Les Horaces et les Curiaces :

Histoire ou plutôt légende racontée par les historiens latins : Tite Live et Denys d'Halicarnasse.

La scène se passe dans l'Italie centrale sous le règne de Tullus Hostillius, troisième roi de Rome. Une guerre a éclaté entre Rome et Albe.

D'abord Tite Live  : ( traduction de M. Nisard- 1864 - )

Livre I, chapitres 23 à 26.

«Le hasard voulut que des laboureurs des pays de Rome et d'Albe se livrassent les uns envers les autres à des déprédations réciproques. Albe alors était gouvernée par Caius Cluilius. Chaque parti envoya, presque dans le même temps, des ambassadeurs pour demander réparation…

 …le général albain prend la parole : …au nom des dieux, trouvons un moyen qui, sans dommage sérieux pour les deux peuples et sans effusion de sang, puisse décider enfin lequel des deux doit commander à l'autre." Tullus, bien que l'espérance de la victoire le rendît plus intraitable, agréa néanmoins cette proposition. Mais, tandis que les deux chefs cherchaient ce moyen, la fortune prit soin de le leur fournir. Il y avait par hasard dans chacune des deux armées trois frères jumeaux, à peu près de même force et de même âge. C'étaient les Horaces et les Curiaces. L'exactitude de leur nom est suffisamment constatée, et les annales de l'antiquité offrent peu d'actions aussi illustres que la leur. Toutefois cette illustration même n'a pas prévalu contre l'incertitude qui subsiste encore aujourd'hui, de savoir à quelle nation les Horaces, à laquelle les Curiaces appartenaient. Les auteurs varient là-dessus. J'en trouve cependant un plus grand nombre qui font les Horaces Romains; et j'incline vers cette opinion. Chacun des deux rois charge donc ces trois frères de combattre pour la patrie. Là où sera la victoire, là sera l'empire. Cette condition est acceptée, et l'on convient du temps et du lieu du combat… Le traité conclu, les trois frères, de chaque côté, prennent leurs armes, suivant les conventions. La voix de leurs concitoyens les anime. Les dieux de la patrie, la patrie elle-même, tout ce qu'il y a de citoyens dans la ville et dans l'armée ont les yeux fixés tantôt sur leurs armes, tantôt sur leurs bras. Enflammés déjà par leur propre courage, et enivrés du bruit de tant de voix qui les exhortaient, ils s'avancent entre les deux armées. Celles-ci étaient rangées devant leur camp, à l'abri du péril, mais non pas de la crainte. Car il s'agissait de l'empire, remis au courage et à la fortune d'un si petit nombre de combattants. Tous ces esprits tendus et en suspens attendent avec anxiété le commencement d'un spectacle si peu agréable à voir. Le signal est donné. Les six champions s'élancent comme une armée en bataille, les glaives en avant, portant dans leur coeur le courage de deux grandes nations. Tous, indifférents à leur propre danger, n'ont devant les yeux que le triomphe ou la servitude, et cet avenir de leur patrie, dont la fortune sera ce qu'ils l'auront faite. Au premier choc de ces guerriers, au premier cliquetis de leurs armes, dès qu'on vit étinceler les épées, une horreur profonde saisit les spectateurs. De part et d'autre l'incertitude glace la voix et suspend le souffle. Tout à coup les combattants se mêlent; déjà ce n'est plus le mouvement des corps, ce n'est plus l'agitation des armes, ni les coups incertains, mais les blessures, mais le sang qui épouvantent les regards. Des trois Romains, deux tombent morts l'un sur l'autre; les trois Albains sont blessés.

--- Guiseppe Cesari-1612-

À la chute des deux Horaces, l'armée albaine pousse des cris de joie : les Romains, déjà sans espoir, mais non sans inquiétude, fixent des regards consternés sur le dernier Horace déjà enveloppé par les trois Curiaces. Par un heureux hasard, il était sans blessure. Trop faible contre ses trois ennemis réunis, mais d'autant plus redoutable pour chacun d'eux en particulier, pour diviser leur attaque il prend la fuite, persuadé qu'ils le suivront selon le degré d'ardeur que leur permettront leurs blessures. Déjà il s'était éloigné quelque peu du lieu du combat, lorsque, tournant la tête, il voit en effet ses adversaires le poursuivre à des distances très inégales, et un seul le serrer d'assez près. Il se retourne brusquement et fond sur lui avec furie. L'armée albaine appelle les Curiaces au secours de leur frère; mais, déjà vainqueur, Horace vole à un second combat. Alors un cri, tel qu'en arrache une joie inespérée, part du milieu de l'armée romaine; le guerrier s'anime à ce cri, il précipite le combat, et, sans donner au troisième Curiace le temps d'approcher de lui, il achève le second. Ils restaient deux seulement, égaux par les chances du combat, mais non par la confiance ni par les forces. L'un, sans blessure et fier d'une double victoire, marche avec assurance à un troisième combat : l'autre, épuisé par sa blessure, épuisé par sa course, se traînant à peine, et vaincu d'avance par la mort de ses frères, tend la gorge au glaive du vainqueur. Ce ne fut pas même un combat. Transporté de joie, le Romain s'écrie : "Je viens d'en immoler deux aux mânes de mes frères : celui-ci, c'est à la cause de cette guerre, c'est afin que Rome commande aux Albains que je le sacrifie." Curiace soutenait à peine ses armes. Horace lui plonge son épée dans la gorge, le renverse et le dépouille. Les Romains accueillent le vainqueur et l'entourent en triomphe, d'autant plus joyeux qu'ils avaient été plus près de craindre. Chacun des deux peuples s'occupe ensuite d'enterrer ses morts, mais avec des sentiments bien différents. L'un conquérait l'empire, l'autre passait sous la domination étrangère. On voit encore les tombeaux de ces guerriers à la place où chacun d'eux est tombé; les deux Romains ensemble, et plus près d'Albe; les trois Albains du côté de Rome, à quelque distance les uns des autres, suivant qu'ils avaient combattu. Les deux armées se retirent ensuite. Horace, chargé de son triple trophée, marchait à la tête des Romains. Sa soeur, qui était fiancée à l'un des Curiaces, se trouve sur son passage, près de la porte Capène; elle a reconnu sur les épaules de son frère la cotte d'armes de son amant, qu'elle-même avait tissée de ses mains : alors, s'arrachant les cheveux, elle redemande son fiancé et l'appelle d'une voix étouffée par les sanglots. Indigné de voir les larmes d'une soeur insulter à son triomphe et troubler la joie de Rome, Horace tire son épée, et en perce la jeune fille en l'accablant d'imprécations … Cet assassinat révolte le peuple et le sénat. Mais l'éclat de sa victoire semblait en diminuer l'horreur. Toutefois il est traîné devant le roi, et accusé… "Je nomme, dit-il, conformément à la loi, des duumvirs pour juger le crime d'Horace." La loi était d'une effrayante sévérité … "Publius Horatius, dit l'un d'eux, je déclare que tu as mérité la mort. Va, licteur, attache-lui les mains." Le licteur s'approche; déjà il passait la corde, lorsque, sur l'avis de Tullus, interprète clément de la loi, Horace s'écrie : "J'en appelle." La cause fut alors déférée au peuple. Tout le monde était ému, surtout entendant le vieil Horace s'écrier que la mort de sa fille était juste; qu'autrement il aurait lui-même, en vertu de l'autorité paternelle, sévi tout le premier contre son fils, et il suppliait les Romains, qui l'avaient vu la veille père d'une si belle famille, de ne pas le priver de tous ses enfants. Puis, embrassant son fils et montrant au peuple les dépouilles des Curiaces, suspendues au lieu nommé encore aujourd'hui le Pilier d'Horace : "Romains, dit-il, celui que tout à l'heure vous voyiez avec admiration marcher au milieu de vous, triomphant et paré d'illustres dépouilles, le verrez-vous lié à un infâme poteau, battu de verges et supplicié ? Les Albains eux-mêmes ne pourraient soutenir cet horrible spectacle ! … Les citoyens, vaincus et par les larmes du père, et par l'intrépidité du fils, également insensible à tous les périls, prononcèrent l'absolution du coupable, et cette grâce leur fut arrachée plutôt par l'admiration qu'inspirait son courage, que par la bonté de sa cause. Cependant, pour qu'un crime aussi éclatant ne restât pas sans expiation, on obligea le père à racheter son fils, en payant une amende. Après quelques sacrifices expiatoires, dont la famille des Horaces conserva depuis la tradition, le vieillard plaça en travers de la rue un poteau, espèce de joug sous lequel il fit passer son fils, la tête voilée. Ce poteau, conservé et entretenu à perpétuité par les soins de la république, existe encore aujourd'hui. On l'appelle le Poteau de la Soeur. On éleva un tombeau en pierre de taille, à l'endroit où celle-ci reçut le coup mortel.

La paix avec les Albains ne fut pas de longue durée.

Denys d'Halicarnasse

Antiquités romaines, livre III, chapitres 3 et 4. ( Traduction Gros, 1826 ) .

( discours de Tullus Hostillius ) «  Ce moyen d'accommodement que j'ai à vous proposer , c'est de remettre de part et d'autre la décision du différend et le péril du combat à un petit nombre de soldats choisis des deux armées, et: de donner l'autorité souveraine à celle des deux villes dont les champions demeureront victorieux de leurs adversaires. Car ce qu'on ne peut terminer par négociation, se décide par la voie des armes. … L'expédient proposé par le roi des Romains fut enfin unanimement approuvé… Les deux armées approuvèrent avec applaudissement les conventions de leurs chefs… Le général des Albains… fit réflexion que les dieux prévoyant depuis longtemps le combat… avaient fait naître des combattants de deux illustres familles… Secienus d'Albe avait marié dans un même jour ses deux filles jumelles ; l'une à un Romain nommé Horace, l'autre à Curace Albain de nation. Devenues enceintes toutes deux dans le même temps, elles avaient mis au monde dans leurs premières couches chacune trois jumeaux… Ce fut sur ces six jeunes gens que Fufetius ( Dictateur albain ) jeta les yeux pour décider de l'empire entre les deux nations… ( discours de Fufetius ) « Que n'exhortons-nous de part et d'autres les trois frères jumeaux à combattre pour l'empire ?  Ils réunissent dans leurs personnes tout ce qu'on peut souhaiter dans de braves guerrier ; étant frères ils s'abandonneront moins l'un l'autre, et se défendront réciproquement dans le combat avec plus de fidélité et de zèle que ne pourraient faire les autres officiers ou soldats que nous choisirions tant de votre côté que du nôtre »… ( réponse de Tullus ) … «Je crois néanmoins que vous n'avez pas fait attention à une difficulté qui pourrait ralentir le courage de ces jeunes gens, si nous les faisions combattre les uns contre les autres. La mère de nos Horaces et celle de vos Curaces sont sœurs ; ils ont été élevés tout petits entre les bras de ces deux femmes, et ils s'entr'aiment comme frères. Faites-y donc attention, et voyez s'il est permis de leur mettre les armes à la main pour les exciter à s'entretuer. Considérez qu'ils sont cousins germains, qu'ils ont été élevés ensemble, que lorsqu'ils se seront égorgés les uns les autres, on peut avec justice en rejeter le crime sur nous qui les aurons portés à cette action. » A cela Fufetius répondit ainsi :

« Je sais, Tullus, que ces jeunes champions sont parents; aussi n'ai je jamais eu intention de les obliger à se battre contre leurs cousins s'ils ne s'y portent d'eux-mêmes. Sitôt que j'ai eu formé le dessein que je viens de vous communiquer, j'ai fait venir nos Curaces, j'ai examiné par moi même s'ils se porteraient volontiers à entrer dans nos vues, et comme j'ai vu qu'ils recevaient la proposition avec un empressement surprenant et: une ardeur incroyable, j'ai résolu de découvrir ma pensée et de vous faire part de mon dessein. Je vous conseille de faire la même chose, d'appeler vos trois Horaces et de sonder leurs dispositions »… Tullus reçut ces avis avec plaisir.

Il fit une trêve de dix jours pour délibérer sur ce sujet et pour sonder les Horaces avant que de rendre réponse aux Albains… La trêve de dix jours étant sur le point d'expirer, les troupes Romaines s'avancèrent dans la plaine toutes en corps. Les jeunes gens les suivirent bientôt, après avoir fait leurs prières aux dieux de la patrie. Ils étaient accompagnés du roi et de tout le peuple de la ville, qui faisait retentir l'air de ses acclamations et leur jetait des fleurs sur la tête. Comme les Albains s'étaient déjà avancés au même endroit, les deux armées se campèrent l'une auprès de l'autre, ne laissant entre deux que la plaine où elles avaient fait d'abord leurs retranchements. Elle séparait les terres Romaines de celles des Albains, c'était l'endroit destiné pour le combat… on jura que chaque ville se rendrait à ce qui serait décidé par le combat des Horaces et des Curaces… on mit bas les armes de part et d'autre, les soldats sortirent de leurs retranchements pour être spectateurs du combat, laissant entre les deux armées un espace de trois ou quatre stades pour les jeunes champions… le général Albain amène les Curaces sur le champ de bataille, et le roi des Romains y conduit les Horaces. Ils étaient tous bien armés et ornés comme des victimes destinées à la mort… ils ( les Horaces et les Curiaces ) courent s'embrasser l'un l'autre les larmes aux yeux, ils se saluent par leurs noms avec tant de tendresse et d'amitié, que les spectateurs fondant en larmes s'accusent eux-mêmes de cruauté… L'ainé des Albains étant aux prises avec son adversaire, après lui avoir porté plusieurs coups et en avoir reçu d'autres, lui donna enfin un coup d'épée dans l'aine et le perça d'outre en outre. Ce coup mortel joint aux autres dont il était déjà accablé, le fit tomber mort sur la place… le Romain qui combattait auprès de celui qui venait d'être tué, s'aperçoit que l'Albain est tout transporté de joie du coup qu'il a fait. Il entre en fureur, il se jette brusquement sur lui ; après lui avoir porté plusieurs coups, et en avoir reçu lui-même, il lui enfonce son épée dans la gorge et le tue… Cependant la joie des Romains ne dura guère ; un revers de fortune abattit bientôt leur espérance et fit reprendre courage aux ennemis. Sitôt que l'Albain fut tombé, son frère qui était porté auprès de lui, attaqua le Romain qui lui avait donné le coup de la mort. Ils furent blessés en même temps de deux coups très dangereux. L'Albain en porta un à l'Horace entre les deux épaules, et lui plongea son épée jusque dans les entrailles, et le Romain par un dernier effort, glissant son épée sous les armes de son ennemi, lui coupa le jarret. L'Horace tomba mort sous le coup qu'il avait reçu… Le Curace qui avait le jarret coupé, ne pouvait se tenir debout qu'avec beaucoup de peine.  Il ne laissa pas néanmoins de résister encore, tout boiteux qu'il était.  S'appuyant du mieux qu'il peut sur son bouclier, il marche avec son frère contre le Romain qui leur reste à combattre ; ils l'attaquent tous deux en même temps, l'un par devant l'autre par derrière.

Le Romain, qui n'était point encore blessé,  appréhendant de ne pouvoir pas tenir contre ses deux adversaires qui l'enveloppaient pour l'attaquer tous les deux en même temps, résolut de les séparer afin de les combattre plus facilement l'un après l'autre. Il crut qu'il y réussirait aisément en feignant de s'enfuir, et qu'un des deux frères étant estropié, il ne serait poursuivi que par un de ses ennemis. Dans cette pensée il s'enfuit de toutes ses forces, et il ne fut point trompé dans son espérance. Car celui des deux Curaces, qui n'avait encore reçu aucune blessure mortelle, le poursuivit de près et l'autre, qui ne pouvait courir, demeura fort loin derrière… Pendant ce temps-là, Horace, qui s'était adroitement ménagé une occasion favorable, se tourne tout à coup contre son adversaire, et sans lui donner le temps de se mettre en garde, il lui porte un coup de sabre au bras et lui coupe le poing. La main de celui-ci tombe à terre avec son épée, et l'Horace lui porte un autre coup mortel dont il le renverse sur la place. A l'instant il va joindre le dernier des Curaces qui restait encore en vie ; et comme il était déjà à demi mort et accablé de ses blessures, il le tue sans aucune résistance. Après cela, Horace ayant dépouillé ses cousins, court promptement à la ville pour annoncer à son père la nouvelle de ses victoires. Mais, hélas ! comme il était homme, son bonheur ne pouvait pas être parfait, il fallait que sa victoire fût traversée de quelque malheur. La fortune, qui l'avait élevé en un moment au plus haut point de la gloire, d'une manière aussi admirable qu'inopinée, le plongea le même jour dans le plus funeste de tous les malheurs, en lui faisant souiller ses mains du sang de sa propre sœur.

Horace était à peine arrivé aux portes de Rome, lorsque parmi une foule de peuple de toutes les conditions, qui était sorti de la ville, il rencontra sa sœur qui accourait au devant de lui… Il crut que par une envie et une curiosité de fille, passant par dessus les règles de la bienséance, elle était venue pour faire à son frère, qui restait en vie, les premiers compliments sur sa victoire, et pour savoir de lui avec quel courage avaient combattu ses autres frères qui étaient morts dans l'action… A peine est-elle sortie de la ville qu'elle rencontre son frère. Elle le voit orné des couronnes dont le roi lui avait fait présent pour marques de sa victoire : la joie reluit sur son visage;  ses compagnons marchent devant lui ; ils portent les dépouilles des Curaces qui ont été tués dans le combat. Parmi ces dépouilles elle aperçoit une tunique de différentes couleurs qu'elle avait travaillée elle-même avec sa mère, et dont elle avait fait présent à son amant pour ses noces futures. Car c'était la coutume chez les Latins que ceux qui recherchaient une fille pour l'épouser, fussent revêtus d'un habit de différentes couleurs. Dès qu'elle voit cette tunique teinte de sang, elle déchire ses habits ; elle se frappe la poitrine de ses deux mains ; elle appelle son cousin ; l'air retentit de ses gémissements, et elle fait paraître tant de désespoir, que tous ceux qui l'entendent en sont épouvantés.

--- Francesco de Mura, 1760 .

Après avoir pleuré la mort de celui qu'elle aimait, elle regarde son frère avec des yeux fixes et immobiles… il ne peut garder de mesures dans sa haine, ni modérer les transports de sa colère. Outré de l'indignité de sa sœur, il lui plonge son épée dans le côté, et après l'avoir tuée il va trouver son père… Il ne permit pas même qu'on apportât chez lui le corps de sa fille ; qu'on l'enterrât dans le tombeau de ses pères, qu'on lui fît des funérailles avec les ornements accoutumés, ni qu'on lui rendît les derniers devoirs. Son corps demeura étendu à la même place où elle avait été tuée, et ceux qui passaient par le chemin le couvrirent de pierres et de terre comme un cadavre abandonné de tout le monde. De là on peut juger combien ce père était dur et inflexible… ce jour là même il offrit des sacrifices aux dieux de ses pères en action de grâces de l'heureux succès du combat… quelques-uns des premiers de la ville lui ( au roi ) dénoncèrent Horace comme souillé du sang  de ses parents par le meurtre qu'il avait commis en la personne de sa sœur… Horace le père prit en cette occasion le parti de l'accusé, il rejeta toute la faute sur sa fille, et tâcha de prouver que l'action de  son fils devait plutôt passer pour une juste punition que pour un véritable meurtre. En même temps  il demanda qu'on le laissa juge de cette cause, puisque le malheur ne regardait que lui seul et qu'il était le père du jeune homme aussi bien que de la fille… le roi y trouva tant de difficultés qu'il ne savait comment s'y prendre pour juger ce procès criminel. D'un côté il ne croyait pas pouvoir absoudre Horace, qui confessait avoir tué sa sœur, avant que  son procès fût instruit… Mais d'un autre côté il n'osait condamner à mort comme homicide celui qui s'était exposé au péril pour sa patrie et qui l'avait élevée à un si haut degré de puissance, vu principalement qu'il était absous par  son père auquel il appartenait par le droit de la nature et par les lois de venger la mort de sa fille. Dans cet embarras, après une mûre délibération il crut qu'il n'y avait point de meilleur parti que de remettre l'affaire au jugement de la multitude. Ce fut alors pour la première fois que le peuple Romain se vit le maître d'un procès criminel, il se rangea du côté du père, et déclara Horace absous de tout crime d'homicide ... Cependant le roi était persuadé que ce jugement des hommes ne suffisait pas pour calmer les esprits inviolablement attachés aux maximes et aux principes de la religion. Il fit venir les pontifes, il leur ordonna d'apaiser la colère des dieux et des génies, en expiant l'homicide d'Horace par les purifications que prescrit la loi pour les homicides involontaires. Les pontifes érigèrent deux autels ; l'un à Junon qui a inspection sur les sœurs, l'autre à un certain dieu ou génie du pays, appelé en Latin Janus, et surnommé Curace du nom des cousins d'Horace qui avaient été tués dans le combat. Après y avoir offert des sacrifices, ils expièrent le crime de l'accusé par les purifications ordinaires, et le firent passer sous le joug. L'endroit de la ville où se fit l'expiation, est regardé par tous les Romains comme un lieu sacré. Il est dans la petite rue par laquelle on descend du quartier des Carines à la rue Cyprienne. On y voit encore aujourd'hui les autels qu'on érigea alors, au dessus desquels il y a un soliveau de travers fiché par les deux bouts dans les murailles qui sont à l'opposite l'une de l'autre. Ce soliveau est sur la tête des passants, les Romains l'appellent en leur langue le soliveau de la sœur. C'est là que la ville de Rome conserve un monument du malheur d'Horace ; les Romains y font tous les ans des sacrifices pour l'honorer par un culte particulier.

IL y a encore un autre monument de la valeur héroïque dont Horace donna de si éclatantes preuves dans le combat. C'est une petite colonne angulaire qui fait le commencement de l'un des deux portiques de la place publique, et sur laquelle on avait mis les dépouilles des trois frères Albains. Ces armes ont été détruites par la longueur du temps ; mais la colonne conserve encore aujourd'hui  son ancien nom, on l'appelle la colonne Horatienne. Il y a aussi une loi chez les Romains qui fut faite à l'occasion de l'aventure des Horaces pour immortaliser leur gloire. Elle est encore aujourd'hui en vigueur ; elle porte que toutes les fois qu'il naîtra trois enfants jumeaux, on les nourrira des deniers publics jusqu'à l'âge de puberté. Telle fut la fin des aventures surprenantes de la famille des Horaces.

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Corneille tira une pièce de théâtre de cette légende.