour refuser ; demande que plusieurs administrent, qu'on lui associe quelqu'un , et se hâte d'accepter lorsqu'il craint
qu'on le prenne au mot. Les premières années de son règne
ne furent qu'un drame où chacun jouait son rôle: il
avait pris celui de la modération, de la simplicité, du
respect pour les lois ; mais il arrivait toujours au but,
et son caractère naturel perçait dans ses actions ou dans
ses désirs.
Sous lui les élections furent transportées du peuple au
sénat, l'empereur se réservant le droit de désigner quelques
candidats (Tac. Ann. I, ch. 15.) Le crime de lèse-majesté
fut étendu aux actions, aux écrits, aux paroles, aux pensées
qui avaient pu blesser l'empereur ; il devint le complément
de toute accusation, le crime de ceux qui n'en
avaient point : alors naquit cette classe hideuse de citoyens
; les délateurs. L'histoire de Tibère n'est presque
qu'une longue énumération des sentences de mort prononcées
par le sénat, à qui la connaissance de ce crime
avait été déférée.
La disposition la plus saillante dans le droit civil de ce
règne est la division des affranchis en deux classes; les
affranchis. citoyens, les affranchis latins Juniens. Cette
distinction dépendait du mode d'affranchissement et de
quelques autres circonstances : les uns acquéraient une
liberté entière et la qualité de citoyens, les autres une liberté
moindre et seulement les droits des colons latins (lex
Junia Norbana.)
Les jurisconsultes que l'on doit remarquer sont:
SABINUS (Masurius Sabinus). (1).
(1) Nous indiquerons sous chaque empereur les principaux jurisconsultes , ne dussions-nous donner que leur nom; les chiffres placés à côté désigneront le nombre de fragments qu'on leur a empruntés comme lois dans la composition du Digeste.
NERVA le père (M. Cocceius Nerva). Le premier, successeur de Capiton, ayant donné son nom à la secte des Sabiniens; le second, successeur de Labéon.
PROCULUS(Sempronius Proculus). 37.
CASSIUS(C. Cassius Longinus).
Le premiers successeur de Nerva, donnant son nom à
la secte de Labéon ; le second, successeur, de Sabinus.
L'époque des empereurs est celle où l'étude du droit
civil prit le plus d'extension : les jurisconsultes se multiplièrent,
des ouvrages nombreux sur le droit parurent ;
tous les principes se trouvèrent développés, enchaînés; la
jurisprudence devint une vaste science, approfondie sur
tous ses points. Cependant le droit politique ne changeait
guère; le despotisme n'est point innovateur : Auguste
avait posé toutes les bases fondamentales du pouvoir
absolu; ses successeurs n'eurent qu'à les laisser affermir
par le temps ; à peine rencontrons-nous de loin à loin
quelques institutions nouvelles. Les agitations et les troubles
avaient pris un autre objet. Dans une république, où
les lois régnent, ils ont pour but le changement des lois;
dans un état despotique, où règne un maître, le changement
du maître. Ces réflexions indiquent les traits que
nous avons à tracer. Peindrons-nous Tibère étouffé par
Caligula, qui se hâte de lui succéder ; Caligula immolé par
des sénateurs et des chevaliers, conjurés ; Claude porté
sur le trône par les soldats prétoriens, empoisonné par sa
femme; Néron obligé de se poignarder; Galba élu par les légions d'Espagne, massacré par les prétoriens ; Othon
et tant d'autres encore? Non sans doute; qu'il nous suffise
de signaler ces événements tragiques comme des conséquences
inévitables du système de gouvernement adopté
par les Romains, et de la conduite de leurs empereurs.
Cette réflexion est le seul profit qu'on en puisse retirer.
La liste des princes qui se succèdent, l'indication de
quelques légers changements qu'ils introduisent, le nom
des jurisconsultes les plus illustres, le titre de leurs ouvrages, là se borne ce que nous avons à dire.
(790. — 57). CALIGULA (Caïus Coesar, cognomento
Caligula).
(794. — 41)- CLAUDE (Claudius).
Sous lequel furent créés les deux préteurs fidéicommissaires
dont nous avons déjà parlé.
(807).
(54). NÉRON (Nero).
(821.
68). GALBA (Servius-Sulpitius Galba).
(822. — 69). OTHON (Otho).
( Même année). VITELLIUS.
(823. —
70). VESPASIEN(Vespasianus).
(832.
—
79). TITUS (Vespasianus).
Sous lequel on supprima un des deux préteurs fidéicommissaires
créés sous Claude.
(834. — 81 ). DOMITIEN (Domitianus).
(849.—96). NERVA.
(851.— 98).
TRAJAN (Ulpius Trajanus crinitus, a
senatu optimi cognomine appellatus).
Les jurisconsultes à remarquer sous cet empereur s
ont :
CELSE le fils (P. Juventius Celsius)
NERATIUS PRISCUS. 64.
PRISCUS JAVOLENUS. 206.
(870.
—
117). ADRIEN (Aelius Hadrianus).
Le règne d'Adrien a été présenté comme formant une
époque nouvelle pour la jurisprudence. Il est vrai qu'on
peut remarquer sous cet empereur la division de l'Italie
en quatre provinces confiées à des consulaires ; la création
de deux conseils du prince sous les noms de consistoire
et d'auditoire (consistorium , auditorium principis); le commencement
de la puissance civile des préfets du prétoire,
considérés jusque là seulement comme autorités militaires;
l'institution de l'appel (appellatio , provocatio), qui
permit aux parties condamnées par un magistrat de recourir
dans un délai donné devant le magistrat supérieur
et quelquefois même devant le prince, qui formait le dernier
degré de juridiction. Mais les évènements auxquels
on s'attache le plus, et que l'on signale comme les plus
remarquables, sont : le commencement des constitutions
impériales ; l'extinction du droit qu'avaient les magistrats
de publier des édits; la liberté rendue aux jurisconsultes
de répondre sur le droit sans aucune autorisation, évènements
qui tous les trois sont susceptibles d'être contestés.
Déjà nous avons prouvé, que les constitutions
impériales existaient sous Auguste ; examinons
les modifications qu'éprouvèrent le droit honoraire et les
réponses des prudents.
DROIT HONORAIRE, ÉDIT PERPÉTUÉL(Edictum perpetuum).
Un travail sur l'édit parut, au temps d'Adrien, sous le
nom d'édit perpétuel. Quel était ce travail? son auteur ?
son but? C'était à ce qu'il paraît un exposé méthodique du droit prétorien suivant les divers édits publiés jusqu'à
ce jour et les dispositions passées en usage ; l'auteur était
un jurisconsulte illustre de l'époque, Salvius
Julien ; son
ouvrage fut sanctionné, peut-être même ordonné par l'empereur;
le but était de fixer d'une manière définitive le
droit honoraire. On dit que du moment qu'il fut promulgué
on ordonna aux magistrats de se conformer à
l'avenir à ses dispositions, et on leur retira le droit qu'ils
avaient de publier eux-mêmes leurs édits. Il faut convenir
que cette défense s'accorderait bien avec la marche de
l'autorité impériale. Le prince, possesseur de tous les
pouvoirs, rendant des décrets, des rescrits, des édits,
devait naturellement empêcher que ses magistrats partageassent
avec lui ce privilège ; néanmoins plusieurs raisons
nous prouvent qu'ils le conservèrent encore après
Adrien, et tout ce que nous pouvons induire de l'apparition
de l'édit perpétuel c'est que les préteurs, obligés d'en
adopter les dispositions et de s'y conformer, n'ajoutèrent
plus de leur chef que quelques règles de forme, quelques
dispositions, accessoires nécessitées par les circonstances
(1).
(1) L'édit perpétuel était-il simplement le travail d'un jurisconsulte,
ou fut-il ordonné par l'empereur, et revêtu d'un caractère législatif?
Fut-il publié comme devant durer à perpétuité, et retira-t-on dès
cet instant aux magistrats le droit de publier des édits ? Voilà deux
questions qu'il n'est point inutile d'examiner.
C'est Salvius Julien qui composa l'édit perpétuel. Eutrope dit en
parlant de lui : qui sub divo Adriano perpetuum composuit edictum
(Liv. 8. Règne de l'empereur Julien). Mais cet ouvrage n'était point
seulement un commentaire particulier sur les édits; le titre d'abord
nous le prouve ; un pareil commentaire eût pris le nom de ad edictum,
et non celui de edictum perpetuum.
On conçoit bien que leur office dut se borner là, car déjà le droit prétorien était entièrement développé et avait atteint le point d'extension auquel il devait s'arrêter.
De plus, nous avons deux textes qui disent formellement que l'empereur y prit part; ce sont
deux passages de deux constitutions de Justinien, l'une en grec,
l'autre en latin : " Le divin Adrien, d'heureuse mémoire, lorsqu'il eut réuni en un résumé tout ce que les préteurs avaient publié dans leurs édits annuels, employant à ce travail l'illustre Julien , dit aussi
lui-même, dans un discours qu'il fit publiquement dans l'ancienne
Rome, que si quelque cas non prévu se présente les magistrats
doivent s'efforcer de le décider par induction des règles déjà existantes
(Cod. l. 1.t. 17. Const. 3. v 18.). Cum et ipse Julianus legum
et edicti perpetui subtilissimus conditor, in suis libris hocretuterit :
ut si quid imperfectum inveniatur ab imperiali sanctione hoc repleatur ;
et non ipse solus, sed et divus Hadrianus in compositione edicti, et
senatusconsulto quod eam secutum est, hoc apertissimè definivit ut si
quid in edicto positum non inveniatur , hoc ad ejus regulas ejusque conjecturas
et imitationes possit nova instruere auctoritas (Ibid. Const. 3.
§ 18. ). C'est donc Adrien qui a fait composer l'édit, et un sénatusconsulte
est venu après, probablement pour le confirmer. A ces raisons
faut-il encore ajouter que l'édit perpétuel se nommait edictum
D. Hadriani?
La seconde question est plus difficile à résoudre.
Il ne faut pas invoquer l'épithète de perpetuum donnée à l'édit d'Adrien
pour conclure que cet édit fut promulgué pour toujours; le
mot de edictum perpetuum était employé depuis longtemps pour les
édits des préteurs dans le même sens que celui de questiones perpetuae,
c'est-à-dire pour indiquer un édit permanent durant toute l'année
; mais ce qu'on ne doit pas induire de l'épithète on le
conclut de cette réflexion fort juste, qu'Adrien n'aurait pas fait faire
un travail aussi important, ne l'aurait pas revêtu de sa sanction,
peut-être même de celle du sénat pour ne lui donner qu'une existence
d'une année, et pour le laisser à la merci des magistrats.
Cependant un passage de Gaïus, postérieur à Adrien, nous prouve irrécusablement que ceux-ci publiaient toujours des édits : jus autem ecdicendi habent magistratus populi; sed amplissimum jus est in edictis
duorum praetorum, urbani et peregrini, quorum in provinciis jurisdictionem
praesides earum habent; item in edicto aedilium curulium, quorum
jurisdictionem in provinciis populi quaestores habent; nam in provincias
Caesaris omnino quaestores non miltuntur, et ob id hoc edictum in his
provinciis non proponitur (Com. 1. § 6.). Comment, si les magistrats
avaient perdu le droit de faire des édits, Gaïus, si rapproché d'Adrien,
loin de parler de ce changement, eût-il dit : les magistrats ont
le droit; comment eût-il si bien distingué l'édit des deux préteurs,
celui des édiles, des présidents, des questeurs? comment eût-il
ajouté : « Dans les provinces de César on n'envoie point de questeurs,
aussi n'y a-t-il point ce genre d'édit? » De tout cela que
conclure ? D'un côté que l'édit perpétuel reçut une autorité législative,
à laquelle il ne fut plus permis de déroger; de l'autre, que cela
n'empêcha point que les magistrats publiassent leur édit, dans lequel,
on se conformant à l'édit perpétuel, ils pouvaient cependant ajouter
des règles de forme et des dispositions accessoires, nécessitées par
les circonstances.
RÉPONSES DES PRUDENTS.Les paroles adressées par Adrien à des personnages prétoriens qui lui demandaient la permission de répondre sur le droit : « Ce n'est point une faveur que vous deviez implorer, mais un droit que l'usage et vos connaissances vous donnent, ces paroles ont fait conclure qu'Adrien rendit aux jurisconsultes leur ancienne indépendance. Il est plus exact de n'y voir qu'une protection particulière, ou si l'on veut même une protection générale accordée par ce prince aux prudents ; mais cette protection, toute de fait, ne changea rien aux. règles établies par Auguste, puisque Gaïus, postérieur à Adrien , dit encore: responsa prudentium sunt sententioe et opiniones eorum quibus permissum est jura condere (Com. 1. § 7.) Du reste, si Adrien ne rendit pas aux prudents une liberté entière de répondre publiquement aux consultations, il augmenta l'autorité de leurs réponses en ordonnant aux juges par un rescript de se soumettre à ces réponses lorsqu'elles seraient unanimes. C'est ce que nous apprend encore Gaïus à la suite du passage que nous venons de citer : quorum omnium si in unum sententiae concurrant id quod ita sentiunt, legis vicem obtinet; si vero dissentiunt, judici licet, quam velit sententiam sequi; idque rescripto divi Hadriani significatur. C'est en quelque sorte à dater de cette époque que l'on peut classer les réponses des prudents dans le droit écrit, car elles étaient alors consignées par eux dans les ouvrages, et en vertu du rescript d'Adrien elles faisaient loi (legis vicem obtinet) lorsqu'elles étaient unanimes.
Jurisconsultes : VALENS (Alburnus Valens). 20.
JULIEN (Salvius Julianus). 457. Il fut préteur, préfet de
la ville, deux fois consul. Son plus grand titre dans l'histoire
du droit est son travail sur l'édit, travail qui l'a fait
passer jusqu'à nous comme attaché au siècle d'Adrien. Il
ne nous reste de cet ouvrage que des fragments épars dans
le Digeste. Des savants ont cherché à les réunir en ordre
et à recomposer ainsi l'édit perpétuel.
AFRICAIN. (Sextus Coecilius Africanus). 131.
138). ANTONIN-le-Pieux. (T. Antoninus Fulvius,
Pius cognominatus).
Adopté par Adrien et parvenu ainsi à l'empire, il fut
un des meilleurs princes : il encouragea les savants et les
philosophes ; il en établit plusieurs aux frais du trésor public,
chargés de donner leurs leçons dans Rome et dans les provinces; c'est de lui que nous voyons, aux Instituts
un rescript contenant l'ordre de punir la cruauté des maîtres,
et de les forcer à vendre les esclaves qu'ils auraient
maltraités.
Jurisconsultes : TERENTIUS CLEMENS. 55.
POMPONIUS(Sextus Pomponius). 588. A qui nous devons
un Abrégé de l'Histoire du Droit, formant un titre du Digeste
: de Origine juris et omnium magistratuum et successione
prudentium (D. liv. 1 , t. 2.) C'est dans cet ouvrage,
bien qu'il soit très court et fort incomplet, qu'il faut chercher
encore les meilleures notions sur cette matière.
L. VOLUSIUS MAECIANUS.44.
(914 —161). MARC-AURÈLEET LUCIUS VERUS (M. Aurelius-
Antoninus et L. Verus, divi fratres).
Marc-Aurèle adopté par Antonin et parvenu à l'empire,
s'associa Lucius Vérus, son frère par adoption. Les vertus
du premier ont fait oublier les vices du second, et tous les
deux sont désignés sous le nom des Divins Frères (Divi
Fratres).
(922.—169). MARC-AURÈLE seul.
Jurisconsultes: PAPIRIUS JUSTUS. 16.
SCAEVOLA(Q. Cervidius Scoevola). 307.
ULPIUS MARCELLUS. 159.
GAIUS. 355. C'est sous ce nom seul que nous est parvenu
le souvenir de ce jurisconsulte illustre. Il a vécu sous
Antonin-le-Pieux et sous Marc-Aurèle : nous savons qu'il
a composé des commentaires sur les douze tables et un
travail sur l'édit provincial (ad edictum provinciale) ; mais quelques fragments cités au Digeste, voilà tout ce qui
nous reste de ces ouvrages : aussi Gaïus était-il confondu
avec tant d'autres écrivains distingués de ces temps, lorsqu'une
heureuse découverte en a fait pour nous un des
auteurs les plus précieux. A Vérone, en 1816, M. Nieburh
remarqua un manuscrit de droit romain, dont les feuilles
avaient été pour la plupart grattées et surchargées d'une
nouvelle écriture. M. Savigny reconnut le manuscrit, et
enfin, après plusieurs mois d'un travail opiniâtre et patient,
MM. Gaeschen, Bekker et Bethmann, parvenus à
le déchiffrer, nous rendirent les Instituts de Gaïus. Cet
ouvrage élémentaire, composé de quatre commentaires,
présente le tableau le plus complet que nous ayions du
droit romain à cette époque : placé à côté des Instituts
de.Justinien, qui ont été composés sur le même plan et
dans le même ordre, il offre le plus grand intérêt à celui
qui aime à suivre la marche du droit, et à compter les
changements qu'apportent les années. Sa découverte, rectifiant
quelques idées fausses, donnant plusieurs idées
nouvelles, a éclairé plusieurs points obscurs ou inconnus.
176). MARC-AURÈLE ET COMMODE.
(933.— 180).COMMODE seul.(L.Antoninus Commodus).
(946.— 193). PERTINAX.
(Même année). JULIEN (Didius Julianus). La tranquillité amenée par quelques bons princes avait disparu sous Commode : ce monstre, étouffé par des conjurés, avait été remplacé par un vieillard, Pertinax, que les prétoriens avaient massacré presque aussitôt. Alors, chose incroyable ! on vit l'empire réellement mis aux enchères par les soldats: deux enchérisseurs se présentent ; Didius Julien , descendant de l'illustre jurisconsulte d'Adrien, offre le dernier prix : l'empire lui reste, et l'adjudicataire monte sur le trône, d'où il fut précipité au bout de sept mois par les légions, qui le tuèrent et mirent à sa place Septime-Sévère. Tel est le point où se trouvait parvenu alors cet épouvantable despotisme militaire qui bouleversa l'empire pendant si longtemps.
(946. —193.) SEPTIME-SÉVÈRE(Septimius-Severus).
Jurisconsultes: PAPINIEN (Aemilius Papiniamus). 596. Celui de tous les jurisconsultes romains qui fut environné de plus d'honneurs, dont les décisions, toujours respectées, eurent le plus d'autorité ; dont les ouvrages servirent le plus à tous ceux qui cultivèrent la science des lois (1). Parmi ces ouvrages les plus remarquables sont les livres de questions, de réponses et de définitions, (quaoestionum, responsorum et definitionum libri), dont il nous reste grand nombre de fragments au Digeste. Papinien avait été compagnon d'études de Sévère, qui l'éleva à la dignité de préfet du prétoire. Il survécut assez à cet empereur pour voir les haines des deux fils ses successeurs et la mort de l'un d'eux, Géta, sous les coups de son frère. Le meurtrier Caracalla s'adressait à Papinien pour faire légitimer son crime devant le sénat. Il est plus facile de commettre un parricide que de le justifier. Et comme on lui faisait entendre qu'on pouvait chercher à prouver que Géta avait mérité la mort,
(1) Plus de 200 ans après, lorsque les élèves dans les écoles de droit parvenaient au moment où on leur expliquait les livres de Papinien, ils commençaient cette année de leurs études par une fête en l'honneur de ce jurisconsulte, et ils prenaient dès lors le nom de Papinianistes, qui les élevait au-dessus de leurs condisciples moins avancés.
Accuser un innocent assassiné c'est commettre un nouvel assassinat. Telles furent les réponses du jurisconsulte; et Caracalla l'envoya au supplice. Ce trait d'héroïsme s'il était vrai (1) honorerait Papinien autant que l'ont fait ses écrits.
CLAUDIUS TRYPHONINUS. 79.
(211). ANTONIN CARACALLA et GÉTA.
(965. —212). ANTONIN CARACALLA. (Aurelius-Antoninus- Bassianus Caracalla.)
Nous passerions sans nous arrêter les cinq années que régna ce monstre s'il n'avait rendu une constitution remarquable qui attache son nom à l'histoire des lois. Déjà les droits de cité étaient répandus dans les villes et dans les provinces les plus éloignées ; Caracalla les accorda universellement à tous les habitants de l'empire. Mais alors qu'étaient-ils ces droits de cité? Qu'étaient devenus les Romains? On dit que depuis cette constitution tous les sujets furent citoyens; ne pourrait-on pas dire aussi justement qu'à cette époque tous les citoyens étaient sujets? Cependant je ne prends point ces dernières expressions à la lettre ; je ne m'en sers que pour peindre l'abaissement politique où l'on était parvenu, car il est vrai que, pour les droits civils surtout, il était encore fort utile d'avoir la qualité de citoyen.
(1) La vérité de ce fait est contestée par des historiens presque de celle époque; toutefois il est certain que Papinien mourut par l'ordre de Caracalla. ( Dio. Cass. liv. 77. § 4° Spartianus C. c. 8.— Aurelius Victor.Caes. 20. 33.)
La disposition d'Antonin Caracalla est loin de nous être bien connue ; une chose remarquable, c'est que les historiens de ces temps ne nous en disent rien, tandis que ceux de la république avaient grand soin d'énumérer les plus petits bourgs à qui l'on accordait les droits de cité, tant le titre de citoyen sous les empereurs avait perdu de son prix! L'opinion la plus naturelle, celle qu'ont adoptée autrefois nos grands interprètes du droit romain, celle qui s'accorde le mieux avec une infinité de circonstances, est que Caracalla donna pour toujours à tous les sujets le titre de citoyen; que depuis cette époque il n'y eut plus aucune différence entre les habitants de l'empire, et que tous jouirent de droits égaux (1).
(1) Voici la plupart des textes que nous possédons sur cet objet: Justinien, dans la noyelle par laquelle il supprime toutes les différences qui existaient entre les affranchis, s'exprime ainsi : Facumus autem novun nuhil, sed egregios ante nos imperatores sequimur. Sicut enim Antonunus Pius cognominatus (ex quo etiam ad nos appellatio hoec pervenit) jus romanoe civitatis prius ab unoquoque subjectorum petitus et taliter ex iis qui vocantur peregrini, ad Romanam ingenuxtatem deducens, hoc ille omnibus in commune subjectis donavit, Theodosius junior post Connstantinum maximum sanctissimun hujus civitatis canditorem, filiorum prius jus petitum in commune detid subjectis: sic etiam nos hoc videlicet regencrationis et aureorum annutorum jus, unicuique petetium datum, et damni et scrupulositatis proebens occasionem, et manumussorum indigens auctoritate, omnibus similiter subjetis ex hac lege damus : restituimus emim naturoe ingnuitate dignos, non per singulos de caetero sed omnes deinceps qui libertalem à dominis meruerint, ut hanc magnam quamdam et generalem largitatem nostris subjectis adjuciamus. (Just. nov. 78. c. 5.) On voit qu'une erreur commise dans ce passage aurait pu faire attribuer faussement à Antonin-le-Pieux la disposition d'Autonin Caracalla. Ulpen, qui vivait sous ce dernier empereur, dit :In orbe romano qui sunt, ex constitutione imperatoris Antonini, cives ramani effecti sunt. D. liv. I. t. 6. Loi 17, frag. Ulp.)
Cependant cette opinion n'est pas exempte de critiques. Ainsi quelques passages d'Ulpien font penser qu'après Caracalla, même sous lui, on distinguait encore les citoyens des étrangers (1). Pour expliquer cela on a dit que Macrin, successeur de Caracalla, supprimant les dispositions de ce dernier, rétablit les anciennes distinctions, et l'on a trouvé cette assertion dans une phrase de Dion-Cassius (2). On expliquerait bien ainsi comment,il existait encore après Caracalla des différences entre les citoyens et les peregrini, mais non comment ces différences subsistaient même sous Caracalle, qui les avait supprimées. Un savant d'Allemagne, M. Haubold , a présenté pour résoudre cette difficulté une opinion ingénieuse, à l'appui de laquelle viennent plusieurs preuves très fortes :
(I) Ulp. regul. lib. T. 17, § I.
(2) Voici la traduction de cette, phrase : « Il (Macrin) abolit les dispositions de Caracalla sur les hérédités et les affranchissements. » (Dion. Cass. liv. 78 , § 12. ) Caracalla avait par une constitution augmenté les impôts perçus sur les testaments et les libertés; au lieu d'un vingtième il les avait portés à un dixième. Dion, pour faire l'éloge de Macrin, nous apprend qu'il supprima cette augmentation d'impôts. Comment a-t-on vu là-dedans l'assertion que Macrin abolit la constitution qui accordait les droits de cité à tous les sujets ? Le voici : Caracalla, dit-on, n'avait donné ces droits de cité que dans un esprit fiscal, afin que les impôts sur les testaments et les manumissions fussent plus fructueux, de telle sorte que ces deux dispositions sont liées l'une à l'autre. Dire que Macrin supprima ce qui concernait les hérédités et les affranchissements c'est donc dire aussi qu'il enleva les droits de cité accordés par Caracalla.
cette opinion est que Caracalla accorda le droit de cité à tous les sujets actuellement existants, mais non à ceux qui surviendraient ; néanmoins, au milieu des doutes qui embarrassent la matière, et des raisonnements contraires qui se combattent, on se décide plus volontiers pour l'opinion la plus générale (1). La constitution de Caracalla ne s'étendait point sans doute à ces espèces d'affranchis nommés latins-juniens et déditices. Du reste, quand bien même, en leur appliquant le système de M. Haubold, on dirait que comme tous les autres sujets les affranchis actuellement existants devinrent citoyens, mais que les affranchis venus par la suite restèrent dans leur classe respective, toujours est-il
(1) Dans la cour d'Orient on ne distingue plus entre les sujets et les citoyens; tout individu appartenant à l'empire a les droits de cité. D'où est venu ce changement si ce n'est de la constitution de Caracalla ? Faut-il l'attribuer à la seule transposition du siège impérial de Rome à Bysance, ou à la seule désuétude, tandis qu'on a sur ce point une disposition législative précise ? Justinien, en disant que de même que Caracalla accorda à tous les sujets les droits de cité, de même que Théodose leur donna les droits réservés à ceux qui avaient des enfants, de même il veut donner à tous les affranchis le titre de citoyen, n'indique-t-il pas que la constitution de Caracalla était définitive? L'eût-il comparée à celle de Théodose et à la sienne si elle eût été momentanée et seulement pour une génération ? D'ailleurs quels résultats entraînerait une loi qui déclarerait tous les individus existants citoyens, sans donner ce titre aux individus à venir ?Comment des pères citoyens auraient-ils eu des enfants qui ne l'étaient point ? Quant à la différence que l'on continue toujours à faire entre les citoyens et les peregrini doit-on s'en étonner ? Ne peut-on pas dire que cette différence n'a pas cessé un moment d'exister; que les individus seuls ont changé de position ? Les sujets de l'empire qui étaientperegrini sont devenus cives, et il n'est plus resté dans la classe desperegrini que les membres des peuples réellement étrangers.
certain que les trois classes d'affranchis continuèrent à exister ; que tous les jurisconsultes postérieurs ne cessèrent pas un moment de les distinguer, et que Justinien le premier les supprima totalement (I).
VENULEIUS SATURNINUS, 71.
ULPIENet PAUL. ( Domitius Utpiauus) 2462. (Julius Paulus) 2083. L'un originaire de Tyr, l'autre natif de Padoue. Rivaux de talents et de gloire, tous deux avaient vécu au temps de Papinien, dont ils étaient l'un et l'autre assesseurs; tous deux montèrent par les diverses dignités de l'empire jusqu'à celle de préfet du Prétoire; tous deux composèrent des notés critiques sur les livres de Papinien et plusieurs écrits, mis à contribution par les rédacteurs des Pandectes; tous deux firent un ouvrage élémentaire dont les fragments, parvenus jusqu'à nous, se placent à côté des instituts de Gaïus, et forment la source où nous devons étudier la jurisprudence de ce temps. L'ouvrage d'Ulpien se désigne par le nom de liber singularis regularum Ulpiani, ou simplement Fragmenta Ulpiani ; celui de Paul par le nom de Julii Pauli sententiarum receptarum libri V, ou simplement pauli sententiarum libri V.
CALLISTRATUS, 99.
AELIUS-MARCIANUS, 275.
FLORENTINUS, 42.
AEMILIUS-MACER, 62.
HERENNIUS-MODESTINUS,345.
(970. 217). MACRIN (Opilius-Macrinus).
(1) Instit. Liv. 1. T. 5. § 3. — Cod. L. 7. T. 5 et 6. — Nov. 78.
(971. -218). HÉLIOGABALE (M. Aurelius-Antoninus, cognomine Heliogabalus).
(975.— 222). ALEXANDRE-SÉVÈRE (Auretius-Alexander Severus). Parvenu à l'empire à seize ans , Alexandre-Sévère s'entoura de sages conseillers, de jurisconsultes illustres, parmi lesquels se, trouvait Ulpien... Il conserva encore quelques années les lettres, les sciences et le droit, qui disparurent pour longtemps après lui , aussi ceux qui examinent le droit en lui-même, et sans le rattacher accessoirement aux évènements politiques, marquent-ils après Alexandre Sévère une période nouvelle ; en effet, c'est sous les empereurs dont nous venons de parcourir les noms, sous la protection d'Adrien, d'Antonin le Pieux, de Marc-Aurèle, de Septime-Sévère, que l'étude de la jurisprudence montait à son plus haut point de splendeur. Les jurisconsultes se multipliaient et leurs disciples aussi: ce n'était plus en suivant simplement la pratique du barreau que ces derniers se formaient, mais des leçons orales développaient dans des cours suivis les principes de la science (1) ;
(I) Ulpien dans un passage cité au Digeste nous parle de professeurs de droit civil (juris civilis professores) (Dig. L. 50. T. 13.. 1. I. § 5. f. Dlp.). Modestinus nous apprend aussi que ceux qui professent le droit dans les provinces ne sont point excusés de la tutelle, mais que ceux qui le professent à Rome sont excusés (D. L. 27. T. 1. l. 6. § 12. f. Modest. ). Enfin nous savons par Pomponius que sous Tibère même les élèves faisaient des dons à ceux dont ils écoutaient les leçons, puisqu'il dit en-parlant d'un jurisconsulte d'alors , Sabinus : huic nec amplae facultates fuerunt, sed plurimuma suis auditoribus sustentatus est. (Pomp. H. J. § 47.)
peut-être les professeurs recevaient-ils déjà du trésor public des honoraires, et Marc-Aurèle en créant
des chaires publiques pour l'éloquence et la philosophie
en avait peut-être fait autant pour le droit. De nouveaux
Ouvrages naissaient chaque jour ; c'étaient des commentaires
sur ledit des préteurs ou des proconsuls (Ad edictum
provinciale), des traités sur les fonctions des magistrats
(De officio proefectus urbi, proconsulis, etc.), des livres étendus
sur l'ensemble du droit (Digesta, Pandectae), ou enfin
des abrégés, des leçons élémentaires (Institutiones, regula,
sententiae). Les jurisconsultes s'élevaient aux dignités
les plus éminentes ; ils étaient conseillers du prince,
consuls, préfets du Prétoire, préfets de la ville. Mais
tout-à-coup après Alexandre-Sévère leur série nous paraît
brusquement interrompue, et pendant longtemps nous
ne rencontrons dans l'histoire que le trouble militaire
porté à son comble, des empereurs de quelques mois faits
et défaits tour à tour, des armées qui se battent sur divers
points pour le triomphe de leurs candidats, trente
prétendants à l'empire, qui dans le courant de quelques
années apparaissent et se détruisent.
(988.235). MAXIMIN (Julius-Maximinus).
(990. — 207). GORDIEN I er et GORDIEN II (Gordianus I et II.)
(Moins de deux mois après). MAXIME et. BALBIN. (Maximus-Pupienus, Balbinus).
(991.— 238). GORDIEN III.
(997. 244) PHILIPPE (Philippus - Arabs).
PHILIPPE père, Auguste PHILIPPE fils, César.
(1002. 249). DÈCE (Decius).
( 1004, —251). GALLUS, HOSTILIEN et VOLUSIEN (Gallus, Hostilius et Volusius).
(1006.—253). EMILIEN (Aemilianus), (Trois mois après).
VALÉRIEN I. er et GALLIEN (Licinius- Valerianus et Gallienus).
LES MÊMES et VALÉRIEN II, César.
C'est à cette époque que commencèrent à paraître les
prétendants, qui bientôt, au nombre de trente, répandirent
les guerres civiles sur tous les points du royaume, et
finirent par s'entre-tuer.
(1013. — 260). GALLIEN seul.
(1021.—268). CLAUDEII (M. Claudius).
(1023. —27.0). AURÉLIEN (Aurelianus).
(1028. —175). TACITE (Tacitus).
(102g.— 276). FLORIANUS.
(Trois mois après). PROBUS.
(1035.— 282) CARUS, CARINUS et NUMÉRIANUS.
(1036.— 283). CARIN et NUMÉRIEN seuls.
Au milieu de cette succession rapide de princes les
regards de l'historien doivent se porter sur deux tableaux
généraux qui ne se placent sous aucun règne en particulier,
parce qu'ils se développent chaque jour ; ces tableaux
sont dans l'intérieur la propagation de la religion chrétienne
, à l'extérieur les irruptions des barbares.
PROPAGATIONDE LA RELIGION CHRÉTIENNE.Dès le règne de Tibère les apôtres, parcourant les provinces de l'empire, avaient répandu autour d'eux la religion nouvelle qu'ils annonçaient aux peuples. Cette morale pure, cette idée grande de la divinité frappaient les esprits, et couvraient de honte ou de ridicule les principes et les dieux du paganisme. Sans doute ce sont les personnes les plus raisonnables, les plus vertueuses qui les premières embrassèrent la croyance des apôtres : le nombre de ces personnes augmenta rapidement ; les églises où elles se réunissaient se multiplièrent; tout contribuait chez, les particuliers, dans l'ordre privé, à propager la religion chrétienne. En était-il de même dans le gouvernement ? On n'a pas assez, considéré ce point sous le rapport des lois politiques. Jusqu'ici nous avons fait voir le droit sacré de Rome fortement attaché au droit public, et formant une partie intime de ce droit. Les pontifes étaient des magistrats du peuple, nommés dans les élections comme les autres magistrats, faisant intervenir leurs fonctions dans les affaires majeures de l'Etat ; la première puissance du droit public, l'empereur, était aussi la première puissance du droit sacré, le souverain pontife. L'unité de lois religieuses n'était pas moins essentielle au gouvernement que l'unité de lois politiques, puisque ces lois se confondaient les unes avec les autres. Cette unité avait toujours été produite précisément par la pluralité des dieux. Une province nouvellement ajoutée à Rome avait-elle de nouvelles divinités, on les recevait, on leur élevait des temples, on leur donnait des prêtres , et le système religieux n'était pas troublé un seul moment : les dieux du paganisme étaient accommodants. Mais lorsque parut une religion qui, révélant l'existence d'un seul Dieu infini, ne pouvait être reçue sans anéantir toutes les institutions actuelles, une religion qui donnait des prêtres indépendants du choix des autorités civiles, qui se séparait entièrement de la puissance publique, et disait mon empire n'est pas de ce monde, mais d'un autre, alors le droit public se trouva attaqué dans une de ses bases fondamentales. Les chefs du gouversnement durent souger à le défendre ou à le changer totalement ; c'est le premier parti qu'ils prirent: quelque absurde que fût lepaganisme, l'homme ne revient pas si facilement de ses erreurs, surtout lorsqu'à ces erreurs est attaché le gouvernement d'un grand empire. Comme empereurs et comme souverains pontifes les princes voulurent arrêter une religion qui menaçait le droit de l'état, et pour accomplir leurs desseins ils employèrent le moyen le plus vicieux, celui de la force et des cruautés, que du reste leur caractère féroce inspirait à la plupart d'entré eux. Les persécutions de Néron, de Domitien, de Vérus et de Gallus ne firent que des martyrs : les chrétiens se multiplièrent au milieu des souffrances ; la religion se répandit plus brillante et plus vénérée, et bientôt ces vastes provinces, sur toute leur surface, virent les habitants divisés en deux Classés distinctes; les chrétiens et les païens. Une guerre, une peste, un fléau quelconque frappait-il l'empire, les païens ne manquaient pas de l'attribuer aux innovations funestes des chrétiens, et ceux-ci de le rejeter sur l'aveuglement et l'obstination des païens.
IRRUPTIONS DES BARBARES. Les Romains dans les forêts de la Germanie, par de là le Danube chassant devant eux des peuplades sauvages et libres, avaient refoulé les hommes vers le nord. Une force de compression retenait des nations nombreuses accumulées entre des limites froides et incultes: mais la force diminua; les armées romaines faiblirent; la barrière se rompit sur divers points, et la réaction repoussa ces nations dans l'empire. Sous Domitien, sous Adrien, sous Marc-Aurèle, sous Gallus, sous chaque empereur, on vit les barbares s'avancer sur les terres romaines , puis rentrer avec leur butin; reparaître plus nombreux, rentrer encore dans leurs forets, et, chaque jour enhardis davantage, apporter dans leurs excursions nouvelles plus d'audace, plus de force. Des empereurs les éloignèrent avec de l'argent alors, attirés par l'appât du gain et du pillage, les Scythes, les Goths, les Sarmates, les Alains, les Carses, les et bientôt presque tous à la fois. C'est ainsi qu'ils préludaient à ces irruptions terribles qui devaient un jour morceler l'empire et l'anéantir. Telle était au-dehors et au-dedans la situation critique de l'état lorsque Dioclétien fut appelé à gouverner.
(1037.—284). DIOCLÉTIEN.. (Diocletianus).
(1039.—286). DIOCLÉTIEN et MAXIMIEN AA. (Maximianus
Herculius).
CONSTANCE et GALÈRE, Césars.
Porté d'une famille d'affranchis dans la classe des empereurs, Dioclétien par son énergie dissipa les troubles, remit les légions sous la discipline, fit reculer les barbares, et rendit, quelque stabilité an trône qu'il occupa. Avant lui on avait vu quelquefois dans l'empire plusieurs princes, des Augustes et des Césars ; Dioclétien, s'émparant de cet usage et le régularisant, le transforma en un système, et composa le gouvernement de quatre chefs ; deux empereurs égaux en puissance avec le titre d'Augustes; deux empereurs subordonnés aux premiers, leurs lieutenants pour ainsi dire et leurs successeurs présomptifs, portant le titre de Césars. Ces quatre chefs, distribués dans les provinces, à la tête des armées, devaient, appuyés les uns sur les autres, former un corps politique plein de vigueur, à l'abri des secousses, et des mutineries militaires. Ce système était sage sous un certain rapport; il eût rempli entièrement son but si quatre empereurs avaient pu s'unir et ne faire qu'un seul gouvernement; mais ils se divisèrent : on vit quatre cours différentes dans l'empire. Si d'un côté l'indiscipline et le soulèvement des soldats disparurent, de l'autre la rivalité des Augustes, l'ambition des Césars survinrent, et les guerres intestines, changeant de cause, n'en existèrent pas moins, Dioclétien avait choisi pour son collègue Maximien, pâtre de naissance, officier de son armée, et pour Césars Constance Chlore et Galère,.Un an après les deux Augustes abdiquèrent tous deux leur puissance, et les deux Césars, prenant leur place, reçurent les droits et les titres d'Augustes.
(1058.—305). CONSTANCE-CHLORE et GALÈRE, AA.
(Constantius-Chlorus et Galenus-
Maximianus).
SÉVÈRE et MAXIMIN, Césars.
Nous voici arrivés au moment où la mort de Constance Chlore laissa paraître sur la scène politique son fils Constantin, destiné à remplir un si grand rôle. Avant de peindre tous les changements apportés par cet empereur jetons un regard sur le passé, et voyons le point où sont parvenus toutes les institutions depuis la disparution de la république.
SITUATION EXTÉRIEURE DE L'EMPIRE.
Rome ne comptait d'abord que des citoyens ; bientôt
au-dehors se formèrent ses colonies, puis ses alliés, ses
sujets ; enfin, colons, alliés, sujets, tous furent engloutis;
tous depuis la constitution de Caracalla sont citoyens ; il
suffit pour avoir ce titre d'être né libre entre les bornes
de l'état. Ces bornes sont presque celles du monde connu;
ce qui était frontière est devenu point central, et ce qui
se rattachait à la position extérieure de la république
se rapporte aujourd'hui à la situation intérieure de l'empire.
Cependant vers le Nord, par delà cette ligne qu'on n'a
point dépassé, dans ces terres qu'on n'a point explorées,
se trouvent des peuples nombreux : c'est à eux qu'appartient
le titre d'étrangers ou plutôt de barbares. Ces barbares,
d'abord inconnus, puis incommode, maintenant
redoutables, fondent sur les, frontières, font plier les armées, augmentent le nombre, la durée, l'étendue de
leurs irruptions, et de loin préparent la ruine de l'empire.
DROIT PUBLIC.
Le peuple, les plébéiens, les chevaliers ne sont plus
rien dans la balance de l'état; le simulacre de puissance
que leur avait laissé Auguste s'est effacé: l'armée, le sénat,
l'empereur, voilà les corps politiques.
L'armée ne tient ses droits que de sa force. Veut-on
réformer son indiscipline, la priver des distributions d'argent, tribut qu'elle a imposé aux princes , elle se mutine,
massacre l'empereur, et met à sa place un homme, quelquefois
le premier venu, sauf à le renverser à son tour
s'il déplaît encore, « Ce qu'on appelait l'empire romain dans ce siècle-là, dit Montesquieu, était une espèce de
république irréguliere, telle à peu prés que l'aristocratie
d'Alger, où la milice, qui a la puissance.souveraine,
fait et défait un magistrat, qu'on appelle le Dey ». Cependant les réformes de Dioclétien, l'épuisement des trésors
privés, peut-être aussi le dégoût de pareilles révolutions,
ont enfin mis un terme, à ces soulèvements, et
l'armée, au point où nous sommes parvenus, est rentrée
presque entièrement dans ses devoirs.
Le sénat se compose des membres désignés.par l'empereur,
et réciproquement c'est lui qui doit décerner
l'empire. Dépouillé de son ancienne splendeur, il n'est
plus qu'un instrument qui obéit soit aux révoltes des
soldats, soit aux volontés du chef; il ne conserve du pouvoir
administratif et du pouvoir judiciaire que ce qu'on
veut bien lui laisser. S'il reprend son indépendance c'est
un seul moment, à là fin de chaque règne, pour classer
au rang des dieux l'empereur mort, du plus flétrir sa
mémoire; pour lui dresser des statues ou pour abattre
celles que de son vivant il lui avait élevées , encore ces
jugements derniers ne sont-ils point libres lorsque la
gloire ou la honte du prince qui vient de mourir n'est
point indifférente à celui qui va lui succéder.
L'empereur doit être nommé par le sénat. Souvent la
qualité de fils naturel ou adoptif du dernier prince, des
liens de parenté moins rapprochés, à défaut l'intrigue,
rarement le mérite dirige le choix ; mais toujours le sénatus-consulte est préparé pour celui qui s'avance sur Rome, proclamé par une armée victorieuse. Quelquefois
deux empereurs ont régné ensemble. Aujourd'hui le système
de Dioclétien amène d'importants résultats : l'existence
de deux. Augustes égaux en pouvoir conduit-à la
division réelle de l'empire, et la nomination que font ces
Augustes de deux Césars, leurs délégués actuels, leurs
héritiers, futurs, prépare pour le trône une succession
toujours réglée d'avance, si toutefois l'anibition , la rivalité
des Augustes et des Césars ne viennent point troubler
cet ordre et allumer les guerres civiles.
Les anciennes, magistratures ont disparu ou sont frappées
de nullité. Les consuls, les proconsuls, les préteurs
qui restent encore ont perdu la plus grande partie de leur
puissance et toute leur suprématie. Des débris de ces magistratures
républicaines se sont formées les magistratures
impériales. Le prince apparaît entouré d'une foule de
dignitaires, que sa faveur seule élève, dont les fonctions
durent autant qu'il le veut bien; le préfet du prétoire,
ministre unissant encore le pouvoir militaires au pouvoir
civil ; le préfet de la ville , chargé des fonctions des anciens
édiles et d'une grande partie de la jurisdiction criminelle
; le préfet des gardes de nuit, les lieutenants,
les procureurs de César, en un mot tous les officiers
créés par Auguste ; car ce prince, sans qu'on s'en doutât,
avait tout fait pour le pouvoir absolu; il ne restait plus
qu'à développer les germes qu'il avait posés.
Les principaux.magistrats, tels que les préfets du prétoire,
les préfets de la ville, les présidents des provinces,
se font assister par plusieurs personnes qu'ils choisissent,
et qui reçoivent des honoraires jmblics : ces personnes
portent le non d'assesseurs (adsessores) ; elles prennent
connaissance des diverses affaires, les préparent, rédigent les édits, les décrets, les lettres, en un mot tous les actes
qui doivent émaner du magistrat ;ce dernier quelquefois
même leur délègue son autorité.
Tous les pouvoirs résident dans les mains des empereurs,
qui n'en confient à d'autres mains que la partie qu'ils
veulent.
Pouvoir législatif. Dès les premières années de l'empire
les lois, les plébiscites ont cessé, plus tard les sénatus-consultes
(1) ; aujourd'hui une seule source du droit existe,
la volonté des princes. Quant aux édits des magistrats
ils se rattachent plus à l'administration qu'à la législation. Pouvoir exécutif. Si le sénat y concourt encore ce n'est
que faiblement, dans la désignation de l'empereur, dans
l'élection de certains magistrats et dans les affaires sur
lesquelles on le consulte. Quelques princes ont formé autour
d'eux une espèce de conseil d'Etat, nommé consistorium,
qui sert à les aider dans l'administration générale
de l'empire. Pouvoir judiciaire. L'empereur, le sénat, les préteurs,
les consuls, les préfets de la ville, ceux du prétoire, les
centumvirs, les récupérateurs sont les autorités judiciaires.
Le prince s'est entouré aussi d'un conseil, nommé
auditorium, auquel il remet l'examen des affaires ou des
questions importantes qu'il veut juger ou résoudre lui-même.
Affaires criminelles. Aux plébiscites rendus sous la république
contre certains crimes il faut joindre des sénatus-consultes
et des constitutions qui frappent d'une peine les faits désignés sous le nom de crimes extraordinaires
(extraordinaria crimina).
(I) Le dernier sénatus-consulte que nous connaissions date du règne d'Alexandre-Sévère.
Dans bien des cas on s'écarte des formes criminelles de la république, quoiqu'elles soient encore les formes ordinaires. Ainsi l'empereur fort souvent prononce lui-même par un décret : le préfet de la ville, conjointement avec le consul, juge la plupart des crimes extraordinaires: le sénat est investi de la connaissance de quelques accusations : par exemple, de celles de lèse-majesté.Affaires civiles. Dix-huit préteurs rendent la justice civile ; les centumvirs, les récupérateurs existent toujours ; le magistrat confie toujours à des juges inférieurs l'examen des faits ; souvent il connaît lui-même et du point de droit et du point de fait. (Extra ordinem cognoscit). En matière de fidéicommis, par exemple, le préteur fidéicommissaire doit agir ainsi. Le prince par un rescript indique quelquefois au juge la décision.qu'il faut prendre; quelquefois par un décret il vide lui-même le contestation. Les causes sont maintenant plaidées devant le juge par des jurisconsultes qui en font leur profession, et qui portent le nom d'avocats (advocati). L'empereur a sous sa puissance toutes les provinces ; cependant les unes sont considérées comme appartenant plus spécialement au peuple, les autres comme appartenant à César. Les premières sont administrées par des sénateurs-proconsuls, les secondes par les lieutenants de l'empereur. Du reste depuis Dioclétien l'existence des Augustes et des Césars a amené entré ces chefs le partage de ces différentes provinces. Chaque ville importante possède une espèce de conseil municipal, appelé curie (curia); on y traite de la nomination aux diverses magistratures et des affaires particulières de la ville. Les habitants destinés à fournir les membres de ce conseil forment un ordre particulier ; on les nomme curiaux, soumis à la curie (curiale, curiae subjecti) . C'est la naissance (curiali origo) qui les range dans cet ordre ; les enfants issus de pères curiaux prennent eux-mêmes cette qualité. Les citoyens riches peuvent aussi se faire agréer par la curie, eux ou leurs enfants, et entrer ainsi dans la classe des curiaux. C'est dans cette classe que l'on choisit les décurions ( decuriones), c'est à-dire les membres qui composent la curie. Ceux qu'on y appelle ne peuvent refuser ; s'ils cherchaient à se soustraire à leurs devoirs, soit en voyageant dans d'autres villes, soit en passant dans les armées, soit en se cachant à la campagne, la curie les réclamerait et les contraindrait à revenir. Voilà d'où leur vient ce nom de curiae subjecti, qui indique une sorte de sujétion; mais lorsque l'ordre, des curiaux de la cité est nombreux on doit faire attention en faisant la liste des décurions (in albo decurionum describendo) de faire tomber ces fonctions alternativement sur chacune des personnes qui y sont soumises. Bien que le titre de curial assujettisse à certaines obligations, il n'en est pas moins considéré ; les curiaux forment le premier ordre de la ville ; ils jouissent de plusieurs priviléges : ainsi l'on ne prononce point contre eux les mêmes peines que contre les plébéiens; enfin c'est dans leur rang que l'on choisit les principaux magistrats de la cité. A la tête de ces magistrats se trouvent ordinairement les duumvirs, dont l'autorité n'est qu'annuelle, qui dirigent les affaires de la cité et président la curie, (cod. Just. l. 10. t. 31). Telle est l'administration des villes municipales ; elle tire son origine de l'administration des premières colonies, et partant elle est calquée sur celle de l'ancienne Rome ; aussi n'est-il point difficile de reconnaître dans la curie une espèce de sénat, dans les décurions les sénateurs, dans les curiaux les patriciens, dans les duumvirs les deux consuls.
DROIT SACRÉ
Le paganisme est encore la religion que le droit public reconnaît ; l'empereur en est le souverain, pontife. Aux divinités adorées des Romains le sénat ajoute les princes qu'il déifie: ces princes prennent le nom de divins (divini); nouveaux dieux, ils reçoivent des temples et des prêtres. Cependant le christianisme s'étend et triomphe; les lois politiques le mettent au rang des crimes ; les sujets l'embrassent, avec ardeur ; le polythéisme touche enfin au moment où, il doit perdre jusqu'à la protection légale qui fait dans cet instant toute sa force.
DROIT CIVIL
Nous venons de traverser l'âge le plus brillant de la jurisprudence. Pendant une longue suite d'années ont paru comme s'ils naissaient les uns des autres, tous ces jurisconsultes illustres dont les écrits nombreux, transmis par fragments jusqu'à nous, passent encore chez les divers peuples pour les écrits, de la raison et de la justice. La révolution commencée à la fin de la période précédente s'est entièrement développée pendant celle-ci. Le droit primitif, laconique, rude et sauvage, a.été la base sur laquelle on a élevé une science vaste, rattachée à l'équité naturelle, et propre à la civilisation commune des hommes. Comment se fait-il que ce soit sous les empereurs, lorsque la liberté disparaissait, que tant de génies supérieurs aient si bien développé les lois civiles? Serait-ce parce que, dans une république la vie publique étant la vie de chaque citoyen, les droits politiques étant les premiers de tous les droits, c'est sur eux que se portent principalement les actions et les écrits, tandis que dans un empire, les sujets n'ayant qu'une vie privée, les droits publics étant nuls, les jurisconsultes portent toute leur science sur les droits privés, qui deviennent d'autant plus précieux qu'ils sont les seuls que l'on ait encore ? Comment se fait-il aussi que ce soit sous les empereurs, lorsque les nations s'accommodaient au pouvoir absolu, lorsque le droit public se corrompait, que le droit civil se soit étendu, adouci en se rapprochant de ces règles naturelles d'équité qui existent entre tous les hommes ? Serait-ce parce qu'une république, forte de son organisation, séparée de toutes les nations, se donne des lois propres à elle seule, courtes, empreintes de l'énergie républicaine, contraires souvent aux lois de la nature, car chaque individu n'y est pas homme, il y est citoyen, tandis qu'un empire vaste, tel que l'empire romain, composé de nations diverses, ne renfermant en réalité plus de citoyens, mais seulement des hommes, doit recevoir des règles générales communes à tout le genre humain, plus nombreuses et plus rapprochées du droit naturel? Quelle qu'en soit la cause, le changement s'est opéré ; mais ce n'est point sur une base nouvelle qu'on a posé le nouveau droit, c'est sur l'ancienne base. On n'a point refait les lois; on a voulu les corriger en les conservant : les principes fondamentaux des douze tables et du droit civil sont toujours proclamés; la contradiction qui règne entre ces souvenirs des vieilles institutions et la réalité des institutions modernes forme toujours le caractère, principal du droit romain.Sur les personnes Les affranchis se divisent en trois classes ; affranchis citoyens, affranchis latins, juniens, affranchis déditices ; les seconds sont assimilés aux anciens colons latains, dont ils ont les droit ; les derniers aux peuples qui se livrent à dicrétion. La puissance sur les esclaves est modérée ; le droit de mort a été retiré au maître ; l'esclave auquel on fait subir de mauvais traitemens peut se plaidre au magistral. La puissance paternelle est toujours plus adoucie; le père ne peut plus ni vendre ses enfants, ni les donner, ni les livrer en gage ; le fils est lui seul entièrement propriétaire de son pécule castrant (castrense peculium), c'est-à-dire des biens acquis à l'armée. La puissance maratale n'existe presque plus ; l'usage n'est plus un moyen de l'acquérir ; la coemption est un moyen rare ; la confarréation n'est pratiquée que par les pontifes. La parenté naturelle produit toujours plus,d'effets aux yeux du préteur ; la tutelle perpétuelle des femmes sous leurs agnats a cessé. Depuis Auguste une différence bien grande existe entre les célibataires et des mariés, entre ceux qui ont des enfants et ceux qui n'en ont point ; cette différence donne à ces personnes des droits inégaux, surtout pour la faculté de recevoir par testament.Sur les choses. On distingue toutjours les choses mancipii des choses nec mancipii; les immeubles situés en Italie de ceux qui sont dans les provinces : la mancipation est par conséquent toujours en usage. Sur les testaments. Le père de famille n'est plus le seul qui puisse tester ; le fils de famille le peut aussi sur son pécule castrant. Pour pouvoir sans restriction être institué héritier ou recueillir des legs il faut ne pas être dans la classe des célibataires, et de plus avoir le jus liberorum, c'est-à-dire le droit de ceux qui ont des enfants. Les formes civiles du testament consistent encore en droit civil dans la mancipation de l'hérédité; mais le préteur a introduit une autre forme dans laquelle il a supprimé la mancipation. Les militaires en campagne sont du reste dispensés de toute formalité. Les codicilles sont valables, et dans ces actes, qui ne demandent aucune solennité, l'on peut insérer des legs et des fidéicommis, que l'héritier sera obligé de délivrer. Sur les successions. La législation tend chaque jour à accorder des droits de succession aux parents naturels : en vertu dé deux sénatus-consultes (1) les enfants succèdent à leur mère, la mère dans certains cas succède à ses enfants.Le préteur pour corriger pu pour aider le droit civil donné toujours la possession de biens. Sur les contrats et les actions, les changements survenus dans cette matière sont peu remarquables : le nombre des pactes reconnus par le préteur a pu s'augmenter ; les anciennes actions de la loi se sont toujours plus éloignées des nouvelles moeurs ; les formules qui les ont remplacées, et que le magistrat donne aux plaideurs, s'ont toujours en usage. Cependant il est certains cas dans lesquels ces formules elles-mêmes ne sont point employées, parce que le magistrat décide lui seul la contestation sans renvoyer devant un juge; tels sont les procès en matière de fidéicommis.
(I) Le sénatus-consulte Tertullianum, rendu sous Antonin-le-Pieux, et le sénatus-consulte Oriphtianum, sous Marc-Aurèle, le premier pour les droits de succession de la mère, le second pour ceux des enfants.
MOEURS ET COUTUMES.
Si du tableau qu'offrent les moeurs au milieu de la république, lorsque chaque citoyen respire au-dedans la liberté, au-dehors la domination, on passait tout-à-coup au tableau qu'elles présentent actuellement, quel contraste ne trouverait-on pas ! Mais c'est par degré que nous sommes parvenus ici ; les événements de chaque jour nous ont préparés à des changements que nous trouvons naturels, et nous avons besoin de nous transporter en arrière, de voir ce que Rome fut autrefois pour juger combien elle est différente aujourd'hui. Accoutumés sous Auguste: au commandement d'un seul homme, dépouillés bientôt de leurs droits politiques de leurs anciens magistrats, baissant la tête sous le sceptre des empereurs, sous le glaive des soldats, assimilés à tous les sujets qui peuplent l'empire, les Romains, ne savent même plus rappeler que jadis ils ont été libres ; à la susceptibilité, à l'agitation républicaines ont succédé l'ambition, l'adulation de cour. On cherche le sourire du maître, on demande des faveurs, on implore une grâce, on attend le rescript qui doit les apporter; les jurisconsultes eux-mêmes, si justes, si libres dans le droit privé, laissent leur savoir, leur indépendance lorsqu'il s'agit du droit public, et remettent dans les mains d'un seul la toute puissance. Les dissentions religieuses se répandent dans l'état, et entraînent avec elles l'aigreur, les haines, les persécutions.
§ 2. Jusqu'après Justinien.
Le système de Dioclétien ne tarda guère à porter ses
fruits : les soulèvements désordonnés des soldats disparurent;
les guerres plus régulières des Augustes et des
Césars s'allumèrent. Dioclétien du fond de sa retraite put
encore voir l'incendie et ses ravages ; il put voir son vieux
collègue. Maximien reparaître sur la scène avec Maxime,
son fils : tous deux revêtent la pourpre impériale. Les deux
Augustes Sévère et Galère se hâtent de marcher contre ces
usurpateurs : au milieu des troubles les deux Césars Constantin
et Maximin se décorent du titre d'Augustes, et
l'état est déchiré par les efforts de six empereurs qui se le
disputent (307).
En Orient GALÈRE, LICINIUS, MAXIMIN ;
En Occident MAXENCE, MAXIMIEN, CONSTANTIN,
La mort réduit leur nombre à quatre (310. 311) :
En Orient MAXIMIN , LIÇINIUS ;
En Occident MAXENCE, CONSTANTIN.
Alors d'un côté guerre entre Maxence et Constantin :
celui-ci traverse rapidement l'Italie ; Maxence est battu,
périt dans le Tibre ; Constantin entre dans Rome triomphant,
et se trouve seul maître de l'Occident. De l'autre
côté guerre entre Licinius et Maximin : ce dernier succombe,
et Licinius commande à l'Orient (313)
En Orient LICINIUS ; En Occident CONSTANTIN.
Guerre entre ces deux Augustes. Au bout de quelques
années Licinius est vaincu, dépouillé de la pourpre; Constantin,
sans rival, reste propriétaire unique de tout l'empire
(314). Tel est le sort des ambitieux ; dans une guerre à outrance ils se détruisent les uns par les autres, et le
dernier qui triomphe s'élève sur la ruine de tous.
Au milieu de ces guerres les regards du jurisconsulte
trouvent encore des objets sur lesquels ils doivent s'arrêter.
Après sa victoire sur Maxence Constantin sans embrasser
la religion chrétienne l'avait placée sous la protection impériale (I), et plus tard (320), comme par une conséquence
de cette protection, il abolit les incapacités dont les célibataires
étaient frappés ; incapacités qui tombaient principalement
sur les chrétiens, puisque déjà la plupart
d'entre eux se faisait un mérite religieux de garder le célibat.
C'est ainsi que s'évanouit alors entre les citoyens
célibataires et les citoyens mariés cette différence politique
dont les jurisconsultes, les historiens et les poètes s'étaient
également emparés.
On pourrait citer encore quelques constitutions de
Constantin (2) ; mais les ouvrages de jurisprudence les
plus remarquables à cette époque sont les deux codes
grégorien et hermogénien.
(1) Licinisus favorisa aussi le christianisme dans l'Orient; c'est en 314, lorsque Constantin et Licinius se partageaient l'empire, que fut rendu l'edictum Mediolanense, qui accordait une protection publique aux chrétiens et à leur religion.
(2) Il est bon surtout de connaître celle par laquelle Constantin enlevait toute espèce d'autorité aux notes que Paul et Ulpien avaient faites sur les écrits de Papinien.
CODE GRÉGORIEN, CODE HERMOGENIEN( Gregorianus Codex, Hermogenianus Codex).
Ces deux codes ne sont point émanés de l'autorité législative : deux jurisconsultes, Grégorius et Hermogène, s'attachèrent chacun à recueillir dans un ouvrage les rescripts qui leur parurent les plus importants parmi ceux que les empereurs avaient rendus sur le droit civil; ils donnèrent à leur collection le nom de Code, et l'on y ajouta la désignation de l'auteur. Ces recueils ne nous sont point parvenus, mais nous en trouvons des passages dans quelques ouvrages anciens (1), Il est hors de doute qu'ils durent servir puissamment à Justinien dans la rédaction de son code. Quels étaient la forme et l'ordre de ces receuils? Les extraits que nous en connaissons sont cités comme appartenant à différents titres ; ainsi les constitutions y étaient rapportées sous ces divers titres : on a lieu de penser néanmoins que cela n'empêchait pas qu'elles fussent classées par ordre chronologique, les titres étant très multipliés et donnés souvent à une seule constitution. A quels empereurs commençaient-ils? Nous ne savons s'ils remontaient au-delà du règne d'Adrien; mais il est certain qu'ils contenaient des rescripts de ce prince. A quels empereurs s'arrêtaient-ils ?Le code de Grégorius ne dépassait pas le règne de Dioclétien ; d'après l'opinion la plus commune il en est de même pour le code d'Hermogène ; cependant on trouve dans un ancien ouvrage (2) des rescripts de Valentinien et de Valens, cités comme appartenant au Code Hermogénien, ce qui ferait croire que ce code allait jusqu'au règne de ces empereurs.
(1) Lex Romana Visigothorum ; Mosaicarum et Romanarum legum
collatio ; consullatio veteris jurisconsulti ; ouvrages dont nous aurons
occasion de parler à leur rang.
(2) C'est dans la consultation veteris jurisconsulti que l'on trouve
plusieurs rescripls portant pour titre ces mots : Ex corpore Hermogeniano IMPP. VALENS ET VALENTINIA. AA. Les auteurs qui pensent que
!e Code Hermogénien s'est arrêté à Dioclétien attribuent ces rescripts
de Valens au Code Théodosien, et lisent : Ex corpore Theodosiano.
A quelle époque ces deux recueils ont-ils été faits ? Jugeant d'après les constitutions qu'ils contiennent, on place je Code Grégorien après Dioclétien, dans l'intervalle écoulé entre cet empereur et Constantin; il en est de même, d'après grand nombre d'écrivains, pour le Code Hermogénien ; mais si l'on considère les constitutions de Valens et de Valentinien, dont nous venons de parler comme extraites réellement de ce code, il faudra le ranger sous le règne de ces deux empereurs, à une époque d'environ cinquante ans en avant de celle où nous sommes parvenus.
(1078—325). CONSTANTIN (Constantinus A.)
Le triomphe du christianisme, la fondation d'une nouvelle
capitale, des changements dans l'administration de
l'Etat signalent l'époque où Constantin commanda seul
à l'empire.
TRIOMPHE DU CHRISTIANISME. Nous avons présenté le
christianisme s'étendant rapidement de sujets en sujets,
de provinces en provinces; les efforts rigoureux des empereurs
n'avaient fait que redoubler son élan. Constantin
changea de système, soit par modération, soit par politique,
soit par conviction: César dans les Gaules, il avait
défendu les chrétiens contre les persécutions ; vainqueur
de Maxence et de l'Occident, il leur avait accordé des faveurs ; maître de tout l'empire, il proclama leur religion.
C'est ainsi que sa protection pour eux s'accrut avec sa fortune.
Quoiqu'il n'eût point encore reçu le baptême Constantin
professa le christianisme: la plupart des grands, la
plupart des sujets suivirent son exemple. Alors s'écroula
tout le droit sacré de l'ancienne Rome, toute cette partie
du droit politique qui s'y rattachait, et le peu qui dans le
droit civil s'y liait encore ; alors disparurent de la cour
les pontifes , les flamines , les vestales, remplacés par les
prêtres, les évêques ; alors cette division des sujets en chrétiens
et en païens ne s'effaça point; mais, les rôles changeant,
les chrétiens se trouvèrent sous la protection des
lois et du gouvernement, tandis que les païens, déchus de
leur rang, furent frappés de plusieurs peines et de plusieurs
incapacités. A ces païens on joignit encore les hérétiques
; car déjà au berceau de l'Eglise chrétienne
s'élevaient sur les croyances religieuses des discussions
opiniâtres, causes perpétuelles de troubles et de discordes
(1).
FONDATION D'UNE NOUVELLE CAPITALE.Rome, perdant chaque jour ce caractère de force et de grandeur que lui donnaient jadis les hommes et les institutions, avait cessé d'être la première ville de l'empire. Les princes l'avaient délaissée, et, fixant leur résidence loin de ses murs, ils avaient successivement augmenté la distance qui les séparait de cette capitale déchue.
(1) C'est pour apaiser ces troubles qu'eut lieu à Nicée, en 325, la première assemblée générale connue sous le nom de Concile: il s'y réunit trois cent dix-huit évêques, un grand nombre de prêtres ; l'empereur y assista lui-même. On y condamna comme une hérésie les opinions d'Arius ; mais on ne les éteignit point, et longtemps encore elles étaient destinées à diviser l'Eglise et l'empire.
Dioclétien avait porté sa cour à Milan, tandis que son collègue faisait briller la sienne à Nicomédie. Constantin montra encore plus d'éloignement pour Rome ; il n'y fit que quelques appartitions d'un moment. Enfin, resté sans rival, il voulut que sa capitale fût le centre de ses vastes Etats ; l'Italie n'était qu'une extrémité ; l'Orient se présentait plus brillant; il offrait Bysance placée sur le Bosphore, communiquant avec deux mers, s'ouvrant sur toutes les provinces. Constantin choisit cette ville, la fit rapidement agrandir, ou pour mieux dire élever, lui donna le nom de Constantinople, et y transporta le siège de l'empire. Abandonnant l'Italie déshéritée, les grands, les dignitaires, les courtisans suivirent l'empereur au sein de la nouvelle capitale. Tout le luxe, toute la mollesse, toute la servilité de l'Orient parurent bientôt : la foule des valets de cour fut augmentée et remplit le palais ; les eunuques se montrèrent au milieu d'eux ; le grec devint la langue générale : les idées grandes, les souvenirs glorieux du passé n'avaient point suivi la cour sur le Bosphore ; ils étaient restés aux bords du Tibre, au fond de l'Italie, où, pour contraster avec ces souvenirs, Rome n'offrait plus qu'un sénat impuissant, exilé dans des murs presque déserts. Et cependant telle est la force de l'habitude et d'une longue domination, que les noms de Rome et d'Italie restèrent dans les lois comme entourés d'une faveur spéciale ; que leurs habitants conservèrent les droits particuliers qu'ils avaient jadis ; que les immeubles situés dans ces lieux furent longtemps encore distincts des immeubles des autres provinces, et rangés dans cette classe de biens nommés res mancipii ; que les empereurs enfin pour élever Constantinople se bornèrent à lui accorder les privilèges de Rome. Il était impossible que le changement de religion et de capitale n'amenât point de modifications dans l'administration de l'Etat et dans les diverses magistratures : quelques dignités nouvelles parurent; parmi celles qui existaient déjà les unes reçurent plus d'éclat, tandis que d'autres furent affaiblies. Nous arrêterons, spécialement nos regards sur les évêques, les patrices, les comtes du consistoire, le questeur du sacré palais, et les magistrats des provinces.
LES EVÊQUES(Episcopi). Au milieu des premiers dignitaires de l'empire s'élevèrent les évêques : ils prirent pour fonctions principales les devoirs que l'humanité, que la charité de leur religion leur impose, et dont elle fait leur plus bel apanage; le soin des pauvres, des captifs, des enfants exposés, des enfants prostitués forcément par leurs pères. On y joignit une juridiction épiscopale (episcopalis audientia. Cod. L. I. T. 4.) sur les affaires qui concernaient le culte et les églises. Placés au premier rang dans la ville où ils résidaient, entourés de ce respect, de cette vénération que toutes les religions répandent sur leurs ministres, ils furent membres des conseils qui nommaient les tuteurs, les curateurs; ils reçurent, comme les consuls, les proconsuls et les préteurs, le pouvoir d'affranchir les esclaves dans les églises; ils remplacèrent même ces magistrats pendant leur absence. Enfin, pressés autour du trône, ils dirigèrent souvent l'empereur dans les affaires majeures de l'Etat.
LES PATRICES (Patricii). Constantin donna le nom de patrices à quelques personnages éminents qu'il choisit pour ses conseillers intimes, et qui devaient lui tenir lieu en quelque sorte de pères (locopatris honorantur —quem sibi patrem imperator elegit). Cette dignité se perpétua sous les autres empereurs; elle entourait d'honneurs ceux qui en étaient revêtus ; elle les élevait bien au-dessus des consuls , des préfets et de tous les autres magistrats. (Cod. L. 12. t. 3.)
COMTES DU CONSISTOIRE (Comites Consistoriani (1). Déjà depuis quelque temps plusieurs princes avaient réuni autour d'eux une sorte de conseil d'Etat, nommé Consistorium, dans lequel ils traitaient la plupart des affaires de leur empire. Constantin affermit cette institution, et augmenta le nombre des membres du Consistoire : ce sont ces membres qu'on nommait Comites Consistoriani. Il établit aussi à Constantinople un sénat semblable à celui de Rome ; ce sénat paraissait être le conseil de l'empire, tandis que le Consistoire était le conseil de l'empereur. (Cod. L. 12. t. 10.)
QUESTEUR DU SACRE PALAIS (Quaestor sacri Palatii). Chargé de conserver les lois, d'en rédiger les projets, de tenir la liste des faveurs et des dignités accordées par le prince, de préparer les rescripts, de les faire parvenir, le questeur du sacré palais était une espèce de grand chancelier. Il est probable que l'origine de cette charge est celle de questeur candidat de l'empereur, qui avait commencé sous Auguste, qui se développa sous ses successeurs, et changea de nom sous Constantin.
(1) Le titre de comes, qui signifie à proprement parler compagnon, et d'où nous avons fait venir celui de comte, ne s'appliquait pas seulement aux membres du Consistoire; il y avait plusieurs autres officiers qui le portaient : comes sacrarum largitionum, cornes rerum privatarum, cornes sacri palatii, comités militares, etc. C'est aussi à cette époque que le nom de dux, duc, commença à former un titre.
MAGISTRATS DES PROVINCES. L'empire fut partagé par Constantin en quatre grandes préfecture prétoriennes ; chaque préfecture se divisait en plusieurs diocèses, chaque diocèse en plusieurs provinces. A la tête de chaque préfecture fut placé un préfet du prétoire ; dans les diocèses l'empereur envoyait pour représenter les préfets des magistrats nommés vicaires (vicarii) ; enfin chaque province était confiée à un président qui portait le titre ou de proconsul ou de recteur (rector provinciae.) Pour compléter ce tableau des magistrats il faut y joindre les consuls, les préteurs, le préfet des gardes de nuit, celui des approvisinnements, celui de la ville, qui n'était point encore établi à Constantinople, le maître de la cavalarie, celui de l'infanterie (magistri militum), qui avaient hérité de tout le pouvoir militaire, des préfets du prétoire ; car Constantin avait supprimé les soldats prétoriens, et n'avait laissé aux préfets qu'une puissance civile. Quant à cette foule de nobles valets dont le prince s'environna, connus sous les divers noms de cubicularii, castrensiani, minesteriani, silentiarii, etc., tous compris dans l'expression générale de palatini, officiers du palais, ils tenaient à la maison de l'empereur, et non à l'Etat; nous les passerons sous silence. De toutes ces dignités les unes donnaient à ceux qui en étaient revêtus et à leur famille l'épithète de clarissimi, les autres celle de spectabiles, d'autres celle de illustres. C'est ainsi que parmi les nobles furent établis différents degrés de noblesse. Constantin ne se borna point à porter ses innovations sur le droit public, il les étendit au droit civil : déjà nous avons parlé de la constitution par laquelle il supprima toute différence entre les célibataires et les gens mariés ; il adoucit aussi sous plusieurs rapports la puissance paternelle : ainsi il ne permit au père de vendre son enfant qu'au moment de sa naissance, et lorsqu'il y était forcé par une extrême misère; ainsi il accorda aux officiers du palais (palatini), quoiqu'ils fussent fils de famille, la propriété exclusive des biens qu'ils avaient gagnés à la cour, comme s'ils les avaient acquis à l'armée, et c'est là l'origine du pécule quasi castrant ; ainsi il retira au père la propriété, et ne lui laissa que l'usufruit des biens que le fils de famille tenait de sa mère ; c'est encore l'origine du pécule qu'on nomma par la suite pécule adventif. Avant d'aller plus loin dans: l'histoire des empereurs il faut remarquer une classe particulière d'hommes différents et des hommes libres et des esclaves proprement dits. Introduits par la guerre et la conquête dans les diverses provinces soumises par les princes, ils existaient avant Constantin, et si nous en parlons seulement ici c'est que les lois qui les concernent et qui nous sont connues, ne remontent pas pas plus haut. Ces hommes se nommaient Agricolae ou bien Coloni, parce qu'ils étaient pricipalement destinés à la culture des terres
AGRICOLES ou COLONS (Agricolae sive Coloni). On distinguait des colons de deux classes; les uns s'appelaient indifféremment Censiti, Adscriptitii, ou Tributarii, les autres se nommaient Inquilini, Coloni liberi ou quelquefois simplement Coloni. Une chose commune à tous ces colons c'est qu'ils étaient attachés à perpétuelle demeure aux terres qu'ils cultivaient; ils ne pouvaient les abandonner pour aller habiter ailleurs. Leurs maîtres ne pouvaient les transporter d'une terre à l'autre, et quand la terre était vendue ils la suivaient nécessairement dans les mains de l'acquéreur : c'est la servitude de la glèbe ; c'est l'origine de nos anciens serfs. Les différences entre les deux classes de colons consistaient en ce que les colons Censiti, Adscriptitii ou Tributarii se rapprochaient plus des esclaves ; ils ne possédaient rien pour eux-mêmes, et leurs pécules, comme ceux des autres esclaves, étaient à leurs maîtres (1). Les noms de Censiti, Adscriptitii ou Tributarii leur venaient de ce qu'ils payaient un tribut nommé capitation (census in capite), ou tribut de tant par tête, qui n'était imposé qu'à cette espèce d'esclaves. Les colons libres (coloni liberi), autrement dits inquilini, ou simplement colons (coloni) , se rapprochaient davantage de la classe des hommes libres: ils n'étaient point assujétis à la capitation ; leurs propriétés étaient à eux et non à leurs maîtres ; ils étaient débiteurs envers ces derniers d'une redevance annuelle en denrées, ou quelquefois en argent (2). Quoiqu'ils soient libres sous un certain rapport on peut dire cependant qu'ils sont esclaves du fonds auquel ils sont attachés (3). La conquête, voilà, comme nous l'avons dit, la cause première de l'établissement des colons; les naissances ont ensuite perpétué cet établissement, parce que les enfants suivent la condition de leurs parents ;
(1) Alii sunt adscriptitii et eorum peculia dominis competunt. (Cod. L. 11 . T. 47. C. 19.)
(2) Alii coloni fiunt, liberi manentes cum rebus suis, et ii etiam coguntur terram colere et canonem praestare. (Cod. L. 11. T 47. C. 19.)
(3) Ut licet conditionc videantur ingenui, servi tamen terrai ipsius cuinati sunt existimentur. (Cod. L. 11. T. 51.)
la prescription pouvait même faire passer un citoyen de la condition d'homme libre à celle de colon libre si pendant trente ans il avait été considéré comme tel et avait payé les redevances annuelles. La servitude qui le frappait s'étendait après lui sur toute sa postérité. C'est ainsi qu'on oubliait ces beaux principes de la vieille Rome : la liberté est inaliénable, la liberté est imprescriptible.
(1090— 337). CONSTANTIN II, CONSTANCE ET CONSTANT (Constantinus, Constantius et Constans AA A).
(1093.— 340). CONSTANT ET CONSTANCE (Constans et Constantius AA).
( 1095. —34 2). SUPPRESSION DES FORMULES DE DROIT( De
formulis sublatis). Cette sévérité de formes sacramentelles
qui avait pris naissance avec Rome n'était plus dans les
moeurs de l'empire : déjà sous la république avait été supprimée
la solennité des gestes dans les actions de la loi ;
Constant détruisit celle des paroles dans les formules légales.
Voici la constitution
:
Juris formulae, aucupatione
syllabarum insidiantes cunctorumm actibus, radicitus imputentur. ( Cod. L. 2. T. 58. c. I.) On n'en connaît pas bien
toute l'étnedue, car ne peut justemnet apprécier la généralité
des expressions juris formulae, cunctorum actibus ;
cependant il est reconnu qu'à cette époque, dans certains
actes solennels extrajudiciaires, on avait déjà rejeté les paroles
consacrées. C'est ainsi qu'une constitution de Constantin
second les avait abolies dans les testaments. (Cod. L. 6.
T. 23. c. 15.) On ne sera donc point en opposition avec
l'esprit de la législation à ce moment si, donnant le sens
le plus étendu au resript de Constant, on l'applique à toutes les formules de droit: pourvu que les parties expriment
clairement leurs idées et leurs intentions, de
quelques expressions qu'elles se servent, peu importe,
leurs actes seront valables.
C'est le collègue de Constant qui, ordonnant de fermer
les temples du paganisme, punit de mort et de confiscation
ceux qui célébreraient encore les sacrifices païens.
(Cod. L. 1. T. 11. c. 1. ) Les hérétiques, les apostats, les
juifs, les gentils formaient alors des classes réprouvées,
frappées d'incapacités et souvent de peines cruelles. Il
appartenait à la religion chrétienne d'être persécutée: ceux
qui la rendirent persécutrice la méconnurent et se déshonorèrent.
Mais qu'attende d'un siècle où Constantin-le-Grand avait condamné à être brûlés les aruspices, les pontifes
qui prédisent l'avenir, les magiciens qui par leurs maléfices
jettent sur les hommes les calamités, la fureur et la
mort ? Qu'attendre de Constance, qui, quelques années
plus tard, renouvela toutes les lois de son père contre ces
criminels chimériques, qu'il nomme les ennemis communs
(communis salutis hostes) ? Parmis ces coupables
étaient classés les mathématiciens ; mais on entendait par
là ceux qui à l'aide des mathématiques chercaient à lire
dans les astres, et à fixer l'avenir, non ceux qui étudiaient
simplement la géométrie; car Dioclétien et Maximien.
proclament cette science comme utile,dans l'Etat, ( Cod.
L. 18.)
(1103.—350). CONSTANCE
ET
MAGNENCE (Constantius
et Magnentius AA). GALLUS, César.
( 1106.— 353).CONSTANCE seul, Auguste.GALLUS,César;-
( 1108. —355). CONSTANCEseul, Auguste. JULIEN, César
C'est à cette époque à peu près (en 360) que Constance établit à Constantinople un préfet de la :tille comme il y en avait un à Rome.
(1114. —361). JULIEN (Julianus A.).
Julien est un de ces grands hommes qui s'élèvent au milieu de l'histoire pour rompre la monotonie de ses narrations, soit que simple César il gouverne, les Gaules et repousse les barbares de la Germanie, ou que, devenu Auguste, il apporte sur le trône la justice, la simplicité, honore les consuls, les magistrats, et balaie le palais de la foule de valets salariés qui l'encombraient ; soit, déposant un moment et sceptre et l'épée, il prenne la plume et transmette à la postérité ou des satires ingénieuses contre la mollesse et la corruption de ses sujets ou des idées grandes de philosophie ; soit que, pour venger l'honneur de l'empire, il s'enfonce audacieusement avec son armée dans des pays inconnus ,et, brûlant ses vaisseaux pour ne laisser au soldat d'autre ressource que la victoire, il aille chercher Sapor, ce terrible ennemi des Romains, jusque dans le coeur de ses Etats ; soit que, trompé par un transfuge, promené longtemps dans des plaines désertes, il ramène son armée découragée, ranimant ses soldats affaiblis, leur distribuant ses provisions, supportant sans se plaindre et la faim et la soif ; et qu'enfin, frappé dans la bataille et porté sur son lit de mort, il entretienne avec calme les officiers qui l'entourent, déroule devant eux le tableau de sa vie qui va finir, et meure en leur recommandant de lui choisir un successeur digne de l'empire. Cependant il lui faut reprocher celle de ses actions qui lui a fait donner le nom d'apostat. Julien voulut renverser la religion chrétienne, et relever les autels du paganisme. Il était trop éclairé pour être conduit là par des croyances supestitieuses : il ne vit dans la religion qu'un ressort politique ; à juger les choses sous cet aspect il eut encore tort. Il voulait replacer l'empire, sur ses bases anciennes, lui rendre toutes ses institutions, son droit public, son droit sacré, ses dieux, ses souvenirs. Mais qu'un prince se garde bien de rêver les gouvernements en théorie ; qu'il laisse ce soin aux philosophes ; pour lui il doit observer la nation qu'il gouverne, et baser les institutions qu'il lui donne sur l'état moral où elle se trouve. La situation de tout l'empire, le grand nombre de sujets chrétiens, la vénération publique qui entourait leur religion, le ridicule et le mépris déversé sur la multiplicité des dieux, tout aurait dû faire pressentir à Julien qu'il ne pouvait plus arrêter le cours des choses ; que ses innovations, maintenues sous son règne par la force, seraient apès lui renversées par l'esprit public, et que par conséquent, sans produire aucun bien, elles ne pouvaient approrter que des secousses dansgereuses. Cependant la modération naturelle de ce prince diminua ces secousses ; car, s'il voudu arréter le christianisme et l'expulser du droit public, du moins il ne le persécuta jamais. Le règne de Julien ne fut pas long : après sa mort prématurée l'armée nomma pour empereur Jovien, qui se hâta de rappeler la religion chrétienne à la tête de l'état.
(1116. - 363). JOVIEN (Jovianus).
( 1117
—
364) VALENTINIEN I et VALENS( Valentinianus
I et Valens AA).
(1128.
—
375). VALENTINIEN II, VALENS et GRATIEN.
(1132 —379). VALENTINIEN II, THEODOSE I. er GRATIEN.
(1136
- 383), VALENTINIEN II, THÉODOSE I (384). ARCADIUS
(fils de Théodose, déclaré Auguste).
(1145. — 392), THÉODOSE I et, ARCADIUS.
(1146.
—
393). THÉODOSE I. er, ARCADIUS, HONORIUS
(fils de Théodose, déclaré Auguste
comme son frère).
DÉFENSEURS DES CITES (Defensorea civitatum). Ces magistrats municipaux étaient nommés dans chaque cité pour protéger surtout la classe inférieure des habitants, qui ne pouvait se défendre elle-même. Les premières constitutions, qui à notre connaissance existent sur ce sujet, sont de Valens, Valentinien, Théodose ; peut-être cependant les défenseurs des cités existaient-ils avant ces constitutions. Ils doivent être nommés par une assemblée composée de l'évêque, des curiaux, des propriétaires et des personnes distinguées de la ville. Leurs fonctions durent cinq ans ? ils ne peuvent s'en déporter avant ce temps. Ils doivent cherchera prévenir les vols, dénoncer les voleurs au juge, et les traduire devant son tribunal ; ils ont aussi une juridiction, et c'est à eux que doivent être soumises les causes de peu d'importance qui n'excèdent pas cinquante solides. Mais leur attribut le plus beau et le plus utile est d'embrasser les intérêts du pauvre plébéien , de le garantir de toute vexation, de toute injustice dont on voudrait le rendre victime. Montrez-vous le père des plébéiens, disent Théodose et Valentinien aux défenseurs (parentis vicem plebi exhibeas) ; vous devez les défendre comme vos enfants (liberorum loco lueri debes). Magistrature bienfaisante qui aurait dû élever l'ame de celui qui en était revêtu, l'entourer de respect et d'honneurs ; mais qui, tombée dans le mépris, c'est Justinien lui-même qui nous l'app rend, était, comme un emploi trop inférieur, abandonnée à des subalternes, asservis aux magistrats contre lesquels ils auraient du défendre les pauvres, et prêts à obéir à leur signe de tête (1). Les Romains n'étaient plus faits pour ce qui est noble et généreux. (Cod.L. 2, T. 55).
DIVISION DE L'EMPIRE.Depuis longtemps on avait compté à la fois plusieurs Augustes ; mais dans leurs mains l'empire ne faisait qu'un seul tout ; ce n'était que les provinces qui étaient partagées. Théodose avant de mourir divisa réellement ses états entre ses deux fils, et à sa mort le monde romain se décomposa en deux empires distincts, qui, bien que régis en général par les mêmes lois, ne furent plus réunis en un seul corps.
(1) Justinien, Novelle 15, préface.
Occident.
(1148. —395). HONORIUS.
(1161. — 408). THÉODOSE II.
Orient
(1176—423). JEAN (Joannes,(1148, —395,Tyrannus). ARCADIUS.
(1178. — 425). VALENTINIEN III
(425). ECOLES PUBLIQUES DE CONSTANTINOPLE ET DE ROME.
Déjà il existait à Rome une école; Théodose en établit une à Constantinople : sa constitution, publiée sous son
nom et, sous celui de Valentinien, fixait relativement
à l'instruction quelques règles qu'il est bon de remarquer.
Elle établissait des professeurs chargés d'enseigner dans
des cours publics, les uns l'éloquence et la grammaire
latines, les autres la grammaire et l'éloquence grecques,
un pour la philosophie, deux pour la jurisprudence. Attribuant
à ces professeurs les leçons publiques, et leur défendant
sévèrement d'en donner de particulières, cette
constitution à l'inverse défendait sous peine d'infamie
à tout autre qu'à eux de donner publiquement des leçons;
mais elle permettait à chacun d'en donner en particulier
dans des maisons privées. (Cod. L. II, T. 19.)
(426) RÉPONSES DES PRUDENTS.(Loi sur les citations)
La jurisprudence depuis près de deux siècles ne s'honorait que desjurisconsultes qui avaient existé jadis : les
ouvrages qu'avaient laissés ces grands hommes, transformés
pour ainsi dire en droit écrit, dirigeaient aujourd'hui
ceux qui étudiaient les lois, ceux qui les appliquaient et
ceux, mêmes qui les faisaient. Théodose et Valentinien
rendirent une constitution pour fixer l'autorite qu'auraient
en justice les citations de ces ouvrages. Ils permettaient
d'invoquer Papinien, Paul, Ulpien, Modestin, Gaïus
aussi bien que les autres, et les passages que ces auteurs
citaient eomme les ayant puisés dans les jurisconsultes
plus reculés qui les avaient précédés, tels que Scaevola,
Sabinus et Julien. Si ces auteurs étaient d'avis différents
la majorité l'emporterait; s'il y avait partage Papinien
prévaudrait ;et si Papinien ne se prononçait pas le juge déciderait lui-même. Ainsi, lorsque les consultations
publiques avaient cessé, lorsqu'il n'existait plus de prudents
qui, entourés d'une foule de plaideurs, pussent les
diriger et résoudre les difficultés de la jurisprudence, ceux
qui jadis avaient rempli ce noble ministère vivaient toujours
pour le remplir encore, et par leurs écrits ils répondaient
à leur postérité.
(438). CODE THÉODOSIEN. Grégoire et Hermogène avaient chacun présenté sous le nom de code une collection de rescripts émanes des empereurs. Théodose fit rédiger par plusieurs jurisconsultes un recueil à-peu-près semblable ; cet ouvrage, revêtu de la sanction impériale, parut sous le nom de Code Théodosien. L'empereur d'Occident le publia aussi dans ses états. Les constitutions n'étaient point rangées par ordre de date; le travail était divisé en plusieurs livres, les matières distribuées avec méthode, et chaque constitution placée à son rang selon le sujet qu'elle traitait. Le droit civil, le droit public, le droit ecclésiastique étaient chacun exposés séparément : le droit civil, classé dans l'ordre de l'édit, embrassait ; environ trois livres. Ce code, malheureusement pour l'histoire du droit, n'est point arrivé intact jusqu'à nous; mais nous en possédons de nombreux fragments.
FIN DE L'EMPIRE D'OCCIDENT: le trône des
princes d'Occident, heurté par les barbares,
s'écroula, et leur empire tomba en dissolution dans les
mains des hordes sauvages qui se le partagèrent. Rien,
n'est plus dramatique que ce tableau.
Jusqu'au règne de Valens les barbares, accourant au
pillage des provinces, se retirant avec leur butin devant,
les armées, avaient été plus souvent vaincus que vainqueurs.
Plusieurs d'entre eux, attirés par les empereurs,
s'étaient enrôlés dans les légions, avaient formé des corps
de troupes séparés : combattant à côté des Romains, intervenant
dans les querelles des princes, s'approchant de
la cour, sans perdre leur force, leur dureté, leur rudesse,
ils s'étaient faits à l'art de la guerre, avaient mesuré la
faiblesse romaine, observé l'intérieur des terres. Sous
Valens, des hommes jusque là inconnus, les Huns, paraissent
en foule par-delà le Danube. Ils se pressent sur
les Alains, les Alains se pressent sur les Goths, les Goths se
jettent dans l'empire ; et, tandis que les Huns, s'établissent
à la place des hordes qu'ils ont détruites ou chassées, les
Goths , dépossédés, demandent aux Romains qu'on les
reçoive quelque part. Ils furent reçus ; mais privés de leurs
femmes et de leurs enfants, qu'on avait exigés en otage,
victimes de la rapacité des officiers de l'empereur, accablés
de besoins, tourmentés par la faim , ne recevant rien
pour la satisfaire, et tenant leurs armes, ils s'en servirent, ravagèrent le territoire, firent périr Valens lui-même, et,
s'établissant par le force, ils soumirent les Romains à un
tribut. Déjà les empereurs étaient accoutumés à ces tributs;
les Huns, comme les autres nations les plus redoutables, en obtinrent à leur tour. On voyait les chefs de
ces barbares dans des cabanes de bois, sous des tentes
de peaux de bêtes, entourés d'hommes sauvages, recevoir
insolemment des ambassadeurs couverts de pourpre, et
compter l'or que leur envoyaient les maîtres de Rome ou
de Constrantinople. Un temps vint où cet or ne suffit plus ;
alors ils prirent des terres, et s'établirent dans les contrées
qu'autrefois ils se contentaient de ravager. Alaric et Rhadagaise
sous Honorius ; Attila et Genseric sous Théodose
dispersèrent leurs soldats sur toute la surface de l'empire,
et commencèrent son démembrement.
Alaric amena les Goths, auxquels on refusait le tribut
ordinaire : des Huns, des Alains et des Sarmates s'étaient
joints à lui. Après avoir ravagé la Thrace et passé sous
Constantinople, il se précipita sur l'Occident (4o3); mais,
battu par Stilicon, payé pour consentir à se retirer, battu
de nouveau pendant sa retraite, il sortit en méditant
une vengeance terrible. (406)
Rhadagaise jeta dans l'Italie les Suèves, les Vandales,
les Bourguignons, des Germains, des Alains et des Sarmates qui
l'avaient suivi. Stilicon dispersa cette armée, et
fit périr le chef. Mais,quoique vaincus, tous ces barbares
n'en étaient pas moins dangereux: ils avaient pénétré
dans l'Italie, et ne devaient plus en sortir.
Alaric reparut: en le chargeant de trésors immenses on
le renvoya. Il reparut encore pour proclamer un empereur
d'Occident, qui à son tour le nomma maître général
de l'empire. Enfin à sa troisième apparition il brisa les portes de Rome, et poussa dans cette antique cité les
hordes dévastatrices qui ne l'abandonnèrent que lassées
de pillage. La mort arrêta Alaric au milieu de ses triomphes.
Le roi goth qui lui succéda accepta, pour épouse la
soeur de l'empereur, et, revêtu du titre de général romain,
il alla combattre dans les Gaules.
Les Francs, les Bourguignons, les Visigoths se partageaient
cette contrée: Les Francs occupaient: vers le nord
les provinces situées autour de la Loire et de la Seine ; les
Bourguignons (414) les provinces tournées à l'Orient ; les
Visigoths toute la partie méridionale (419); et là se fondaient
trois royaumes, dans desquels les Romains et les
anciens habitants du pays se trouvaient englobés parmi
les membres de la nation conquérante, mais placés néanmoins
dans un rang inférieur.
Attila, Genseric remplacèrent bientôt Alaric et Rhadagaise.
Attila, roi des Huns, qui, ravageant les provinces de
l'Orient, posant ses tentes sous Constantinople, consentant
au poids de l'or à les replier, les porta dans l'Occident
(450). Il se jeta-d'abord sur les Gaules ; mais aussitôt
les Saxons, les Francs, les Bourguignons, les Visirgoths,
tous les peuples établis sur ces terres, se levèrent
pour défendre leur proie. Attila, battu près de Châlons, se
détourna, et tomba dans l'Italie. Il marchait à Rome,
promenant avec lui le pillage, l'incendie, le massacre,
demandant qu'on lui envoyât pour sa femme Honoria, la
soeur de Valentinien III. Pour échapper à une destruction
totale cet empereur céda : le Hun reçut l'épouse qu'il exigeait;
mais la première nuit de son hymen une artère se
rompit dans sa poitrine, et il étouffa dans les bras de son
amante (453). Genseric, roi des Vandales, avait arraché à l'empire
romain d'abord l'Espagne, ensuite quelques provinces de
l'Afrique, et ses soldats s'y étaient établis. C'est lui qui
devait porter à Rome le coup le plus terrible : en 455, il
se présente sons les murs de cette ville ; elle se rend à discrétion
; les barbares s'y précipitent. Le sac dure quatorze
jours : ce qu'avaient épargné les Goths n'échoppa point
aux Vandales. Enfin Genseric, après avoir chargé ses
vaisseaux des richesses qu'il avait amassées, s'éloigna,
laissant aux lieux où il avait passé un amas de débris et
de cendres, un trône vacant et un à demi renversé.
Cet empire après le sac de Rome languit encore pendant
près de vingt ans. Quelques empereurs se succédaient
d'année en année; un barbare de naissance , Ricimer, décoré du titre de général, les faisait et les défaisait
à sa volonté ;il saccagea Rome une troisième fois pour
poser sur le trône Olybrius : Gondebald, chef Bourguignon,
lui succéda, et comme lui fit un empereur, Glycerius.
Enfin un troisième barbare, Orestes,l'un des ambassadeursd'Attila,
fit proclamer son fils Romulus Augustule.
Alors les Huns, les Suèves, les Hérules et tous
ceux qu'il commandait, et qui formaient une grande
partie de l'armée, réclamant leur part dans les dépouilles
del'Occident, demandèrent à grands cris qu'on leur partageat l'Italie.
Orestes refusait : Odoacre rassemble autour de
lui ces Barbares révoltés, massacre Orestes, contraint
Augustule à abdiquer la pourpre, et se proclame roi de
toute l'Italie qu"il distribue à ses soldats. Ansi périt sous
son glaive ce qui restait de l'empire d'Occident.
Cependant le trône des empereurs de Bysance,au milieu
de toutes ces secousses, n'avait point encore été renversé. Ecoutons Montesquieu en développer les raisons ;
«Les Barbares, ayant passe le Danube, trouvaient à leur gauche le Bosphore, Constantinople et toutes les forces de l'empire d'Orient, qui les arrêtaient; cela faisait qu'ils se tournaient à main droite du côté de l'Illyrie, et se poussaient vers l'Occident. Il se fit un reflux de nations et un transport de peuples de ce côté-là. Les passages de l'Asie étant : mieux gardés, tout refoulait vers. l'Europe, au lieu que dans la première invasion, sous Gallus, les forces des Barbares se partagèrent. L'empire ayant été réellement divisé, les empereurs d'Orient, qui avaient des alliances avec les Barbares, ne voulurent pas les rompre pour secourir ceux d'Occident; cette division dans l'administration fut très préjudiciable aux affaires d'Occident. »
Odoacrene garda pas longtemps le trône qu'il avait pris;
à l'instigation de l'empereur d'Orient, Théodoric, conduisant
les Ostrogoths, vint lui disputer sa conquête, la lui
ravit, et s'éblit à sa place avec ses soldats.
Tandis que tous ces peuples nouveaux se fixaient ainsi
dans les Gaules, dans l'Espagne, dans l'Afrique, dans
l'Italie, que devenait le droit remain ? Les Barbares apportant
leurs moeurs non. civilisées, leurs coutumes grossières,
comme l'avaient été jadis celles de Rome, anéantirent- ils
les lois de l'empire ? Ils les laissèrent subsister,
et s'y soumirent : partageant les terres des biens, se mêlant
aux Romains vaincus, ils laissèrent à ceux-ci le privilège
d'être jugés selon leurs. lois. Bientôt même les divers rois barbares publièrent des recueils de ces lois romaines
; ainsi dansl'Italie, chez les Ostrogoths:, parut
L'ÉDIT DE THÉODORIC (edictum Theodorici. 1253
—
500 ) ;
dans le midi des Gaules, chez les Visigoths, la LOI ROMAINE DES VISIGOTHS (lex romana Visigothorum. 1259. —
506), composée d'après les ordres d'Alaric, ce qui lui a
fait donner par la suite le nom de Breviarium Alaricianum;
à l'Orient des Gaules, chez les Bourguignons, la
LOI ROMAINE DES BOURGUIGNONS (lex romana Burgundiorum),
qui porte aussi le nom de Responsa Papiani, mot dérivé sans
doute de celui de Papiniani. Tous ces ouvrages sont précieux
au jurisconsulte historien ; ils nous ont transmis
des débris du droit romain, qui sans eux eussent été perdus
sans retour. La loi romaine des Visigoths surtout nous
a conservé, outre les extraits de diverses constitutions
impériales, des fragments tirés des ouvrages de Gaïus et
de Paul, des codes de Grégoire et d'Hermogèue, des livres
de Papinien.
Sous le rapport de la même utilité nous devons placer
à côté des édits de ces rois barbares, deux ouvrages faits
environ à la même époque : Mosaïcarum et Romanarum
legum collatio ; Consultationes veteris cujusdam jurisconsulti
; écrits qui par eux-mêmes n'auraient aucun prix
s'ils ne contenaient pas des citations nombreuses de Papinien,
de Paul, d'Ulpien, de Gaïus, de Modestin, des
Codes Grégorien et Hermogénien et de plusieurs constitutions
anciennes.
Cependant ANASTAZE avait succédé à Zénon dans l'empire
de Bysahce (1244 —491); JUSTIN succéda à Anastaze
(1271.—518): issu d'un pâtre barbare, il était sorti pour
monter au trône des cabanes de la Bulgarie. Il en tira
à son tour son neveu Justinien, qu'il fit élever avec soin
au milieu de sa cour ; il
lui
donna par la suite le titre
d'Auguste, l'associ à l'administration de ses Etats ( 1280.
— 527. JUSTIN ET JUSTINIEN AA), et mourut quelques
mois après , le laissant ainsi empereur d'Orient.
(1280. —
537). JUSTINIEN (Justinianus).
Le passage des peuples, du nord, au midi avait fini :
l'Afrique et l'Espagne étaient aux Vandales, les Gaules
aux Francs, aux Bourguignons, aux Visigoths ; l'Italie
aux Ostrogoths, et les autres parties de l'Occident à d'autres
bandes de Barbares. L'empire de Constantinople subsistait
seul ; il conservait encore l'épithète de romain, qu'il
aurait dû perdre avec Rome pour prendre celle de grec
Sur ses limites asiatiques se trouvaient les Perses, qui, profitant
pour s'élever de la chûte d'un empire et des troubles
de l'autre, étaient aujourd'hui des ennemis qui se
faisaient craindre. C'est dans ces circonstances que Justinien
parvint au trône. Les victoires d'un jeune Thrace,
Bélisaire, paraissant pour la première fois à la tête d'une
armée, lui procurèrent bientôt un traité honorable avec
les Perses ; et alors une paix de quelques années lui permit
de donner toute son attention à la situation intérieure de
ses Etats.
Il ne restait plus rien dans l'Orient des moeurs originaires
de Rome, que quelques mots, quelques souvenirs
et plusieurs vices : le grec était la langue, généralement
répandue, le latin presque entièement oublié. Les disputes
sur la religion et sur le cirque agitaient tout les esprits :
sur la religion des opinions nouvelles, émises par quelques-
uns, combattues par d'autres, remplissaient l'empire
de discussions théologiques, et divisaient les chrétiens
en plusieurs sectes, les hérétiques, les orthodoxes,
qui toutes se. réunissaient pour réprouver les Juifs et les
idolâtres : dans le cirque les couleurs que prenaient les
cochers qui se disputaient le prix partageaient la ville en quatre factions : les blancs , les rouges, les bleus et les
verts.
Nous n'examinerons pas quelle fut sur ce point la conduite
de Justinien; nous passerons sous silence ses persécutions
contre tous ceux qui n'étaient pas chrétiens
orthodoxes ; le massacre qu'il ordonna de tous les Juifs
samaritains qui s'étaient révoltés dans la Palestine ; l'ardeur
avec laquelle il embrassa le parti des bleus contre
les verts; les résultats fâcheux qu'entraîna cette prédilection,
et la sédition terrible des verts, dont il faillit être la
victime. Ce sont principalement ses actions sous le rapport
des lois, qu'il nous importe d'examiner.
Depuis que, sous Alexandre Sévère, s'était interrompue
la série de ces hommes illustres qui, par leurs ouvrages,
avaient porté la lumière et le raisonnement dans la jurisprudence,
aucun grand jurisconsulte n'avait paru : l'étude
des lois n'avait pas été entièrement abandonnée,
mais elle n'avait produit que des hommes ordinaires qui,
se bornant à suivre les écrits laissés par les prudents
et les constitutions promulguées par les empereurs, dirigeaient
les affaires devant le magistrat (advocati, togati), ou
donnaient des leçons de droit (antecessores) dans les écoles
publiques, parmi lesquelles s'élevaient celle de Constantinople,
et celle de Béryte, ville située dans la Syrie.
Si la science était ainsi déchue, il faut avouer que les
lois s'étaient bien obscurcies en se multipliant. Les plébiscites
de l'ancienne Rome, les sénatus-consultes, les
édits des préteurs, les livres nombreux des prudents, les
codes de Grégorius, d'Hermogène, de Théodose, les constitutions
de tous les empereurs qui avaient suivi voilà
ce qui composait la législation; cette diversité de sources
ne pouvait entraîner que confusion et contradiction. Justinien, dès la première année de son règne, forma le dessein
de ramener les lois à un système plus simple et
plus concordant; c'est dans cette intention qu'il publia
sur le droit ancien et sur le droit des empereurs plusieurs
travaux législatifs que nous allons parcourir. Nous nous
garderons bien de dire nous-même quels furent le but et
la méthode de chacun de ces ouvrages ; nous laisserons
ce soin à l'empereur, en rapportant sinon la traduction du
moins l'analyse de ses constitutions préliminaires.
CODE DE JUSTINIEN (Codex Justinianeus). On avait consacré
le nom de Code à des recueils de constitutions impériales.
Le premier corps de lois que promulgua Justinien
fut un pareil recueil.
« Pour arrêter la longueur des procès, et pour faire
disparaître cette multitude confuse de constitutions contenues
dans les Codes Grégorien , Hermogénien et Théodosien,
publiées par Théodose, par ses successeurs et par
nous-même, nous voulons les réunir toutes dans un seul
code, qui sera décoré de notre nom glorieux.
Pour suffire à un si grand travail nous choisissons : »
suivent les noms de dix personnages que Justinien décore
chacun en particulier de l'une de ces épithètes Excellrntissimum,
Eminentissimum, Magnificum , Disertissimum, etc.
A leur tête on remarque JEAN , ex-questeur du sacré palais,
ex-consul et patrice-; parmi eux TRIBONIEN OU TRIBUNIEN,
qui devait bientôt se placer le premier ; et THÉOPHILE, professeur
de droit à Constantinople.
« Nous leur permettons, supprimant les préfaces., les
dispositions semblables, contradictoires ou tombées en désuétude,
de recueillir et de classer ces lois sous des titres
convenables, ajoutant, retranchant, modifiant, rendant le sens plus clair, mais conservant cependant dans
chaque titre l'ordre chronologique des constitutions, de
sorte qu'on puisse juger cet ordre aussi bien par le rang
que par la date. » Ides de février (13), 528. (De novo
Codice faciendo.)
Ce travail confié à dix jurisconsultes fut divisé en douze
livres ; on a vu là une analogie entre les décemvirs de la
république et les douze tables de lois qu'ils donnèrent. Le
code de Justinien, terminé dans l'espace d'une année,
fut publié le sept des ides (7) d'avril 529. « Nous défendons
à tous ceux qui plaident et aux avocats de citer,
sous peine de se rendre coupables de faux, d'autres constitutions
que celles qui sont insérées dans notre code, et
qui doivent avoir force de loi, bien qu'elles soient sans
date ou qu'elles n'aient été jadis que des rescripts particuliers,
» (De Just. Cod. confirmando.)
CINQUANTE DÉCISIONS (Quinquaginta decisiones). Peu de
mois après la publication du code, au commencement de
l'année 530, Justinien fit paraître successivement plusieurs
constitutions, par lesquelles il trancha de sa propre
autorité des questions qui longtemps avaient divisé les
anciens jurisconsultes. Le nombre de ces décisions s'éleva
jusqu'à cinquante, et ce furent autant de constitutions qui
se trouvèrent en dehors du code.
DIGESTE oc PANDECTÉS (Digesta, Pandectoe) (1). Ces
noms avaient été donnés par des écrivains anciens à des traités fort étendus sur le droit.
(1) Le mot Digesta a une étymologie latine, Pandecae une étymologie grecque: le premier signifie qui est classé méthodiquement, le second, qui comprend tout.
Justinien fit aussi composer
un ouvrage qu'il nomma Digeste ou Pandectes; la
constitution dans laquelle il développe ce projet est adressée
à Tribonien ; en voici l'analyse :
" Après le code que nous avons publié sous notre nom,
nous avons résolu de corriger complètement tout le droit
civil, toute la jurisprudence romaine, en rassemblant
dans un seul volume les volumes dispersés de tant de jurisconsultes.
» Nous vous avons chargé de choisir pour ce travail les
plus habiles professeurs, les plus grands avocats,et agréant
ceux,que vous nous avez présentés, nous leur ordonnons
de faire, cet ouvrage, mais sous votre direction.
Choisissez, corrigez tout ce qu'ont écrit les jurisconsultes
à qui les empereurs avaient permis d'interpréter les
lois. Embrassez toute la jurisprudence ancienne en la divisant
en cinquante livres, et chaque livre en plusieurs
titrés, suivant l'ordre de notre code ou celui de ledit,
comme vous le jugerez convenable.
Ne jugez pas une opinion comme la meilleure parce
que le plus grand nombre l'a adoptée; ne réjetez pas les
notes d'Ulpien, de Paul et de Marcien sur Papinien, mais
prenez celles que vous croirez utiles. Les décisions de tous
les auteurs que vous citerez feront autorité comme si elles
étaient émanées de nous.
Retranchez ce qui paraîtra déplacé, superflu ou mauvais;
les corrections que vous ferez, même contraires à
l'ancien droit, auront force de loi; ne laissez point d'antinomie,
c'est ainsi qu'on nomme en grec la contradiction
entre deux lois ; point de répétition ; évitez autant que
possible d'insérer de nouveau les constitutions impériales qui se trouvent dans notre code ; mettez de côté ce qui
est tombé en désuétude.
Tout se réglera par ces deux recueils, auxquels nous
ajouterons peut-être par la suite des Instituts pour faciliter
l'étude de la science.
Cet ouvrage portera le nom de Digeste ou Pandectes ;
nous défendons aux jurisconsultes d'y attacher des commentaires
et de l'obscurcir avec leurs observations prolixes,
comme on avait fait pour le droit ancien." Le.18
des kal. de janvier 531 ( 15 décembre 530). (De conceptione
Digestorum. Cod. L. 1. T. 18.)
Les collaborateurs de Tribonien étaient au nombre de
seize; ils terminèrent le Digeste dans l'espace de trois ans.
Cette rapidité pour un travail immense dut nuire à sa perfection.
Les recommandations de Justinien ne furent pas
toujours suivies ; on trouve quelquefois dans le Digeste de
la confusion, des répétitions et des antinomies dont le
nombre, prodigieusement grossi par les commentateurs,
exerce encore la patience de ceux qui se condamnent à
les concilier. Mais cet ouvrage nous a conservé les principes,
les lois, les plébiscites, les sénatus-consultes de
l'ancienne jurisprudence; il est composé comme une espèce
de mosaïque des fragments pris à trente-neuf des jurisprudents
les plus illustres : chacun de ces fragments
porte le nom de l'auteur et de l'ouvrage où il a été puisé.
Cependant il ne faut pas se trop fier à cette indication.
Les rédacteurs du Digeste usèrent amplement de la faculté
qu'ils avaient reçue de changer, de corriger les citations,
et tel jurisconsulte n'a jamais avancé ce qu'on lui fait dire
au Digeste; ces falsifications se nomment des tribonianismes.
Les Pandectes furent publiées, et reçurent force de loi par deux constitutions, l'une en grec, l'autre en latin, que
Justinien adressait au sénat de Constantinople (De conftrmatione
Digestorum. Cod. L. I, T. 17.) La date de ces constitutions
est du 17 des kalendes de janvier 534 ( 16 décembre
535).
INSTITUTS (Instituliones, Instituta , Elementa). Avant
même la publication du Digeste, l'empereur, comme il
l'avait annoncé, confia à Tribonien, à Théophile et à Dorothée,
professeur à l'école de Béryte, le soin de composer
un ouvrage élémentaire destiné à ouvrir aux étudiants
l'entrée de la science, et à leur donner, d'une manière
simple, abrégée, les principes des lois. Cet ouvrage fut
rapidement terminé ; il fut extrait en grande partie des
traités élémentaires des anciens jurisconsultes, et surtout
des Instituts de Gaïus. La division, l'ordre des matières,
une infinité de passages sont identiques. Mais ici l'on n'a
point séparé, comme dans le Digeste, les divers fragments;
on n'a point indiqué les sources d'où on les a tirés; ils sont
tous confondus et mêlés aux explications, aux: théories
nouvelles que les rédacteurs des Instituts donnèrent eux-mêmes.
Ce traité, bien qu'il ne fût, pour ainsi dire, qu'un livre
destiné aux écoles de jurisprudence, reçut cependant le
caractère de loi. Il avait été commencé longtemps après
le Digeste, il fut publié près d'un mois avant (le 22 novembre
533). Mais ces deux recueils ne durent être exécutés
tous les deux qu'à partir du 30 décembre 533.
NOUVELLE ÉDITION du CODE (Codex repetitoe proelectionis).
Justinien au sénat de Constantinople : « Depuis la publication
de notre code, nous avons promulgué cinquante
décisions et plusieurs autres constitutions ; nous avons de plus exposé tout le droit ancien dans le Digeste et dans
les Instituts. Ces diverses constitutions ne se trouvant
pas dans notre premier code, et plusieurs de celles qui y
étaient ayant besoin d'être corrigées, nous avons chargé
Tribonien, Dorothée, Menas, Constantin et Jean, de
réunir sous les titres qui les concernent les nouvelle constitutions
aux premières, et de supprimer sans crainte parmi
celles-ci celles qui leur p araîtraient superflues, abrogées.
Ce nouveau travail nous a été présenté ; nous ordonnons
qu'on en fasse une seconde édition du code et nous
défendons de citer devant les juges; rien des cinquante
constitutions, des constitutions postérieures ou du premier,
code.que ce qui se trouve dans cette seconde édition.
» Le 16 des kalendes de décembre: (17 novembre)
554. (De Emendatione Codicis.)
Cette édition nouvelle est celle que nous possédons.
L'autre , probablement détruite, nous est inconnue.Ce
code est, comme le premier, partagé en douze livres ; il
contient de moins plusieur sconstitutions qui ont été supprimées
; aussi arrive-t-il quelquefois que les Instituts
renvoient à certains passages qui ne se trouvent pas dans,
le nouveau code, et qui sans doute étaient dans le premier.
Les constitutions sont placées sous différents titres, avec
l'indication des empereurs à qui elles appartiennent,mais
elles ont été altérées comme les fragments des jurisconsultes.
La plus ancienne est d'Adrien, et c'est ce qui a
donné lieu à cette erreur historique que les constitutions
impériales datent seulement de ce prince...
NOVELLES (Novellae, Authenticae, Corpus authenticorum)
Déjà le nom de Novelles avait été donné à des édits publiés après le code Théodosien par Théodose et ses
premiers successeurs, Justinien qui, après les recueils législatifs
qu'il avait fait faire, régna encore plus de trente
années, promulgua des novelles qui souvent :modifient le
Digeste, les Instituts et le Code. Publiées quelques-unes
en latin, la plupart en grec, elles furent traduites peu de
temps après la mort de Justinien , et réunies en un seul
corps. Ce recueil prit le nom de Corpus authenticorum, et
les novelles celui de Authentiques (Authehticae). Cette
traduction nous est parvenue, c'est ce qu'on nomme la
Vulgate (Versio vulgata novellarum) (1).
Le règne de Justinien brilla par les armes autant que
par les lois. Avec Bélisaire reparurent des soldats,: la discipline,
le courage, l'audace et les triomphes.
(I) La réunion du Digeste, des Instituts, du Code et des Novelles se désigne sous le titre de Corpus Juris. Dans le Code et dans Ie Digeste on nomme depuis longtemps lois les divers fragments qui sont séparés les uns des autres ; mais plusieurs auteurs leur donnent pour le Code le nom de constitutions, pour le Digeste celui de fragments. Ainsi les uns citent le Code et le Digeste de cette manière, (Cod. Liv. 8. lit. I. toi 6 1 i.);(Dig. Liv. 26. Ttt. loi 42.); d'autres au contraire les citent ainsi: (C.L. 8.T.Constit. 6. § i.); (D. L. 26. T. 1. Fragm. 14. § a.). Les mots de constitution et de fragment sont plus conformes à l'histoire générale du droit; ils indiquent l'origine et la nature primitive des passages cités : le mot, de lois convient mieux au caractère particulier du Code et du Digeste, tous les passages qu'on y a insérés ont pris une autorité légale, et sont devenus dans ce recueil de véritables lois, dans le sens où nous entendons ce mot aujourd'hui. Du reste, la chose est peu importante. Il est bon aussi de dire qu'on emploie souvent pour désigner le Digeste ou Pandecles ce signe ff, que l'on croit venir du grec
Les Instituts et le Digeste n'étaient point encore promulgués que le royaume des
Vandales était renversé dans l'Afrique, et
cette contrée, rattachée comme préfecture à l'empire, se
divisait en diocèses, pu provinces, recevait un préfet, des
recteurs, des présidents (533). Aussi Justinien, qui, dans
le titre de ses lois, s'était contenté jusque là des épithètes
vulgaires de Pius, Félix, semper Augustus, en publiant
les instituts, surchargea-t-il son nom des surnoms de Alemanicus,
Gothicus, Alanicus, Vandulicus , Africanus, etc.
A l'Afrique succéda bientôt la Sicile, à la Sicile l'Italie ;
et les Goths, fuyant devant des soldats que leur général
rendait invincibles, abandonnèrent Rome elle-même, dont
les clefs furent comme un gage de sujétion envoyées à Constatinople (537). Cependant, tandisque sous les murs
de Carthage, aux rivages de la Sicile, sur les bords du
Tibre, Bélisaire avait réveillé l'ancienne gloire, en Orient,
dans la cour de Justinien, l'envie s'attachait au grand
homme. A-t-il soutenu dans Rome un siége héroïque
d'une année, et, libre enfin, a-t-il parcouru l'Italie et enfermé
dans Ravenne le roi Goth qui ne peut lui échapper ;
un traité de l'empereur détruit la plus belle partie de ces
avantages, et un ordre le rappelle à Constantinople. A-t-il
porté la guerre au milieu de l'Assyrie, et menaçant la capitale
du roi de Perse, a-t-il forcé ce roi à abandonner
les provinces romaines qu'il attaquait, pour venir à la
hâte défendre ses propres états (544) ; un ordre de l'empereur
le rappelle à Constantinople. Reparaissant dans
l'Italie, où sa première conquête était menacée, a-t-il arraché
Rome aux Goths qui la reprenaient, et se disposet-il à briser en entier le joug de ces barbares ; un ordre de
l'empereur le rappelle à Constantinople. C'est ainsi qu'on
choisissait le genre de persécution le plus sensible à un
homme tel que lui. L'eunuque Narsès qui le remplaça n'était pas indigne
de cet honneur: il acheva glorieusement l'ouvrage de Bélisaire. Livrant toute l'Italie à l'empire d'Orient, il reçut,
sous le titre d'Exarque, le commandement de ces contrées,
et s'établit à Ravenne qu'il choisit pour la capitale de son
exarchat.
Quant au vieux Bélisaire, une fois encore il repoussa
loin de Constantinople des ennemis redoutables, les Bulgares,
qu'une irruption; subite avait apportés (559); mais
jusqu'au bout de sa carrière victime des intrigues de
cour, accusé d'avoir trempé dans un complot, condamné,
retenu prisonnier, reconnu innocent, il mourut au bout
de quelques mois; et la poésie et la peinture, s'emparant
de ses malheurs, les ornant de tout le merveilleux de leurs
fictipns, ont flétri jusque dans notre siècle l'ingratitude
de Justinien.
L'empereur ne survécut pas long-temps à Bélisaire, il
mourut après un règne de quarante ans (565). Quel jugement
porter sur lui ? il a, pour ainsi dire, divisé les
historiens et les jurisconsultes en deux sectes, les justinianistes et les anti-justinianistes. Montesquieu est bien loin
d'épargner sa mémoire. « La mauvaise conduite de Justinien,
ses profusions, ses vexations, ses rapines, sa fureur
de bâtir, de changer, de réformer, son inconstance
dans ses desseins, un règne dur et faible, devenu plus incommode
par une longue vieillesse, furent des malheurs
réels, mêlés à des succès inutiles et à une gloire vaine. "
La plupart de ces reproches sont mérités; on peut, y
joindre celui d'avoir pris dans le cirque une espèce de
prostituée, Théodora, qu'il éleva sur le trône, et à laquelle
il remit plus d'une fois le sceptre qu'il aurait dû porter lui-même.
Ses travaux législatifs n'ont point suffi pour le défendre; et, comme les victoires appartiennent à Bélisaire
et à Narsès, on attribue les lois à Tribonien et à ses collaborateurs.
Il est vrai néanmoins que Justinien était
versé dans l'étude de la jurisprudence et qu'il conçut lui-même
le projet de la réformer. On lui reproche d'avoir,
mutilant sans respect les anciens auteurs, défiguré leurs
opinions et celle des empereurs. Agissait-il en historien
ou en législateur? devait-il donner à ses sujets un tableau
de la science du droit ancien, ou devait-il leur donner
des lois? Il
ne faut point juger les choses par rapport à
nous, auxquels Justinien ne songeait pas, mais par rapport
aux habitants de Constantinople. La plupart des changements
qu'il introduisit sont heureux ; il ne s'agissait plus
de Rome, d'institutions républicaines, de droit rigoureux :
écartant ce qui n'était alors pour l'Orient que subtilités
inutiles, il créa plusieurs systèmes plus naturels, partant
plus simples, plus équitables. Cependant ses idées d'innovation
furent poussées trop loin. Ce code modifiant le
Digeste et les Instituts, ces Novelles modifiant le code et
se détruisant entre elles, jetèrent dans la législation une
fluctuation toujours funeste. J'arrive au reproche le plus
grave qu'on lui ait fait, celui d'avoir laissé vendre par
Tribonien les jugements ainsi que les lois, et d'avoir partagé
le prix de ces ventes. Que ce trafic ait eu lieu, plus
d'un historien rapprochés de cette époque en donnent
des preuves; que Justinien l'ait partagé, on n'a que des
présomptions là dessus.
TRIBONIEN OU TRIBUNIEN. Comme ministre, Tribonien par ses exactions souleva le peuple ; et l'empereur, pour apaiser la sédition, se vit contraint de l'éloigner pour quelque temps. Comme jurisconsulte, il possédait des connaissauces variées, il avait parcouru les anciens ouvrages de jurisprudence; c'est lui qui dirigea la rédaction de tout le corps de droit, et c'est à lui en grande partie qu'il faut attribuer le mérite et les défauts de cette collection.
THÉOPHILE. Professeur de droit à Constantinople, il a
pris part au travail du premier Code, du Digeste et des
Instituts. Nous avons de lui un écrit bien précieux. C'est
une paraphrase grecque de ces mêmes instituts auxquels
il avait travaillé. Il est vrai qu'on a prétendu que cet ouvrage
n'était pas de lui, mais bien d'un auteur beaucoup
plus rapproché, portant le même nom. La fausseté de
cette assertion est communément reconnue. Dans l'opinion
de tous les jurisconsultes qui s'occupent de droit
romain, les Commentaires de Théophile ont repris importance
qu'ils méritent.
Nous voici parvenus au point qui sert de borne à cet
ouvrage. C'est sur la législation de Justinien que notre
travail doit s'arrêter, et il ne nous reste plus qu'à porter
un dernier regard vers les institutions de l'empire pour
embrasser dans leur ensemble les variations qu'elles ont
éprouvées depuis Constantin.
SITUATION EXTÉRIEURE DE CONSTANTINOPLE.
Ce titre nous dit assez que les nations qui se pressaient jadis sur les frontières, menaçant d'envahir les provinces, ont achevé leur ouvrage. Il nous rappelle et la migration de Constantin avec sa cour au sein d'une nouvelle capitale, et la division du monde romain en deux empires, et les flots de barbares poussés du Nord au Midi, et la disparition de l'empire d'Occident. Sous le règne de. Justinien, les victoires de Bélisaire, celles de Narsès ont, pour un moment, reconquis le littoral de l'Afrique, la Sicile et l'Italie. Là où fut la république de Rome est aujourd'hui l'exarchat de Ravenne. Vers l'Orient, les Bulgares, les Perses, les Avares, des peuplades sorties de la Thrace se jettent dans l'empire. Bélisaire les a repoussés plusieurs fois; mais ces victoires ne suffisent point. Ces peuples sont toujours prêts à faire de nouvelles irruptions, et quelques-uns d'entre eux reçoivent des tributs de l'empereur de Constantinople.
DROIT PUBLIC. Le peuple, l'armée ne sont plus rien, l'empereur est tout. Les patrices, les évêques, le préfet de la ville, le préfet du prétoire, le questeur du sacré palais, les officiers de sa maison, les comtes du consistoire, tous clarissimi, spectabiles ou illustres, forment son cortége. Ces magistrats ne sont que ses sujets les plus soumis, le sénat qu'une espèce de tribunal, le consulat qu'une date. Du fond de son palais, il ordonne la guerre ou la paix, lève des impôts, promulgue des lois, donne ou retire les magistratures, condamne ou absout les sujets. Pouvoir législatif, pouvoir judiciaire, pouvoir exécutif, tout est dans ses mains. Plus d'autre loi que la volonté du prince. Le corps de droit publié par Justinien offre le recueil de l'ancienne législation modifiée par cette volonté. Plus d'autre justice que celle que rend ou fait rendre le prince. Le nombre des préteurs est réduit à trois, leurs pouvoirs sont éclipsés par ceux du préfet de la ville, du préfet du prétoire et de plusieurs autres officiers. Affaires criminelles. Il ne s'agit plus, comme sous la république, d'une loi ou d'un plébiscite pour mettre un citoyen en accusation. Celui qui veut poursuivre inscrit sa dénonciation auprès du magistrat, à Constantinople l'un des officiers supérieurs suivant la nature du délit, dans les provinces le recteur, le président ou le préfet du prétoire provincial; ce magistrat forme le tribunal; l'affaire est jugée. Le sénat connaît de quelques causes ; fort souvent l'empereur prononce lui-même. Affaires civiles. Depuis la constitution de Constant, celle de Théodose, et Valentinien, plus de formules solennelles judiciaires, plus de nécessité d'obtenir du préteur l'action (impetrare actionem), plus de division du procès en deux parts, le point de fait et le point de droit. Tous les jugements sont aujourd'hui extraordinaires ( extra ordinem), c'est-à-dire que dans tous, le magistrat examine la contestation et prononce. Le plaideur se présente dès l'abord devant lui ; la procédure commence par l'exposé de la demande et la présentation des titres ( editio); après un certain délai a lieu l'ordre de comparution forcée ( in jus vocare ) ; l'affaire est développée par des avocats (causidici, togati, advocati); le juge prononce sur le vu des pièces, la déposition des témoins, la preuve des faits ; il veille à l'exécution du jugement. C'est ainsi qu'il réunit tous les pouvoirs qu'on séparait autrefois, jurisdictio, judicium, imperium. L'administration de l'État, hors la capitale, est à peu près telle que l'a établie Constantin. Les préfectures divisées en diocèses et les diocèses en provinces sont dirigés par des préfets, des vicaires, des recteurs et des présidents. Les évêques y exercent une grande autorité. Chaque ville a de plus ses décurions et ses magistrats municipaux ; les défenseurs des cités occupent aussi une magistrature tombée en discrédit et que Justinien, dans une novelle, cherche à rehausser. C'est à leur tribunal que se portent les affaires de peu d'importance.
DROIT SACRÉ. Le christianisme était un crime que les empereurs punissaient autrefois; maintenant c'est le paganisme qu'ils poursuivent. Tous ceux qui ne professent point les opinions orthodoxes sont frappés par des lois sévères ; ils forment dans l'État des classes réprouvées; les sujets chrétiens se croiraient souillés s'ils vivaient à côté d'un apostat, d'un hérétique, d'un juif ou d'un païen, et tous ces mots sont parvenus jusqu'à nous comme synonymes d'une injure grossière. Par ses principes et par sa morale, la religion du Christ plane au-dessus du pouvoir terrestre dont elle se détache entièrement ; mais oubliant ce caractère si digne de la divinité, les prêtres, les évêques se rapprochent autant que possible de la puissance temporelle ; les évêques sont élus par le suffrage des fidèles ; ils se rangent parmi les premiers magistrats de l'empire ; à leurs fonctions spirituelles ils unissent une puissance civile fort étendue. L'Église s'enrichit par les dons des empereurs et des sujets; ses grands biens croissent chaque jour; les couvents de femmes, les couvents d'hommes se multiplient, les moines se répandent. Cependant les controverses théologiques continuent avec la même aigreur, le même acharnement; souvent des conciles sont obligés de se réunir pour décider des contestations qu'ils ne parviennent jamais à éteindre.
DROIT CIVIL.
Né avec Rome, inscrit sur les douze Tables, le droit
civil primitif conserva toute l'énergie, toute la dureté républicaines
jusqu'au moment où l'Italie entière fut soumise.
Alors les principes du droit des gens, les décisions
prétoriennes commencèrent à le modifier lentement, et
l'on peut dire qu'il n'existait plus en réalité lorsque la république
tomba. La nouvelle législation, entée sur la première, fut dirigée vers un tout autre but, le droit naturel
et l'équité. Un siècle parut qui amena avec lui des génies
supérieurs ; jurisconsultes illustres qui se succédaient
comme s'ils naissaient les uns des autres, et qui, par leurs
écrits, firent de la jurisprudence une science immense.
Il est curieux de suivre dans ces changements ce droit
originaire des Romains tombé avec la république, et de
chercher quelle fut sa destinée. D'abord ses principes
toujours proclamés forment un contraste saillant avec les
institutions nouvelles auxquelles on n'arrive qu'à l'aide
de subtilités ingénieuses ; les constitutions impériales y
portent plusieurs atteintes, le changement de capitale
le dépayse; dès ce moment on voit chaque jour disparaître
quelques-unes de ses institutions; celles qui restent
sont toujours moins en harmonie avec les moeurs. Enfin
Justinien, publiant un corps entier de jurisprudence, détruisant
une grande partie des subtilités et des rigueurs
qui subsistaient encore , ne laisse plus que des traces de la législation primitive, et dans une novelle finit même
par détruire ce qu'il y avait jadis de plus remarquable, la
composition civile des familles, et les droits attachés à
cette composition.
Sur les personnes. Les lois favorisent l'affranchissement,
les affranchis sont tous citoyens, les différences
qui existaient jadis entre eux et les ingénus s'ont effacées;
des hommes d'une classé particulière, espèce de serfs de
la glèbe, forment un passage entre l'esclave et le sujet
libre. Plus de puissance maritale (manus) ; plus de droits
sur l'homme libre, vendu ou abandonné en réparation
(mancipium); la puissance paternelle s'est rapprochée entièrement
de la nature ; le fils est propriétaire de plusieurs
sortes de biens qui n'appartiennent point à son père. La
composition civile des familles, la différence entre la parenté
de citoyen (agnatio) et la parenté du sang (cognatio)
n'amènent pas de grands résultats dans les différences de
droits que les parents ont entré eux, et Justinien, par une
novelle, les fait disparaître presqu'en entier.Sur les choses. Plus de distinction entre les choses mancipi
ou nec mancipi, partant plus de mancipation ni d'autres
formalités solennelles pour accompagner la tradition,
plus de différence entre les biens de l'Italie et ceux des
provinces.Sur les testaments. Plus de vente solennelle et fictive de
l'hérédité. Des formalités plus simples sont assignées à
l'acte testamentaire. Le fils de famille peut, comme le
chef, tester sur plusieurs des biens qui lui appartiennent.
Plus de restrictions, par rapport à la capacité de recevoir
par testament, pour celui qui n'est pas marié (caelebs) ou
qui n'a pas d'enfant (orbus).Sur les successions. Les possessions de biens, transportées dans les recueils de Justinien, accordaient aux parents
naturels des droits de succession mais cet empereur,
supprimant par une novelle les distinctions d'agnats
et de cognats qui n'entraînaient plus qu'une confusion
inutile, établit un ordre de succession dans lequel on ne
retrouve aucun vestige des anciennes idées, et qui repose
en entier sur la parenté naturelle.
Sur les contrats. Déjà modifiés pendant la période précédente,
les contrats ont subi peu de changements. Les
dispositions du préteur, qui rendaient obligatoires plusieurs
conventions que le droit civil ne sanctionnait pas, ont
passé dans le corps de droit de Justinien. Pour les stipulations,
il n'est plus nécessaire de paroles sacramentelles,
il suffit que l'interrogation et la réponse soient conformes.
L'usage est généralement répandu de faire dresser les actes
par des personnes revêtues d'un caractère publie et qu'on
nomme tabellions (tabelliones).Sur les actions. Tous les caractères qu'on y attachait
jadis se sont évanouis ; ainsi plus d'actes symboliques
comme dans les actions de la loi ; plus de formules judiciaires
; plus de demande préalable de l'action. A cette
époque, on n'entend réellement par le mot actio que le
droit d'agir en justice pour se faire rendre ce qui vous
est dû.
Dans l'Etat, dans les magistratures, dans les familles,
il ne faut plus chercher les moeurs de Rome, mais celles
de Constantinople.
Dans l'Etat, si quelque chose agite encore les esprits,
ce n'est pas la liberté, le bien public, le succès des armes, mais les couleurs des cochers ou les controverses
religieuses.
Dans les magistratures on ne voit pas l'occasion de
payer, une dette à
son pays, de remplir à son, tour des
fonctions honorables et non lucratives ; on voit le moyen
d'accumuler des honneurs pour son ambition, pour sa
cupidité des richesses.
Dans les familles, cette union intime des membres,
cette discipline intérieure, cette soumission aux volontés
du chef ne sont plus. Un constraste frappant s'offre à mon
esprit : sous la république, le chef de famille propriétaire
des biens, propriétaire des personnes, avait un pouvoir
absolu ; les familles formaient autant de petits Etats despotiques
et de leurs réunion naissait un grande Etat, libre
au-dedans, redoutable au-dehors. Sous l'empire, le chef
n'est propriétaire ni des personnes, ni des biens ; les familles
sont: en quelque sorte libres, et de leur réunion
naît un grand Etat, esclave au-dedans, lâche et faible au dehors.
Ne serait-ce points là un bel éloge de la puissance
paternelle ? Plus on sera fils respectueux et soumis, plus
on sera citoyen libre et courageux.
CE QUE DEVINT LE DROIT ROMAIN APRES JUSTINIEN.
L'empire d'Orient vécut presque neuf cent ans encore
après Justinien. Les ouvrages législatifs de ce prince, modifiés,
par les novelles de ses successeurs, continuèrent à
former le droit de l'État, jusqu'à ce
qu'en 867 l'empereur
Bazile le Macédonien fit commencer en langue grecque un
nouveau recueil extrait du Digeste, des Instituts, du Code, des Novelles de Justinien, ainsi que de toutes les constitutions
venues après. Cet ouvrage fut achevé pendant le
règne de Léon le Philosophe (887), et publié sous le nom
de Basiliques; il conserva son autorité jusqu'au moment
où l'empire d'Orient tomba sous les coups de Mahomet II
(l453 ). Alors le koran remplaça les basiliques, et les
Grecs vaincus gardèrent seuls leurs anciennes lois.
Dans l'Occident, les conquêtes des généraux de Justinien
furent de peu de durée. Dès le règne suivant, :les
Lombards s'emparant d'une grande partie de l'Italie, n'y
laissèrent aux empereurs d'Orient que l'exarchat de Ravenne,
qui lui-même ne tarda guère à disparaître (752).
Cependant les lois de l'empire ne furent pas totalement oubliées ; tandis que les vainqueurs suivaient la loi barbare, les sujets d'origine romaine et tous les ecclésiastiques
continuèrent à être régis par le droit romain. C'est
ainsi que ce droit survécut à la Conquête, et dans un état
de stagnation parvint jusqu'au 12.e siècle. Alors avec la
civilisation et le goût de l'étude il parut se réveiller dans
l'Italie: Irnérius se mit à le professer publiquement, à
Bologne; plusieurs jurisconsultes se formèrent sous lui ;
se dispersant dans des contrées diverses, ils portèrent avec
eux les lois romaines et leurs,explications. De tout côté
les Etats de l'Europe virent s'ouvrir des écoles de jurisprudence.
Le droit romain fut introduit par l'étude avant
de l'être par les lois. En France, on l'admit comme obligatoire
dans le midi, sous le nom de droit écrit (1200),
et plus tard dans les provinces du nord comme le complément
des coutumes : époque confuse où la législation,
frappée encore de l'empreinte de la féodalité, variait dans
chaque partie d'un même royaume ; époque où l'on n'avait
qu'à traverser une rivière, qu'à franchir une chaîne de montagne pour se trouver régi par des lois différentes.
Tel fut l'état de la France jusqu'au moment où parut
dans nos codes une législation simple, sagement combinée,
et qui soumet enfin aux mêmes conditions tous les
membres d'une même société.
FIN DU RESUME DE L HISTOIRE DU DROIT ROMAIN.
PÉRIODES ORDINAIRES DU DROIT.
J'ai suivi dans ce résumé la division que m'indiquait l'histoire romaine, j'en ai donné les raisons. Cependant je crois nécessaire d'exposer ici quelles sont les diverses périodes que généralement ou distingue dans le droit, lorsqu'on le considère en lui-même, abstraction faite des événements. Les auteurs ne s'accordent pas entièrement sur ce point. Je prends le tableau qui suit dans un ouvrage excellent paru en Allemagne, l'Histoire du Droit romain, par M. Hugo. Il contient du reste, à une différence près, les périodes qu'avaient établies Gibbon, et que les écrivains venus après lui ont adoptées.
PREMIÈRE PÉRIODE,
DEPUIS LA FONDATION DE ROME JUSQU'AUX DOUZE TABLES
( An de Rome 1 à 300.). Enfance de la ville et du droit, A la fin de cette période paraît une loi écrite qui, par rapport aux droits privés, place sur le même rang tous les citoyens patriciens ou plébéiens. Les fragments de cette loi sont la source où l'on doit puiser l'histoire du droit de cette époque. Jurisconsulte célèbre : PAPIRIUS.
SECONDE PÉRIODE.
DEPUIS LES DOUZE TABLES JUSQU'À CICÉRON
(An de Rome 5oo
à 650.). Age de jeunesse. Rome étend sa puissance. Le droit
se divise en droit civil et droit honoraire ; on ne l'étudie point
encore comme une science, mais on s'y habitue par la pratique.
La guerre sociale s'allume; et, pour l'éteindre, des plébiscites
accordent les droits de citoyen romain à la plupart des habitants
de l'Italie.
Source principale. CICÉRON.
Jurisconsultes célèbres : APPIUS CLAUDIUS, FLAVIUS , CORUNCANIUS, AËLIUS , CATON.
TROISIÈME PÉRIODE.
DEPUIS CICÉRON JUSQU'À ALEXANDRE SÉVÈRE
(An de Rome 65o
à 1000.). Age de virilité. L'empire est un des plus vastes qui
jamais aient existé. Les arts, les sciences, et surtout la jurisprudence,
atteignent leur plus haut degré ; des plébiscites, des
sénatus-consultes, des constitutions impériales apportent plusieurs
dispositions importantes pour le droit; des ouvrages
nombreux développent les lois, et les présentent comme formant
une science immense dont les principes s'enchaînent les uns
aux autres. A la fin de cette période, les sujets des provinces
sont assimilés presque en tout aux citoyens de Rome.
Sources principales. Les fragments qui nous restent des ouvrages
parus pendant cette période.
Jurisconsultes célèbres : SCÉVOLA, SERVIUS SULPICIUS, LABÉON,
SABINUS, JULIEN, GAJUS, PAPINIEN, PAUL, ULPIEN, MODESTIN.
QUATRIÈME PÉRIODE.,
DEPUIS ALEXANDRE SÉVÈRE JUSQU'À JUSTINIEN
(An de Rome
1000 à 1500.). Age de vieillesse. L'empire est pressé sur tous ses
points, ses provinces sont dévastées. L'étude des arts et des lettres
s'éteint; la science du droit est toute dans la citation des anciens
prudents et des constitutions impériales; plusieurs recueils
de ces constitutions paraissent. Ils forment les sources
de l'histoire.
Jurisconsultes célèbres: HERLIGENE, GREGORIUS, TRIBONIEN,
THÉOPHILE.
EXPLICATION
DES
INSTITUTS DE JUSTINIEN.
PRAOEMIUM
INSTITUTION D. JUSTINIANI.
(IN NOMINE DOMINI NOSTRI JESU-CHRISTI.)
Imperator Caesar Flavius Justinianus, Alemanicus, Gothicus, Francicus, Germanicus, Antivus, Alanicus , Vandalicas , Africanus , Pius , Felix , Inclytus, victor ac triumphator, semper Augustus, cupidoe legum juventuti.
PRÉAMBULE DES INSTITUTS DE JUSTINIEN. (AU NOM DE NOTRE-SEIGNEUR J,-C. )
L'empereur César Flavien Justinien, Alémanique, Gothique, Francique, Germanique, Antique, Alanique, Vandalique, Africain , Pieux, Heureux, Glorieux, vainqueur et triomphateur, toujours Auguste, à la jeunesse désireuse d'étudier les lois. En lisant les diverses constitutions de Justinien, qui ordonnent la rédaction du premier Code, sa confirmation,
Il me semble impossible de rendre le mot de praoemium d'une manière digne des lois; ce n'est ni préface, ni introduction ; ni prologue, ni préliminaire, ni préambule: Je n'aperçois point le mot. C'est cette partie des lois destinée à faire leur éloge et à recommander leur étude. Cicéron, suivant l'avis de Platon, la considère comme indispensable; aussi dans son Traité des Lois ne manque-t-il pas de dire : Ut vir doctissimus fecit Plato... id mihi credo esse faciendum , ut priusquàm Ipsam legem recitem, de ejus legis laude dicam ; et alors il commence ces éloges et ces conseils à la fin desquels il ajoute : habes legis prooemium , sic enim hoc appellat Plato. (CIC. De leg. lib. 2.)
la composition du Digeste, on ne voit à côté du nom de cet empereur que les titres communs de Augustus, ou bien Pius, Félix, etc. C'est dans la constitution que nous avons ici que Justinien, pour la première fois, prend les épithètes nombreuses et emphatiques de Africanus, Vandalicas, Gothicus, etc. C'est que Bélisaire , conduisant sous les murs de Carthage les soldats de l'empire, dispersant les Vandales et leurs auxiliaires, venait de renverser leur royaume dans l'Afrique, et de réduire cette contrée à l'état de préfecture impériale. Justinien se hâta d'attacher à son nom celui des principaux peuples barbares, en y comprenant quelques nations que ses armées n'avaient pas encore vaincues, ou qu'elles ne vainquirent jamais.
Imperatoriam majestatem non
solum armis decoratam, sed etiam
legibus oportet esse armatam , ut
utrumque tempus et bellorum et
pacis recte possit gubernari, et
princeps romanus non solum in
hostilibus praeliis victor existat,
sed etiam per legitimos tramites
calumniantium iniquitates expellat;
et fiat tam juris religiosissimus,
quaim victis hostibus, triumphator.
1.Quorum utramque viamcum
summis vigiliis, summaque providentia
, annuente Deo, perfecimus.
Et bellicos quidem sudores
nostros barbaricae gentes subjuga
nostra deductae cognoscunt ; et
tam Africa, quam aliae innumerosae
provinciae, post tanta temporum
spatia , nostris victoriis a
caelesti numine praestitis, iterumditioni romanas, nostroque additae
imperio, protestantur. Omnes
vero populi, legibus tam a nobis
promulgatis, quam compositis,
reguntur.
La majesté impériale doit s'appuyer
sur les armes et sur les lois,
pour que l'Etat soit également bien
gouverné pendant la guerre et pendant
la paix; pour que le prince,
repoussant dans les combats les aggressions
des ennemis, devant la
justice les attaques des hommes iniques,
puisse se montrer aussi religieux
dans l'observation du droit
que grand dans les triomphes.
1. Cette double tâche, par les plus grands travaux et les plus grands soins, à l'aide de Dieu, nous l'avons remplie. Nos exploits guerriers sont connus des barbares que nous avons placés sous notre joug; ils sont attestés et par l'Afrique et par tant d'autres provinces que nos victoires , dues à la protection céleste, ont, après un si long intervalle, rendues à la domination romaine et rattachées à notre empire. Des lois promulguées ou rassemblées par nous régissent tous les peuples.
Ce n'est point à la conquête de la Sicile et de l'Italie par Bélisaire et Narsès, que ce passage fait allusion, car cette conquête ne s'effectua que beaucoup plus tard. L'empereur veut désigner les premières victoires de ses armées sur les Perses, sur quelques barbares, mais surtout les défaites récentes des Vandales et la soumission des provinces africaines.
2. Et cum sacratissimas constitutiones, antea confusas, in luculentam ereximàs consonantiam, tunc nostram extendimus curam ad immensa prudentiae veteris Volumina, et opus desperatum, quasi per medium profundum euntes, caelesti favore jam adimplevimus.
2. Après avoir amené à une harmonie parfaite les constitutions impériales si confuses jusque-là, nous avons porté nos soins sur les volumes immenses de l'ancienne jurisprudence, et, marchant. comme plongés dans un abime de difficultés, cet ouvrage, désespéré déjà, par une faveur du ciel, nous l'avons terminé.
Justinien rappelle ici les ouvrages qu'il a déjà fait rédiger sur la législation : le Code par ces mots, constitutiones in lucutentam ereximus consonantiam : le Digeste, par ceux-ci, nostram extendimus curam ad immensa prudentiae veteris volumina. A ce dernier travail il donne la qualification de opus desperatum Du reste, le Digeste était terminé dans ce moment, comme le texte lui-même nous l'apprend ; mais il ne fut confirmé qu'environ un mois plus tard. Il est important de bien connaître quelles sont les diverses parties qui'composent le corps de droit de Justinien, quel est leur but, à quelle époque elles furent publiées. Nous avons déjà traité cette matière.
3. Cumque hoc, Deo propitio, peractum est; Triboniano, viro magnifico, magistro, et ex quaestore sacri palatii nostri, nec non Theophilo et Dorotheo, viris ilIustribus, antecessoribus (quorum omnium solertiam , et legum scientiam, et circa nostras jussiones fidem, jam ex multis rerum argumentis accepimus ), convocatis; specialiter mandavimus, ut nostra auctoritate, nostrisque suasionibus, componant Institutiones, ut liceat vobis prima legum cunabula non ab antiquis fabulis discere, sed ab imperiali splendore appetere ; et tam aures quam anirni vestri, nihil inutile, nihilque perperam positum, sed quod in ipsis rerum obtinet argumentis accipiant. Et quod priore tempore vix post quadriennium prioribus contingebat, ut tunc constitutiones imperatorias legerent, hoc vos à primordio ingrediamini, digni tanto honore, tantaque reperti felicitate, ut et inilium vobis et finis legum eruditionis a voce principali procedat.
3. Ceci fait, grâces à Dieu, nous avons convoqué l'illustre Tribonien, maître et ex-questeur de notre palais, Théophile et Dorothée ; hommes illustres et antécesseurs, qui tous les trois nous ont déjà donné plus d'une preuve de leur capacité, de leur savoir dans le droit, de leur fidélité à nos ordres, et nous les avons chargés spécialement de composer avec notre autorisation et nos conseils des Instituts, afin qu'au lieu de chercher les premiers éléments du droit dans des ouvrages vieillis et reculés, vous puissiez les recevoir émanés de la splendeur impériale; que rien d'inutile, rien de déplacé ne frappe vos oreilles et votre esprit que vous n'appreniez rien enfin qui ne tienne aux affaires mêmes. Ainsi, lorsque jusqu'à ce jour la lecture des constitutions impériales était possible à peine aux premiers d'entre vous après quatre ans d'études, c'est par elle que vous commencerez, dignes d'assez d'honneur et doués d'assez de bonheur que pour vous les premières et les dernières leçons de la science des lois soient parties de la bouche du prince.
Triboniano, Theophilo et Dorotheo. Voilà les trois rédacteurs des Instituts; ils nous sont connus par ce que nous en avons déjà dit . Nous savons que tous les travaux législatifs de Justinien, à l'exception du premier Code, furent faits sous la direction de Tribonien, ou Tribunien ; que Dorothée était professeur de Droit à Béryte, Théophile à Constantinople. C'est ce dernier qui a laissé sur les Instituts une paraphrase grecque qui nous servira fort souvent de guide dans nos explications.
4. Igitur, post libros quinquaginta Digestorum seu Pandectarum, in quibus omne jus antiquum collectum est, quos per eundem virum excelsum Tribonianum, nec non et caeteros viros illustres et facundissimos confecimus, in quatuor libros easdem Institutiones partiri jussimus, ut sint totius legitimes seientiae prima elementa.
4. Nous avons donc, après les cinquante livres du Digeste ou Pandectes, dans lesquels tout le droit ancien a été recueilli par le même illustre personnage, Tribonien, aidé de plusieurs hommes célèbres et éloquents, nous avons, ordonné qu'on divisât les Instituts, en quatre livres renfermant les premiers éléments de toute la science.
5. In quibus breviter expositum est et quod antea obtinebat, et quod postea desuetudine inumbratum, imperiali remedia illuminatum est.
5. On a brièvement exposé ce qui existait autrefois, et ce qui obscurci par le temps et le non usage a été, par la sollicitude impériale, éclairé d'un nouveau jour.
Il est vrai que souvent les rédacteurs des Instituts ont rappelé ce qui existait autrefois. Plusieurs titres sont précédés d'un aperçu historique sur la matière qu'ils embrassent; tels sont, par exemple, les titres des testaments et des successions légitimes. Mais il en est d'autres dans lesquels ces préliminaires manquent absolument. Ainsi on ne donne aucune notion sur l'histoire des actions, matière si singulière, si importante dans l'ancienne législation, et qui avait tant subi de modifications.
6. Quas ex omnibus antiquorum Institutionibus, et praecipue ex commentariis Gaii nostri, tam Institutionum, quam rerum cotidianarum, aliisque multis commentariis compositas, cum tres viri prudentes praedicti nobis obtulerunt, et legimus et cognovimus, et plenissimum nostrarum constitutionum robur eis accommodavimus.
6. Les Instituts tirés de tous ceux des anciens, de plusieurs commentaires, mais surtout de ceux qu'a faits notre Gaius tant sur les Instituts que sur les causes de chaque jour , nous ont été présentés par les trois jurisconsultes nommés plus haut ; nous les avons lus et revus , et nous leur donnons toute la force de nos constitutions.
Ex commentariis Gaii nostri. Nous avons parlé de Gaïus, de ses ouvrages, surtout de ses commentaires et de leur découverte récente (Hist. du Droi, pag. 156). Les Instituts de Justinien sont rédigés sur le même plan que ceux de Gaïus, divisés en quatre livres, comme ces derniers en quatre commentaires; la distribution des matières y est la même , et une infinité de passages sont identiques.
7. Summa itaque ope, et alacri studio has leges nostras accipite ; et vosmetipsos sic eruditos ostendite , ut vos spes pulcherrima foveat, totp legitimo opere perfecto, posse etiam rem nostram publicam in partibus ejus vobis credendis gubernari. D. CP. XI calend. decemb. D. JUSTINIANO PP. A. III. CONS.
7. Travaillez donc avec une joyeuse ardeur à apprendre ces lois ; et montrez-vous tellement instruits que vous puissiez être animés de l'espérance si belle d'être capables à la fin de vos travaux de gouverner notre empire dans les parties qui vous seront confiées. Donné à Constantinople, le 11 des calendes de décembre, sous le troisième consulat de l'empereu Justinien toujours Auguste.
La date que nous avons ici correspond à celle du 22 novembre 533. C'est à cette époque que les Instituts furent confirmés; le Digeste le fut environ un mois après, le 16 décembre, et ces deux ouvrages reçurent leur autorité légale à partir du 30 décembre 533.
INSTITUTS
DE JUSTINIEN.
LIVRE PREMIER.
TIT. I.
DE JUSTITIA ET JURE.
TIT. I.
DE LA JUSTICE ET DU DROIT.
Le mot jus, que nous avons mal rendu par celui de
droit, a diverses acceptions : une première lui est propre,
et les autres en dérivent à l'aide de figures du langage.
Jus n'est qu'un mot contracté qui vient de jussum. La signification première de ce mot est donc ordre, ou
règle généralement prescrite, c'est-à-dire loi.
Jus est aussi défini au Digeste (I. i.f.i.) ars boni et
aequi, l'art qui détermine ce qui est bon et équitable ; or un
art n'est qu'une collection de règles : le droit, jus, est
donc la collection des règles qui déterminent ce qui est
bon et équitable, c'est-à-dire la collection des lois. On
prend la partie pour le tout; la loi, jus, pour, leur collection.
C'est dans ce sens qu'on dit: droit public, droit civil,
droit des gens, (jus publicum, civile , gentium).
Jus signifie quelquefois les facultés, les bénéfices accordés
par la loi : défendre ses droits, droit de succession,
droit de passage , (jura sua tueri, jus hereditatis , jus itineris).
On prend ici la cause , c'est-à-dire la loi, jus, pour
les effets qu'elle produit. Enfin jus se dit quelquefois du lieu où l'on rend la justice;
appeler en justice, (in jus vocare). On prend ici jus,
la loi, pour le lieu où elle s'applique. (D. I. 1. f. 11.).
De ces diverses acceptions, il faut dire que les plus communément
employées sont la deuxième, où jus signifie
une collection de règles ; et la troisième, où il signifie une
faculté, un avantage produits par la loi.
Justitia est constans et perpetua
voluntas jus suum cuique tribuendi =
La justice est la ferme volonté de
donner toujours à chacun ce qui lui
est dû.
Constans et perpetua voluntas. La justice est une vertu ;
elle consiste dans la volonté d'observer fidèlement les lois,
de rendre à chacun son droit. On ajoute constans, parce
que cette volonté doit être ferme et non vacillante ; mais
comment entendre l'expression perpetua ? faut-il que la
volonté soit perpétuelle? Non ; car si un homme a eu pendant
deux ans la volonté ferme de rendre à chacun son
droit, mais qu'au bout de ce terme il ait perdu cette volonté,
on n'en dira pas moins que pendant deux ans il a eu
de la justice. La justice, comme les autres vertus , est indépendante
du plus ou moins de temps que l'on y persévère.L'expression perpetua doit être prise dans ce sens
que la justice consiste dans la volonté ferme de rendre
perpétuellement à chacun ce qui lui appartient. Celui-là ne
peut se dire juste qui a l'intention de faire droit à chacun
pendant un mois, mais de ne plus faire droit le mois
d'après. C'est donc par un mécanisme de langage, assez,
commun dans le génie de la langue latine, qu'on a dit :
Perpetua voluntas jus suum cuique tribuendi, pour dire : Votuntas
perpetuo jus suum cuique tribuendi.Quelques textes, au lieu de tribuendi, portent tribuens;
ce serait alors la justice en action (justice distributive) qui
se trouverait définie ; mais le sens paraîtrait moins exact.
On ne peut pas dire voluntas tribuens, la volonté ne donne
pas, elle conduit à donner (voluntas tribuendi); d'un
autre côté, on peut être entièrement juste, et, sans le
savoir, ne pas rendre à quelqu'un ce qui lui appartient
1. jurisprudentia est divinarum alque humanarum rerum notitia, justi atque injusti scientia.
1. La jurisprudence est la connaissance des choses divines et humaines: avec la science du juste et de l'injuste.
Jurisprudentia. La décomposition seule de ce mot nous en donne la signification : juris prudentia, connaissance du droit. La même étymologie appartient au mot aurisprudentes, connaissant le droit, et par suite simplement prudentes, les prudents, nom que les Romains donnaient aux hommes versés dans la science des lois). La définition donnée ici de la jurisprudence paraît au premier coup d'oeil assez ambitieuse, divinarum atque humanarum rerum notitia , la connaissance des choses divines et humaines; mais il faut ne point séparer cette première partie de la seconde , justi atque injusti scientia, et traduire ainsi : la jurisprudence est la connaissance des choses divines et humaines pour savoir y déterminer le juste et l'injuste. En effet, les objets auxquels s'applique la jurisprudence sont les choses divines et humaines, le but pour lequel elle s'y appliquent : y déterminer le juste et l'injuste. Il faut donc commencer par connaître ces choses. Cette explication paraîtra encore plus exacte si l'on pèse bien la valeur de ces mots notitia , simple connaissance, et scientia, science. Par choses divines on n'entend pas seulement ces objets retirés du commerce des hommes, que les Romains nommaient res divini juris, comme les édifices consacrés à Dieu, les tombeaux, etc. De même l'expression choses humaines ne s'applique pas seulement à ces choses, humani juris, destinées à l'usage des hommes, comme les maisons, les terrains, les animaux, etc. Le mot de rerum doit être pris dans un sens plus étendu, car la jurisprudence s'occupe pour les choses divines non seulement des objets matériels, tels que les temples, les tombeaux, mais encore des cérémonies de la religion, de la nomination des pontifes, de leurs pouvoirs, etc. ; pour les choses humaines non seulement des maisons, des terrains, mais encore des hommes eux-mêmes, de leur personne, de leurs droits et de leurs devoirs. Du reste il est essentiel de bien remarquer la relation qui existe entre ces trois mots : jus, justifia, jurisprudentia. Jus, le droit ; justitia, la volonté d'observer le droit; juris-prudentia, la connoissance du droit.
2. His igitur generaliter cognitis, et incipientibus nobis exponere jura populi romani : ita maxime videntur posse tradi commodissime, si primo levi ac simplici via, post deinde diligentissima atque exactissima interpretatione, singula tradantur : alioquin si statim ab initio rudem adhuc et infirmum animum studiosi, multitudine ac varietate rerum oneraverimus; duorum alterum, aut desertorem studiorum efficiemus, aut cum magno labore ejus, saepe etiam cum diffidentia quae plerumque juvenes avertit, serius ad id perducemus, ad quod, leviore via ductus, sine magno labore et sine ulla diffidentia maturius perduci potuisset.
2. Après ces définitions générales, passant à l'exposition des lois romaines; nous pensons qu'il vaut mieux expliquer d'abord chaque chose d'une manière simple et abrégée, sauf à les approfondir ensuite plus soigneusement. Car si, dès les premiers pas, nous surchargeons d'une multitude de détails divers l'esprit encore inculte et jeune de l'étudiant, de deux choses l'une, ou nous le forcerons à renoncer à cette étude, ou nous l'amènerons lentement, après un travail long et rebutant, au point où, par une route plus facile, il se fût trouvé porté sans peine et sans dégoût.
3. Juris praecepta sunt haec : honeste vivere , alterum non laedere, suum cuique tribuere.
3. Voici les préceptes du droit: Vivre honnêtement, ne léser personne, donner à chacun ce qui lui est dû.
Honeste vivere. L'homme, disent généralement les commentateurs, a deux espèces de devoirs, les devoirs parfaits, et les devoirs imparfaits. Les premiers lui sont imposés par la loi ; s'il veut les violer , on peut le contraindre à leur observation ; ils sont renfermés dans ces préceptes : Alterum non loedere, suùm cuique tribuere ; les seconds viennent de la conscience et de la morale ; aucune loi ne force à les remplir; tel est celui de ne pas s'adonner au jeu, au vin ; honeste vivere se rapporte à cette classe de devoirs; sous ce rapport, c'est plutôt un précepte de morale que de droit. Voilà l'explication ordinaire que l'on donne ; mais ne peut-on pas en trouver une qui soit plus conforme au texte. Ce texte nous annonce des préceptes de droit (juris precepta), et non des préceptes de morale. Or, qu'entend-on par droit, jus? comme nous l'avons dit, ce qui est ordonné, (quod jussum est). Pourquoi donc ranger dans le droit des préceptes qu'aucune loi n'ordonne? Voici, ce me semble, un développement plus vrai des trois maximes : 1° des lois servent à garantir les bonnes moeurs et l'honnêteté publique; telles sont celles qui défendent au frère d'épouser sa soeur; à un homme d'avoir deux épouses; à une veuve de convoler à de secondes nôces avant l'année de deuil. Ces préceptes, et tant d'autres semblables, ne sont point des préceptes de morale seulement, mais bien des préceptes de droit. Une peine est infligée à celui qui les viole; ils se trouvent renfermés dans ces mots : honeste viverè. 2° Des lois défendent de léser autrui, soit dans sa personne, soit dans ses biens: si, par exemple, j'ai blessé mon voisin volontairement ou involontairement, si je l'ai injurié, si j'ai tué son cheval, il aura le droit de me poursuivre pour me forcer à réparer le préjudice que je lui ai causé : c'est le précepte du droit, alterum non loedere. 5° Enfin des lois ordonnent de rendre à chacun ce qui lui appartient. Si mon voisin ma vendu sa maison, et que je lui en doive encore le prix, s'il m'a prêté son cheval, et que je ne le lui ai point rendu, il aura le droit de m'attaquer pour me contraindre à remplir mes obligations : c'est le troisième précepte, suum cuique tribuere. Qu'on remarque bien, pour que le droit soit complet qu'il doit renfermer ces trois préceptes : Honeste vivere, alterum non loedere , suum cuique tribuere; car, si on le restreint aux deux derniers, dans quelle classe rangerat-on les lois dont nous avons cité des exemples, qui n'ont trait qu'aux bonnes moeurs et à l'honnêteté publique? Elles ne seront comprises ni dans le précepte de ne léser personne , ni dans celui de rendre à chacun ce qui lui appartient.
4. Hujus studii duae sunt positiones ; publicum, et privatum. Publicum jus est, quod ad statum rei romanae spectat; privatum, quod ad singulorum utilitatem. Dicendum est igitur de jure privato, quod tripertite est collectum : est enim ex naturalibus praeceptis, aut gentium, aut civilibus.
4. Cette étude a deux points : le droit public et le droit privé, le droit public, qui traite du gouvernement des Romains; le droit privé, qui concerne les intérêts des particuliers. Occupons-nous du droit privé ; il se compose de trois éléments : de préceptes du droit naturel, du droit des gens et du droitcivil.
Publicum et privatum. Les nations considérées comme des êtres collectifs ont entre elles des relations ; la guerre, la paix, l'alliance, les ambassades exigent des règles particulières. La collection de ces règles forme un droit qu'on nomme droit des nations (jus gentium). Un peuple considéré comme un être collectif a des relations avec les membres qui le composent ; la distribution des différents pouvoirs, la nomination des magistrats, l'aptitude aux fonctions publiques, les impôts doivent être réglés par des lois; l'ensemble de ces lois forme le droit publics (jus publicum). Enfin les particuliers, dans leur rapport d'individu à individu, dans les mariages, les ventes , les différents contrats , ont besoin de règles, dont la collection est le droit privé (jus privatum). Les Romains, qui ne se sont élevés qu'en dépouillant, qu'en détruisant les peuples, avaient cependant un droit des nations formé de quelques règles générales pour déclarer et faire la guerre, pour passer et observer des traités d'alliance, envoyer et recevoir des ambassadeurs. Nous avons exposé dans l'histoire du droit les premières institutions de cette nature et la création du collége des Féciaux.
Leur droit public se développa promptement; il est défini celui qui traite du gouvernement des Romains (Quod ad statum rei romanoe spécial) ; il faut s'en tenir à cette définition. L'institution des comices, du sénat, la distinction des patriciens, des chevaliers et des plébéiens, la création des tribuns, des édiles, des préteurs, appartiennent à ce droit. Il faut y joindre les cérémonies de la religion, la nomination et les pouvoirs des pontifes, car le jus sacrum n'est qu'une partie du jus publicum; aussi lisonsnous au Digeste : Publicum jus in sacris, in sacerdotibus, in magistratibus consistit. Passant des rois aux consuls, des consuls aux empereurs, Rome a vu changer trois fois les bases principales de son droit public ; ces bases une fois changées, toutes les institutions accessoires ont éprouvé des modifications, et l'esprit général de la nation n'est plus resté le même. Sous la république les agitations du peuple, les lois des comices, les travaux des citoyens avaient presque toujours pour but les droits publics; aujourd'hui les institutions républicaines ont disparu, l'ancien droit sacré a fait place au droit ecclésiastique ; l'empereur, chef suprême de l'Etat, commande en maître, et tient à sa disposition les magistrats; les sujets obéissent sans songer qu'ils puissent avoir des droits sur le gouvernement. Tandis que le droit public a perdu ainsi de son importance, le droit privé, celui qui concerne les intérêts des particuliers (quod ad singulorum utilitatem pertinet), a acquis une extension rapide; c'est le seul dont nous ayons à nous occuper dans les Instituts.
TITULUS II.
DE JURE NATURALI , GENTIUM ET
CIVILI.
TITRE II.
DU DROIT NATUREL, DU DROIT DES
GENS ET DU DROIT CIVIL.
Si l'on examine les lois en se plaçant au plus haut point d'observation on verra que tous les objets inanimés ou animés suivent des lois, c'est-à-dire des règles générales d'action ou de conduite. Parmi ces lois, les unes sont purement physiques, matérielles, et celles-là ne peuvent jamais être violées. C'est ainsi que les astres dans leur cours uniforme, les corps dans leur chute vers le centre de la terre, les animaux et l'homme lui-même dans leur naissance, dans le développement de leurs forces, dans leur mort, obéissent à des lois invariables, auxquelles il est impossible de se soustraire; mais ces lois sont du ressort de la physique et non du ressort de la jurisprudence. La second classe de lois n'est applicable qu'aux êtres animes, et règle en eux leurs actions qui paraissent le résultat d'un principe immatériel. Les animaux et les hommes connaissent ces lois: elles sont très peu nombreuses pour les animaux, fort étendues pour les hommes; mais on dirait que plus elles se rapprochent de la matière plus elles sont inviolables; aussi voit-on les animaux s'écarter très rarement de celles qui leur sont imposées, et les hommes violer souvent les leurs. Quoi qu'il en s'oit, c'est en examinant cette seconde classe de lois, sous ce point de vue général, que les jurisconsultes romains avaient divisé le droit privé en droit naturel ou commun à tous les animaux ; droit des gens ou commun à tous les hommes, et droit civil ou commun à tous les citoyens.
Jus naturale est, quod natura omnia animalia docuit. Nam jus istud non humani generis proprium est, sed omnium animalium quae in caelo, quae in terra, quae in mari nascuntur. Hinc descendit maris atque foeminae conjugatio, quam nos matrimonium appellamus; hinc liberorum procreatio et educatio. Videmus et enim caetera quoque animalia istius juris perita censeri.
Le droit naturel est celui que la nature inspire à tous les animaux; car il n'est point particulier aux hommes, mais commun à tous les êtres vivans. De là vient l'union du mâle et de la femelle, que nous appelons mariage; de là la procréation des enfants, leur éducation. Nous voyons en effet les animaux agir conformément aux principes de ce droit comme s'ils le connaissaient. Omnia animalia docuit. Le droit naturel ainsi défini pourrait se nommer droit des êtres animés. Mais les animaux peuvent-ils avoir un droit ?Oui, dans le sens que nous l'avons expliqué. Quand on dit qu'ils ont un droit, on ne veut pas dire qu'ils l'aient créé eux-mêmes, ou qu'ils en connaissent les dispositions ; on veut dire seulement qu'il est des règles générales auxquelles ils obéissent, poussés par leur seule nature. Ainsi ils se défendent lorsqu'ils sont attaqués ; les sexes s'unissent entre eux ; les petits sont nourris et élevés par la mère et souvent même par le père jusqu'à ce qu'ils puissent se suffire à eux-mêmes. Toutes ces règles sont tellement nécessaires aux besoins et à l'essence même des animaux qu'elles sont en quelque sorte inhérentes en eux, et qu'ils les suivent par cela seul qu'ils vivent. Mais il est vrai de dire que la jurisprudence, qui ne doit s'occuper en rien des lois physiques et matérielles des corps ne doit pas non plus s'occuper beaucoup des lois que suivent les animaux; elle est destinée seulement à tracer des règles qui dirigent les hommes. Voilà pourquoi de nos jours on n'entend par droit naturel que celui qui tient à l'organisation naturelle de l'homme; voilà pourquoi les jurisconsultes romains, après avoir fait mention du droit qui appartient à tous les animaux, parce qu'ils voulaient présenter un tableau général, n'en ont plus rien dit par la suite.
1. Jus autem civile vel gentium ita dividitur. Omnes populi, qui legibus et moribus reguntur, partim suo proprio, partira communi omnium hominum jure utuntur; am quod quisque populus ipse sibi jus constituit, id ipsius proprium est civitatis ; vocaturque jus civile, quasi jus proprium ipsius civitatis. Quod vero naturalis ratio inter omnes homines constituit, id apud omnes populos peraeque custoditur, vocaturque jus gentium, quasi quo jure omnes gentes utuntur. Et populus itaque romanus partira suo proprio, partim communi omnium hominum jure utitur. Quae singula qualia sint, suis locis proponemus.
1. Il faut distinguer le droit civil du droit des gens. Tous les peuples, régis par des lois ou des coutumes, ont un droit qui leur est propre en partie, en partie commun à tous les hommes. En effet, le droit que chaque peuple se donne exclusivement est particulier aux membres de la cité, et se nomme droit civil, c'est-à-dire, droit de la cité; celui qu'une raison naturelle établit entre tous les hommes est observé presque par tous les peuples, et se nomme droit des gens, c'est-à-dire droit de toutes les nations. Les Romains suivent aussi un droit applicable en partie aux seuls citoyens, en partie à tous les hommes. Nous aurons soin de le déterminer chaque fois qu'il le faudra.
Civile vel gentium. Le droit qui est propre aux hommes, le seul dont la jurisprudence doive réellement s'occuper, se divise en droit des gens et droit civil. Le droit des gens est commun à tous les hommes quels qu'ils soient; le droit civil est commun aux seuls citoyens. Aussi pourrait-on les nommer, le premier, droit des hommes; le second , droit des citoyens, Quelle est l'origine de ces droits? Les Instituts nous l'apprennent ici. Le droit des gens (droit des hommes) vient de l'essence des hommes et des relations naturelles qu'ils ont entre eux : (Naturalis ratio inter omnes homines constituit). Le droit civil ( droit des citoyens ) vient de la volonté du peuple qui l'a créé spécialement pour ses membres: (Populus sibi constituit). Si l'on analyse le droit des gens, on verra qu'il se compose de deux parties. L'une qui découle des relations premières que les hommes ont entre eux comme hommes, et qui tiennent à leur simple nature ; de là l'amour des pères pour leurs enfants et des enfants pour leur père; de là l'obligation de n'attaquer personne, le droit de se défendre quand on est attaqué, le précepte de rendre à chacun ce qui lui appartient, etc. ; on y retrouve toutes les lois communes même aux animaux. Cette partie a été nommée par les commentateurs droit des gens primaire; c'est de nos jours ce qu'on nomme droit naturel. La deuxième partie dérive des nouvelles relations qui sont nées entre les hommes dès qu'ils se sont réunis en société : on la nomme droit des gens secondaire, parce qu'elle n'est venue qu'après l'autre. Déjà les échanges, le louage, la vente et autres contrats. Dans cette deuxième partie, les hommes se sont quelquefois écartés des préceptes naturels. Il suit de ces explications qu'il ne faut pas confondre le droit des gens (droit des hommes) avec le droit des gens (droit des nations ) dont nous avons parlé ci-dessus. Il ne faut pas confondre non plus l'acception que les Romains donnaient au droit civil (jus civile, droit des citoyens) avec celle que nous lui donnons de nos jours, où , ignorant la valeur du mot citoyen, nous prenons droit civil pour droit privé , droit des particuliers.
Populus itaque Romanus. Appliquons aux Romains les idées générales que nous venons de développer. Les citoyens de Rome, et surtout de la république naissante, se séparaient totalement des peuples voisins ; s'ils avaient des relations avec eux , ce n'était que sur le champ de bataille. Aussi ne connaissaient-ils guère que la servitude et toutes ses règles qui fussent du droit des gens ; leur droit privé était tout droit civil, aucune partie ne s'appliquait aux étrangers. Mais lorsque les habitants du Latium , puis ceux de l'Italie, furent vaincus et rattachés à Rome en qualité de peregrini, il fallut bien leur accorder quelques droits. Alors fut créé à Rome le préteur des étrangers (praetor peregrinus), chargé de leur rendre justice ; alors le droit des gens commença à se mêler au droit civil ; les préteurs, continuèrent de plus en plus à y avoir, égard, les jurisconsultes le firent entrer pour beaucoup dans leurs écrits; et le droit privé des Romains se trouva composé de préceptes du droit des gens et de préceptes du droit civil ; les premiers, applicables à tous les. hommes , les seconds aux seuls citoyens. Ces préceptes ne se trouvent point séparés et forment deux divisions distinctes, mais ils sont confondus, et la loi ou le raisonnement seul indiquent à quelle classe ils appartiennent. Ainsi la vente, le louage, la société, les échanges et une grande partie de ces contrats, ordinaires sont du droit des gens ; mais la tutelle , le contrat de stipulation , le pouvoir de donner ou de recevoir par testament sont du droit civil. Du reste, il faut bien se garder d'une erreur : lorsqu'on raisonne par rapport à un seul peuple, le caractère d'une loi du droit des gens chez, ce peuple n'est pas d'être reconnue par tous les hommes, c'est d'être applicable à tous les hommes. Les lois des Romains sur la vente étaient du droit des gens, parce qu'elles pouvaient être invoquées à Rome par tous, étrangers ou citoyens; et cependant il était possible que les peuples voisins n'eussent pas les mêmes lois sur le même objet. De même le caractère des lois civiles n'est pas d'être, adoptées par un seul peuple, c'est d'être applicables aux seuls membres du peuple. Les lois sur les tutelles étaient du droit civil, parce qu'elles étaient applicables aux seuls citoyens; néanmoins il eût pu se faire qu'un peuple, voisin les adoptât aussi.
2. Sed jus. quidem civile ex unaquaque civitate appellatur, veluti Atheniensium; nam si quis velit Solonis vel Draconis leges appellare jus civile Atheniensium, non erraverit. Sic enim et jus quo romanus populus utitur, jus civile Romanorum appellamus, vel jus Quiritum, quo Quirites utuntur. Romani enim Quirites à Quirino appellantur. Sed quoties non addimus nomen cuju sit civitatis, nostrum jus significamus : sicuti cum poetam dicimus, nec addimus nomen, subauditur, apud Graecos, egregius Homerus; apud nos, Virgilius. Jus autem gentium omni humano generi commune est; nam, usu exigente, et humanis necessitatibus, gentes humanae quaaedam sibi constituerunt. Bella et enim orta sunt, et captivitates sequutae, et servitutes, quae sunt naturali juri contrariae : jure enim naturali omnes homines ab initio liberi nascebantur. Et ex hoc jure gentium omnes pene contractus introducti sunt, ut emptio venditio, locatio conductio, societas, depositum , mutuum, et alii innumerabiles contractus.
2. Le droit civil prend son nom
de chaque cité, celui des Athéniens,
par exemple; car on peut,
sans erreur, nommer droit civil
des Athéniens les lois de Solon ou
de Dracon; et c'est ainsi que nous
appelons droit civil des Romains,
droit civil des Quirites, le droit
dont se servent les Romains ou
Quirites : ce dernier nom leur vient
de Quirinus. Mais quand nous disons
le droit, sans ajouter de quel
peuple, c'est notre, droit que nous
désignons ; comme, lorsqu'on dit le
poète, sans y ajouter aucun nom,
on entend chez les Grecs le grand
Homère, chez nous Virgile. Le
droit des gens est commun à tous
les hommes, car tous se sont, donné
certaines règles qu'exigeaient, l'usage
et les besoins de la vie. Des
guerres se sont élevées, à la suite la
captivité, l'esclavage contraires au
droit naturel, puisque naturellement
dans l'origine tous les hommes
naissaient libres. C'est aussi ce droit des gens qui a introduit
presque tous les contrats, l'achat
et la vente, le louage, la société,
le dépôt, le prêt de consommation,
et tant d'autres.
Emptio Venditio. La langue des Romains est riche ;
aussi dans la désignation des contrats avaient-ils souvent
des mots pour indiquer chaque espèce d'engagement qui
s'y formait. Ainsi la vente se nommait emptio venditio.
Le premier mot désignait l'action de l'acheteur, le second
celle du vendeur. De même le louage se nommait
locatio conductio. Le premier mot locatio désignait l'action
du propriétaire qui donnait à loyer; le second conductio l'action de celui qui prenait à loyer.
Mutuum. C'est le prêt de consommation, le contrat par
lequel on prête des choses qui se consomment par l'usage,
telles que le vin, le blé, l'huile. Le prêt des choses dont
on peut se servir sans les détruire, telles que des vêtements, un cheval, etc. se nommait commodatum, prêt à
usage. Il nous faut des périphrases pour indiquer ces
nuances.
En résumant tout ce que nous avons dit sur le droit
naturel, le droit des gens et le droit civil chez les Romains, quelle définition doit-on en tirer pour chacun
de ces droits ? 1° Le droit naturel (droit des êtres animés)
est celui que la nature inspire à tous les animaux,
2° le droit de gens ( droit des hommes) est cette partie
du droit privé qui découle des relations communes des
hommes et qui est applicable aux étrangers comme aux
citoyens ; 3° le droit civil (droit des citoyens ) est cette
partie du droit privé que le peuple n'a constituée que
pour ses membres, et qui n'est applicable qu'aux citoyens.
3. Constat autem jus nostrum, quo utimur, aut ex scripto, aut non exscripto ; ut apud Graecos TÔV vôftwv ot pèv Êyypafoi, oî 0*6 apayai. Scriptum autem jus est, lex, plebiscitum , senatus-consultum, principum placita, magistratuum edicta, prudentum responsa.
3. Notre droit est écrit ou non écrit, comme chez les Grecs les lois sont écrites ou non écrites. Sont du droit écrit : la loi, le plébiscite, te sénatus-consulte, les constitutions des empereurs, les édits des magistrats, les réponses des prudents.
Aut scripto, aut non ex scripto. L'ordre qui constitue le droit (jus, jussum) peut être donné expressément, ou tacitement. Expressément si l'autorité législative a manifesté sa volonté et l'a consignée par écrit, elle fait loi; Tacitement si cette volonté n'a été manifestée que par un long usage communément adopté, elle n'en fait pas moins loi. Le droit écrit est donc celui qui est établi par la volonté expresse du législateur; le droit non écrit celui qui s'est introduit par l'usage et le consentement tacite du législateur.
4. Lex est, quod populus romanus senatorio magistratu interrogante (veluti consule) constituebat. Plebiscitum est, quod plebs plebeio magistratu interrogante (veluti tribuno) constituebat. Plebs autem à populo eo differt, quo species a genere : nam, appellatione populi, universi cives significantur, connumeratis etiam patriciis et senatoribus. Plebis autem appellatione, sine patriciis et senatoribus,caeteri cives significantur. Sed et plebis cita, lege Hortensia lata, non minus valere quam leges caeperant.
4. La loi est ce que le peuple romain établissait sur la proposition d'un magistrat sénateur, d'un consul, par exemple; le plébiscite, ce qu'établissaient les plébéiens sur la proposition un magistrat plébéien, d'un tribun. Les plébéiens différent du peuple comme l'espèce du genre; sous le nom de peuple sont compris tous les citoyens, même les patriciens et les sénateurs; sous celui de plébéiens, seulement les citoyens autres que les patriciens et les sénateurs. Du reste, depuis la loi Hortensia les plébiscites ont eu autant de force que les lois.
Dans un sens générique la loi est un précepte commun
(lex est commune praeceptum) ; mais, dans un sens particulier,
c'était, chez, les Romains, ce qu'établissait, le peuple
sur la proposition d'un magistrat sénateur, comme un
consul, un préteur, un dictateur. Le plébiscite était
ce qu'établissaient les plébéiens sur la proposition d'un
tribun; on ne connaît pas d'autre magistrat qui proposât
les plébiscites, bien que le texte porte veluti tribuno. Le
mot plebis-scitum (ordre des plébéiens) désigne par sa décomposition
même quod plebs scivit ac ratum esse jussit.
Quelques auteurs, par analogie et pour désigner la loi, ont
fait le mot de populi-scitum, mais il n'était pas reçu chez
les Romains.
Nous ayons vu, dans l'histoire du droit, commencer
sous Romulus même les assemblées du peuple, les comices
par curies (comitia curiata);
sous Servius Tullius, les comices par centuries (comitia
centuriata). Telles furent les premières sources
du droit; mais les dissensions des patriciens et des plébéiens
en amenèrent une nouvelle. Ces derniers, retirés
en armes sur une colline au-delà de l'Anio, obtinrent
des tribuns, et, sous la présidence de ces magistrats, ne
tardèrent pas à avoir leurs assemblées (concilia).
.Pendant près de deux cents ans, les
actes
émanés de ces conciliabules n'eurent pas force de loi par eux-mêmes; il fallait qu'un décret du sénat les eût sanctionnés,
mais, après plusieurs discussions et à la suite, une loi des comices (lex Hortensia) reconnut les plébiscites
comme obligatoires. Depuis, les lois et
les plébiscites formèrent ensemble les deux sources du
droit; mais ces derniers devinrent plus fréquents que
les lois, si bien que la majeure partie des actes rendus
sur le droit sont des plébiscites. Ils survécurent à la république
et se prolongèrent jusqu'aux deux premiers
empereurs. C'est sous Tibère qu'ont été publiés les derniers
que nous ayions : Lex JUNIA NORBANA, de latinitate manumissorum ; Lex VISELLIA, de juribus libertinorum (an de R. 777).
On donnait souvent aux lois et aux, plébiscites le nom
des magistrats qui les avaient proposés, ou des consuls
sous lesquels ils avaient été rendus. On y ajoutait quelquefois
le sujet qu'ils traitaient en l'indiquant soit par un ablatif,
soit par un génitif, soit par un adjectif : Lex VALERIA HORATIA,
de plebiscitis, loi proposée sous les consuls Valerius
et Horatius sur les plébiscites ; Le HORTENSIA, loi proposée
par le dictateur Hortensius. Lex CANULEIA, de connubio
patrum et plebis, plébiscite proposé par le tribun Canuleius;
Lex JULIA repetundarum, plébiscite rendu sous Jules
César, pour défendre l'uscapion des choses acquises par
concussion. Une épithète commune désignait une réunion
de lois ou plébiscites rendus sur le même sujet: Leges cibariae,
lois somptuaires ; Leges agrariae, lois agraires; Leges judiciariae, lois judiciaires. Il est important de
remarquer que les plébiscites portent tous le nom de lex,
aussi bien que les lois proprement dites ; et que les Romains,
à partir du milieu de la république, ne donnèrent
plus
à cette distinction une importance aussi grande
qu'on pourrait le croire.
Lege Hortensia lata. Déjà deux lois avaient été rendues avant celle-là sur le même sujet; mais, depuis la loi Hortensia, il n'y eut plus de difficultés
5. Senatus-consultum. est quod senatus jubet atque construit. Nam, cum auctus est populus romanus in eum modum ut difficile sit in unum eum convocari legis sanciendae causa, aequum visum est senatum. vice populi consuli.
5. Le sénatus-consulte est ce que le sénat ordonne et constitue ; car, le peuple romain s'étant tellement accru qu'il était difficile de le convoquer en masse pour l'adoption des lois, il parut convenable de consulter le sénat, à la place du peuple.
Le sénat, dès le premier âge de Rome, avait, comme corps administratif, rendu des décrets portant le nom de sénatus-consultes ; mais ces décrets relatifs à l'administration n'avaient point le caractère propre des lois. A quelle époque prirent-ils ce caractère? Théophile dans sa paraphrase nous dit que la loi Hortensia, qui reconnut le pouvoir législatif aux plébiscites, le reconnut aussi aux sénatus-consultes. Il est vrai quai est le seul qui parle de ce fait ; Cicéron compte déjà les sénatus-consultes parmi les sources du droit; nous en connaissons quelques uns rendus dans les dernières années de la république et sous Auguste ; une fois arrivés à Tibère, ils se multiplient et finissent par remplacer les plébiscites qui s'arrêtent là; en effet les élections des magistrats furent alors transportées du peuple au sénat ; et le peuple, à vrai dire, cessa d'être convoqué; Que conclure de tout ces faits? que les sénatus-consultes avaient même sous la république reçu quelquefois le pouvoir des lois, mais rarement, parce que les plébiscites formaient alors la source principale du droit; que, sous Tibère, les plébiscites s'arrêtèrent, et qu'alors les sénatus-consultes et les constitutions impériales réglèrent seuls la législation. Dès que les sénatus-consultes furent rangés parmi les lois, on leur donna le nom des consuls ou des empereurs sous lesquels ils avaient été rendus. S. C. CLAUDIANUM, sous Claude ; il condamnait à l'esclavage la femme libre ayant eu des relations avec un esclave ; S. C. TREBELLIANUM sous Néron, Trebellius Maximus, et Annaeus Senèque, consuls. Un seul sénatus-consulte que nous connaissons porte le nom de l'individu à l'occasion duquel il avait été rendu : S. C. MACEDONIANUM,rendu à l'occasion d'un parricide, d'autres disent d'un usurier, nommé Macedo.
6. Sed et quod principi placuit, legis habet vigorem , cum , lege Regia, quae de ejus imperio lata est, populus ei et in eum omne imperium suum et potestatem concedat. Quodcunque igitur imperator per epistolam constituit, vel cognoscens decrevit, vel edicto proecepit, legem esse constat : haec sunt quae Constitutiones appellantur. Plane ex his quoedam sunt personales, quae nec ad exemplum trahuntur (quoniam non hoc princeps vult]. Nam quod alicui ob meritum induisit, vel si cui poenam irrogavit, vel si cui sine exemplo subvenit, personam non transgreditur. Aliae autem, cum generales sint, omnes procul dubio tenent.
6. Les volontés du prince ont
aussi, force de loi, parce que, par
la loi Regia qui l'a constitué dans
ses pouvoirs, le peuple lui, cède et
transporte toute sa force et toute sa
puissance. Ainsi tout ce que l'empereur
décide par un rescrit, juge
par un décret, ordonne par un
édit, fait loi. C'est ce qu'on nomme
Constitutions impériales. Les unes
sont personnelles et ne font point exemple, parce que le prince ne le
veut pas ; la faveur qu'il accorde au
mérite, la punition qu'il inflige,
le secours extraordinaire qu'il
donne, ne doivent pas en effet dépasser
la personne; les autres sont générales
et sans aucun; doute, elles
obligent tout le monde.
Malgré l'opinion vulgaire qui place sous Adrien les
constitutions impériales, nous avons prouvé par des
exemples qu'elles commencèrent avec les empereurs
. Sous Auguste, les sources du droit
étaient les plébiscites, les sénatus-consultes, les constitutions;
après Tibère les plébiscites ayant cessé entièrement,
les sénatus-consultes et les constitutions continuèrent à
exister ensemble, et ce n'est que près d'un siècle depuis
Adrien, quelque temps après le règne de Septime Sévère
(an 959), que les sénatus-consultes cessèrent à leur tour,
et que l'unique source fut la volonté du prince.
Quant à la loi Régia, nous avons prouvé
qu'on a voulu désigner sous ce nom la loi qui constituait
l'empereur dans ses pouvoirs, et que notre passage ne doit
pas avoir d'autre sens que celui-ci : comme c'est par une
loi que le peuple donne l'empire et cède ses pouvoirs à
l'empereur celui-ci incontestablement a le droit de rendre
des constitutions. Ce que dit Théophile dans ce paragraphe
vient encore à l'appui de notre assertion.
Per epistolam constituit. Le texte fait ici allusion aux trois espèces de constitutions que nous avons distinguées 1° Les actes qu'on nommait mandats, épîtres, rescrits (mandata, epistolae, rescripta). Ils étaient adressés par l'empereur à diverses personnes, comme à ses lieutenants, aux préteurs, aux proconsuls. Tel est le rescrit d'Antonin sur les mauvais traitements faits aux esclaves ; tel est encore celui de Trajan sur le testament des militaires. Quelquefois ils étaient écrits à de simples particuliers qui imploraient une faveur quelconque. Tels sont les rescrits qui permettaient à un citoyen de légitimer son enfant naturel, ou d'adroger un chef de famille. 2° Les décrets (decreta), véritables jugements que l'empereur prononçait comme juge sur les contestations qu'il voulait décider lui-même (cognoscens). On trouve un exemple de décret dans le jugement attribué par les Instituts à Tibère sur une contestation élevée entre un de ses esclaves et un citoyen. 3° Les édits (edicta) ou lois générales promulguées spontanément par l'empereur. Une chose à remarquer, c'est que les édits ne réglaient que l'avenir, c'est là un des caractères essentiels des lois; les décrets au contraire, décidant un procès déjà né, portaient dans le passé; il en était de même des rescrits adressés à des magistrats qui, à l'occasion d'une contestation, prenaient conseil de l'empereur. Quaedam sunt personales. Les édits sont des lois générales et s'appliquent à tous les sujets. Les décrets sont des jugements; on pourrait croire qu'ils étaient particuliers aux procès pour lesquels ils étaient rendus ; mais, lorsque l'empereur le voulait, ils faisaient loi pour toutes les causes semblables. Les rescrits étaient fort souvent généraux ; ils servaient à interpréter ou modifier les lois ; la plupart des constitutions impériales étaient publiées sous cette forme. Cependant une infinité de rescrits n'étaient que particuliers: par exemple, si l'empereur permettait une légitimation ou une adoption, s'il accordait une faveur qu'on lui avait demandée, faisait grâce à un condamné, infligeait une peine plus forte ou plus légère, remettait à quelqu'un les impôts, etc. Il est facile d'apercevoir que les constitutions embrassaient tous les pouvoirs de la souveraineté, pouvoir législatif , interprétatif, judiciaire et exécutif.
7. Praetorum quoque edicta non modicam juris obtinent auctoritatem. Hoc etiam jus honorarium solemus appellare, quod qui honores gerunt, id est, inagistratus, auctoritatem huic juri dederunt. Proponebant et aediles curules edictum de quibusdam, causis, quod et ipsum. juris honorarii portio est.
7. Les édits des prêteurs ont aussi une grande autorité législative; on les nomme droit honoraire, parce qu'ils doivent cette autorité à ceux qui gèrent les honneurs, c'est à-dire aux magistrats. Les édiles curules publiaient de leur côté, sur certains objets, un édit qui fait partie du droit honoraire.
Praetorum quoque edicta. Nous avons présenté dans l'histoire du droit la création du premier préteur et celle des édiles curules ; la distinction des préteurs en praetor urbanus, praetor peregrinus; l'augmentation et la diminution du nombre de ces magistrats, nombre qui s'éleva jusqu'à dix-huit sous l'empereur Claude, et se réduisit à trois sous les princes de Constantinople. Les préteurs et les édiles étaient compris parmi les magistrats qu'on nommait Magistratus Populi Romani (M. P. R.), pour les distinguer des magistrats particuliers des cités. Gaïus dit en parlant d'eux: « Les magistrats du peuple romain ont le droit de faire des édits ; mais ce droit est exercé principalement dans les édits des deux préteurs, le préteur urbain et le préteur étranger, dont la juridiction appartient dans les provinces aux présidents, et dans l'édit des édiles curules dont la juridiction est exercée par les questeurs dans les provinces du peuple ; car, pour les provinces de César, comme on n'y envoie point de questeurs, ce dernier édit n'y est point publié» (G. com. 1. § 6). Comment cette faculté qu'avaient les magistrats a-t-elle pris naissance et s'est-elle développée? C'est un tableau que nous avons déjà tracé ; il nous suffit de rappeler que par leurs édits successifs (leges annuae), ils introduisirent des principes tout nouveaux, rapprochés de l'équité et des lois naturelles, et qu'ainsi, à côté du droit civil, composé des lois émanées du législateur, des usages et des décisions des jurisconsultes, s'éleva le droit prétorien destiné à aider, à compléter, à corriger le droit civil (adjuvandi, vel supplendi, vel orrigendi juris civilis gratia). Cette distinction à faire entre le droit civil et le droit prétorien est on ne peut plus importante ; à chaque pas on la rencontre dans les lois. C'est par des distinctions, des subterfuges, des changements de mots que les préteurs parvenaient à corriger les principes rudes et sauvages du droit civil, sans paraître les détruire. Il est bon de parcourir quelques-uns des exemples que nous avons donnés. Les édits, renouvelés en partie d'année en année n'avaient pas le caractère principal des lois; mais l'usage consacrait certaines de leurs dispositions, les préteurs ne pouvaient plus les abroger, elles se transmettaient d'édits en édits, et par leur réunion composaient le véritable droit prétorien qui devait ainsi son caractère légal à la coutume. Ces lois, sous Adrien, avaient atteint toute leur extension, lorsqu'un jurisconsulte, Salvius Julien, fit sur elles un travail que l'empereur et le sénat confirmèrent, qui prit le nom de Edictum domini Hadriani, Edictum perpetuum, et qui depuis, reçu par tous les préteurs, constitua le droit prétorien en véritable droit écrit. Dès ce moment les préteurs ne publièrent plus de leur chef que quelques règles de forme se rattachant à l'exercice de leurs fonctions, et c'est l'état où ils se trouvaient sous Justinien. Leur nombre, à cette époque, était du reste réduit à trois. Théophile se demande, sous ce paragraphe, pourquoi l'on avait donné aux magistrats du peuple romain le droit de publier des édits, et non celui de rendre des décrets ou des rescripts. C'est, dit-il, parce que ces derniers actes étant rendus non-seulement pour l'avenir., mais à l'occasion d'une affaire déjà passée, on aurait pu craindre la partialité des magistrats. Ils rendaient bien des jugements, il est vrai, mais propres à la seule cause qu'ils décidaient, et dépourvus par conséquent du caractère législatif que les décrets avaient souvent.
8. Responsa prudentum sunt sententiae et opiniones eorum quibus permissum erat jura condere. Nam antiquitus constitutum erat ut essent qui jura publice interpretarentur, quibus à Caesare jus respondendi datum est, qui jurisconsulti appellabantur : quorum omnium sententiae et opiniones eam auctoritatem tenebant, ut judici recedere a responso eorum non liceret, ut est constitutum.
8. Les réponses des prudents
sont les avis et les décisions de ceux qui avaient reçu le pouvoir de fixer
le droit; car on avait établi anciennement
que les lois seraient publiquement
interprétées par certaines
personnes qui recevraient du prince
le droit de répondre. On les nommait
jurisconsultes ; et telle était l'autorité
de leurs avis et de leurs décisions,
lorsqu' elles étaient unanimes,
que, d'après les constitutions, il
n'était point permis aux juges de
s'écarter de leurs réponses.
C'est vers le milieu du cinquième siècle de Rome, à peu près en 460, qu'un plébéien, parvenu à la dignité de grand-pontife, Tiberius Coruncanius, ouvrit le premier l'entrée de son vestibule aux citoyens, répondant publiquement aux questions qu'on lui adressait. Il eut des imitateurs et de là naquit cette classe de savants nommés jurisconsulte ou simplement consulti, jurisperiti ou periti, jurisprudentes ou prudentes. Il en est un parmi eux., C. Scip. Nasica, à qui le sénat avait même donné, aux frais du public, une maison sur la voie Sacrée pour qu'il pût être consulté plus facilement. Telle est l'origine des réponses des prudents; plusieurs de ces réponses, répétées de prudents en prudents, confirmées par l'usage, s'incorporèrent dans la législation comme droit non écrit. Auguste ordonna que les jurisconsultes ne répondraient qu'avec son autorisation. Cependant il n'attribua pas encore aux réponses d'autre force que celle que leur donneraient l'usage et la réputation des juriscon-suites. Mais déjà se montraient les premiers de ces grands hommes qui se succédèrent les uns aux autres,Labéon Sabinus., Proculus, Julien, Africain; et leurs décisions, jadis purement verbales, commencèrent à être consignées par écrit. Adrien leur donna une sorte de force de loi en ordonnant que le juge s'y soumît lorsqu'elles seraient unanimes. Ensuite parurent Pomponius, Scaevola, Gaïus, Papinien, Paul, Ulpien, la gloire de la jurisprudence romaine; le dernier fut Modestin: là s'interrompit la série de ces jurisconsultes, et depuis deux cents ans personne n'avait succédé à leur gloire; leurs écrits seuls étaient restés, lorsqu'une constitution de Théodose, que l'on nomme Loi sur les Citations, donna force de droit à leurs réponses, ordonnant que si ces auteurs étaient d'avis différents, la majorité l'emporterait ; qu'en cas de partage, Papinien prévaudrait; que si Papinien ne se prononçait pas, le juge déciderait lui-même. Nous avons donné le texte de cette constitution. Ainsi les réponses des prudents en vertu des rescrits d'Adrien et surtout de la constitution de Théodose pouvaient, dans les cas déterminés par ces constitutions, être comptéès parmi les lois écrites, jusqu'au moment où Justinien les compulsa et les incorpora dans son corps de droit. C'est au changement introduit par Auguste que fait allusion ce passage de notre texte : Quibus a Goesare jus respondendi datum est; c'est aux constitutions d'Adrien et de Théodose que se rapporte celui-ci : Judici recedere a responso eorum non liceret ut estconstitutum. Théophile, à l'occasion de ces mots sententiae et opiniones, signale la différence qui existe entre ces deux expressions : sententiae, décisions fermes et non douteuses ; opiniones, avis moins surs et plus hasardés. Du reste il ne faut pas perdre de vue que sous Justinien, de toutes les sources du droit que nous venons de parcourir, il ne restait plus que la volonté du prince, qui seule faisait loi ; et si l'on dit encore que le droit écrit se compose de lois , plébiscites , sénatus-consultes , constitutions impériales, édits des préteurs et réponses des prudents, c'est parce que ces actes, rendus autrefois, conservés aujourd'hui et modifiés par les travaux de Justinien, forment par leur réunion le corps de droit de cet empereur.
9 Ex non scripto jus venit, quod usus comprobavit. Nam diuturni mores, consensu utentium comprobati, legem imitantur.
9. Le droit non écrit est celui que l'usage a validé, car des coutumes, répétées chaque jour, approuvées par le consentement de ceux qui les suivent, équivalent à des lois.
Quod usus comprobavit. Si le peuple a le droit de se donner des lois en déclarant sa volonté par écrit, il doit avoir ce même droit en déclarant cette volonté tacitement par un long usage. Qu'importe en effet que le législateur s'exprime par des paroles ou par des faits? Quid interest suffragio populus voluntatem suam declaret, an rebus ipsis et factis ? Aussi un usage établi depuis longtemps doit-il faire loi. C'est ce qu'on nomme jus moribus constitutum. Quel est le temps que doit durer l'usage pour avoir acquis force de loi? Il n'y en a point de déterminé; il faut que ce temps soit assez long pour prouver que la chose n'a pas été observée accidentellement, mais a passé en coutume.
10. Et non ineleganter in duas species jus civile distributum esse videtur; nam origo ejus ab institutis duarum civitatum, Atheniensium scilicet et Lacedaemoniorum fluxisse videtur. In his enim civitalibus ita agi solitum erat, ut Lacedaemonii quidem magis ea quae pro legibus servarent, memoriae mandarent, Athenienses vero, quae in legibus scripta comprehendissent, custodirent.
10. Et cen'est point à tort qu'on présente le droit civil divisé en deux espèces, car son origine parait venir des institutions de deux cités, Athènes et Lacédémone ; or tel était l'usage dans ces villes, qu'à Lacédémone on confiait les lois à la mémoire, à Athènes on les consignait par écrit.
Quoi qu'il en soit des Athéniens et des Lacédémoniens,
ce n'est bien certainement pas parce que les premiers écrivaient
leurs lois, et les seconds les confiaient à leur seule,
mémoire, que le droit des. Romains se divisé en droit
écrit
et droit non écrit. Cette division provient de la nature des
choses ; parce qu'il est tout naturel, que les hommes ne
prévoient, pas sur-le-champ et n'écrivent pas
toutes les
lois qui leur sont nécessaires et qu'alors l'usage
et les
coutumes suppléent à ce qui manque au droit écrit: C'est
pour cela que dans l'enfance d'un peuple les lois écrites
sont peu nombreuses, les lois de coutume en grande
quantité ; c'est pour cela qu'à mesure que le peuple marche
et s'agrandit les lois écrites augmentent, les lois d'usage
diminuent. Ainsi, le droit civil des Romains ne consistait sous les rois qu'en lois non écrites, que les moeurs,
les coutumes et la raison du juge établissaient ; ensuite
il fut fixé par la loi des douze Tables, et puis il parvint à
cette multitude de lois, plébiscites, sénatus-consultes et
constitutions qui existaient sous Justinien.
11. Sed naturalia quidem jura, quae apud omnes gentes peraeque servantur, divina quadam providentia constituta, semper firma atque immutabilia permanent. Ea vero quae ipsa sibi quaeque civitas constituit, saepe mutari solent, vel tacito consensu populi, vel alia postea lege lata.
11. Les lois naturelles, observées presque chez toutes les nations, établies par une sagesse divine, restent toujours fixes et immuables; mais les lois que chaque cité s'est données sont fréquemment changées ou par le consentement tacite du peuple, où par d'autres lois postérieures.
Immutabilia permanent. Les mots jura naturalia que contient le texte ne doivent pas s'appliquer aux animaux seuls, comme on l'a fait plus haut; il faut ici les étendre aux hommes, et alors ils désigneront cette partie, du droit des gens qui découle de la simple nature des hommes et des relations premières qu'ils ont entre eux. En effet, ce sont là des droits naturels par rapport à tout le genre humain, et ils sont immuables parce que notre nature ne change jamais; c'est le droit des gens que les commentateurs ont nommé primaire. Quant au droit secondaire, né de la réunion des hommes en société et des relations nouvelles qu'a amenées cette réunion, il peut être changé, parce qu'il ne provient que de causes qui sont variables.
Saepe mutari solent. L'autorité qui a le droit de faire les lois, a celui de les détruire : ainsi la volonté expresse du législateur ou l'usage peuvent également abroger les lois. Receptum est ut leges non solum suffragio legislatoris, sed etiam tacito consensu omnium per desuetudinem abrogentur.
12. Omne autem jus, quo utimur, vel adpersonas pertinet, vel ad res, vel ad actiones. Et prius de personis videamus; nam parum est jus nosse, si personae, quarum causa constitutum est, ignorentur.
12. Notre droit tout entier est
ou sur les personnes, ou sur les
choses, ou sur les actions. Voyons le
d'abord sur les personnes, car
c'est peu de connaître le droit si
l'on ne connaît les personnes pour
qui il est établi.
Ad personas pertinet, vel ad res, vel ad actiones. Ainsi
les objets dont s'occupe le droit sont : les personnes, les
choses, les actions. Les personnes : car de leur état dépendent
les droits et les devoirs qu'elles ont; ainsi la qualité
de père, de mari, de tuteur, de pupille, donne des droits
et impose des obligations. Il faut commencer par connaître
ces qualités et les conséquences qui en dérivent.
Les choses: car selon leur diverse nature, selon qu'il s'agit,
par exemple, d'un objet mobilier, d'un immeuble, d'un
usufruit, d'une succession, etc., les règles du droit sont
différentes. Lorsqu'on a déterminé les lois relatives aux
personnes et aux choses, on a déterminé la qualité de
chacun et ce qui est dû en vertu de cette qualité. Mais ce
n'est pas tout ; il faut encore donner à chacun le droit
de s'adresser au magistrat pour forcer celui qui lui doit
quelque chose à le lui rendre. Ce droit, cette faculté de
poursuivre en justice ce qui nous est dû, est ce qu'on
nomme une action. Que m'importe que vous me deviez un cheval si, quand vous refusez de me le donner, je ne
puis vous contraindre à remplir votre obligation? ou, en
termes de droit, que m'importe que vous ayez une obligation
envers moi, si je n'ai pas d'action contre vous?
C'est donc l'action qui donne la vie aux lois. Enlevez les
actions, et les lois civiles ne seront plus que des vérités
de morale et d'équité, mais des vérités sans force et auxquelles
on sera libre de se soumettre ou de se soustraire.
Il ne suffit pas de donner le droit d'agir en justice, il
faut encore déterminer les formes de cette action, les
moyens à prendre pour amener la partie devant le juge,
pour développer ses prétentions, pour faire exécuter le
jugement; c'est la procédure, partie du droit qui se rattache
essentiellement aux actions, et que l'on confond
souvent avec elles, mais qu'il faut pourtant distinguer.
Il est des législations dans lesquelles un principe général
est admis, c'est que toutes les fois que la loi impose
une obligation d'un côté, il en résulte nécessairement
une action de l'autre, sans que cela soit exprimé, et sans
que l'on ait donné une dénomination particulière à chaque
action. Les Romains n'avaient point agi ainsi; les
lois, s'expliquaient formellement lorsqu'elles voulaient
donner une action, et les actions étaient aussi soigneusement
distinguées par leur nom et par leurs formes que par
leurs effets. Par exemple, la vente donnait naissance à deux
actions: actio empli, l'action d'achat en faveur de l'acheteur
; actio venditi, action de vente en faveur du vendeur.
La société en produisait une actio pro socio. L'action que
les légataires avaient contre les héritiers pour se faire
délivrer leur legs se nommait actio ex testamento. L'action
par laquelle un propriétaire poursuivait sa chose dans les
mains d'un tiers quelconque pour la reprendre, rei vindicatio, vendication de sa chose (1). Les plaideurs devaient
bien déterminer en se présentant en justice quelle
action ils venaient exercer, et ils ne devaient pas prendre
l'une pour l'autre, car leur demande eût été rejetée; aussi,
dans les cas douteux, les jurisconsultes mettaient-ils tous
leurs soins à déterminer si l'on aurait telle action ou telle
autre.
Pendant les cinq premiers siècles de Rome , des actions
peu nombreuses et nommées actions de la loi (legis actiones)
étaient accompagnées non seulement de paroles,
mais de gestes et de pantomimes aussi sacramentelles
Ces actions de la loi furent supprimées
par la loi Aebutia., de 677 à 583). On
ne se servit plus en justice que de formules consacrées,
qui elles-mêmes furent abolies par les empereurs Constance
et Constant.
(1) Les mots rei vindicatio sont rendus en français par revendication, et vindicare par revendiquer. Le re qui précède notre mot de vendication était probablement destiné à rendre le mot latin rei, car ici il n'exprime pas une action réitérée; mais il en est résulté un double emploi. Ainsi les Romains disaient : rei vindicatio, servi vindicatio, vendication d'une chose, d'un esclave; et nous dirons revendication d'une chose, revendication d'un esclave; de même les Romains disaient rem vindicare, equum vindicare, vendiquer une chose, un cheval, et nous disons revendiquer une chose, revendiquer un cheval. Pour éviter cette répétition, je pense que les mots vendication, vendiquer, bien qu'ils ne soient pas consacrés, valent beaucoup mieux dans la langue du droit que ceux de revendication, revendiquer, et je n'hésiterai pas à m'en servir.
Les actions sous Justinien étaient donc bien simplifiées dans leurs formes, et le travail le plus, important à faire sur elles était de chercher à connaître leurs effets et les cas où il fallait les employer. J'ai insisté sur cette matière parce qu'il est nécessaire d'en avoir une idée dès l'abord. Partout où il y a des personnes, dit Théophile, sous ce paragraphe, il y a des choses et dès qu'il y a des choses, il est indispensable de fixer des actions.
Le droit jus, est défini : une règle généralement prescrite,
(praeceptum commune), ou : l'Art qui détermine ce qui est bon
et équitable (ars boni et aequi), selon qu'on le prend comme
signifiant la loi elle-même (jussum ), ou la collection des lois.
La justice est la volonté d'observer toujours le droit; la jurisprudence
est la connaissance de ce droit. La première est définie
: constans et perpetua voluntas jus suum cuique tribuendi; la deuxième, divinarurn atque humanarum. rerum notitia; justi
atque injusti scientia. Les préceptes généraux du droit sont : Honeste vivere, alterum.
non loedere , suum cuique tribuere. Le droit ne serait pas complet
s'il lui manquait un seul de ces préceptes.
Le droit se divise d'abord en droit des nations, droit public,
droit privé. Le droit des nations est celui qui fixe les obligations
réciproques des nations dans les rapports qu'elles ont
entre elles. Le droit publia, celui qui fixe les obligations réciproques
d'une nation et des membres qui la composent : (Quod ad statum
rei
Romanae spectat).
Le droit privé , celui qui
fixe les obligations réciproques des particuliers dans les relations
qu'ils ont entre eux: (Quod ad singulorum utilitatem pertinet).
Le droit privé se décompose, quant à son origine, en droit
naturel, droit des gens, droit civil. Dans ce sens, le droit naturel
( droit des êtres animés ) est celui que la nature seule inspire
à tous les animaux: (Quod natura omnia animalia docuit). Le droit des gens ( droit des hommes) est cette partie
du droit privé qui découle de la nature et des relations communes
des hommes, et qui est applicable aux étrangers comme aux
citoyens : (Quod naturalis ratio inter omnes homines constituit). Le droit civil ( droit des citoyens ) est celle partie du droit
privé que le peuple n'a constituée que pour ses membres et qui
n'est applicable qu'aux citoyens : ( Quod quisque populus ipse
sibi constituit).
Le droit que les hommes ont institué eux-mêmes peut être
changé; celui qui découle de la nature des choses est immuable.
Le droit privé , quant à la forme sous laquelle il, est établi, se
divise eu droit écrit et droit non écrit. Le droit écrit est celui
qui est établi par la volonté expresse du législateur. Il se compose
chez les Romains de lois ou populiscites, de plébiscites, sénatus-consultes, constitutions des princes, édits des magistrats,
réponses des prudents. Le droit introduit par les édits des
magistrats se nomme droit honoraire ou droit prétorien, et alors
le droit établi par le législateur se nomme par opposition droit
civil: Le droit non écrit est celui qui s'est introduit par l'usage et
le consentement tacite du législateur.
Le droit privé, considéré quant aux objets dont il traite,
s'occupe des personnes, des choses, des actions. L'action
est le droit de poursuivre en justice ce qui nous est dû.Toutes
les fois qu'une loi impose, d'un côté une obligation, elle doit de
l'autre accorder une action, afin de ne pas rester inexécutée.
TIT. III.
DE JURE PERSONARUM.
TIT. III.
DU DROIT SUR LES PERSONNES.
Que faut-il entendre, par ce mot personnes? Dans les sciences, on considère les objets d'une manière abstraite et générale, sauf à faire dans la pratique l'application des principes que l'on a découverts. Dans la physique, par exemple, s'il m'est permis de faire cette comparaison, ce n'est pas ce corps déterminé plutôt, que cet autre que l'on examine, ce sont les propriétés communes qu'offrent tous les corps de la même espèce; on étudie l'état de solide, de liquide ou de gaz sous lesquels ils se présentent, on détermine les conséquences de ces états. Dans le droit on suit la même, marche. Ce n'est pas tel homme plutôt que tel autre que l'on considère ; ce sont les qualités diverses, les divers états que les hommes peuvent avoir, l'état de père, de fils, d'homme libre, d'esclave, les droits, les obligations qui en découlent , sauf à faire à chacun en particulier l'application des conséquences qu'on a présentées d'une manière abstraite. Ces diverses qualités, ces divers états constituent ce que l'on nomme les personnes. Ce mot personnes ne désigne donc pas des hommes, des individus ; mais bien des êtres abstraits, résultats des positions diverses des individus. Le même homme peut avoir à la fois plusieurs personnes, celle de père, celle de mari, celle de tuteur , et il faut alors lui appliquer toutes les obligations et tous les droits attachés à chacune d'elles. Dans les moeurs et les lois primitives des Romains, ces personnes prenaient un aspect tout particulier. Le peuple réuni formait une société générale fortement constituée, Dans cette société générale chaque famille formait une société particulière, ayant son chef et ses lois. Bien que le caractère de force qui animait ces sociétés soit disparu sous les empereurs de Constantinople; bien que les ressorts énergiques qui les faisaient mouvoir se soient relâchés, cependant quelques débris en restent encore. Chacun a dans la société générale une position, un état qui lui donne des droits et lui impose des obligations ; chacun a de plus dans sa famille, dans la société particulière dont il fait partie, diverses positions qui donnent naissance à d'autres droits et à d'autres devoirs. Il faut donc examiner la position des hommes et dans la société et dans la famille. Voyons-la sous le premier rapport. Nous distinguerons les hommes selon qu'ils sont : 1° libres ou esclaves, 2° citoyens ou étrangers, 3° hommes ou femmes, 4° ingénus ou affranchis.
LIBRES OU ESCLAVES.(Liberi; servi, mancipia).
Summa itaque divisio de jure
personarum haec est, quod omnes
hommes aut liberi sunt, aut.servi.
Tous les hommes sont libres ou esclaves; c'est la division principale qui résulte du droit sur les personnes.
Cette division nous paraît avoir été reçue chez presque tous les peuples anciens. Les petites peuplades qui habitaient le Latium l'avaient établie parmi elles; et, s'il faut en croire l'histoire, les fondateurs de Rome, ramassés autour de Romulus, étaient pour la plupart des esclaves fugitifs. Les esclaves avaient formé à Rome une classe avilie mais fort utile. Leurs maîtres les employaient à la culture des terres, aux travaux domestiques de la maison, au commerce comme colporteurs, marchands; à la navigation comme matelots, patrons; aux arts mécaniques comme ouvriers; car un citoyen libre eût rougi d'exercer ces dernières professions. Bien que les Grecs de Constantinople et de Justinien n'eussent plus aucune idée de cette fierté républicaine, les esclaves, comme serviteurs et comme objets dans le commerce, n'avaient pas perdu leur utilité.
1. Et libertas quidem (ex qua etiam liberi vocantur) est naturalis facultas ejus quod cuique facere libet, nisi quod vi aut jure prohibetur.
1. La liberté ( d'où vient la dénomination de libres ) est la faculté naturelle à chacun, de faire ce qui lui plaît, à moins qne la force ou la loi ne s'y opposé. Deux obstacles peuvent s'opposer à la volonté de l'homme libre : la force et la loi. Mais il y a cette différence que la loi est un obstacle moral que l'homme s'est imposé lui-même en se réunissant en société, auquel il doit toujours se soumettre et qui restreint réellement sa liberté naturelle, tandis que la force est un obstacle physique qu'il peut parvenir à vaincre, contre lequel il peut même quelquefois demander les secours de la loi. Comme si voulant entrer dans ma maison, je trouve quelqu'un qui s'y est établi et me repousse violemment, je m'adresse à la justice; elle vient à mon secours, parce qu'elle doit me défendre contre, une force injuste, et me fait rendre ma propriété...
2. Servitus autem est constitutio juris gentium, qua quis dominio alieno contra naturam subjicitur.
2. La servitude est une institution du droit des gens qui, contre nature, met un homme dans le domaine d' un autre. L'esclavage était du droit des gens ; non pas de ce droit des gens que l'on nomme primaire, car les hommes ne naissent point et ne sont pas organisés pour être la propriété les uns des autres : l'esclavage est contraire à leur nature ; mais il venait des moeurs et des usages généraux des principales nations d'alors. Il avait surtout ce caractère particulier aux institutions du droit des gens qu'il était applicable à tous les hommes ; les étrangers en effet pouvaient, être esclaves à Rome, et les Romains esclaves chez les étrangers. Il faut bien sentir la force de ces expressions dominio alieno subjicitur; dominium signifie en droit non pas seulement pouvoir, puissance, mais propriété. L'esclave tombe dans la propriété de son maître, et devient une chose par rapport à lui. Malgré cela nous verrons que les esclaves pouvaient faire certains actes que la loi leur permettait; mais dans ces acte; ils représentaient leurs maîtres; et d'ailleurs il y avait toujours cette différence entre eux et les hommes libres que l'homme libre avait le droit de faire tout, excepté ce que la loi lui défendait ; l'esclave rien, excepté ce que la loi lui permettait.
3. Servi (autem) ex eo appellati sunt, quod imperatores captivos vendere jubent, ac per hoc servare nec occidere soient: qui etiam mancipia dicti sunt, eo quod ab hostibus manu capiuntur.
3. Les esclaves sont nommés servi, parce que les généraux sont dans l'usage de faire vendre les prisonniers, et par là de les conserver au lieu de les tuer. On les nomme aussi mancipia, parce qu'ils sont pris avec la main sur les ennemis.
La guerre est l'origine de l'esclavage, on veut en faire sa justification. On a le droit, dit-on , de tuer l'ennemi vaincu ; ne peut-on pas le conserver pour soi, et suspendre cette mort qu'on pouvait lui donner sur-le-champ? Ce raisonnement pèche par sa base. Sans doute la légitime défense est naturelle, elle peut avoir donné naissance au droit de tuer l'ennemi lorsqu'il combat; mais est-il vaincu, l'attaque cesse, la défense doit cesser, et si on le tue, on viole toute espèce de droit. Quoiqu'il en soit, l'usage d'emmener comme esclaves les soldats captifs exista toujours chez les Romains. Il est curieux de voir dans l'histoire la progression croissante avec laquelle on usa de ce droit. Peu nombreux et ne connaissant pas encore le luxe, les fondateurs de la ville avaient besoin de conquérir des citoyens plutôt que des esclaves. Aussi les voit-on après une victoire détruire la ville soumise, transporter les habitants parmi eux, leur donner les droits de cité. C'est ainsi que les peuplades du Latium, les Sabins, les habitants d'Albe furent absorbés par Rome naissante, et que cette ville compta bientôt plus de cinquante mille citoyens. Après un pareil accroissement ce titre de citoyen devint précieux. Les besoins sociaux commençaient à croître, les arts mécaniques se multipliaient; les esclaves qui les exerçaient seuls avaient besoin d'être augmentés; aussi dans les guerres contre les habitants plus éloignés de l'Italie, les soldats ennemis furent en partie emmenés comme esclaves. Quand les armes s'étendirent au-dehors, le nombre de ces esclaves devint toujours plus, considérable. Les historiens rapportent que Fabius-Cunctator en envoya trente mille de la seule ville de Tarente, et Paul-Emile cent cinquante mille de l'Epire. Ce fut bien pis encore aux derniers jours de la république sous Marius , Sylla, Pompée, César et Octave. Depuis leur nombre décrut avec les victoires. A l'époque de Justinien les esclaves étaient faits par les généraux dans les guerres que ce prince eut à soutenir ( 289) contre les Perses, les Africains , les Vandales, les Goths, et autres nations qu'on nommait barbares.
4. Servi autem aut nascuntur, aut fiunt. Nascuntur ex ancillis nostris: fiunt aut jure gentium, id est, ex captivitate : aut jure civili, cum liber homo, major viginti annis, ad pretium participandum sese venundari passus est.
4. Les esclaves naissent tels, ou le deviennent. Ils naissent tels de nos femmes esclaves; ils le deviennent ou d'après le droit des gens par la captivité, ou d'après le droit civil lorsqu'un homme libre majeur de vingt ans, s'est laissé vendre pour prendre part du prix. Les esclaves le sont par le droit des gens, par naissance ou par le droit civil.
1° Par le droit des gens (ex captivitate). La guerre et
les usages communs des peuples de cette époque sont,
comme nous venons de le dire, l'origine première de l'esclavage.
Non seulement l'ennemi fait prisonnier par les
Romains devenait esclave, mais le Romain lui-même,
tombé au pouvoir de l'ennemi, était suspendu , à Rome ,
de tous ses droits de citoyen et d'homme libre. C'est ainsi
que Régulus, amené par les ambassadeurs carthaginois,
refusa de prendre place au sénat, disant qu'il n'était plus
qu'un esclave. Avec une pareille institution, on voit que
chaque soldat ne se battait pas seulement pour son pays,
mais pour ses biens, pour ses droits, pour sa liberté. Si le
soldat captif chez l'ennemi parvenait à rentrer à Rome,
alors la condition suspensive de son retour, à laquelle
était attaché son état, s'étant accomplie, tous ses droits
lui étaient rendus ; le temps de son esclavage était effacé
de sa vie ; il était remis dans son premier état, comme s'il
n'avait jamais cessé d'être libre. C'est là ce qu'on nommait droit de postliminium (jus postliminii). Ainsi le captif
était aussi fortement intéressé à rompre ses fers que le
soldat l'était à se défendre pour les éviter.
2° Par naissance (ex anbillis nostris). Les premiers esclaves
une fois établis, ce principe que l'enfant hors de
justes noces suit la condition de la mère, rendit esclaves
tous les enfants d'une femme esclave. Ces enfants appartenaient
par accession au maître de leur mère. On les
nommait, par rapport à ce dernier, vernae (sing. verna,
esclave né dans la maison du maître).
3° Par le droit civil. Jamais aucune convention, aucune
prescription ne pouvait rendre esclave un homme libre.
Un enfant aurait été, dès son enfance, volé à ses parents
et vendu comme esclave, il aurait passé dans cet état plus
de trente ou quarante ans, n'importe, la liberté est inaliénable,
la liberté est imprescriptible (1). Il aurait pu,
dès qu'il aurait reconnu ses droits, réclamer sa liberté (ad
libertatem proclamare). Mais, dans quelques cas, la
loi civile infligeait l'esclavage à un citoyen comme une
punition. Nous ne parlerons pas ici de la servitude qui
frappait jadis celui qui s'était soustrait à l'inscription sur
le cens ); le voleur manifeste ; le débiteur qui ne pouvait payer son créancier; depuis bien du temps ces institutions
ont disparu. Le commerce illicite d'une femme
libre avec un esclave, la condamnation aux mines (in metallum ), étaient deux autres causes d'esclavage.
(1) Il faut rappeler l'exception que nous avons signalée, à l'égard des colons.
Justinien,dans les Instituts, supprima la première, en abolissant la disposition du sénatus-consulte Claudien qui l'avait créée ; il conserva encore la seconde, mais, dans la suite, il la détruisit par une novelle. L'ingratitude d'un affranchi envers son patron, et la fraude de l'homme qui se faisait vendre pour partager le prix sont les deux causes qui restèrent. Nous allons expliquer la dernière dont les Instituts parlent ici. Il paraît que des malheureux avaient fait un moyen de fraude de cette maxime que la liberté est inaliénable. Un homme convenait avec un autre de passer pour son esclave, de se laisser vendre comme tel; et quand le prétendu vendeur avait disparu avec le prix, le vendu, réclamant sa liberté, pouvait rejoindre son complice et partager avec lui le produit de leur fourberie, tandis que l'acheteur perdait et l'argent qu'il avait donné et l'esclave qu'il avait cru acheter. Pour éviter cette fraude, une loi, peut-être le sénatus-consulte Claudien, refusa à celui qui s'était ainsi laissé vendre le droit de vendiquer sa liberté; elle le déclara esclave, non pas, comme on le dit, pour le punir d'avoir méprisé la liberté, mais pour le punir de sa fraude, et pour empêcher que l'acheteur en fût victime. Les dispositions que nous allons citer en font preuve. Il fallait 1° que celui qui s'était laissé vendre fût majeur de vingt ans au moment de la vente, ou bien à l'époque où il partageait avec son complice le prix de leur dol : car jusque là son âge était trop peu avancé pour le frapper d'une peine aussi sévère 2° qu'il connût bien sa qualité d'homme libre, et que son intention fût de partager le prix ; car sans ces conditions il n'y aurait pas eu fraude de sa part ; 3° que le prix eût été réellement compté par l'acheteur au vendeur: car si l'acheteur n'avait rien payé, il n'éprouvait aucun préjudic ; 4° que l'acheteur ignorât que celui qu'on lui vendait était libre : car, s'il le savait, il ne pouvait pas se plaindre d'avoir été trompé, et devait s'en prendre à lui seul.
5. In servorum conditione nulla est difierentia; in liberis autem multae; aut enim sunt ingenui, aut libertini.
5. Dans la condition des esclaves, nulle différence; parmi les hommes libres il en est plusieurs. Ils sont en effet ingénus ou affranchis.
Les esclaves dans la société générale n'avaient point, à
proprement parler, de personne. Ils étaient considérés
comme n'existant pas dans l'ordre civil (quod attinet ad
jus civile servi pro nullis habentur. Servitutem mortalitati
fere comparamus) , ou du moins ils n'existaient que
comme la chose de leur maître. Incapables d'exercer aucune
fonction, ils ne pouvaient être ni juges, ni arbitres,
ni témoins dans un testament ; on pouvait, il est vrai, les
appeler en témoignage dans une affaire Criminelle ou civile,
pour attester des faits, mais quand on n'avait pas d'autre
moyen de découvrir la vérité; cependant un esclave
pouvait posséder un pécule, le faire valoir, être institué héritier, recevoir, un legs, une donation, diriger un commerce,
un navire; mais, dans tous ces cas, l'esclave n'était
qu'un intermédiaire, un instrument, la représentation de
son maître : c'est, dit Théophile, la personne du maître
qui est représentée par l'esclave.
D'après notre texte, il ne peut y avoir de différence
entre les esclaves ; en effet, ajoute Théophile, on ne
peut être plus ou moins esclave. Entre individus qui
n'ont absolument aucun droit, l'un ne peut en avoir plus
qu'un autre. Cependant il ne faut pas confondre avec les
esclaves proprement dits (servi mancipia) les colons tributaires
(coloni-censiti, adscriptitii ou tributarii) et les colons
libres (inquilini, coloni liberi), espèces de serfs introduits
sous les empereurs, tenant un milieu entre la liberté
et l'esclavage. Il faut distinguer
aussi les esclaves de la peine (servi paenae), condamnés aux
bêtes ou aux mines, et n'ayant, pour ainsi dire, d'autre
maître que leur supplice: Justinien supprima cette servitude;
enfin les esclaves appartenant au peuple ou à
une municipalité (servi populi romani, reipublicae). Parmi
les esclaves appartenant à des particuliers, il existait
desdifférences de fait, selon les travaux auxquels ils étaient
employés. L'un était précepteur des enfants de son maître
(pedagogus , educator); l'autre intendant (actor); chargé
de distribuer le travail aux autres esclaves (dispensator) ;
celui-ci destiné à jouer la comédie (comaedus) ; celui-là
soumis aux travaux les plus rudes, enchaîné (compeditus).
Il y avait même des esclaves donnés par leur maître à un
autre esclave, qu'ils étaient obligés de servir comme s'ils
lui appartenaient. On nommait ces esclaves, vicaires (servi
vicarii); les autres, esclaves ordinaires (servi ordinarii).Mais toutes ces différences dépendaient de la volonté du
maître qui pouvait les faire naître et les détruire à son gré.
CITOYENS OU ÉTRANGERS,(Cives; peregrini, barbari). Le titre de citoyen avait jadis une valeur inappréciable et pour les droits politiques et pour les droits civils. Nous l'avons vu réservé d'abord aux seuls habitants de Rome et de son territoire, puis accordé à quelques villes alliées du Latium conquis dans la guerre, sociale par toute l'Italie, répandu dans plusieurs provinces, donné enfin par Caracalla à tous ses sujets (après l'an 965 de R. , 212 de J.-C.) Avant cette dernière époque, on recherchait soigneusement dans quel cas un individu naissait citoyen, dans quel cas il naissait peregrinus. Gaïus, antérieur à Caracalla de quelques années , consacre à. cette question plus d'une page de ses Instituts. Voici deux règles généraies qui recevaient ici leur application, et que nous aurons besoin de rappeler encore dans quelques cas,1° L'enfant issu d'un mariage légitime, contracté entre personnes ayant le droit civil de s'unir (jus connubii), suit la condition du père; l'enfant né hors mariage, ou né de personnes n'ayant pas entre elles le jus connubii, suit la condition de la mère. (Connubio interveniente liberi semper patrem sequuntur, non interveniente, connubio matris conditioni accedunt. 2° Lorsque l'enfant suit la condition du père, il faut prendre cette condition au moment de la conception ; lorsqu'il suit la condition de la mère au moment de la naissance. ((In his qui, jure contracto matrimonio nascuntur, conceptionis tempus spectatur; in his autem qui non legitime concipiuntur, editionis). Ces deux règles, découlent des principes les plus simples : la dernière est inspirée par la nature même des choses. Si l'enfant reçoit sa condition de son père, il la reçoit au moment de la conception, car une fois conçu il est indépendant du père; celui-ci peut être malade, même mourir, l'enfant continue à se développer et à vivre ; de même le père peut être fait esclave, perdre les droits de citoyen, l'enfant naîtra libre et citoyen. Au contraire, si l'enfant doit prendre la condition de la mère, c'est au moment de la naissance. Pendant toute la gestation il suit tous les changements de la mère, dont il n'est qu'une partie ; souffre-t-elle, il souffre; meurt-elle-, il meurt; devient-elle esclave, perd-elle ses droits de cité, il naît esclave, il naît peregrinus. Il faudrait conclure de ces deux règles que, lorsqu'il y avait mariage entre un citoyen et une peregrina ayant le jus connubii, l'enfant naissait citoyen; que, lorsqu'il naissait hors mariage légitime d'une citoyenne et d'un peregrinus, il naissait aussi citoyen; mais la loi MENSIA, de natis ex-alterutro peregrino, portée sous Auguste, décidait que, dans tous les cas ou du père ou de la mère l'un serait étranger, l'enfant le serait aussi. Il fallait donc, d'après cette loi, pour que l'enfant naquît citoyen , que le père et la mère le fussent tous deux, soit qu'il y eût, soit qu'il n'y eût pas mariage. Sous Justinien, le droit introduit par Caracalla existe encore; on ne distingue plus des citoyens que les peuples réellement étrangers, que l'on nomme barbares, tels que les Perses, les Vandales, les Goths, les Lombards, les Francs. Les avantages du citoyen, par rapport aux droits, politiques, sont presque nuls; mais, dans l'ordre privé, les citoyens jouissent du droit civil, et les étrangers, seulement du droit des gens.
HOMMES OU FEMMES. La différence de sexe amène nécessairement dans la société une différence d'état, que les jurisconsultes romains n'ont pas manqué de signaler, Les femmes, à cause de leur faiblesse naturelle, avaient quelques priviléges de plus, et plusieurs droits de moins. Dans l'ordre public elles ne pouvaient remplir aucune fonction. Elles étaient, au temps de la république, placées, sous la tutelle perpétuelle de leurs proches ou sous, la puissance de leurs maris, et se trouvaient incapables d'agir en justice, même pour elles. Bien que, sous Justinien, ces incapacités n'existent plus depuis longtemps, cependant il y en a encore plusieurs autres que nous aurons occasion de signaler: ainsi elles ne peuvent ni être tutrices, ni être témoins dans un testament, ni avoir de puissance paternelle sur leurs enfants, etc.
INGÉNUS ET AFFRANCHIS. (Ingenui; libertini, liberti). Il est impossible d'étudier l'histoire des Romains et de lire les ouvrages que nous ont laissés leurs auteurs, sans apercevoir combien était grande la différence qui existait entre les ingénus et les affranchis. Cette différence avait des résultats importants et dans les moeurs et dans les lois aussi notre texte l'examine-t-il en détail.
TIT. IV.
DE INGENUIS.
Ingenuus est, qui statim ut
nascitur, liber est : sive ex duobus
ingenuis matrimonio editus, sive
ex libertinis duobus , sive ex altero
libertino et altero ingenuo.
Sed etsi quis ex matre libera
nascatur, patre vero servo, ingenuus
nihilominus nascitur,
quemadmodum qui ex matre
libera et incerto patre natus
est, quoniam vulgo conceptus
est. Sufficit autem liberam fuisse
matrem eo tempore quo nascitur,
licet ancilla conceperit. Et e contrario,
si libera conceperit, deinde
ancilla facta pariat, placuit eum
qui nascitur liberum nasci, quia,
non debet calamitas matris ei
nocere qui in ventre est. Ex his
illud quaesitum , est : Si ancilla praegnans manumissa sit, deinde
ancilla postea facta pepererit,
liberum an servum pariat? Et
Marcellus probat liberum nasci ;
sufficit enim ei , qui in utero
est, liberam matrem vel medio
tempore habuisse: quodet verum
est.
Est ingénu celui qui, dès l'instant de sa naissance, est libre. Qu'il soit issu du mariage de deux ingénus, de deux affranchis, ou de celui d'un affranchi et d'un ingénu. Bien plus, l'enfant d'une mère libre et d'un père esclave naît ingénu; comme celui dont la mère est libre, mais qui a un père incertain parce qu'il a été vulgairement conçu. Il suffit du reste que la mère soit libre au moment de la naissance, bien qu'elle fût esclave à celui de la conception. Et si, au contraire, elle a conçu libre et accouche esclave, on a ordonné que l'enfant naîtrait libre, parce que l'infortune de la mère ne doit pas nuire à l'enfant qu'elle porte dans son sein. D'où l'on a fait cette question: une esclave enceinte est affranchie, ensuite elle redevient esclave, et accouche , son enfant est-il libre ou esclave? Marcellus pense qu'il naît libre. Il suffit, en effet, à l'enfant conçu que sa mère ait été libre un moment, ne serait-ce que pendant le gestation; et cela est vrai.
(1) Cette expression vulgo conceptus est pleine d'énergie, et indique bien un enfant dont la conception, ayant eu lieu hors mariage, ne peut pas être plus attribuée à l'un qu'à l'autre. On ne peut la rendre en français, et j'ai mieux aimé traduire mot à mot que de chercher une périphrase.
Statim ut nascitur liber est. L'ingénu dès l'instant de sa naissance a pris rang parmi les hommes libres, dans sa famille et dans la cité; il n'a jamais été soumis à aucun droit de servitude, et ne devant sa liberté à personne, aucune sujétion à cet égard ne lui est imposée. Mais dans quels cas un enfant naît-il libre, et par conséquent ingénu? En appliquant les deux règles que nous venons d'expliquer, il faudrait décider: 1.° que si l'enfant est conçu en mariage il prend la condition que son père avait au moment de la conception, et par conséquent il est libre quel qu'ait été depuis le sort du père ; 2.° que s'il n'y a pas mariage, l'enfant suit la condition qu'a la mère au moment de la naissance; si la mère est, libre à cette époque , l'enfant est libre; si la mère est esclave, l'enfant est esclave, quel que soit du resté le père, libre ou esclave, et quel qu'ait été le sort de la mère pendant la gestation.Tel était le droit rigoureux. Gaius et Ulpien l'appliquent, comme nous l'avons vu, au cas où il s'agit de savoir si un enfant naît étranger, et ils ne disent pas qu'il en soit autrement pour les esclaves; mais Paul, qui écrivait à la même époque qu'Ulpien, indique une exception faite à la règle générale en faveur de la liberté : 1. Si serva conceperit, et postea manumissa pepererit, liberum parit 2. Si libera conceperit, et ancilla facta pepererit, liberum parit. Id enim favor libertatis exposcit. 3. Si ancilla conceperit, et medio tempore manumissa sit, rursus facta ancilla pepererit, liberum parit. Media,enim tempora libertati prodesse , non nocere etiam possunt. Marcien, presque contemporain .d'Ulpien, donne la même décison ; enfin une version des Instituts attribue cet avis à Marcellus, qui vivait sous Marc-Aurèle, au temps même de Gaius, ainsi depuis ces jurisconsultes, pour que l'enfant naquît libre, il suffisait que la mère l'eût été pendant un seul moment de la gestation; c'est la disposition des Instituts.
1. Cum autem ingenuus aliquis natus sit, non officit ei in servitute fuisse, et postea manumissum esse ; saepissime enim constitutum est, natalibus non officere manumissionem.
1. Celui qui est né ingénu ne perd point cette qualité pour avoir été réduit en servitude et ensuite affranchi ; car, très-souvent, l'on a déclaré que la manumission ne peut nuire aux droits de naissance.
Il faut bien se garder d'entendre par ce paragraphe que l'ingénu ne peut jamais perdre cette qualité. L'ingénu réellement fait esclave (servus), par exemple parce qu'il s'est laissé vendre pour avoir part au prix, a perdu son ingénuité, et si son maître le libère il devient affranchi, parce qu'il doit la liberté à son maître. Mais l'ingénu réduit en esclavage (in servitute), par exemple, l'enfant que dans son enfance des pirates ont volé et vendu comme esclave, n'a jamais perdu son ingénuité, et si son maître le libère il ne devient pas affranchi, parce qu'il ne doit pas à son maître la liberté qu'on lui avait ravie de fait, mais qu'il n'avait jamais perdue de droit. La différence est donc dans ces expressions : in servitute esse, servus esse, dont la première exprime le fait, la seconde le droit. Un homme a une femme libre à son service, elle accouche et meurt laissant son enfant vivant. Le maître meurt quelque temps après ; son héritier croit que l'enfant est esclave, le garde comme tel et par suite le libère. Cet enfant ne devient pas affranchi, parce qu'il était in servitute, mais non servus. C'est encore un exemple donné par Théophile. On peut conclure de là que la définition de l'ingénu , donnée par le paragraphe précédent, n'est pas entièrement exacte; il ne suffisait pas de dire l'ingénu est celui qui est né libre, il fallait ajouter : et qui n'a jamais cessé de l'être.
TIT. V.
DE LIBERTINIS.
TIT. V.
DES AFFRANCHIS.
L'esclave délivré de la servitude se nommait affranchi (libertinus, libertus) ; celui qui le délivrait, patron (patronus). Les moeurs et les lois avaient séparé les affranchis des ingénus, et en avaient fait une classe à part. Dans les moeurs : le souvenir de leur esclavage les marquait pour toujours, et les plaçait bien au-dessous de ceux qui ne devaient leur liberté qu'à leur naissance. L'ancien esclave prenait le nom de son patron, il s'attachait ordinairement à sa maison , et, après l'avoir servi comme esclave, il le servait encore comme affranchi. Il ne craignait pas de se livrer à des occupations qu'un ingénu n'eût pas voulu remplir, comme celle de diriger un commerce, un navire, une boutique ; quelquefois il se rendait utile par ses connaissances dans les affaires ou dans la jurisprudence; souvent il devenait le confident, le complice de son patron; la plupart de ces empereurs qui ont laissé dans l'histoire un nom flétri, eurent pour conseillers des affranchis : Narcisse inspira et dirigea presque tous les forfaits de Néron ; mais quelquefois aussi ces esclaves libérés semblaient par leurs talents vouloir se venger de la fortune. Térence et Horace ne devaient la liberté qu'à une manumission; ils avaient reçu en naissant le génie qui a fait passer jusqu'à nous leurs noms et leurs ouvrages.Par les lois : les affranchis , dans l'ordre politique, ne pouvaient aspirer à certaines: dignités ; ils n'avaient pas le droit de porter l'anneau d'or (jus auremum annulorum), marque distinctive qui avait fini par être commune à tous les ingénus ; enfin il était défendu aux patriciens de former des alliances avec eux. Dans l'ordre privé, la chose la plus caractéristique c'est que l'affranchi, en entrant parmi les hommes libres, s'y trouvait seul, sans famille civile; et cela devait nécessairement changer pour lui toutes les règles de cette matière, comme celles sur la tutelle, sur les successions. Dans cette position les lois, de concert arec les moeurs, lui avaient donné en quelque sorte pour famille celle du patron, envers qui il avait à remplir plusieurs devoirs, dont la réunion formait pour celui-ci ce qu'on nommait les droits de patronage (jura patronatus). Au premier temps de la république, il y avait peu d'esclaves, peu d'affranchis : on les distinguait bien des ingénus; plus tard les esclaves se multiplièrent, les affranchis aussi; dans les dernières guerres civiles on forma avec eux des légions, chose contraire au droit constitutif. Auguste voulut réprimer par plusieurs lois ces manumissions répétées; mais la fortune et les moeurs de l'empire ne ressemblaient pas à celles de la république ; les choses continuèrent d'avoir leur cours; les affranchis citoyens se rapprochèrent des ingénus; souvent les empereurs accordaient à quelques-uns d'entre eux le droit de régénération (jus regeneratiohis), et par là ils se trouvaient en quelque sorte régénérés, rangés parmi les ingénus, pouvant porter l'anneau d'or. Enfin Justinien finit par effacer toute différence ; il accorda à tous les affranchis la régénération, et ne laissa plus subsister, comme les distinguant des ingénus, que les droits du patron et de sa famille.
Libertini sunt, qui ex justa servitute manumissi sunt. Manumissio autem est datio libertatis; nam quamdiu quis in servitute est, manui et potestati suppositus est : manumissus liberatur apotestate. Quae res à jure gentium originem sumpsit: utpote, cum jure naturali omnes liberi nascerentur, nec esset nota manurnissio, cum servitus esset incognita. Sed postquam jure gentium servitus invasit, secutum est beneficium manumissionis; et cum uno communi nomine omnes homines appellareatur, jure gentium tria hominum genera esse coeperunt : liberi, et his contrarium servi, et tertium genus libertini, qui desierant esse servi.
Sont affranchis ceux qui sont libérés par manumission d'une juste servitude. La manumission est le don de la liberté; car tant qu'on est esclave on est sous la main et sous la puissance du maître ; par la manumission on est délivré de cette puissance. Cette institution vient du droit des gens ; en effet, d'après le droit naturel, tous les hommes naissaient libres, il n'y avait pas d'affranchissement parce qu'il n'y avait pas d'esclavage. Mais lorsque le droit des gens eut introduit la servitude, à la suite vint le bienfait de la manumission ; et tandis que primitivement tous tes hommes le droit des gens à les diviser en trois espèces : les libres; par opposition, les esclaves ; et troisièmement les affranchis qui avait cessé d'être esclaves. Pour qu'un individu libéré de la servitude Pour qu'un individu libéré de la servitude devînt affranchi, il fallait que sa servitude fût réelle et de droit, sinon la manumission n'aurait pas nui à sa liberté ; voilà pourquoi le texte porte : Ex justa servitute Les derniers termes du paragraphe Qui desierant esse servi comprennent la même idée ; ils ont même quelque chose de plus général que la première définition, car ils ne renferment pas le mot manumissi, libérés par manumission : or il y avait des esclaves qui pouvaient être affranchis d'autres manières que par anumission. L'étymologie de manumissio est bien naturelle (de manu missio) ; les expressions manui subesse étaient consacrées chez les Romains pour dire être sous la puissance ; l'esclave est sub manu domini: voilà pourquoi l'acte qui le délivre de cette puissance, de cette main qui pèse sur lui, se nomme manumissio. Nous verrons cependant que le mot manus, pris ici dans un sens général, était jadis consacré pour désigner spécialement la puissance du mari sur la femme.
1. Multis autem modis manumissio procedit; aut enirn ex sacris Constitutionibus in sacrosanctis Ecclesis, aut vindicta;aut inter amicos, aut per epistolam, aut per testamentum, aut per aliam quamlibet ultimam voluntatem. Sed et aliis multis modis Iibertas servo competere potest, qui tam ex veteribus, quam ex nostris Constitutionibus introducti sunt.
1. L'affranchissement se fait de
plusieurs manières : dans les saintes
Églises, conformément aux Constitutions
impériales, par la vindicte, entre amis, par lettre, par testament
ou par tout autre acte de dernière
volonté. Il est encore, pour acquérir
la liberté, beaucoup d'autres
moyens introduits tant par les Constitutions
anciennes que par les nôtres.
La manumission n'était point un acte qui ne touchât qu'à un intérêt privé ; il faut bien en saisir le véritable caractère. Elle avait pour but naturel de libérer l'esclave, et partant, une fois libre, de le faire entrer dans: la société avec des droits quelconques ; ces droits étaient même ceux de citoyen. Trois parties étaient intéressées : le maître qui perdait sa puissance, l'esclave qui changeait de condition, et la cité qui le recevait dans son sein comme un de ses membres. Ces trois parties devaient donc intervenir dans l'acte. Aussi la volonté seule du maître ne suffisait-elle pas pour opérer l'affranchissement; la cité y concourait toujours : représentée par le censeur dans l'affranchissement par le cens; par le peuple lui-même réuni en comices dans l'affranchissement par testament; par le magistrat dans l'affranchissement par la vindicte. Toute manumission faite par le propriétaire seul ne devait être qu'un acte privé ; cependant nous voyons souvent que les maîtres affranchissaient l'esclave, soit en le faisant asseoir à leur table en signe de liberté, soit en déclarant devant des amis leur intention ; mais ce n'était là qu'une affaire particulière entre l'esclave et son maître, par laquelle celui-ci promettait de ne point exercer son pouvoir : l'esclave ne devenait ni libre ni citoyen romain, car la cité n'était pour rien dans son affranchissement, et le maître pouvait, quand il voulait, reprendre cette puissance qu'il avait promis de ne plus exercer, car on ne s'oblige pas envers son esclave ; il est vrai que les préteurs s'y opposaient. Par la suite, une loi Junia sanctionna cette juridiction prétorienne, et voulut que ces esclaves vécussent toujours comme libres, mais non comme citoyens (1). Enfin Justinien, sous qui le titre de citoyen était bien loin d'avoir le prix qu'on lui donnait à Rome, ne mit aucune différence entre ces divers modes d'affranchissement, et par là les esclaves purent; sans le concours de la cité, et par la volonté seule du maître, recevoir non-seulement la liberté, mais encore les droits de cité. De cet aperçu il est facile de conclure que les modes de manumission se divisent en solennels et non solennels ; que cette division est importante à remarquer dans la première jurisprudence, parce que les affranchissements solennels étaient les seuls qui produisissent des effets sanctionnés par le droit;
(1) Tout ce que nous venons de dire se déduit comme une conséquence forcée des diverses dispositions sur les affranchissements et de la nature de cet acte. Voici à ce sujet un passage qui est trop saillant pour ne point le citer; il est puisé chez un ancien jurisconsulte romain. Primum ergo videamus quale est quod dicitur, eos qui inter amicos apud veteres m'anumittebantur , non esse liberos, sed domini voluntate in liberiate morari, et tantum serviendi meta liberari. Antea enim una Iibertas erat; et libertas fiebat vel ex vindicta, vel ex testamento, vel in censu: et civitas romana competit manumissis, quai appellatur legitima Iibertas. Hi autem qui domini voluntate in libertate erant, manebant servi, et manumissores audebant eos iterum per vim in servitutem ducere : sed interveniebat proetor, et non permittebat manumissum servire, etc. (Veteris jurecons. fragment. De manum. § 6).
et depuis la loi Junia, parce que les affranchissements solennels rendaient seuls citoyens, les autres ne donnant que l'exercice irrévocable de la liberté; mais que, sous Justinien, la même importance cesse, puisque tous les modes produisent les mêmes effets. Modes solennels de manumission. Manumission par le cens (Censu). Lorsque le censeur faisait le recensement des citoyens intervenaient devant lui l'esclave qu'on voulait libérer, le maître qui renonçait à sa puissance, et alors, en vertu des pouvoirs qui lui étaient confiés, ce magistrat inscrivait l'esclave sur les tables du cens au nombre des Romains ; formalité toute simple, toute naturelle, qui n'était qu'un commencement d'exécution des effets que devait produire l'affranchissement. Tel est le premier mode de manumission dont le souvenir nous soit conservé; il prend son origine peu de temps après Servius. Sous l'empire, l'institution du cens tomba en désuétude. Pendant deux cents ans environ, depuis Vespasien jusqu'à Décius (de 827 de R. à 1002) on ne fit aucun recensement, et dans l'intervalle les jurisconsultes parlent de la manumission par le cens, les uns comme existant toujours, parce qu'elle n'était pas abolie de droit; les autres, comme n'existant plus, parce qu'elle était tombée en désuétude . L'empereur Décius (1002 de R. 249 de J.-C.) fit faire un recensement, qui fut le dernier. Manumission par la vindicte (Vindicta). L'affranchissement dont nous venons de parler ne se présentait que tous les cinq ans, il ne pouvait longtemps suffire. Cependant quel moyen trouver pour rendre libre et citoyen un esclave sans l'inscription sur le cens? Une action symbolique, toute dans le génie des premiers Romains , donna ce moyen. Lorsqu'un homme libre était injustement en servitude, on s'adressait au consul rendant la justice, et on réclamait sa liberté. Alors avait lieu le procès nommé causa liberalis, à la suite duquel était prononcé le jugement qui le déclarait libre. Une représentation fictive de ce procès servit de manumission. Le maître et l'esclave se présentaient, au consul ; là, avec des formalités qui ne nous sont pas bien connues,on feignait de vendiquer la liberté comme appartenant à cet homme, le maître ne contestait pas ; et le magistrat, rendant une espèce de jugement, prononçait: Aio te liberum more Quiritium. C'est ainsi qu'on parvenait au but qu'on voulait atteindre. Dans ces formalités paraissait une baguette (festuca, vindicta), espèce de lance qui, chez les Romains, peuple guerrier et spoliateur, était un symbole de propriété, et s'employait dans toutes les procédures où il s'agissait de vendiquer. (Festuca autem utebantur quasi hastoe loco, signo quodam justi dominii : maxime (enim) sud esse credebant quae ex hostibus cepissent. Cette lance était apposée par le licteur sur l'esclave lorsqu'on le vendiquait en liberté (in libertale vindicare), et voilà pourquoi l'affranchissement par ce moyen se nommait vindicta manurnissio. Les magistrats devant qui se faisait cet acte furent d'abord les consuls; on y ajouta les préteurs, lorsqu'ils furent créés pour rendre la justice puis les proconsuls et les divers présidents des provinces. L'opinion que nous venons d'exposer sur l'affranchissement par la vindicte n'est pas encore reçue généralement (1). On a fait bien des recherches, bien des suppositions sur les formalités qui avaient lieu.
(1) D'après la plupart des auteurs, le maître, saisissant l'esclave pour mieux l'indiquer au magistrat, déclarait son intention : hunc hominem liberum esse volo, et après lui avoir donné un soufflet, comme dernier acte de sa puissance, il le repoussait en le faisant tourner sur lui-même, et lui disant: Abito quo voles. Le préteur alors faisait imposer la baguette (vindicta), et le déclarait libre : Aio te liberum more Quiritium. Cependant une infinité de raisons prouvent que la manumission était une fiction de la causa liberalis. On justifie ainsi de la manière la plus satisfaisante comment on fut amené à se passer de l'inscription sur le cens; de plus on cite à l'appui plus d'un exemple de fictions pareilles. Voulait-on donner à quelqu'un la propriété romaine d'une chose qui ne lui appartenait pas, on représentait devant le préteur un procès. Celui à qui on voulait donner feignait de vendiquer la chose, le maître ne contestait pas ; et le magistrat, comme s'il rendait un jugement, adjugeait la chose à celui qui l'avait vendiquée (G. 2 § 24. Ulp. Reg.. T. 19. §. 9 et suiv.). Cette procédure se nommait injure cessio. Voulait-on donner son fils en adoption à quelqu'un, ce dernier le vendiquait devant le magistrat comme sien; le père ne contestait pas, et le préteur adjugeait le fils au veudiquant (Aul. Gel. 5. 19). Nous pourrions donner encore plus d'un exemple à peu près semblable, qui tous, font présumer qu'un moyen pareil avait été employé pour la manumission. On peut donner aussi à l'expression manurnissio vindicta une autre origine que celle que nous savons énoncée. D'après Tite-Live (L. 2. c. 5.), elle vient d'un esclave nommé Vindicius, qui, le premier, fut affranchi de cette manière pour avoir découvert la conspiration des fils de Brutus. Théophile rapporte les deux étymologies.
Mais, quoi
qu'il en soit, ces formalités tombèrent en désuétude sous
les empereurs. Un fragment d'Hermogénien nous apprend
que l'affranchissement se faisait de son temps sans que
le maître parlât; les paroles solennelles étaient supposées
prononcées ; il n'était pas nécessaire que le magistrat
fût à son tribunal, il pouvait affranchir en quelque lieu
qu'il fût. Ulpien dit même avoir vu le préteur affranchir
étant à la campagne, sans que ses licteurs fussent présents.
Manumission par testament (Testamento). Le testament
ne pouvait être fait primitivement que devant les comices
du peuple, qui devaient ratifier les volontés du testateur,
comme s'il s'agissait de ratifier un projet de loi. Il était
naturel qu'on pût affranchir par ce moyen, puisque les citoyens
eux-mêmes y concouraient. L'esclave n'y intervenait
pas plus que tout autre légataire, parce que le testament
n'est fait que pour le moment de la mort du testateur, et jusque là ne produit aucun effet. Par la suite, les
formalités devinrent moins rigoureuses: au lieu de la présence
du peuple, il suffit de celle d'un certain nombre
de témoins; mais les manumissions n'en continuèrent
pas moins à pouvoir être faites dans cet acte. On donnait
ainsi la liberté directement ou par fidéicommis. Directement,
quand le testateur, sans employer aucun intermédiaire
, déclarait sa volonté (servus meus Cratinus liber
esto; liber sit; Cratinum liberum essejubeo) ; par fidéicommis,
quand le maître employait une personne interposée, qu'il priait d'affranchir l'esclave heres meus rogo te
ut Saccum,
vicini mei servum, manumittas; fideicommitto heredis
mei ut iste eum servum manumittat.. Les différences
entre ces deux modes étaient grandes. La liberté directe
ne pouvait être donnée par le testateur qu'à son esclave, la liberté fidéicoinmissaire même à l'esclave
d'autrui, l'héritier était chargé de l'acheter et de l'affranchir
: l'esclave affranchi directement était libre de
plein droit, du moment où l'un des héritiers avait accepté, l'esclave affranchi par fidéicommis ne devenait
libre que lorsque l'héritier ou la personne chargée
du fidéicommis l'affranchissait: le premier était affranchi
du de'funt ; on le nommait libertus orcinus parce que son
patron était chez les morts (ad orca) ; la famille de ce
dernier succédait aux droits de patronage : le second
avait pour patron celui qui avait été chargé de l'affranchir. On pouvait aussi par testament donner la liberté
sous condition, ou à partir d'un certain jour (sub
conditione , a die ), mais non jusqu'à un certain jour (ad
diem) ; l'esclave ainsi affranchi : que Pamphile soit libre
pendant dix ans, l'eût été pour toujours. La raison en
est sensible, la qualité d'homme libre et de citoyen ne
peut s'acquérir pour un moment et se perdre sans motifs.
Manumission dans les églises (In sacro sanctis ecclesiis).
Nous trouvons au Code, sur ce mode d'affranchissement,
deux constitutions rendues en 316 de J.-C., lorsque Constantin partageait encore l'empire avec Licinius, et
qu'il commençait à protéger la religion chrétienne, époque
où déjà, depuis près d'un siècle, le cens n'avait plus
eu lieu. Cette manumission se faisait devant les évêques
en présence du peuple ; on la constatait par un acte quelconque
que signait le pontife. Il paraît qu'on choisissait
ordinairement pour cette formalité un jour de fête
solennelle, comme celle de Pâques. Cujas rapporte un
pareil acte qui se trouvait gravé sur la pierre, au-dessus
des portes de l'ancienne cathédrale d'Orléans: Ex beneficio
S. "j" per Joannem episcopum et per Albertum S. -f
Casatum , factus est liber Lemtbertus, teste hac sancta ecclesia. « Par la grâce de la sainte Croix, par le ministère
de Jean, évêque, et par la volonté d'Albert vassal de
la sainte Croix, Lemtbertus, esclave de ce dernier, a reçu
la liberté en présence des fidèles de cette église ».
Modes non solennels de manumission.
Par lettre (Per epistolam). Les maîtres, dit Théophile,
écrivaient quelquefois à un esclave qui se trouvait loin
d'eux, qu'ils lui permettaient de vivre en liberté. C'est là
l'origine de l'affranchissement per epistolam. Justinien
exigea que la lettre ou l'écrit qui contenait la manumission
fût signée de cinq témoins.
Entre amis (Inter amicos). La déclaration du maître,
faite devant ses amis, mettait l'esclave en liberté. Justinien fixa le nombre des témoins présents à cinq. On dressait
un acte, dans lequel ils attestaient avoir entendu la
déclaration.
Par codicille (Per codicillum). Le codicille est un acte
sans solennité, dans lequel on pouvait exprimer ses dernières
volontés relativement aux dons, legs et autres dispositions
particulières dont on chargeait l'héritier. Justinien
exigea que le codicille fût signé de cinq témoins.
On pouvait affranchir dans cet acte ; et c'est à ce mode
de manumission que font allusion les expressions de notre
texte: Per quamlibet aliam ultimam voluntatem.
Il était encore plusieurs autres modes exprimés dans
une constitution de Justinien; les voici: Si un maître
a chassé et abandonné sans secours son esclave dangereusement
malade, ou bien s'il a prostitué une esclave, vendue
sous condition qu'elle ne le serait pas, l'esclave devient
libre sans patron. Si l'esclave, d'après la volonté
du défunt ou de son héritier, a précédé le convoi de son
maître portant le chapeau de la liberté, il sera libre, afin
que le maître ne se soit point donné avec ostentation le
faux mérite d'un affranchissement simulé. Si après
avoir plaidé contre un individu, et l'avoir fait déclarer son
esclave, on reçoit de quelqu'un le prix qu'il vaut. Si
le maître a marié à un homme libre une femme esclave
en lui constituant une dot. S'il a, dans un acte public,
donné à son esclave le nom de son fils. Si, en présence
de cinq témoins, il lui a remis ou s'il a déchiré les titres constatant sa servitude. On avait bien autrefois quelques
autres moyens d'affranchir sans solennité; par exemple
lorsque le maître faisait asseoir l'esclave à sa table en signe
de liberté (per convivinin, per mensam, inter epulas) ;
mais Justinien n'a sanctionné que les modes que nous venons
de rapporter et quelques autres indirects que nous
aurons occasion de voir.
2. Servi autem a dominis semper manumitti soient : adeo ut vel in transitu manumittantur, veluti cum praetor , aut praeses, aut proconsul in balneum, vel in theatrum eunt.
3. Libertinorum autem status tripertitus antea fuerat. Nam qui manumittebantur, modo majorem et justam libertatem consequebantur, et fiebant cives Romani; modo minorera, et Latini ex lege Junia Norbana fiebant; modo inferiorem, et fiebant ex lege aelia ssentia deditiorum numero. Sed, deditiorum quidem pessima conditio jam ex multis temporibus in desuetudinem abiit, Latinorum vero nomen non frequentabatur, ideoque nostra pietas omnia augere, et in meliorem statum reducere desiderans, duabus constitutionibus hoc emendavit, et in pristinum statum reduxit; quia et in primis urbis Romae cunabulis una alque simplex Iibertas competebat, id est, eadem quam habebat manumissor, nisi quod scilicet libertinus sit qui manumittitur, licet manumissor ingenuus sit. Et dedititios quidem per constitutionem nostram expulimus, quam promulgavimus , inter nostras decisiones, per quas, suggerente nobis Triboniano, viro excelso , quaestore , antiqui juris altefcationes placavimus. Latinos autem Junianos , et omnem quae circa eos fuerat observantiam, alia constitutione, per ejusdem quaestoris suggestionem, correximus, quae inter imperiales radiat sanctiones. Et omnes libertos, nullo nec aetatis manumissi, nec dominii manumittentis , nec in manumissionis modo discrimine habito, sicut jam antea observabatur, civitati romanse donavimus; multis modis additis, per quos possit libertas servis cum civitate romana, quae sola est in praesenti, praestari.
3. Les affranchis pouvaient précédemment
se trouver dans trois
états différents. Car tantôt ils acquéraient
une liberté entière et légitime,
et devenaient citoyens romains
; tantôt une liberté moindre,
et, d'après la loi Junia Norbana, ils
étaient Latins ; tantôt une liberté
inférieure, et, par la loi AEliaSentia,
ils étaient au nombre des déditices.
Mais déjà, depuis longtemps, les
derniers de ces affranchis, les déditices
ont disparu de l'usage; le
titre de Latin était rare ; aussi, désirant
tout compléter et tout améliorer,
notre humanité à corrigé ce
point en le ramenant à son premier
état. En effet, dès le berceau de
Rome, la liberté était une, la même
pour l'affranchi que pour l'affranchissant, si ce n'est que ce dernier
étoit ingénu, l'autre affranchi.
En conséquence, en promulguant,
sur l'avis de l'illustre Tribonien,
questeur, ces décisions qui ont éteint
toutes les discussions de l'ancien
droit, nous y avons compris une
constitution qui supprime les déditices.
De même nous avons, à l'instigation
du même questeur, effacé
les Latins Juniens et tout ce qui les
concernait dans une autre constitution
qui brille parmi les lois impériales.
Tous les affranchis, sans
établir, comme autrefois, de différence
selon leur âge, le genre de
propriété de l'affranchissant ou le
mode de manumission, nous les
avons rendus citoyens romains;
en ajoutant plusieurs moyens nouveaux
de donner à un esclave la liberté
jointe aux droits de cité, la
seule qui existe aujourd'hui.
Primitivement la liberté était une et indivisible. Tout
affranchissement produisait deux effets: 1° Le maître renonçait
à ses pouvoirs de propriétaire ; 2° les droits de
cité étaient accordés à l'esclave. Par une conséquence
naturelle, il fallait donc 1° que le maître fut propriétaire
de l'esclave d'après le droit civil (dominus ex jure Quiritium);
2° que la cité intervînt pour consentir à l'affranchissement, c'est ce qui avait lieu dans les manumissions
censu, vindicta, testamento. Si celui qui affranchissait
n'était pas propriétaire d'après le droit civil, et ne faisait
que posséder l'esclave dans ses biens (in bonis), ou bien
si l'affranchissement était fait sans solennité, l'esclave ne
devenait pas libre ; mais, d'après la volonté de l'affranchissant,
il vivait en liberté (in libertate morabatur), il était
délivré seulement de la peine de servir (tantum serviendi
metu liberabatur) ; restant toujours esclave de droit, tout
ce qu'il acquérait était à son maître; celui-ci même aurait
pu, d'après le droit civil, le faire rentrer sous sa puissance:
mais le préteur s'y opposait, et seulement le
maître venait, à la mort de l'esclave, prendre, comme propriétaire,
tout ce que celui-ci laissait.
La loi AElia. Sentia, rendue en 757 sous Auguste, apporta
plusieurs modifications aux affranchissements, entre
autres celles que voici : elle exigea, pour que l'esclave affranchi
devînt libre et citoyen, qu'il eût trente ans, à
moins qu'on ne l'affranchît par la vindicte, après en avoir
fait approuver le motif par un conseil (apud consilium justa
causa approbata). De plus elle décida que les esclaves
qui, pendant leur servitude, avaient été jetés dans les
fers, marqués d'un fer chaud, ou mis à la question pour
un crime dont ils étaient restés convaincus (si in ea noxa
fuisse convicti sint)), ne pourraient plus, même lorsqu'ils
réuniraient dans leur affranchissement les trois conditions
voulues, acquérir les droits de citoyen, et seraient
assimilés aux déditices : on nommait ainsi des peuples
qui jadis prirent les armes contre Rome, et , qui après avoir été vaincus, se rendirent à discrétion (qui quondam
adversus populum romanum armis susceptis pugnaverunt, et
deinde victi se dederunt) ; les Romains leur laissèrent la
vie et la liberté en les flétrissant du nom de Déditices.
Il y eut dès lors deux classes d'affranchis, les citoyens,
les déditices ; quant aux esclaves, qui libertate morabantur,
on ne pouvait encore les compter comme affranchis.
Mais la loi Junia Norbana, que l'on croit rendue en
772, sous Tibère (1), fit de ces derniers une troisième
classe, qui fut assimilée, pour les droits, aux anciens habitants
des colonies du Latium, et ces affranchis furent nommés
Latins Juniens; Latins, à cause de leur position, Juniens,
à cause de la loi.
(1) Il faut avouer que plusieurs raisons , et entre autres, quelques phrases de Gaïus et d'Ulpien pourraient faire penser que, lors de la loi AElia Sentia, la classe des affranchis latins était déjà admise, et que par conséquent la loi Junia Norbana est antérieure à la loi AElia Sentia. Cependant ces phrases s'expliquent par les réflexions suivantes: La loi AElia Sentia, portant quelques prohibitions nouvelles aux affranchissements, empêcha dans certains cas que l'esclave affranchi devînt citoyen (non voluit manumissos cives romanos fieri. G. 1. § 18); elle l'assimila à celui qui vivait en liberté d'après la volonté de son maître (perinde haberi jubet, atque si domini voluntate in libertate esset. Ulp. Reg. T 1. § 12). Enfin la loi Junia vint, et dès lors cet esclave fut Latin Junien (ideoque fit Lalinus. ibid.). Si Gaïus et Ulpien réunissent quelquefois ces conséquences, c'est qu'ils écrivent postérieurement aux deux lois, à une époque où leurs dispositions étaient en vigueur ensemble et se réunissaient.
On compta alors trois classes d'affranchis, 1° les affranchis citoyens, dans l'affranchissement desquels concouraient ces trois choses : que l'esclave eût trente ans, que le maître eût le domaine du droit civil, que le mode de manumission fût solennel; 2° les déditices qui avaient été, pendant leur esclavage, punis pour un crime; 3° les Latins Juniens qui n'avaient commis aucun crime, mais à l'affranchissement desquels manquait une des trois circonstances dont nous venons de parler. Les affranchis citoyens jouissaient de tous les droits civils, sauf les différences résultant de ce qu'ils n'étaient pas ingénus. Les déditices ne jouissaient que de la liberté et des droits naturels accordés jadis aux peuples auxquels on les avait assimilés. Ils ne pouvaient acquérir que par les moyens permis aux étrangers ; ils ne pouvaient faire de testament; ils ne pouvaient demeurer à Rome ou dans un rayon de cent milles, sous peine de confiscation de leurs biens ; ils ne pouvaient avoir aucune espérance de changer d'état; enfin, à leur mort, le maître venait prendre leurs biens, par droit de succession, s'ils avaient été affranchis solennellement avec toutes les conditions voulues , sinon par droit de pécule et comme étant toujours leur propriétaire Les Latins Juniens n'avaient pas tous les droits de citoyenromain. Dans l'ordre politique, les droits de suffrage, l'aptitude aux fonctions publiques leur étaient refusés ; dans l'ordre privé, ils ne pouvaient être nommés directement héritiers, légataires ou tuteurs, ils ne pouvaient faire de testament; à leur mort, leurs maîtres continuèrent toujours à prendre les biens qu'ils laissaient, comme s'ils n'avaient pas cessé d'être esclaves: ce qui fait dire, dans les Instituts, qu'à leur dernier soupir ils perdaient à la fois la vie et la liberté (in ipso ultimo spiritu simul animant atque libertatem amitlebant). Mais un Latin pouvait, de plusieurs manières, passer à l'état de citoyen : beneficio principali, si l'empereur par un rescrit lui accordait cette faveur; liberis, si, ayant contracté mariage et ayant un enfant, il se présentait devant le préteur ou le président delà province, et prouvait ce fait (causant probare), il devenait citoyen, ainsi que sa femme et son enfant s'ils ne l'étaient pas ; iteratione, s'il était affranchi de nouveau avec toutes les conditions qui manquaient à son premier affranchissement; enfin de bien d'autres manières qu'Ulpien désigne par ces mots : militia, nave , oedificio, pistrino, et qui consistent à avoir servi pendant un certain temps dans les gardes de Rome; avoir construit un navire et transporté six ans du bled ; avoir élevé un édifice, établi une boulangerie. Telles sont les trois classes d'affranchis que Justinien réduisit à une seule, en accordant à tous les droits de cité, sans distinguer si l'esclave avait trente ans, si le maître avait le domaine de citoyen (1), si le mode d'affranchissement était solennel (nullo nec oetatis manumissi, necdominii manumittentis , nec in modo manumissionis discrimine habito). Il arriva ainsi qu'un esclave pût par l'acte particulier du maître, sans l'intervention de la cité, devenir citoyen; mais, nous l'avons déjà dit, quelle différence entre la valeur de ce titre à Constantinople, et le prix qu'il avait jadis à Rome!
(1) Du reste nous aurons occasion de dire que Justinien ne mit
plus aucune différence entre le domaine de citoyen nommé (dominium
ex jure Quiritium) et la propriété naturelle.
TITULUS VI.
QUI ET EX QUIBUS CAUSIS MANUMITTERE
NON POSSUNT.
TITRE VI.
PAR QUI ET POUR QUELLES CAUSES
LES MANUMISSIONS NE PEUVENT ÊTRE
FAITES.
Au sein de la république romaine, les restrictions à la faculté d'affranchir n'étaient point apportées par les lois; elles l'étaient par les. moeurs et par la force des choses. Quand les esclaves, à cause de leur grande quantité, devinrent moins chers, quand le titre de citoyen étendu sur un plus grand nombre de sujets, dépouillé par le despotisme naissant des droits qui y étaient attachés, devint moins précieux, alors les affranchissements se multiplièrent. C'est au milieu des troubles,: qui amenèrent l'extinction de la république, que des abus se firent sentir. On affranchissait pour grossir le nombre de ses partisans, quelquefois pour que l'esclave, devenu citoyen, reçût sa part dans les distributions gratuites ; souvent au moment de la mort, pour qu'un long cortége, coiffé du bonnet de la liberté ; suivît le char funéraire, attestant la richesse et la générosité du défunt . Auguste, qui cherchait à asseoir solidement son trône en ramenant la tranquillité et en détruisant les excès, crut devoir combattre les moeurs par des lois, et mettre des bornes aux affranchissements. Telles sont les causes qui donnèrent naissance à la loi Mlia Sentia et à la loi Furia Caninia. A l'époque de Justinien, l'esprit général des sujets et du gouvernement était bien changé : le titre de citoyen avait perdu toute sa valeur; le caractère de république, qui restait encore sous Auguste, était effacé; les moeurs et les lois étaient revenues à des règles communes de droit naturel et d'humanité, et l'empereur cherchait à favoriser en tout les affranchissements. Les lois AElia Sentia et Furia Caninia durent être abrogées ou modifiées. Les Instituts examinent la première dans ce titre, la seconde dans le titre suivant. C'est Suétone qui nous apprend que la loi AElia Sentia fut portée par Auguste; et comme les fastes consulaires nous présentent S. AElius Cato et C. Sentius Saturnius, consuls en 757 de Rome, nous pouvons la placer à cette époque. Cette loi eut une grande importance dans la législation; tous les jurisconsultes romains s'en occupèrent beaucoup : elle contenait plusieurs dispositions nouvelles. Les plus connues sont : 1° celle qui défendait d'affranchir un esclave âgé de moins de trente ans, si ce n'est par la vindicte, avec l'approbation du conseil; 2° celle qui créait la nouvelle classe des affranchis déditices ; 3e celle qui prohibait les affranchissements faits en fraude des créanciers; 4° celle qui défendait que le maître, mineur de vingt ans , pût affranchir autrement que par la vindicte et avec l'approbation du conseil. Nous avons déjà examiné les deux premiers chefs : ce titre est consacré aux deux derniers.
Non tamen cuicumque volenti manumittere licet ;nam is qui in fraudera creditorum manumittit, nihil agit, quia lex AElia Sentia impedit libertatem.
Il n'est cependant pas libre à chacun d'affranchir quand il le veut; car si l'affranchissement est fait en fraude des créanciers, il est nul, parce que la loi AElia Sentia met obstacle à la liberté.
Tout ce qui est relatif à cette disposition a été maintenu. Voyons d'abord ce que c'est qu'affranchir en fraude des créanciers. Supposez qu'un homme doive à quelqu'un un de ses esclaves, parce qu'il le lui a vendu , parce qu'il s'est obligé par stipulation à le lui livrer, parce que cet esclave lui a été légué, où pour toute autre cause; ou bien supposez que cet esclave ait été donné en gage pour sûreté d'une dette, il est évident qu'en l'affranchissant le maître porterait préjudice au créancier à qui il est dû, ou livré en gage. Il en serait de même si un homme, n'ayant pas assez de biens pour acquitter toutes ses dettes, affranchissait des esclaves; parce qu'il augmenterait par là son insolvabilité ; ou même si; ayant de quoi payer tous ses créanciers, il devait par l'affranchissement se trouver hors d'état de le faire. Dans tous ces cas il y aurait préjudice; mais pour qu'il y eût fraude, on exigeait une seconde condition, c'est que le débiteur affranchissant fût de mauvaise foi et connût le préjudice qu'il faisait. Nous pouvons donc conclure qu'un maître affranchit en fraude des créanciers toutes les fois que, réunissant le fait à l'intention , il se met sciemment, par la manumission, hors d'état de payer ses dettes, ou bien augmente son insolvabilité. Nous savons, du reste, que par créancier on entend tout individu à qui il est dû, pour quelque cause que ce soit (creditores appellantur, quibus quacunque ex causa actio cum fraudatore competat). Voyons maintenant quelles étaient les conséquences de cette fraude. L'affranchissement ne produisait aucun effet, et l'esclave ne devenait pas libre. Une infinité de textes le prouvent jusqu'à l'évidence: Nihil agit ; lex impedit libertatem, disent les Instituts, Iibertas non competit; ad libertatem non veniunt ; non esse manumissione liberum factum.. En effet, il était de principe chez les Romains que la liberté une fois donnée ne pouvait plus être révoquée; la loi AElia Sentia, pour ne pas violer ce principe, devait donc empêcher que la liberté fût acquise. Il ne faut pas croire cependant que la nullité eût lieu de plein droit, et que l'esclave, après la manumission , continuât à rester en servitude; il commençait souvent à vivre de fait en liberté; mais les créanciers pouvaient attaquer l'affranchissement, prouver la fraude, et faire déclarer, en conséquence, que l'esclave n'avait pas cessé de l'être. Il pouvait arriver qu'ils perdissent leur action, et que l'esclave devînt réellement libre; par exemple, si postérieurement ils avaient été payés, ou si quelqu'un, pour conserver les affranchissements, s'engageait à acquitter toutes les dettes, parce qu'alors ils n'avaient plus d'intérêt; et même un jurisconsulte, Ariston, dont l'avis est consacré au Digeste , décide que si l'affranchissement a été fait en fraude du fisc, et qu'il ne réclame pas dans les dix ans, la manumission ne pourra plus être attaquée. Du reste, il est inutile de dire que le maître ne pouvait jamais argumenter de sa propre fraude pour faire annuler lui-même l'affranchissement. Si le débiteur a fait plusieurs affranchissements, la nullité ne commence qu'à ceux qui l'ont rendu insolvable ; ainsi les derniers affranchis, nécessaires pour le paiement des dettes; sont les seuls qui. restent esclaves. Si la dette est conditionnelle, l'état des esclaves affranchis est en suspens jusqu'à l'accomplissement de la condition.
1. Licet autem domino, qui solvendo non est, in testamento servum suum cum libertate heredem instituere ut liber fiat, heresque ei solus et necessarius ; si modo ei nemo alius ex eo testamento heres extiterit : aut quia nemo heres scriptus sit, aut quia is qui scriptus est, qualibet ex causa, heres non extiterit. Idque eadem lege AElia Sentia provisum est, et recte. Valde enim prospiciendum erat, ut egentes homines, quibus alius heres extiturus non esset ; vel servum suum necessarium heredem haberent, qui satisfacturus esset creditoribus; aut hoc eo non faciente, creditores res hereditarias servi nomine vendant, ne injuria defunctus afficiatur
1. Mais un maître insolvable peut, dans son testament, donner à son esclave la liberté et l'hérédité, afin qu'il devienne libre et son héritier unique et nécessaire; pourvu toutefois qu'en vertu de ce testament il n'y ait pas d'autre héritier, soit parce que personne autre n'a été institué, soit parce que l'inst'itué, pour une cause quelconque, n'est pas devenu héritier. C'est ce que la loi AElia Sentia a décidé avec raison, car il était indispensable de pourvoir à ce que les personnes dans la misère , qui ne trouveraient pas d'autre successeur , eussent du moins pour héritier nécessaire leur esclave, afin qu'il satisfît aux créanciers, ou que, s'il ne le faisait pas, ces derniers vendant les biens de la succession sous le nom de cet esclave, la mémoire du défunt ne reçût aucune injure.
Solus et necessarius. Il faut, pour bien entendre ce paragraphe, connaître deux particularités de moeurs et de droit. La première c'est que, lorsqu'un individu mourait laissant une succession insolvable, et n'ayant point d'héritier, les créanciers se faisaient envoyer en possession de l'hérédité et la vendaient sous le nom du défunt, puisque ce dernier n'avait été remplacé par personne. Ainsi il était, même après sa mort et sous son propre nom , constitué en un état de faillite injurieux pour sa mémoire. Les Romains avaient fort à coeur d'éviter cette honte. La seconde, c'est qu'un esclave, institué héritier par son maître, était forcé, bon gré mal gré, d'accepter cette hérédité: on le nommait héritier nécessaire (heres necessarius). De là il arrivait qu'un maître, ayant une succession misérable, et prévoyant que personne ne voudrait l'accepter, nommait son esclave pour héritier nécessaire. La loi AElia Sentia, se conformant aux moeurs générales, et ne voulant pas priver le débiteur insolvable d'un héritier, fit exception pour ce cas à ses prohibitions principales, et statua que l'esclave ainsi affranchi deviendrait libre, citoyen et héritier, sans examiner s'il avait moins de trente ans , si pendant son esclavage il avait été puni pour ses délits, ou si son affranchissement nuisait aux créanciers. Cette dernière partie est la seule, sous Justinien ; qui puisse encore recevoir son application. Elle est conservée avec d'autant plus de raison que, dans ce cas, l'intention du débiteur n'est pas de nuire à ses créanciers, mais de se donner un héritier. Mais il fallait qu'il n'y eût en vertu du testament aucun autre héritier ; sinon il n'eût pas été nécessaire, pour éviter la honte au défunt, que l'esclave héritât ; aussi le maître ne pouvait-il affranchir ainsi qu'un seul esclave, s'il en affranchissait plusieurs, c'était le premier inscrit qui seul était libre et héritier. On voit très-bien, d'après ces explications, d'où venait à cet affranchi le nom de solus et necessarius heres.
2. Idemque juris est, et si sine libertate servus heres institutus est. Quod nostra constitutio non solum in domino qui solvendo non est, sed generaliter constituit, nova humanitatis ratione, ut ex ipsa scriptura institutionis etiam Iibertas ei competere videatur; cum non est verisimile, eum, quem heredem sibi elegit, si praetermiserit libertatis dationem, servum remanere voluisse, et neminem sibi heredem fore.
2. Il en est de même, bien qu'on ait institué l'esclave sans dire qu'on l'affranchit. Car, dans une constitution, dictée par un nouveau motif d'humanité, nous avons ordonné, non seulement pour les maîtres insolvables, mais pour tous, que par cela seul qu'un esclave sera institué héritier, il sera libre; il n'est pas vraisemblable en effet que le maître, choisissant un esclave pour son héritier, ait, en oubliant de l'affranchir, voulu le laisser en servitude et n'avoir point de successeur.
C'était une question controversée par les anciens jurisconsultes , que de savoir si l'institution d'un esclave était valable quand on n'avait pas déclaré qu'on l'affranchissait, Nous trouvons un passage d'Ulpien qui décide qu'elle ne doit pas valoir ; mais Justinien, résolvant la question dans une de ses cinquante décisions, ordonna en faveur de la liberté, et parce qu'il faut prendre pour guide la volonté du défunt, que par cela seul l'esclave serait affranchi
3. In fraudem autem creditorum manumittere videtur, qui, vel jam eo tempore quo manumittit, solvendo non est, vel qui, datis libertatibus, desiturus est solvendo esse. Praevaluisse tamen videtur nisi animum quoque fraudandi manumissor habuerit, non impediri libertatem , quamvis bona ejus creditoribus non sufficiant. Saepe enim de facultatibus suis amplius, quam in his est, sperant hommes. Itaque tunc intelligimus impediri libertatem, cum utroque modo fraudantur creditbres, id est et consilio manumittentis, et ipsa re, eo quod ejus bona non sunt suffectura creditoribus.
3. Celui-là affranchit en fraude des créanciers, qui, au moment où il affranchit, est déjà insolvable, ou qui par là doit le devenir. Mais il a prévalu que s'il n'a pas , de plus, l'intention de frauder , la liberté sera acquise aux esclaves, quoique les biens soient insuffisants pour les créanciers. Souvent, en effet, l'homme attend de sa fortune plus de ressource qu'elle n'en peut offrir. L'affranchissement n'est donc considéré comme nul que lorsque les créanciers sont fraudés doublement, c'est à dire, et, par l''intention de celui qui affranchit, et par le fait même, les biens ne pouvant suffire à toutes les dettes.
C'est un principe que toutes les fois qu'il s'agit de prononcer qu'un acte est frauduleux, il faut examiner non seulement le fait, mais encore l'intention fraudis interpretatio semperin jure civili non ex eventu duntaxat, sed ex consilio quoque desideratur. C'est cette maxime générale que l'on applique ici à l'affranchissement fait au préjudice des créanciers. Cependant l'opinion consacrée par les Instituts n'ayait pas toujours été universellement reconnue; mais c'était celle de la grande majorité des jurisconsultes ; aussi Justinien dit-il, il a prévalu. Théophile donne plusieurs exemples, dans lesquels il y a tantôt l'intention sans le fait, tantôt le fait sans l'intention. Il n'est pas difficile d'en trouver. Ainsi un maître affranchit un esclave, ignorant qu'une belle maison qu'il possède à Constantinople vient de brûler, et que cette perte l'a rendu insolvable, l'esclave néanmoins sera libre, parce qu'il n'y a pas consilium. Il en sera de même si un débiteur insolvable a dit dans son testament : « Si l'on paie à mes créanciers tout ce qui leur est dû, que Stichus devienne libre ». Dans ce dernier cas, il est vrai, l'affranchissement ne sera que conditionnel. Il n'est pas inutile de remarquer que, d'après un sénatusconsulte fait sous Adrien, cette disposition de la loi Aelia Sentia s'appliquait aux débiteurs peregrini, qui ne pouvaient affranchir en fraude des créanciers. C'est ce que nous apprend Gaïus dans ses Instituts.
4. Eadem lege AElia Sentia domino minori viginti annis non aliter manumittere permittitur, quam si vindicta apud consilium, justa causa anumissionis approbata, fuerint manumissi.
4. D'après la même loi Aelia Sentia, le maître, mineur de vingt ans, ne peut affranchir autrement que par la vindicte, après avoir fait approuver par le conseil une cause légitime d'affranchissement. Cette disposition est conservée par Justinien pour les affranchissements entre vifs. La loi AeliaSentia exigeait, dans deux cas, que l'affranchissement fût fait par la vindicte avec l'approbation du conseil. Nous ayons déjà vu le premier, si l'esclave qu'on voulait affranchir avait moins de trente ans; voici le second, si le maître affranchissant en avait moins de vingt.
(1) Ces mots de major, minor, n'ont point par eux-mêmes un sens absolu. Ce ne sont que des expressions de comparaison qui demandent nécessairement après eux le terme de la comparaison : majeur, mineur de quatorze ans ; majeur, mineur de vingt ans ; majeur, mineur de vingt-cinq ans, etc. Si dans notre droit français nous avons transformé en substantifs les mots de majeur et mineur. Ce n'est que par une convention qu'il faut bien se garder de transporter en droit romain où elle n'existait pas.
On exigeait l'approbation du conseil, parce que le maître, à cet âge, n'avait pas assez de discernement et aurait pu donner la liberté inconsidérément. On exigeait un mode spécial d'affranchissement, probablement pour qu'il y eût plus de régularité, et que ce mode unique fût plus facilement sous la surveillance de l'autorité. On avait choisi la vindicte parce qu'à cette époque les trois modes solennels par le cens, par testament, par la vindicte, étaient les seuls qui donnassent la liberté et la cité; or on ne pouvait prendre le premier qui ne se présentait que tous les cinq ans, ni le second qui ne produisait d'effet qu'au moment de la mort.
(1) Gaïus, sur ce sujet, s'exprime ainsi : Minori XX annorum domino non aliter manuinittere permittitur, quam si vindicta apud consiliumjusta causa manumissionis approbata fuerit (G. 1. § 38). Le mot vindicta placé tel qu'il est là n'offre aucun sens. Aussi quelques auteurs le suppriment, et disent simplement que le mineur de vingt ans ne peut affranchir qu'avec approbation; d'autres, d'après M. Nieburh, le transposent, lisent ainsi : Non aliter vindicta manumittere permittitur, quam si.... etc. et en concluent que le mineur ne peut affranchir par la vindicte qu'avec approbation. Ces deux opinions sont contraires toutes deux aux Instituts. Elles ne me paraissent pas pouvoir être admises. En effet, la loi AElia Sentia voulait borner les affranchissements ; en exigeant dans certains cas l'approbation du conseil, il était dans son esprit de fixer aussi un seul mode déterminé de manumission qui fût sous la surveillance de l'autorité; nous avons prouvé qu'on n'en pouvait choisir d'autre que la vindicte. Il est certain que, pour l'affranchissement d'un esclave mineur de trente ans, on exigeait ce mode spécial et l'approbation du conseil (G. 1. § 18. Ulp. Reg. 1. § 12). L'analogie seule suffirait jour faire conclure qu'il en était de même pour la manumission faite par un maître mineur de vingt ans, mais les Instituts le disent formellement, Gaïus le dit aussi; il est vrai que sa phrase est un peu altérée ; mais, au lieu d'y supprimer le mot vindicta, au lieu de faire la transposition de M. Nieburh, j'en ferais une bien plus simple que voici : Non aliter manumittere permittitur quam vindicta, si apud consilium.... etc., et ceci est confirmé complètement par ce que dit plus bas Gaïus : « Un mode spécial de manumission ayant été établi pour les maîtres mineurs de vingt ans, il suit dé là qu'ils ne peuvent affranchir par testament» (G. 1. § 4°). Quant au paragraphe 41, dans lequel Gaïus dit que le mineur, bien qu'il ne veuille faire qu'un affranchi latin, est encore obligé de demander l'approbation, et qu'il peut alors affranchir entre amis, je ne vois là aucune contradiction à ce que nous avons dit plus haut. Pour affranchir réellement son esclave et le rendre citoyen, il ne pouvait employer que la vindicte ; mais, pour le mettre en liberté sans la qualité de citoyen, il pouvait affranchir entre amis. De même, pour rendre libre et citoyen un esclave mineur de trente ans, il fallait la vindicte et l'approbation ; mais, par testament, on pouvait de fait le mettre en liberté sans le droit de cité (Ulp. Reg. 1. § 12). Il ne resterait plus qu'une seule considération, trop peu concluante pour détruire celles que nous venons d'exposer; c'est que Théophile, Ulpien, et l'ancien jurisconsulte dont on.a un fragment sur les manumissions, en traitant cette matière, ne parlent nullement de vindicte (Theop. h. p.— Ulp. Reg. 1. § 13. — F. vet. Jurec.)
Apud consilium. Il était une époque déterminée à laquelle les juges se réunissaient pour vider les procès; on la nommait conventus, mot qui correspond à peu près à celui de session. A Rome et par suite à Constantinople, certains jours de la session étaient consacrés à la réunion du conseil dont il s'agit ici. Ce conseil se composait du préteur, de cinq sénateurs et de cinq chevaliers ; dans les provinces il se réunissait le, dernier jour de la session; il était formé du président assisté de. vingt récupérateurs.
5, Justae autem manumissionis causse haec sunt: veluti, si quis patrem aut matrem, filium filiamve, aut fratrem sororemve naturales, aut paedagogum, aut nutricem, educatoremve, aut alumnum alumnamve, aut collactaneum manumittat, aut servum, procuratoris habendi gratia; aut ancillam, matrimonii habendi causa: dum tamen intra sex menses uxor ducatur, nisi justa causa impediat; et qui manumittitur procuratoris habendi gratia, non minor decem et septem annis manumittatur.
5. Les causes légitimes d'affranchissement sont, par exemple, si quelqu'un veut affranchir son père ou sa mère, son fils ou sa fille, son frère ou sa soeur naturels, son précepteur, sa nourrice ou son nourricier, son nourrisson , son frère ou sa soeur de lait, ou un esclave pour en faire son procureur, ou une esclave pour l'épouser, pourvu que le mariage se fasse dans les six mois, à moins d'empêchement légal; et quant à l'esclave dont on veut faire un procureur, pourvu qu'il n'ait pas moins de dix-sept ans.
Veluti. Les causes indiquées ici ne sont que des exemples, le mot veluti le prouve assez. On en cite d'autres au Digeste, comme si l'esclave avait sauvé la vie ou l'honneur à son maître.
Patrem aut matrem. Il peut arriver de bien des manières qu'un homme libre ait sous sa puissance son père ou sa mère, sa soeur ou son frère. Voici des exemples que donne Théophile. Si un fils, étant en servitude avec son père, sa mère, ses soeurs, etc., est affranchi par son maître et institué héritier, il se trouvera le propriétaire de ses parents. Si un homme ayant eu des enfants d'une esclave, a par la suite un fils légitime qui lui succède, celui-ci se trouvera avoir sous sa puissance ses frères ou soeurs naturels.
Procuratoris habendi gratia. Il faut remarquer que l'on exige dans ce cas que l'esclave ait au moins dix-sept ans accomplis. S'il était moins âgé, on ne pourrait lui remettre avec confiance la direction des affaires du mineur, et d'ailleurs il ne pourrait, dans le cas où cela serait nécessaire, postule , c'est-à-dire exposer devant le juge la demande ou la défense de son patron, car il fallait dix-sept ans pour cela. Du reste ce n'est pas seulement pour le charger de postuler qu'on affranchissait l'esclave, c'est, dit Théophile, afin que, devenu libre, il puisse, sans aucun obstacle, gérer les affaires. Etant esclave, il est vrai qu'il aurait bien pu administrer, mais il n'aurait pas eu dans toute sa latitude la capacité d'un homme libre.
Matrimonii habendi causa. Il fallait que le maître affranchît
l'esclave pour l'épouser lui-même, et non pour la
donner en mariage à un autre. Si le mariage était
impossible, il ne pouvait servir de motif d'affranchissement
; par exemple, si le mineur de vingt ans était castrat. Les femmes ne pouvaient pas être autorisées à
affranchir pour cette raison, si ce n'est dans un cas exceptionnel. La manumission, d'après un sénatusconsulte,
ne pouvait avoir lieu qu'avec serment fait par
le maître d'épouser l'affranchie dans les six mois. Jusqu'à
ce que le mariage eût lieu, l'état de l'esclave était en
suspens. Si les six mois s'écoulaient sans mariage, elle
était censée n'avoir jamais été affranchie, à moins qu'il y
eût un empêchement légal ; par exemple, si le maître était mort, ou bien s'il avait été fait sénateur, parce qu'alors
il ne pouvait plus épouser une affranchie.
6. Semel autem causa approbata, sive vera sit, sive falsa, non retractatur.
6. Vrai ou faux, le motif une fois approuvé ne se rétracte plus. Bien qu'en général on eût la voie le l'appel contre les jugements, il n'en était pas de même ici, On pouvait, dit Marcien, et après lui Théophile, contester le motif devant le conseil; mais une fois approuvé, il fallait nécessairement donner la liberté à l'esclave, et l'on ne revenait, plus sur l'approbation.
7. Cum ergo certus modus manumittendi minoribus viginti annis dominis per legem AEliam Sentiam constitutus sit, eveniebat ut qui quatuordecim annos expleverat, licet testamentum facere , et in eo sibi heredem instituere, legataque relinquereposset; tamen, si adhuc minor esset viginti annis, libertatem servo dare non posset. Quod non, erat ferendum, si is cui totorum suorum bonorum in testamento dispositio data erat, uno servo libertatem dare non permittebatur. Quare nos similiter ei, quemadniodum alias res, ita et servos suos in ultima voluntate disponere, quemadmodum voluerit, permittimus, ut et libertatemeis possit praestare. Sed cum Iibertas inaestimabilis res sit, et propter hoc ante xx aetatis annum antiquitas libertatem servo dare prohibebat : ideo nos , mediam quodammodo viam eligentes, non aliter minori viginti annis libertatem testamento dare servo suo concedimus, nisi XVII annum impleverit, et decimum octavum tetigerit. Cum enim antiquitas hujusmodi aetati et pro aliis postulare concesserit, cur non etiam sui judicii stabilitas ita eos adjuvare credatur, ut ad libertatem dandam servis suis possint pervenire ?
7. Un mode spécial d'affranchissement étant établi par la loi AElia Sentia pour le maître, mineur de vingt ans, il en résultait que celui qui avait quatorze ans accomplis, bien qu'il pût faire un testament, y instituer un héritier, y faire des legs, ne pouvait pas cependant, s'il avait moins de vingt ans, laisser la liberté à un esclave. Il était insoutenable que celui qui pouvait dans son testament disposer de toute sa fortune, ne pût faire un seul affranchissement. Aussi nous lui avons permis de disposer à son gré par testament de ses esclaves comme de ses autres biens, et de les affranchir. Néanmoins, comme la liberté est inappréciable, comme l'antiquité défendait, pour cette raison, de la donner avant vingt ans à un esclave, prenant en quelque sorte un milieu, nous avons permis l'affranchissement par testament au mineur de vingt ans, pourvu qu'il ait achevé sa dix-septléme année et atteint sa dix-huitième. En effet, l'antiquité leur permettait à cet âge même de postuler pour autrui, pourquoi ne les croirait-on pas aidés d'un jugement assez sûr pour obtenir le droit de donner la liberté à leurs esclaves?
Certus modus manumittendi. De ce que le mineur de vingt ans, autorisé par le conseil, ne pouvait affranchit que par la vindicte, découlait en effet la conséquence qu'il ne pouvait nullement donner la liberté par testament.
Ita et servos suos. Ce motif donné par Justinien, qu'il était insoutenable qu'on ne pût disposer de ses esclaves comme de ses autres biens, n'est pas juste. Le mineur de vingt ans pouvait, même sous la loi AElia Sentia, disposer par testament de ses esclaves comme de ses autres biens. Car que pouvait-il faire de ses biens ? les laisser à son héritier, les donner par legs, par fidéicommis; ne pouvait-il pas faire tout cela d'un esclave? Mais donner à cet esclave la liberté, ce n'était point là une simple disposition de sa propriété ; il le rendait libre, citoyen; la cité était partie dans cet acte, et l'on pouvait, sans contradiction le lui défendre, tandis qu'on lui permettait les aliénations. La disposition de la loi Aelia Sentia était conforme à l'esprit de là république, celle de Justinien à l'esprit d'humanité qui dirigea sa législation sur les affranchissements, Nisi XVII annum impleverit. Voici une application de ce principe qu'on peut fort bien avoir la faculté d'aliéner son esclave comme ses autres biens , sans avoir celle de l'affranchir. Bien qu'on puisse tester à quatorze ans, l'empereur décide qu'on ne pourra donner la liberté par testament qu'à dix-sept. Du reste, environ huit ans après, il accorda par une Novelle le droit d'affranchir dès qu'on pourrait tester. « Sancimus ut licentia sit minoribus in ipso tempore, in quo licet eis testari de alia substantia; etiam servossuos in ultimis voluntatibus manumittere.» (Nov. 119, c. 2.)
TITULUS VII.
DE LEGE FUSIA CANINIA TOLLENDA.
Lege Fusia Caninia certus modus
constitutus erat in servis testamento
manumiltendis. Quam
quasi libertates impedientem, et
quodammodo invidam, tollendam
esse censuimus ; cum satis fuerat
inhumanum, vivos quidem licentiam
habere totam suam familiam
libertati donare, nisi alia causa impediat libertatem, morientibus
autem hujusmodi licentiam adimere.
TITRE VII.
DE L'ABROGATION DE LA LOI FUSIA
CANINIA.
La loi Fusia Caninia avait resserré dans des limités fixes la faculté d'affranchir par testament. Nous avons décidé qu'elle serait abrogée comme un obstacle, en quelque sorte odieux, mis aux affranchissements ; car il était contraire à l'humanité de laisser aux vivants la liberté d'affranchir tous leurs esclaves, s'il n'existait pas d'autre empêchement, et d'enlever cette faculté aux mourants.
(1) Les divers textes des Instituts portent Fusia, mais dans Gaïus et dans Ulpien on lit Furia.
Pour les affranchissements entre vifs, l'intérêt du maître,
qui se privait d'une propriété en se privant de son
esclave, répondait jusqu'à un certain point qu'il garderait des limites dans le nombre des esclaves affranchis;
mais un individu qui meurt, s'il ne laisse pas des héritiers
auxquels il s'intéresse, n'étant plus arrêté par un
intérêt personnel, pourra libérer sans modération une
grande partie de ses esclaves par un sentiment de libéralité
ou d'ostentation. C'est ce qui arrivait en effet ; et chez
les Romains, on mettait à faire suivre le convoi funèbre
d'une foule d'affranchis , coiffés du bonnet de la liberté,
le même orgueil que l'on met de nos jours dans certaines
villes à le faire suivre d'une foule de pauvres que l'on a
vêtus. La loi Furia Caninia, rendue quatre ans après
la loi AElia Sentia, en 761, sous le consulat de Furius.
Camille, et C. Caninius Gallus établit que celui qui
n'aurait que deux esclaves pourrait les affranchir tous
les deux ; s'il en a plus de deux jusqu'à dix, la moitié;
plus de dix jusqu'à trente, le tiers; plus de trente jusqu'à
cent, le quart; plus de cent jusqu'à cinq cents, le
cinquième ; mais jamais on ne pourra par testament en
libérer plus de cent. Les esclaves devront être désignés
par leur nom. S'il y en a plus que la loi ne le permet,
les premiers seront seuls affranchis. Tout ce qui sera fait
en fraude de la loi sera nul. D'où on concluait que,
si les noms avaient été écrits en cercle afin qu'on ne pût distinguer les premiers des derniers, aucun des esclaves
ne serait libéré. Tout cela est abrogé.
De la position des affranchis.
Lors de la promulgation des Instituts, bien qu'il n'y
eût plus entre les ingénus et les affranchis une ligne de
démarcation aussi tranchée que sous la république de
Rome, cependant la loi mettait encore quelques différences.
Ainsi, par exemple, un sénateur n'aurait pu épouser
une affranchie. Mais six ans après cette promulgation,
en 539 de J.-C., Justinien dans une novelle effaça ces
différences, accorda aux affranchis le droit d'anneau
d'or (1), celui de régénération et ne conserva que les
droits de patronage. L'esclave devait à son patron une
nouvelle vie, la vie civile ; et comme il entrait dans la
société seul et sans famille, on l'avait rattaché en quelque
sorte à celle de l'affranchissant. Voilà d'où venaient
(1) Il est certain que le droit de porter des anneaux, même de
fer, était primitivement réservé à certaines classes de citoyens, les
sénateurs, les patriciens, les chevaliers (Pl. Hist. Nat. 33. 1.
Tit. Liv. 23. 11). Mais ce droit se répandit, et les anneaux d'or
finirent par être portés par tous les ingénus. Ils n'étaient la marque
d'aucune dignité , puisque Justinien, voulant assimiler les affranchis
aux ingénus, leur accorda à tous le droit d'anneau d'or : Qui Iibertatem
acceperit, habebit subsequens mox et aureorum annulorum et regenerationis jus (Nov. 78. C. 1). Dès lors les anneaux d'or n'indiquèrent
plus que la qualité d'homme libre.
les droits de patronage, qui se composaient de trois parties distinctes: 1° obsequia; 2° operae; 3° jura in bonis. 1° On entend par obsequia tout ce qui tient au respect, à la reconnaissance, à la piété que l'affranchi doit au patron. Le Digeste traite ensemble, et en les mettant sur le même rang sous ce rapport, les devoirs des affranchis envers leur patron, et ceux des enfants envers leurs ascendants, liberto et filio semper honesta et sancta persona patris acpatrone videri debet . L'affranchi ne peut attaquer son patron en justice sans en obtenir la permission du magistrat. Il ne peut intenter contre lui une action infamante, ni exiger de lui au-delà de ses facultés lorsqu'il se trouve son débiteur. L'affranchi qui aurait insulté son patron, ou commis contre lui quelque délit, serait condamné, comme ingrat, à subir quelque peine, ou même à rentrer en servitude, selon la gravité de la faute. 2° On entend par operaeles services que l'affranchi promettait à son patron, qu'ils consistassent en travail comme domestique, ou en travail comme ouvrier (sive in ministerio , sive in artificio consistant). Mais ces services n'étaient pas dus de plein droit et en vertu de la loi. L'esclave n'y était obligé que lorsque son maître ne l'avait affranchi qu'à cette condition, et qu'il les lui avait fait promettre par stipulation ou par serment. On réglait ordinairement quelle serait l'étendue de ces services. 3° Enfin les droits sur les biens de l'affranchi étaient des droits de succession, que nous examinerons plus tard. Parmi les affranchis, ou peut-être vaut-il mieux dire parmi les esclaves, il en est que nous ne pouvons nous dispenser d'examiner; ce sont ceux qu'on nommait statu liberi, libres par destination, parce qu'ils étaient destinés à obtenir une liberté qui, momentanément, se trouvait suspendue par un terme ou par une condition. (Qui statutam et destinatam in tempus vel conditionem libertatem habet). « Que mon esclave Syrus soit libre deux ans après que l'héritier aura recueilli ma succession, ou bien, s'il achève de peindre le pavillon que j'ai fait élever ». L'esclave, jusqu'à ce que les deux ans soient écoulés, ou jusqu'à ce que le pavillon soit peint, sera statu liber. Dans cette position il ne différait guère des autres esclaves de l'héritier, tellement que les enfants de la femme statu libera étaient esclaves. (Statu liber, quamdiu pendet conditio, servus heredis est. Statu liberi coeteris servis nostris nihilo pene differunt). Le maître pouvait en retirer tous les services, tous les fruits, il pouvait le vendre, le donner ; mais, dans ces changements de position, l'esclave ne perdait pas le droit suspendu ou conditionnel qu'il avait à la liberté. Ainsi, qu'il eût passé dans les mains d'un tiers par vente, donation, legs, n'importe ; dès que le jour arrivait, dès que la condition s'accomplissait, il devenait libre. Il faut ranger parmi les statu-libres les esclaves affranchis en fraude des créanciers, nam dum incertum est, an creditor jure suo utatur, interim statu liberi sunt. Mais il y avait pour eux cela de particulier que jusqu'à ce que le créancier eût attaqué la manumission, de fait ils jouissaient de la liberté. Quant aux esclaves affranchis par fidéicommis, bien qu'il y eût une grande analogie entre eux et les statu-libres, cependant plusieurs lois indiquent qu'on mettait une différence. Ainsi l'héritier ne pouvait vendre l'esclave affranchi par fidéicommis, et s'il le faisait, ce dernier pouvait forcer l'héritier à le racheter, afin d'être affranchi par lui et non par un autre.
ACTIONS RELATIVES AUX DROITS DE LIBERTÉ, DE CITÉ ET D'INGÉNUITÉ. Il existait dès actions relatives à ces différents droits. Nous en dirons quelques mots, quoique nous ne devions nous occuper de cette matière que dans le quatrième livre. Pour la liberté, on donnait une action à celui qui voulait attaquer un homme qui passait pour libre, prétendant qu'il était esclave et qu'il lui appartenait; on en donnait une aussi à celui qui, passant pour esclave, par exemple, parce qu'il avait été pris en bas âge par des pirates, et reconnaissant sa qualité d'homme libre, voulait s'adressera la justice pour la faire déclarer (ad libertatem proclamare ). Il le pouvait, quelque long temps qu'il eût passé en servitude; et même, s'il ne le faisait pas, ses enfants, ses ascendants ou ses autres parents pouvaient réclamer malgré lui. Alors avait lieu le procès nommé causa liberalis. Pour l'ingénuité, on donnait une action à celui qui voulait attaquer un homme qui passait pour ingénu, soutenant qu'il avait été son esclave et qu'il était son affranchi. On en donnait pareillement une à celui qui, passant pour affranchi, voulait agir en justice pour faire reconnaître qu'il était ingénu. Tel était, par exemple, celui qui, ayant été vendu par des pirates, avait été affranchi par l'acheteur. Si après la manumission il reconnaissait son état, il pouvait agir pour prouver que cette manumission ne pouvait nuire à ses droits de naissance et qu'il était ingénu. Il devait agir dans les cinq années qui suivaient l'affranchissement, sinon son action était perdue; mais Justinien, dans le Code, supprima, cette prescription. Ces diverses actions sur l'état des hommes se nommaient préjudicielles, nom qui s'appliquait à quelques actions, et dont nous verrons la raison. Elles ne pouvaient être intentées que devant des juges supérieurs (apud competentes maximosjudices), tels que les recteurs, les présidents dans les provinces ; les préteurs, les consuls à Constantinople. Elles offraient le moyen de sanction de toutes les règles, que nous venons d'exposer.
L'état des hommes peut être considéré par rapport à la société, générale et par rapport à la famille. Sous le premier rapport il faut distinguer les hommes en libres et esclaves, étrangers et citoyens , affranchis et ingénus. La différence de sexe amène aussi des différences de droits. Quand il s'agit de juger l'état d'un enfant d'après celui des parents, il faut rappeler ces deux règles générales : en mariage légitime, l'enfant suit la condition du père ; hors mariage légitime, celle de la mère. La condition du père doit s'examiner au moment de la conception, celle de la mère au moment de la naissance. Ces deux règles souffrent cependant quelques exceptions.. La liberté est définie : Naturalis facultas ejus quod cuique facere libet, nisi quod viaut jure prohibetur ; la servitude : Constitutio juris gentium, qua quis dominio alieno contra naturam subjicitur. L'homme libre a le droit de faire tout, excepté ce que la loi lui défend; l'esclave rien, excepté ce que la loi lui permet —Les esclaves le sont par le droit des gens (ex captivitate); par naissance ( ex ancillis nostris ), c'est l'état de la mère qu'il faut considérer; par le droit civil, dans plusieurs cas où l'esclavage est une punition, comme lorsqu'un homme libre, majeur de vingt ans, s'est laissé vendre pour prendre part au prix; mais la convention , ni la prescription ne peuvent rendre esclave. Le titre de citoyen , depuis Antonin Caracalla, appartenait à tous les sujets de l'Empire, sauf certains affranchis. Sous Justinien il n'y a aucune exception; le titre de peregrinus n'existe plus dans le sens où on le prenait jadis, et ne peut être donné qu'aux peuples qui ne font point partie de l'Etat. L'ingénu est celui qui depuis l'instant de sa naissance a toujours été libre; l'affranchi celui qui a cessé d'être esclave (qui desiit esse servus).—On est ingénu lorsqu'on est issu d'une mère libre; il suffit qu'elle l'ait été un seul moment de la gestation, c'est une exception faite aux règles ordinaires, en faveur de la liberté. — On peut être affranchi par des moyens solennels, la vindicte, le testament, la manumission dans les Églises; et par des moyens non solennels entre amis , par lettre, par codicille, etc. Il n'y a sous Justinien aucune importance à être libéré par un mode plutôt que par l'autre. —Sous Auguste et sous Tibère, des lois avaient posé des bornes aux affranchissements; la loi Aelia Sentia, la loi Furia Caninia, la loi Junia Norbana.—La première contenait plusieurs dispositions que l'on peut classer ainsi : 1.° Elle défendait d'affranchir un esclave âgé de moins de trente ans, si ce n'est par la vindicte avec l'approbation du conseil; 2.° elle créait une nouvelle classe d'affranchis, les déditices; Justinien l'abrogea sous ces deux rapports ; 5.° elle prohibait les affranchissements faits en fraude des créanciers : cette prohibition est maintenue; 4.° elle défendait que le maître, mineur de vingt ans, pût affranchir autrement que par la vindicte et avec l'approbation d'un conseil: cette dernière disposition est conservée pour les affranchissements entre vifs ; mais par testament, Justinien, dans les Instituts, permit d'affranchir à dix-sept ans révolus; et, dans une novelle, il le permit dès qu'on pouvait tester, c'est-à-dire à quatorze ans. —La loi Furia Caninia limitait le nombre d'esclaves qu'il était permis de libérer par testament; elle est abrogée par Justinien. — La loi Junia Norbana établissait une troisième classe d'affranchis, les Latins Juniens ; elle est encore abrogée, toute différence étant supprimée entre les affranchis, sans avoir égard ni à leur âge, ni au mode de manumission, ni au genre de propriété de l'affranchissant. Ils sont citoyens ; on leur accorde même dans une novelle le droit d'anneau d'or, celui de régénération; ils ne diffèrent des ingénus que par les droits de patronage. — Ces droits consistent en trois choses : 1.° devoirs obséquieux (obsequia ) que l'affranchi doit au patron, comme un fils à son père; 2.° services (operae ) qu'il lui doit quand il les a promis comme condition de l'affranchissement ; 3.° droits de succession que le patron a sur les biens de l'affranchi. —On nomme Statuliberi les esclaves affranchis dont la liberté est suspendue par un terme ou une condition. Il existait des actions destinées à soutenir qu'un homme était libre ou esclave, ingénu ou affranchi; elles devaient s'intenterdevant des magistrats supérieurs; on leur donnait le nom d'actions préjudicielles, qui du reste s'appliquait à quelques autres actions.
TIT. VIII. DE HIS QUI SUI, VEL ALIENI JURIS SUNT.
TIT. VIII.
DE CEUX QUI SONT MAÎTRES D'EUX-MÊMES
OU SOUS LE POUVOIR D'AUTRUI.
Examinons ici la composition des familles. Peignons la
telle qu'elle existait dans les moeurs premières, afin de
pouvoir en saisir les vestiges à demi effacés qui restent
encore sous Justinien.
Chaque famille formait, au milieu de la société générale,
une société particulière soumise à un régime despotique.
A la tête se trouvait un chef (pater familias)
maître de lui-même (sui juris) ; dans la propriété de ce
chef étaient les personnes qu'on nommait (alieni juris),
soumises au pouvoir d'autrui, savoir: 1° ses esclaves, ses
enfants quelque âgés qu'ils fussent, et les descendants
de ses enfants mâles ; 2° sa femme dans certains cas ;
3° les hommes libres qu'il avait acquis par mancipation.
Le mot familia, et plus souvent domus, indiquait, dans
un sens général, la réunion de toutes ces personnes.
Parmi les individus alieni juris, les uns ne tenaient au
chef que par des liens de propriété ; c'étaient les esclaves
et les hommes libres acquis par mancipation; les autres se rattachaient à lui et entre eux par les liens d'une parenté
civile, c'étaient la femme, les enfants et leurs descendants. Cette parenté se nommait agnalion. La femme
et les enfants soumis au chef lui appartenaient, étaient
sa propriété; entre eux ils étaient agnats. Le mot familia;
dans un sens plus restreint, mais plus fréquemment employé
que le précédent, désignait le chef et la femme,
et les enfants soumis à son pouvoir.
Quand le chef mourait, la famille qui lui était soumise
se décomposait en plusieurs petites, commandées par
chaque fils qui devenait indépendant ; mais le lien d'agnation
n'était pas rompu, il continuait d'exister entre ces
diverses familles, et même de lier les nouveaux membres
qui naissaient. On eût dit que le chef primitif, celui à qui
ils avaient obéi jadis, eux ou leurs ascendants, les réunissait
encore sous son autorité, ou du moins le souvenir
de ce chef était le lien qui les attachait entre eux ils étaient tous agnats. Le mot familia,
dans un troisième sens, désignait la réunion de tous
ces agnats: réunion formant une grande famille composée
de diverses petites familles qui, à la mort du chef
commun, avaient été commandées par des chefs différents,
etnéanmoins étaient restées liées par l'agnation.
La parenté en général se nommait cognation (cognatio),
et les parents cognats (cognati, quasi una communiternati).
— La cognation, dit Modestin, vient quelquefois
du droit civil, quelquefois de la nature, quelquefois de
l'un et de l'autre. — De la nature seule, par exemple,
pour la parenté du côté des femmes, parce que les enfants
ne sont pas dans la famille de leur mère. —
Du
droit civil, seul, lorsqu'elle provient d'une adoption. —
Du droit civil et de la nature, lorsqu'elle est produite par
de justes noces entre les membres d'une même famille.
— La cognation naturelle retient le nom de cognation;
quant à la cognation civile, elle porte bien ce nom générique;
mais, à proprement parler, elle se nomme agitation.
L'agnation, rapport purement civil, ne tenait nullement,
comme on l'a vu, à la parenté naturelle, mais
seulement à la qualité de membre de la même famille
comme femme ou descendant. C'est à cette qualité d'agnat
que le droit civil des Romains avait attaché tous les
droits, tels que ceux de tutelle et de succession, que les
autres peuples donnent aux liens du sang. Est-on dans
la même famille, on est agnat, et on jouit de tous les
droits que donne cette qualité; est-on dans des familles
différentes, on n'est point agnat, et l'on n'a point de droit;
que l'on soit du reste parent naturel ou non, peu importe.
L'étranger introduit dans la famille par l'adoption,
la femme par la puissance maritale, y prennent tous les
privilèges de l'agnation; mais qu'un membre de la famille
en soit renvoyé par le chef, tous ses liens sont rompus,
tous les avantages lui sont retirés. De même aucun droit n'est accordé aux parents quelconques du côté des femmes,
parce qu'ils n'entrent pas dans la famille de leur
mère, aucun droit enfin, ni à la mère envers ses enfants,
ni aux enfants envers leur mère, lorsqu'elle n'est pas
liée à la famille par la puissance maritale.
La cognation proprement dite , c'est-à-dire la parenté
naturelle seule, ne donnait aucun droit de famille, ni
droit de tutelle, ni droit de succession. Son principal effet
était de mettre, dans certains cas , obstacle au mariage.
Tel était le droit civil dans toute sa pureté quant aux
idées générales sur la famille et sur la parenté; mais il
a subi des modifications. Sous le premier rapport, nous
verrons que le nombre des personnes alieni juris est diminué;
car les hommes libres ont, depuis les premiers
empereurs, cessé d'être donnés en mancipation, et les
femmes ne sont plus sous la propriété de leur mari. Sous
le second rapport, bien qu'on distingue encore les agnats des parents qui ne le sont point, cependant on accorde
déjà plusieurs droits civils à la parenté naturelle. Les
préteurs ont commencé, les empereurs ont augmenté ces
droits, et Justinien les a consacrés.
Après cet aperçu général passons aux détails.
Sequitur de jure personarum
alia divisio. Nam, quaedam personae
sui juris sunt, quaedam
alieno juri subjectae. Rursus earum,
quae alieno juri subjectae
suut, aliae sunt in potestate parentum,
aliae in potestate dominorum.
Videamus itaque de his quae alieno
juri subjectae sunt; nam, si cognoverimus
quae istae pesonae sunt, simul intelligemus quae sui
juris sunt. Ac prius dispiciamus
de his quae in potestate dominorum sunt.
Voici une autre division dans le
droit sur les personnes ; les unes
sont maîtresses d'elles-mêmes, les
autres sont au pouvoir d'autrui.
Et, parmi ces dernières, il en est
qui sont soumises à leur père,
d'autres à leur maître. Traitons
d'abord de celles qui sont au pouvoir
d'autrui ; car une fois ces personnes
connues, nous saurons par cela seul quelles sont celles qui
sont maîtresses d'elles-mêmes : et
d'abord occupons-nous de celles qui
sont au pouvoir d'un maître.
Sui juris. Le mot jus, dérivé de jussum, signifie, dans
son acception primitive, ordre, commandement, nous l'avons
déjà dit, dans ce sens, il est jusqu'à un
certain point synonyme de puissance et voilà d'où
viennent les expressions de sui juris, alieni juris , pour
dire, maître de soi-même, soumis au pouvoir d'autrui.
Les individus qui ne sont sous la puissance de personne
(sui juris) prennent le nom de pater familias pour les
hommes, et mater familias pour les femmes, et cela à
quelque âge qu'ils soient ; ces mots ne désignant nullement
la qualité de père ou de mère, mais seulement celle
de chef de maison: de sorte que l'enfant qui naît indépendant
(sui juris), dès l'instant de sa naissance est pater
familias. (Patres familiarum sunt, qui sunt suce potestalis,
sive puberes sive impuberes, simili modo matres familiarum;
filii familiarum et filice quae sunt in aliena potestate).
Cependant cette épithète de mater familias ne se donnait
pas aux femmes déshonorées par de mauvaises moeurs.
Aliae sunt in potestate parentum, aliae in potestate dominorum.
Les Instituts n'indiquent que deux classes soumises
au pouvoir d'autrui, les esclaves et les enfants;
c'est qu'effectivement il n'en existe plus d'autre à l'époque
de Justinien ; mais jadis il fallait y joindre la femme tombée au pouvoir de son mari, et l'homme libre abandonné
en mancipation. On avait même désigné par des
noms ces différentes espèces de pouvoir. On nommait
potestas le pouvoir du chef sur ses esclaves et ses enfants;
manus, son pouvoir sur sa femme ; mancipium, sur
l'homme livré par mancipation. (Earum personarum quae
alieno juri subjectoe sunt, alioe, in potestate, aliae in manu,
aliae in mancipio sunt)
POUVOIR DU CHEF SUR SES ESCLAVES ET SES ENFANTS( potestas).
1. In potestate itaque dominorum sunt servi : quae quidem potestas , juris gentium est; nam apud omnes peraeque gentes animadvertere possumus, dominis in servos vitae necisque potestatem fuisse; et quodcumque per servum acquiritur, id domino acquiri.
1. En la puissance des maîtres sont les esclaves : et cette puissance est du droit des gens; car nous pouvons apercevoir que, chez toutes les nations, les maîtres ont droit de vie et de mort sur les esclaves, et que tout ce qui est acquis par l'esclave est acquis au maître.
La puissance du maître s'applique à deux choses, à la personne et aux biens. Quant à la personne, droit de vie et de mort était accordé au maître ; quant aux biens, tout ce que l'esclave avait ou acquérait était à son maître. Voilà le droit primitif; examinons quelles modifications il subit . Sur la personne, jusqu'à la fin de la république, la puissance du maître resta intacte; mais elle fut diminuée d'abord par la loi PETRONIA que nous connaissons, d'après un passage des Pandectes, comme ayant enlevé aux maîtres le droit de forcer eux-mêmes leurs esclaves à combattre contre les bêtes. Post legem Petroniam et senatus-consulta, ad eam legem pertinentia, dominis po testas ablata est ad bestias depugnandas suo arbitrio servos tradere. Oblato tamen judici servo, si justa sit domini querela, sic paenae tradetur. Cette loi est placée par MM. Haubold et Hugo dans les dernières années du règne d'Auguste (an 764 de R.), quoique Hotoman et d'autres auteurs l'aient rapportée à l'an 814, sous Néron, époque où il n'y avait déjà plus de lois ni de plébiscites. — Adrien (870 de R.), d'après ce que nous apprend Spartien, défendit que les esclaves pussent être mis à mort, si ce n'est en vertu d'une condamnation du magistrat; et nous savons que cet empereur relégua pour cinq ans une femme qui avait traité cruellement ses esclaves. Divus etiam Hadrianus Umbriciam quamdam matronam in quinquennium relegavit, quod ex levissimis causis ancillas atrocissime tractasset. Enfin Antonin le Pieux (914 de R.) punit comme homicide tout maître quelconque qui aurait tué son esclave, et prit des mesures pour que ces derniers ne fussent point traités trop cruellement. Constantin confirma ces dispositions, en permettant seulement aux maîtres de fustiger modérément leurs esclaves, et Justinien conserva les constitutions de ces deux empereurs.
2. Sed hoc tempore nullis hominibus, qui sub imperio nostro sunt, licet, sine causa legibus cognita, in servos suos supra modum saevire. Nam, ex constitutione divi Antonini, qui sine causa servum suum occiderit, non minus puniri jubetur, quam qui alienum occiderit. Sed et major asperitas dominorum, ejusdem priocipis constitutione, coercetur; nam consultus à quibusdam praesidibus provinciarum de his servis, qui ad aedem sacram vel ad statuant principum confugiunt, praecepit ut, si intolerabilis videatur saevilia dominorum, cogantur servos suos bonis conditionibus vendere, ut pretium dominis daretur; et recte. Expedit enim Reipublicae , ne sua re quis male utatur. Cujus rescripti ad Aelium Martianum emissi verba sunt haec : Dominorum quidem. potestatem in servos suos illibatam esse oportet, nec cuiquam hominum jus suum detrahi; sed dominorum interest, ne auxilium contra saevitiam, vel famero, vel intolerabilem injuriam, denegetur iis qui juste deprecantur. Ideoque cognosce de querelis eorum qui ex familia Julii Sabini ad statuam confugerunt ; et, si vel durius Labitos quam aequum est, vel infami injuria affectes esse cognoveris, venire jube, ita ut in potestatem domini non revertantur. Qui si meae constitutioni fraudem fecerit, sciet me admissum severius executurum.
2. Mais aujourd'hui il n'est permis à aucun de nos sujets de sévir à l'excès et sans motif légal contre ses esclaves. Car, d'après une constitution de l'empereur Antonin, celui qui sans cause tue son esclave doit être puni comme celui qui tue l'esclave d'autrui. Et même, par cette constitution, est réprimée la rigueur excessive des maîtres. En effet, consulté par quelques présidents des provinces sur les esclaves qui se réfugient dans des édifices sacrés ou près de la statue de l'empereur, Antonin ordonna que, si les traitements du maître étaient jugés insupportables, il fût contraint de vendre ces esclaves à de bonnes conditions et que le prix lui en fût remis ; disposition fort juste, car l'état même est intéressé à ce que personne n'use mal de sa chose. Voici les termes de ce rescrit adressé à Aelius Marcien : « Il convient sans doute de ne point porter atteinte à la puissance des maîtres sur leurs esclaves et de n'enlever à personne ses droits; mais il est de l'intérêt des maîtres eux-mêmes qu'on ne refuse point aux esclaves contre la cruauté, la faim, ou des injures intolérables, le secours qu'ils implorent justement. Connaissez-donc des plaintes de ceux qui de chez Julius Sabinus se sont réfugiés à la statue, et s'il vous est prouvé qu'ils ont été traités plus durement que l'humanité le permet; ou souillés d'une injure infâme, faites les vendre, qu'ils ne rentrent plus au pouvoir de leur maître. Et s'il cherche par des subterfuges à éluder ma constitution, qu'il sache que je l'exécuterai plus sévèrement. »
Sine causa legibus cognita. Le maître aurait un motif
légitime de tuer son esclave s'il le surprenait en adultère
avec sa fille ou sa femme, ou, si attaqué par lui, il
était obligé de le tuer pour se défendre.
Qui alienum occiderit. Le meurtrier de l'esclave d'autrui
pouvait être poursuivi en vertu de la loi CORNELIAcomme homicide, et comme tel, puni de mort ou de déportation.
Si dolo servus occisus sit, et lege Cornelia agere
dominum posse constat. Ainsi le maître qui aura sans
motif tué son esclave sera puni de la même peine.
Ad statuant principum confugiunt. Les temples, les statues
des princes étaient des objets sacrés ; ils offraient un
refuge qu'on ne pouvait violer sans se rendre coupable
de sacrilége ou de lèse-majesté. Aussi les esclaves qui
y couraient échappaient-ils pour le moment aux sévices
de leurs maîtres.
Bonis conditionibus. On était dans l'usage fréquent, en
vendant des esclaves, d'attacher à la vente des conditions
le plus souvent favorables, quelquefois défavorables à
l'esclave. On trouve au Digeste un titre consacré à l'examen
de ces conditions, à peu près comme celles-ci: que l'esclave vendu sera affranchi à telle époque; que la
femme esclave ne sera point prostituée; que l'esclave ne
pourra point rester à Rome; qu'il sera transporté dans tel
pays lointain; qu'il sera employé aux travaux les plus
rudes; qu'il sera toujours dans les chaînés, etc. Antonin
défend que le maître puisse, par des conditions semblables
à ces dernières, poursuivre l'esclave de sa haine jusque
dans les mains de l'acheteur (Théophile hic).
Cujus rescripti. Nous avons ici l'exemple d'un rescrit. Il
n'est pas difficile de voir le fait qui y donna lieu. Un citoyen, nommé Sabinus, accablait de mauvais traitements plusieurs de ses esclaves qui, pour lui échapper, cherchèrent
un refuge auprès de la statue du prince, et implorèrent
la protection d'Aelius Marcien , président de la province.
Celui-ci, n'ayant aucune loi pour se décider,
s'adressa à l'empereur, et lui demanda ce qu'il fallait faire;
nous avons là réponse d'Antonin ( Theoph.).
Dominorum interest. C'est l'intérêt des maîtres eux-mêmes
, de peur que les esclaves désespérés ne se tuent ou
ne prennent la fuite. (Théoph.)
Fraudem fecerit. Par exemple, en convenant tacitement
avec l'acheteur que l'esclave lui sera rendu, ou bien en
mettant une condition tacite contraire à l'esclave. (Theoph.)
Sur les biens. L'ancien droit a toujours été conservé
dans sa rigueur; l'esclave, étant lui-même au rang des
choses de son maître, n'a rien qui ne soit à ce dernier. S'il
gagne quelque chose par son industrie, s'il trouve un
trésor, s'il reçoit une donation, un legs, une hérédité,
c'est toujours pour son maître. Cependant il est souvent
parlé chez les poètes, chez les historiens, chez les jurisconsultes
du pécule des esclaves (peculium). C'était une
masse de biens que le maître séparait de ses autres propriétés, et dont il laissait à l'esclave l'administration ainsi
que la jouissance. L'esclave cherchait par son travail à
augmenter son pécule; bien que rigoureusement ce pécule
appartînt à son maître, cependant il en jouissait, et les
moeurs avaient fini par empêcher que le maître le lui retirât
arbitrairement. Il achetait même fort souvent la
liberté en abandonnant ce pécule.
TIT. IX.
DE PATRIA POTESTATE.
TIT. IX.
DE LA PUISSANCE PATERNELLE.
Propriétaire de ses enfants comme de ses esclaves, le
chef de famille avait des droits sur leur personne et sur
leurs biens. Sur leur personne droit de vie et de mort,
droit de les vendre, de les exposer.
L'histoire nous rapporte l'exemple de plus d'un père jugeant
son fils dans une assemblée de parents, et le condamnant
à la mort. Cependant l'affection paternelle,
les moeurs, et par la suite les lois adoucirent cette puissance.
Un fragment du Digeste nous apprend que Trajan
(An. 867 de R.) contraignit un père à libérer son fils de
sa puissance parce qu'il l'avait traité inhumainement. De même Adrien (870 de R.) condamna à la déportation
un père qui à la chasse avait tué son fils, bien que
ce dernier fût coupable d'adultère avec sa belle-mère; car, dit Marcien qui rapporte le fait, patria potestas in pietate
débet, non in atrocitate consistere. Ulpien disait
dans l'un de ses écrits qu'un père ne peut tuer son fils sans
jugement, et qu'il doit l'accuser devant le préfet ou le
président. Alexandre Sévère (981 de R.) écrivait à un
père dans une constitution insérée au Code : « Votre puissance paternelle
vous donne le droit de châtier votre fils; et,
s'il persévère dans sa conduite, vous pouvez, recourant à un
moyen plus sévère, le traduire devant le président de la
province, qui prononcera contre lui la punition que vous
demanderez ». Enfin nous trouvons aussi dans le
Code une constitution de Constantin ( 1065 de R.). qui
condamne à la même peine que le patricide, le père qui
aurait tué son enfant. Nous voyons ainsi que lorsque
la république eut disparu , que le droit naturel et le droit
des gens se furent mêlés à la législation, le pouvoir correctionnel
des pères sur la personne des enfants fut contenu
dans de justes bornes. Le droit d'en disposer fut
aussi restreint. Le père, dans le principe, pouvait vendre les
enfants qu'il avait sous sa puissance (mancipare) ; il pouvait,
lorsqu'ils avaient causé quelque préjudice, les abandonner
en réparation (noxali causa mancipare); il ne les rendait
point ainsi esclaves; mais il les plaçait sous une espèce
de puissance particulière que nous examinerons
bientôt (in mancipio). Sous Gaïus (925 de R.), la vente
solennelle des enfants (mancipatio) existait encore; il est
vrai que le plus souvent elle n'était que fictive et avait pour but, comme nous le verrons, de les libérer de la
puissance paternelle; quant à
l'abandon en réparation
d'un dommage, il se faisait encore sérieusement, mais
pour les fils seulement et non pour les filles. Les écrits
de Paul (965 de R.) nous indiquent que de son temps les
ventes réelles des enfants n'avaient lieu que dans un cas
d'extrême misère, contemplatione extremae necessitatis, aut
alimentorum gratia; mais l'abandon du fils en réparation
du préjudice qu'il avait causé, se faisait toujours.
Enfin Dioclétien et Maximien ( 1039 de R.) disent, dans
un rescrit inséré au Code, qu'il est hors de doute (manifestissimi
juris) que les pères ne peuvent livrer leurs enfants
ni en vente, ni en donation, ni en gage. Constantin
(1059 de R.) permet il est vrai de les vendre, mais au
sortir du sein de la mère ( sanguinolentes ), et quand on y
est forcé par une extrême misère (propter nimiam paupertatem
egestatemque victus); c'est ce dernier droit qui est
conservé dans la législation de Justinien par son insertion
au Code. Quant à l'abandon en réparation, les Instituts
eux-mêmes disent qu'il est tombé en désuétude , qu'il
n'aura plus lieu ; et quant à l'exposition, depuis longtemps
elle était condamnée par les lois.
Relativement aux biens, les droits du père sur le fils
étaient aussi étendus que sur l'esclave. Comme ce dernier,
l'enfant ne pouvait rien avoir qui ne fût à son père, rien
acquérir qui ne fût pour son père. Il pouvait posséder un pécule, mais, comme l'esclave, il n'en avait qu'une jouissance
précaire. Cependant le droit primitif fut encore modifié
sur ce point par rapport à l'enfant, tandis qu'il ne le
fut jamais par rapport à l'esclave. Sous les premiers empereurs,
on sépara des autres biens ceux que l'enfant avait
acquis à l'armée ( castrense peculium ) ; Constantin distingua
de même ceux qu'il avait acquis dans des emplois
à la cour (quasi castrense peculium ) ; puis ceux qui lui venaient
de sa mère. Et ainsi se formèrent des pécules sur
lesquels les fils de famille eurent des droits plus ou moins
étendus. Du reste nous traiterons cette matière à sa
place.
Maintenant que nous connaissons les principaux effets
de la puissance paternelle, voyons sur qui s'étend cette
puissance.
On l'acquérait de trois manières : 1.° par les justes noces;
2.° par la légitimation ; 3.° par l'adoption. Nous allons les
parcourir successivement.
In potestate nostra sunt liberi nostri, quos ex justis nuptiis procreavimus.
En notre puissance sont nos enfants issus de justes noces.
Il faut bien remarquer les mots ex justis nuptiis. Car tout mariage ne donnait pas la puissance paternelle; il n'y avait que celui que les Romains appelaient «justes noces, mariage légitime » (justae nuptiae, justum matrimonium.)
1. Nuptiae autem, sive matrimonium, est viri et mulieris conjunctio, individuam. vitae consuetudinem continens.
1. Les noces ou mariage sont l'union de l'homme et de la femme, entraînant l'obligation de vivre dans une communauté indivisible.
C'est ici une définition générale des noces ou mariage; nous allons voir les circonstances qui doivent se réunir pour qu'il y ait justes noces.
2. Jus autem potestatis, quod in liberos habemus, proprium est civium Romanorum; nulli enim alii sunt homines, qui talem in liberos habeant potestatem, qualem nos habemus.
2. La puissance que nous avons sur nos enfants est propre aux citoyens romains ; car il n'est point d'autres peuples qui en aient une pareille.
La puissance paternelle était du droit civil, il fallait être, citoyen pour pouvoir l'acquérir. Bien différente en cela de la puissance sur les esclaves qui, étant du droit des gens, appartenait à tout propriétaire. De plus elle était particulière au seul peuple romain, et avait chez eux un caractère singulier qu'on ne retrouvait pas ailleurs. Gaïus cependant indique les Galates comme ayant un pouvoir semblable à celui des Romains.
3. Qui igitur ex te et uxore tua nascitur, in tua potestate est. Item qui ex filio tuo et uxore ejus nascitur, id est nepos tuus et neptis, aeque in tua sunt potestate; et pronepos, et proneptis, et deinceps ceteri. Qui autem ex filia tua nascitur, in potestate tua non est, sed in patris ejus.
3. Ainsi celui qui naît de toi et
de ton épouse est en ta puissance;
comme aussi celui qui naît de ton
fils et de son épouse, c'est-à-dire ton petit-fils ou ta petite-fille ; de
même ton arrière-petit-fils, ton
arrière-petite-fille, et ainsi des
autres. Pour l'enfant issu de ta
fille il n'est pas sous la puissance,
mais sous celle de son père.
Le chef de famille avait sous sa puissance paternelle
d'abord tous ses enfants au premier degré. Ses fils se mariaient-ils, le mariage ne les libérait point de cette puissance
; avaient-ils des enfants, ils ne prenaient pas sur
ces enfants le pouvoir paternel; mais tous les fils et tous
leurs enfants se trouvaient ensemble soumis au même chef,
le père de famille, et vieillissaient sous son pouvoir jusqu'à
sa mort, si quelque circonstance ne les en avait plus tôt
fait sortir. C'est ainsi que la famille s'augmentait de toutes
les naissances survenues de mâles en mâles. Quant aux
filles, en se mariant elles ne sortaient pas toujours, il est
vrai; de leur famille paternelle, mais leurs enfants n'entraient
jamais dans cette famille ; ils étaient au pouvoir de
leur père ou du chef de famille à qui leur père était soumis
; et non au pouvoir de leur aieul maternel. Voilà pourquoi
nous disons bien souvent que les descendants par les
femmes ne sont point agnats, mais simplement cognats.
Et même, lorsqu'une femme était maîtresse d'elle-même
(sui juris), et qu'elle avait des enfants issus de justes noces
ou de toute autre union, jamais elle ne prenait sur eux la
puissance paternelle, qui était réservée aux hommes seuls.
Aussi Ulpien dit-il que la famille dont la femme sui juris s'était trouvée le chef (mater familiae) commence et finit en
elle (mulier autem familiae suae et caput et finis est).
TIT. X.
DE NUPTIIS.
Il faut, sur cette matière, déposer les idées de notre
législation, et même les termes de notre langue.
Les mots nuptiae, matrimonium paraissent employés par les
jurisconsultes romains comme des expressions, génériques,
indiquant l'union de l'homme et de la femme dans une
communauté indivisible, et pouvant s'appliquer à tous les
mariages, même à ceux des étrangers. Mais, ces jurisconsultes
veulent-ils spécialement désigner le mariage selon
le droit des Romains, mariage produisant les effets civils,
ils ont grand soin de dire, justae nuptiae, justum matrimonium. Des justes noces seules découlaient la puissance
paternelle, la parenté civile (agnatio), les droits de famille;
en un mot elles étaient le seul mariage reconnu par les
lois. La femme y prenait le nom de uxor, le mari celui
de vir.
Le commerce d'un homme avec une concubine (concubinatus)
n'étai tpoint un délit; les lois le permettaient,
même elles le réglaient ; il était assez fréquent, mais il n'avait
rien d'honorable, surtout pour la femme.
Quant à l'union des esclaves ( contubernium ) elle était
abandonnée au droit naturel, et ne produisait que des liens
naturels.
Occupons-nous d'abord des justes noces.
Le mariage, comme l'un des actes les plus importants dela vie humaine, a naturellement, dans toutes les nations,
été placé sous une protection supérieure, et accompagné
d'invocation à la Divinité ; aussi, chez les Romains, les
dieux du paganisme intervenaient à sa célébration, et lorsque
la religion chrétienne fut la religion de l'Etat, elle ne
put manquer de le sanctifier par ses cérémonies ; mais,
dans tous les temps, sous Justinien encore, cette intervention
fut purement religieuse, sans caractère légal : le mariage
ne fut considéré que comme un contrat civil, et il
s'écoula bien long temps avant que l'Eglise le considérât
comme un sacrement dont elle devait s'emparer. Le manage
n'était même assujetti à aucune solennité. Les moeurs
l'avaient bien entouré de formes gracieuses et symboliques
dont la pompe augmentait avec la richesse des époux;
mais la parure de la fiancée, le voile jaune qui la couvrait
(flamineum), la quenouille, le fuseau, le fil qu'elle
portait, sa marche vers la maison nuptiale, les tentures
flottantes et les feuillages verts qui décoraient cette
maison, les clefs qu'on lui remettait, le repas, les
hymnes qu'on y chantait, n'étaient pas plus nécessaires à
la validité du mariage que ne le sont de nos jours le voile
blanc qui cache les traits de la mariée, la couronne de
fleurs d'orangers qui pare ses cheveux, la fête et le bal
qui suivent son hyménée. Quelquefois on dressait un acte,
soit pour régler les conventions relatives aux biens (instrumenta dotalia), soit pour constater le mariage (nuptiales
tabulae, instrumenta ad probationem matrimonii): mais ces
actes n'étaient que des moyens de preuve, ils ne faisaient
pas le mariage si celui-ci n'avoit pas eu lieu, et réciproquement
le mariage contracte sans ces titres n'en existait pas
moins. Nous trouvons plus d'un texte de loi qui nous
dit qu'il suffit que le mariage ait été contracté par le consentement
des époux et qu'il soit constaté par leurs amis
ou voisins (consortium consensu atque amicorum fide.
Vicinis vel aliis scientibus); cependant il ne faut
pas croire que le consentement seul des parties fit le mariage.
Ce contrat me paraît devoir être rangé dans la classe
de ceux qui, pour exister, exigeaient qu'il y eût eu tradition.
Il fallait nécessairement que la femme eût été conduite
dans la maison conjugale, jusque-là il n'y avait que mariage
projeté; l'expression uxorem ducere, se marier, suffirait
pour faire sentir la vérité de cette opinion ; mais
plusieurs textes la laissent hors de doute : c'est ainsi qu'Aurélien
décide dans un rescrit qu'une donation faite le jour
des noces à la fiancée, étant encore dans sa maison , est
antérieure au mariage , mais que, faite dans la maison du
mari, elle est postérieure au mariage): c'est ainsi encore
que Pomponius et Paul nous disent qu'un homme absent
peut se marier, (uxorem ducere) parce qu'on peut conduire
la femme dans sa maison; mais qu'une femme absente
ne peut être épousée (uxor duci), parce qu'il serait
alors impossible de la conduire. Du reste il n'était nullement nécessaire, pour que le mariage existât, qu'il
eût été. consommé par la cohabitation ; il avait lieu dès que
l'épouse avait été conduite à la maison du mari ( statim
atque ducta est uxor, guamvis nondum in cubiculum mariti
venerit. Nuplias enim non concubitus, sed consensus facit).
— Il paraît que des lois exigeaient néanmoins qu'il y eût
contrat dotal lorsque le mariage avait lieu entre personnes
de conditions inégales. Justinien abrogea ces lois dans le
code. —Telle était, d'après les Instituts et le Code, la législation
sur la célébration des noces , mais elle reçut quelque
modification par les novelles. Ainsi la novelle 74 décidait,
1° que les personnes revêtues de grandes dignités,
jusqu'au rang d'illustres, ne pourraient contracter mariage
sans,contrat dotal ; 2° que les autres personnes, à l'exception
des pauvres, des agriculteurs et des soldats, seraient
obligées au moins de se présenter devant le défenseur de
quelque église et de déclarer leur mariage, l'année, le mois
et le jour où ils l'avaient formé; déclaration dont on devait
prendre acte en présence de trois ou quatre témoins.
Cette dernière disposition, il est vrai, paraît abrogée par
une novelle postérieure , la novelle 117. c. 4.
Les fiançailles, c'est-à-dire les promesses de mariage,
étaient en usage chez les Romains. On les nommait sponsalia
( sponsalia sunt sponsio. et repromissio nuptiarum futurarum). Elles se faisaient par le seul consentement
des deux fiancés et de leur chef de famille: il suffisait
que les deux fiancés eussent plus de sept ans et fussent capables de contracter mariage par la suite. Elles ne
donnaient aucune action pour contraindre au mariage, et
chaque partie pouvait y renoncer en le notifiant à l'autre
en ces termes, conditione tua non utor. Des arrhres étaient
données ordinairement à la fiancée; et celle des parties, qui,
sans motif légitime, faisait rompre l'union projetée, devait
les perdre, sauf quelques distinctions pour la fiancée.
Avant de commencer l'explication des règles sur la validité
des noces, nous devons signaler comme l'époque la
plus remarquable sur cette partie de la législation, celle
où Auguste, voulant relever la dignité du mariage avilie, fit
paraître les deux fameuses lois JULIA et PAPIA POPPEAqui
réglaient ce contrat civil, défendaient aux sénateurs et aux
ingénus d'épouser certaines femmes, frappaient d'incapacités
les célibataires (coelebes), les personnes n'ayant point
d'enfant (orbi), et divisaient ainsi les citoyens en diverses
classes. Cette division exista pendant plus
de trois siècles, fut effacée en totalité par Constantin, et plus aucune trace n'en reste sous Justinien.
Justas autem nuptias inter se cives Romani contrahunt, qui secundum praecepta Iegum coeunt, masculi quidem puberes, feminae autem viripotentes, sive patresfamilias sint, sive filiifamilias ; dum tamen, si filiifamilias sint, consensum habeant parentum , quorum in potestate sunt. Nam hoc fieri debere, et civilis et naturalis ratio suadet, in tantum, ut jussus parentis precedere debeat. Unde quaesitum est, an furiosi filia nubere, aut furiosi filius uxorem ducere possit?Cumque super filio variabatur, nostra processit decisio, qua permissum est ad exemplum filiae furiosi, filium quoque furiosi posse et sine patris interventu matrimonium sibi copulare, secundum datum ex nostra constitutione modum.
Il y a justes noces quand des citoyens Romains s'unissent selon les lois, les hommes pubères, les femmes nubiles ; qu'ils soient chefs ou fils de famille, pourvu, dans ce dernier cas, qu'ils aient le consentement de ceux sous la puissance desquels ils se trouvent, car la raison naturelle et la loi civile l'exigent; tellement que l'autorisation du père doit précéder. De là cette question : Le fils ou la fille d'an fou peuvent-ils se marier ? Et comme à l'égard du fils on était partagé , est intervenue notre décision qui permet que le fils d'un fou puisse, à l'exemple de la fille, contracter mariage sans l'intervention du père, selon le mode indiqué par notre constitution.
Ulpien, d'accord en entier avec les instituts, indique
trois choses indispensables pour qu'il y ait justes noces :
1° la puberté, 2° le consentement, 3° le connubium.
1°La puberté. On désigne ainsi l'état physique où l'homme
devient, par le développement de son corps, capable de
s'unir à une femme, et réciproquement celui où la femme
devient capable de s'unir à un homme. Cet état détermine
l'instant où le mariage, rendu possible par la nature,
peut être permis par la loi. Dans le droit primitif, la puberté
n'était point fixée à une époque déterminée ; consultant
en cela la nature seule, les chefs de famille ne
mariaient leurs enfants que lorsqu'ils voyaient leur corps
suffisamment développé. Par la suite la puberté fut légalement
fixée, d'abord pour les femmes à douze ans, ensuite
pour les hommes à quatorze. Avant cet âge on pouvait
faire des fiançailles ; mais l'union contractée n'eût pas été
un mariage légitime, et ne le serait devenu qu'au moment
de la puberté. 2° Le consentement. Ce qui doit s'appliquer aux conjoints
et aux chefs de famille sous la puissance desquels ils se
trouvent (nuptiae consistere non possunt , nisi consentiant
omnes; id est qui coeunt, quorumque in potestate suni).
Le consentement des époux devait être libre, et le pouvoir
du chef de famille rie s'étendait pas jusqu'à contraindre
ceux qui lui étaient soumis à se marier (non cogitur filius familias
uxorem ducere). Il devait être donné par une
personne sachant ce qu'elle faisait: ainsi le fou, incapable
de consentir, était incapable de se marier.
— Quant au
consentement du chef de famille, il faut bien remarquer
que si on l'exigeait ce n'était qu'à cause de sa puissance
paternelle et comme une suite de ses droits de propriété
sur les membres qui lui étaient soumis : ainsi l'on ne demandait
jamais le consentement de la mère, parce qu'elle
n'avait point de puissance paternelle ; l'enfant sorti de sa
famille et entré dans une autre par adoption ne demandait
pas le consentement de son père naturel, mais bien celui
de l'adoptant, auquel il était soumis; enfin l'enfant libéré
de la puissance paternelle et devenu sui juris n'avait plus
besoin du consentement de son père. Cependant Valens
et Valentinien, après eux Honorius et Théodose, exigèrent
que la fille mineure de vingt-cinq ans, bien qu'émancipée,
prît encore le consentement de son père, et si ce dernier était
mort, le consentement de la mère et des proches parents.
Ces dispositions étaient des dérogations totales aux principes
du droit primitif. —Lorsque des enfans étaient soumis avec leur père à la puissance de leur aïeul, on pourrait
croire qu'ils n'avaient besoin pour se marier que du consentement
de ce dernier auquel ils étaient soumis. Cela
était vrai pour la fille, mais non pour le fils qui eût été
obligé d'obtenir à la fois le consentement du père et de
l'aïeul. Voici le principe sur lequel repose cette différence.
L'aïeul pouvait bien, de sa propre volonté, renvoyer
de sa famille ses petits-fils sans le consentement du
fils, leur père, et diminuer ainsi la famille que ce dernier
devait avoir un jour en sa puissance; mais il ne pouvait,
sans le consentement du fils, introduire parmi les enfants
de ce dernier de nouvelles personnes et augmenter ainsi
sa famille future, de peur de lui donner malgré lui de
nouveaux héritiers (ne ei invito suus heres agnascatur).
Or l'aïeul, en mariant par sa seule volonté son petit-fils,
aurait exposé le père de ce dernier à avoir un jour sous lui
les enfants issus de ce mariage ; ce qui n'avait pas lieu pour
la petite-fille, parce que jamais les enfants ne suivent la famille
de leur mère.—Le consentement du chef de famille
peut être tacite.
— S'il refusait à tort de marier ses enfants
ou s'il ne se mettait nullement en peine de le faire,
il pourrait y être forcé par les présidents des provinces,
en vertu d'une constitution dé Sévère et Antonin.
Proecedere debeat. C'est une question controversée que
de savoir si le mariage contracté sans le consentement du
chef de famille pouvait être ratifié par la suite. Sans aucun
doute le chef pouvait donner son consentement, et le mariage dès ce moment serait devenu légitime; mais ce consentement
était-il une véritable ratification ayant un effet
rétroactif? Il faut décider que non; le mariage n'était pas
validé dans le passé où il n'avait pas existé, il commençait
seulement à être valable pour l'avenir. On peut assimiler
ce cas, en quelque sorte, à celui où l'un des époux était
impubère; au moment où il atteignait la puberté le mariage
devenait justes noces, mais sans effet rétroactif.
Super filio variabatur. Le chef de famille étant fou et
furieux ne pouvait donner son consentement : fallait-il
pour cela que ses enfants ne pussent se marier? On le permettait
à la fille ; mais pour le fils les avis des jurisconsultes
étaient partagés, et cela parce que le mariage de la fille
ne pouvait jamais donner au chef de nouveaux membres
dans sa famille, tandis que le mariage du fils devait lui
amener tous les enfants qui en naîtraient. Justinien dans
une constitution le permet au fils et à la fille, pourvu qu'en
présence du curateur et des parents les plus notables de leur
père, ils fassent agréer la personne qu'ils veulent épouser,
régler la dot et la donation nuptiale par le préfet de la
ville à Constantinople, par le président ou les évêques de
la cité dans les provinces. — De même, lorsque le
père avait été pris par l'ennemi, ou qu'il avait disparu sans
qu'on eût de ses nouvelles, les enfants pouvaient, après
trois ans de captivité ou d'absence, se marier, bien que la
puissance paternelle ne fut pas détruite et que le chef dût
la reprendre à son retour.
Avant de passer à la troisième condition le connubium, il est bon d'observer que pour pouvoir se marier il ne suffit
pas d'être pubère, de donner son consentement et d'avoir
celui du chef auquel on est soumis; il faut encore être
libre, car si l'on est déjà engagé dans une première union,
ou dans les ordres ecclésiastiques, on ne peut se marier
; de même si l'on est castrat, à moins, dans ce dernier
cas, que la femme y consente. 3° Le connubium. Il est indispensable d'abord de fixer la
valeur de cette expression, généralement mal connue.
Connubium ne signifie pas mariage; et, lorsqu'on dit jus
connubii pour droit de mariage, on se sert d'une expression,
qui n'est pas latine. Il ne signifie pas non plus la capacité
individuelle de se marier, cette capacité qui résulte de ce
qu'on est pubère, libre et non castrat ; mais, ce mot désigne
la capacité relative de s'unir à telle personne, et c'est
dans ce sens qu'il faut entendre la définition qu'en donne
Ulpien, connubium est uxoris jure ducendae, facullas.
Ainsi, pour qu'un mariage soit légitime, il faut d'abord
que chacun des conjoints soit individuellement capable
de se marier, mais il faut de plus qu'ils soient capables de
se marier l'un à l'autre. C'est cette capacité relative qui doit
exister entre eux que l'on nomme connubium. Des
exemples achèveront d'éclaircir ce qu'il peut y avoir encore
d'obscur dans ces idées.— La capacité relative de s'unir
(connubium) existait entre les citoyens Romains, mais non
entre les citoyens et les Latins ou les étrangers ; c'était en
effet un droit civil (connubium habent cives Romani cum civibus Romanis; cum Latinis autem et peregrinis, ita si
concessum sit); mais le texte même que nous citons
nous prouve qu'on accordait quelquefois ce droit à l'égard
de certains étrangers. Du reste il ne faut pas perdre de vue
ici le changement introduit par Caracalla et les droits de
cité accordés à tous les sujets. — Aucun connubium n'existait
avec les esclaves ( Cum servis nullum est connubium).
— D'après les douze Tables, aucun connubium entre les
patriciens et les plébéiens (patribus cum plebe connubium
necesto), mais cette disposition fut supprimée par un plébiscite,
lex GANULEIA de connubio patrum et plebis;
— Le connubium n'existait pas non plus entre parents
ou alliés à un certain degré : matière qui est développée
dans les Instituts ; mais, comme elle l'est fort longuement
et avec confusion, nous allons la présenter d'une
manière courte et claire, sauf à nous contenter de donner
la traduction du texte avec les observations indispensables.
Et voyons d'abord la parenté.
La parenté naturelle, la cognation proprement dite,
c'est à dire le lien qui existe entre personnes unies par le
sang (cognati), et descendant ou l'une de l'autre ou d'une
souche commune, est dans plusieurs cas un empêchement
au connubium. Il en est de même à plus forte raison
de la parenté civile (l'agnation), ce lien qui unit entre eux
les membres de la même famille civile (agnati). Les prohibitions
pour l'une et l'autre parenté sont les mêmes. Seulement
il faut observer que la cognation tenant à un fait
naturel et immuable, la naissance, ne peut jamais cesser, et que par conséquent l'empêchement qu'elle produit ne
peut être levé. Au contraire l'agnation ne tient qu'à un
fait civil, l'existence dans la même famille ; elle est complètement
détruite si ce fait cesse : ce qui arrive pour le
membre renvoyé de la famille (émancipé). Dans ce cas,
si l'agnation ne se joint à aucun lien naturel, si elle provient
d'une adoption, une fois dissoute, l'empêchement
au connubium est détruit aussi, parce que les membres
restés dans la famille ne sont plus liés par aucune parenté
à celui qui en est sorti. — Ces préliminaires exposés, nous
pouvons dire que, sans distinction entre l'agnation et la
cognation, le mariage est prohibé : 1° entre personnes
descendant directement l'une de l'autre , à l'infini. Inter
parentes et liberos infinite cujuscumque gradus connubium non est. 2° Entre l'oncle et la nièce , petite-nièce, arrière-petite-nièce , etc. à l'infini, et réciproquement entre
la tante et le neveu, petit-neveu , etc. 3°Enfin entre le
frère et la soeur. Les autres parents peuvent s'unir. — Si
l'empêchement provient d'une agnation produite par adoption,
il cesse, soit que l'adopté ait été renvoyé de la famille,
parce qu'alors il n'est plus l'agnat d'aucun membre ;
soit que l'adopté restant dans la famille, la personne
qu'il doit épouser en ait été renvoyée, parce que celle-ci
n'est plus agnat d'aucun membre. Cependant, par un motif
de convenance, le père adoptif ne pouvait jamais épouser
sa fille, sa petite-fille adoptive, etc., bien qu'il les eût renvoyées
de sa puissance et de sa famille.
1. Ergo non omnes nobis uxores ducere licet ; nam a quarumdum nuptiis abstinendum est. Inter eas enim personas, quae parentum liberorumve locum inter se obtinent, contrahi nuptiae non possunt; veluti inter patrem et filiam, vel avum et neptem, vel matrem et filium , vel aviam et nepotem, et usque ad infinitum. Et si tales personae inter se coïerint, nefarias atque incestas nuptias contraxisse dicuntur. Et haec adeo ita sunt, ut quamvis per adoptionem parentum liberorumve loco sibi esse coeperint, non possint inter se matrimonio jungi : in tantum ut, etiam dissoluta adoptione, idem juris maneat. Itaque eam, quae tibi per adoptionem filia vel neptis esse coeperit, non poteris uxorem ducere, quamvis eam emancipaveris.
2. Inter eas quoque personas, quae ex transverso gradu cognationis junguntur, est quaedam similis observatio, sed non tanta. Sane enim inter fratrem sororem que nuptiae probibitae sunt, sive ab eodem patre eademque matre nati fuerint, sive ex alterutro eorum. Sed si qua per adoptionem soror tibi esse coeperit, quandiu quidem constat adoptio, sane inter te et eam nuptiae consistere non possunt; eum vero per emancipationem adoptio sit dissoluta, poleris eam uxorem ducere. Sed et si tu emancipatus fueris, nihil est ipedimento nuptiis. Et ideo constat, si quis generum adoptare velit, debere eum ante filiam suam emancipare; et si quis velit nupum adoptare, debere eum ante filium suum emancipare.
1. On ne peut pas épouser toute femme ; il en est auxquelles on ne doit point s'unir. Le mariage, en effet, est prohibé entre les personnes placées l'une envers l'autre au rang d'ascendant et de descendant : par exemple, entre le père et la fille, l'aieul et la petite-fille, la mère et le fils , l'aïeule et le petit-fils, jusqu'à l'Infini. Les noces contractées entre ces personnes sont dites criminelles et incestueuses. De telle sorte que, dans le cas même où la qualité d'ascendant et de descendant n'est due qu'à l' adoption, le mariage n'en est pas moins prohibé, et même, après l'adoption dissoute, la prohibition subsiste toujours. Ainsi, celle qui, par adoption, est devenue ta fille ou ta petite-fille, tu ne pourras l'épouser, même après l'avoir émancipée.
2. Entre les personnes unies par la parenté collatérale, des prohibitions existent aussi, mais moins étendues. Les noces sont biens défendues entre le frère et la soeur, qu'ils soient issus du même père et de la même mère, ou de l'un des deux seulement ; mais lorsque par adoption une femme est devenue ta soeur, tu ne peux sans doute l'épouser tant que dure cette adoption; mais si l'adoption est dissoute par l'émancipation, rien ne s'oppose plus au mariage; et cela a lieu aussi dans le cas où c'est toi qui as été émancipé. Aussi est-il constant que, si quelqu'un veut adopter son gendre, il doit auparavant émanciper sa fille; et, si l'on veut adopter sa bru, il faut commencer par émanciper son fils.
Ex transverso gradu. Nous verrons plus tard
que la parenté est ascendante, descendante où collatérale
(superior,inferior, ex transverso, quoeetiam a latere dicitur): la première est celle qui se compte en remontant des enfants
aux aïeux; la seconde, celle qui se compte en descendantdes
aïeux aux. enfants ; la troisième, celle qui unit
les personnes qui, sans descendre l'une de l'autre, ont
cependant une souche commune, c'est-à-dire les frères,
les soeurs et leurs descendants (superior cognatio est parentum;
inferior liberorum; ex transverso fratrum sororumve,
et eorutn qui quoeve ex ais generantur). La parenté ascendante
et la parenté descendante se désignent par l'épithète
commune de parenté directe. Les prohibitions de
mariage qu'elles font naître sont exposées dans le paragraphe
précédent; il s'agit ici de la parenté collatérale.
Si tu emancipatus fueris. Quand une personne est adoptée,
l'agnation qui l'unit à l'un quelconque des membres
de la famille ne tient qu'à la qualité commune de membre
de la même famille; or cette qualité cesse, et avec elle
l'agnation, lorsque l'un des deux membres, soit l'adopté
soit l'autre , est renvoyé de la famille. D'où il suit que celui qui veut marier sa fille adoptive avec son fils peut
rendre le mariage licite, soit en émancipant le fils, soit en
émancipant la fille adoptive.
Si quis generum adoptare velit. Ceci ne nous indique
point une prohibition au mariage mais plutôt une prohibition
à l'adoption. Nous venons de voir que deux personnes
ayant la qualité de frères ne peuvent devenir époux ; nous
voyons ici la réciproque : c'est que deux personnes ayant
la qualité d'époux ne peuvent devenir frères. Ainsi, lorsqu'un
homme veut adopter son gendre, comme ce dernier
par l'adoption serait introduit en qualité de fils dans la
famille où se trouve sa femme, et qu'il deviendrait le frère
agnat de celle dont il est déjà le mari, l'adoption ne pourra
avoir lieu, que si le père commence par faire sortir sa fille
de la famille en l'émancipant. De cette manière l'un des
époux sortira, l'autre prendra sa place ; et ces actes ne seront
point sans importance, car la fille perdra tous ses
droits de famille et le mari les acquerra.
3. Fratris vero, vel sororis filiam, uxorem ducere non licet. Sed nec neptem fratris vel sororis quis ducere potest, quamvis quarto gradu sint. Cujus enim filiam uxorem ducere non licet, neque ejus neptem permittitur. Ejus vero mulieris, quam pater tuus adoptavit, filiam non videris impediri uxorem ducere, quia neque naturali, neque civili jure tibi conjungitur.
3. On ne peut prendre pour femme la fille de son frère ou de sa soeur; ni leur petite-fille, bien qu'on soit au quatrième degré. Car lorsque le mariage n'est point permis avec la fille, il ne l'est pas non plus avec la petite-fille. Mais, quant à la femme adoptée par votre père, rien ne s'oppose à ce que vous épousiez sa fille, car elle ne vous est liée ni par le droit naturel, ni par le droit civil.
Quarto gradu sint. En ligne directe on compte autant de degrés qu'il y a de générations entre, les personnes : le fils est à l'égard du père au premier degré, le petit-fils au deuxième, etc. En ligne collatérale, on compte les degrés par les générations, en remontant de l'un des parents jusqu'à l'auteur commun qu'on ne compte pas, et redescendant de l'auteur commun jusqu'à l'autre parent. Ainsi le frère et la soeur sont au deuxième degré ; l'oncle et la nièce au troisième, le grand-oncle et la petite-nièce au quatrième (Inst. liv. 3. t. 6.). Neque ejus neptem permittitum. Il est des collatéraux qui sont en quelque sorte au rang d'ascendants, ce sont les oncles et tantes ( loco parentum habentur). Mais s'ils sont au rang d'ascendants pour la fille, à plus forte raison le sont-ils pour la petite-fille , l'arrière-petite-fille , etc. Ainsi lorsqu'on ne peut épouser la fille parce qu'on est au rang d'ascendant par rapport à elle, à plus forte raison ne peut-on pas épouser la petite-fille, l'àrrière-petite-fille, etc. Telle est la règle de droit que les Instituts énoncent, et qu'il faut bien se garder d'appliquer à d'autres qu'aux parents qui se trouvent au rang d'ascendants , parce qu'elle serait fausse pour les autres : par exemple, en ligne directe en remontant, le petit-fils ne peut épouser la fille de son aïeul, sa tante; et cependant il peut en épouser la petite-fille, sa cousine. — Cette prohibition de mariage entre l'oncle et la nièce avait jadis reçu une atteinte. Claude voulait épouser Agrippine sa nièce, fille de son frère Germanicus, et une loi déclara le mariage licite entre l'oncle et la fille du frère, seulement: disposition qui fut enfin abrogée par Constantin.Ejus mulieris. Comme les enfants ne suivent point la famille de leur mère, lorsqu'une femme entre par adoption dans une famille, ses enfanta, qu'ils existassent déjà au moment de l'adoption, ou qu'ils soient nés depuis, sont toujours étrangers à cette famille : civilement, puisqu'ils n'y sont point entrés': naturellement, puisqu'il n'y a aucun lien de sang. Voilà pourquoi celui qui ne pourrait pas épouser la femme adoptée, parce qu'elle est sa soeur adoptive, peut épouser les enfants de cette-soeur. Mais la chose n'aurait point lieu dans le cas de l'adoption d'un homme, parce que l'homme amène toujours ses enfants dans sa famille, et que par conséquent un lien d'agnation s'établit entre eux et tous les membres de la famille adoptive. Aussi le texte porte-t-il bien le mot de mulieris.
4. Duorum autem fratrum vel sororum liberi, vel fratris et sororis, jungi possunt.
4. Mais les enfants de deux frères, de deux soeurs, ou de frère et soeur peuvent s'unir.
L'influence de la religion chrétienne fit défendre par plusieurs empereurs le mariage entre cousins; mais une constitution d'Arcadius et Honorius le permit de nouveau et ce droit fut maintenu.
5. Item amitam, licet adoptivam, ducere uxorem non licet, item necmaterteram, quia paientum loco habentur. Qua ratione verum est, magnam quoque amitam et materteram magnam prohiberi uxorem ducere.
5. Pareillement on ne peut épouser sa tante paternelle, même adoptive, ni sa tante maternelle, parce qu'elles sont au rang d'ascendantes ; le même motif empêche qu'en puisse épouser sa grand tante paternelle ou maternelle.
On avait indiqué plus haut la prohibition de mariage avec l'oncle ou le grand-oncle; on indique ici la prohibition avec la tante ou la grand'tante. La tante paternelle (amita) est la soeur du père; la tante maternelle (matertera) la soeur de la mère. Il est à remarquer que par adoption on ne pouvait avoir que des tantes paternelles, toujours parce que les enfants ne suivent point la famille de la mère. Aussi le texte n'applique-t-il les mots de licet adoptivam qu'à la tante paternelle. Ici s'arrêtent les prohibitions provenant de la parenté. L'alliance est aussi un empêchement au connubium. On nomme alliance (affinitas) le lien que le mariage établit entre les deux cognations des époux. Quoique ces deux cognations fussent naturellement séparées, elles se trouvent liées par le mariage (duoe cognationes quoediversoe inter se sunt, per nuptias copulantur) ; les époux étant compris dans leur cognation respective, chacun d'eux devient l'allié de tous les parents de l'autre; de plus les parents des deux époux deviennent alliés entre eux. Cependant le lien d'alliance entre ces derniers était peu étroit, il ne formait aucun obstacle au mariage, et ne produisait pour ainsi dire d'effet que dans les relations amicales de famille ; on n'avait pas même de noms particuliers pour désigner ces différents alliés. Quant à l'alliance entre chacun des époux et les parents de l'autre, elle était marquée par différents noms tels que ceux de socer, beau père; socrus, belle-mère; gener, gendre; nurus, bru; vitricus, parâtre ; noverca, marâtre ; privignus, beau-fils; privigna, belle-fille, elle produisait des empêchements mais pas aussi étendus que la parenté; ainsi le mariage était prohibé en ligne directe à l'infini entre le beau-père et sa fille, sa petite-fille par alliance, etc., de même entre la belle-mère et son fils, son petit-fils par alliance; mais en ligne collatérale, il était prohibé seulement entre le beau-frère et la belle-soeur.
6. Affinitatis quoque veneratione, quarundam nuptiis abstinendum est, ut ecce : privignam aut nurum uxorem ducere non licet, quia utraeque filiae Ioco sunt. Quod ita scilicet accipi debet, si fuit nurus aut privigna tua. Nam si adhuc nurus tua est, id est, si adhuc nupta est filio tuo, alia ratione uxorem eam ducere non poteris, quia ea duobus nupta esse non potest. Item si adhuc privigna tua est, id est, si mater ejus tibi nupta est, ideo eam uxorem ducere non poteris, quia duas uxores eodem tempore habere non licet.
6. Par respect pour l'alliance, il est encore des femmes auxquelles on ne doit point s'unir : ainsi l'on ne peut épouser ni sa belle-fille ni sa bru, parce que l'une et l'autre sont au rang de fille. Ce qui doit s'entendre néanmoins de celle qui a été votre bru ou votre belle-fille. Car si elle est encore votre bru, c'est-à-dire si elle est encore unie à votre fils, une autre raison vous empêche de l'épouser; c'est qu'elle ne peut être la femme de deux maris à la fois. De même si elle est encore votre belle-fille, c'est-à-dire si sa mère est encore votre femme, c'est parce qu'il n'est point permis d'avoir deux femmes à la fois, que vous ne pouvez l'épouser.
Privignam aut nurum. Vous pouvez avoir une fille par alliance de deux manières : 1° lorsque vous épousez une femme ayant déjà une fille d'un premier mariage, cette fille devient, votre belle-fille (privigna); 2e lorsque votre fils se marie, sa femme devient votre bru (nurus).
7. Socrum quoque et novercam prohibitum est uxorem ducere, quia matris loco sunt. Quod et ipsum dissoluta demum affinitate procedit. Alioquin si adhuc noverca est, id est, si adhuc patri tuo nupta est, communi jure impeditur tibi nubere, quia eadem duobus nupta esse non potest. Item si adhuc socrus est, id est, si adhuc filia ejus tibi nupta est, ideo impediuntur tibi nuptiae, quia duas usores habere non possis.
7. De même on ne peut prendre pour femme sa belle-mère ou sa marâtre, parce qu'elles sont au rang de mère ; prohibition qui n'a d'effet qu' après la dissolution de l'alliance. Car si elle est encore votre marâtre, c'est-à-dire si elle est encore la femme de votre père, c'est le droit des gens qui l'empêche de vous épouser, parce qu'elle ne peut avoir deux maris à la fois. De même si elle est encore votre belle-mère, c'est-à-dire si sa fille est encore votre femme, ce qui vous empêche de l'épouser c'est que vous ne pour vez avoir deux femmes à la fois.
Socrum, novercam. L'une est la mère de votre femme, l'autre est la femme de votre père; toutes les deux sont votre mère par alliance. Il faut remarquer le motif sur lequel se fonde la prohibition du paragraphe précédent et de celui-ci. Ce motif c'est que le beau-père et la belle-mère, le parâtre et la marâtre sont au rang d'ascendants (loco parentum sunt). Aussi la prohibition doit-elle s'étendre à l'infini à tous les degrés de cette alliance.Les Instituts ne disent rien du mariage entre beau-frère et belle soeur. Il fut permis jusqu'au temps de Constantin; mais ce prince le défendit dans une constitution insérée au code Théodosien. Cette prohibition fut renouvelée par Valentinien, Théodose et Arcadius, en ces termes : « Nous défendons absolument d'épouser la femme de son frère, ou les deux soeurs, de quelque manière que le mariage ait été dissous.
8. Mariti tamen filius ex alia uxore, et uxoris filia ex alio marilo, vel contra, matrimonium recte contrahunt, licet habeant fratrem sororemve ex matrimonio postea contracto natos.
8. Néanmoins le fils issu du mari et d'une autre femme, la fille issue de la femme et d'un autre mari, ou réciproquement, s'unissent valablement, lors même qu'ils ont un frère ou une soeur nés du second mariage.
Un homme et une femme, ayant l'un un fils, l'autre une fille d'un premier lit, se marient ; bien que l'alliance s'établisse entre les deux cognations, et par conséquent entre les enfants de chaque conjoint, cependant elle n'est point un obstacle au mariage de ces enfants. En effet le lien d'alliance, comme nous l'avons déjà dit, était peu étroit entre les parents des deux époux; il ne produisait d'effet que dans les relations de famille, mais non dans les, lois. Aussi aucune constitution n'avait prohibé le mariage entre les enfants d'un premier lit, et nous avons ici un texte qui le permet formellement.
9. Si uxor tua post divortium ex alio filiam prorcaverit, haec non est quidem privigna tua ; sed Julianus hujusmodi nuptiis abstinere debere ait ; nam nec sponsam filii nurum esse, nec patris sponsam novercam esse; rectius tamen, et jure facturos eos, qui hujusmodi nuptiis se abstinu erint.
9. Si, après le divorce, ta femme a eu d'un autre une fille, celle-ci n'est point ta belle-fille ; mais Julien dit qu'on doit éviter une pareille union ; car il est certain que la fiancée du fils n'est point la bru du père, que la fiancée du père n'est point la marâtre du fils; cependant on agira mieux, et selon les lois, en s'abstenant de semblables noces.
Quoiqu'il n'y ait ni cognation, ni alliance entre deux personnes, des motifs de convenance et d'honnêteté publique suffisent quelquefois pour empêcher qu'il y ait entre elle connubium. Ainsi l'adoptant, nous l'avons déjà dit, ne peut épouser, même après l'avoir émancipée, celle qu'il avait adoptée, quoiqu'elle ait cessé depuis l'émancipation d'être sa fille. De même il ne peut épouser, même après l'émancipation, celle qui a été la femme de son fils adoptif, quoique , depuis l'émancipation, elle ait cesséd'être sa bru. — Les Instituts nous donnent encore deux autres exemples : Un homme divorce avec sa femme, celle-ci contracte un second mariage, il en naît une fille ;elle n'est point la belle-fille (privigna) du mari de sa mère, puisqu'elle est née à une époque où le premier mariage, étant rompu, ne produisait plus aucun lien ; cependant ce premier mari ne pourra point l'épouser, parce qu'il n'est point convenable que celui qui a été le mari de la mère soit encore le mari de la fille. —Les fiançailles n'étaient, comme nous l'avons dit, qu'un projet, qu'une promesse de mariage ; elles ne produisaient point d'alliance (affinitas) : ainsi la fiancée du fils n'était point la bru du père (nurus), la fiancée du père n'était point la marâtre du fils (noverca) ; et cependant, comme il n'était point convenable que le père épousât celle qui avait été destinée à son fils, et réciproquement, les jurisconsultes voulaient qu'on s'abstînt de pareilles noces.
10. Illud certum est, serviles quoque cognationes impedimento nuptiis esse, si forte pater et filia, aut frater et soror manumissi fuerint.
10. Sans aucun doute les cognations formées en esclavage sont un empêchement aux noces, s'il arrive que le père et la fille, le frère et la soeur soient affranchis.
La cognation purement naturelle et contractée hors justes noces est aussi un empêchement au mariage, parce que, sur cette matière, il faut obéir au droit naturel et aux règles de la pudeur (quoniam in contrahendis matrimoniis naturale jus et pudor inspiciendus est). De là deux conséquences : —1° Bien que l'union des esclaves ( contubernium) fût purement naturelle, bien que la cognation qu'elle produisait ne fût comptée par aucune loi, cependant, comme le lien de sang n'en existait pas moins, à défaut de lois les moeurs prohibèrent les noces entre les affranchis cognats (hoc jus moribus, non legibus introductam est). —Bien plus la prohibition s'étendit à l'alliance (idem tamen quod in servilibus cognationibus constitutum est, etiam in servilibus adfinitalibus servandum est). De sorte qu'après la manumission l'affranchi n'aurait pu s'unir à celle qui avait vécu in contubernio avec son père ou avec son fils, parce que naturellement elle était en quelque sorte sa marâtre ou sa belle-fille. Nous supposons toujours une manumission, car il était évident que tant que l'esclavage durait, il ne pouvait être question de justes noces. — 2° Le concubinage, et même un commerce illicite, produisaient aussi des empêchements. Ainsi un père, un frère, ne peuvent épouser la fille, la soeur issue d'une concubine, ou d'un commerce illicite et non reconnu (vulgo quaesita). Dans ce dernier cas cependant rien n'indique légalement la paternité; mais les circonstances de fait peuvent la faire présumer, et cette présomption suffit pour empêcher le mariage. L'espèce d'alliance naturelle que produit le concubinage est encore un empêchement ; et nous trouvons au Code une constitution qui prohibe les noces entre le fils et la concubine du père.
11.Sunt et aliae personae, quae propter diversas rationes nuptias contrahere prohibentur, quas in libris Digestorum, seu Pandectarum, ex veteri jure collectarum, enumerari permisimus.
11. Il est encore d'autres personnes entre qui les noces sont prohibées pour différentes causes que nous avons fait énumérer dans les livres du Digeste ou Pandectes, recueil de l'ancien droit.
Les empêchements au connubium que nous avons examinés
jusqu'ici reposent en général sur une morale naturelle,
et dans tous le cours de la législation romaine ils ont subi peu de variations. Mais des considérations politiques
ou d'ordre public avaient produit des prohibitions
qui varièrent à différentes époques.
D'après les douze Tables, il n'y avait point de connubium entre les patriciens et les plébéiens (patribus cum plebe
connubium nec esto) . Nous avons
parlé des dissensions allumées par cette défense et de la loi
Canuleia, qui les fit cesser en permettant le mariage entre
les deux castes. —De même il
n'y avait point de connubium entre les ingénus et les affranchis,
et c'est la loi Papia Poppea qui permit leur
mariage.
— Nous ayons déjà parlé plusieurs fois de
cette loi, ainsi que de la loi Julia, rendues sous Auguste,
et formant ensemble une époque si distincte dans la législation
relative aux noces . La loi
Julia, entre autres dispositions, défendait aux sénateurs
et à leurs enfants de s'unir à des affranchies; elle le permettait
aux autres ingénus: mais ni les uns ni les autres
ne pouvaient épouser des comédiennes, des prostituées,
des femmes faisant commerce de prostitution, surprises en
adultère, condamnées par une accusation publique.
—Cette loi fut encore étendue par Constantin, qui défendit
aux sénateurs, sous peine d'infamie, d'épouser des filles
d'affranchis, de gladiateurs, des femmes d'auberge, ou
filles d'aubergistes, des revendeuses, toutes personnes
réputées viles et abjectes (humiles abjectoeve personoe) Mais on ne rangeait pas dans cette classe les femmes aux-quelles on ne pouvait reprocher que leur pauvreté. —
Justinien, épris de Théodora, fille d'un cocher du Cirque,
et comédienne elle-même, obtint de son oncle Justin,
qui régnait encore, une constitution insérée dans le Code.
Cette constitution établit que, lorsqu'une comédienne aurait
abandonné cette profession, tout le déshonneur qui
l'avait frappée cesserait, et elle deviendrait capable de
s'unir aux personnes même les plus élevées : « Car, dit
l'empereur, nous devons imiter, autant qu'il est possible
à notre nature, la bonté de Dieu et sa clémence infinie
envers les hommes; lui qui chaque jour daigne pardonner
nos péchés, recevoir notre repentir, et nous ramener
à une vie meilleure. » Enfin Justinien dans une novelle
alla plus loin, et permit, de quelque dignité que l'on
fût revêtu, d'épouser les femmes que la constitution de
Constantin désignait comme abjectes.
— Le mariage
était prohibé encore entre le tuteur, le curateur, ou leur
fils, et la pupille adulte, à moins qu'elle ne leur eût été
fiancée ou destinée par le père. Le motif de cette prohibition
était la crainte que le tuteur ou curateur profitât
de ce mariage pour se dispenser de rendre ses comptes ou
pour en rendre d'inexacts. Quoique le compte fût
rendu, il ne pouvait, épouser sa pupille que lorsqu'elle
avait atteint l'âge de vingt-six ans, parce que jusque là elle
pouvait se faire restituer. —Entre celui qui exerce
une charge dans une province, comme un préfet, un président, un préfet militaire ou leur fils, et une femme
originaire de cette province ou y ayant son domicile; on
craignait qu'il abusât de son autorité. L'empêchement
cesse lorsque les fonctions sont finies. —
Entre le
ravisseur et la personne ravie ; — entre la femme
adultère et son complice ; — entre un juif et une
chrétienne, et réciproquement.
12. Si adversus ea, quae diximus, aliqui coierint, nec vir, nec uxor, nec nuptiae, nec matrimonium, nec dos intelligitur. Itaque ii, qui ex eo coitu nascuntur, in potestate patris non sunt ; sed taies sunt (quantum ad patriam potestatem pertinet) quales sunt ii, quos mater vulgo concepit. Nam nec hi patrem habere intelliguntur, cum his pater incertus est. Unde soient spurii appellari vel a graeca voce quasi GKopàSw concepti, vel sine patre filii. Sequitur ergo, ut dissoluto tali coitu, nec dotis exactioni locus sit. Qui autem prohibitas nuptias contrahunt, et alias poenas patiuntur quae sacris constitutionibus continentur.
12. Lorsque, contrairement à ce que nous venons de dire, quelque union est formée, on n'y doit voir ni époux, ni épouse, ni noces, ni mariage, ni dot. Les enfants qui en sont issus ne sont point sous la puissance du père; mais, sous ce rapport, ils sont assimilés aux enfants vulgairement conçus. Ces derniers, en effet, sont censés n'avoir point de père, parce que leur père est incertain. C'est pour cela qu'on les nomme spurii, c'est-à-dire, d'après le mot grec, enfants conçus uiïopà.3nv (vulgairement), enfants sans père. A la dissolution d'une union pareille on ne peut exiger ni dot, ni donation. De plus, ceux qui contractent des noces prohibées subissent d'autres peines indiquées par les constitutions impériales.
Quand les conditions exigées pour les justes noces ne sont point remplies: lorsque quelque loi est violée ; soit parce que l'un des époux est impubère, parce qu'il n'y a pas consentement du chef de famille, parce qu'il n'y a pas connubium, alors l'union n'est point un mariage légitime, et partant il n'y a ni vir, ni uxor, ni dot, ni donation à cause de noces, ni puissance paternelle, puisque tous ces effets accompagnent seulement les justes noces. La nullité du mariage est donc la première peine qui frappe ces unions; de plus, tout ce qui avait été constitué en dot ou en donation est confisqué, et des peines sévères sont portées contre les coupables, si les noces sont entachées de bigamie ou d'inceste. Tout commerce coupable et contraire aux moeurs était désigné chez les Romains par le terme générique de stuprum. Quelles que fussent les circonstances plus ou moins aggravantes qui l'accompagnaient, soit qu'il y eût violence ou non, commerce entre un homme et une femme mariés, entre parents ou alliés au degré prohibé, le terme de stuprum, pris dans le sens le plus étendu, était appliquable dans tous ces cas; néanmoins, dans les deux derniers, on avait les expressions spéciales d'adultère (adulterium) et d'inceste (incestum).
(1) Nous ne dirons rien ici de ce crime hideux, contraire à la nature, si commun parmi les Romains, et dont les jurisconsultes et les lois étaient obligés de s'occuper. Il était compris aussi dans l'expression de stuprum. 1., et puni de mort. Inst. 4. 18. §4.
Les enfants produits d'un stuprum se nommaient spurii, ils étaient vulgairement conçus (vulgo concepti, vulgo quaesiti): aucune présomption de
paternité n'existait pour eux, et leur conception pouvait
vulgairement être attribuée à tout le monde. Dans leur
classe il faut ranger, d'après notre texte, les enfants issus
de noces contraires aux lois, et par conséquent nulles.
Et alias poenas. Les peines pour ces divers crimes ont
subi diverses variations, et étaient soumises à diverses distinctions,
que plus tard nous ferons connaître. Celles que
portent les Instituts sont : pour le stuprum sans violence,
la confiscation d'une moitié des biens, ou quelque peine
corporelle avec rélégation ; pour le stuprum avec violence,
la mort; de même pour l'adultère, la polygamie ou l'inceste.
Nous connaissons maintenant quelles sont les conditions
dont l'accomplissement constitue le mariage. Il nous
reste à traiter des effets et de la dissolution du mariage.
Effets des justes noces. Quant aux personnes, l'homme
prend le titre de vir, la femme celui de uxor. Le mari doit
protéger et entretenir sa femme; celle-ci partage ses honneur
et ses dignités); elle lui doit obéissance et respect ; elle n'a d'autre domicile que le sien. Nous parlerons
séparément de la puissance maritale (manus), qui
jadis accompagnait quelquefois les justes noces: —Les
enfants conçus pendant la durée du mariage sont au mari
(pater is est quem nuptioe demonstrant), et cette présomption
ne saurait être démentie que par des preuves certaines.
L'enfant est réputé conçu encore pendant le mariage, s'il n'est pas né plus de dix mois après sa dissolution.
La puissance paternelle accompagne toujours les justes
noces, et ce n'est même qu'à l'occasion de cette puissance
que les Instituts s'en occupent.
Quant aux biens, voici quelques idées générales, sauf à
les développer plus tard : ordinairement, par un contrat
dotal (instrumentum dotale), une dot (dos) était constituée
à la femme. On nommait ainsi les biens apportés au
mari pour soutenir les charges du mariage. Le mari était
censé être propriétaire de la dot; il en avait la jouissance; il
pouvait l'aliéner si elle consistait en objets fongibles, ou
mis à prix par le contrat, sinon il devait la conserver en
nature ; il ne pouvait aliéner ni hypothéquer les immeubles
dotaux, même avec le consentement de sa femme. A la
dissolution du mariage, il devait restituer la dot, et l'on
avait pour l'y contraindre une action (rei uxorioe actio).
Les autres biens de la femme non compris dans la dot se
nommaient paraphernaux (parapherna); la femme en restait
propriétaire, et le mari n'y avait de droits que ceux
qu'elle lui abandonnait.
— De son côté le mari faisait
ordinairement une donation (donatio propter nuptias), qui
avait pour but d'assurer le sort de la femme, des enfants,
de compenser en quelque sorte et de garantir la dot. La
femme n'avait de droit sur cette donation qu'à la dissolution
du mariage, ou bien pendant sa durée, si le mari
était forcé par le mauvais état de ses affaires de faire abandon
de ses biens à ses créanciers : la femme alors prenait pour elle et pour ses enfants la donation à cause de
noces.
Dissolution du mariage. Les noces étaient dissoutes par
la mort de l'un des époux, par la perte de la liberté, par
la captivité, par le divorce. De ces modes le dernier
seul demande quelque développement. —Les Romains n'avaient
ni sur la formation du mariage, ni sur sa dissolution
, les idées que nous en avons. Comme la plupart des
contrats les mariages se formaient par le consentement des
parties et un commencement d'exécution, de même ils se
dissolvaient, parce que, disait-on, tout ce qui a été lié est
dissoluble quoniam quidquid ligatur solubile est .
Aussi le divorce (divortium, repudium) remonte-t il, d'après
les historiens, à l'origine de Rome); il fut admis dans les
douze Tables, dont les dispositions à cet égard nous sont
inconnues. Cependant l'on a prétendu que, pendant
plus de cinq cents ans, nul mari n'osa en donner l'exemple jusqu'à Sp. Carvilius Ruga, qui fut contraint par les censeurs
à répudier sa femme pour cause de stérilité. Sans
discuter si cette opinion est bien fondée, on peut remarquer
que rien dans l'histoire n'indique que les Romains
aient abusé du divorce jusqu'aux dernières années de la
République, moment où la dissolution des moeurs se glissa
dans les familles; les titres de vir et d'uxor perdirent
leur dignité, et la durée d'un mariage ordinaire ne dépassa pas celle d'un consulat (1). Les lois d'Auguste,
Julia et Papia Poppea, commencèrent à diminuer ces
abus, et par la suite des constitutions impériales réglèrent
le divorce, en fixèrent les causes, et punirent ceux qui
étaient faits sans motif. — Le divorce pouvait avoir lieu
soit par le consentement des deux époux (bona gratia),
soit par la volonté d'un seul. Quant au premier cas, Justinien
lui-même dit qu'il n'est point nécessaire de s'en
occuper, parce que les conventions des parties leur servent
de règles (pactis causam sicut utriqué placuit gubernantibus). Quant au second, il fallait que la femme ou le
mari qui voulait répudier son conjoint, s'appuyât sur un
des motifs qui avaient été fixés, pour la première fois, par
Théodose et Valentinien ; le divorce fait sans cause
exposait celui des époux qui l'avait provoqué à des peines
établies par les mêmes empereurs, et consistant surtout
dans la perte de certains droits pécuniaires. Justinien
dans ses novelles confirma et étendit cette législation.
L'intervention d'aucun magistrat n'était nécessaire pour
opérer le divorce ; mais il ne pouvait se faire qu'en la présence
de sept témoins, et après que l'un des époux
avait envoyé à l'autre l'acte de répudiation (repudium mittere).
(1) Seneq. de Benef. lib. 3. c. 16. — Juven. sat. 6. v. 239. —
Cet acte contenait ces paroles passées en formule : tuas res tibi habeto , aie avec toi ce qui t'appartient:
tuas res tibi agito, fais tes affaires toi-même.
Après la dissolution du mariage, le mari pouvait en contracter
un nouveau sur-le-champ ; la femme ne le pouvait
qu'après l'année de deuil, sous peine d'infamie. Les
seconds mariages, qui avaient été prescrits par les lois
d'Auguste, furent, plus tard, réprouvés par les constitutions
impériales. La loi Papia ne donnait aux conjoints, pour
se remarier, que deux ans dans le cas de mort, un et demi
dans le cas de divorce; Théodose et Valeritinien infligèrent
à ceux qui se remariaient des peines pécuniaires,
et Justinien les imita. La législation d'Auguste avait
pour but la multiplicité des mariages et la propagation des
citoyens, celle de Théodose et de Justinien l'intérêt des
enfants du premier lit ; car, s'il n'en existait pas, le second
mariage n'exposait à aucune peine.
Du Concubinage.
Le concubinage (concubinatus) était le commerce licite
d'un homme et d'une femme, sans qu'il y eût mariage entre eux (licita eonsuetudo, causa non matrimonii).
Dans les moeurs des Romains le concubinage était permis,
même commun ; les lois le distinguaient du stuprum, et ne
le frappaient d'aucune peine (extra legis paenam est).
Mais on sent que, dès qu'une union était entachée de violence
ou corruption sur une personne honnête, dès qu'elle
était formée entre personnes mariées, entre parents ou
alliés au degré prohibé, elle n'était pas un concubinage,
mais bien un stuprum, adulterium, incestum (Puto solas eas
in concubinatu habere posse sine metu criminis, in quas
stuprum non committitur). Ainsi l'homme marié ne
pouvait avoir une concubine; ainsi on ne pouvait en
avoir plusieurs à la fois; c'eût été un libertinage que les
lois ne pouvaient tolérer.
Le concubinage n'avait rien d'honorable, surtout pour
la femme; aussi ne prenait-on guère pour concubine que
des affranchies, des femmes qui étaient de basse extraction
ou qui s'étaient prostituées (In concubinatu potest esse et aliena liberta et ingenua : maxime ea quoe obscuro loco nata
est, vel quoestum corpore fecit). Quant à une femme ingénue
et honnête, on devait la prendre comme épouse (uxorem
eam habere);on du moins, si l'on ne la voulait que comme
concubine ,on devait attester ce fait par un acte formel,
sinon le commerce avec elle eût été un stuprum. Mais
cette femme, consentant à être concubine, perdait sa considération,
le titre honorable de mater familias, de matrona. Marcellus même ne parle d' elle qu'à l'occasion des
femmes qui vivent honteusement.
Le concubinage n'était nullement un mariage; ainsi il
n'y avait ni vir, ni uxor, ni dot, ni puissance paternelle.
Ainsi on pouvait prendre pour concubines des femmes qu'on
n'aurait pu épouser, des femmes de mauvaise vie, des
actrices, des femmes surprises en adultère; l'administrateur
d'une province pouvait y prendre une concubine,
et non une épouse. Ainsi le concubinage ne produisait
pas de lien ; il cessait, à quel qu'époque que ce fût, par la
volonté des deux parties ou d'une seule; sans qu'il y eût
divorce, ni qu'il fût nécessaire d'envoyer d'acte de répudiation.
Il pouvait aussi être transformé en justes noces,
s'il n'y avait pas d'empêchement. — Quoiqu'il ne fut
point un mariage, il produisait néanmoins un effet par
rapport aux enfants: il indiquait la paternité. Ces enfants
n'étaient point justi liberi, puisqu'il n'y avait pas justes
noces; mais ils n'étaient pas non plus spurii, vulgo concepti: on les nommait naturales liberi; ils avaient pour
père l'homme vivant en concubinage avec leur mère. La
qualité de fils naturel ne les plaçait pas dans la famille de
leur père, ne leur donnait aucun droit de succession sur
ses biens mais elle leur permettait d'être légitimés.
On pourrait sous quelques rapports les comparer à nos enfants
naturels reconnus. Il est à remarquer qu'à l'égard de
la mère, comme sa maternité est toujours constante, comme elle n'a de puissance paternelle sur aucun enfant,
il ne pouvait y avoir guère de différence entre les enfants
justi, naturales ou spurii.
Nulle formalité, en règle générale, n'était observée
pour se mettre en concubinage ; et comme il en était de
même pour contracter un mariage; comme dans les deux
unions il y avait cohabitation avec une seule femme, à laquelle
on pouvait s'unir sans crime, il s'ensuit que la concubine
ne se distinguait de l'épouse que d'après l'intention
des parties (sola animi destinatione), la seule affection
de l'homme (solo dilectu ), la seule dignité de la femme
( nisi dignitale ). Mais qu'on ne s'imagine point que
cette différence fût difficile à établir. La manière d'être
dans la famille et dans la société distinguait bien le
concubinage des justes noces. D'ailleurs, dans une infinité
de
cas, ou ne pouvait se tromper. S'agissait-il d'une
femme qu'on n'aurait pu épouser, surprise en adultère,
domiciliée dans la province et vivant avec l'administrateur,
etc., il n'y avait aucun doute, elle n'était que concubine.
S'agissait-il d'une femme ingénue et honnête, pas
de doute encore, puisqu'elle ne pouvait vivre en concubinage
sans que la chose fût attestée par un acte manifeste.
Enfin s'agissait-il d'une femme de mauvaises moeurs,
on présumait qu'elle était en concubinage. L'acte dotal
qui accompagnait ordinairement les justes noces était encore
un indice.
13. Aliquando ut liberi qui, statim ut nati sunt, in potestate parentum non sunt, postea tamen edigantur in potestatem : qualis est is qui, dum naturalis fuerat, postea curiae datus, potestati patris subjicitur; necnon is qui, à muliere libera procreatus, cujus matrimonium minime legibus interdictum fuerat, sed ad quam pater consuetudinem habuerat, postea ex nostra constitutione dotalibus instrumentis compositis, in porestate patris efficitur. Quod et alliis liberis, qui ex eodem matrimonio postea fuerint procréati, similiter nostra coustitutio praebuit.
13. Il arrive quelquefois que des enfants; qui dès leur naissance ne sont point sous la puissance des ascendants, sont amenés par la suite sous cette puissance. Tel est celui qui, né enfant naturel, donné ensuite à la curie, devient soumis du pouvoir de son père; tel est encore celui qui est né d'une mère libre, dont le mariage n'était prohibé par aucune loi , mais avec laquelle le père n'avait eu qu'un commerce, et qui par la suite, l'acte dotal étant dressé conformément à notre constitution, se trouve sous la puissance du père. Ce que notre constitution a pareillement accordé aux autres enfants qui naîtraient par la suite du même mariage.
Les enfants issus de justes noces sont légitimes, soumis
au pouvoir paternel ; mais les enfants nés hors justes noces
sont hors de la puissance et de la famille du père. N'existait-il pas des moyens pour les ramener sous cette puissauce et les assimiler aux enfants légitimes? Sous la République
aucun acte n'a eu ce but spécial. Il est vrai que,
lorsqu'on accordait les droits de cité à un étranger et à ses enfants ceux-ci dès cet instant étaient regardés comme
issus de justes noces et entraient sous le pouvoir de leur
père; mais cet effet n'était qu'une conséquence accessoire
des droits de cité qu'on leur accordait. La loi Aelia Sentia et la loi Junia, sous Auguste, introduisirent quelques
modes pour faire entrer au pouvoir du père des enfants
qui n'y étaient pas; mais ces modes étaient particuliers
à certains cas; ils se rattachaient encore aux droits de cité
et à la législation sur les affranchis latins : ils tombèrent
en désuétude avec cette législation.
C'est sous Constantin que parut le premier moyen général
de rendre légitimes et de mettre au pouvoir du père des enfants naturels. Cette partie de la législation se développa
sous les empereurs suivants. A l'époque des Instituts,
on pouvait parvenir à ce résultat par deux moyens :
par mariage subséquent, ou par oblation à la curie. Justinien
dans ses Novelles en ajouta deux autres, par rescrit
du prince, par testament. — On donne de nos jours le nom
de légitimation à cet acte par lequel les enfants naturels
sont rendus légitimes (justi, legitimi efficiuntur). Quoique
ce mot ne fût point consacré dans les lois romaines, on
peut l'employer, parce qu'il exprime fort bien la chose.
Nous allons examiner successivement les divers modes de
légitimation. Une observation générale, c'est qu'on ne
pouvait légitimer que des enfants issus d'un concubinage,
et non les enfants spurii, puisqu'ils n'avaient pas de père
connu aux yeux de la loi.
Légitimation par mariage subséquent. Elle a lieu lorsqu'un
homme, ayant des enfants d'une concubine, épouse
cette dernière et transforme le concubinage en justes
noces. Elle fut introduite par Constantin ( an. 355 de
J. C.). Zenon (476 de J. C), dans une constitution citée
au Code, déclara que cette légitimation ne pourrait s'appliquer
qu'aux enfants naturels déjà existants lors de la
publication de sa loi ; son but était d'engager les personnes
vivant en concubinage à se hâter de contracter mariage:
si elles avaient des enfants, afin de les légitimer: si elles
n'en avaient pas, dans la crainte de ne pouvoir légitimer
ceux qui surviendraient. Mais Justinien rétablit en
principe général ce mode de légitimation. Les conditions nécessaires pour que la légitimation eût
lieu étaient: — 1° qu'au moment de la conception des
enfants, le mariage entre le père et la mère ne fût défendu
par aucune loi (cujus matrimonium minime legibus interdictum fuerat ). Quelques commentateurs, il est vrai, entendent
simplement par ces mots que le mariage devait
être possible au moment où l'on voulait légitimer les enfants;
mais ce sens tout-à-fait insignifiant n'est pas celui
de la loi; et, dans sa paraphrase Théophile dit clairement :
« J'ai eu commerce avec une femme qu'aucune loi ne me
défendait de prendre pour épouse, ma volonté seule y manquait,
j'en ai eu un fils, etc ». —2° Qu'on dressât un acte
contenant la constitution de dot (dotalibus instrumentis
compositis), ou simplement servant à constater le
mariage (instrumenta nuptialia; nuptiales tabulae.)
Un pareil acte n'était pas nécessaire à la validité du mariage
; mais il l'était à la légitimation., afin de marquer sans
aucun doute l'instant où, le concubinage se changeant en
justes noces , cette légitimation avait lieu. Du reste aucun
texte de loi n'exigeait que les enfants fussent inscrits sur
cet acte de mariage;— 3°que les enfants ratifiassent la légitimation
(hoc ratum habuerint), car ils ne pouvaient malgré
eux être soumis à la puissance paternelle; rien n'empêchait
que les uns y consentissent et que les autres
refusassent. C'est dans la novelle 89. ch. 11 que Justinien,
pour la première fois, énonce formellement ces principes,
qui d'ailleurs étaient reconnus.
Quod et aliis liberis. L'effet des justes noces contractées
en place du concubinage s'étend et sur les enfants déjà nés, et sur ceux qui naîtront par la suite. Les premiers de
naturels qu'ils étaient deviennent légitimes ; et les seconds,
au lieu de naître naturels, naîtront légitimes. Aussi tous
ceux du Code, ne manquent-ils pas d'indiquer ce double
résultat (vel ante matrimonium vel postea progeniti.... —
Sive ante dotalia instrumenta editi sint, sive postea). (1)
(1) C. 5. 27, 1. 5 et 10. Cependant ces expressions du texte quod et aliis liberis, qui ex eodem matrimonio fuerint procreati, similiter nostra constitutio praebuit, ont généralement été considérées comme corrompues, parce que, dit-on, les enfants nés après le mariage n'ont aucun besoin qu'on leur accorde une légitimité qu'ils ont de droit. En conséquence, on a présenté plusieurs corrections plus ou moins raisonnables; Cujas dit: Quod et si alii liberi, ex eodem matrimonio fuerint procreati , etc.; Hotomam Quod etsi alii liberi nulli ex eodem matrimonio fuerint procreati; etc. Mais la plus ingénieuse et la plus simple est celle de Bynkersh qui ne change absolument qu'une seule lettre : Quod ut aliis liberis, etc., et le sens serait alors celui-ci : ce que notre constitution leur accordé aussi bien qu'aux autres enfants qui naîtraient du même mariage. Cette correction devrait sans doute être admise, si elle était indispensable, et si d'ailleurs on pouvait se laisser aller facilement à corriger des textes. Mais les passages du Code que nous ayons cités dans notre explication prouvent que, dans plus d'un endroit, les empereurs ont parlé de la légitimité produite par les noces pour les enfants nés soit avant, soit après. La paraphrase de Théophile vient encore dissiper les doutes : non seulement, dit-il, ceux qui sont nés avant l'acte dotal, mais encore ceux qui surviendraient ensuite, seront soumis à ma puissance. Ainsi le texte doit rester tel qu'il est. Cela posé, faut-il l'entendre comme n'ayant voulu parler que de l'enfant conçu avant le mariage et né depuis, parce que cet enfant a besoin de légitimation? C'est une opinion ingénieuse, indiquée par un ancien commentateur; mais, outre qu'elle particulariserait une loi générale, une observation suffit pour la détruire : les Instituts et Théophile parlent de plusieurs enfants nés après ce mariage; or, si on n'avait fait allusion qu'à l'enfant conçu avant et né après, on n'aurait parlé que d'un enfant, comme dans la loi 11 au Code 5.27. et dans la novelle 89. c. 8. ; car, à moins de jumeaux, il ne saurait se trouver plus d'un enfant dans ce cas.
Parmi ces derniers, il faut comprendre l'enfant conçu avant mais né après la confection de l'acte dotal. Ayant été conçu hors mariage, il dévrait être naturel; mais la légitimation s'appliquant à lui, il naît légitime. — Du reste, il n'est nullement nécessaire, pour que la légitimation ait lieu, qu'il naisse des enfants après la confection de l'acte dotal. Cette question même ne se serait point présentée si quelques expressions équivoques d'une constitution de Justinien, ne l'avaient fait naître. Mais cet empereur se hâta de faire disparaître le doute, en déclarant que les enfants naturels seraient légitimés, soit qu'il naquît des enfants postérieurs au mariage, soit qu'il n'en naquît point, soit que ceux qui naîtraient vinssent à mourir. On pouvait légitimerpar mariage subséquent les enfants issus d'une concubine affranchie, aussi bien que ceux issus d'une concubine ingénue. Bien plus, un maître sans enfant légitime, mais ayant eu des enfants de son esclave, pouvait, d'après une novelle de Justinien, affranchir la mère, l'épouser, et par cela seul les enfants devenaient libres et légitimes: c'est une dérogation au principe qu'on ne petit légitimer que les enfants dont on aurait pu épouser la mère au moment de la conception. Légitimation par oblation à la curie. Nous avons développé longuement ce que c'était que les curies, les curiaux et les décurions. Nous savons que les curiaux formaient le premier ordre de la ville, jouissaient de plusieurs priviléges, mais que leur rang les assujettissait à plusieurs obligations onéreuses, que l'on cherchait souvenit à éviter. Nous savons que le titre de curial se transmettait du père aux fils légitimes ; que les citoyens riches pouvaient se faire agréer par la curie, eux ou leurs enfants, et entrer ainsi dans la classe des curiaux. Mais le père qui voulait procurer cet honneur à ses fils devait leur assurer une fortune qui les rendît capables d'y aspirer. Les enfants naturels d'un père curial ne succédaient pas à son titre. D'un autre côté, ils étaient, incapables de recevoir par le testament de leur père au delà d'une certaine portion déterminée. Theodose et Valentinien. ( an 442 de J. C.) déclarèrent les premiers que, si un citoyen, curial ou non, n'avait que des enfants naturels, ils lui permettaient d'offrir à la curie de sa ville ceux de ses enfants qu'il voudrait, et en conséquence de leur donner, par donation ou par testament, même la totalité de ses biens; que pareillement, si une fille naturelle épousait un curial, elle deviendrait par là capable de recevoir même la totalité des biens de son père. Le but de ces empereurs était, dans le premier cas, d'engager de nouvelles personnes à entrer dans la classe des curiaux ; dans le second cas, d'accorder une faveur aux curiaux déjà existants ( ut novos lex faciat curiales, aut foveat quos invenit). Il paraît que cette institution se développa; l'enfant naturel offert à la curie acquit des droits de succession même ab intestat, comme s'il était légitime ; il passa sous la puissance paternelle (legitimus mox fiet, naturalium jure omnino liberatus); et l'oblation à la curie devint un mode de légitimation. Justinien le confirma, et ne le permit pas seulement, comme on avait fait jusqu'alors, à ceux qui n'avaient que des enfants naturels , mais même à ceux qui avaient déjà d'autres enfants légitimes. Une chose particulière à ce mode de légitimation, c'est que l'enfant, quoiqu'il passât sous la puissance du père, n'acquérait des droits que par rapport à ce dernier, et aucun sur ses agnats et ses cognats, de telle sorte qu'on peut dire qu'il n'entrait pas dans la famille, chose qui eût été inconciliable d'après les principes rigoureux de l'ancien droit, car on ne pouvait être sous la puissance du père sans être dans sa famille. —Il ne faut pas croire que l'oblation à la curie fût un mode de légitimation a la portée de tout le monde ; il n'était que pour les personnes riches. Il ne faut pas croire non plus que les enfants offerts à la curie se trouvassent dans une position subalterne et comme servile ; ils entraient dans la classe des curiaux, et devaient remplir à leur tour les fonctions de décurions. L'oblation à la curie avait pour effet de leur donner à la fois un titre honorable, quoique pénible, et la fortune de leur père (curiae splendore honestate, et hereditatis opibus adjuvare). Une infinité de textes, outre celui que nous venons de citer, font foi de l'honneur qu'on y attachait (Illustris ordine civitatis illuminet. — Municipalibus eum voluit aggregare muneribus et donare patriae principalem — nostrae civitatis curiae principalem, etc.) Du reste les enfants ne pouvaient être légitimés malgré eux, pas plus par oblation à la curie que par mariage subséquent. Légitimation par rescrit. Ce mode fut introduit par Justinien dans la novelle 74. Il consistait à obtenir de l'empereur un rescrit permettant la légitimation ; mais il fallait, pour avoir cette permission, que le père qui la demandait n'eût aucun enfant légitime, et qu'il lui fût impossible d'épouser la mère de ses enfants naturels, soit qu'elle fût morte, qu'elle eût disparu, ou pour toute autre raison valable. Légitimation par testament. Si un père, n'ayant que des enfants naturels, ne les a point légitimés de son vivant, et qu'en mourant il ait, dans son testament, exprimé le désir et obtenir de lui le rescrit permettant leur légitimation : ils se trouveront ainsi des héritiers de leur père. L'adoption avait été, d'après une constitution d'Anastase, un moyen de légitimer les enfants naturels ; mais Justin abrogea cette constitution, et Justinien confirma cette abrogation.
TIT. XI.
DE ADOPTIONIBUS.
Non solum autem naturales liberi secundum ea quae diximus, in potestate nostra sunt, verum etiam ii quos adoptamus.
En notre puissance sont non seulement les enfants naturels, comme nous l'avons dit ; mais encore les personnes que nous adoptons.
Ce n'est que comme d'un acte produisant le pouvoir paternel que Gaïus, Ulpien et les Instituts traitaient de l'adoption. L'adoption, dès son origine, avait pour but d'introduire une personne dans sa famille et d'acquérir sur elle la puissance paternelle. L'adopté sortait de sa famille naturelle, y perdait tous ses droits d'agnation, et par conséquent de succession, y devenait étranger aux dieux domestiques et aux choses sacrées ; mais il entrait dans la famille de d'adoptant ; les droits d'agnation et de succession dans cette famille lui étaient acquis, les dieux lares et les choses sacrées lui devenaient communs. Il prenait le nom de l'adoptant, et ne conservait celui de son ancienne maison qu'en le transformant en adjectif par la terminaison ianus: Scipio Aemilianus, Scipion Émilien ; Cesar Octavianus; César Octavien . Les adoptions, comme dit Cicéron, entraînaient le droit de succéder au nom, aux biens et aux dieux domestiques. L'adoption se classe parmi les anciennes institutions de Rome. On voit dans l'histoire plus d'une famille puissante près de s'éteindre faute d'enfants, être ravivée par une adoption. Cet acte était beaucoup plus fréquent qu'il ne l'est de nos jours. Cependant l'on considérait comme ayant mérité moins bien de la patrie celui qui ne lui avait pas donné d'enfant par lui-même et qui avait eu recours à une paternité fictive. Le mot adoption était un terme générique. Il y avait deux espèces d'adoption : l'adrogation qui s'appliquait aux chefs de famille sui juris ; l'adoption, proprement dite, qui s'appliquait aux enfants de famille alieni juris. Elles différaient parieurs formes et par leurs effets. L'adrogation faisait passer sous la puissance d'autrui, un chef de famille avec tous ses biens et toutes les personnes qui lui étaient soumises. La maison dont il était chef se confondait dans celle de l'adrogeant; il n'était plus inscrit sur le cens comme père de famille, mais seulement comme fils ; il perdait ses dieux domestiques et entrait dans les choses sacrées de sa nouvelle famille (in sacra transibat) ; ces changements, importants pour la cité et pour la religion, avaient exigé le consentement du peuple et l'approbation du collége des pontifes (1) ; aussi l'adrogation n'avait-elle lieu qu'en vertu d'une loi curiate ( populi auctoritate ). On demandait dans les comices à l'adrogeant s'il voulait prendre un tel pour son fils légitime ; à l'adrogé s'il voulait le devenir ; au peuple s'il le permettait, et alors, si toutefois le collége des pontifes ne s'y opposait pas, l'adrogation avait lieu.
(1) Il ne paraît pas que, sous la République, des lois spéciales réglassent les conditions de l'adoption ; mais on suivait pour cet acte un droit d'usage et la décision du collége des pontifes. Nous trouvons dans Cicéron un passage relatif à cette matière. Un sénateur, Clodius, voulant entrer dans l'ordre des plébéiens, afin de devenir tribun, s'était donné en adrogation à un plébéien, qui était plus jeune que lui.
C'est même de ces diverses interrogations que vient le nom d'adrogation. Il est vrai de dire que, même peu de temps après les douze Tables, à l'époque où les assemblées par curies n'eurent plus lieu que fictivement cette loi curiate devint une simple formalité ; trente licteurs représentaient chacune des curies , et, sous la présidence d'un magistrat, donnaient leur adhésion à l'adrogation. L'adoption proprement dite avait pour effet de faire passer un fils d'une famille dans une autre. Toute la puissance paternelle de celui qui donnait en adoption était éteinte en lui et transmise au chef qui adoptait. On conçoit par là que les formes de cette adoption devaient être des formes propres d'un côté à l'extinction, de l'autre à la cession de la puissance paternelle. Elle se composait de la vente solennelle nommée mancipatio, alienatio per aeset libram, et de la cession en justice (in jure cessio). La mancipation, qui devait être répétée trois fois pour un fils mâle au premier degré servait à détruire la puissance paternelle, conformément à la loi des douze Tables ) ; la cession en justice servait à faire déclarer par le magistrat que l'enfant appartenait en qualité de fils à l'adoptant. Dans les derniers temps de la République s'introduisit l'usage de déclarer dans son testament que l'on considérait tel individu comme son fils. C'est ainsi que Jules César adopta Octave; et plus d'un empereur suivit cette méthode: mais, pour que cette adoption eût son effet, on avait soin de la faire ratifier par un plébiscite ; du reste elle ne pouvait produire de puissance paternelle, puisque l'adoptant était mort; elle donnait seulement des droits de succession, comme si cette puissance avait eu lieu. A l'époque de Gaius et d'Ulpien les conditions des adoptions avaient été développées par des sénatus-consultes, des constitutions, et surtout par les écrits des jurisprudents; quant aux formes, elles étaient encore telles que nous venons de les exposer. On pourrait s'étonner que l'adrogation se fît par l'autorité du peuple (per peputum; auctoritate populi),tandis que cette autorité s'était évanouie, et qu'aucune assemblée n'avait plus lieu ; cependant en rappelant qu'on n'employait qu'une cérémonie fictive, qui avait fort bien pu survivre à la République, tout étonneinent cessera. Du reste cette fiction disparut elle-même par la suite, et les adrogations finirent par être faites en vertu d'un rescrit impérial. —Nous allons maintenant examiner sur ce sujet la législation de Justinien d'après les Instituts.
1. Adoptio autem duobus modis fit, aut principali rescriplo, aut imperio magistratus. Imperatoris auctoritate adoptare quis potest eos easve, qui quaeve sui juris sunt : quae species adoptionis dicitur adrogatio. Imperio magistratus adoptamus cos easve, qui quaeve in potestate parentum sunt ; sive primum gradum liberorum obtineant, qualis est filius, filia; sive inferiorem, qualis est nepos, neptis, pronepos, proneptis.
1. L'adoption se fait de deux manières : par rescrit du prince ou par la puissance du magistrat. Avec l'autorisation de l'empereur, on adopte les hommes ou les femmes maîtres d'eux-mêmes, espèce d'adoption qui se nomme adrogation; par la puissance du magistrat, les enfants soumis à la puissance paternelle: qu'ils soient au premier degré comme le fils, la fille; ou à un degré inférieur, comme le petit-fils , la petite-fille, l'arrière-petit-fils ou petite-fille.
Principali rescripto. L'adrogation, sous Justinien, resta, à peu de chose près, telle qu'elle était dans sa forme, dans ses conditions, dans ses effets. Elle se faisait par rescrit du prince, qui ne devait donner son autorisation qu'en connaissance de cause (causa cognita). On examinait si l'adoptant n'avait pas moins de soixante ans, et s'il n'avait pas déjà d'autres enfants naturels ou adoptifs ; car on ne devait pas en général permettre l'adoption à celui qui pouvait encore avoir des enfants par lui-même, ou qui en avait déjà. Cependant des motifs tels qu'une maladie, le désir d'adopter un parent, auraient pu faire obtenir l'autorisation impériale.
Imperio magistratus. Justinien modifia l'adoption proprement dite, et dans sa forme et dans ses effets. Dans sa forme, car supprimant et la mancipation et la cession en justice, l'empereur décida qu'il suffirait de faire dresser devant le magistrat compétent, en présence des parties, un acte constatant l'adoption, avec le consentement réuni de celui qui donnait, de celui qui prenait, et de celui qui était donné en adoption. Cependant de la part de ce dernier il suffisait qu'il n'y eût point d'opposition ( eo qui adoptatur non contradicente ) , d'où il suit qu'on pouvait donner en adoption même des enfants ne parlant pas encore (etiam infantem ). Quant aux changements apportés dans les effets de l'adoption, ils sont exposés au paragraphe suivant.
2. Sed hodie es nostra constitutione, cum filiusfamilias a patre naturali extraneoe personae in adoptionem datur, jura patris naturalis minime dissolvuntur, nec quicquam ad patrem adoptivum transit, nec in potestate ejus est, licet ad intestato jura successionis ei a nobis tributa sint. Si vero pater naturalis non extraneo, sed avo filii sui materno; vel si ipse pater naturalis fuerit emancipatus, etiam avo paterno vel praavo simili modo paterno vel materno filium suum dederit in adoptionem : hoc casu, quia concurrunt in unam personam et naturalia et adoptionis jura, manet stabile jus patris adoptivi, et naturali vinculo copulatum, et legitimo adoptionis modo constrictum, ut et in familia et in potestate hujusmodi patris adoptivi sit.
2. Mais aujourd'hui, d'après notre constitution, le père naturel, lorsqu'il donne son fils de famille en adoption à une personne étrangère, ne perd aucun de ses droits; rien n'en passe au père adoptif, et l'enfant n'est pas en puissance de ce dernier, bien que nous lui accordions des droits de succession ab intestat. Au contraire, lorsque l'enfant est donné en adoption par son père naturel non pas à un étranger, mais à son aïeul maternel, ou bien , s'il est né d'un fils émancipé, à son aïeul paternel, ou même à son bisaïeul paternel ou maternel, alors, comme sur la même personne se réunissent les droits que donne la nature et l'adoption, nous laissons au père adoptif tous ses droits fondés sur un lien naturel, et légalement établis par l'adoption, de sorte que l'enfant passera sous sa puissance et dans sa famille.
Extraneae personae. En vertu de ces changements apportés
par Justinien, il faut distinguer pour l'adoption proprement
dite deux cas : 1°. celui où un fils est donné en
adoption par son père à un étranger ( extraneo ) ; par
étranger, on entend quelqu'un qui n'est point ascendant
: 2° celui où il est donné à un ascendant. — Dans
le premier cas, l'adoption perd totalement son caractère
primitif ; l'enfant ne passe plus sous la puissance paternelle
de l'adoptant, il n'entre pas dans la famille adoptive,
et n'y acquiert aucun droit d'agnation. Tous les
effets de l'adoption se réduisent à établir dans les moeurs
une sorte de relation fictive de paternité et de filiation
entre l'adoptant et l'adopté, et à donner à ce dernier
un droit de succession ab intestat sur l'hérédité de
l'adoptant. Il est important de remarquer ces mots:
droit de succession ab intestat. L'adopté ne succédera
que s'il n'y a pas de testament; si l'adoptant en fait un
il sera libre de ne laisser à l'adopté que ce qu'il voudra ,
il pourra même ne lui rien donner : chose qui n'aurait pas
lieu si la puissance paternelle avait été produite,
car nous verrons qu'un fils légitime ne pouvait être
dépouillé totalement de l'hérédité paternelle, Mais,
précisément parce qu'il n'entrait pas dans la famille de
l'adoptant, l'enfant donné en adoption ne sortait pas de
sa famille naturelle, et n'y perdait aucun de ses avantages;
d'où il résultait quil avait à la fois sur l'hérédité
du père naturel les droits de fils légitime, et sur celle
du père adoptif des droits ab intestat. Quel était le but
de ces modifications? Justinien les expose dans sa constitution: anciennement l'enfant sortant de la famille
paternelle y perdait ses droits ; s'il était ensuite renvoyé
par émancipation de la famille adoptive, il perdait encore
ses droits, et se trouvait ainsi dépouillé des deux
côtés. Les préteurs avaient bien cherché à parer cet inconvénient;
ils l'avaient fait, mais seulement en partie, et Justinien voulut le faire disparaître totalement.
—
Lorsque le chef de famille avait donné en adoption
non pas son fils, mais son petit-fils, sa petite-fille, tout
ce que nous venons de dire s'appliquait aussi, mais avec
quelque restriction ; car si l'aïeul venait à mourir à une
époque où le petit-fils, la petite-fille ne se trouvaient
pas ses héritiers, parce qu'ils étaient précédés dans la
famille par leur père, alors n'ayant pas eu de succession
dans la famille naturelle , ils conservaient intacts les
droits que donnait jadis l'adoption dans la famille
adoptive.
Non extraneo. C'est à dire à un ascendant. C'est une chose bien remarquable : chez les Romains, il arrivait
qu'un aïeul, qu'un père même adoptait son propre fils.
Pourquoi ? parce qu'il arrivait souvent qu'un aïeul, qu'un
père n'avaient point la puissance paternelle sur leur
petit-fils, leur fils, et le seul moyen de l'acquérir était
l'adoption. Des exemples éclairciront la matière.
Premier exemple: Jamais un aïeul maternel n'avait sous
sa puissance et dans sa famille les enfants de sa fille ;
s'il voulait les acquérir et leur donner des droits de succession,
il fallait qu'il les obtînt en adoption de son gendre.
— Deuxième exemple : Un chef de famille a émancipé
son fils ; celui-ci s'est marié et a eu des enfants,
ces enfants, nés après l'émancipation, ne sont point
en la puissance de leur aïeul. Si ce dernier veut les acquérir
il faut qu'il les reçoive en adoption.
— Troisième
exemple : Un chef de famille a sous sa puissance son fils
et les enfants de ce dernier; il émancipe le fils et retient
les enfants. Le père émancipé se trouve n'avoir pas
sous sa puissance ses propres fils; s'il veut les acquérir
et leur donner des droits , il faut qu'il les obtienne en
adoption de leur aïeul.—Dans tous ces cas et autres
semblables, on voit que l'adoption faite par l'ascendant
n'a pour but que d'acquérir la puissance paternelle, et
de donner à l'enfant des droits de succession légitime.
Aussi Justinien lui conserve-t-il ses effets ; la puissance
paternelle se trouve comme autrefois détruite pour celui
qui donne en adoption, et transportée à l'ascendant qui
reçoit. D'ailleurs cet ascendant étant déjà uni à l'adopté par les liens du sang, on n'a pas à craindre qu'il l'émancipe
sans raison, et le dépouille de son hérédité. C'est le
motif principal qu'indique Justinien.
3. Cum autem impubes per principale rescriptum adrogatur, causa cognita adrogatio permittitur, et exquiritur causa adrogationis an honesta sit, expediatque pupillo. Et cum quibusdam conditionibus adrogatio fit, id est, ut caveat adrogator personoe publicae, si intra pubertatem pupillus decesserit, restituturum se bona illis qui, si adoptio facta non esset, ad successionem ejus venturi essent. Item non aliter emancipare eum potest adrogator, nisi causa cognita dignus emancipatione fuerit, et tunc sua bona ei reddat. Sed et si decedens pater eum exheredaverit, vel vivus sine justa causa emancipaverit, jubetur quartam partem ei bonorum suoruin relinquere, videlicet, praeter bona quaead patrem adoptivum transtulit, et quorum commodum ei postea adquisivit.
3. L'adrogation d'un impubère, faite par rescrit du prince, ne se permet qu'en connaissance de cause: On recherche si le motif en est honnête, et s'il est avantageux au pupille; encore l'adoption ne se fait-elle qu'avec certaines conditions que voici : l'adrogéant doit donner caution à une personne publique; que, si le pupille meurt avant la puberté, il restituera ses biens à ceux qui, sans l'adoption, lui eussent succédé ; de même, il ne peut l'émanciper qu'en prouvant au magistrat qu'il a mérité l'émancipation: et alors il doit lui rendre ses biens. S'il vient à le déshériter en mourant, ou à l'émanciper de son vivant sans motif, il sera condamné à lui laisser le quart de ses propres biens, en sus, bien entendu, de ceux que le pupille lui a transférés au moment de l'adoption ou acquis par la suite.
Impubes. De tout temps on avait pu adopter devant
le magistrat, les femmes comme les hommes, les impubères comme les pubères. Mais on ne pouvait
d'après l'ancien droit, ni les femmes, ni les impubères.
Une constitution. d'Antonin le Pieux permit l'adrogation
des impubères. Quant à celle des femmes, Gaius
nous dit qu'elle n'était point permise de son temps ;
ellene l'était point non plus sous Ulpien dont voici les termes:
Per populum vero Romanum feminae quidem non adrogantur.
Pupilli antea quidem non poterant; nunc autem
possunt ex constitutione divi Antonini Pii. Mais un
fragment du Digeste nous apprend que, sous Justinien,
l'adrogation des femmes était permise comme celle des
hommes : Nam et feminae. ex rescripto principis adrogari
possunt. Ainsi les femmes et les impubères pouvaient
être adrogés, en observant pour ces derniers certaines
conditions.
An honesta sit, expediatque pupillo. Lorsqu'il s'agissait
de l'adrogation d'un impubère, il fallait, outre les recherches
ordinaires, examiner si c'était une
affection honnête qui faisait agir l'adrogeant : considération
qui, d'après les moeurs des Romains et des Grecs, ne
doit point nous étonner ;
quelle était la conduite et la
réputation de cet adrogeant ; quelle était sa fortune et
celle du pupille comparée à la sienne ; en un mot
si l'adrogation était honorable et avantageuse au pupille.
(1) Ce fragment est attribué par les compilateurs du Digeste à Gaius; mais c'est évidemment une de ces altérations dont nous avons parlé . Tribonien et ses collaborateurs, voulant changer sur ce point l'ancien droit, font dire à Gaius le contraire de ce qu'il avait dit.
Cum quibusdam conditionibus. Ces conditions avaient toutes pour but d'empêcher que le pupille, au lieu de trouver un avantage dans l'adrogation , y rencontrât la perte de sa fortune. En effet, il apportait dans la famille de l'adrogeant tous ses biens, conformément aux règles de la puissance paternelle, et l'on ne voulait point qu'il les perdît. Or il pouvait arriver plusieurs cas : 1° que le pupille mourût avant sa puberté ; 2° qu'il fût émancipé ou déshérité sans motif avant sa puberté ; 3° qu'il fût émancipé ou déshérité avec un juste motif avant sa puberté ; 4° qu'il atteignît sa puberté sans aucun de ces événements. Dans le premier cas, l'adrogeant, au lieu de garder les biens du pupille, devait les rendre à ses héritiers naturels; dans le deuxième cas, les biens devaient être rendus au pupille lui-même, plus le quart des propres biens de l'adrogeant, parce que ce dernier n'avait pas dû se faire un jeu de l'adrogation en émancipant ou déshéritant, sans motif. Ce quart se nommait quarte Autonine, parce que Antonin est, comme nous l'avons dit, l'auteur de ces dispositions. Dans le troisième cas, l'adrogé reprenait seulement tous ses biens. Enfin , dans le quatrième, étant arrivé à la puberté, il pouvait réclamer contre son adrogation, et s'il prouvait qu'elle lui était défavorable, il était émancipé et reprenait tous ses droits. S'il ne réclamait pas, ou si sa réclamation n'était point admise, l'adrogation se trouvait confirmée et produisait tous les effets ordinaires.
Caveat personae publicae. On désigne par ces mots des personnes chargées dans chaque cité de tenir les registres publics ( tabulae), sur lesquels devaient être inscrits plusieurs actes, tels que certaines donations, certains cautionnements. Ces espèces de greffiers se nommaient tabulant. Théophile dit aussi, dans sa paraphrase, que l'adrogeant doit donner caution à une personne publique.On donnait autrefois ces fonctions à des esclaves publics, ou à des esclaves particuliers avec le consentement de leur maître. C'est pour cela que les fragments d'Ulpien et de Marcellus, cités au Digeste, portent servo publico. Mais Arcadius et Honorius exigèrent qu'elles ne fussent données qu'à des hommes libres.
4. Minorem natu, majorem non posse adoptare placet. Adoptio enim haturam imitatur ; et pro moristro est, ut major sit filius quam pater. Debet itaque is, qui sibi filium per adoptinem vel adrogationem facit plena pubertate, id est, decem et octoannis praecedere.
4. Nul ne peut adopter un plus âgé que soi ; car l'adoption imite la nature, et il est contre nature que le fils soit plus âgé que le père. Celui qui se donne un fils par adoption ou par adrogation doit donc avoir de plus que lui la puberté pleine, c'est à dire dix-huit ans.
Plena pubertate. Pour les hommes, la puberté proprement dite était fixée, nous le savons, à quatorze ans; à dix-huit arts, la puberté pleine, ainsi nommée parce qu'à cet âge elle avait acquis tout son développement même chez les personnes les plus tardives. Nous ne trouvons, relativement à l'âge de l'adoptant et de l'adopté ; d'autre règle que celle de ce paragraphe. Nous savons qu'un impubère ; même enfant, peut être adopté ou adrogé; que l'âge de l'adoptant n'est pas non plus limité, quoique cependant on ne permette pas facilement l'adrogation à des personnes âgées de moins de soixante ans, parce qu'elles peuvent encore espérer d'avoir des enfants.
5. Licet autem et in locum nepotis vel pronepotis, neptis vel proneptis, vel deinceps adoptare, quanivis filium quis non habeat
5. On peut adopter pour petit fils, petite-fille, arriére-petit-fils ou petite-fille, même lorsqu'on n'a point de fils.
Selon, qu'on adopte quelqu'un pour fils, pour petit fils,
ou pour arrière-petit-fils, l'adoption produit des
effets différents dans le degré de parenté, et par conséquent
dans les prohibitions du mariage, dans les droits
de tutelle et de succession. Quelqu'un est-il adopté
comme fils, il est au premier degré de l'adoptant, le
frère des enfants que ce dernier peut avoir, l'oncle
de leurs descendants qu'il ne pourra épouser jusqu'à
l'infini. Est-il adopté comme petit-fils, il se trouve au
deuxième degré de l'adoptant, le neveu des enfants de
ce dernier, dont il peut épouser les descendants, car il
n'est que leur cousin.
Quamvis filium quis non habeat. De ce que l'adoption imite la nature, on aurait pu conclure que, pour adopter
un petit-fils, il fallait déjà avoir un fils ( filium non filiam,
parce que les descendants d'une fille ne sont jamais
au pouvoir de l'aïeul maternel ). C'est cette objection
qu'on prévient ici. Il suffit, en effet, que celui qui adopte
un petit-fils pût être son aïeul naturellement, et partant
qu'il ait de plus que lui deux fois la puberté.
6. Et tam filium alienum quis in locum nepotis adoptare potest quam nepotem in locum filii.
6. Et l'on peut adopter le fils d'un autre pour petit-fils, comme le petit-fils pour fils.
7. Sed si quis nepotis loco adoptet, vel quasi ex eo filio quem habet jam adoptatum, vel quasi ex illo quem naturalem in sua potestate habet : eo casu et filius consentire debet, ne ei invito suus heres agnascatur ; sed ex contrario, si avus ex filio nepotem det in adoptionem, non est necesse filium consentire.
7. Mais si l'on adopte un petit fils en le supposant issu d'un fils déjà adopté, ou d'un fils naturel qu'on a sous sa puissance, ce fils doit aussi consentir à l'adoption, pour qu'elle ne lui donne pas malgré lui un héritier sien. Au contraire, l'aïeul peut donner en adoption son petit-fils, sans le consentement du fils.
Quasi ex eo filio. Lorsqu'on adoptait quelqu'un pour petit-fils, on pouvait le faire de deux manières : 1° simplement et sans lui désigner aucun membre de la famille pour père (incerto natus); 2° en désignant pour son père tel de ses enfants (quasi ex filio). La différence entre ces deux cas était grande. Dans le premier, l'adopté entrait dans la famille, comme un petit-fils dont le père serait déjà mort ; il n'était que le neveu de tous les fils de l'adoptant ; à la mort du chef de famille, il devenait libre et par conséquent héritier sien. Dans le deuxième cas, l'adopté entrait comme petit-fils du chef de famille, et comme fils de celui de ses enfants qu'on avait désigné, à la mort du chef, il ne devenait point libre, mais il retombait sous la puissance et dans la famille de celui qu'on lui avait désigné pour père, et c'est par rapportà celui-là qu'il devenait héritier sien. Il y avait donc réellement deux adoptions dans une, et il fallait le consentement des deux adoptants, l'aïeul et le père.
Det in adoptionem. Nous avons déjà expliqué le principe sur lequel repose cette règle.
8. In plurimis autem causis, adsimilatur is qui adoptatus vel adrogatus est, ei qui ex legitimo matrimonio natus est : Et ideo si quis per imperatorem, vel apud praetorem, vel praesidem provinciae non extraneum adoptaverit potest eundem in adoptionem alii dare.
8. Sous bien des rapports, l'enfant adopté ou adrogé est assimilé à l'enfant né d'un légitime mariage. Ainsi l'on peut donner en adoption à un autre celui qu'on a adopté par rescrit du prince, ou même devant le magistrat, s'il n'était pas étranger.
In plurimis causis. Nous savons déjà quels sont les effets de l'adoption. Lorsque l'adopté passe sous la puissance paternelle de l'adoptant, il entre dans sa famille : il devient l'agnat des membres de cette famille, et par conséquent leur cognat, puisque la cognation est la parenté en général (qui m adoptionem datur, his quibus agnascitur et cognatus fit : quibus vero non agnascitur neccognatus fit); le chef de famille, ayant sur lui la puissance paternelle, peut en disposer comme de ses autres enfants, et par conséquent le donner en adoption à un autre.
Non extraneum. Cette circonstance est nécessaire pour l'adoption proprement dite, puisque sans cela il n'y aurait pas de puissance paternelle.
9. Sed et illud utriusque adoptionis
commune est, quod et ii
qui generare non possunt, quales
sunt spadones, adoptare possunt;
castrati autem non possunt
9. Il y a encore cela de commun
aux deux adoptions, que ceux qui
ne peuvent engendrer, comme les
impuissants, peuvent adopter; mais
les castrats ne le peuvent pas.
Cette différence vient de ce que, chez l'impuissant, le vice d'organisation n'est ni assez complet ni assez démontré pour qu'il soit contre nature de supposer que celui qui paraît impuissant ait un enfant ; d'autant plus, comme le remarque Théophile, que souvent on voit le vice qui produisait l'impuissance disparaitre. Pour le castrat, il n'en était pas de même : supposer qu'il avait un enfant, était une chose évidemment contraire à la nature, et c'est pour cela que les Romains ne lui permettaient pas d'adopter, bien que l'adoption dût avoir pour but principal de donner légalement des enfants à ceux qui ne peuvent naturellement en avoir.
10. Feminae quoque adoptare
non possunt ; quia nec naturales
liberos in sua potestate habent;
sed ex indulgentia principis, ad
solatium liberorum amissorum
adoptare possunt.
10.Les femmes non plus ne peuvent
adopter ; car elles n'ont pas même
leurs enfants naturels en leur pouvoir,
mais la bienveillance impériale
peut leur en donner la permission,
comme adoucissement à la
perte de leurs propres enfants.
C'est ainsi qu'une constitution de Dioclétien et Maximien permet l'adoption à une mère ayant perdu ses enfants. Dans ce cas, l'adoption ne produit jamais la puissance paternelle, mais elle établit entre la mère et le fils adoptif des liens semblables à ceux qui existent entre la mère et ses enfants propres. (Et eum perinde atque ex te progenitum, ad vicem naturalis legitimique filii habere permittimus).
11. Illud proprium est adoptiopis illius quae per sacrum oraculum fit, quod is qui liberos in potestate habet, si se adrogandum dederit, non solum ipse potestati adrogatoris subjicitur, sed etiam liberi ejus in ejusdem fiunt potestate, tanquam nepotes. Sic enim divus Augustus non ante Tibenum adoptavit, quam is Germanicum adoptavit, ut protinus, adoptione facta, incipiat Germanicus Augusti nepos esse.
11. Il y a cela de propre à l'adoption faite par rescrit, que si un père, ayant des enfants en son pouvoir, se donne en adrogation , non seulement il passe lui-même en la puissance de l'adrogeant, mais ses enfants y passent aussi comme petit-fils ; et c'est ainsi qu' Auguste ne voulut adopter Tibère-qu'après que ce dernier eut adopté Germanicus; afin qu'immédiatement après l'adoption, Germanicus se trouvât le petit-fils d'Auguste.
Illud proprium est. La même chose n'a point lieu dans l'adoption proprement dite, parce que le fils de famille donné en adoption, bien qu'il soit marié et qu'il ait des enfants, ne les a jamais en sa puissance, puisqu'il est lui-même au pouvoir du chef qui peut le céder en adoption et retenir ses enfants.
12. Apud Catonem bene scriptum
refert antiquitas, servos, si
a domino adoptati sint, ex hoc ipso posse liberari. Unde
et nos
eruditi, in nostra constitutione
etiam eum servum quem dominus
actis intervenicnlibus filium
suum nominaverat, liberum
constituimus, licet hoc ad jus
filii accipiendum non sufficiat.
12. Nous apprenons des anciens
que Caton avait écrit à bon droit
que les esclaves, s'ils étaient adoptés par leur maître, pouvaient par
cela seul devenir libres. Instruits
par cette décision, nous avons établi,
dans notre constilution, qu'un esclave
à qui son maître aura, dans un acte
public, donné le titre de fils, sera libre,
bien qu'il ne puisse par là acquérir
les droits de fils.
L'adoption d'un affranchi n'était permise qu'à son patron,
sans quoi les droits de patronage eussent été lésés.
Quant à l'adoption des esclaves, elle n'était point valable
comme adoption. Mais ce passage nous apprend, qu'anciennement
méme, elle suffisait pour donner la liberté à
l'esclave adopté. Du reste ce mode indirect de manumission
produisait-il les mêmes effets que les affranchissements
solennels par le cens, par la vindicte , par testament, ou
ne faisait-il que donner une liberté de fait? C'est ce que rien
ne nous indique. Justinien l'a rangé parmi les modes
qu'il sanctionne dans la constitution que nous avons déjà
citée.
L'adoption n'était point indissoluble: l'adoptant pouvait
la détruire facilement, soit en émancipant l'adopté, soit
en le donnant en adoption: à un autre, non étranger:
L'enfant, une fois renvoyé de la famille, n'était plus l'agnat
ni le cognat d'aucun des membres, et tous les liens étaient
rompus, sauf les prohibitions de mariage existant encore
entre l'adoptant et l'adopté. In omni fère jure, finita patris
adoptivi potestate, nullum ex pristino retinetur vestigium.
Une fois dissoute, l'adoption ne pouvait plus être renouvelée entre les mêmes personnes. Eum, quem quis adoptavit,
emancipatum vel in adoptionemdatum, iterum non potest
adoptare.
POUVOIR DU MARI SUR LA FEMME ( manus ). Le mariage,
même légitime (justae nuptiae), ne pouvait pas seul produire
la puissance maritale ; la femme tombait sous cette
puissance (in manum conveniebat) de trois manières : par
l'usage, la confarréation ou la coemption (usu, farreo,
toemptione). —
1° Par l'usage (usu).
D'après les douze Tables, les objets mobiliers s'acquéraient
par l'usage d'une année: ce
mode d'acquisition (usucapio)
fut appliqué même à la femme ; elle était acquise à son
mari, et tombait en son pouvoir lorsque, depuis le mariage,
elle avait été possédée par lui pendant une année sans interruption
(velut annua possessione usucapiebatur). Si elle
voulait éviter cette puissance, elle devait chaque année
pour interrompre l'usucapion, s'éloinger trois nuits de
suite du toit conjugal (usurpatum ire trinoctio). Dans
tous les mariages où l'on passait une année sans cette interruption,
la puissance maritale avait lieu. — 2° Par la
confarréation (farreo). Si l'on voulait que la puissance
maritale fût produite à l'instant même du mariage, il
fallait avoir recours aux formalités de la confarréation ou
à celle de la coemption. Les premières consistaient dans
une sorte de sacrifice, pour lequel on se servait d'un pain
de froment (farreus panis), d'où est venu le mot de confarréation
(farreum). Ce sacrifice était accompagné de
certaines solennités et de paroles sacramentelles, le tout
en présence de dix témoins. Ces cérémonies religieuses, outre qu'elles produisaient la puissance paternelle, rendaient,
les enfants issus du mariage, capables d'être nommés
à certaines fonctions sacerdotales : aussi est-il-à présumer
que la confarréation était surtout employée par les
patriciens.
—
3°
Par la coemption( coemptione). Ce
mode consistait dans la mancipation ou vente solennelle
de la femme au mari.; qui se portait acheteur(coemptionator).
Nous allons dire bientôt quelles étaient les formes
de la mancipation. - Du reste, toutes ces formalités
étaient bien distinctes du mariage. qui en lui-même n'en
exigeait aucune; il faut bien se garder de se méprendre
sur leur but, qui n'était pas de marier les conjoints, mais
seulement de donner la manus au mari.
De quelque manière que la femme tombât au pouvoir
de son mari , elle sortait de la puissance paternelle de son
père et de sa propre famille, dans, laquelle elle perdait
tous ses droits d'agnation ; mais elle entrait dans la famille
du mari , dans laquelle elle prenait en quelque sorte le
rang et les droits de fille (filiae toco incipit esse; nam si omnino,
qualibet ex causa, uxor in manu viri sit, placuit eamjus
filioe nancisci). C'est alors seulement qu'elle se trouvait
l'agnat de ses propres,enfants, ayant en cette qualité des
droits de succession sur eux, sur son marii et réciproquement.
Tous ces détails sont tirés et presque traduits de Gaius,
qui nous a donné là-dessusdes idées à peu près inconnues,
Il nous apprend que de son temps l'acquisition de la manus
par d'usage était en partie: abrogée par des lois, en partie
tombée en désuétude; que la confarréation était pratiquée pour les grands flamines, c'est à dire les pontifes particuliers
de Jupiter, de Mars et de Quirinus ; que la coemption
avait encore lieu; et qu'on remployait fictivement dans
des cas autres que le mariage afin d'éluder certines disositions
de l'ancien droit . Ulpien
nous dit quelque chose de la confarréation dans les fragments
qui nous restent. Mais, sous Constantin, ce mode
religieux disparut totalement avec le paganisme ; il ne resta
tout au plus que la coemption, qui finit elle-même par
tomber en désuétude. A l'époque de Justinien, depuis
longtemps il n'était plus question de puissance maritale
(manus), aussi les Instituts n'en disent pas un mot. Les
filles qui se marient restent toujours dans la famille de
leur père, n'y perdent aucun de leurs droits d'agnation,
n'entrent pas dans la famille du mari, si ce n'est comme
alliée: mais depuis longtemps aussi des sénatus-consultes
avaient établi, comme nous le verrons, des droits d'hérédité
entre la mère et les enfants.
POUVOIR SUR L'INDIVIDU LIBRE ACQUIS PAR MANCIPATION
(mancipium). Un chef de famille pouvait vendre à un citoyen
toutes les personnes soumises à sa puissance, ses
esclaves, ses enfants, de quelque sexe qu'ils fussent, même
sa femme lorsqu'il l'avait in manu. Mais les esclaves,
comme les personnes libres, étaient de ces choses nommées
mancipii res, dont on ne pouvait transporter le domaine
quiritaire (dominium ex jure quiritium) que par la vente
solennelle, la mancipation. Cette vente
se faisait en présence de cinq témoins, citoyens romains
pubères, et d'une autre personne de même condition, portant une balance, et nommée à cause de cela porte-balance
(libripens). L'acheteur, tenant la personne qu'on lui
vendait, disait : hunc ego hominem ex jure quiritium meum
esse aio, isque mihi emptus est hoc aere, aeneaque libra. A
ces mots, il frappait la balance avec l'airain qu'il donnait
au vendeur comme prix de la vente. Cette formalité n'était
qu'un simulacre légalisé des ventes qui.avaient lieu à
l'époque où, la monnaie étant presque inconnue à Rome, on
donnait les métaux au poids. La
personne libre, vendue de cette manière, tombait au pouvoir
de l'acquéreur (in mancipio), et par rapport à lui était
en quelque sorte assimilée à un esclave ( mancipati,
mancipataeve servorum loco constituuntur) ; cependant elle ne
perdait pas sa qualité d'homme libre, point très important
à remarquer. Il y avait cette différence entre la mancipation
que nous venons de décrire et celle qui avait lieu
dans la coemption de la femme, que la première se faisait
avec les mêmes paroles que l'achat des esclaves, ce qui
n'avait pas lieu dans la coemption; aussi les personnes livrées
in mancipio étaient-elles en quelque sorte esclaves ; il
n'en était pas de même de la femme tombée in manu.
Du reste, ce pouvoir particulier (mancipium) s'adoucit
avant même la puissance sur les esclaves. Gaius nous dit
qu'il n'était point permis d'outrager les personnes qu'on
avait in mancipio, sans s'exposer à être attaqué par l'action
d'injure; de son temps, ce n'était même que fictivement et
pour libérer leurs enfants de leur puissance que les chefs
de famille les mancipaient. Dans un cas cependant la
mancipation était sérieuse : c'est lorsqu'un individu ayant commis quelque dommage, le chef de famille à qui il appartenait
en faisait l'abandon noxal, c'est à dire le donnait
in mancipio , en réparation du préjudice qu'il avait causé
(noxae dedere; noxali causa mancipare). Mais ce dernier
usage tomba encore en désuétude, comme nous
l'apprennent les Instituts eux-mêmes. Il ne restait
plus sous Justinien de la mancipation des personnes libres
que l'emploi fictif qu'on en faisait pour les donner en adoption
ou les émanciper; et cet empereur fit disparaître jusqu'à
ces dernières traces. Aussi les Instituts ne parlent-ils
pas plus du mancipium que de la manus.
TIT. XII.
QUIDUS MODIS JUS POTESTATIS
SOLVITUR.
Videamus unc, uibus odis ii, qui alieno juri sunt subjecti eojure liberantur. Et quidem servi quemadmodum a potestate liberantur, ex iis intelligere possumus, quaede servis manumittendis superius exposuimus. Hi vero qui in potéstate parentis sunt, mortuo eo, sui juris fiunt. Sed hoc distinctionem recipit : nam mortuo patre, sane omnimodo, filii filiaeve sui juris efficiuntur. Mortuo vero avo, non omnimodo nepotes neptesque sui juris fiunt; sed ita, si post mortem avi in potestatem patris sui recasuri non sunt. Itaque, si moriente avo pater eorum vivit, et in potestate patris sui est, tunc post obitum avi in potestate patris sui fiunt. Si vero is , quo tempore avus moritur, aut jam mortuus est, aut exiit de potéstate patris, tunc ii, qui in potestate ejus cadere non possunt, sui juris fiunt.
TIT. XII.
DE QUELLES MANIÈRES SE DISSOUT
LE DROIT DE PUISSANCE.
Voyons maintenant de quelles manières les personnes soumises au pouvoir d'autrui en sont libérées. Déjà, par ce qui a été dit plus haut sur l'affranchissement, nous savons comment les esclaves sont délivrés de la puissance de leurs maîtres. Quant aux individus qui sont au pouvoir d'un ascendant, à la mort de ce dernier ils deviennent maîtres d'eux-mêmes. Cependant il faut distinguer. A la mort du père, il est bien vrai que ses fils et ses filles deviennent toujours maîtres d'eux-mêmes ; mais à la mort de l'aïeul , il n'en est pas toujours ainsi des petits-fils et des petites-filles, qui ne deviennent maîtres d'eux-mêmes que dans le cas où ils ne doivent pas retomber de la puissance de l'aïeul sous celle du père. Si donc le père est vivant et soumis au pouvoir de l'aïeul lorsque ce dernier meurt, les petits enfants, après cette mort, retombent en la puissance de leur père, Mais si lors du décès de l'aïeul, le père est déjà mort ou sorti de la famille, ses enfants, ne pouvant pas tomber sous sa puissance, deviennent maîtres d'eux-mêmes.
Nous avons à examiner la dissolution des trois différents pouvoirs, potestas , manus et inancipium, en commençant par le premier qui est le seul dont s'occupent les Instituts. Servi quemadmodum a potestate liberantur. Le seul moyen de libérer les esclaves de la puissance dominicale est l'affranchissement; car la mort du maître, son esclavage,et les autres événements qui peuvent le frapper, ne libèrent point l'esclave, mais en transportent la propriété à un autre. Quant aux fils de famille, ils sont libérés de la puissance paternelle, comme nous le disent les empereurs Dioclétien et Maximien, par certains événements, ou par un acte solennel (actu solenni,velcasu) ; à cela il faut ajouter, et par certaines dignités. — Les événements qui rendaient les enfants sui juris étaient ; la mort du chef de famille, la perte de la liberté, celle des droits de cité, soit que ces pertes frappassent le père, soit qu'elles frappassent l'enfant. Les Instituts examinent chacun de ces événements en particulier. Recasuri non sunt. Le texte développe fort clairement ici comment, à la mort du chef, les enfants qui lui étaient immédiatement soumis deviennent indépendants et chefs à leur tour ;comment les petits enfants retombent de la puissance de l'aïeul à celle du père, et comment la grande famille se décompose ainsi en plusieurs petites, entre lesquelles le lien d'agnation continue à subsister. Aut exiit de potestate patris. Quelques éditions ajoutent per emancipationem ; mais, de quelque manière que le père soit sorti de la puissance paternelle, soit par émancipation, soit par adoption, il suffit qu'il ne soit plus dans la famille et qu'il y ait perdu ses droits pour que ses enfants, à la mort de l'aïeul , ne retombent point en sa puissance.
1. Cum autem is, qui ob aliquod maleficium in insulam deportatur, civitatem amittit, sequitur ut qui eo modo ex numero civium Romanorum tollitur, periode ac si eo mortuo, desinant liberi in potestate ejus esse. Pari ratione et si is, qui in potestate parentis sit, in insulam deportatus fuerit, desinit in potestate parentis esse. Sed si, ex indulgentia principis, restitut fuerint per omnia, pristinum statuai recipiunt.
1. Celui qui pour quelque crime est déporté dans une île, perd les droits de cité; il est effacé du nombre des citoyens romains; et dès lors ses enfants, comme s'il était mort, cessent d'être en sa puissance. De même l'enfant qui se trouve sous la puissance paternelle, cesse d'y être soumis lorsqu'il est déporté. Mais s'ils obtiennent de la clémence du prince une restitution entière, ils reprennent leur ancien état.
Les droits de cité se perdaient par l'interdiction de l'eau et du feu, et plus tard par la déportation. Nous aurons occasion bientôt d'en parler avec détail. L'homme frappé de ces peines devenait étranger (peregrinus), et comme tel perdait tous les droits civils, c'est à dire tous les droits de citoyen ; s'il était chef de famille, sa puissance devait donc s'évanouir : et s'il était alieni juris, il devait, par une raison semblable, sortir de sa famille et de la puissance paternelle. Neque (enim) peregrinus civem romanum, neque civis peregrinum in potestate kabere potest. Restituti fuerint per omnia. L'empereur, ayant le pouvoir de faire grâce, pouvait rappeler le condamné. Si ce rappel était fait purement et, simplement, tous ses effets se bornaient à libérer le condamné de sa peine, à lui permettre de rentrer dans sa patrie et d'y reprendre le titre de citoyen ; dans ce cas la puissance paternelle ne renaissait pas mais si l'empereur avait accordé une restitution entière (restituo te in integrum ; restituo te per omnia), alors le restitué rentrait dans ses dignités, dans son rang et dans tous les droits qu'il avait jadis ( ut autem scias quid sit in integrum restituere : honoribus , et ordini tuo et omnibus coeteris te restituo); par conséquent la puissance paternelle renaissait. Du reste et dans tous ces cas, ce n'est que pour l'avenir que le gracié reprenait ses droits, parce que le pouvoir impérial ne pouvait pas détruire dans le passé des effets qui avaient été définitivement produits.
2. Relegati autem patres in insulam, in potéstate sua liberos retinent : et ex contrario, liberi relegati in potéstate parentum rémanent.
2. Quant aux pères relégués dans une île, ils conservent leur puissance paternelle : et réciproquement, les enfants relégués restent sous cette puissance.
La rélégation était une peine moins forte que la déportation. Elle était ordinairement temporaire, quelquefois perpétuelle ; mais, dans tous les cas, elle laissait au condamné ses droits de cité. Sive ad tempus, sive in perpetuum quis fuerit relegatus, et civitatem Romanam retinet. Son effet se bornait à ôter au condamné le droit de sortir du lieu désigné ( tantum enim insula eis egredi non licet). Mais le relégué conservait la puissance paternelle comme tous ses autres droits civils (quia et alla omnia jura sua retinet).
3. Paenae servus effectus, filios in potestate habere desinit. Servi autem poenae efficiuntur, qui in metallum damnantur, et qui bestiis subjiciuntur.
3. Celui qui devient esclave de la peine; cesse d'avoir ses enfants en son pouvoir. Deviennent esclaves de la peine, les individus condamnés aux mines, ou exposés aux bêtes.
L'individu fait esclave se trouve mis au rang de chose ; il perd non seulement les droits de citoyen, mais encore les droits des gens ; et, s'il est chef de famille,sa puissance paternelle s'évanouit avec tous ses autres droits. Quant aux cas dans lesquels un homme libre devient esclave, nous les avons exposés mais de quelque manière que l'esclavage ait été produit, il faut appliquer ce que notre texte dit ici, quoiqu'il ne parle que de la condamnation aux mines ou aux bêtes, condamnations qui plus tard, en vertu d'une novelle de Justinien, cessèrent même de produire l'esclavage. Nous venons d'examiner les événements accidentels (casus) qui terminent la puissance paternelle: parmi eux il faudrait ranger, il est vrai, la captivité chez l'ennemi, puisqu'elle produit l'esclavage mais, pour suivre les Instituts, nous serons forcés d'en parler plus bas. D'ailleurs il y a dans ce cas quelques différences très marquées. Avant d'aller plus avant, une observation générale nous reste à faire. Lorsque les enfants ne deviennent sui juris que parce que le chef de famille est mort, fait esclave, ou privé des droits de cité, mais que d'ailleurs ils sont restés jusqu'à ce moment sous la puissance paternelle, la libération de cette puissance ne les prive d'aucun de leurs droits de famille ; ils ne sortent pas de la famille, qui ne fait que se décomposer en plusieurs, le lien d'agnation continue à exister entre eux, les autres membres devenus sui juris, leurs enfants actuellement existants, et même ceux qui surviendront par la suite.
4. Filiusfamilias si militaverit, vel si senator vel consul factus fuerit, manet in potestate patris ; militia enim, vel consularis dignitas, de potéstate patris filium non liberat. Sed ex constitutione nostra summa patriciatus djgnitas illico, imperiajibus codicillis praestitis, filium a patria potestate liberat. Quis enim patiatur patrem quidem posse per emancipationis niodum suae potestatis nexibus filium relaxare, imperatoriam autem celsitudem non valere eum quem sibi patrem elegit ab aliena exirnere potéstate?
4. Le fils de famille qui est devenu soldat, sénateur ou consul, reste sous le pouvoir du père; car ni l'état des armés, ni la dignité consulaire, ne délivrent de la puissance paternelle. Mais, d'après notre constitution, la haute dignité de patrice, immédiatement après la délivrance des patentes impériales, libère le fils de la puissance de son père. Serait-il supportable en effet que, par l'émancipation, un père put dégager son fils des liens de sa puissance ; tandis que la position sublime de l'empereur ne lui suffirait point pour arracher à un pouvoir étranger celui qu'il s'est choisi pour père ?
Ni l'âge, ni les noces, ni les dignités, ne libéraient un fils de la puissance paternelle. Les consuls, les dictateurs commandaient à la République mais, rentrés dans la maison paternelle, ils n'étaient que fils de famille, et obéissaient à leur père. Cependant les flammes de Jupiter, c'est-à-dire les pontifes consacrés spécialement au culte de ce dieu, et les vestales ou vierges consacrées à Vesta, sortaient de la puissance de leur père, parce qu'ils étaient censés entrer sous celle du dieu ou de la déesse mais toutes ces institutions disparurent avec le paganisme. Justinien, dans le rescrit dont parlent ici les Instituts, et qui se trouve inséré au code, attacha à la dignité de patrice le privilège de rendre indépendant le fils qui en était revêtu. Nous avons expliqué quelle était cette dignité créée par Constantin . Plus tard (an 529 de J.-C. ), Justinien établit par une novelle que la dignité d'évêque, de consul, et généralement toutes celles qui libèrent de la curie , c'est-à-dire ; qui déchargent les curiaux de leurs obligations, libéreraient aussi de la puissance paternelle. Parmi ces dignités se rangent encore celles de préfet du prétoire, soit dans la capitale, soit dans les provinces, de questeur du sacré palais, de maître de la cavalerie ou de l'infanterie. — Par un privilège particulier, les enfants devenus sui juris par les dignités, bien qu'ils fussent sortis de la puissance paternelle avant la mort du chef, ne perdaient aucun de leurs droits; ils étaient toujours comptés dans la famille comme agnats; lorsque le chef mourait, ils lui succédaient comme héritiers siens, et leurs enfants, s'ils en avaient, retombaient sous leur puissance.
5. Si ab hostibus captus fuerit parons, quamvis servus hostium fiat, tamen pendet jus liberorum propter jus postliminii : quia hi, qui ab hostibus capti sunt, si reversi fuerint, omnia pristina jura fecipiunt; idcirco reversus etiam liberos habebit in potestate quia postliminium fingit eum, qui captus est, semper in civitate fuisse. Si vero ibi decesserit, exinde, ex quo captus est pater, filius sui juris fuisse videtur. Ipse quoque filius, neposve, si ab hostibus captus fuerit, similiter dicimus propter jus postliminii, jus quoque potestatis parentis in suspenso esse. Dictum est autem postliminium, a limine et post. Unde eum, qui ab hostibus captus, in fines nostros postea pervenit, postliminio reversant recte dicimus. Nani limina, sicut in domo finem quemdam faciunt, sic et imperii finem limen esse veteres voluerunt. Hinc et limes dictus est, quasi finis quidam et terminus : ab eo postliminium dictum, quia eodem limine revertebatur, quo amissus erat. Sed et qui captus victis hostibus recuperatur, posttiminio rediisse existimatur.
5. Si l'ascendant tombe au pouvoir des ennemis, il devient leur esclave, et néanmoins l'état des enfants reste en suspens, à cause du droit de postliminium, parce que les prisonniers faits par l'ennemi, s'ils reviennent, reprennent tous leurs anciens droits. Ainsi l'ascendant, s'il revient, aura ses enfants en sa puissance, l'effet du postliminium étant de faire supposer que le captif est toujours resté au nombre des citoyens mais, s'il meurt dans les fers, le fils est réputé avoir été maître de lui-même, depuis l'instant où le père a été pris. Si c'est le fils ou le petit-fils qui tombe au pouvoir des ennemis, il faut dire pareillement que, par le droit de postliminium, la puissance paternelle reste encore en suspens. Quant àl'expression postliminium, elle vient de limes (seuil) et post (ensuite), d'où l'individu pris par l'ennemi, et retourné ensuite à nos frontières, est dit avec raison reversuni post-liminio (retourné ensuite au seuil). En effet, comme le seuil d'une maison est une espèce de frontière, de même les anciens ont vu dans la frontière d'un empire une espèce de seuil ; de là on a dit limes (seuil), pour dire frontière, limite; et de là postliminium, parce que le captif revient au même seuil d'où il avait été perdu. Celui qui est repris sur les ennemis vaincus, est encore censé de retour postliminio. Jus postliminii. Le droit de Postliminium est fort important et plus d'une fois encore nous aurons occasion d'en parler. Il était de deux sortes ( duae species postliminii sunt, ut aut nos revertamur, aut aliquid recipiamus); l'une s'appliquait à certaines choses tombées au pouvoir de l'ennemi, qui, si elles étaient recouvrées, devaient revenir à leur maître : tels étaient les esclaves, les chevaux , les navires, jamais les armes, parce qu'on ne peut les perdre que honteusement (quod turpiter amittantur); l'autre s'appliquait aux personnes libres : c'est de celle-là qu'il s'agit ici. Le citoyen pris par les ennemis devenait leur esclave; mais, dans sa patrie, on ne le considérait pas définitivement comme tel : son état se trouvait soumis à une véritable condition suspensive, la condition de son retour. En attendant, tous ses droits sur ses biens, sur ses enfants, sur ses esclaves, sur leurs pécules, etc., étaient suspendus. (Omnia jura civitatis in personam ejus in suspenso retinentur, non abrumpuntur.
(1) Il est de quelque importance de connaître la position du citoyen pendant sa captivité. On peut, ce me semble, la résumer ainsi : 1° Tout ce qui consiste en droit, ou , pour mieux dire, dans la jouissance des droits (quae injure consistant), est en suspens, et lui sera acquis s'il revient. Ainsi les droits de puissance dominicale et paternelle, les acquisitions faites par ses enfants ou ses esclaves sont en suspens ; il peut être institué héritier, mais l'institution est en suspens ; les droits de tutelle qu'il peut avoir sont en suspens (Inst. 1. 20. 2.) ; sa succession est en suspens, et n'est point encore déférée, etc. 2° Tout ce qui consiste dans l'exercice des droits lui est retiré. Ainsi il ne pourrait contracter de justes noces, adopter, stipuler, etc. ; ainsi le testament qu'il aurait fait eu captivité serait nul, même en cas de retour (Inst. 2. 12. 5.). 3° Tout ce qui consiste en. fait est pareillement perdu pour lui (facti autem causoe infectoe nulla constitutione fieri possunt). Si donc il possédait une chose par lui-même, l'usucapion est interrompue ; de même si la femme est restée dans sa patrie, comme il n'y a plus réunion de fait entre eux, le mariage est rompu. Si au contraire sa femme se trouvait en captivité avec lui, et qu'ils eussent des enfants, la légitimité de ceux-ci serait en suspens. 4° Par exception, la validité du testament fait avant la captivité n'est point en suspens, en vertu de la loi Cornelia (Inst. 2. 12. 5.).
Si par un moyen quelconque il était retiré des mains ennemies, la condition
suspensive s'étant accomplie, il rentrait dans tous
ses droits, sauf quelques légères exceptions, non seulement
pour l'avenir, mais pour le passé, comme s'il
n'avait jamais été au pouvoir des ennemis (caetera quae
injure sunt posteaquam postliminio redit ; pro eo habentur
ac si nunquàm iste hostium potitus fuisset). Ce bénéfice
attaché au retour du captif se nommait jus postliminii. Si au contraire il mourait dans sa captivité, la condition
suspensive ne s'étant point accomplie, il devait,
d'après le droit strict, être considéré comme ayant été
esclave depuis l'instant qu'il avait été pris, et comme
ayant perdu tous ses droits en conséquence. Cependant
nous verrons plus loin qu'une loi Cornelia testamentaria, rendue sous Sylla, voulut que,
par rapport à son testament, on agît comme s'il avait
perdu ses droits non par l'esclavage, mais par la mort,
ce qui était fort important; et cette disposition fut
par la suite étendue généralement. De sorte qu'Ulpien
exprime les résultats que nous venons d'exposer, en disant
que, si le captif revient de chez l'ennemi, il est censé
n'être jamais sorti du nombre des citoyens ( c'est le jus
postliminii) ; et que, s'il ne revient plus, il est considéré
comme mort du moment où, il a été pris. (C'est ce que
les commentateurs ont nommé fiction de la loi Cornelia) :
Rétro creditur in civitate fuisse, qui ab hostibus advenit
—In omnibus partibus juris is qui reversus non est ab
hostibus, quasi tune decesisse videtur cum captus est. Ces résultats généraux sont appliqués par les Instituts
à la puissance paternelle. Tant que le père est captif,
l'état des enfants est en suspens, parce que le postliminium peut avoir lieu ; il leur est cependant permis dans l'intervalle
de se marier, quoiqu'ils ne puissent obtenir le consentement
de leur chef . Si le père retourne, il reprend
sa puissance comme s'il ne l'avait jamais perdue; s'il
meurt dans les fers, les enfants sont réputés libres depuis
le jour de sa captivité ; et, pour cet effet, ce qu'on nomme
la fiction de la loi Cornelia est indifférente, parce que,
soit que le père ait perdu ses droits par l'esclavage, soit
qu'il les ait perdus par la mort, sa puissance est également
dissoute.
Exinde ex quo captus est pater. Gaius nous dit qu'on
pouvait douter, de son temps, si les enfants devenaient
libres à dater de la mort réelle du père, ou à dater du
jour de sa captivité. Le doute venait probablement de
ce que les enfants, puisque dans l'intervalle leur état
avait été en suspens, n'avaient réellement pas agi comme
des individus sui juris; et la question n'était pas sans
importance, parce que, si on les considérait comme sui
juris depuis la captivité, tout ce qu'ils avaient acquis,
à partir de cette époque, était pour eux; tandis qu'il n'en
était pas de même, si on ne les considérait comme sui juris que depuis la mort. Environ trente ans après Gaius,
deux jurisconsultes résolvent la question en faveur, des
enfants: l'un est Tryphoninus, dont
l'avis se trouve au Digeste ; l'autre Ulpien , qui dit que sur tous les points de droit ( in omnibus partibus juris),
le captif est censé mort du jour de sa captivité. Cette
opinion, qui du reste ne paraît guère avoir été controversée,
est celle que consacrent les Instituts. Ipse quoque filius. Quand le fils revient de chez l'ennemi, le postliminium produit un double effet. Car il y a
à la fois, pour le père, recouvrement d'une propriété qu'il
avait perdue ; pour le fils, réintégration dans tous ses
droits. Duplicem in eo causam esse oportet postliminii : et
quod pater eum recipéret, et ipse jus suum. Postliminio rediisse. De quelque manière que le captif
soit retourné, par ruse, par force, par rachat, peu importe.
Nihil interest quomodo captivus reversus est.
Dès l'instant qu'il est parvenu sur le territoire de l'empire,
ou sur celui d'un peuple allié ou ami, il y a postliminium.
6. Prasterea emancipatione quoque desinunt liberi in potestate parentum esse. Sed emancipatio antea quidem vel per antiquam legis observationem rocedebat , quae per imaginarias venditiones, et intercedentes manumissiones celebrabatur, vel ex imperiati rescripto. Nostra autem providentia etiam hoc in melius per constitutionem reformavit : ut, fictione pristina explosa, recta via ad compétentes judices vel magistratus, parentes intrent; et filios suos, vel filias, vel nepotes, vel neptes, ac deinceps, sua manu dimittant. Et tune ex edicto praetoris in hujus filii, vel filiae, vel nepotis, vel neptis bonis qui quaeve à parente manumissus, vel manumissa fuerit, eadem jura prsestantur parenti, quae tribuuntur patrono in bonis liberti. Et praeterea si impubes sit filius, vel filia, vel caeteri, ipse parens ex manumissione tutelam ejus nanciscitur.
6. De plus, les enfants sont encore libérés de la puissance paternelle par l'émancipation. Cet acte, avant nous, se faisait ou d'après les anciennes formalités de la loi, à l'aide de ventes fictives et d'affranchissements intermédiaires , ou par rescrit du prince. Mais, dans notre sagesse, nous avons encore, par une constitution, amélioré ce point en le réformant; de sorte que, rejetant l'ancienne fiction , les ascendants n'auront qu'à se présenter directement devant les juges ou magistrats compétents, et là ils pourront affranchir de leur puissance leurs fils, filles, petit-fils, petites-filles ou autres. Alors, conformément à l'édit du prêteur, on donne à l'ascendant sur les biens de l'enfant qu'il a ainsi émancipé, les mêmes droits qu'au patron sur les biens de l'affranchi; et de plus, si cet enfant est impubère, l'ascendant se trouve par l'émancipation investi de sa tutelle.
Imaginarias venditiones. Lorsqu'un chef de famille usait du droit qu'il avait de vendre ses enfants (venum dare, mancipare), transportant par la vente sa propriété à l'acquéreur, il ne devait plus régulièrement avoir de puissance sur l'enfant vendu. Cependant la loi des douze Tables portait : si pater filium ter venum duit filius a patre liber esto . Ce qui s'expliquait, en ce sens, que si l'individu devenu propriétaire du fils par la mancipation l'affranchissait, cet enfant ne devenait point sui juris, mais il retombait au pouvoir de son père, qui pouvait le vendre une seconde fois. Si le second acquéreur l'affranchissait encore, il retombait de nouveau au pouvoir de son père, qui pouvait le vendre une troisième fois; et ce n'est qu'après cette troisième vente que la puissance paternelle était entièrement épuisée. Comme le texte de la loi, dans cette disposition toute spéciale, ne parlait que du fils (filium), les jurisconsultes n'étendirent cette expression ni aux filles ni aux petits enfants; et, quant à eux, le chef de famille perdait toute sa puissance après une seule vente. Dans quelle position se trouvait l'enfant vendu, même après que la puissance paternelle était totalement épuisée ? Nous savons qu'il était au pouvoir de celui qui l'avait acheté par mancipation (in mancipio), assimilé en quelque sorte à un esclave; mais il pouvait arriver que son maître l'affranchît, et alors il se trouvait sui juris , libre de la puissance paternelle épuisée par les ventes , et libre du mancipium éteint par l'affranchissement. Seulement l'affranchissant avait sur lui des droits de patronage et de succession, ainsi que nous allons bientôt le dire en parlant de ces affranchissements. Voilà comment, d'après les principes rigoureux des douze Tables, les enfants, après une ou plusieurs mancipations, suivies d'un ou de plusieurs affranchissements, pouvaient se trouver sui juris. Il est probable que, dans le principe, ces mancipations furent réelles ; mais bientôt elles devinrent fictives. Un père, qui voulait rendre son fils sui juris, convint avec un ami de le lui manciper, celui-ci promettant de l'affranchir, et ces mancipations finirent par n'être employées le plus souvent que fictivement, pour éteindre la puissance paternelle. On nomma émancipation cet acte composé de mancipations simulées et d'affranchissements intermédiaires. Du reste, les différentes mancipations pouvaient se faire soit à la même personne , soit à des personnes différentes, le même jour ou après des intervalles quelconques ; mais, quand elles étaient fictives, on avait coutume de les faire de suite et à la même personne. Un seul inconvénient se présentait, c'est celui qui résultait de ce que l'acquéreur fictif gardait sur le fils, en qualité de manumisseur (manumissor extraneus), des droits de patronage, de tutelle, de succession. Pour y remédier, le père faisait ordinairement la mancipation avec la clause de fiducie (contracta fiducia). C'est une clause qu'on employait quelquefois, par laquelle, en mancipant une chose, on obligeait l'acquéreur à vous la rendre dans un cas déterminé. Ici le père obligeait celui à qui il transférait la propriété de son fils à la lui rendre (ea lege mancipio dedit ut sibi remancipetur), et alors il avait son fils non pas in pairia potestate, puisque cette puissance était épuisée par les ventes, mais in mancipio ; dans cette position il pouvait l'affranchir lui-même et acquérir les droits de tutelle et de succession. Ex imperiali rescripto. C'est un mode d'émancipation introduit par Anastase, que les commentateurs ont nommé pour cela émancipation Anastasienne. Il consistait à obtenir de l'empereur un rescrit autorisant l'émancipation, et à faire insinuer ce rescrit par un magistrat, aux mains duquel il était déposé. Quae tribuuntur patrono. Justinien, en remplaçant l'ancien mode d'émancipation et celui qu'avait introduit Anastase, par un mode beaucoup plus simple, voulut cependant conserver à cet acte tous les effets qu'il avait jadis, même quand la mancipation était faite contracta fiducia : voilà pourquoi il accorde à l'ascendant qui émancipe,tous les droits du patron.
7. Admonendi autem sumus, liberum arbitrium esse ei qui filium, et ex eo nepotem vel neptem, in potéstate habebit, filium quidem potestate dimittere, nepotem vero vel neptem retinere ; et e converso filium quidem in potestate retinere, nepotem vero vel neptem manumiltere, vel omnes sui juris efficere. Eadem et de pronepote et pronepte dicta esse intelligantur.
7. Il est bon d'avertir que celui qui a sous sa puissance un fils, et de ce fils un petit-enfant, est libre d'émanciper le fils, en retenant le petit-fils ou petite-fille; et réciproquement de retenir le fils en émancipant le petit-fils ou petite-fille; ou bien de les rendre tous maîtres d'eux-mêmes. Et ceci, nous sommes censés le dire aussi pour les arrière-petits-enfants.
Liberum arbitrium esse. — L'émancipation pouvait être faite, sur un enfant de tout âge, même impubère, parce qu'elle avait pour but de le libérer du pouvoir paternel., mais non pas de lui donner la faculté de se gouverner seul.— Elle ne pouvait jamais avoir lieu malgré l'enfant. Paul dit expressément: filius familias emancipari invïtus non cogitur. Cette règle est encore énoncée dans une novelle, comme reconnue incontestablement. Cependant on appliquait ici ce que nous avons dit pour l'adoption , il suffisait que l'enfant ne contestât point. Les effets de l'émancipation étaient de rendre l'enfant sui juris; sous ce rapport elle lui était avantageuse, mais sous d'autres elle pouvait lui être nuisible.; car l'enfant sortait de sa famille, tous ses liens d'agnation étaient rompus ; ses enfants, s'il en avait, n'étaient pas en sa puissance, et ne pouvaient plus s'y trouver, à moins que le chef consentît à les lui donner en adoption; selon la stricte rigueur des lois, il perdait ses droits de succession sur son père et sur les autres membres de la famille : nous verrons plus loin comment ces divers résultats furent adoucis par les préteurs, par les constitutions impériales et par Justinien. L'émancipation n'était point irrévocable. Elle pouvait être résiliée, lorsque l'enfant émancipé se rendait coupable envers son père de mauvais traitements ou d'injures. Par cette résiliation , il se trouvait rappelé sous la puissance paternelle.
8. Sed et si pater filium, quem in potestate habet, avo vel pro avo naturali, secundum nostras constitutiones super bis habitas, in adoptionem dederit : id est, si hoc ipsum actis intervenientibus apud competentem judicem manifestaverit, praesente eo qui adoptatur, et non contradicente, nec non eo praesente qui adoptat, solvitur quidem jus polestatis patris naturalis ; transit autem in hujusmodi parentem adoptivum, in cujus persona et adoptionem esse plenissimam antea diximus.
8. Si le père donne son fils à un aïeul ou à un bisaïeul naturel, conformément à nos constitutions sur cette matière, c' est-à-dire en le déclarant dans un acte devant le magistrat compétent, en présence et sans opposition de l'adopté, comme aussi en présence de l'adoptant la puissance paternelle s'éteint en la personne du père naturel, et passe à un tel père adoptif pour qui l'adoption, comme nous l'avons dit plus haut, est pleine et entière.
Tout ceci nous est déjà connu par ce que nous avons dit sur l'adoption. Dans ce cas, la puissance paternelle s'éteint; mais le fils ne devient pas sui juris, il ne fait que changer de chef; et en cela ce mode de dissolution du pouvoir paternel diffère de ceux que nous avons examinés jusqu'ici. — On peut assimiler à ce cas celui où un chef de famille se donne en adrogation : sa puissance paternelle se dissout, mais ses enfants le suivent sous le pouvoir d'un nouveau père de famille.
9. Illud autem scire oportet, quod si nurus tua ex filio tuo conceperit, et filium postea emancipaveris, vel in adoptionem dederis, praegnante nuru tua : nihil ominus quod ex ea nascitur in potestate tua nascitur. Quod si post emancipationem vel adoptionem conceptus fuerit, patris sui emancipati vel avi adoptivi potestati subjicitur.
9. Il faut savoir que, si ta bru étant enceinte de ton fils, tu as émancipé ce dernier ou tu l'as donné en adoption, l'enfant qu'elle met au monde naît toujours sous ta puissance; mais s'il a été conçu après l'émancipation ou après l'adoption, il est au pouvoir de son père émancipé ou de son aïeul adoptif.
Lorsqu'un fils marié en justes noces était émancipé
ou donné en adoption, sa femme le suivait toujours, soit
qu'elle fût in manu, soit qu'elle n'y fût point, et cela, parce
que le mariage est une union indivisible. Quant
aux enfants, ceux qui étaient déjà nés ou conçus restaient
au pouvoir du chef. Nous ajoutons même les enfants
conçus, parce que nous savons qu'en mariage légitime
les enfants suivent la condition du père, prise au
moment de la conception.
Jadis, quand les
enfants étaient émancipés par des mancipations, comme
il pouvait y avoir des intervalles de temps entre ces mancipations, et qu'un enfant pouvait avoir été conçu pendant
ces intervalles, on distinguait : s'ils étaient conçus
avant la dernière mancipation, et, par conséquent, sans
que la puissance du chef fût éteinte, ils naissaient sous
cette puissance; s'ils étaient conçus après, ils n'y étaient
point soumis.
10. Et quidem neque naturales liberi, neque adoptivi, ullo pene modo possunt cogere parentes de potestate sua eos dimittere.
10. Du reste, les enfants, soit naturels, soit adoptifs, n'ont presque aucun moyen de contraindre leurs ascendants à les émanciper.
Ullo pene modo. Les cas où un père pouvait être forcé d'émanciper ses enfants étaient ceux-ci : s'il avait prostitué ses filles (qui suis filiabus peccandi necessitatem imponunt) ; exposé ses enfants ; contracté un mariage incestueux ; enfin on peut y joindre le cas où l'individu adopté pendant qu'il était impubère, une fois parvenu à la puberté, fait dissoudre par l'émancipation l'adoption qu'il prouvait lui être désavantageuse.
Comment se dissolvaient le pouvoir marital Manus et le
Mancipium.
Il paraît que le pouvoir marital (manus) pouvait être
dissous même durant le mariage : quel était le mode de
dissolution? Le manuscrit de Gaïus était trop altéré à ce passage, pour qu'on ait pu le lire en entier. Ce mode
était peut-être l'émancipation, parce que la femme in
manu était assimilée en quelque sorte à une fille. Ce
pouvoir était encore détruit, même contre le gré du
mari, quand la femme lui envoyait le repudium et divorçait.
Les individus soumis au mancipium, étant considerés
comme esclaves, devenaient sui juris, lorsqu'ils étaient
affranchis par la vindicte, par le cens, ou par testament;
mais les restrictions portées par les lois Aelia Sentia, et Furia
Caninia ne s'appliquaient pas à ces affranchissements.
Bien plus, à l'époque où le mancipium était devenu le plus
souvent fictif, ayant pour but de rendre un fils indépendant,
la volonté du maître ne pouvait pas empêcher que l'enfant
qu'on lui avait livré in mancipio fût inscrit, lors du recensement,
comme libre et sui juris ; à moins que la mancipation
n'eût été faite sérieusement pour cause noxale.
— L'individu libéré par manumission du mancipium n'était
point affranchi, mais ingénu, puisqu'il était né libre et
n'avait jamais été esclave; cependant, de même qu'il était
assimilé à un esclave (servorum loco habetur), de même
l'affranchissant (manumissor extraneus ) était assimilé,
sous plusieurs rapports, à un patron (per similitudinem)
(patroni), et comme tel, il avait des droits de succession,
ce qui fut, comme nous le verrons plus loin, corrigé par
le préteur ; et des droits de tutelle: dans ce cas ,
Ulpien le nomme tutor fiduciarius. Quant à la question desavoir si les enfants de l'individu soumis au mancipium le suivaient après son affranchissement, ou restaient
au pouvoir du maître, Labéon la décidait pour le maître;
mais Gaius pense que ces enfants doivent être sui juris si leur père meurt in mancipio, et soumis au pouvoir paternel
si le père est affranchi. Cette différence d'opinion
pouvait venir de ce que le mancipium était souvent
réel sous Labéon, et presque toujours fictif sous Gaïus.
ACTIONS RELATIVES,AUX DROITS DE FAMILLE. Parmi ces
actions, nous ne ferons ici qu'indiquer les plus importantes.
Relativement à la paternité ou à la puissance paternelle :
1° L'action de partu agnoscendo était donnée, soit pendant
le mariage, soit après le divorce, à la femme contre le
mari, afin que celui-ci eût à reconnaître et à élever, comme
son fils légitime, l'enfant dont elle venait d'accoucher. Pour
assurer davantage ses droits, la femme, lorsqu'elle s'appercevait
qu'elle était enceinte, pouvait, dans les trente
jours qui suivaient le divorce, dénoncer sa grossesse au
mari : celui-ci avait, le droit d'envoyer vérifier cette grossesse,
et de placer des gardiens pour empêcher une supposition
de.part (custodes mittere); il pouvait aussi contester
que l'enfant fût conçu de lui. — 2° Des actions
étaient également données au père contre un enfant soit
pour faire reconnaître qu'il en était le père, soit pour faire
reconnaître qu'il ne l'était pas; et au fils contre un père,
soit pour faire reconnaître qu'il était son fils, soit
pour faire reconnaître qu'il ne l'était pas. Aucune de ces actions n'était reçue quand il s'agissait d'enfants vulgo concepti. — D'autres actions pouvaient
avoir lieu relativement non pas à la paternité, mais à la
puissance paternelle : le père agissant pour faire reconnaître
que son fils était sous sa puissance, ou qu'il n'y était
pas ; ou bien
le
fils agissant pour faire reconnaître qu'il
était sui juris ou qu'il ne l'était pas. — Toutes ces actions
étaient dans la classe de celles qu'on nommait préjudicielles
nous les développerons plus loin. — Sous un
autre rapport, lorsqu'un père voulait réclamer son fils des
mains d'un étranger, il le faisait anciennement par une
vendication, comme une chose lui appartenant; mais le
préteur lui donna un autre mode spécial d'agir.
Relativement au mancipium. il devait y avoir des
actions analogues à celles qui, existaient à l'égard des
esclaves ou des affranchis ; mais nous ne trouvons rien de
spécial à ce sujet dans les fragments des anciens auteurs,
et, sous Justinien, toute cette partie était entièrement
disparue.
Nous ne parlerons point des actions relatives aux biens,
comme celle qui, après la dissolution du mariage, était
donnée à la femme, ou à ses héritiers, pour obtenir la
restitution de la dot (rei uxorioe actio), c'est en traitant spécialement des actions que nous la développerons.
Nous ne dirons rien non plus des accusations criminelles
contre les coupables de stuprum, d'adultère pu d'inceste;
cette.matière est. rejetée au dernier titre des Instituts.
Il s'agit ici des personnes considérées par rapport à leur position dans la famille. Les individus qui composent les familles sont ou sui juris, maîtres d'eux-mêmes, ou alicni juris, soumis au pouvoir d'autrui. — Par famille (familia) on entend : dans un sens spécial, une seule maison, savoir, le chef et toutes les personnes qui lui sont soumises; dans un sens général ; les diverses maisons qui, ayant une même origine et descendant d'un chef commun, forment par leur réunion une grande famille, bien que chacune d'elles soit commandée par un chef différent. — Les individus sui juris prennent le nom de pater familias pour les hommes, (qui in domo dominium habet), et celui de materfamilias pour les femmes. — Les individus alieni juris étaient jadis ou in potestate, ou in manu., ou bien enfin in mancipio ; mais, sous Justinien, les pouvoirs nommés manus et mancipium n'existent plus. Le mot potestas désigne le pouvoir du chef sur ses esclaves ou sur ses enfants. Le pouvoir sur les esclaves s'étend à la personne et aux biens. — Quant à, la personne, l'esclave est comme une chose par rapport à son maître : il peut être vendu , donné , légué; mais le droit de vie et de mort n'existe plus sur lui. D'après un rescrit d'Autonin le Pieux, le maître qui tue son esclave est puni comme homicide; celui qui traite cruellement ses esclaves est forcé de les vendre à de bonnes conditions. Quant aux biens, tout ce que l'esclave a, ou acquiert, est à son maître; celui-ci quelque fois laisse à l'esclave la jouissance d'un pécule. Le pouvoir sur les enfants est adouci de beaucoup. — Quant à.la personne, le père n'a plus ni le droit de vie et de mort , ni le droit d'exposition; il ne peut vendre ses enfants qu'au sortir du sein de leur mère, lorsqu'il y est forcé par une extrême misère. Sa puissance paternelle est réduite à un simple droit de correction domestique. — Quant aux biens, la législation a successivement admis plusieurs pécules, sur lesquels le fils a des droits de propriété plus ou moins étendus. La puissance paternelle s'acquiert ou par justes noces, ou par des actes qui légitiment les enfants naturels, ou par adoption. Les noces, en général (nuptiae, matrimonium), sont l'union de l'homme et de la femme, entraînant l'obligation de vivre dans un commerce indivisible (viri et mulieris conjunctio, individuam vitae consuetudinem continens). Les justes noces (justae nuptiae, justum matrimonium) sont les noces de ceux qui s'unissent selon le prescrit des lois (qui secundum praecepta legum cocunt) Les justes noces produisent la puissance paternelle sur les fils et les filles qui en sont issus, et sur les descendants par les mâles. — Pour qu'il y ait justes noces, il faut qu'il y ait: puberté, consentement et connubium. La puberté est fixée à douze ans pour les femmes, à quatorze anspour les hommes. Le consentement est nécessaire de la part des conjoints, de leur chef de famille, et, s'il s'agit d'un petit-fils, de la part non seulement de l'aïeul, mais encore du père. Le connubium est la capacité relative que les deux futurs époux doivent avoir pour s'unir entre eux. — Les obstacles au connubium, et par suite aux justes noces, proviennent de la qualité d'étranger chez l'un des époux, de la parenté, de l'alliance, et de quelques autres causes particulières. La parenté porte le nom général de cognation. Elle vient quelquefois de la nature, quelquefois du droit civil, quelquefois de l'un et de l'autre. La cognation naturelle retient le nom de cognation proprement dite: c'est le lien qui existe entre personnes unies par le sang et descendant ou l'une de l'autre, ou d'une souche commune. La cognation civile porte bien le nom générique de cognation, mais elle se nomme spécialement agnàtion : c'est le lien qui existe entre les personnes membres de la même famille civile. L'alliance est le lien que le mariage établit entre les deux cognations des époux. — La célébration,des justes noces n'est soumise, en règle générale, à aucune formalité légale; il suffit qu'il y ait consentement des parties et tradition de la femme. Quelquefois cependant on dresse un acte, soit pour constater les noces (nuptiales tabulae, nuptialia instrumenta), soit pour les conventions relatives aux biens (instrumentum dotale). Des fiançailles peuvent précéder les justes noces : on nomme ainsi la promesse réciproque des noces futures (sponsio et repromissio nuptiarum futurarum). Elles ne donnent aucune action pour contraindre au mariage. — Les justes noces se dissolvent par la mort de l'un des époux, par la perte de la liberté ou, des droits de cité, par la captivité et par le divorce. La femme ne peut se remarier qu'après l'année de deuil. — Les noces contractées contrairement aux lois sont nulles et ,de nul effet; les enfants sont considérés comme étant sans père connu (spurii); la dot est confisquée, et les coupables punis suivant les lois, s'il y a inceste ou bigamie. — Le concubinage est le commerce licite d'un homme et d'une femme sans qu'il y ait mariage entre eux (licita consuetudo causa non matrimonii). Les enfants qui en sont, issus ont un père connu, mais ils ne sont point sous la puissance paternelle, ils se nomment enfants naturels (naturalis liberi). Tout commerce illicite se nomme en général stuprum; les enfants qui en sont issus sont spurii, sans père connu. — L'union des esclaves (contubernium) est abandonnée au droit naturel. Les actes par lesquels les enfants naturels peuvent être légitimés, et par conséquent amenés sous la puissance paternelle, sont : 1° le mariage subséquent des père et mère; 2° l'oblation à la curie: mais, dans ce cas, l'enfant n'entre pas dans la famille, et n'acquiert des droits qu'à l'égard du père. Justinien permit, dans ses Novelles, de légitimer par deux autres modes : 3° par rescrit, du prince; 4° par testament. — L'effet produit par ces divers actes a été nommé légitimation, Il est indispensable que les enfanls qu'on veut légitimer y consentent, ou du moins ne s'y opposent pas. Il y a deux sortes d'adoption : l'adrogation, et l'adoption proprement dite. Elles diffèrent dans les personnes auxquelles elles s'appliquent, dans leurs formes et dans leurs effets. — Dans l'adrogation, on adopte un chef de famille sui juris; dans l'adoption, un fils de famille alieni juris. Jadis il y avait aussi cette différence que les impubères et les femmes ne pouvaient être adrogés, tandis qu'ils pouvaient être adoptés; mais, depuis Anlonin, l'adrogation des impubères est permise avec certaines conditions, et, sous Justinien, celle des femmes l'est aussi. — L'adrogation se fait par rescrit du prince (principali rescripto), l'adoption par autorité du magistrat (imperio magistratus). — L'adrogation et l'adoption avaient autrefois toutes deux pour but de donner sur l'adopté la puissance paternelle; mais sous Justinien, leurs effets sont ordinairement différents: l'adrogation produit toujours la puissance paternelle; l'adrogé passe sous l'adrogeant avec tous ses biens et ses enfants, s'il en a. Quant à l'adoption, il faut distinguer : si l'adoptant est un ascendant (non extraneus), la puissance paternelle est produite; si c'est un étranger, l'adopté acquiert seulement des droits de succession ab intestat. Du reste on peut adopter quelqu'un pour fils ou pour petit-fils : dans ce dernier cas, on peut désigner l'un de ses enfants comme père du petit-fils adoptif (quasi ex filio), ou n'en désigner aucun (quasi incerto natus); l'adoption produit alors des effets différents quant aux degrés de parenté, et par suite quant aux prohibitions de mariage et à tous les droits de famille. — Les qualités et conditions nécessaires pour l'adoption, aussi bien que pour l'adrogation, sont celles-ci : l'adoptant doit avoir la puberté pleine de plus que l'adopté: cette règle observée, il peut adopter, quelque soit son âge; néanmoins l'adrogation n'est pas facilement permise à celui qui a moins de soixante ans, ou qui a déjà des enfants; les impuissants peuvent adopter, les castrats ne le peuvent pas les femmes non plus, si ce n'est avec l'autorisation impériale, en consolation des enfants qu'elles ont perdus. L'adopté peut l'être à tout âge; les affranchis ne peuvent être adoptés que par leurs patrons; les esclaves ne peuvent pas l'être. Il faut en outre le consentement des parties; toutefois, quant à celui qui est donné en adoption, il suffît qu'il ne s'y oppose pas (non contradicente); dans l'adoption d'un individu comme petit-fils issu d'un tel fils (quasi ex filio), il faut le consentement de l'aïeul et du père adoptants. L'adoption peut être dissoute soit en émancipant l'adopté, soit en le donnant en adoption à un autre. Tout lien dans la famille adoptive est alors rompu, et l'adoption ne peut plus être renouvelée. Le mot manus désignait le pouvoir que le mari avait sur sa femme dans certains cas déterminés. Ce pouvoir n'existe plus sous Justinien. Par mancipium on entendait le pouvoir sur l'individu libre, acquis par mancipation. Il est entièrement hors d'usage comme le précédent. Le droit de puissance (potestas) se dissout : quant à l'esclave, par l'affranchissement; quant au fils de famille, par certains événements, par un acte solennel ; ou par certaines dignités. — Ces événements sont : la mort du chef, la perte de la liberté ou seulement des droits de cité, survenue au père ou à l'enfant ; lorsque le père ou le fils est tombé au pouvoir de l'ennemi, la puissance paternelle n'est pas détruite, mais seulement suspendue, à cause du droit de postliminium. — Les actes solennels sont l'émancipation, et l'adoption dans certains cas; l'une et l'autre font perdre au fils ses droits de famille, et ne peuvent avoir lieu contre son gré. — Aucune dignité, autre que celle de flamine ou de vestale, ne pouvait libérer jadis de la puissance paternelle. Justinien, dans ses Instituts, attache cet effet à la dignité de patrice; et, dans une novelle, à toutes les dignités qui libèrent de la curie. L'enfant, ainsi rendu libre, ne perd pas ses droits de famille.
Le pouvoir du mari (manus) et celui du maître sur l'homme libre, livré en mancipation (mancipium), pouvaient aussi se dissoudre par certains modes qu'il n'est plus nécessaire d'examiner sous Justinien, il existe des actions relatives aux droits de famille, données soit à la femme ; soit au mari, soit à l'enfant, dans le but soit de faire reconnaître, soit de nier la paternité, la légitimité ou la puissance paternelle. Ces actions sont dans la classe de celles qu'on nomme préjudicielles ; il en existait aussi relatives aux droits provenants de la manus ou du mancipium.
TIT. XIII.
DE TUTELIS.
Transeamus nunc ad aliam divisionem personarum Nam ex his personis , quae in potestate non sunt, quaedam vel in tutela sunt vel in curatione, quaedarn neutro jure tenentur. Videamus ergo de bis quae in tutela vel in curatione sunt. Ita enim intelligemus ceteras personas, quae neutro jure tenentur. Ac prius dispiciamus de his quae in tutela sunt.
Passons maintenant à une autre division des personnes. En effet, parmi, celles qui ne sont pas au pouvoir d'autrui, quelques-unes sont en tutelle ou en curatelle, d'autres ne sont soumises à aucun de ces droits. Occupons-nous des personnes qui sont en tutelle ou en curatelle : car nous apprendrons par là quelles sont celles qui n'y sont, point ; et d'abord traitons de celles qui sont en tutelle.
Après avoir examiné les individus par rapport à leur position privée dans l'état et dans les familles, nous allons les étudier par rapport à la capacité ou à l'incapacité dans laquelle ils peuvent être de se gouverner et de se défendre. En effet, des causes générales, telles que la faiblesse de l'âge ou du sexe, ou des causes particulières, telles que la démence, une longue maladie, peuvent mettre les personnes dans un tel état qu'elles aient besoin d'un protecteur. C'est alors aux lois à leur en donner. Voyons comment celles des Romains y avaient, pourvu. Les individus alieni juris étaient la propriété du chef auquel ils étaient soumis; c'était à ce chef propriétaire à les diriger, à les défendre : ainsi, quelque incapables qu'ils fussent, ces individus trouvaient la protection qui leur était nécessaire, dans le pouvoir auquel ils obéissaient; la loi n'avait pas à s'occuper d'une manière spéciale de leur défense, et tout ce que nous allons dire leur est absolument étranger. Mais les individus sui juris, étant à la tête d'une famille, maîtres de leurs personnes, de leurs biens , avaient indispensablement besoin que la loi pourvût à leurs intérêts, lorsqu'ils étaient incapables d'y pourvoir eux-mêmes. C'est ce qu'on fit en les plaçant, selon les cas, en tutelle ou en curatelle. Ces institutions étaient inspirées par la nature même des choses et communes généralement à tous les peuples ; la loi romaine s'en empara, les revêtit de son caractère particulier, et elles se rangèrent dans le droit propre aux seuls citoyens. Les causes générales qui, aux yeux de la loi romaine, rendaient les individus incapables d'exercer leurs droits, étaient la faiblesse de l'âge chez, les impubères, et celle du sexe chez, les femmes ; les causes particulières qui pouvaient frapper d'incapacité tel individu, sans frapper tel autre, étaient, par exemple, la fureur, la démence, la prodigalité, etc. Dans le premier cas, il y avait lieu à la tutelle, dans le second à la curatelle : nous nous occuperons avec les Instituts, d'abord de la tutelle, — On donnait donc des tuteurs aux impubères, et aux femmes, quelque âgées qu'elles fussent. Cependant la tutelle perpétuelle des femmes tomba successivement en désuétude ; à l'époque de Justinien, il n'en restait plus aucun vestige. Nous en donnerons une idée ; mais, pour ne point mêler la législation existante avec celle qui est abrogée, nous traiterons premièrement de la tutelle des impubères, et séparément de celle des femmes.
I. Est autem tutela , ut Servius definivit, vis ac potestas in capite libero, adtuendum eum qui propter atatem se defendere nequit, jure civili data ac permissa.
I. La tutelle est, comme l'a défini Servius, une puissance avec autorité sur une tête libre, donnée et permise par le droit civil pour protéger celui qui, à cause de son âge, ne peut se défendre lui-même.
Presque tous les termes de cette définition ont fourni:
matière à un commentaire ;.il est vrai qu'ils indiquent
tous les caractères essentiels de la tutelle.
Vis acpotestas. Les uns ont vu dans vis l'autorité sur la
personne du pupille, dans potestas l'autorité sur les biens ;
d'autres dans vis, le pouvoir qu'a le tuteur d'agir par lu-imême:
dans potestas, le droit d'autoriser les actes du pupille;
il en est même pour qui vis indique, la contrainte
exercée sur le tuteur forcé de prendre la tutelle malgré lui ; mais, par la simple connaissance du style des lois romaines,
on se convaincra que, dans ces lois, les mots vis ac potestas
marchaient souvent ensemble, et c'est Vinnius qui
en fait la remarque. Il cite des passages du Digeste, des
Instituts et du Code, dans lesquels ces mots sont également
réunis. Ainsi ils formaient un pléonasme usité ; cependant
j'ajouterai qu'ici ce pléonasme n'est pas entièrement
inutile, parce qu'il existait certaines tutelles de femmes,
dans lesquelles le tuteur n'avait, pour ainsi dire, qu'une
puissance sans force, ne donnant son autorisation que
pour la forme et ne pouvant la refuser, tellement qu'à
cette occasion Gaius observe que, si ce tuteur était un patron
ou un ascendant, on ne pouvait pas le contraindre à
donner son autorisation, et que sa tutelle avait quelque
force. Legitimae tutelae vim aliquam habere intelliguntur.
Ceci peut nous aider à mieux sentir l'étendue de cette
expression tutela est vis ac potestas.
In capite libero. Par ces mots on désigne souvent une
personne non esclave; mais ils ont ici un sens plus étendu:
ils indiquent un individu libre de toute puissance, sui
juris, qualité sans laquelle on ne peut être en tutelle. Nous ne
dirons pas qu'ils s'appliquent aussi au tuteur et qu'ils signifient
que la puissance est donnée à une tête libre sur une
tête libre. La construction de la phrase et le raisonnement
s'opposent à ce double sens. Pour être tuteur, il faut, il
est vrai, ne pas être esclave ; mais il n'est point nécessaire
d'être sui juris. Ad tuendum. La puissance du tuteur est toute de protection
et dans l'intérêt du pupille , bien différente en cela
des autres puissances, potestas patria, manus, mancipium;
elle a pour but de défendre la personne et les biens de
l'impubère. Ce ne sont point les droits de ce dernier que
l'on donne au tuteur et dont on lui transporte la propriété,
c'est seulement le soin de leur conservation et de leur
exercice qu'on lui confie.
Propter oetatem. Puisque, sous Justinien, la tutelle à
cause du sexe n'existe plus.
Jure civili. L'expression jus civile a, comme nous l'avons
déjà dit, deux significations : elle désigne quelquefois le
droit propre aux seuls citoyens, par opposition au droit des
gens, et quelquefois le droit établi par la puissance législative,
par opposition au droit prétorien. L'un
et l'autre sens est applicable à la tutelle ; car, d'un côté,
les citoyens seuls peuvent être tuteurs, ou recevoir des tuteurs
d'après la loi romaine; de l'autre, la tutelle a été
introduite et réglée non par les préteurs, mais par des lois,
des sénatus-consultes et l'usage (legibus , senatus consultis,
moribus).
Data ac permissa. Quelquefois la tutelle est donnée par
la loi elle-même : telle est celle qui est déférée de plein
droit aux agnats ; on ne peut nier qu'elle soit jure civili
data; d'autres fois la tutelle est seulement permise :
telle est celle que la loi permet au chef de famille de donner
par testament; il est certain qu'elle est jure civili
permissa. On peut rapporter à cette différence les expressions du texte data ac permissa, quoique cependant ni les
jurisconsultes, romains, ni Théophile, dans sa Paraphrase, ne paraissent leur attribuer de sens, spécial et
distinct.
2. Tutores autem sunt, qui eam vim ac potestatem habent, exque ipsa re nomen ceperunt : itaque appellantur tutores, quasi tuitores atque defènsores ; sicut aeditui dicuntur, qui aedes tuentur.
2. Les tuteurs sont ceux qui ont cette puissance, cette, autorité. C'est de la chose même qu'ils ont pris leur nom ; on les appele tuteurs (tutores), pour dire protecteurs (tuitores), défenseurs, comme on appelle aeditui ceux qui veillent sur les édifices.
Après ces idées générales, les Instituts passent à l'exposé des diverses tutelles. Nous ne chercherons point ici combien elles formaient d'espèces ; mais, rejetant plus loin cette question, nous les parcourrons successivement les unes après les autres, en suivant le texte, et commençant d'abord par celle que l'on donnait par testament. Cette tutelle se nommait testamentaire (testamentaria tutela); et les tuteurs ainsi donnés, tuteurs testamentaires (testamentarii tutores). Nous trouvons encore dans Gaius et dans Ulpien que ces tuteurs portaient aussi le nom de tuteurs datifs (tutores dativi), lorsqu'ils avaient été donnés nommément, c'est à dire spécialement désignés par le testament. Mais cette dénomination, moins générale que l'autre, se liait principalement à une particularité de la tutelle des femmes, que nous verrons en traitant cette matière.
3. Permissum est itague parenlibus, liberis impuberibus
quos in potestate liabent, testamento
tutores dare. Et hoc in
filios filiasque procedit omnimodo
: nepotibus vero , neptibusque
, ita demum parentes
possunt testamento tutores dare,
si post mortem eorum in patris
sui potestatem non sunt recasuri.
Itaque, si filius tuus mortis tuae
tempore in potestate tua sit, nepotes
ex eo non poterunt ex
testemento tuo tutorem babere,
quamvis in potéstate tua fuerint,
scilicet quia , mortuo te, in potestatem
patris sui recasuri sunt.
3. Il est permis aux ascendants
de donner par testament des tuteurs
aux enfants impubères qu'ils ont
sous leur puissance, et cela, sans
distinction pour les fils et les filles.
Mais ils ne peuvent en donner aux
pétits-fils et aux petites-filles que
lorsque ces derniers ne doivent pas,
après la mort de l'aieul, retomber
au pouvoir du père. Si donc, au
moment de ta mort, ton fils est sous
ta puissance, tes petits-fils issus
de lui ne pourront pas recevoir des
tuteurs par ton testament, bien
qu'ils soient sous ta puissance,
parce qu'ils doivent, après ta mort,
retomber sous celle du père.
La tutelle testamentaire était consacrée par la loi des douze Tables en ces termes : uti legassit super pecunia tutelave suaerei, ita jus esto . Elle passait avant toutes les tutelles, car, ce n'était qu'à défaut d'un tuteur testamentaire qu'on avait recours aux autres. Il nous faut examiner qui peut nommer le tuteur par testament, à qui on peut le nommer ; quels individus peuvent être nommés, et comment doit être faite la nomination. Les deux premières questions sont traitées dans ce titre, les deux dernières dans le titre suivant. — C'est le chef de famille seul qui peut nommer le tuteur par testament, et c'est de lui que parle la loi des douze Tables que nous venons de citer. — C'est seulement aux enfants placés sous sa puissance qu'il peut nommer un tuteur aussi trouvet- on dans la loi cette expression remarquable, tutelave suae rei, pour dire la tutelle des personnes qui lui appartiennent; mais il ne suffit pas que les enfants soient au pouvoir du testateur, il faut encore qu'à la mort de celu ici ils aient besoin d'un tuteur, c'est-à-dire qu'ils soient impubères et sui juris ; ce qui fait répéter ici dans les Instituts les observations déjà faites plus haut, lorsqu'il s'agissait de déterminer quels sont les enfants qui, à la mort du chef, deviennent sui juris.
4. Cum autem in compluribus aliis causis postumi pro jam natis babentur, et in hac causa placuit non minus postumis, quam jam natis terstamento tutores dari posse, si modo in ea causa sint, ut si vivis parentibus nascerentur, sui heredes, et in potestate eorum fierent.
4. De même que, dans plusieurs autres cas, les posthumes sont considérés comme nés, pareillement ici on a décidé qu'ils pourront, aussi bien que les enfants déjà nés, recevoir des tuteurs par testament, pourvu toutefois qu'ils soient dans une position telle que, s'ils étaient nés du vivant de leurs ascendants, ils auraient été héritiers siens, sous la puissance de ces ascendants.
In compluribus aliis causis. Dans le sens le plus général,
les mots enfant posthume signifient : enfant né après la
mort. On doit indiquer à la mort de quelle personne ou
compare la naissance de cet enfant; car il peut être posthume
par rapport à son aïeul, à son oncle, à son frère, à
son père, selon qu'il est né après la mort de l'un ou de l'autre. Dans un sens particulier on entend par posthume,
sans autre désignation, l'enfant né après la mort de son
père.
— Le posthume, même déjà conçu, n'a jamais été,
pour les personnes mortes avant sa naissance, qu'un être
incertain; et comme tel, d'après l'ancien droit romain,
il ne pouvait recevoir, par le testament de ceux auxquels
il était posthume, ni tuteur, ni legs, ni hérédité. Ce
droit primitif fut modifié dans un seul point : lorsqu'un
chef de famille mourait, laissant un enfant seulement
conçu, lequel, s'il fût déjà né, eût été son héritier, on
trouva trop rigoureux de dépouiller ce posthume de l'hérédité
paternelle, parce qu'il n'était né qu'après la mort de
son père, et l'on agit comme s'il était né de son vivant.
Ainsi il fut appelé à l'hérédité légitime; il fut permis au
chef de l'instituer dans son testament, où de le deshériter; de lui donner un legs; de lui nommer un tuteur;
aussi Gaius disait-il dans ses commentaires que pour la nomination
d'un tuteur et pour plusieurs autres causes (in
compluribus aliis causis) l'enfant posthume était considéré
comme né. Ce sont ces expressions que l'on a transportées
dans les Instituts ; mais ici elles ont un sens encore
plus étendu, parce que Justinien donna aux posthumes le
droit de recevoir par le testament de tout le monde, et les
considéra comme nés, non seulement par rapport au chef
dont ils auraient dû hériter ; mais par rapport à toutes les
autres personnes. Sui heredes. On nommait héritiers siens (heredes sui),
les enfants qui, dans la famille, n'étant précédés par
personne, à la mort du chef devaient se trouver sui
juris; ce sont ces enfants qui héritaient. Pour que le
posthume pût recevoir un tuteur du chef de famille mourant,
il fallait qu'en le réputant né au moment de cette
mort, il se trouvât dans cette position ; un exemple fera
sentir cette règle. Un aïeul a sous sa puissance son fils
marié, dont la femme est enceinte; pendant la grossesse
l'aïeul meurt, laissant le fils chef de famille et héritier
sien ; ce fils meurt lui-même quelque temps après, la
grossesse continuant toujours ; enfin, le petit enfant vient
au monde, et comme il se trouve ainsi posthume à son
père et à son aïeul, il naît maître de lui-même, ayant
besoin d'un tuteur. A-t-il pu en recevoir un dans le testament
de l'aïeul? Non, parce qu'en le supposant né à
la mort de cet aïeul, il n'eût pas été sui juris et héritier
sien, puisqu'il était précédé par son père, sous la puissance
duquel il est en quelque sorte retombé, quoiqu'il
ne fût encore que conçu. Mais il a pu recevoir un tuteur
par le testament du père, parce qu'en le réputant déjà
né lors de la mort de celui-ci, il n'en eût pas moins été sui juris et heres suus. — Du reste, il faut bien se garder
de conclure de là , que l'enfant doive nécessairement être
héritier, pour que le père puisse lui donner un tuteur par
testament. C'est à sa puissance paternelle seule que le chef
doit la faculté de nommer le tuteur. Il pourrait, dans son
testament enlever à ses enfants toute sa succession, en les
déshéritant, et néanmoins leur désigner vin tuteur.
Ainsi, daus cette maxime de Q. M. Scaevola : nemo potest
tutorem dare cuiquam, nisi ei quem in suis heredibus, cum
moritur habuit, habiturusve esset, si vixisset, on a
voulu par ces mots: suis heredibus exprimer qu'on ne peut
donner de tuteur qu'aux enfants qui ne sont précédés
par personne dans la famille, et que la loi, en conséquence,
met parmi les héritiers siens.
5. Sed si emancipato filio tutor a patre testamento datus fuerit, confirmandus est ex sententia praesidis omni modo, id est, sine inquisitione.
5. Mais si un tuteur a été donné par le testament du père à un fils émancipé, il doit être confirmé par sentence du président dans tous les cas, et par conséquent sans enquête.
Confirmandus est. Dans bien des cas où la nomination du tuteur était nulle d'après le droit, elle devait néanmoins être confirmée par le magistrat. Un titre spécial est consacré à cette matière, dans le Digeste et dans le Code, de confrmando tutore vel curatore. Si le père a donné le tuteur dans un testament ou dans un codicille non valable ; s'il l'a donné à un enfant émancipé sur lequel il n'avait aucune puissance paternelle ; ou même à un enfant naturel, pourvu que, dans ce cas, il lui ait laissé quelques biens ; si la mère, un patron, ou même un étranger, ont donné par testament un tuteur à un enfant qu'ils ont institué héritier ; dans tous ces cas, bien que, selon le droit strict, le tuteur ne soit pas valablement donné, le magistrat le confirmera, sans enquête quand il a été donné par le père, et, s'il l'a été par toute autre personne, avec enquête, c'est-à-dire en recherchant d'après la fortune, la probité et l'habileté du tuteur, s'il pourra bien remplir ses fonctions.
TIT. XIV.
QUI TESTAMENTO TUTORES
DARI POSSUNT.
TIT. XIV.
QUI PEUT ÊTRE NOMMÉ TUTEUR
PAR TESTAMENT.
Il est évident, pour premier principe, qu'on ne pouvait nommer tuteur par testament, que des individus qu'il était permis de faire entrer dans la confection d'un pareil acte, qu'on pouvait prendre pour but d'une disposition testamentaire, ou, pour nous exprimer comme les Romains, que des individus avec lesquels on avait faction de testament (testamento tutores hi dari possunt, cum quibus testamenti faclio est. — Cum quibus tesiamenti faciendi jus est). Ainsi, par là se trouvaient exclus tous les étrangers, parce qu'on n'avait pas avec eux faction de testament. Mais cette condition générale suffisait-elle, et tout individu capable de figurer dans un testament comme héritier, comme légataire, pouvait-il y figurer comme tuteur? Les femmes, les fils de famille, les esclaves, les furieux, les impubères, peuvent recevoir un legs, une hérédité, pourront- ils recevoir une tutelle? Les Instituts examinent successivement la nomination de ces diverses personnes. Les femmes ne pouvaient être appelées à la tutelle qui était une charge publique sous certains rapports, et réservée aux hommes seuls. Il n'y avait d'exception que pour celles qui obtenaient du prince la permission de gérer la tutelle de leurs propres enfants.
Dari autem potest tutor non solum paterfamilias, sed etiam filiusfamilias.
On peut nommer tuteur non seulement un chef, mais encore un fils de famille.
Si le fils de famille était soumis à son père, c'était à cause du caractère particulier de la puissance paternelle chez les Romains, et non pour aucune incapacité. Il pouvait gérer toutes les charges publiques, lorsqu'il avait l'âge voulu; il en était de même pour la tutelle.
1. Sed et servus proprius testamento cum libertate recte tutor dari potest. Sed sciendum est, eum et sine libertate tutorem datum, tacite libertatem directam accepisse videri, et per hoc recte tutorem esse. Plane si per errorem, quasi liber, tutor datus sit, aliud dicendum est. Servus autem alienus pure inutiliter testamento datur tutor ; sed ita, cum liber erit, utiliter datur : proprius autem servus, inutilite eo modo tutor datur.
1. On peut aussi par testament nommer, valablement pour tuteur son propre esclave en l'affranchissant ; mais sachez que, même dans le cas où on l'a nommé tuteur sans l'affranchir, il est censé avoir reçu tacitement ta liberté directe, et par là il prend valablement la tutelle. Néanmoins il en serait tout autrement si on ne l'avait nommé tuteur que par erreur, le croyant libre. Quant à l'esclave d'autrui, on ne peut dans son testament le donner pour tuteur purement et simplement, mais on le peut avec cette condition : lorsqu'il sera libre. Si l'on nommait ainsi son propre esclave, la nomination serait inutile.
Tacite libertatem directam. Les esclaves étaient incapables
de gérer aucune charge; si on voulait les nommer
à une tutelle, il fallait donc les affranchir. Les avait-on
nommés tuteurs sans affranchissement, il est certain que
les principes rigoureux du droit primitif s'opposaient à
la validité de cette nomination, et qu'il a dû nécessairement
exister une époque où elle était radicalement nulle.
Cependant, lorsqu'on se relâcha de la rigueur des premiers
principes, cette conclusion put être modifiée par
faveur pour la liberté et pour les pupilles (et libertatis et
pupillorum favore). Nous trouvons au Digeste un fragment
de Paul, qui, par cela seul que l'esclave a été nommé
tuteur, décide qu'il doit avoir la liberté directe Cette
opinion ne devait pas être universellement adoptée et entièrement assise, car, environ quarante ans après, les
empereurs Valérien et Gallien disent, dans un rescrit,
qu'il est reçu que, dans ce cas, l'esclave aura la liberté
fidéicommissaire Justinien consacre ici l'opinion de
Paul. Il y a, comme nous le savons, entre la liberté directe
et la liberté fidéicommissaire, cette différence principale,
que la première est acquise à l'esclave de plein
droit après l'acceptation d'hérédité , tandis que la seconde
ne lui est acquise, que lorsque l'héritier l'a affranchi.
Pure inutiliter testamento datur. Une disposition est
pure et simple, quand on n'y met aucune condition, aucune
modification. On ne pouvait affranchir purement
et simplement l'esclave d'autrui, mais on le pouvait par
fidéicommis ; la tutelle devait suivre la même règle,
puisqu'elle ne pouvait exister sans la liberté. Ainsi cette
disposition : je vous prie, mon héritier, d'affranchir l'esclave
de mon voisin et je le donne pour tuteur à mon fils,
était valable; tandis que celle-ci : que Stichus, l'esclave de
mon voisin, soit tuteur de mon fils, devait être nulle.
Néanmoins les prudents, s'écartant du droit rigoureux,
décidèrent toujours en faveur de la liberté et des pupilles,
que même, dans ce dernier cas , le testateur serait censé
avoir voulu donner la liberté fidéicommissaire; à moins qu'il
ne fût évident que ce n'était point là son intention (nisi
aliud evidenter defunctum sensisse appareat), et l'héritier, en
conséquence, devait acheter l'esclave et l'affranchir.
Ces mots des Instituts pure inutiliter datur, doivent donc être pris en ce sens, que la nomination est inutile comme
pure et simple, ce qui n'empêche pas qu'elle soit valable
comme fidéicommissaire. Quant à cette disposition « que
Stichus, l'esclave de mon voisin, soit tuteur quand il
sera libre », elle n'avait rien de contraire au droit, parce
que la nomination était faite pour une époque où l'esclave
serait capable. Inutiliter eo modo. Parce que celui qui dit: Je donne
à mon fils pour tuteur mon esclave Eros quand il sera
libre, n'a évidemment pas l'intention d'affranchir cet
esclave.
2. Furiosus, vel minor vigintiquinque annis tutor testamento datus, tutor tunc erit, cum compos mentis, aut major vigintiquinque annis factus fuerit.
2. Le fou ou le mineur de vingt cinq ans, nommé tuteur par testament, prendra la tutelle quand il sera sain d'esprit ou majeur de vingt-cinq ans.
Un fou ne pouvait être tuteur. Quelques auteurs pensaient que sa nomination était nulle ; mais la plupart voulait qu'elle fût toujours considérée comme faite sous cette condition tacite, cum suae mentis esse coeperit. C'est cette opinion qu'exposent les Instituts, et qui s'applique, d'une manière analogue, au mineur de vingt cinq ans. Il est presqu'inutile de dire que si le pupille, ayant par exemple douze ans, l'individu désigné pour tuteur n'en a que vingt, comme l'un arrivera à sa puberté avant que l'autre parvienne à vingt-cinq ans, la nomination est entièrement inutile.
Il faut ajouter, pour terminer l'examen des individus qui pouvaient être nommés tuteurs, que les militaires en étaient incapables. On ne pouvait non plus nommer une personne incertaine, comme: «le premier qui rencontrera mon convoi funèbre », parce que la tutelle ne doit être donnée que par la confiance.
3. Ad certum tempus, seu ex certo tempore, vel sub conditione, vel ante heredis institutionem posse dari tutorem, non dubitatur.
3. On peut, et cela ne fait aucun doute, nommer le tuteur jusqu'à un certain temps, ou à partir d'un certain temps, ou sous condition , même avant l'Institution d'héritier.
Le tuteur pouvait être nommé purement et simplement (pure): que Titius soit tuteur; jusqu'à un certain temps (ad certum tempus; ad diem): qu'il soit tuteur pendant quatre ans; à partir d'un certain temps (ex certo tempore ; a die) : qu'il prenne la tutelle quatre ans après ma mort; sous condition (sub conditione): qu'il soit tuteur s'il gagne le procès qu'il soutient dans ce moment. Ce n'est pas sans motif qu'on s'explique formellement sur la validité de pareilles nominations; car nous verrons que le testateur n'avait pas la même latitude pour toutes les dispositions testamentaires, et qu'il ne pouvait nommer un héritier ni pour un temps, ni à partir d'un certain temps. Ante heredis institutionem. L'institution d'héritier était la désignation des personnes que le testateur choisissait pour héritier. Le testament n'existait que par cette institution et devait commencer par elle ; si bien que jadis les legs, les fidéicommis, les affranchissements inscrits avant l'institution d'héritier étaient nuls. Des jurisconsultes étendaient même cette rigueur à la nomination d'un tuteur ; mais Labéon , Proculus , et leurs disciples étaient d'un avis contraire relativement au tuteur. Du reste, Justinien abolit cette subtilité non seulement pour la tutelle, mais pour toutes les autres dispositions.
4. Certae autem rei vel causae tutor dari non potest, quia personae, non causae, vel rei datur.
4. Mais un tuteur ne peut être nommé pour un bien ou pour une affaire spéciale, parce que c'est à la personne qu'il est donné, et non à l'affaire ni à la chose.
Nous verrons plus loin comment il faut entendre cette maxime que le tuteur est donné à la personne et non à la chose. Il suffit ici de dire que la tutelle ayant pour but général de défendre le pupille dans tous ses intérêts, dans sa personne, dans ses biens , dans ses affaires, on ne pouvait en faire un mandat spécial pour un objet déterminé. Une pareille nomination eût été nulle en entier. Il existait jadis quelques exceptions à cette règle, dans certains cas où, tandis qu'il y avait déjà un tuteur, on en nommait un autre pour une affaire particulière; mais ces exceptions ne sont plus sous Justinien. — Du reste, rien n'empêchait de nommer au même pupille plusieurs tuteurs : nous dirons bientôt comment ils devaient se diviser l'administration. Rien n'empêchait aussi, lorsque les biens étaient situés dans des provinces différentes et éloignées, départager la gestion de ces biens entre des tuteurs différents.
5. Si quis filiabus suis vel filiis tutores dederit, etiam postumae vel postumo dedisse videtur, quia filii vel filiae appellatione et postumus vel postuma contipetur. Quod si nepotes sint, an appellatione filiorum et ipsis tutores dati sint? Dicendum est, ut ipsis quoque dati videantur, si modo liberos disent. Caeterum si filios , non continebuntur ; aliter enim filii, aliter nepotes appellantur. Plane si postumis dederit, tam filii postumi, quam ceteri liberi continebuntur.
TIT. XV.
DE LEGITIMA AGNATORUM TUTELA.
Quibus autem testamento tutor datus non sit, bis ex lege duodecim tabularum agnati sunt tutores , qui vocantur legitimi.
TIT. XV.
DE LA TUTELLE LEGITIME DES
AGNATS.
A défaut de tuteur donné par testament, l'a tutelle est déférée, d'après la loi des douze Tables, aux agnats, qui se nomment tuteurs légitimes.
Nous passons ici aux tuteurs légitimes. Ce sont, dit Ulpien, en général ceux qui sont nommés par une loi; mais surtout ceux qui viennent de la loi des douze Tables, soit expressément, soit par conséquence: Legitimi tutores sunt qui ex lege aliqua descendunt : per eminentiam autem legitimi dicuntur, qui ex lege duqdecim Tabularum introducuntur, seu propalam, quales sunt agnati, seu per consequentiam, quales sunt patroni. Ces tuteurs ne sont donnés par personne ; ils reçoivent la tutelle de la loi même : Legitimos tutores nemo dat, sed lex duodecim Tabularum fecit tutores. Quant aux expressions propres de la loi des douze Tables sur cette matière, elles ne nous sont point connues ; mais nous savons que cette loi, rangeant la tutelle parmi les droits de famille, et établissant une analogie entre elle et. l'hérédité, la déférait seulement aux agnats. C'est à ce sujet que Gaius et, après lui, les Instituts traitent de l'agnation, sur laquelle nous avons déjà donné quelques idées.
1. Sunt autem agnati, cognati per virilis sexus cognationem conjuncti, quasi a patre cognati : veluti frater ex eodem patre natus, fratris filius neposve ex eo; item patruus , et patrui filius neposve ex eo. At qui per feminini sexus personas cogoatione junguntur, non sunt agnati , sed alias naturali jure cognati : itaque amitae tuae filius non est tibi aguatus, sed cognatus ; et invicem tu illi eodem jure conjungeris, quia qui nascuntur, patris, non matris familiam sequuntur.
1. Sont agnats, les cognats unis par le sexe masculin, les cognats par leur père ; par exemple : le frère issu du même père, son fils, l'enfant de ce fils ; de même l'oncle paternel, son fils ou l'enfant de ce fils. Quant aux cognats unis par le sexe féminin, ils ne sont point agnats, mais seulement cognats par le droit naturel. Ainsi le fils d'une tante paternelle n'est point ton agnat, mais ton cognat ; et réciproquement tu ne lui es uni qu'à ce titre, parce que les enfants suivent la famille du père et non celle de la mère.
Nous savons que le mot de cognat est une expression générale qui s'applique à tous les parents. Les agnats ne forment qu'une classe particulière de cognats, ce sont ceux qui sont membres d'une même famille (ejusdem familiae; ex eadem familia), en comprenant dans le mot famille, non pas une seule maison commandée par un seul chef, mais toutes les maisons qui, dans leur origine, réunies en une seule, se divisent successivement à la mort de chaque chef. Le droit civil, pris dans toute sa rigueur, ne consacre pas d'autre lien de parenté que celui des agnats, et c'est à eux seuls qu' il accorde les droits de famille, tels que ceux de tutelle et d'hérédité. Par opposition aux agnats, et dans un sens restreint, on nomme simplement cognats les parents qui ne sont unis que par un lien naturel. Per virilis sexus. Les agnats sont donc les cognats, membres d'une même famille. Mais quels sont ceux qui se trouvent membres d'une même famille? Nous le savons: les parents par le sexe masculin issus de justes noces ou légitimés, et les enfants adoptifs. Quant aux parents du côté des femmes, comme ils n'entrent pas dans la famille de leur mère, ils ne sont que cognats avec les parents de cette dernière. C'est ce que les Instituts disent ici. Mais, du reste, il peut arriver qu'un parent par les hommes ne soit pas agnat, s'il a été renvoyé de la famille ; ou, en sens inverse, qu'un parent par les femmes, un étranger même, soient agnats s'ils ont été introduits dans la famille par l'adoption ; il faut donc bien se garder de croire, comme on pourrait le faire à la lecture du texte, que l'agnation soit essentiellement attachée à la qualité de parent par le sexe masculin; elle est attachée à l'existence dans la même famille. Le texte ici n'exprime point le caractère de l'agnation, mais il indique quels sont ordinairement les agnats et les cognats.
2. Quod autem lex ab intestato vocat ad tutelam agpatos, non hanc habet significationem, si omnino non fecerit testamentum is qui poterat tutores dare;sed si, quantum ad tutelam pertinet, intestatus decesserit : quod tunc quoque accidere intelligitur, cum is, qui datus est tutor, vivo testatore decesserit.
2. Ces mots : que la loi appelle les agnats à la tutelle, ab intestat, ne signifient point qu'elle les appelle lorsque celui qui pouvait nommer les tuteurs est mort sans testament aucun, mais lorsqu'il est mort intestat par rapport à la tutelle : ce qui est censé avoir lieu aussi quand le tuteur, nommé décède avant le testateur.
On examine ici quand la tutelle légitime doit avoir lieu. Ce qui arrive : 1° quand le père de famille est mort sans tester, ou du moins sans nommer de tuteur dans son testament; il est alors intestat d'une manière absolue, ou du moins intestat par rapport à la tutelle ; 2° quand le tuteur nommé meurt avant le testateur, celui-ci décède intestat par rapport à la tutelle, puisque la nomination qu'il avait faite s'est évanouie avant son décès; 3° quand le tuteur testamentaire, ayant géré quelque temps, meurt ou perd ses droits de citoyen avant que le pupille ait atteint la puberté ; on revient alors aux agnats pour tout le restant de la tutelle; 4° quand le testateur n'a déféré la tutelle que pour un certain temps ou jusqu'à une certaine condition : ce temps arrivé, ou cette condition accomplie, on doit revenir également à la tutelle légitime. — Dans ces deux derniers cas, le père de famille a testé pour une partie de la tutelle, et on le considère en quelque sorte comme intestat pour tout le restant. C'est ici une différence remarquable avec l'hérédité. Nous verrons qu'il n'était jamais permis à un citoyen de mourir partie testat, partie intestat, par rapport à sa succession ; nul partage soit dans la quotité, soit dans le temps , n'était admis entre les héritiers testamentaires et les héritiers légitimes. Ce principe n'avait pas été transporté dans les tutelles, parce qu'il n'était pas contraire à leur nature d'être gérées pendant un temps par une personne, pendant un autre temps par une autre personne.
3. Sed agnationis quidem jus omnibus modis capitis deminutione plerumque perimitur : nam agnatio juris civilis nomen est; cognationis vero jus non omnibus modis commutatur, quia civilis ratio civilia quidem jura corrumpere potest, naturalia vero non utique.
3. Les droits d'agnation s'éteignent, en règle générale, par toute diminution de tête; Car l'agnation est un lien du droit civil : mais les droits de cognation ne s'éteignent pas dans tous ces cas, parce que la loi civile peut bien détruire les droits civils, mais pas toujours les droits naturels.
L'agnation est un effet purement civil, attaché à l'existence dans la même famille. Elle doit par conséquent disparaître, et avec elle tous les droits qu'elle donnait, lorsque cette existence dans la même famille cesse, pour quelque cause que ce soit. La cognation proprement dite, c'est-à-dire la parenté naturelle, est le résultat d'un fait, la naissance d'une souche commune. Ce fait est indestructible, et par conséquent la cognation aussi. Rien au monde ne pourra faire que celui qui est né du même père que moi cesse d'être né de ce père, et, par suite cesse d'être mon frère. Mais les droits civils accordés à la cognation peuvent être retirés par la loi, parce qu'ils ont été donnés par elle. Ainsi en résumé : le lien d'agnation et tous ses droits peuvent être détruits; le lien de cognation ne peut l'être jamais, mais les droits de cognation peuvent l'être. Comme la perte de l'agnation entraîne la perte de la tutelle, c'est ici, comme par accessoire , que Gaius, Ulpien et les Instituts examinent les diminutions de tête.
TIT. XVI.
DE CAPITIS DEMINUTIONE.
Est autem capitis deminutio, prioris status mutatio. Eaque tribus modis accidit. Nam aut maxima est capitis deminutio, aut minor , quam quidam mediam vocant, aut minima.
TIT. XVI.
DE LA DIMINUTION DE TÊTE.
La diminution de tête est le changement d'un premier état. Elle a lieu de trois manières: car elle est, ou grande, ou moindre; quelques-uns disent moyenne, ou petite.
L'état de citoyen romain se composait essentiellement de trois éléments constitutifs, sans lesquels il n'existait jamais : la liberté, la cité, la famille : Tria sunt quae habemus libertatem, civitatem, familiam. Point de citoyen sans la liberté, la cité et une famille dans laquelle il était ou chef ou dépendant. Quant aux qualités particulières de sénateur, patricien, chevalier, consul, etc., elles n'étaient qu'accessoires, pouvant se trouver chez l'un , ne pas se trouver chez l'autre, et n'entrant nullement dans la constitution de l'état de citoyen romain. Les trois éléments qui composaient cet état, n'avaient pas tous la même importance, et ne se, modifiaient pas de la même manière. Comme, de sa nature, la classe des hommes libres était une, quant à la liberté, abstraction faite des autres droits, il n'y avait point de milieu entre y rester ou en sortir, garder ou perdre la liberté, aussi ne dit-on pas libertas mutatur, mais libertas amittitur. Cette perte totale de l'un des éléments constitutifs de l'état de citoyen romain entraînait la perte de l'état lui-même, et des deux autres éléments qui le composaient ; c'est ce qu'on nommait maxima capitis deminutio. — De même, comme il n'y avait qu'une seule cité romaine, point de milieu entre y rester ou en sortir, garder ou perdre la cité, on ne dit pas civitas mutatur, mais civitas amittitur. Cette perte totale de l'un des éléments constitutifs de l'état de citoyen romain entraînait aussi la perte de l'état lui-même, mais non celle des deux autres éléments; car ici l'individu, en, perdant l'état de citoyen romain, conservait celui d'homme libre: c'est la media capitis deminutio. — Enfin, comme dans la cité romaine il y avait plusieurs familles, tant que l'on conservait la liberté et la cité, on ne sortait de l'une de ces familles que pour entrer dans une autre, dans laquelle on était ou chef ou dépendant; il n'y avait jamais perte absblue, mais seulement changement (familia tantum mutatur). L'état de citoyen romain n'était point détruit (salvo statu); mais la position de l'individu seulement était modifiée (status duntaxat haminis mutatur) : c'est ce qu'on nommait minima capitis deminutio. — Autrefois celui qui avait perdu la liberté ou la cité cessait d'être inscrit sur le cens des citoyens; celui qui avait changé de famille continuait toujours à y être inscrit, mais à une autre placé, comme appartenant non plus à telle famille, mais à telle autre. — D'où vient qu'on avait donné à la perte de la liberté, de la cité, ainsi qu'au changement de famille, le nom de capitis deminutio, qui, littéralement traduit, signifie diminution de tête? Hotoman a donné sur cette expression une explication ingénieuse, qui a été citée par Vinnius, commentée par Héinneccius, et depuis généralement répétée : c'est que, dans tous ces cas, il y a diminution d'une tête dans la classe des hommes libres, dans la cité ou dans la famille, de sorte que, dans le sens primitif, le mot diminution devait s'appliquer à la classe qui perdait un de ses membres et non au membre lui-même ; ce n'est que par une transposition d'idée qu'on l'a fait tomber sur ce dernier, et qu'on a dit capite deminutus.
1 Maxima capitis deminutio est:, cum aliquis simul et civitatem et libertatem amittit ; quod accidit his qui servi poenae efficiuntur atrocitate sententiae ; vel libertis, ut ingratis erga patronos condemnatis ; vel his qui se ad pretium participandum venundari passi sunt.
1. Il y a grande diminution de tête lorsqu'on perd à la fois la cité avec la liberté, ce qui arrive à celui qu'une condamnation terrible rend esclave de la peine; à l'affranchi condamné comme ingrat envers son patron ; à celui qui s'est laissé vendre pour prendre part au prix.
Celui qui perd la liberté perd à la fois la cité et la famille. Quant aux événements qui entraînent : cette grande diminution de tête, nous les avons énumérés déjà . C'est ici le cas de les rappeler. Les seuls qui existassent encore à l'époque des Instituts, sont ceux que citent notre texte: 1.° une condamnation. En effet, les individus condamnés au dernier supplice, par exemple, à être dévorés par les bêtes féroces, peine cruelle qui existait encore sous Justinien (qui bestiis subjicitintur, ad bestias damnati), les condamnés aux mines (in metallum; in opus metalli damnati) devenaient esclaves par l'effet seul de la condamnation, et sans attendre qu'elle fût exécutée. Mais ils n'avaient d'autre maître que leur, supplice; aussi les nommait-on servi poenae, et si on leur donnait quelque chose par testament, la disposition était non avenue, puisqu'ils n'avaient point de maître à qui ils pussent acquérir. Justinien supprima plus tard (an 538) ce genre de servitude dans la Novelle 22, ch. g. — 2° L'ingratitude de l'affranchi. Elle donnait au patron le droit d'attaquer l'affranchi devant les juges, et d'obtenir une condamnation qui le ferait rentrer en esclavage. — 3° La vente qu'un homme libre et majeur de vingt ans faisait de sa personne pour prendre part au prix.
2. Minor, sive media capitis deminutio est, cum civitas quidem amittitur, libertas vero retinetur : quod accidit ei cui aqua et igni interdictum fuerit, vel ei qui in insulam deportatus est.
2. Il y a moindre ou moyenne diminution de tête lorsqu'on perd la cité en conservant la liberté; ce qui arrive à celui à qui l'on a interdit l'eau et le feu, ou que l'on a déporté dans une ile.
La moyenne diminution de tête fait perdre nécessairement les droits de famille, puisque ces droits sont propres aux seuls citoyens; mais l'individu reste libre , et devient étranger (peregrinus fit). — L'interdiction de l'eau et du feu était une formule de bannissement perpétuel, qu'on employait pour contraindre un citoyen à s'expatrier lui-même , privé qu'il était de toutes les choses nécessaires à la vie. Personne, nous dit Cicéron, ne pourra jamais, par aucun ordre du peuple, perdre les droits de cité malgré lui : Civitatem vero nemo unquam ullo populi jussu amittet invitus; pas même les condamnés : on n'y parvient à leur égard que d'une manière indirecte, qu'en leur interdisant l'eau et le feu : id autem ut esset faciendum, non ademptione civitatis, sed tecti, et aquae, et ignis interdictione faciebant). Ce caractère sacré qui protégeait le titre de citoyen romain disparut, mais la formule de bannissement resta. —La déportation différait de l'interdiction de l'eau et du feu, en ce que le condamné était enfermé dans un lieu déterminé, une île, d'où il ne pouvait sortir sous peine de mort. Ce genre de peine remplaça en entier l'interdiction de l'eau et du feu, dont le nom resta cependant. Il ne faut point confondre avec la déportation, la relégation, qui était aussi un exil dans un lieu désigné. Elle en différait en ce qu'elle pouvait être perpétuelle ou temporaire, mais surtout en ce que, dans aucun cas, elle ne faisait perdre les droits de cité.
3. Minima capitis deminutio est, cum et civitas et libertas retinetur, sed status hominis commutatur ; quod accidit his qui, cum sui juris fuerunt, coeperant alieno juri subjecti esse ; vel contra si filiusfamilias a patre emancipatus fuerit, est capite deminutus.
3. Il y a petite diminution de tête lorsque la cité et la liberté sont conservées, mais que l'état de la personne est modifié ; ce qui arrive à ceux qui, après avoir été maîtres d'eux-mêmes, sont passés au pouvoir d'autrui. En sens inverse, lorsqu'un fils est émancipé par son père, il essuie la diminution de tête.
Status hominis commutatur. L'état de citoyen romain
n'est nullement détruit, comme nous l'avons expliqué
déjà, par le changement de famille ; aussi l'on ne dit pas
ici status amittitur; bien loin de là, Ulpien dit, en propres
termes, que la petite diminution de tête a lieu salvo
statu; mais si l'état de citoyen romain n'est pas détruit, la position de l'individu , quant à la famille, est modifiée, et c'est ce que signifient ici les expressions de
notre texte.
Coeperunt alieno juri subjecti esse. Ce passage ne fait
autre chose que citer comme exemple l'adrogé et l'émancipé.
Gardons-nous bien de l'entendre comme énonçant
le principe que, pour, qu'il y ait petite diminution
de tête, il faut que l'individvi ait passé de l'état de chef
de famille à celui de fils, ou réciproquement de l'état de
fils à celui de chef. Outre que cette traduction serait vicieuse,
elle exprimerait une erreur de droit. Il y a petite
diminution de tête toutes les fois qu'il y a changement
de famille (cum familiam mutaverint). Il peut arriver
que, dans ce changement, celui qui était fils devienne
chef, ou réciproquement; mais il peut arriver aussi que
cela n'ait point lieu : ainsi le fils donné en adoption par
son père entre dans la nouvelle famille avec la qualité
de fils qu'il avait dans l'ancienne. Jadis la femme
qui passait in manu viri, l'homme libre qui était donné
in mantipio, essuyaient aussi la petite diminution de
tête.
4. Servus autem manumissuscapite non minuitur, quia nullum capul habuit.
4. Lorsqu'un esclave est affranchi, il n'y a pas diminution de tête, puisqu'il n'avait pas de tête.
Paul dit en d'autres termes : Servile caput nullum jus habet, ideo nec minui potest. L'esclave n'avait aucun des droits qui composaient l'état de citoyen romain, ni liberté, ni cité, ni famille; c'est en ce sens qu'on dit, nullum caput habuit. Quand il était affranchi, ni la classe des hommes libres, ni la cité, ni aucune famille, ne perdaient un de leurs membres : il n'y avait donc pas de diminution de tête.
5. Quibus autem dignitas magis quam status permutatur, capite non minuuntur ; et ideo a senatu motos capite non minui constat.
5. Il n'y a pas de diminution de tête pour ceux dont la dignité changé plutôt que l'état, ni par conséquent pour le sénateur qui est exclu du sénat.
Nous savons que les diverses dignités n'entraient nullement dans la composition de l'état de citoyen romain qui existait sans elle; l'acquisition ou la perte de ces dignités ne touchait en rien à cet état.
6. Quod autem dictum est, matiere cognationis jus et post capitis deminutionem, hoc ita est, si minima capitis deminutio interveniat; manet enim cognatio. Nam , si maxima capitis deminutio intercurrat, jus quoque cognationis perit, ut puta servitute alicujus cognati; et ne quidem, si manumissus fuerit, recipit cognationem. Sed et si in insulam quis deportatus sit, cognatio solvitur.
6. Quand on a dit que les droits de cognation survivent même à la diminution de tête, on a voulu parler de la petite; alors, en effet, la cognation n'est pas détruite. Mais, s'il intervient la grande diminution de tête, les droits de cognation s'éteignent aussi. Ils périssent, par exemple, pour le cognat réduit en servitude, et ne revivent même point par l'affranchissement. La cognation est aussi rompue par la déportation dans une île.
Le but qui a fait examiner ici les diminutions de tête est, comme nous l'avons dit, de connaître leur influence sur l'agnation, et par accessoire, sur la cognation. Cette influence peut se résumer ainsi. Le lien même de l'agnation et les droits qu'elle donne sont détruits par toute diminution de tête ; le lien naturel de la cognation n'est rompu par aucune diminution; les droits civils qui y sont attachés périssent par la grande et la moyenne, mais non par la petite, qui laisse l'entière jouissance des droits civils, et dont le seul effet est un changement de famille, chose indifférente pour la cognation: — Il est bon de remarquer que l'individu fait esclave perd tous ses agnats, tous ses droits de cognation, et qu'il ne les recouvre jamais, même si, par la suite, il est affranchi ; car, après l'affranchissement, il commence une nouvelle personne et une nouvelle famille, séparée entièrement de l'ancienne personne et de l'ancienne famille. Il en est de même dans le cas de déportation, à moins que le déporté n'ait été restitué en entier.
7. Cum autem ad agnatos tutela pertineat, non simul ad omnes pertinet, sed ad'eos tantum qui proximiores gradu sunt, vel, si plures ejusdem gradu sunt, ad omnes pertinet.
7. Bien que la tutelle appartienne aux agnats, elle n'appartient pas à tous en même temps, mais seulement aux plus proches en degré, ou à tous ceux du même degré, s'ils sont plusieurs.
Qui proximiores gradu sunt. Les douze Tables, rangeant la tutelle parmi les droits de famille, établissant une analogie entre elle et l'hérédité, l'avaient déférée aux agnats dans le même ordre que la succession, c'est-à-dire en appelant d'abord les plus proches. De là cette maxime de droit romain : Ubi emolument uni successionis ibi et onus tutelae. En effet, l'héritier présomptif du pupille, qui, si ce pupille vient à mourir, doit succéder à sa fortune, est intéressé plus que tout autre à la conserver, à l'augmenter; d'ailleurs il était censé avoir le plus d'affection, puisqu'il était le plus proche parent civil. — Toutefois il ne faut point attacher à l'analogie qui existait entre la tutelle et l'hérédité une importance trop rigoureuse. Ainsi il pouvait arriver que le plus proche agnat fût héritier présomptif et ne fût point tuteur, par exemple, si c'était un impubère, un sourd-muet, une femme. En sens inverse, il pouvait arriver que le plus proche agnat fût tuteur, et ne fût point héritier présomptif. Par exemple , si le père, dans son testament, avait lui-même désigné l'héritier de son fils impubère, comme il en avait le droit, d'après ce que nous verrons. Ad omnes pertinet. Ainsi il pouvait exister à la fois plusieurs tuteurs légitimes, aussi bien que plusieurs tuteurs testamentaires.
TIT. XVII.
DE LEGITIMA PATHONORUM TUTELA.
Exeadem lege duodecim Tabularum, libertorum et libertarum tutela ad patronos liberosque eorum pertinet, quae et ipsa légitima tutela vocatur, non quia Dominatim in ea lege de hac tutela caveatur, sed quia perinde accepta est per interpretationem, ac si verbis legis introducta esset. Eo enim ipso, quod hereditates libertorum libertarumque, si intestati decessissent, jusserat lex ad patronos liberosve eorum pertinere, crediderunt veteres voluisse legem etiam tutelas ad eos pertinere, cum etagnatos, quos ad hereditatem lex vocat. eosdem et tutores esse jusserit; quia plerumque ubi successionis est emolumentum, ibi et tulelae onus esse debet. Ideo autem diximus plerumque , quia si a femina impubes manumittatur, ipsa ad hereditatem vocatur, cum alius sit tutor.
TIT. XVII,
DE LA TUTELLE LEGITIME DES
PATRONS.
D'après la même loi des douze Tables, la tutelle des affranchis, hommes ou femmes, appartient aux patrons ou à leurs enfants. On la nomme aussi tutelle légitime ; non pas qu'elle soit établie d'une manière expresse par la loi, mais parce qu'elle est découlée de l'interprétation de cette loi, comme si elle avait été introduite par le texte même. En effet, de ce que la loi avait donné l'hérédité des affranchis, hommes ou femmes, morts intestats, aux patrons et à leurs enfants, les anciens ont conclu qu'elle voulait aussi leur donner la tutelle, puisque les agnats qu'elle appelle à l'hérédité sont aussi ceux là qu'elle veut pour tuteurs ; d'après ce principe que le plus souvent là où est l'avantage de la succession , là doit être aussi la charge de la tutelle. Nous disons le plus souvent, parce que si c'est une femme qui affranchit l'esclave impubère, elle est appelée à l'hérédité, et cependant un autre prend la tutelle.
Un esclave pouvait être affranchi impubère, ayant besoin d'un tuteur. Qui devait l'être? un tuteur testamentaire ? mais il ne pouvait y en avoir, puisque cette espèce de tuteur n'est donné que par le chef de famille aux personnes soumises à son pouvoir ; un agnat? mais l'affranchi commence en lui une nouvelle famille et n'a point d'agnat. Les moeurs le rattachaient en quelque sorte à la maison de son patron ; la loi des douze Tables avait donné à ce dernier et à ses enfants le droit de famille le plus important, le droit d'hérédité. Théophile rapporte a ce sujet le sens de la loi des douze Tables, quoiqu'il n'en donne pas les propres expressions; il était conséquent d'y joindre le droit de tutelle ; c'est ce que firent les prudents. Ainsi, après l'affranchissement, c'est le patron qui est tuteur; après la mort du patron , ce sont ses enfants, et cette tutelle est légitimé, parce que, d'après les termes d'Ulpien que nous avons cités, ou nommait ainsi les tutelles dérivant de la loi des douze Tables, soit expressément, soit par conséquence.
TIT. XVIII,
DE LECITIMA PARENTUM TUTELA.
Exemplo patronorum recepta est et alia tutela, quae et ipsa legitima vocatur : nam si quis filium aut filiam, nepotem aut neptem ex filio, et deinceps impuberes emancipaverit, legitimus eorum tutor erit.
TIT. XVIII.
DE LA TUTELLE LÉGITIME DES
ASCENDANTS.
Lorsqu'un individu avait reçu en mancipation un homme libre, et qu'à ce titre il le tenait en son pouvoir (in mancipio), s'il venait à l'affranchir pendant qu'il était encore impubère, cet enfant se trouvait, par rapport à la tutelle, dans une position semblable à celle d'un véritable affranchi; car, étant sorti de sa famille et n'ayant plus d'agnat, il ne pouvait avoir des tuteurs de cette classe. Nous avons vu que le propriétaire affranchissant était assimilé à un patron , que par suite de cette similitude il avait des droits d'hérédité. Comme une conséquence, il devait avoir la tutelle ; Ulpien et Gaius nous apprennent qu'il l'avait: qui liber um caput mancipatum sibi, vel a parente vel a (coemptionatore) manumisit, per similitudinem patroni, tutor efficitur qui fiduciarius tutor appellatur. Ces derniers mots nous font voir que cette tutelle n'était point légitime, mais se nommait fiduciaire. Pourquoi n'était elle point légitime ? Ce ne peut être que parce que la loi des douze Tables ne parlait en rien ni des droits de tutelle ni des droits d'hérédité d'un pareil affranchissant ; que ces droits ne lui avaient été accordés absolument que par similitude du patron, comme le dit Ulpien, et qu'en conséquence la tutelle ne découlait des douze Tables ni directement ni indirectement. Et qu'on ne dise point : cet affranchissant avait l'hérédité, il était conséquent qu'il eût la tutelle, donc cette tutelle était légitime. Qui lui donnait l'hérédité ? était-ce la loi des douze Tables ? si ce n'était pas cette loi, si l'hérédité ne venait pas de ces tables, comment la conséquence de l'hérédité, la tutelle, pouvait elle en venir? Concluons, en résumé, que les droits d'hérédité, lorsqu'ils ne découlaient pas eux-mêmes des douze Tables, ne donnaient point une tutelle légitime, et que, par suite de ce principe, la tutelle donnée sur l'enfant affranchi du mancipium n'était que fiduciaire. Cette tutelle n'existait plus sous Justinien ; mais elle va nous servir à mieux expliquer la tutelle de l'ascendant émancipateur sur l'enfant émancipé. Lorsque le père de famille émancipait avec clause de fiducie, il le faisait en éteignant d'abord sa puissance paternelle par les ventes nécessaires, en la transformant en mancipium par un rachat, et en affranchissant enfin le fils. C'est à cause de cet affranchissement, qu'il avait des droits d'hérédité et de tutelle. Sa tutelle n'était autre chose que celle dont nous venons de parler, c'est-à-dire la tutelle d'un propriétaire qui, ayant un individu in mancipio, l'avait affranchi; en conséquence, elle aurait dû strictement se ranger parmi les tutelles fiduciaires et non parmi les tutelles légitimes. C'est ce que nous prouve une observation de Gaius. Cependant le même auteur ajoute sur cet ascendant, non pas qu'il est tuteur légitime, mais qu'il est considéré comme tel (cura is et legitimus tutor habeatur). Ulpien dit pareillement qu'on lui accorde le rang de tuteur légitime (vicem legitimi tutoris obtinet). Pourquoi donc cette distinction ? On peut en trouver le motif dans la dernière observation de Gaius ; c'est qu'en sa qualité de père il ne doit pas obtenir moins d'honneur que les patrons (et non minus huic, quam patronis honor proestandus est ). Du reste , à l'époque des Instituts, les mancipations, la réserve de fiducie étaient supprimées, et l'on ne faisait plus aucune difficulté de nommer tuteur légitime l'ascendant émancipateur.
TIT. XIX.
DE FIDUCIARIA TUTELA.
Est et alla tutela, quae fiduciaria appellatur : nam si pareils, filium tel filiam, nepotem vel neptem, vel deinceps impuberes manumiserit, legitimam nanciscitur eorum tutelam. Quo defuncto, si liberi virilis sexus ei extant, fiduciarii tutores filiorum suorum, vel fratris, vel sororis , vel ceterorum efficiuntur. Atqui patrono legitimo tutore mortuo, liberi quoque ejus legitimi sunt tutores! Quoniam filius quidem defuncti , si non esset a vivo patre emancipatus, post obitum ejus sui juris efficeretur, hec in fratrum potestatem recideret, ideoque nec in tutelam;Libertus autem, si servus mansisset, utique eodem jure apud liberos domini post mortem ejus futurus esset. Ita tamen hi ad tutelam vocantur, si perfectoe sint oetatis, quod nostra constitutio generaliter in omnibus tutelis et curationibus observari precepit
TIT. XIX.
DE LA TUTELLE FIDUCIAIRE.
Il est encore une autre tutelle qui se nomme fiduciaire. En effet, lorsqu'un ascendant émancipe avant leur puberté son fils, sa fille, son petit-fils, sa petite-fille ou autres, il est investi de leur tutelle légitime ; et à sa mort, s'il laisse des enfants mâles, ceux-ci deviennent tuteurs fiduciaires de leurs fils, frères, soeurs ou autres. Cependant, à la mort du patron tuteur légitime, ses enfants sont comme lui tuteurs légitimes ! Cette différence vient de ce que le fils du défunt, s'il n'avait pas été émancipé du vivant de son père, à la mort de ce dernier serait devenu maître de lui-même, sans retomber sous la puissance de ses frères ; voilà pourquoi il n'est point sous leur tutelle légitime. Mais l'affranchi, s'il était resté esclave, aurait toujours été soumis au même titre aux enfants du maître , après la mort de ce dernier. Toutefois, ces personnes ne sont appelées à la tutelle que si elles ont atteint l'âge de capacité entière ; règle que notre constitution a généralement prescrite pour toutes les tutelles et curatelles.
Quo defuncto. Le père émancipateur, tuteur du fils émancipé, mourant avant la puberté de ce fils, aurait pu lui nommer un tuteur testamentaire; et, quoique strictement cette nomination ne fût point valable, cependant on l'aurait confirmée; mais s'il ne l'avait point fait, on donnait pour tuteur à cet enfant ceux qui, avant son émancipation, avaient été ses agnats, c'est-à-dire les enfants du chef émancipateur, et parmi eux on prenait celui qui était au degré le plus proche de l'émancipé. Cette tutelle, ne découlant des lois des douze Tables ni directement ni indirectement, mais provenant de l'affranchissement d'un individu in mancipio , se rangeait dans la classe des tutelles fiduciaires. Filiorum suorum. Théophile donne ici des exemples pour faire voir comment on peut se trouver le tuteur fiduciaire, tantôt de son fils, tantôt de son frère ou de son neveu. Il nous suffira d'en donner un pour le fils. Un aïeul émancipe son petit-fils, retenant sous sa puissance le père de ce petit-fils; l'aïeul mort, le père deviendra le tuteur fiduciaire de son fils émancipé. Atqui patrono. Justinien se fait cette objection: Lorsque le patron tuteur légitime meurt, ses enfants sont tuteurs légitimes; pourquoi, lorsque le père émancipateur, tuteur légitime , meurt, ses enfants ne sont-ils que tuteurs fiduciaires ? Et il y répond par un motif qui, outre qu'il ne prouve rien, ne s'applique pas à tous les cas ; car supposons qu'il s'agisse d'un petit-fils émancipé par son aïeul, son père naturel restant dans la famille ; ce petit-fils, s'il n'avait pas été émancipé, à la mort de l'aïeul serait retombé sous la puissance du père ; et cependant ce dernier n'est qu'un tuteur fiduciaire. La véritable raison est que la loi des douze Tables donnait au patron et à ses enfants l'hérédité de, l'affranchi et par conséquent la tutelle; cette tutelle était donc légitime; mais la loi des douze Tables ne parlait ni des droits d'hérédité ni des droits de tutelle du père émancipateur ou de ses enfants sur l'émancipé; leur tutelle n'était donc pas légitime. Cependant pourquoi donnait-on ce titre à celle du père émancipateur? Nous l'avons déjà dit, ce n'était que par honneur pour lui, et la même raison n'existait pas pour accorder cette faveur à ses enfants. Il ne faudrait pas croire que cette différence tînt à ce que le père avait des droits d'hérédité, tandis que les enfants n'en avaient point. Nous avons démontré que les droits d'hérédité, lorsqu'ils ne venaient pas eux-mêmes de la loi des douze Tables, ne donnaient point une tutelle légitimé. Aussi, bien que, depuis Anastase, les frères de l'émancipé aient acquis des droits de succession, leur tutelle n'a point cessé d'être fiduciaire. Du reste rappelons, comme observation générale, que si l'on prend le mot de tutelle légitime dans le sens le plus étendu, comme signifiant tutelle donnée par la loi, celle des agnats, du patron et de ses enfants, de l'ascendant émancipateur et de ses enfants sont toutes légitimés, mais si l'on prend ce mot dans le sens spécial, comme signifiant tutelle venant des douze Tables, soit expressément soit par conséquence, alors les agnats, le patron et ses enfants sont réellement lés seuls tuteurs légitimes : le père émancipateur leur est assimilé par honneur pour sa qualité ; mais ses enfants ne sont que tuteurs fiduciaires Si perfectae sint oetatis. Cet âge était celui de vingt-cinq ans. L'individu appelé à la tutelle, par la loi, devait être capable de la gérer ; s'il était mineur de vingt-cinq ans, furieux ou sourd et muet, il ne pouvait être tuteur ; et ici l'on n'agissait point comme pour la tutelle testamentaire, c'est-à-dire on n'attendait pas que son incapacité eût cessé; mais on passait immédiatement au tuteur que la loi appelait après lui (1).
(1) Le système que nous venons de parcourir sur les tutelles déférées par la loi, est celui qui existait encore à l'époque des Instituts. Mais, après cette nouvelle de Justinien qui introduisit (en 544) un nouvel ordre de succession, dans lequel on n'avait égard qu'au degré de parenté sans plus distinguer les agnats des cognats, le même changement fut apporté dans les tutelles, toujours conformément à ce principe, que l'une doit être la conséquence de l'autre. Les femmes néanmoins restèrent toujours incapables d'être tutrices , à l'exception de la mère et de l'aïeule. (Nov. 108. c. 5.)
TIT, XX.
DE ATILIANO TUTORE , ET EO QUI
EX LEGE JULIA ET TITIA DABATUR.
Si cui nullus omnino tutor fuerat, ei dabatur, in urbe quidem romana, à praetore urbano et majore parte tribunorum piebis tutor, ex lege Atilia ; in provinciis vero, a praesidibus provinciarum , ex lege Julia et Titia.
TIT. XX.
DU TUTEUR ATILIEN ET DU TUTEUR
DONNÉ PAR LA LOI JULIA ET TITIA.
Si quelqu'un se trouvait absolument sans tuteur, il lui en était donné un, dans la ville, par le préteur urbain et la majorité des tribuns des plébéiens ; en vertu de la loi Atilia ; dans les provinces, par les présidents, en vertu de la loi Julia et Titia.
Nous arrivons à la tutelle donnée par les magistrats :
les commentateurs et les écrivains modernes la nomment
tutelle dative. Cette dénomination est aujourd'hui généralement
adoptée; cependant elle n'était point consacrée
chez les jurisconsultes romains. Seulement, en rapprochant
du fragment d'Ulpien déjà cité : legitimos tutores
nemo dat, sed lex... fecit tutores, ces expressions fréquemment
employées, testamento datas tutor, tutor dalus
a praeside , a praetore , on pourrait conclure que, par
opposition à la tutelle déférée par la loi, les deux tutelles,
celle donnée par testament et celle donnée par le magistrat, étaient datives; mais le terme de tutor dalivus qui,
comme nous l'avons vu , est appliqué spécialement
par Gaius et par Ulpien au tuteur donné par testament,
n'est pas employé de même pour le tuteur donné
par les magistrats. Ce tuteur est nommé comme ici, dans
les Instituts, tutor Atilianus, du nom de la loi Atilia.,
d'après, laquelle il était donné ; et comme cette loi ne regardait
que les tuteurs donnés dans la ville, on appelait
le tuteur donné dans les provinces tutor Juliotitianus, du
nom de la loi Julia et Titia qui les concernait. C'est
Théophile qui nous indique cette dernière expression.
Et majore parte. Les tribuns étaient au nombre de dix
; ils délibéraient tous avec le préteur
sur la nomination du tuteur. Cette nomination n'avait
lieu que lorsqu'à l'avis du préteur se réunissait la majorité
des tribuns, par conséquent au moins six, dit
Théophile. Ex lege Atilia. Sa date véritable n'est point,connue.
Elle doit remonter à une époque assez éloignée, parce
qu'il dût arriver fréquemment que des personnes n'avaient
ni tuteur testamentaire ni tuteur légitime; et l'on dut
sentir dès lors le besoin de régulariser la nomination d'un
tuteur. La loi Atilia existait probablement en 557 ; car
Tite-Live en parlant d'une affranchie vivant à cette époque,
nous dit : Post patroni mortem, quia nullius in manu esset,
tutore a tribunis et proetorepetito,... . C'est pour cela que M. Haubold, dans ses Tables chronologiques, commence
à l'indiquer, dès cette année, comme douteuse quant à sa
date. Henneccius , dans ses Antiquités romaines, la place
en 443, présomption qui n'est fondée que sur le nom
d'un tribun de cette époque,Atilius Regulus. Quant à la loi
Julia et Titia , on s'accorde généralement à la placer sous
Jules-César, Octavien , en 723 de Rome ; cependant
Théophile en parle comme de deux lois distinctes : la loi
Julia et la loi Titia, portées l'une après l'autre. Il faut
avouer que cette assertion s'accorderait difficilement avec
les fragments de tous les jurisconsultes, qui ne disent jamais
que lex Julia et Titia , au singulier. — La nomination
d'un tuteur n'était point comprise dans les attributions
ordinaires des magistrats; elle ne se rattachait
ni à la préparation d'une affaire avec l'indication du
droit (jurisdictio), ni à leur pouvoir exécutif (imperium)). Aussi était-il reconnu qu'ils n'avaient le
droit de nommer un tuteur que lorsqu'une loi le leur avait
spécialement accordé. La législation sur cette matière
subit plusieurs variations que les Instituts indiquent ; la
première loi fut la loi Atilia, dont nous venons de parler.
1. Sed et si testamento tutor sub conditione, aut die certo, datus fuerat, quandiu conditio aut dies pendebat, ex iisdem legibus tutor dari poterat. Item, si pure dalus fuerat, quandiu ex testamento nemo heres existebat, tamdiu ex iisdem legibus tutor petendus érat, qui desinebat esse tutor, si conditio existeret, aut dies veniret, aut hères extiteret.
1. Et même si la nomination du tuteur par testament était sous condition ou à terme, tant que la condition ou le terme n'était point arrivé, on pouvait donner, d'après les mêmes lois, un autre, tuteur par intérim. Si la nomination était pure et simple, il fallait pareillement, tant que personne ne se portait héritier en vertu du testament , demander, d'après les mêmes lots, un tuteur qui cessait de l'être dès l'accomplissement de la condition, l'événement du terme ou l'acceptation d'un héritier.
2.Ab hostibus quoque tutore capto, ex his legibus tutor petebatur; qui desinebat esse tutor, si is qui captus erat, in civitatem reversus fuerat ; nam , reversus, recipiebat tutelam , jure, postliminii.
2. Pareillement, le tuteur étant pris par l'ennemi, suivant les mêmes lois on en demandait un autre, qui cessait de l'être, si le captif revenait ; car celui-ci reprenaît la tutelle par droit de postliminium.
Ces deux paragraphes réunis au principium expriment les cas dans lesquels a lieu la tutelle testamentaire; les voici : 1° Quand il n'y a absolument aucun tuteur, ni testamentaire, ni légitime (si nui nullus omnino tutor fuerat). —2° Quand la tutelle testamentaire est suspendue ou interrompue pour une cause quelconque. Ainsi, lorsque le tuteur testamentaire ne devait commencer ses fonctions, qu'à partir d'un certain jour ou qu'après l'accomplissement de telle condition : ou bien lorsque l'héritier. choisi par le défunt tardait à se présenter et à accepter l'hérédité; car, jusqu'à son acceptation, le testament et toutes ses dispositions se trouvaient suspendus : ou bien, enfin, lorsque le tuteur testamentaire était pris par l'ennemi. Dans tous ces cas, le magistrat nommait un tuteur en attendant.; car tant qu'il y a encore espérance de tutelle testamentaire , on ne doit point recourir à celle qui est déférée par la loi (sciendum est enim quandiu testamentaria tutela speratur légitimam cessare). Si l'espérance se réalisait, le tuteur nommé par le magistrat cédait ses fonctions au tuteur testamentaire ; si l'espérance venait à défaillir totalement, il les cédait au tuteur appelé par la loi.—3° Quand le tuteur testamentaire s'excusait de la tutelle , ou était destitué. Dans ce cas cependant il n'y avait plus d'espérance de tutelle, testamentaire : pourquoi n'avait-on point recours à la tutelle des agnats, comme on le faisait lorsque le tuteur testamentaire était mort pendant sa gestion, avant la puberté du pupille ? Ulpien dit : que c'est parce que le tuteur était destitué précisément, pour qu'un autre fût nommé (nam et hic idcirco abit, ut alius detur) ; ce qui peut se développer en ce sens, que toutes les fois qu'on s'adressait aux magistrats pour qu'ils fissent cesser les fonctions d'un tuteur, soit en admettant ses excuses, soit en le destituant, cela entraînait la conséquence nécessaire que le tuteur, n'étant écarté que par l'intervention de l'autorité, serait remplacé par la même autorité.
3. Sed ex his legibus tutores pupillis desierunt dari, posteaquam primo consules pupilli utriusque sexus tutores ex inquisitione dare coeperunt ; deinde praetores , es constitutionibus. Nam, supradictis legibus, neque de cautione a tutoribus exigenda,rem salvam pupillis fore, neque de compellendis tutoribus ad tu telae administrationem, quidquam cavebatur.
3. Mais les tuteurs cessèrent d'être donnés d'après ces lois, lorsque les consuls d'abord commencèrent à les donner sur enquête aux pupilles des deux sexes, ensuite les préteurs conformément aux constitutions ; car ces lois dont nous venons de parler n'avaient rien statué ni sur la caution qu'on doit exiger des tuteurs pour garantir les intérêts du pupille, ni sur les moyens de forcer les tuteurs à administrer.
C'est, d'après Suétone, sous l'empire de Claude, que le pouvoir de nommer les tuteurs fut attribué aux consuls. Il fut ensuite enlevé aux consuls et transporté aux préteurs sous Antonin le Pieux.
4. Sed hoc jure utimur, ut Romae quidem prsefectus urbi, vel praetor, secundum suam jurisdictioncm ; in provinciis autem praesides, ex inquisitione, tutores crearent; vel magistratus, jussu proesidum, si non sint magnae pupilli facultates.
4. Mais d'après le droit que nous suivons, à Rome le préfet de la ville ou le prêteur suivant leur jurisdiction, dans les provinces le président, nomment les tuteurs sur enquête, ou bien ce sont les magistrats sur l'ordre du président, si la fortune du pupille est peu considérable.
Nous avons suffisamment développé, dans l'histoire du droit, ce qu'étaient le préfet de la ville, dont les pouvoirs ne s'étendaient pas au delà d'un rayon de cent milles autour de Rome, les préteurs les présidents des provinces, et les magistrats particuliers des cités . On ne sait pas l'époque précise où le pouvoir de nommer des tuteurs fut attaché à ces diverses magistratures ; mais déjà ce pouvoir existait sous l'empereur Sévère, du temps d'Ulpien, de Paul, de Tryphoninus, comme l'attestent divers fragments de ces auteurs. Secundum suamjurisdictionem. Ce n'est pas que le préfet et le préteur exerçassent leur autorité sur un territoire différent. On a vu, dans l'histoire du droit, que les attributions de chacun d'eux s'étendaient sur toute là ville ; et cela n'établissait aucune espèce de conflit, puisque ces attributions étaient distinctes. Mais, du moment que l'on donna à ces deux magistrats le pouvoir de nommer chacun séparément les tuteurs, il fallut nécessairement, pour éviter un conflit, partager entre eux, pour cet objet seulement, ou le territoire de la ville ou les personnes, selon leur qualité, peut-être leur fortune. C'est ce dernier partage que semble indiquer Théophile en ces termes : « Je dis suivant leur jurisdiction, parce qu'il est quelques personnes auxquelles c'est le préfet et non le préteur qui peut donner les tuteurs ». Jussu proesidum.Le président n'aurait pas pu de sa propre autorité déléguer la nomination d'un tuteur à quelqu'un que la loi elle-même n'aurait point déclaré capable de faire cette nomination (nec mandante préside alius tutorem dare poterit) ; mais les magistrats municipaux étaient au nombre de ceux que la loi déclarait capables, et le président pouvait, sur leur, rapport, ou nommer lui-même le tuteur, ou les charger de cette nomination ; les magistrats devaient là dessus attendre ses ordres.
5. Nos autem, per constitutionem nostram hujusmodi difiicultâtes hominum resecantes, nec expectata jussione praesidum, disposuimus, si facultates pupilli. vel adulti usque ad quingentos solidos valeant, defensores civitatum una cum ejusdem civitatis religiosissimo antistite, vel alias publicas personas, id est magistratus, vel juridicum Alexandrinae civitatis, tutores vel curatores creare, légitima cautela secundum ejusdem constitutionis normam praestanda, videlicet eorum periculo qui eam accipiunt.
5. Mais nous, par notre constitution, dissipant ces embarras de personnes, nous avons ordonné que, sans attendre l'ordre des présidents, lorsque la fortune du pupille ne dépassera point cinq cents solides, les tuteurs et, curateurs seront nommés par les défenseurs des cités, conjointement avec le saint evêque, ou par les autres personnes publiques, savoir les magistrats, où le juge d'Alexandrie. La caution légale doit être fournie conformément à cette constitution, c'est-à-dire aux risques de ceux qui la reçoivent.
Le changement apporté par Justinien consiste en ce que les magistrats des cités ne sont plus obligés d'attendre l'ordre du président de la province pour faire la nomination.— Nous avons déjà parlé des défenseurs des cités, des évêques, du juge d'Alexandrie. En résumé, les tuteurs, sous Justinien, sont nommés à Constantinople par les préfets et le préteur, chacun selon leur jurisdiction et avec enquête ; dans les provinces, lorsque la fortune du pupille excède cinq cents solides (1), ils sont nommés par les présidents avec enquête; lorsque la fortune ne s'élève pas au dessus de cette somme, ce sont les magistrats particuliers des cités qui les nomment sans enquête, mais avec caution.
(1) Le solide, ou sou d'or, contenait en or, autant qu'on a pu l'évaluer, le poids que contiendrait une pièce d'environ vingt-deux francs cinquante centimes. D'après ce calcul, cinq cents solides fornieraient en or un peu plus de douze mille francs de nos jours.
Les tuteurs nommés sur enquête (ex inquisitione) ne le sont qu'après une information faite par le magistrat sur leur fortune, leur rang, leurs moeurs, leur fidélité et leur capacité. Cette information est une garantie pour les intérêts du pupille. Les tuteurs nommés avec caution sont obligés de présenter quelqu'un qui réponde de leur gestion. Ce mode de garantie est plus simple et même plus sûr que le précédent; mais il n'était guère applicable qu'aux petites propriétés, parce qu'il devait être plus difficile de trouver des personnes qui voulussent répondre d'un patrimoine considérable. Les magistrats pouvaient nommer plus d'un tuteur au même pupille; mais ils ne pouvaient subordonner la nomination à un terme, ou à une condition, parce qu'ils devaient pourvoir sur-le-champ et en totalité aux intérêts du pupille. Ici se termine l'exposé des diverses tutelles. « On voit par là combien il y en a de sortes; mais si nous demandons combien elles forment de genres, la controverse sera longue; car les anciens ont eu de grands doutes à ce sujet..... Les uns, tels que Quintus Mucius, en ont compté cinq genres; d'autres trois, comme Servius Sulpicius; d'autres deux, comme Labéon; d'autres ont cru qu'il y avait autant de genres de tutelles que d'espèces ». Ainsi s'exprime Gaius lui-même ; et nous ne saurions mieux faire que de le traduire, pour donner les véritables idées des jurisconsultes romains sur cette matière. Quant aux commentateurs et aux jurisconsultes modernes, ils ont généralement divisé les tutelles en trois genres : tutelle testamentaire, légitime, et celle qu'ils nomment dative, selon qu'elle est donnée par testament, par la loi, par le magistrat. Les Instituts paraissent en distinguer quatre genres: la tutelle testamentaire, légitime, fiduciaire et celle déférée par les magistrats.
6. Impubères autem in tutela esse naturali juri conveniens est, ut is qui perfectae setatis non sit, alterius tutela regatur.
6. Il est conforme au droit naturel que les impubères soient mis en tutelle, afin que celui qui n'est pas d'âge à se défendre se trouve sous la protection d'un autre.
Cette réflexion générale sur la nature des tutelles est prise dans Gaius; nous l'avons déjà faite quand nous avons dit que la tutelle, dans son principe, dérive de la raison naturelle; ce qui n'empêchait pas que ses dispositions, chez les Romains, fussent du droit civil et applicables aux seuls citoyens, comme les dispositions sur les justes noces.
7. Cum igitur pupillorum, pupillarumque tutores negotia gerant, post pubertatem tutelae judicio rationem reddunt.
7. Les tuteurs ayant géré les affaires des pupilles, après la puberté on leur fait rendre compte par l'action de tutelle.
Ce n'est pas encore ici le lieu de nous appesantir sur
ce compte et sur cette action. Il est des formalités que le tuteur doit remplir avant
de prendre l'administration des biens : la première, c'est
qu'il doit fournir caution de bien gérer (satisdalio rem
pupilli salvam fore) à moins qu'il ne soit au nombre de
ceux qu'on en dispense: nous reviendrons sur cette matière
plus en détail. La seconde, c'est qu'il doit, en présence
de personnes publiques, faire l'inventaire des biens
du pupille (repertorium., inventarium), à moins que
le testateur ne l'ait formellement défendu. Le tuteur
doit bien se garder de faire aucun acte d'administration,
avant d'avoir accompli ces formalités, si ce n'est pour les
choses pressantes, qui ne peuvent souffrir de délai.
Lorsque la caution est donnée et l'inventaire fait, le
tuteur doit administrer il peut même y être contraint ;
il est d'ailleurs responsable du préjudice que pourrait apporter
toute espèce de retard (suo periculo cessat).
Mais il peut arriver, comme nous l'avons vu, qu'il y
ait plusieurs tuteurs, A qui l'administration doit-elle être
remise? Elle sera ou confiée à un seul, ou donnée à tous
en commun, ou partagée entre chacun d'eux. — 1° Elle
est confiée à un seul ( et c'est le parti qu'il faut toujours
s'efforcer de prendre, comme le plus favorable au pupille):
lorsqu'il s'agit de tuteurs qui ne sont point obligés de
fournir caution, et que l'un d'eux offre d'en fournir une (il doit être préféré à tous les autres); lorsqu'il s'agit de
tuteurs testamentaires, et que le testateur a désigné celui
qui doit administrer; à défaut de ces deux circonstances,
lorsque les tuteurs ont, à la majorité des voix, décerné
la tutelle à l'un d'eux; enfin, lorsque les tuteurs, ne
l'ayant point fait, le magistrat a lui-même désigné l'administrateur.
Les tuteurs non gérants sont nommés tuteurs
honoraires (honorarii tutores); ils ne font point
d'acte de gestion, mais ils sont comme les surveillants
de celui qui gère (quasi observatorés actus ejus et custodes),
et ils sont responsables en cette qualité.
— 2° Elle
est donnée à tous en commun, lorsqu'ils ne veulent point
consentir à laisser gérer seul celui que le magistrat a
désigné. L'administration leur devenant commune, ce
que chacun d'eux fait sans fraude est valable; mais la
responsabilité est aussi commune. — 3° Elle est divisée
entre chacun d'eux, par le testateur, ou par le magistrat
lorsque, sur leur demande, il le juge convenable! Cette
division s'opère, ou par partie : l'un , par exemple , prenant
telle partie de l'administration, le second telle autre
partie ; ou par régions : l'un prenant les biens de telle province,
le second les biens d'une autre province (in partes
vel in regiones). Alors chacun d'eux administre seulement
sa partie ou sa région ; il ne peut se mêler des autres que
comme surveillant ; la responsabilité de gestion est aussi
divisée.
L'administration du tuteur s'étend à la personne et aux
biens du pupille. — Pour la personne, il doit principalement veiller à son entretien et à son éducation, le tout
proportionnellement à sa fortune et à son rang; il doit
même, lorsqu'il s'agit de déterminer le lieu où le pupille
sera élevé, consulter le magistrat. — Quant aux
biens, le tuteur doit vendre les animaux inutiles au pupille
et les choses sujettes à dépérissement; on mettait
autrefois dans cette classe les objets mobiliers et les bâtiments : poursuivre les débiteurs du pupille et les
faire payer ; si lui-même était débiteur du père du pupille,
il doit acquitter sa dette: administrer tous les
biens et en percevoir tous les revenus: déposer dans un
lieu désigné l'argent du pupille dans le but d'en acheter
dès fonds; la somme à laquelle le dépôt doit avoir lieu est
fixée selon les circonstances ; le tuteur qui ne dépose pas
doit les intérêts : faire emploi de l'argent, soit en le
plaçant à intérêt, soit en achetant des fonds; l'emploi
doit être fait dans les six mois, la première année de la
tutelle; les années suivantes, dans les deux mois ; après
ce délai, le tuteur doit les intérêts en usage sur les lieux ;
s'il détournait l'argent à son profit, il devrait l'intérêt légal
qui était le plus haut , le douze pour cent (centesimae
usurae): payer les créanciers du pupille, et se payer soi-même
s'il est créancier : défendre le pupille en justice,
soit en agissant, soit en défendant, soit en appelant. Dans tous ces actes , et en général dans son administration
entière, le tuteur doit apporter tous les soins qu'il
apporterait à ses propres affaires (quantam in rebus suis
diligentiam); il est responsable non seulement de la
fraude dont il se rendrait coupable, mais encore de ses
fautes (dolum et culpam proestat). Il fait les actes, de gestion,
soit en agissant par lui-même et sans le pupille : c'est
ce qu'on nomme, à proprement parler, negotia gerere;
soit en intervenant quand le pupille contracte, afin de valider
le contrat par sa présence et par son approbation :
c'est ce qu'on nomme auctor fieri, auctoritatem interponere. Pour mieux déterminer dans quels cas le tuteur
devait agir lui-même, dans quels cas il pouvait faire agir
le pupille , il est indispensable de faire quelques réflexions
générales sur la capacité de ce dernier. On distinguait
deux périodes dans l'âge de l'impubère: la première était
celle de l'enfance (infantia), elle s'étendait jusqu'à l'âge
de sept ans révolus; la seconde était au-dessus de l'enfance,
elle comprenait depuis sept ans révolus jusqu'à la puberté;
on la subdivisait encore en deux parties, selon que le pupille
était plus près de l'enfance (proximus infantiae) ou
plus près de la puberté (proximus pubertati). Le pupille,
tant qu'il était infans (ne pouvant parler), et même rigoureusement,
tant qu'il était proximus infantiae, n'était
sensé avoir aucune intelligence des choses sérieuses (nullum
habent intellectum) ; était-il proximus pubertati alors il avait l'intelligence de ce qu'il faisait (jam aliquem inlellectum
habent), quoiqu'il n'eût pas le jugement nécessaire
pour peser les avantages et les inconvénients d'une chose
(animi judicium). Par une interprétation favorable on
assimila bientôt le pupille proximus infantioe à celui qui
était proximus pubertali ; ainsi nous n'aurons plus à distinguer
que l'enfance et l'âge au-dessus de l'enfance.
Ces réflexions faites, nous poserons en principe : 1° que
l'enfant (infans), n'ayant aucune intelligence de ce qu'il
fait, ne peut être partie dans aucun acte; que ceux qu'il
passe ne peuvent être regardés comme sérieux, et sont
totalement non avenus, tant envers lui qu'envers les
tiers; qu'en conséquence c'est le tuteur qui le représente, qui agit en son nom et gère seul ses affaires : 2° que
toutes les fois qu'un acte ne demande dans celui qui le
fait que l'intelligence de ce qu'il fait (aliquem intellectum),
le pupille au dessus de sept ans en est capable seul et sans
autorisation , parce qu'il a cette intelligence; mais lorsque
l'acte demande un jugement (animi judicium), le pupille,
sans l'autorisation du tuteur, est censé n'avoir aucune volonté
ni pour, ni contre, parce qu'il ne peut pas juger
(quoniam nondum plénum judicium
animi habet). Du
reste, cette capacité qu'avait le pupille au dessus de l'enfance
de figurer dans les actes, n'enlevait pas au tuteur
celle d'agir par lui-même s'il le jugeait convenable. Ainsi,
par exemple, dans un procès, le tuteur pouvait ou se présenter lui-même en justice, ou faire présenter le pupille
en se portant auctor. Il était certains actes cependant,
tels que l'adrogation, l'affranchissement d'un esclave,
l'acceptation d'une hérédité, dans lesquels le pupille
devait paraître lui-même.
TIT. XXI.
DE AUCTORITATE TUTORUM.
TIT. XXI.
DE L'AUTORISATION DES TUTEURS.
Les mots spécialement consacrés, auctoritas, auctor, ne sont point rendus parles mots genéraux, autorisation, autorisant ; le terme exact manque à notre langue : faute de pouvoir traduire l'expression latine, nous allons tâcher d'en faire saisir le sens et le caractère particulier. Le pupille, même au-dessus de l'enfance, n'avait qu'une capacité, en quelque sorte une personne, incomplète; faisait-il un acte en son nom ? Pour compléter cette capacité, cette personne, le tuteur venait se joindre à lui; ainsi par sa présence, son concours dans l'acte, et par sa déclaration formelle, il augmentait la personne du pupille, augebai, il augmentait ; auctor fiebat , il devenait augmentant; c'est cette action du tuteur que désigne le mot auctoritas: on voit qu'il n'exprime point une simple autorisation, encore moins une ratification ; mais bien une participation active du tuteur dans le contrat. De plus, cette participation activé dans le but d'augmenter, en quelque sorte, une personne incomplète (auctoritas), cette qualité d'individu augmentant (auctor), étaient propres à la tutelle seule et ne se rencontraient nulle part ailleurs. Nos mots autorisation, autorisant, n'expriment, comme on le voit, rien de tout cela.
Auctoritas autem tutoris in quibusdam causis necessaria pupillis est, in quibusdam non est necessaria ; ut ecce si quid dari sibi stipulentur, non est necessaria tutoris auctoritas, quod si aliis pupilli promittant, necessaria est tutoris auctoritas. Namque placuit meliorem quidem suam conditionem licere eis facere, etiam sine tutoris auctoritate; deteriorem vero, non aliter quam tutoris auctoritate. Unde, in his causis ex quibus obligationes mutuae nascuntur, ut in emptionibus, venditionibus, locationibus, conductionibus, mandalis, depositis, si tutoris auctoritas non interveniat, ipsi quidem qui cum his contrahunt, obligantur, at invicem pupilli non obligantur.
L'autorisation du tuteur dans certains actes est nécessaire aux pupilles, et dans d'autres ne l'est point. Par exemple : elle n'est pas nécessaire lorsqu'ils stipulent qu'on leur donnera quelque chose ; elle est indispensable lorsqu'ils promettent à d'autres. En effet, il a été établi qu'ils peuvent, sans l'autorisation du tuteur, rendre leur condition meilleure, mais qu'ils ne peuvent la rendre pire qu'avec cette autorisation. D'où il suit que dans ces actes qui engendrent des obligations réciproques, comme dans les achats, les ventes, les louages, les mandats, les dépôts, si l'autorisation du tuteur n'intervient pas, ceux qui contractent avec les pupilles sont obligés, mais les pupilles ne le sont point réciproquement.
Ces expressions diverses, que les impubères peuvent, sans l'autorisation du tuteur, rendre leur condition meilleure, mais non la rendre pire; obliger les autres envers eux, mais non s'obliger envers les autres; stipuler, mais non promettre, toutes ces expressions sont bien loin d'être synonymes, mais elles expriment des règles qui ne sont que la conséquence l'une de l'autre. La plus générale est la première: les pupilles peuvent, sans l'autorisation de leur tuteur, rendre leur condition meilleure, en effet de pareils actes n'exigent que l'intelligence de ce qu'ils font (aliquem intellectum) ; mais non la rendre pire , en effet il faut alors un jugement (animi judicium), pour estimer si la perte est compensée par un bénéfice suffisant. Voilà le principe fondamental; les autres n'en sont qu'une conséquence, et c'est ce qu'indique notre texte lui-même. Ainsi les pupilles peuvent bien recevoir un objet qu'on leur donne, accepter la libération d'une dette, parce que c'est rendre évidemment leur condition meilleure, et qu'il leur suffit, pour la validité de ces actes, d'avoir l'intelligence de ce qu'ils font ; mais ils ne peuvent aliéner ce qui leur appartient, libérer un débiteur, payer un créancier, parce que c'est rendre leur condition pire, et qu'il faudrait un jugement pour balancer la perte que ces actes leur font essuyer avec le bénéfice qu'ils peuvent leur procurer. De là découle aussi la seconde règle : ils peuvent obliger les autres envers eux, car celui qui impose à quelqu'un l'engagement de donner, de faire ou de ne pas faire quelque chose, rend évidemment sa condition meilleure; il lui suffit pour la validité de l'acte, d'avoir l'intelligence de ce qu'il fait : mais ils ne peuvent s'obliger envers les autres, car celui qui prend envers quelqu'un l'engagement de donner, de faire ou de ne pas faire, rend sa condition pire; et lors même que son obligation n'est que le prix d'un avantage qu'on lui a procuré, il faut un jugement pour balancer la perte et l'avantage. De là découle aussi la troisième règle : ils peuvent stipuler, car ce n'est qu'une manière spéciale d'obliger les autres envers soi; mais ils ne peuvent promettre car ce n'est qu'une manière spéciale de s'obliger. La stipulation, en effet, était un contrat solennel, propre aux citoyens, romains, dont les formes consistaient dans une interrogation et une réponse conforme; par exemple: Promettez-vous de me payer dans deux mois cent solides? — Je le promets. On appelait stipulant celui qui faisait l'interrogation, c'est-à-dire envers qui l'on s'obligeait, et promettant celui qui faisait la réponse, c'est-à-dire, qui s'obligeait. Non obligantur. Ces contrats, qui , comme tous les autres, renferment un concours de volonté, se décomposent en deux actes : d'un côté, acte de l'une des parties qui s'engage envers le pupille ; de l'autre côté, acte du pupille qui s'engage envers l'autre partie. Le pupille ne figure, dans le premier acte, que comme individu envers qui on s'oblige et qui rend sa condition meilleure; il lui suffit, pour remplir son rôle, d'avoir l'intelligence de ce qui se fait (aliquem intellectum ) ; cet acte est donc valable. Dans le second, le pupille figure comme voulant s'obliger, rendre sa condition pire, ce qui exigerait un jugement (animi judicium) , pour peser l'engagement qu'il va prendre et le balancer avec celui qu'on a pris envers lui, jugement dont il est incapable; il est donc censé n'avoir aucune volonté ni pour ni contre cet acte, et son engagement n'existe pas. — Il ne faut pas croire néanmoins, que le pupille ne soit soumis à aucune obligation. On suit envers lui cette règle , que personne ne doit, s'enrichir aux dépens d'autrui : Jure naturae aequum est, neminem cum alterius detrimento et injuria fieri locupletiorem. En conséquence, s'il retire quelque profit du contrat, il est obligé jusqu'à concurrence de ce profit (in quantum locupletior factus est). Si donc il a vendu quelque objet, il ne sera point obligé de le livrer ; s'il l'a livré, son tuteur pourra le reprendre par vendication ; mais s'il en a reçu le prix, il devra rendre tout l'argent qu'il n'a point perdu ou follement dépensé, en un mot, qui a tourné à son profit; de même si le pupille a reçu un mandat, un dépôt, il ne peut être poursuivi pour avoir mal rempli le mandat, mal soigné le dépôt, perdu les choses appartenant au mandant ou au déposant ; mais il doit rendre tout ce qu'il a conservé et qu'il ne pourrait garder sans s'enrichir, aux dépens d'autrui. Quant aux individus, qui ont contracté avec le pupille, ils sont entièrement obligés; s'ils ont acheté, vendu, confié un mandat, un dépôt, le tuteur peut les contraindre à payer le prix convenu, livrer la chose vendue, indemniser le pupille des dépenses qu'il a faites pour le mandat ou le dépôt.
1. Neque tamen hereditatem adire, neque bonorum possessionem petere, neque hereditatem ex fideicommisso suscipere aliter possunt, nisi tutoris auctoritate, quamvis illis lucrosa sit, neque ullum damnum habeant.
1. Cependant ils ne peuvent, sans l'autorisation du tuteur, ni faire adition d'hérédité, ni demander une possession de biens, ni recevoir une succession par fidéicommis, bien qu'elle soit lucrative, et qu'ils n'y trouvent aucune perte.
L'hérédité est la succession déférée par le droit civil ; hereditatem adire signifie accepter l'hérédité ( ire ad hereditatem). La possession de biens est un droit accordé
parle préteur sur une hérédité; c'est en quelque sorte
une succession prétorienne. L'hérédité
fidéicommissaire est celle qu'on reçoit par une
personne interposée, que le testateur a chargée de faire
cette transmission. Le pupille ne
peut acquérir aucune de ces successions sans l'autorisation
du tuteur, parce que son acquisition l'obligerait à payer
les dettes du défunt: or il ne peut s'obliger tout seul.
Telle est la raison toute simple, qui dérive du principe
fondamental, et que d'ailleurs, Ulpien donne expressément
en ces termes : More nostrae civitatis neque pupillus, neque
pupilla, sine tutoris auctoritate obligari possunt : hereditas
autem quin obliget nos aeri alieno, etiam si non sit solvendo,
plus quam manifestum est. Cependant il n'en était pas
de l'hérédité comme des contrats dont nous avons parlé
dans le paragraphe précédent; il existait deux différences
remarquables qu'on ne peut se dispenser de signaler.
1° L'adition d'hérédité était au nombre de ces actes qui
ne pouvaient être faits par procureur ; la personne intéressée
devait agir elle-même. Ainsi, le tuteur ne pouvait
la faire seul et sans l'intervention dupupille. De ce principe
découlait la conclusion rigoureuse que tant que ce
dernier était infans, il lui était impossible d'acquérir une
succession, puisque, n'ayant aucune intelligence, il ne
pouvait faire adition lui-même, et que le tuteur ne le
pouvait pas sans lui. Cependant Théodose et Valentinien,
dans une constitution, donnèrent, dans ce cas, au tuteur la faculté d'accepter au nom du pupille. Mais, dès que
le pupille avait atteint l'âge de sept ans révolus, on rentrait
dans la règle ordinaire, l'adition ne pouvait plus
être faite que par lui-même, avec l'autorisation du tuteur ; et, pour ce cas , on n'avait nullement hésité à
lui accorder le droit d'agir, quoiqu'il fût encore tout
près de l'enfance: Pupillus si fari possit, licet hujus oetatis
sit ut causam adquirendoe, hereditatis non intelligat, .......
tamen cum tutoris auctoritae hereditatem adquirere potest;
hoc enim favorabiliter ei proestatur. 2° La seconde différence
consiste en ce que si le pupille accepte sans l'autorisation
du tuteur, son acceptation est radicalement
nulle tellement qu'elle n'est pas même considérée comme
valable dans les intérêts du pupille, lorsque l'hérédité est
avantageuse et n'offre aucune espèce de perte. Cette disposition
particulière à l'hérédité peut, au premier abord,
paraître en opposition avec ce qui a lieu dans les contrats
passés par le pupille; et néanmoins elle est parfaitement
en harmonie et découle des mêmes principes. En effet,
si les contrats tels que la vente, le louage, etc., sont valables
dans l'intérêt du pupille, c'est qu'outre la volonté
de ce dernier, ils sont aussi le résultat de la volonté d'une
autre personne, et se composent de deux actes : l'un pour
lequel il suffit au pupille d'avoir aliquem intellectum, c'est
cet acte qui est valable ; l'autre pour lequel il faudrait au
pupille animi judicium, c'est celui là qui est nul .
Mais dans l'acceptation d'hérédité, il n'y a qu'un seul acte,
résultat de la seule volonté, du seul choix de l'héritier.
Pour ce choix, il ne suffit pas d'avoir l'intelligence de ce qu'on fait, il faut encore un jugement pour peser les
avantages et les charges de l'hérédité. Or le pupille, étant
incapable de ce jugement, est censé, tant qu'il n'agit pas
avec l'autorisation du tuteur, n'avoir aucune volonté ni
pour ni contre l'acceptation, et puisque cet acte
réside en entier dans sa volonté, la conséquence rigoureuse
est qu'il doit être totalement nu.
2. Tutor autem statim in ipso negotio praesens debet auctor fieri, si hoc pupillo prodesse existimaverit. Post tempus vero, vel per epistolam interposita auctoritas, nihil agit.
2. Du reste le tuteur doit, présent à l'acte même, donner à l'instant son autorisation s'il le juge utile au pupille; car, donnée après un délai, par lettre ou par Intermédiaire, l'autorisation est sans effet.
Nous avons déjà dit que la grande incapacité du pupille
l'avait fait considérer comme hors d'état d'agir seul
dans les actes exigeant non seulement l'intelligence, mais
encore un jugement ; qu'il n'avait pour ces actes qu'une
personne en quelque sorte imparfaite, qui avait besoin d'être
augmentée, complétée, ce que le tuteur faisait en interposant
son auctoritas. De là il résulte que cette augmentation
(auctoritas), ne pouvait être qu'une participation
active du tuteur dans l'acte et non une approbation donnée
à l'avance, encore moins une ratification survenue après.
Le tuteur était partie dans le contrat, il déclarait se porter auctor (ego in hanc rem auctor fio) ; il faisait cette déclaration
sur l'interrogation qu'on lui adressait ordinairement,
mais il pouvait la faire aussi sans être interrogé. Il ne pouvait pas mettre de condition à son autorisation,
qui devait être pure et simple. Les tuteurs honoraires,
n'ayant pas l'administration des affaires, ne pouvaient pas
valablement se porter autorisants, si ce n'est pour l'acceptation
d'une hérédité, parce qu'il suffisait, dans
cet acte, d'apprécier l'hérédité en elle-même, ce qui
n'exigeait pas la connaissance des affaires du pupille.
3. Si inter tutorem pupillumque judicium agendum sit, quia ipse tutor in rem suam auctor esse non potest, non praetorius tutor, ut olim, constituitur; sed curator in locum ejus datur, quo interveniente, judicium peragitur, et, eo peracto, curator esse desini.
3. S'il doit y avoir action en justice entre le pupille et le tuteur, celui-ci ne pouvant se porter autorisant dans sa propre cause, on donne, non pas comme jadis, un tuteur prétorien, mais, à sa place, un curateur qui intervient dans la poursuite, et qui, l'instance terminée, cesse d'être curateur.
Il faut remarquer cette maxime : Tutor in rem suam auctor esse non potest. Le tuteur en effet, dans aucune affaire, dans aucun acte qu'il a avec le pupille, ne peut intervenir comme étant à la fois l'une et l'autre partie; agissant d'un côté pour lui-même contre le pupille, de l'autre pour le pupille contre lui-même. Jadis, quand les actions de la loi existaient, le pupille ne pouvait être représenté en justice par d'autres que par un tuteur ; d'où il suivait que, si le procès s'élevait entre le pupille et son tuteur, il fallait nécessairement pour ce procès lui donner un autre tuteur. Aussi, cet usage s'introduisit et ce tuteur fut appelé tutor praetorius, praetorianus, parce qu'il était nommé par le préteur de la ville. Il formait exception à la règle, que les tuteurs ne peuvent être donnés pour une affaire spéciale. Après la suppression des actions de la loi, cette formalité devint moins nécessaire, parce que dans la plupart des cas on put agir par procureur. Elle était entièrement inutile sous Justinien, parce que depuis longtemps la forme des procédures était simplifiée. Voilà pourquoi on donne ici à ce représentant du pupille le titre de curateur et non celui de tuteur; modification qui apportera quelque différence dans les actions qui auront pour but de lui faire rendre compte.
TIT. XXII.
QUIBUS MODIS TUTELA FINITUR.
TIT. XXII.
DE QUELLES MANIERES FINIT LA
TUTELLE.
Quelquefois la tutelle finit pour le pupille, et alors finissant aussi pour le tuteur, elle est entièrement terminée; quelquefois elle ne cesse que pour le tuteur seul qui se trouve remplacé par un autre, et alors par rapport au pupille qui reste toujours en tutelle, il y a changement de tuteur mais non fin de la tutelle.
Pupilli pupillaeque, cum puberes esse caeperint, tutela liberantur. Pubertatem autem veteres quidem non solum ex annis,sed etiam ex habitu corporis in masculis aestimari volebant. Nostra autem majestas, dignum esse castitate nostrorum temporum, bene putavit, quod in feminis etiam antiquis impudicum esse visum est, id est, inspectionem habitudinis corporis, hoc etiam in masculos extendere. Et ideo, sancta pronstitutione promulgata, pubertatem in masculis post decimumquartum annum cempletum illico initium accipere disposuimus ; antiquitàtis normam in feminis personis bene positam, suo ordine relinquentes, ut post duodecimum annum completum viri potentes esse credantur.
Les pupilles, dès qu'ils ont atteint la puberté, sortent de tutelle. Or la puberté, chez les anciens, se jugeait dans les mâles non seulement par l'âge, mais encore par le développement du corps. Mais notre majesté a justement cru digne de la chasteté de notre siècle qu'un acte considéré même par les anciens comme contraire à la pudeur à l'égard des femmes, c'est-à-dire l'examen de l'état du corps, fût pareillement réprouvé à l'égard des hommes. En conséquence, par une sainte constitution, nous avons établi que la puberté, chez les mâles, commencerait dès l'âge de quatorze ans accomplis, sans déranger la règle si bien posée par l'antiquité pour les femmes, qui doivent être réputées nubiles à douze ans accomplis.
L'homme pubère est celui qui peut engendrer (qui generare potest) ; la femme pubère ou nubile, celle qui peut concevoir (viripotens). La puberté est donc, pour les deux sexes, l'état où ils peuvent s'unir l'un à l'autre. Cet état dépend du développement physique du corps : il arrive plus tôt chez les femmes que chez les hommes. Généralement, dans le même lieu, il commence, à peu de chose près au même âge pour toutes les personnes d'un même sexe ; cependant il peut être plus précoce chez l'une que chez l'autre; mais la nature l'indique à chaque individu, et l'extérieur du corps lui-même le fait, connaître: c'est l'indice le plus naturel. La loi civile devait nécessairement attacher à la puberté la capacité de se marier; c'est ce qu'elle avait fait, comme nous l'avons déjà dit . Mais, en outre, elle y attacha encore pour les hommes : 1° la capacité de se gouverner, et par conséquent la fin de la tutelle ; 2° la capacité de faire un testament. Nous disons pour les hommes, parce que les femmes étaient primitivement soumises à une tutelle perpétuelle ; il est vrai que cette tutelle finit par tomber en désuétude, et les femmes alors acquirent, à leur puberté, les mêmes droits que les hommes. Quant à l'époque de la puberté, le droit civil l'avait fixée à douze ans accomplis pour les femmes, laissant pour les hommes l'indice naturel, l'extérieur du corps. Sous l'Empire , les jurisconsultes proculéiens de l'école de Labéon et de Proculus pensèrent qu'il fallait désigner pour les hommes, comme on l'avait fait pour les femmes, une époque fixe où ils seraient réputés pubères, l'époque de quatorze ans ; les cassiens, disciples de Capiton et de Cassius, persistèrent au contraire à vouloir conserver l'ancien droit.. Il paraît que, relativement à la capacité de tester, on s'accorda généralement à adopter le terme fixe de quatorze ans ; mais sur les autres points la dissidence d'opinions continua, et ne disparut entièrement que sous Justinien qui la détruisit par une Constitution citée ici. En conséquence ; sous cet empereur, les hommes à quatorze ans , les femmes à douze, sont capables de se marier, sont libérés de la tutelle, et peuvent faire un testament.
1. Item finitur tutela, si adrogati sint adhuc impubères, vel deportati; item, si in servitutem pupillus redigatur, vel si ab hostibus captus fuerit.
1. La tutelle finit encore si le pupille est, avant sa puberté, adrogé ou déporté, fait esclave ou pris par l'ennemi.
Ces cas renferment les trois diminutions de tête du pupille ; comme il cesse d'être ou libre ou citoyen où maître de lui-même , il ne peut plus avoir de tuteur. Mais un impubère pouvait-il être déporté ou fait esclave? Oui. Celui qui était proximus pubertati pouvait être condamné comme ayant agi en connaissance de son crime (doli capax). Il pouvait être fait esclave, non pour s'être laissé vendre, peine infligée seulement au majeur de vingt ans, mais pour avoir été ingrat envers son patron.
2. Sed et si usque ad certam conditionem datus sit in testamento tutor, seque evenit ut desinat esse tutor existente conditione.
2. Pareillement si quelqu'un a été, par testament, nommé tuteur jusqu'à une certaine condition, il cesse de l'être, la condition accomplie.
Si la tutelle testamentaire avait été donnée sub conditione et non ad conditionem, l'accomplissement de la condition, au lieu de faire cesser la tutelle testamentaire, la ferait commencer ; mais elle mettrait fin à la tutelle déférée par le magistrat.
3. Simili modo , finitur tutela morte vel pupillorum., vel tutorum.
3. La tutelle finit aussi par la mort des pupilles ou des tuteurs.
4. Sed et capitis deminutione tutoris, per quam libertas vel civitas amittitur, omnis tutela périt. Minima autem capitis deminutione tutoris, veluti si se in adoptionem dederit, légitima tantum tutela périt , ceterae non pereunt. Sed pupilli et pupilloe capitis deminutio, licet minima sit, omnes tutelas tollit.
4. Et même la diminution de tête du tuteur qui entraîne la perte de la liberté ou de la cité, détruit toute tutelle; mais sa petite diminution de tête, comme s'il se donne en adoption, ne détruit que la tutelle légitime, et non les autres. Tandis que toute diminution de tête des pupilles, même la petite, met fin à toute tutelle.
Légitima tantum. Parce que la tutelle légitime des agnats, étant la seule qui soit attachée aux droits de famille, doit être la seule qui finisse par la perte de ces droits. Licet minima. Parce que le pupille cesse d'être sui juris, et passe au pouvoir de l'adrogeant.
5. Praeterea, qui ad certum tempus testamento dantur tutores, finito eo deponunt tutelam.
5. De plus, les tuteurs donnés par testament jusqu'à un certain temps, ce temps expiré, déposent la tutelle.
Appliquezici ce que nous avons dit au paragraphe 2.
6. Desinunt etiam tutores esse qui, vel removentur a tutela ob id quod suspecti visi sunt; vel qui ex justa causa sese excusant, et onus administrandae tutelae deponunt, secundum ea quae inferius proponemus.
6. Les tuteurs cessent même de l'être, lorsqu'ayant été jugés suspects, ils sont écartés de la tutelle, ou lorsque, sur un motif légitime, ils s'excusent et déposent le fardeau de l'administration, conformément à ce que nous exposerons plus bas.
Les Instituts n'indiquent pas même cette partie de la
législation primitive de Rome ; elle nous était inconnue
dans ses détails, lorsque la découverte des Instituts de
Gaius a fait cesser notre ignorance. Je manquerais au
plan de cet ouvrage, si j'omettais de développer dans leur
ensemble les idées toutes nouvelles que nous avons acquises
sur cette matière.
Les anciens Romains avaient voulu que les femmes, à
cause de la faiblesse de leur sexe, fussent soumises à une
tutelle perpétuelle. C'est ce que nous apprenaient plusieurs
auteurs, Ulpien , Tite-Live, et c'est ce que
Gaius dit aussi en ces termes : veteres voluerunt feminas
etiam si perfectoe oetatis sint, propter animi levitatem in
tutela esse.
Leur tutelle, comme celle des impubères, ne pouvait
avoir lieu que lorsqu'elles étaient sui juris; car la femme
qui se trouvait au pouvoir d'un maître, ou d'un père de
famille (in polestate), au pouvoir d'un mari (in manu),
ou soumise au mancipium ( in mancipio), n'avait d'autre
défenseur que celui à qui elle appartenait. Le tuteur
était nommé aux femmes, comme aux impubères, ou
par testament, ou par la loi , ou par les magistrats.
Un tuteur testamentaire pouvait être donné par le chef
de famille, à ses filles ou petites-filles; par le mari à l'épouse qu'il avait in manu, comme à une fille ; par le beau-père
à la femme placée in manu filii, comme à une petite fille. Pourvu, dans tous ces cas, que la femme à qui
le tuteur était nommé dût à la mort du testateur se trouver
sui juris. Il y avait cela de particulier, quant à la nomination
faite par le mari, qu'on avait permis à ce dernier
de donner à sa femme l'option du tuteur (tutoris
optio), c'est-à-dire le droit de se choisir elle-même le
tuteur: Titiae uxori meae, tutoris optïonem do. Le tuteur
choisi par la femme s'appelait tuteur optif et c'est par opposition qu'on nommait tuteur datif, celui qui était
désigné nominativement par le testament.
A défaut de tuteurs testamentaires, venaient les tuteurs
donnés par la loi. Comme ceux des impubères, on les
appelait, à proprement parler, tuteurs légitimes, lorsqu'ils
descendaient des douze Tables directement ou par conséquence;
dans le cas contraire, tuteurs fiduciaires.
Les tuteurs légitimes étaient, pour les ingénues, les
agnats, pour les affranchies, le patron, et après lui ses
enfants. Et ce qu'on peut remarquer, c'est que, bien que
les enfants du patron fussent eux-mêmes impubères, ils
n'en étaient pas moins tuteurs de l'affranchie ; tant il est
vrai que la tutelle était pour eux un droit de patronage qu'on ne pouvait leur ôter ; mais ils ne pouvaient autoriser
en rien cette affranchie. Les tuteurs fiduciaires
étaient ceux qui ayant une femme in mancipio et l'affranchissant,
en prenaient la tutelle à l'exemple des patrons.
Parmi eux on aurait dû ranger l'ascendant émancipateur,
qui, à l'aide d'une mancipation et d'une remancipation,
avait acquis sa fille in mancipio, et l'avait affranchie ; mais,
par honneur pour lui ; on le considérait comme tuteur
légitimé.
Une chose propre à la tutelle légitimé
des femmes, c'est qu'il était permisaux agnats, au patron
ou à ses enfants, de se débarrasser de cette tutelle perpétuelle
en la cédant à un autre, tandis qu'on ne pouvait
jamais céder la tutelle des pupilles mâles, parce qu'elle
était moins onéreuse ayant un terme fixe, la puberté.
Cette cession se faisait en justice (injure cessio); le nouveau
tuteur se nommait cessionnaire (cessicius tutor). Il
n'était que le remplaçant du cédant ; car, à la mort de
ce dernier, il quittait ses fonctions; ou bien s'il mourait
avant le cédant, celui-ci reprenait la tutelle. Le
droit de cession était-il accordé aux tuteurs fiduciaires ?
Gains nous indique cette question comme controversée.
Il ajoute que si l'on décidait que ces tuteurs ne doivent
point avoir ce privilège, il ne faudrait pas du moins appliquer
cette décision à l'ascendant émancipateur, parce
qu'on doit le considérer comme légitime, et ne pas lui
accorder moins de droits qu'au patron.Quand les femmes n'avaient aucun tuteur, ni testamentaire,
ni légitime, ni fiduciaire, elles pouvaient,
comme les impubères, en vertu de la loi Atilia ,en demander
un aux magistrats. Le passage dans lequel Tite-Live
fait allusion à la loi Atilia, et que nous avons cité
est même relatif à une affranchie qui vivait an 557 de
Rome, et qui, à la mort de son patron, s'était trouvée
sans tuteur.
La tutelle des femmes était perpétuelle. Il y avait pour
elles changement de tuteur, mais non fin de la tutelle.
Une seule exception existait pour les vestales, que la dignité
du sacerdoce rendait libres de toute puissance.
Quand les femmes perdaient la liberté ou la cité, ou bien
encore lorsqu'elles devenaient alieni juris, par exemple,
en se mariant de manière à passer in manu, leur tutelle
devait nécessairement finir, parce qu'elles étaient devenues
esclaves, étrangères, ou la propriété d'autrui.
Tel était le droit primitif. La tutelle sur les femmes
commença à s'adoucir même sous la République. Tous
les tuteurs, à l'exception des tuteurs légitimes, perdirent
en réalité leur pouvoir; les femmes traitaient elles-mêmes
leurs affaires, les tuteurs n'interposaient leur autorité que
dans certains cas, et pour la forme (dicis causa), tellement
qu'ils pouvaient y être contraints par le préteur.
C'est pour cela que Cicéron dit, dans une de ses harangues:
« Nos ancêtres voulurent que toutes les femmes
fussent au pouvoir des tuteurs ; les jurisconsultes inventèrent des espèces de tuteurs qui se trouvèrent au pouvoir
des femmes ». Les tuteurs légitimes, savoir les agnats, les
patrons et les ascendants émancipateurs, furent les seuls qui
conservèrent une tutelle réelle , comme un droit qu'on ne
pouvait leur enlever; et dans certains actes importants pour
la conservation des biens de la femme, celle-ci ne
pouvait rien faire sans leur autorisation , d'autant plus
qu'étant héritiers présomptifs, ils étaient personnellement
intéressés à cette conservation.
Dès lors les femmes cherchèrent à éluder ces tutelles
légitimes; elles en trouvèrent le moyen dans la loi ellemême.
Avec le consentement de son tuteur légitime, la
femme se laissait vendre fictivement à un tiers (coemptionem
facere) ; celui-ci l'affranchissait, ou bien la revendait
au premier tuteur ou à tout autre qui l'affranchissait, et
alors libérée de son tuteur légitime, dont les droits s'étaient
évanouis par la vente, elle ne se trouvait plus soumise
qu'à l'autorité impuissante d'un tuteur fiduciaire,
celui qui l'avait affranchie.
La première loi que nous connaissions comme ayant
porté une atteinte directe à la tutelle des femmes, est la
fameuse loi Papia Poppea, dans laquelle Auguste, toujours
dans le but de propager le nombre des citoyens et de
récompenser la fécondité , établit que les femmes ingénues, lorsqu'elles auraient trois enfants, seraient libérées
même de la tutelle légitime, et les affranchies seulement
des autres tutelles. Dès lors, il put y avoir des femmes
entièrement indépendantes de toute autorité.
Plus tard, sous l'empereur Claude, en 798 de Rome ,
fut rendue la loi Claudia qui, supprimant en entier la
tutelle des agnats, ne laissa plus subsister parmi les tutelles
légitimes et réelles, que celles des ascendants et
des patrons.
Cette législation est celle qui existait encore sous Gaius.
Aussi, dans ses Commentaires, cet auteur, faisant quelques
réflexions sur les tutelles, dit-il que celle des impubères
est conforme à la raison naturelle; mais que celle
des femmes n'est appuyée sur aucun bon motif; car la
raison qu'on en donne, qu'elles sont susceptibles de se
laisser surprendre par légéreté d'esprit, lui semble plus
spécieuse que juste ; d'autant plus que les femmes traitent
elles-mêmes leurs affaires et que les tuteurs n'interviennent
que pour la forme.
— Sous Septime Sévère, du
temps d'Ulpien, ce droit se soutenait encore. Mais
par la suite, tombant successivement en désuétude , il finit par s'éteindre, probablement, sans qu'aucune loi
spéciale l'abrogeât formellement, car il ne nous est resté
aucune trace de lois qui aient eu cet objet (1).
(1) Cette tutelle n'existait déjà plus sous Constantin.
TIT. XXIII.
DE CURATORIBUS.
Lorsqu'une cause générale, telle que la faiblesse de l'âge
chez les impubères, celle du sexe chez les femmes, mettait
les individus hors d'état d'exercer leurs droits, on
leur nommait, comme nous venons de le voir, des tuteurs.
Mais, lorsqu'une cause particulière ou accidentelle
frappait d'incapacité une personne qui, selon le droit
commun et sans cette cause, eût été capable, alors on
nommait un curateur (curator).
La loi des douze Tables mettait sous la curatelle de
leurs agnats ( in curatione, in cura ) ceux qu'elle nommait furiosus et prodigus. Nous ne connaissons de cette disposition
que les premières paroles que j'ai citées , et qui nous sont indiquées par vCicéron : Si
furiosus esse incipit.... ; mais Ulpien nous donne, sinon
les termes, du moins le sens de la loi : Lex duodecim
Tabularum furiosum, itemque prodigum cui bonis interdictum
est, in curatione jubet esse adgnatorum. L'expression
de furiosus, furieux, désignait celui dont la démence
était portée à l'excès ; mais non le fou ni l'imbécille.
Quant au mot de prodigus, par quelque motif particulier
qui ne nous est pas connu , il signifiait, dans les douze Tables, non pas toute espèce de dissipateur, mais
seulement celui qui, ayant succédé à son.père intestat,
dissipait les biens paternels. Aussi, dans la formule d'interdiction
que l'usage avait introduite et que le préteur employait, on ne reprochait au prodigue que la dissipation
de cette sorte de biens : moribus per proetorem bonis
interdicitur, hoc modo: QUANDO TUA BONAPATERNAAVITAQUE
NEQUITIA TUA DISPERDIS , LIBEROSQDE TUOS AD EGESTATEM
PERDUCIS, OB
EAM REM TIBI EA RE ( ou AERE ) COMMERCIOQUE
INTERDICO. Il résultait de là que les enfants, lorsqu'ils
avaient succédé à leur père en vertu d'un testament, et
les affranchis qui n'avaient jamais de biens paternels,
n'étaient point mis en curatelle, bien qu'ils dissipassent
leur fortune. Ulpien nous apprend que les préteurs y remédièrent
en leur nommant eux-mêmes des curateurs. Ils étendirent de même les dispositions des
douze Tables, qui n'avaient parlé que des furieux, aux
fous, aux imbécilles, à ceux qu'une infirmité perpétuelle
rendait incapables. Ainsi, toutes ces personnes se trouvèrent
sous la surveillance de curateurs, qui se nommaient
légitimes (legitimi) lorsqu'ils venaient des douze Tables,
honoraires (honorarii) quand ils étaient donnés par le
préteur.
Cependant il est facile de s'apercevoir que les Romains
ayant confondu l'âge où l'on est pubère avec
celui où l'on est capable de se gouverner, il en résultait que les individus sui juris, dès qu'ils avaient atteint
quatorze ans, se trouvaient placés à la tête de leurs
affaires. C'eût été bien pire pour les femmes, si l'on avait
suivi le même principe ; car, étant pubères avant les
hommes, dès l'âge de douze ans elles auraient été abandonnées
à elles-mêmes; mais, comme dans le droit primitif
leur tutelle était perpétuelle, l'inconvénient que
nous signalons n'existait que pour les hommes. Comment
y fut-il remédié? La première loi qui traita de cette matière, paraît être un plébiscite rendu pendant la deuxième
guerre punique. Les manuscrits des auteurs anciens le
désignent tantôt sous le nom de lex Laetoria, tantôt sous
celui de lex Lectoria , tantôt enfin sous celui de lex
Ploetoria, son véritable nom . Le but principal et le
contenu entier de cette loi ne nous sont point connus.
Nous savons seulement qu'elle était relative aux mineurs
de vingt-cinq ans (1) ; qu'elle donnait une accusation
publique contre les créanciers qui auraient profité de
l'inexpérience de ces mineurs , pour les tromper ; que cette accusation entraînait inévitablement certaines peines
contre le condamné, mais, entre autres.effets, qu'elle le
rendait incapable de faire partie de l'ordre municipal
d'une ville.
(1) Aussi Plaute, en y faisant allusion, l'appelle-t-il lex Quinavicennaria (Pseudol. act. 1. scen. 3, v. 68.)
A peu près à la même époque, les préteurs
introduisirent dans leurs édits la restitution en entier
(restitutio in integrum), en faveur des mineurs de vingt cinq
ans qui auraient été trompés dans quelque affaire.
Ainsi ils se trouvèrent protégés par la loi Plaetoria et par
l'édit prétorien qui tendaient à punir et à réparer les
fraudes commises envers, eux. Mais plus tard, pour prévenir
ces fraudes, Marc-Aurèle-Antonin voulut qu'on pût
leur donner des curateurs, par cela seul qu'ils n'avaient
pas vingt-cinq ans. Aussi Ulpien, après avoir parlé de la restitution en entier accordée aux mineurs de vingt cinq
ans à cause de leur inexpérience, ajoute-t-il : Et ideo
hodie in hanc usque oetatem adolescentes curatorum auxilio
reguntur ; de même, il dit ailleurs, en parlant du
préteur et en énumérant les curateurs honoraires : Praeterea
dat curatorem ei etiam, qui nuper pubes factus idonee
negotia sua tueri non potest
Enfin, et en troisième lieu , il se présentait des cas où,
même pendant la tutelle, on avait besoin d'adjoindre un
curateur au tuteur. Ce qui nous donne trois circonstances
bien distinctes, dans lesquelles des curateurs étaient nommés
: 1° pendant la tutelle, pour les impubères ; 2° depuis
la puberté jusqu'à vingt-cinq ans, pour les adultes;
3° même au delà de vingt-cinq ans, pour les furieux,
insensés , prodigues , etc. Nous allons examiner ces divers
cas, selon les Instituts et dans le même ordre.
Masculi pubères, et feminae
viri potentes, usque ad vicesimum
quintum annum completum
curatores accipiunt; quia,
licet pubères sint, adhuc tamen
ejus oetatis sunt ut sua negotia
tueri non possint.
Les hommes et les femmes, depuis
leur puberté jusqu'à vingt-cinq
ans révolus, reçoivent des curateurs,
parce que, bien que pubères,
ils sont cependant encore dans un
âge à ne pouvoir, défendre leurs intérêts.
Pubères et feminm, dit le texte ; en effet, dès l'instant que la tutelle perpétuelle des femmes cessa , elles eurent besoin, encore plus que les hommes, qu'on leur nommât des curateurs ; car étant pubères avant eux, elles se seraient vues, dès l'âge de douze ans, abandonnées à elles-mêmes. Nous avons posé en principe que l'on donnait des tuteurs pour une incapacité commune à tout le monde, des curateurs pour une incapacité particulière ; on fera peut-être cette objection que la faiblesse de l'âge chez les mineurs de vingt-cinq ans est générale, et que cependant on nommait des curateurs. C'est que, selon le droit strict, les mineurs de vingt-cinq ans étaient capables. Ce n'est que par une législation postérieure qu'il fut permis de leur donner des curateurs, non pas à tous, mais seulement à ceux qui le demandaient : ainsi, cette incapacité n'était pas générale.
1. Dantur autem curatores ab eisdem magistratîbus quibus et tutores. Sed curator testamento non datur : sed datus, confirmatur decreto praetoris vel praesidis.
1. Les curateurs sont donnés par les mêmes magistrats que les tuteurs. Ils ne peuvent l'être par testament ; toutefois celui qui est ainsi donné, est confirmé par décret du, préteur ou du président
Les curateurs pour les furieux et les prodigues étaient les seuls légitimes, les seuls que la loi des douze Tables donnât; tous les autres étaient honoraires, nommés par les magistrats, d'après les règles exposées. Nul curateur ne pouvait être nommé par testament ; la loi des douze Tables ne donnait pas ce droit au testateur. On ne le lui donna pas non plus pour les curatelles introduites postérieurement ; et la raison, c'est que les causes pour lesquelles on donnait des curateurs, tenant toutes à des circonstances particulières, et frappant d'une sorte d'incapacité des personnes généralement capables, il ne devait pas être au pouvoir du testateur d'agir, de sa propre autorité, comme si ces causes existaient.
2. Item, inviti adolescentes curatores non accipiunt, praeterquam in litem; curator enim et ad certam causam dari potest.
2. Les adolescents ne reçoivent point de curateur contre leur gré, si ce n'est pour un procès ; car le curateur peut être donné, même pour une affaire spéciale.
Puisque, généralement et selon le droit, les individus parvenus à la puberté étaient capables, on ne leur imposait; pas forcément un curateur ; mais on en donnait à ceux qui le demandaient, ne se sentant pas en état d'administrer seuls leurs affaires. Notre texte énonce ce principe formellement ; pareillement, un fragment de Papinien au Digeste dit : Minoribus annorum desiderantibus curatores dari solent. Le curateur devait être demandé par l'adulte lui-même, ou par un procureur agissant en son nom; ainsi la mère, le patron, l'affranchi, les parents ne pouvaient pas le demander, mais ils pouvaient avertir l'adulte de le faire. Les Constitutions en imposaient même l'obligation au tuteur, qui eût été responsable si, à la fin de la tutelle, il avait négligé de donner cet avertissèment (si non admonuerit, ut sibi curatores peteret). Du reste, lorsque l'adolescent, sur sa demande, avait reçu un curateur , il devait rester sous sa surveillance jusqu'à l'âge de vingt-cinq ans. Les adultes pouvaient recevoir des curateurs contre leur gré dans trois cas : 1° pour recevoir les comptes de leurs tuteurs ; 2° pour un procès : c'est l'exception indiquée par notre texte; 3° pour recevoir un paiement. Dans ces trois circonstances, le tuteur, l'adversaire ou le débiteur avaient le droit, pour leur plus grande sûreté , d'exiger qu'un curateur fût donné à l'adulte, afin qu'on nepût les attaquer par la suite comme ayant profité de l'inexpérience de ce dernier pour le tromper. Ils ne pouvaient demander le curateur eux-mêmes , mais ils pouvaient refuser de satisfairel'adulte jusqu'à ce qu'il eût fait la demande ; et même, une Constitution de l'empereur Gordien permet au tuteur, en cas de refus du pupille , de demander lui-même. Mais ces curateurs n'avaient de mission que pour l'affaire spéciale pour laquelle ils étaient nommés : cette affaire terminée, leurs fonctions cessaient. Il résulte de ce que nous avons dit, que les mineurs de vingt-cinq ans n'étaient pas considérés comme pouvant toujours bien administrer leurs affaires; que, s'ils avaientdemandé des curateurs, ils restaient sous leur surveillance jusqu'à vingt-cinq ans ; que, s'ils n'en avaient point demandé, ils pouvaient, dans certaines circonstances, en recevoir contre leur gré : nous,devons ajouter que, dans les affaires qu'ils traitaient, ils étaient susceptibles d'être restitués par le préteur (restitui in integrum), lorsque ce magistrat reconnaissait qu'ils avaient éprouvé un préjudice. Cette faveur réparait ce préjudice ; mais aussi elle diminuait leur crédit dans les affaires, parce qu'on craignait de faire avec eux des contrats, puisqu'ils n'étaient pas irrévocables. Enfin ils ne pouvaient, sans un décret , aliéner ou hypothéquer leurs immeubles. Pour être relevés de toutes ces conséquences, les adultes devaient obtenir une dispense d'âge (aetatis venia ), qui ne pouvait être accordée que par l'empereur à ceux qui justifiaient d'une bonne conduite et qui étaient parvenus à l'âge de vingt ans pour les hommes, de dix-huit pour les femmes. Après cette dispense, les adultes, s'ils étaient en curatelle, en étaient libérés et pouvaient agir dans leurs affaires comme des majeurs de vingt-cinq ans, sauf toutefois qu'ils ne pouvaient pas, sans décret, aliéner ou hypothéquer leurs immeubles. Quant à la maxime que les curateurs peuvent être donnés pour une affaire spéciale, nous y reviendrons bientôt.
3. Furiosi quoque et prodigi ,
licet majores viginti-quinque annis
sint, tamen in curatione sunt
agnatorum, ex lege duodecim tabularum.
Sed soient Romae praefectus
urbi vel praetor et in provinciis
preesides, ex inquisitione
eis curatores dare
3. Les furieux et les prodigues,
bien que majeurs de vingt-cinq ans,
sont placés par la loi des douze Tables
sous la curatelle de leurs agnats.
Mais ordinairement, à Rome le
préfet de la ville ou tes préteurs,
dans les provinces les présidents,
leur nomment des curateurs sur
enquête.
Ce n'est pas que la curatelle légitime des agnats soit
abolie ; la paraphrase de Théophile dit : que les magistrats
donnent des curateurs aux furieux et aux prodigues,
quand il n'y a pas d'agnat, ou quand le plus proche agnat
est inhabile à l'administration. Il faut ajouter que comme
les mots de prodigue et de furieux n'étaient pris, dans la
loi des douze Tables, que dans un sens très restreint, que
les préteurs avaient été obligés d'étendre, et
comme, dans tous les cas , compris dans cette extension,
ils nommaient eux-mêmes le curateur , la plupart du
temps, c'est par les magistrats qu'étaient donnés les curateurs
aux furieux et surtout aux prodigues.
4. Sed et mente captis, et surdis, et mutis, et qui perpetuo morbo laborant quia rébus suis superesse non possunt, curatores dandi sunt.
4. Les Insensés, les sourds, les muets, ceux que travaille une maladie perpétuelle, ne peuvent présider à leurs affaires, il leur faut donc des curateurs.
Les curateurs étaient nommés à toutes ces personnes par les magistrats, car la loi des douze Tables n'en avait rien dit. Les furieux et les fous peuvent avoir des intervalles lucides. Les jurisconsultes romains discutaient entre eux si, à chaque moment d'intervalle, la curatelle cessait, sauf à recommencer quand la fureur ou la folie revenait. Justinien décide que la curatelle ne doit pas ainsi s'éteindre et renaître à chaque intervalle, qu'elle continue toujours ; mais que cependant le furieux et le fou, dans les moments lucides peuvent faire seuls tous les actes, et qu'ils n'ont besoin d'être assistés du curateur que pendant leur état de fureur ou de folie.
5 Interdum autem et pupilli curatores accipiunt, utputa si legitimus tutor non sit idoneus, quoniam habenti tutorem tutor dari non potest. Item, si testamento datus tutor, vel a praetore vel a praeside, idoneus non sit ad admioistrationem, nec tamen fraudulenter negotia administret, solet ei curator adjungi. Item in loco tutorum qui non in perpetuum, sed ad tempus, a tutela excusantur, soient curatores dari.
5. Quelquefois on donne aux pupilles eux-mêmes des curateurs; par exemple : si le tuteur légitime est incapable, car on ne peut donner un second tuteur à celui qui déjà en a un. De même si un tuteur, nommé par testament par le préteur ou par le président, n'est point propre à l'administration des affaires, quoiqu'il n'y apporte aucune fraude, on lui adjoint ordinairement un curatear ; et pareillement les tuteurs qui s'excusent, non à perpétuité, mais pour un temps, sont remplacés par des curateurs
Il s'agit ici des curateurs nommés pendant la tutelle, ce qui termine l'indication des cas dans lesquels ils sont donnés.
6. Quod si tutor , adversa valetudine, vel alia necessitate, impediatur quominus negotia pupilli administrare possit, et pupillus vel absit, vel infans sit ; quem velit actorem, periculo ipsius tutoris, praetor, vel qui provincise praeerit, decreto constituet.
6. Mais si par le mauvais état de sa santé ou par toute autre force majeure, le tuteur est mis dans l'impossibilité d'administrer, les affaires du pupille, qui lui-même est absent ou enfant, le préteur ou le président de la province choisira et constituera, par un décret, un agent, aux risques du tuteur lui-même.
Il ne faut point confondre cet agent (actor) avec un curateur. Il ne s'agit ici que d'un procureur, agissant au nom du pupille et aux risques du tuteur. La nomination de cet agent est, d'après notre texte, faite par décret du préteur, seulement dans le cas où le pupille est absent ou enfant ; en effet, s'il est sur les lieux et au-dessus de l'enfance, dit Théophile, il peut lui-même constituer un procureur avec l'autorisation du tuteur.
Administration et fin de la Curatelle.
Les expressions même de tutor et de curator nous indiquent une différence dans les fonctions du tuteur et du curateur; l'un est chargé de défendre (tueri), l'autre de surveiller (curare). Mais si des mots nous passons aux choses, cette différence se développera davantage. L'impubère a une personne incomplète; il ne peut contracter; tous les actes qu'il fait sont nuls, à moins qu'ils ne demandent qu'une simple intelligence. Les adultes, au contraire, ont une personne complète; en règle générale ils peuvent gérer leurs affaires et s'obliger ; ils peuvent conduire leur personne, consentir une adrogation, un mariage ; à moins que la fureur ou la folie leur aient enlevé l'usage de leur raison, et encore, dans cet état, peuvent-ils avoir des intervalles lucides. Il suit de là que le protecteur donné aux impubères doit être chargé de remplacer, de compléter leur personne imparfaite; c'est ce que fait le tuteur quand il interpose son auctoritas. Au contraire, le surveillant donné aux adultes n'est point chargé d'augmenter leur personne qui est complète : il doit seulement les assister dans les actes qu'ils font, et donner son assentiment (consensus ), ou bien les représenter comme une sorte de procureur quand ils sont totalement empêchés d'agir. Voilà d'où viennent ces deux règles que le tuteur est donné à la personne : personae non rei vel causae datur; tandis que le curateur est donné aux biens ou à la chose. Voilà aussi d'où vient qu'on peut donner un curateur pour une affaire spéciale. Ces règles n'empêchent pas d'ailleurs que le tuteur, tout en remplaçant ou complétant la personne de l'impubère, s'occupe de ses biens; et que de même, le curateur, sans augmenter la personne de l'adulte, sans le représenter autrement que comme un procureur, sans même être nécessaire lorsqu'il s'agit de son mariage, veille cependant à son éducation et à son entretien au bien-être et à la guérison de l'infirme ou du fou qui lui est confié. La curatelle donnée au pupille pendant la tutelle finit à la puberté , celle des adultes finit à vingt-cinq ans, ou lorsqu'ils obtiennent la dispense d'âge (vaenia aetatis) ; celle des furieux, des fous, des sourds et muets, etc., quand ils sont guéris; celle des prodigues lorsqu'ayant changé de moeurs, ils ont été relevés de l'interdiction ; celle donnée pour une affaire spéciale, quand l'affaire est terminée.
TIT. XXIV.
DE SATISDATIONE TUTORUM VEL
CURATORUM.
Ne tamen pupillorum pupillarumve, et eorum qui quaeve in euratione sunt, negotia a curatoribus tutoribusve consumantur vel diminuantur, curet praetor ut et tutores et curatores eo nomine satisdent. Sed hoc non est perpetuum ; nam tutores testamento dati satisdare non coguntur quia fides eorum et diligentia ab ipso testatore. approbata est. Item, ex inquisitione tutores vel curatores dati, satisdatione non onéranfur, quia idonei electi sunt.
Pour empêcher le patrimoine des pupilles ou des personnes soumises à la curatelle, d'être consumé ou diminué par les tuteurs ou curateurs, que le préteur veille à ce que ces derniers fournissent à ce sujet satisdation. Toutefois, cette règle n'est pas sans exception, car on ne force à satisdonner ni les tuteurs donnés par testament, parce que leur fidélité et leur zèle sont reconnus par le testateur même, ni les tuteurs donnés sur enquête, parce qu'on les a choisis offrant toute sûreté.
Nous avons déjà dit que les tuteurs, avant de
commencer leurs fonctions, doivent donner aux pupilles
des sûretés pour la bonne administration de leurs affaires
(cavere rem pupilli salvam fore). Il en est de même des
curateurs; cette obligation leur est commune, et ce que
nous, allons dire s'applique aux uns et aux autres. Il est
plusieurs moyens de donner à quelqu'un des sûretés ; une
promesse solennelle, un serment, des gages, une hypothèque,
des répondants, sont autant de garanties plus ou
moins assurées. Le mot cavere est générique, il s'applique
à tous les actes que l'on fait pour précautionner quelqu'un
(ut quis cautior sit et securior). Quelle était la sûreté que
les tuteurs ou curateurs devaient au pupille? Celle que les
Romains nommaient satisdatio, mot que nous traduirons
littéralement par satisdation. Cet acte consistait à précautionner
quelqu'un en lui donnant des fidéjusseurs
(cavere ut aliquem securum faciamus datis fidejussoribus). Donner des fidéjusseurs, c'était présenter une ou plusieurs
personnes qui s'engageaient, par les formes solennelles de
la stipulation, à répondre de votre obligation. Ainsi
le tuteur ou le curateur commençait par s'obliger lui-même
par stipulation ; on l'interrogeait, par exemple, en ces termes:
Promittisne rem pupitli salvam fore? Il répondait
Promitto. Et alors, présentant celui ou ceux qui devaient
être fidéjusseurs, on les interrogeait à leur tour : Fidejubesne
rem pupilli salvam fore? Ils répondaient: Fidejubeo, et
ils étaient engagés comme garants. Par qui les interrogations
devaient-elles être faites? Par le pupille ou adulte
s'il était présent et sachant parler, car l'action de stipulation
était acquise à celui qui interrogeait. Si le pupille
ne pouvait parler, ou bien s'il était absent, un de ses
esclaves devait interroger, parce que les esclaves acquièrent
à leur maître. S'il n'avait pas d'esclave, on devait lui en
acheter un, ou bien faire faire la stipulation par un esclave
public, ou par une personne désignée par le préteur.
Dans ces deux derniers cas, bien que rigoureusement
l'action de stipulation n'eût pas dû appartenir au
pupille ou adulte, cependant on la lui donnait Cette
stipulation n'était pas conventionnelle, parce qu'elle n'avait
pas lieu par la seule volonté des parties, puisque les tuteurs
ou curateurs y étaient forcés par les magistrats ; elle
était à la fois et prétorienne, parce qu'elle était généralement
faite sur l'ordre des préteurs, et judiciaire, parce
qu'il arrivait quelquefois que le juge d'un procès l'ordonnait
: aussi verrons nous plus loin qu'elle se rangeait dans
la classe des stipulations communes. Ces observations faites, il faut examiner, avec le texte,
quels étaient les tuteurs forcés ou dispensés de satisdonner.
Il en résulte que les tuteurs ou curateurs légitimes, et
ceux donnés par les magistrats inférieurs des cités, étaient
seuls contraints à la satisdation. Il n'y avait pas d'exception
de plein droit pour, le patron ; mais il pouvait, en
connaissance de cause, être dispensé par le préteur; et
même un fragment au Digeste nous dit que ce n'était
pas facilement qu'on l'obligeait à satisdonner. Il faut
en dire autant du père, bien que les textes cités ne parlent
que du patron. Et même on pourrait soutenir avec plus,
de raison, que, puisque le choix que faisait le père d'un
tuteur testamentaire, suffisait pour dispenser ce dernier
de satisdonner, à plus forte raison, le père lui-même devait
en être dispensé. Le tuteur ou curateur, nommé
par testament était dispensé de la satisdation, même dans
le cas où sa nomination avait besoin d'être confirmée,
pourvu qu'elle eût été faite par l'ascendant.
1. Sed si ex testamento vel inquisitione duo pluresve dati fuerint, potest unus offerre satis de indemnitate pupilli vel adolescents, et contutori suo vel concuratori praeferri, ut solus administret; vel ut contutor satis offerens praeponatur ei, ut et ipse solus administret. Itaque per se non potest petere satis a contutore vel concuratore suo, sed offerre debet, ut electionem det concuratori vel contutori suo, utrum velit satis accipere, an salisdare. Quod si neaso eorum satis offerat, si quidem adscriptum fuerit a testatore quis gerat, ille gerere débet. Quod si non fuerit scriptum, quem major pars elegerit ipse gerere débet, ut edicto praetoris cavetur. Sin autem ipsi tutores dissenserint, circa eligendum eum, vel eos, qui gerere debent, praetor partes suas interponere debet. Idem et inpluribus ex inquisitione datis comprobandum est, id est, ut major pars eligere possit, per quem administratio fiat.
1. Mais, si par testament ou sur enquête, deux tuteurs ou plus ont été donnés, l'un peut offrir caution pour la sûreté du pupille ou de l'adolescent, afin ou d'être préféré à son cotuleur ou cocurateur et d'administrer seul, ou de contraindre ce cotuteur ou cocurateur à offrir satisdation s'il veut être préféré et prendre seul l'administration. Ainsi, par lui-même, il ne peut exiger satisdation de son cotuteur ou, cocurateur; mais il doit la lui offrir, afin de lui donner le choix ou de la recevoir, ou de la fournir lui-même. Lorsqu'aucun d'eux n'offre satisdation, si l'un a été désigné par le testateur pour gérer, il gérera; si nul n'a été désigné, celui que la majeure partie aura choisi prendra la gestion, comme y a pourvu l'édit du prêteur. Mais si les tuteurs eux-mêmes sont en désaccord dans le choix de celui ou de ceux qui doivent gérer, le préteur doit interposer sa volonté. Ceci doit s'appliquer au cas où plusieurs ont été donnés sur enquête, c'est-àdire que la majeure partie pourra choisir l'administrateur.
Sed offerre débet. Nous avons déjà développé les dispositions de ce paragraphe. Il faut remarquer que lorsqu'il y a plusieurs tuteurs, il est de leur propre intérêt que celui qui administre fournisse satisdation, parce qu'ils sont tous responsables de la gestion. Il faut remarquer, encore que celui qui offre satisdation le premier, donne aux autres, par cela seul, le choix ou de l'accepter ou de satisdonner eux-mêmes. Outre les garanties dont nous venons de parler, les impubères et les adultes ont de plus une hypothèque sur tous les biens des tuteurs ou curateurs.
2. Sciendum autem est, non solum tutores vel curatores pupillis, vel adullis, ceterisque personis, ex, administratione rerum teneri, sed etiam in eos qui satisdationem accipiunt , subsidiariam actionem esse quas ultimum eis praesidium possitadferre. Subsidiaria autem actio in eos datur qui aut omnino a tutoribus vel curatoribus satisdari non curaverunt, aût non idonee passi sunt caveri : quas quidem, tam ex prudentum responsis, quant ex constitutionibus imperialibus, etiam in heredes eorum extenditur.
2. Sachez du reste que non seulement les tuteurs ou curateurs sont tenus pour l'administration des biens envers les pupilles, adultes et autres; mais que ces derniers ont encore contre ceux qui reçoivent la satisdation une action subsidiaire, qui peut leur fournir un dernier secours. L'action subsidiaire se donne contre ceux qui, ont ou négligé entièrement de forcer les tuteurs ou curateurs à satisdonner, ou souffert qu'ils donnassent une caution insuffisante. De plus, cette action, d'après les réponses des prudents aussi bien que d'après, les Constitutions impériales, s'étend aussi contre les héritiers.
Subsidiariam actionem. Il s'agit dans ce paragraphe d'une action donnée aux pupilles ou à l'adulte, même contre les magistrats chargés de recevoir la satisdation. Nous trouvons sur cet objet un titré au Digeste et au Code sous la rubrique : De Magistratibus conveniendis. Cette action était subsidiaire: on nomme ainsi celles qui présentent un dernier recours (ultimum subsidium), et qui ne sont données qu'à défaut de toute autre. Presque toutes les lois du Code, sous le titre que nous venons de citer, nous disent que le pupille ou l'adulte n'a de recours contre les magistrats que lorsque, après avoir discuté, fait vendre tous les biens du tuteur ou curateur et de leurs fidéjusseurs, il n'a pu être indemnisé en entier. Etiam in heredes. Mais l'action était moins rigoureuse contre les héritiers que contre le magistrat lui-même. Les premiers n'étaient responsables que lorsque le magistrat avait mis dans ses fonctions une bien grande négligence.
3. Quibus constitutionibus et illud exprimitur, ut, nisi caveant tutores vel curatores, pignoribus captis coerceantur
3. Dans ces constitutions il est même d'il expressément que, si les tuteurs et curateurs ne fournissent caution, on saisira des gages pour les y contraindre.
C'est-à dire que le magistrat ordonnera la saisie d'une partie de leurs biens, que l'on gardera en nantissement.
4. Neque autem praefectus urbi, neque praetor, neque prasses provinciae, neque quis alius, cui tutores dandi jus est, hac actione tenebitur, sed hi tantummodo qui satisdationem exigere solent.
4. Ni le préfet de la ville ou le préteur, ni le président de la province, ni tous autres magistrats revêtus du droit de nommer les tuteurs , ne seront soumis à cette action, mais seulement ceux qui sont dans l'usage d'exiger satisdation.
Le préfet de la ville, le préteur, le président de la province, investis du droit de nommer les tuteurs et curateurs, devaient bien veiller à ce qu'on exigeat d'eux satisdation, dans les cas où elle était nécessaire; mais il paraît qu'il n'entrait dans leurs fonctions ni d'apprécier, ni de recevoir cette satisdation. Un fragment d'Ulpien nous parle d'un président de province qui", après avoir nommé lui-même le tuteur, charge les magistrats particuliers de la cité d'exiger satisdation. De même une constitution de Zenon, après avoir cité l'ordonnance d'un préteur qui nomme un curateur, nous parle d'une sorte de greffier appelé scriba, chargé d'estimer la fortune de l'adulte et de recevoir la satisdation. Ces textes nous font comprendre parfaitement cette règle, que l'action subsidiaire ne se donne pas contre les magistrats investis du droit de nommer les tuteurs , mais seulement contre ceux chargés d'exiger satisdation. Une seule explication encore est nécessaire : elle porte sur ces mois : neque quis alius cui tutores dandi jus est. Les magistrats municipaux, dira- t-on peut-être, ont le droit dans certains cas de nommer les tuteurs, et pourtant, comme on vient de le dire, ils sont tenus de l'action subsidiaire : les expressions du texte ne sont donc pas exactes. C'est que ces expressions sont tirées d'Ulpien, qui les écrivait à une époque où les magistrats supérieurs possédaient seuls le droit de faire ces nominations ; quant aux magistrats particuliers des cités, ils ne les faisaient que comme délégués du président, et sur son ordre. Ce n'est que Justinien qui leur a donné le droit de nommer sans attendre aucun ordre. Du reste, s'ils sont tenus de l'action subsidiaire, ce n'est point parce qu'ils ont fait la nomination, mais parce qu'ils doivent en outre exiger satisdation.
TIT. XXV.
DE EXCUSATIONIBUS TUTORUM VEL
CURATORUM.
TIT. XXV.
DES EXCUSES DES TUTEURS ET
CURATEURS.
La tutelle et la curatelle étaient des charges publiques non pas qu'elles eussent pour but l'intérêt public de l'Etat, mais, en ce sens, que chaque citoyen pouvait y être appelé, et devait les remplir. Pour certains motifs on pouvait être excusé. Les excuses sont, à proprement parler, des causes de dispense que l'on peut faire valoir, auxquelles n peut aussi renoncer; de sorte que l'on est le maître d'accepter la tutelle où la curatelle, ou de ne point la prendre en s'excusant. Elles diffèrent des exclusions ; car celui qui est exclus ne peut être tuteur, ni curateur, lors même qu'il le voudrait: cependant nous trouvons quelques textes dans lesquels le mot excusari est pris pourpre exclus; mais ce n'est point là le sens ordinaire et propre du mot.
Excusantur autem tutores vel curatores variis ex causis ; plerumque tamen propter liberos, sive in potestate sint, sive emancipati. Si enim très libères superstites Romae quis habeat, vel in Italia quatuor, vel in provinciis quinque, a tutela vel curam potest excusari, exemplo ceterorum munerum ; nam et tutelam vel curam placuit publicum munus esse. Sed adoptivi liberi non prosunt : in adoptionem autem dati, naturali patri prosunt. Item ne potes ex filio prosunt, ut in locum patris succédant; ex filia non prosunt. Filii autem superstites tantum ad tutelae vel curse muneris excusationem prosunt; defuncti autem non prosunt. Sed si in bello amissi sunt, quaesitum est an prosint? Et constat eos solos prodesse qui in acie amittuntur; hi enim qui pro Republica ceciderunt, in perpetuum per gioriam vivere intelliguntur.
Il est plusieurs motifs pour lesquels s'excusent les tuteurs et curateurs, mais le plus souvent c'est pour le nombre des enfants qu'ils ont, soit en leur puissance, soit émancipés. En effet celui qui a dans Rome trois enfants vivants, dans l' Italie quatre, dans les provinces cinq, peut s'excuser de la tutelle ou curatelle, comme des autres charges : car la tutelle et la curatelle sont des charges publiques. Les enfants adoptifs ne comptent pas; donnés en adoption; ils comptent au père naturel. Les petits-enfants issus d'un fils comptent lorsqu'ils prennent la place de leur père, issus d'une fille ils ne comptent pas. Ce sont seulement les enfants vivants qui servent à s'excuser de la tutelle ou curatelle, ceux qui sont morts ne servent point. Et s'ils ont péri à la guerre, a-t-on demandé, comptent-ils? Oui sans doute, mais seulement quand ils sont morts au combat ; car ceux qui succombent pour la République, la gloire les fait vivre éternellement.
Tres liberos auperstites Romae. Cette excuse, accordée pour le nombre d'enfants, vient de la loi Papia Poppea, dont nous avons déjà vu plus d'une disposition tendant à favoriser les mariages et à augmenter la population . On peut remarquer la différence entre Rome, l'Italie et les provinces; différence qui est conservée dans les Instituts , bien qu'à cette époque Rome et l'Italie fussent encore au pouvoir des Ostrogoths.
1. Item divus Marcus in Semestribus rescripsit, eum qui res fisci administrat a tutela vel cura, quamdiu administrat, excusari posse.
1. De même, le divin Marc-Aurèle dans ses semestres a répondu que celui qui administre le fisc peut s'excuser de la tutelle ou curatelle pendant tout le temps de son administration.
On sait par Suétone qu'Auguste et Tibère réunissaient pendant six mois des conseils particuliers, composés de sénateurs (semestria consilia), où ils discutaient certaines affaires. Notre texte des Instituts peut faire présumer que Marc-Aurèle avait suivi cet exemple. Il n'y avait plus de différence, sous Justinien, entre le trésor du prince (fiscus) et celui de l'Etat (aerarium).
2. Item, qui Reipublicae causa absunt, a tutela vel cura excusantur. Sed et si fuerint tutores vel curatores , deinde reipublicae causa abesse coeperint, a tutela vel cura excusantur, quatenus Reipublicae causa absunt ; et interea curator loco eorum datur. Qui, si reversi fuerint, recipiunt onus tutelae : nam nec anni habent vacationem, ut Papiniauus libro quinto Responsorum scripsit; nam hoc spatium habent ad novas tutelas vocati.
2. De même, les absents pour la
République sont excusés de la tutelle ou curatelle. Quant à ceux
qui, nommés tuteurs ou curateurs, se sont absentés par la suite pour
la République, ils sont excusés pendant
tout le temps de leur absence;
dans cet intervalle on met un curateur
à leur place; mais, à leur retour,
ils reprennent leur charge,
car, comme l'a écrit Papinien au
livre cinq de ses Réponses, ils n'ont
pas une année de dispense ; ce délai
n'existe que pour les nouvelles
tutelles auxquelles ils seraient appelés.
Nec anni habent vacationem. De retour d'une absence pour la République on ne pouvait, pendant une année, être appelé malgré soi à une nouvelle tutelle ou curatelle ; mais, quant à celles dont on était chargé avant son départ, on était forcé de les reprendre sur-le-champ : ainsi elles n'avaient été que suspendues pendant l'absence ; aussi dans l'intervalle nommait-on un curateur.
3. Et qui potestatem habent aliquam, se excusare possunt, ut divus Marcus rescripsit ; sed caeptam tutelam deserere non possunt.
3. Ceux qui sont investis de quelque pouvoir peuvent s'excuser, selon le rescrit du divin Marc- Aurèle; mais ils ne peuvent abandonner une tutelle commencée.
4. Item, propter litem quam cum pupillo vel adulto tutor vel purator habet, excusare nemo se potest, nisi forte de omnibus bonis vel hereditate coutroversia sit.
4. Pour un procès qu'il a contre le pupille ou l'adulte, le tuteur ou curateur ne peut s'excuser, à moins que la contestation s'étende à tous les biens ou à une hérédité.
Justinien, plus tard, dans la Novelle 72 c. décida que, lorsqu'on serait créancier ou débiteur, du pupille ou adulte, on ne pourrait pas être admis à la tutelle ou curatelle.
5. Item, tria onera tutelae non adfectatae, vel curas, praestant vacationem, quamdiu administrantur : ut tamen plurium pupillorum tutela vel cura eorumdem bonorum, veluti fratrum, pro una computetur.
5. Trois charges de tutelle ou de curatelle qu'on n'a point recherchées, fournissent aussi une excuse tant qu'on les administre. En observant toutefois que la tutelle de plusieurs pupilles, ou la curatelle de plusieurs biens, lorsqu'il y a indivision, par exemple, celle de frères, ne comptent que pour une.
6. Sed et propter paupertatem excusationem tribui, tam divi tratres, quam per se divus Marcus rescripsit, si quis imparem se oneri injuncto possit docere.
6. Pour pauvreté, une excusé est aussi accordée à celui qui peut justifier que la charge qu'on lui impose est au-dessus de ses forces. Les divins frères, et, en son particulier, le divin Marc-Aurèle l'ont répondu.
Par divins frères on entend Marc-Aurèle-Antonin le philosophe, et son frère par adoption , Lucius Verus.
7. Item, propter adversam valetudinem, propter quam nec suis quidem negôtiis interesse potest, excusatio locum habet.
7. De même, une santé débile qui empêche de s'occuperde ses propres affaires donne lieu à une excuse.
8. Similiter, eum qui lîtteras nescit, esse excusandum divus Pius rescripsit, quamvis et imperiti litterarum possint ad administrationem negotiorum sufficere.
8. Pareillement un rescrit d'Antonin le Pieux porte que ceux qui neconnaissent point l'écriture doivent être excusés. Néanmoins ils peuvent quelquefois être capables d'administrer.
C'est donc aux magistrats à juger, d'après l'importance de la tutelle, si elle peut être gérée par quelqu'un qui ne sait ni lire ni écrire, et si, en conséquence , l'excuse doit être admise ou rejetée.
9. Item, si propter inimicitias aliquem testamento tutorem pater dederit, hoc ipsum praestat ei excusationem; sicut, per contrarium, non excusantur qui se tutelam administraturos patri pupillorum promiserant.
9. Celui que le père aurait dans son testament nommé tuteur par inimitié, obtiendrait par cela seul une excuse; et, à l'inverse, on n'excuse point ceux qui avaient promis au père du pupille d'administrer la tutelle.
On suppose qu'un père, dans le but d'imposer à son ennemi une charge onéreuse, l'aurait dans son testament nommé tuteur de ses enfants : on donne alors une excuse ; mais il faut prouver que c'est par inimitié que la nomination a été faite, et non comme un acte de réconciliation.
10. Non esse autem admittendam excusationem ejus qui hoc solo utitur, quod ignotus patri pupillorum sit, divi fratres rescripserunt.
10. On ne peut admettre l'excuse de celui qui se fonde seulement sur ce qu'il était inconnu au père du pupille. C'est ce qu'ont répondu les divins frères.
11. Inimicitiae, quas quis cum patre pupillorum vel adultorum exercuit, si capitales fuèrunt, nec reconciliatio intervenit, a tutela vel cura soient excusare.
11. Les haines élevées entre une personne et le père des pupilles ou adultes, si elles étaient capitales et qu'il n'y ait pas eu réconciliation, excusent de la tutelle, ou curatelle.
Par haines capitales, il faut entendre celles qui allaient jusqu'à vouloir priver de la vie, naturelle ou civile.
12. Item, is qui status controversiam a pupillorurn pâtre passus est, excusatur a tutela.
12. Comme aussi on excuse celui qui a essuyé de la part du père du pupille une contestation d'état.
Par exemple, si on l'a attaqué, soutenant qu'il était esclave ou non citoyen.
13. Item, major septuaginta annis a tutela vel cura excusare se potest. Minores autem vigintiquinque annis olim quidem excusabantur, nostra autem Constitutione prohibentur ad tutelam vel curam adspirare, adeo ut nec excusatione opus sit. Qua Constitutione, cavetur ut nec pupillus ad Iegitimam tutelam vocetur, nec adultus : cum erat incivile, eos qui alieno auxilio in rébus suis administrandis egere noscuntur, et ab aliis reguntur, aliorum tutelam vel curam subire.
13. Le majeur de soixante-dix
ans peut s'excuser de la tutelle et
de la curatelle. Les mineurs de
vingt-cinq ans jadis étaient excusés;
mais, d'après notre Constitution,
ils sont incapables d'aspirer
à la tutelle ou curatelle ; et ,
par là il n'est plus besoin d'excuse.
Cette Constitution pourvoit à
ce que ni les pupilles, ni les adultes
ne soient appelés à la tutelle légitime
; car il est contraire à la raison
que des individus reconnus
comme ayant besoin du secours
d'autrui dans l'administration de
leurs affaires, et placés eux-mêmes
sous une direction étrangère, prennent
la tutelle ou la curatelle des
autres.
14. Item et in milite observandum est ut, nec volons, ad tutelx onus admittatur.
14. Il faut pareillement observer pour les militaires qu'ils ne soient point admis, même volontairement, à gérer la tutelle.
C'est ici une incapacité plutôt qu'une excuse.
15. Item, Romae grammatici, rhetores et medici, et qui in par tria sua id exercent, et intra numerum sunt, a tutela vel cura habent vacationem.
15. A Rome, les grammairiens, les rhéteurs et les médecins., de même ceux qui exercent ces professions dans leur patrie, et qui sont compris dans le nombre légal, sont dispensés de la tutelle et curatelle.
Il existait, nous dit Théophile, une Constitution d'Antonin le Pieux qui fixait le nombre de grammairiens, rhéteurs, etc., que chaque cité devait avoir. Modestin nous fait même connaître les dispositions de cette Constitution et les diverses limites qu'elle posait.
16. Qui autem vult se excùsare, si plures habeat excusationes, et de quibusdam non probaverit, aliis uti intra tempora constituta non prohibetur. Qui autem excusare se volunt, non appellant ; sed , intra dies quinquaginta continuas, ex quo cognoverint se tutores datos, excusare se debent , cujuscunque generis sint, id est, qualitercunque dati fuerint tutores, si intra centesimum lapidem sunt ab eo loco ubi tutores dati sunt. Si vero ultra centesimum habitant, dinumeratione facta viginti millium diurnorum, et amplius triginta dierum : quod tamen, ut Scaevola dicebat, sic débet computari, ut ne minus sint quam quinquaginta dies.
16. Celui qui veut s'excuser et qui a plusieurs excuses, lorsque quelques unes ont été rejetées, est maître de faire valoir les autres dans les délais fixés. Pour s'excuser on n'a point recours à l'appel ; mais de quelque classe que l'on soit, c'est à dire de quelque manière que l'on ait été nommé à la tutelle où curatelle, on doit proposer ses excuses dans les cinquante jours continus, à partir du moment que l'on a connu sa nomination, si l'on est amoins de cent milles du lieu où l'on a été nommé. Si l'on demeure à plus décent milles, on compte un jour par vingt milles, plus trente jours en sus : calcul néanmoins qui doit se faire, comme te disait Scévola, de telle sorte que jamais il n'y ait moins de cinquante jours.
Non appellant. Ce paragraphe fixe dans quelle forme on
doit s'excuser et dans quel délai. En général, lorsqu'on était
appelé à une fonction publique, et qu'on prétendait avoir
une excuse, c'est par la voie de l'appel qu'on la faisait valoir
; c'est à dire en s'adressant à un magistrat supérieur,
pour faire réformer la sentence de celui qui vous avait
nommé. Une constitution de Marc-Aurèle-Antonin
ordonna qu'il en serait autrement pour les tutelles et curatelles.
C'est devant le magistrat formant le premier
degré de juridiction que les tuteurs et curateurs doivent
se présenter et proposer leurs excuses; si ce premier magistrat
les rejette , c'est alors qu'ils pourront appeler de sa
sentence. Cette règle est commune à tous les tuteurs
ou curateurs, légitimes, testamentaires, ou donnés par
les magistrats ; tous peuvent également s'excuser, à l'exception
cependant des affranchis, auxquels la reconnaissance
impose l'obligation de gérer la tutelle ou curatelle
des enfants du patron, et qui ne peuvent invoquer des
excuses pour s'en dispenser.Intra quinquaginta dies continuas. Quand on calculait
par jours utiles, on
ne comptait que ceux où il était permis
de se présenter devant le juge; par jours continus,
on les comptait tous sans distinction. C'est cette dernière
méthode qu'on devait suivre pour les tuteurs et curateurs.
Dans le délai fixé, il fallait non seulement qu'ils
se fussent présentés au magistrat (ad judicem accedere),
mais encore qu'ils eussent spécifié leurs excuses (remissionis
causant nominare). S'ils en avaient plusieurs,
ils n'étaient pas obligés de les spécifier toutes à la fois ;
mais, lorsque les premières avaient été rejetées, ils pouvaient
proposer les autres, pourvu qu'ils fussent toujours
dans le délai.
Ne minus sini quam quinquaginta dies. Il résulte dû
calcul indiqué par les Instituts que, si on le suivait sans
modification, ceux qui sont à plus de cent milles auraient
souvent un délai plus court que ceux qui sont
moins éloignés. Par exemple, un individu qui demeure
à trois cents milles, aurait un jour par vingt milles, c'est
à dire quinze jours ; plus trente jours en sus, en totalité
quarante-cinq jours seulement. Voilà pourquoi les jurisconsultes
ajoutaient que, dans tous les cas, il faut agir
de manière à ce que personne n'ait jamais moins de cinquante
jours. D'après cela on peut aisément s'assurer,
en faisant les calculs, qu'il ne commence à y avoir plus
de cinquante jours que lorsque les tuteurs habitent à plus
de quatre cents milles ; en sorte que la règle eût été plus
juste et plus simple si l'on avait dit : le délai sera de cinquante
jours pour ceux qui demeureront à quatre cents milles, ou moins ; on ajoutera un jour pour chaque vingt
milles en sus de cette distance.
Les tuteurs et curateurs sont les maîtres, comme nous,
l'avons dit, d'user de leurs excuses ou d'y renoncer. Ils y,
renoncent tacitement lorsqu'ils laissent expirer les délais,
ou, même lorsqu'ils prennent l'administration sans faire
aucune réserve, à moins qu'il s'agisse d'une excuse
survenue postérieurement, et pouvant, dispenser même
d'une charge commencée , comme, par exemple, l'absence
pour la république.
17. Datus autem tutor, ad universum patrimonium datus esse creditur.
17. La nomination du tuteur est censée faite pour le patrimoine entier.
Par conséquent, ajoute Cujas, si les biens sont situés dans des provinces différentes, il n'en est pas moins chargé en totalité. D'où il suit que, s'il veut se décharger de l'administration des biens trop éloignés, il ne peut le faire qu'en proposant une excuse fondée sur l'éloignement, ce qui est conforme à un fragment du Digeste. Quelques commentateurs pensent que le texte des Instituts est incomplet, et que la suite développait ce que nous venons de dire. La paraphrase de Théophile n'en dit pas plus que les Instituts.
18. Qui tutelam alicujus gessit, invitùs curator ejusdem fleri non compellitur : in tantum ut, licet paterfamilias qui testamento luforem dedit, adjecerit se eundem curatorem dare : tamen invitum eum curam suscipere non cogendum, divi Severus et Antoninus rescripserunt
18. Celui qui a géré la tutelle d'une personne n'est pas forcé d'en prendre la curatelle malgré soi : tellement que si un père de famille,en nommant un tuteur par testament, avait ajouté qu'il donnait le même individu pour curateur, on ne pourrait point le contraindre à prendre la curatelle, contre son gré, selon le rescrit des divins Sévère et Antonin.
C'est ici Septime-Sévère et Antonin-Caracalla que l'on veut désigner.
19. lidem rescripserunt maritum uxori suas curatorem datum, excusare se posse, licet se immisceat.
19. Les mêmes empereurs ont répondu que le mari donné pour curateur à sa femme peut s'excuser, bien qu'il se soit immiscé.
Non seulement il peut s'excuser, mais il le doit; car il
est incapable d'être curateur de sa femme, comme le
disent formellement plus d'un texte du Digeste et du
Code Maritus, et si rebus uxoris suae debet affectionem,
lamen curator ei creari non potest. Cette règle
est la réciproque de celle déjà connue, que le curateur
d'une femme ne peut l'épouser. Le motif est
le même : on craindrait que le mari n'abusât de sa position
pour se dispenser de rendre des comptes. Si donc, par
ignorance du droit, ou par tout autre motif, des magistrats
avaient nommé un mari à la curatelle de sa femme,
celui-ci, dès qu'il l'apprendrait, devrait s'excuser sur-le-champ, afin d'éviter toute responsabilité à ce sujet.
Il faut supposer que la femme a besoin d'un curateur,
soit parce qu'elle est mineure de vingt-cinq ans, soit parce qu'elle est insensée, etc. Il faut de plus supposer
qu'elle a des biens à elle propres et non compris
dans la dot.
20. Si quis autem falsis allegationibus excusationem tutelae meruerit, non est liberatus onere tutelae.
20. Si, par de fausses allégations, quelqu'un est parvenu à se faire dispenser de la tutelle, il n'est point dégagé, de ses obligations.
En conséquence il est toujours responsable, par l'action de tutelle, de tous les préjudices que pourrait éprouver le pupille : il faut en dire autant pour la curatelle. C'est une exception faite, en faveur des pupilles ou adultes, à cette règle, que la chose jugée passe pour la vérité. Il est encore plusieurs motifs d'excuse autres que ceux que nous venons de parcourir ; mais la matière n'est pas assez importante pour les tous examiner: ils sont énumérés au Digeste et au Code.
DES ACTIONS RELATIVESA LA TUTELLE ET A LA CURATELLE
La tutelle pouvait donner lieu à plusieurs actions ; savoir ;
l'action directe de tutelle, l'action pour les distractions
faites dans les comptes, et l'action contraire de tutelle.
L'action directe de tutelle, qui se nommait actio directa
tutelae, ou judicium tutelae, ou bien encore arbitrium
tutelae, était celle qu'on donnait au pupille contre le tuteur,
pour lui faire rendre compte de son administration.
Elle n'était ouverte que lorsque la tutelle était finie soit
pour le pupille lui-même, soit pour le tuteur seulement. Elle était accordée au pupille ou à ses héritiers, contre le tuteur
ou contre ses héritiers. Le tuteur était responsable, par
cette action, non seulement des fraudes qu'il aurait commises, mais encore des fautes qu'il aurait faites, et même
de sa négligence. Lorsqu'il était, par suite de cette action,
convaincu de fraude, il était noté d'infamie. L'action
pour les distractions faites dans, les comptes se nommait
actio de distrahendis rationibus. Elle était donnée au pupille
contre le tuteur, quand celui-ci avait commis quelques
soustractions sur le patrimoine qu'on lui avait confié.
Elle n'était ouverte qu'à la fin de la tutelle. Elle avait pour
résultat de faire noter le tuteur d'infamie, et de le faire
condamner à restituer le double de ce qu'il avait soustrait;
elle ne passait point contre les héritiers du tuteur,
parce qu'ils n'étaient point les coupables. On ne pouvait
pas exercer à la fois l'action directe de tutelle et l'action
de rationibus distrahendis ; intenter l'une , c'était renoncer
à l'autre. L'action contraire de tutelle (actio contraria
tutelae) était celle qui y à la fin de la tutelle, était donnée
au tuteur contre le pupille, pour se faire indemniser de
toutes les avances qu'il pouvait avoir faites, et de toutes
les obligations qu'il pouvait avoir contractées pour lui.
Une remarque générale, et qui nous servira plus d'une
fois par la suite, c'est que ces expressions, action directe,
action contraire, prises par opposition l'une à l'autre,
désignaient toujours, la première, une action en quelque
sorte principale, découlant directement et essentiellement d'un contrat ou d'un fait ; la seconde, une action
en quelque sorte accessoire, survenue postérieurement
au contrat, à cause d'une circonstance particulière.
Ainsi, dans notre exemple, par cela seul qu'il y a tutelle,
il y a, comme une conséquence directe et essentielle,
action directe de tutelle ; tandis que l'action contraire
ne viendra qu'accessoirement, si le tuteur par la
suite se trouve avoir fait quelque avance.
La curatelle donnait lieu à l'action utile de gestion
d'affaires (actio utilis negotiorum gestorum), accordée à
celui qui était en curatelle, pour faire rendre compte au
curateur. Il est à remarquer que rien n'empêchait d'intenter
cette action, si les circonstances l'exigeaient,
même pendant que la curatelle durait encore. De son
côté, le curateur avait, pour se faire indemniser de ses
avances, l'action contraire utile de gestion d'affaires
(actio contraria utilis negotiorum gestorum). Observons
encore ici que l'expression action directe se prenait
aussi par opposition à action utile ; qu'alors elle avait un
autre sens que celui expliqué ci-dessus. Elle désignait
une action découlant directement du droit lui-même;
tandis que, par action utile, on entendait une action que
l'équité, l'utilité seule avaient fait introduire par analogie
d'une action existante dans la loi. Ainsi, dans notre
exemple, l'action directe negotiorum gestorum, est celle
que le droit lui-même donnait pour faire rendre compte
à celui qui, volontairement et à l'insu d'un propriétaire, s'était mis à gérer ses affaires. Le curateur n'était pas
absolument dans cette position, puisque ce n'était point
de son seul mouvement qu'il avait pris la gestion. On
n'avait donc pas réellement contre lui l'action directe de
gestion d'affaires ; mais, par analogie et par utilité, on
avait donné une action à peu près semblable actio utilis
negotiorum gestorum. L'action accordée par le préteur
pour obtenir une restitution en entier (restitutio in integrum), à cause de l'âge, se rapporte aussi à la matière
que nous examinons. Lorsqu'un mineur de vingt-cinq
ans, agissant soit avec l'autorisation de son tuteur, soit
avec le consentement de son curateur, soit par lui-même
en âge de puberté, avait éprouvé un préjudice dans une
affaire qui, selon le droit, était valable, le préteur néanmoins
lui permettait d'agir pour se faire restituer en entier, c'est à dire replacer dans son premier état, comme
si l'affaire n'avait pas eu lieu : c'est là ce qu'on nommait
une restitutio in integrum. Le préteur, du reste, ne l'raccordait
qu'en connaissance de cause, et lorsqu'il reconnaissait
qu'il y avait un préjudice assez considérable.
Étaient communes à la tutelle et à la curatelle, faction
de stipulation (actio ex stipulatu) contre ceux qui s'étaient
engagés comme répondants du tuteur ou du curateur ;
l'action subsidiaire contre les magistrats ; et enfin l'accusation
dirigée contre le tuteur ou curateur, pour le faire
écarter comme suspect. Nous allons, avec le texte, parler
plus en détail de cette accusation.
TIT. XXVI.
DE SUSPECTIS TUTORIBUS VEL
CURATORIBUS.
TIT. XXVI,
DES TUTEURS OU CURATEURS
SUSPECTS.
L'accusation de suspicion, intentée contre un tuteur ou curateur, n'était point une accusation criminelle, proprement dite : elle n'avait point pour objet de faire infliger à un coupable une punition publique ; son but principal était un intérêt civil, celui de défendre la fortune du pupille, en écartant quelqu'un qui pourrait y malverser. Il est vrai qu'elle entraînait quelquefois l'infamie ; mais cet effet lui était commun avec plusieurs actions civiles, telles que celle de tutelle, de dépôt. Il suit de là que cette accusation n'était point portée devant les juges criminels, mais seulement devant les juges civils. Il suit encore que, dès que la tutelle ou curatelle avait fini, l'accusation ne pouvait plus avoir lieu, puisqu'elle eût été sans objet. D'un autre côté cette accusation diffère des actions civiles, et se rapproche des accusations criminelles, en ce sens qu'elle n'est pas ouverte seulement à la partie intéressée, mais que tout le monde a le droit de l'intenter.
Sciendum est, suspecti crimen exlege duodecim Tabularum descendere.
1. Datum est autem jus removendi tutores suspectos Romae prastori, et in provinciis praesidibus carum, et legato proconsulis.
Sachez que l'accusation de suspicion vient de la loi des douze Tables
1. Le droit d'écarter les tuteurs suspects appartient à Rome aux préteurs, dans les provinces aux présidents et au lieutenant du proconsul.
Ce droit leur appartient parce qu'il s'agit d'un intérêt civil, et que leur jurisdiction s'étend aux causes de cette nature. Nous avons expliqué ce qu'était le lieutenant du proconsul.
2. Ostendimus, qui possunt de suspecto cognoscere, nunc videamus, qui suspecti fieri possunt. Et quidem omnes tutores possunt sive testamentarii sint, sive non , sed alterius generis tutores. Quare et si legitimus fuerit tutor, accusari poterit. Quid si patronus ? Adhuc idem erit dicendum : dummodo meminerimus, famae patroni parcendum, licet ut suspectas remotus fuerit.
2. Après avoir dit quels magistrats
peuvent connaître de l'accusation
de suspicion, voyons quels
tuteurs peuvent être accusés ; tous
le peuvent, qu'ils soient testamentaires,
ou qu'ils soient de toute autre
classe, fût-ce même un tuteur
légitime. Mais un patron ? La même
décision lui est applicable, pourvu
qu'on se souvienne qu'il faut ménager
sa réputation, mêne en l'écartant
comme suspect.
Ni les enfants ni les affranchis ne pouvaient diriger contre leurs ascendants ou leur patron une action infamante. Les actions qui avaient ce caractère devaient en être dépouillées, et le fils où l'affranchi devait agir seulement pour défendre ses intérêts. C'est ce qui aura lieu ici : l'ascendant où le patron sera écarté sans être noté d'infamie ; et même fort souvent, d'après Modestin, on se contentera de lui adjoindre un curateur.
3. Consequens est, ut videamus
qui possunt suspectos postulare.
Et sciendum est, quasi publicam
esse hanc accusationem,hoc est; omnibus patere. Quinimo
et mulieres admittuntur, ex
rescripto divorum Severi et Antonini,
sed hae solae quae, pietatis
necessitudine ductae, ad hoc procedunt,
utputa mater, nutrix quoque,
et avia possunt, potest et
soror. Sed et si qua alia mulier
fuerit, cujus praetor perpensam
pietatem intellexerit, non sexus
verecundiam egredientem, sed
pietate productam, non continere
injuriam pupillorum : admittet
eam ad accusationem.
3. Après cela, voyons qui peut
accuser les suspects ; et l'on saura
que cette accusation est quasi publique,
c'est à dire ouverte à toutle monde. Bien plus, on y admet
les femmes , d'après le rescrit des
divins Sévère et Antonin, mais
seulement celles qu'un sentiment
irrésistible d'affection pousse à
cette démarche; comme la mère,
la nourrice aussi, l'aieule, ainsi
que la soeur ; et même s'il est
une autre femme en qui le préteur
reconnaisse une vive affection , qui
paraisse, sans sortir de la modestie
de son sexe, mais conduite par
cette affection, ne pouvoir supporter
le préjudice fait aux pupilles,
elle sera admise à cette accusation.Quasi publicam. Nous avons dit, au commencement de
ce titre, en quoi cette accusation différait de celles qui
étaient réellement publiques, et en quoi elle leur ressemblait. Mulieres admittuntur. En général les femmes ne pouvaient
intenter d'accusation publique, si ce n'est quand
elles voulaient poursuivre la vengeance d'un délit ou d'un
crime commis contre elles ou quelqu'un des leurs.
4. Impuberes non possunt tutores suos suspectos postulare, puberes autem curatores suos ex consilio necessariorum suspectos possunt arguere : et ita divi Severus et Antoninus rescripserunt.
4. Les impubères ne peuvent poursuivre leurs tuteurs comme suspects ; les adultes peuvent, avec l'avis de leurs parents, poursuivre leurs curateurs. C'est ainsi que l'ont répondu les divins Sévère et Antonin.
5. Suspectus autem est, qui non ex fide tutelam gerit, licet solvendo sit, ut Julianus quoque scripsit. Sed et antequam incipiat tutelam gerere tutor, posse eum quasi suspectum removeri, idem Julianus scripsit, et secundum eum constitutum est.
5. Est suspect celui qui gère infidèlement la tutelle, bien que solvable, comme l'a écrit aussi Julien. Et même, avant d'avoir commencé à gérer, un tuteur peut être écarté comme suspect ; le même Julien l'a écrit, et, d'après lui, une Constitution l'a décidé.
C'est sur sa réputation, s'il était connu pour un. homme improbe ou de mauvaises moeurs, qu'on l'écarterait, même avant qu'il eût commencé l'administration.
6. Suspectus autem remotus, si quidem ob dolum, famosus est; si ob culpam, non aeque.
6. Le suspect écarté pour dol est noté d'infamie; pour faute, il ne l'est pas.
Chaque citoyen jouissait d'une considération qui lui
était propre et qui dépendait de sa conduite, de son état,
des honneurs dont il était revêtu; cette considération se
nommait existimatio. Elle est définie au Digeste, dignitatis
illaesae status, legibus acmoribus comprobatus. L'existimation
pouvait augmenter, diminuer ou même se
perdre. Elle était perdue totalement pour ceux qui étaient
privés de la liberté ou des droits de cité ; elle était diminuée,
par exemple, quand on était relégué, expulsé du
sénat, rejeté de son ordre dans un ordre inférieur, etc.
Il existait même des actions qui, pour toute peine, emportaient
l'infamie, c'est à dire une diminution très étendue
de l'existimation. Telles étaient l'action de tutelle, l'accusation de suspicion, quand le tuteur était
convaincu de fraude. L'individu déclaré infâme était
frappé de plusieurs incapacités. Nous aurons occasion de
revenir sur ce sujet.
7. Si quis autem suspectus postulatur, quoad cognitio finiatur, interdicitur ei administratio, ut Papiniano visum est.
7. Si quelqu'un est poursuivi comme suspect, l'administration lui est interdite selon l'avis de Papinien, jusqu'à ce que la cause soit jugée
8. Sed si suspecti cognitio suscepta fuerit, postea quam tutor vel curator decesscrit, extinguitur suspecti cognitio.
8. Si, pendant l'instance commencée contre le suspect, le tuteur ou le curateur décède, l'instance, s'éteint.
La même décision doit s'appliquer à tous les cas où,
pour une cause quelconque, la tutelle ou curatelle finit.
Nous en avons donné la raison ; c'est que l'accusation
n'avait d'autre but que d'écarter le suspect. Mais il reste
toujours contre ce dernier, ou contre ses héritiers, l'action
pour faire rendre compte.
9. Si quis tutor copiam sui non faciat ut alimentapupillo decernantur, cavetur epistola divorum Severi et Antonini, ut in possessionem bonorum ejus pupillus mittatur ; et quae mora deteriora futura sunt, dato curatore distrahi jubentur. Ergo ut suspectus removeri poterit, qui non praestat alimenta
9. Si le tuteur ne paraît pas pour faire allouer des aliments au pupille, un rescrit des divins Sévère et Antonin ordonne que le pupille sera mis en possession de ses biens, et qu'après la nomination d'un curateur, les choses que le retard détériorerait seront vendues. On pourra donc écarter comme suspect celui qui ne fournit pas des aliments.
Ut alimenta pupillo decernantur. La somme à dépenser
annuellement pour l'entretien du pupille, n'était pas laissée entièrement à l'arbitraire du tuteur. Le testateur
pouvait là fixer dans son testament ; s'il ne l'avait point
fait, il était d'usage que le préteur la déterminât. Ce magistrat
devait avoir égard au rang, à la fortune, à l'âge
du pupille; il ne devait point permettre de dépenser tous
les revenus : il était bon que l'on fît chaque année quelques
économies. C'était au tuteur à faire faire cette estimation; et même quand elle avait été faite, soit par le testateur,
soit par le magistrat, s'il arrivait que, par des
circonstances postérieures, la somme allouée devînt trop
forte, le tuteur devait avertir pour qu'on la diminuât.
S'il négligeait ces devoirs, il s'exposait à ce que, dans le
compte de tutelle, on n'admît point toutes les dépenses
qu'il porterait pour l'entretien du pupille. Néanmoins, si
ces dépenses, quoique n'ayant pas été fixées, étaient
modérées , elles devaient être admises. Notre texte
s'occupe du cas où le tuteur au lieu de faire fixer la
somme pour l'entretien , aurait disparu. Alors il faut distinguer
: si son absence a été forcée et imprévue, on
pourvoira, en attendant son retour, à l'entretien du pupille
; mais si son absence provient de, négligence ou
de mauvaise foi, s'il se cache ou s'il s'est enfui, abandonnant
ainsi les intérêts du pupille, on agira envers lui
à peu près comme on agit contre un débiteur qui disparaît.
De même que les créanciers sont alors envoyés en
possession des biens de leur débiteur, qu'ils peuvent
faire nommer un curateur à ces biens pour qu'ils
soient vendus ; de même le pupille sera envoyé en possession des biens du tuteur, et, sur-le-champ, un
curateur étant donné à ces biens, on vendra les choses
sujettes à se détériorer , afin de pourvoir aux aliments du
pupille. Le tuteur de plus pourra être écarté comme suspect. On peut remarquer les expressions : copiam
sui non faciat, pour dire ne présente point sa personne ;
et alimenta, pour désigner non seulement la nourriture
du pupille, mais tout ce qui est nécessaire à son entretien.
10. Sed si quis praesens negat propter inopiam alimenta posse decerni, si hoc per mendacium dicat, remittendum eum esse ad praefectum urbi puniendum placuit, sicut ille remittitur qui, data pecunia, ministerium tutelae redemerit.
10. Mais lorsqu'il paraît et prétend qu'on ne peut, à cause de la pauvreté du pupille, lui allouer des aliments, si cette assertion est mensongère, il faudra le renvoyer devant le préfet de la ville pour être puni, comme on y renvoie celui qui, à prix d'argent, a racheté les fonctions de tuteur.
Per mendacium dicat. On suppose ici que le tuteur ne disparaît point, mais qu'il cherche à frauder le pupille par des assertions mensongères. Un fragment du Digeste veut que, dans ce cas, on donne des avocats au pupille pour contester ce que dit le tuteur. Quant à celui qui, à prix d'argent; rachète la tutelle, ce ne peut être qu'en gagnant les employés du préteur. Aussi Cujas rétablit le texte de cette manière : Data pecunia ministeriis tutelam redemerit. On lit au Digeste : Qui tutelam, corruptis ministeriis proetoris, redemerit.
11. Libertus quoque, si fraudulenter tutelam filiorum vel nepotum patroni gessisse probetur, ad praefectum urbi remittitur puniendus.
11. De même, l'affranchi, convaincu d'avoir géré frauduleusement la tutelle des fils ou petits fils de son patron, est renvoyé au préfet de la ville pour être puni.
Dans tous ces cas, on renvoie au préfet de la ville, parce qu'il est le juge criminel.
12. Novissime sciendum est eos qui fraudulenter tutelam, vel curam administrant, etiam si satis offerant, removendos esse a tutela, quia satisdatio tutoris propositum malevolum non mutat, sed diutius grassandi in re familiari facultatem praestat.
12. Enfin sachez que ceux qui administrent frauduleusement, bien qu'ils offrent satisdation, doivent être écartés de la tutelle , parce que cette satisdation ne change pas leurs projets malveillants, mais leur fournit le moyen de dilapider plus longtemps la fortune du pupille.
La satisdation offre bien une garantie, mais elle n'est pas entièrement sûre ; et d'ailleurs, il vaut mieux prévenir le mal que d'avoir à le réparer.
13. Suspectum enim eum putamus, qui moribus talis est ut suspectus sit. Enim vero tutor vel curator, quam vis pauper est, fidelis tamen et diligens, removendus non est quasi suspectus.
13. Nous considérons aussi comme suspect celui que ses moeurs rendent tel ; mais un tuteur ou un curateur, bien qu'il soit pauvre, s'il est néanmoins fidèle et zélé, ne doit pas être écarté comme suspect.
On ne doit pas garantir seulement la fortune, mais encore la moralité du pupille. Ainsi l'on doit écarter le tuteur qui a de mauvaises moeurs, comme celui qui gère frauduleusement.
Des causes générales ou des causes particulières peuvent
rendre les individus incapables de se gouverner et de se défendre;
dans le premier cas on les met en tutelle, dans le second en
curatelle ; mais il n'y a que les individus, sui juris qui soient en
tutelle ou en curatelle ; les personnes alienii juris ne peuvent
jamais s'y trouver.
On donnait primitivement des tuteurs aux femmes, quelque
âgées qu'elles fussent, et aux impubères. La tutelle des impuhères
est la seule qui existe sous Justinien. Elle est définie : vis
ac potestas in capite libero, ad tuendum eum qui per oetatem
se ipse defendere nequit, jure civili data ac permissa. On nomme tutelle testamentaire (testamentaria tutela) celle
qui est déférée par testament. Qui a le droit de donner un
tuteur testamentaire ? Le père de famille seul : il tient ce droit
de sa puissance paternelle; aussi peut-il déshériter ses enfants,
et néanmoins leur assigner un tuteur. Qui peut recevoir un
tuteur testamentaire ? Les enfants soumis à la puissance du chef,
et qui à sa mort doivent se trouver sui juris et impubères :
parmi eux il faut comprendre les posthumes, dans certain cas.
Les enfants émancipés n'en peuvent point recevoir
;
mais cependant
la nomination faite par le père doit être confirmée par
le magistrat, sans enquête. Qui peut être nommé tuteur
testamentaire? Les individus seuls avec qui le testateur a faction
de testament, encore ne sont-ils pas tous. Capables d'être tuteurs
: les femmes ne le sont pas; les esclaves, les fous, les mineurs
de vingt-cinq ans ne sont capables que pour l'époque ou
ils seront devenus libres, sains d'esprit, majeurs de vingt-cinq
ans. Comment peut-être faite la nomination? Avant ou après l'institution d'héritier ; purement et simplement, sous un terme,
ou sous une condition ; elle peut comprendre plusieurs tuteurs;
mais elle ne peut tomber sur une personne incertaine, ni être
faite pour une affaire spéciale.
On nomme tutelle légitimé (legitima tutela), en général,
celle qui est déférée par une loi (quae ex lege aliqua descendit) ;
plus spécialement celle qui découle de la loi des douze Tables
directement, ou par conséquence (quae ex lege duodecim tabularum introducitur, seu propalam, seu per consequentiam). Ce
genre de tutelle a lieu lorsque la tutelle testamentaire manque,
soit parce qu'il n'y en a pas eu; soit parce qu'elle a cessé de
plein droit avant la puberté du pupille. Dans le sens spécial
du mot, la tutelle des agnats, celle du patron et de ses enfants
sont les seules tutelles légitimes. La première découle directement
de la loi des douze Tables, la seconde en découle par
conséquence.
Les agnats sont appelés par la loi des douze Tables à la tutelle,
pourvu qu'ils soient capables de la gérer, dans le même ordre
qu'à la succession ; de la cette règle : Ubi emolumontum successionis
ibi et onus ttitelae. S'il y a plusieurs agnats au même
degré, la tutelle leur est commune. A ce sujet les Instituts
examinent ce qu'on entend par agnats et par cognats ; comment
se perdent les droits d'agnation et de cognation: L'état
de citoyen Romain se compose de trois éléments constitutifs:
la liberté, la cité, la famille ; trois changements distincts peuvent
frapper sur cet état, selon que l'un ou l'autre de ces éléments
est attaqué. Ces changements d'état se nomment diminutions
de tête (est capitis deminutio prioris status mutatio). Si
l'on perd le premier élément (libertas) , tous les autres sont
perdus, l'état de citoyen est détruit en entier, il y a grande
diminution de tête (maxima). Si l'on perd le second élément
(civitas) , la famille est aussi perdue, l'état de citoyen romain
est détruit, il ne reste que la qualité d'homme libre ; il y a moindre, ou moyenne diminution de tête (minor, vel media).
Si l'on perd seulement le troisième élément (familia), la qualité
d'homme libre, ni l'état de citoyen romain ne sont détruits;
on ne perd même sa famille que pour l'échanger contre une
autre ; la position seulement de l'individu est modifiée (status
duntaxat hominis mutatur); il y a petite diminution de tête
(minima). L'influence de ces changemens sur l'agnation et la
cognation est celle-ci : le lien même de l'agnation, et les droits
qu'elle donne sont détruits par toute diminution de tête; le lien
naturel de la cognation n'est rompu par aucune diminution ; les
droits civils, qui y sont attachés, périssent par la grande et la
moyenne, mais non par la petite.
Le patron et ses enfants sont appelés indirectement par la
loi des douze Tables à la tutelle de l'affranchi impubère, parce
que celte loi les appelle à la succession.
On nommait tutelles fiduciaires (tutelae fiduciariae), celles que
l'usage avait fait déférer, par confiance et par similitude des
tutelles du patron et de ses enfants, à certaines personnes sur
l'homme libre, placé in mancipio et affranchi avant sa puberté.
Ces tutelles étaient: 1° celle du propriétaire affranchissant,
quand l'impubère lui avait été livré in mancipio sans fiducie;
2° celle du père émancipateur, quand il avait fait l'émancipation
avec fiducie, parce qu'il était alors lui-même propriétaire affranchissant;
5° celle des enfants du père émancipateur, après
la mort de ce dernier. Là-dessus il faut observer : que la première
n'a plus lieu sous Justinien ; que la seconde, même sous
Gaius, au lieu d'être considérée comme fiduciaire, était, par
honneur pour le père, rangée parmi les tutelles légitimes; que
par conséquent la troisième est la seule, sous Justinien, qui ait
retenu le nom de tutelle fiduciaire.
On nomme tutelle donnée par les magistrats (tutela a magistratibus
data), celle qui est déférée par le choix de certains
magistrats. On a recours à cette tutelle : 1° quand il n'y a absolument
aucun tuteur ni testamentaire, ni légitime; 2° quand la tutelle testamentaire est suspendue ou interrompue pour une
cause quelconque; 3° quand le tuteur testamentaire, ou le tuteur
légitime s'excusent ou sont destitués. Les premières lois
qui concernent ce genre de tutelle sont, pour Rome, la loi
Atilia ; pour les provinces, la loi Julia et Titia, d'où sont venus
le nom de tutor Atilianus, et celui de tutor Juliotitianus
indiqué par Théophile. — Ces tuteurs, sous Justinien, sont
nommés, à Constantinople, par le préfet et le préteur, chacun
selon leur jurisdiction et avec enquête : dans les provinces, lorsque
la fortune du pupille excède cinq cents solides, ils sont
nommés par les présidents avec enquête ; lorsque la fortune ne
s'élève pas au dessus de cette somme, ce sont les magistrats
particuliers des cités qui les nomment sans enquête, mais avec
caution. La nomination peut comprendre plusieurs tuteurs ;
mais elle ne peut être subordonnée à un terme ou à une
condition.
Le tuteur doit, avant de prendre l'administration, donner
caution de bien gérer, et faire l'inventaire des biens du pupille.
S'il y a plusieurs tuteurs, l'administration est, selon les cas,
confiée à un seul, donnée à tous en commun, ou divisée entre
chacun d'eux. Les fonctions du tuteur consistent soit à agir
par lui-même et sans le pupille (negotia gerere), soit à intervenir
quand le pupille contracte, afin de valider le contrat par sa
présence et par son approbation (auctoritatem interponere). Le
pupille au dessous de sept ans (infans) n'a aucune intelligence
et ne peut faire aucun acte valable, le tuteur doit toujours agir
seul. Au dessus de sept ans, le pupille a l'intelligence de ce qu'il
fait (aliquem intellectum), mais non du jugement (animi judicium);
en conséqence, il peut faire, seul, tous les actes qui ne
demandent que l'intelligence ; mais il ne peut faire, sans l'autorisation
du tuteur, ceux qui demandent le jugement. D'où il
suit qu'il peut, sans autorisation, rendre sa condition meilleure,
mais non la rendre pire ; obliger les autres envers lui, mais non
s'obliger envers les autres; stipuler, mais non promettre. Lorsque le contrat, fait par le pupille sans autorisation, peut,
comme la vente, se décomposer en deux actes, dont l'un ne demande
que l'intelligence et l'autre exige du jugement, le premier
acte est valable, le second nul, et le contrat est conservé
en partie dans l'intérêt du pupille; mais lorsque l'acte qui exige
du jugement est indivisible, comme l'acceptation d'une hérédité,
et ne peut se prêter à une pareille décomposition, il est
totalement nul, s'il a été fait sans autorisation, lors même que,
par le fait, il pourrait être avantageux au pupille. L'autorisation
(auctoritas) est la participation active du tuteur dans l'acte,
afin d'augmenter, de compléter la personne imparfaite du pupille.
Elle ne peut être donnée ni avant, ni après.
La tutelle finit, pour le pupille, par la puberté et par les
trois diminutions de tête; et alors finissant aussi pour le tuteur,
elle est entièrement terminée. Mais quelquefois elle ne cesse que
pour le tuteur seul, qui se trouve remplacé par un autre. C'est
ce qui a lieu par la mort du tuteur; par sa grande, ou sa
moyenne diminution de tête, quant à la petite diminution, elle
ne met fin qu'à la tutelle légitime des agnats ; par sa captivité,
il est vrai que, dans ce cas, ses droits sont seulement suspendus
; par l'événement du terme ou l'accomplissement de la condition;
par les excuses ou les destitutions.
La tutelle perpétuelle sur les femmes commença à s'adoucir
même sous la république ; Auguste, par la loi Papia Poppea,
accorda aux femmes, dans certains cas, le droit d'en être délivrées;
sous Claude, la loi Claudia les affranchit entièrement
de la tutelle de leurs agnats. Cette législation existait encore au
temps de Gaius, et à celui d'Ulpien ; mais elle tomba successivement
en désuétude, et aucune trace n'en resta dans l'Empire
d'Orient.
La curatelle peut avoir lieu dans trois circonstances bien distinctes
: 1° pendant la tutelle, pour les impubères; 2° depuis la
puberté jusqu'à vingt-cinq ans, pour les adultes; ces derniers
ne reçoivent pas des curateurs contre leur gré, si ce n'est pour les comptes de leurs tuteurs, pour un procès, pour un paiement ;
5° même au delà de vingt-cinq ans , pour les furieux, insensés,
prodigues, etc. Il n'y a que la curatelle des furieux et des
prodigues qui soit légitime, et qui appartienne de plein droit aux
agnats ; les autres curateurs sont nommés par les mêmes magistrats
que les tuteurs : ils ne peuvent être donnés par testament,
cependant, lorsqu'ils l'ont été, ils sont confirmés. Le tuteur
est donné à la personne et non aux biens; le curateur, aux
biens, même à une affaire spéciale, et non à la personne. Le
premier interpose son auctoritas, le second donne seulement son adhésion
(consensus). La curatelle finit avec la cause pour
laquelle elle avait été établie.
Les tuteurs et curateurs, à l'exception de ceux nommés par
testament ou sur enquête, sont obligés de fournir satisdation
pour la sûreté du pupille et adulte.
Ces derniers ont une action subsidiaire contre les magistrats
qui, chargés d'exiger la satisdation, auraient négligé entièrement
de le faire, ou bien auraient reçu une sûreté insuffisante. Cette
action s'étend contre les héririers des magistrats.
La tutelle et la curatelle sont des charges publiques, en ce
sens que tout citoyen peut y être appelé. Il est cependant des
motifs d'excuses pour lesquels on peut se faire dispenser. Ce
n'est point par la voie de l'appel qu'on fait valoir ses excuses :
on les présente au magistrat dans un délai déterminé; s'il les
rejette, c'est alors qu'on peut appeler de sa sentence.
La tutelle donne lieu à plusieurs actions : l'action directe et,
l'action contraire de tutelle (actio tuteloe directa et contraria),
données l'une contre le tuteur pour lui faire rendre compte,
l'autre au tuteur pour se faire indemniser de ses avances ; faction
pour les soustractions faites dans les comptes (actio de rationibus
distrahendis), contre le tuteur qui a soustrait quelque
chose du patrimoine du pupille. Ces actions ne sont ouvertes
qu'à la fin de la tutelle. La curatelle produit aussi l'action
utilis negotiorum gestorum. et l'action utilis contraria negotiorum gestorum ; l'une contre le curateur, pour faire rendre
compte; l'autre au curateur, pour se faire indemniser. Quand
les mineurs de vingt-cinq ans ont été lésés dans une affaire, qui selon
le droit strict est valable, le préteur leur donne une action pour
se faire restituer en entier (restitutio in integrum). Quelques
actions sont communes à la tutelle et à la curatelle : celle contre
les fidéjusseurs, celle contre les magistrats, enfin l'accusation
quasi publique contre les suspects.
FIN DE L'OUVRAGE