Guerre d'Espagne

par Jules César ( œuvre attribuées à Aulus Hirtius)

traduction Nisard

1865

 

1 Pharnace étant vaincu et l'Afrique reconquise, ceux qui avaient échappé à ces combats se retirèrent dans l'Espagne ultérieure avec le jeune Cn. Pompée. Tandis que César était occupé à distribuer des récompenses en Italie, Pompée tâcha d'attirer les villes à son parti, pour être plus en état de résister. Il eut ainsi, moitié par les prières, moitié par la force, une armée assez considérable avec laquelle il se mit à ravager la province. Dans ces circonstances, quelques villes le secondaient volontiers ; d'autres lui fermaient leurs portes. Si, dans les places qu'il prenait par force, il se trouvait quelque citoyen qui fût riche, alors même qu'il eût rendu service à Cn. Pompée, on imaginait un prétexte pour le perdre, et lui enlever son bien, qu'on donnait à des brigands. En gagnant ainsi à peu de frais ses ennemis, il augmentait son armée. Aussi les villes qui lui étaient contraires ne cessaient d'envoyer des messages en Italie pour demander du secours.

2 Caius César, dictateur pour la troisième fois, et désigné pour l'année suivante, après tant d'expéditions militaires, se rendit en Espagne en toute diligence pour terminer cette guerre. À son arrivée des députés de Cordoue, qui avaient abandonné le parti de Pompée, viennent au-devant de César, et lui disent qu'il serait possible de s'emparer de nuit de leur ville, attendu qu'on ignorait qu'il fût dans le pays et que les messagers que Pompée avait disposés de côté et d'autre pour l'avertir avaient été arrêtés. Ils ajoutaient à cela beaucoup d'autres choses fort vraisemblables. Sur cet avis, César fit savoir son arrivée à Q. Pedius et Q. Fabius Maximus, qu'il avait naguère nommés ses lieutenants, et leur manda de lui envoyer pour escorte toute la cavalerie qu'ils avaient levée dans la province. Mais il les rejoignit plus tôt qu'ils n'avaient pensé, et par conséquent n'eut pas l'escorte qu'il voulait.

3 À la même époque, Sextus Pompée, frère de Cnéius, était avec une garnison dans Cordoue, qui passait pour la capitale de la province. Le jeune Cn. Pompée était occupé depuis quelques mois au siège d'Ulia. Les habitants, informés de l'arrivée de César, lui envoyèrent des députés qui, après avoir traversé en secret le camp de Pompée, vinrent à lui et lui demandèrent un prompt secours. César, qui savait que de tout temps cette ville avait bien mérité du peuple romain, fit partir à la seconde veille six cohortes et autant de cavalerie, sous les ordres de L. Vibius Paciécus, homme habile et connu dans la province. Au moment où celui-ci arriva au camp de Pompée, il survint une si furieuse tempête, accompagnée d'un vent si violent qu'on ne se voyait pas et qu'à peine pouvait-on reconnaître son voisin : ce qui lui fut très avantageux et à ses troupes. Car, étant arrivé là, il fit marcher les cavaliers deux à deux droit vers la ville, à travers le camp des assiégeants, et une sentinelle leur ayant demandé qui ils étaient, un des nôtres lui dit de se taire, qu'ils cherchaient à approcher du mur pour surprendre la place ; et les sentinelles, que l'orage empêchait da faire une garde bien exacte, en furent encore détournés par cette réponse. Les nôtres approchèrent de la ville, et ayant fait un signal, furent reçus par les habitants ; puis, laissant quelques hommes dans la place, ces troupes, fantassins et cavaliers, poussant un grand cri, se jetèrent sur le camp ennemi ; et comme ceux-ci ne s'attendaient pas à cette attaque, la plupart se crurent presque perdus.

4 Après avoir envoyé ce secours à Ulia, César, pour obliger Pompée à en lever le siège, marcha vers Cordoue. Dans le chemin, il fit prendre les devants à de braves légionnaires qui allèrent avec de la cavalerie, et qui, aux environs de la ville, montèrent en croupe derrière les cavaliers sans que ceux de Cordoue eussent pu s'en apercevoir. Lorsqu'ils furent tout près de la ville, les habitants sortirent en foule pour accabler notre cavalerie ; mais aussitôt les légionnaires dont nous venons de parler mirent pied à terre, et les chargèrent si vivement, que de toute cette multitude fort peu rentrèrent dans la ville. Effrayé de cet échec, Sextus Pompée écrivit à son frère de venir promptement à son secours, avant que César ne se fût rendu maître de la place. En conséquence de ces lettres, Cn. Pompée, qui était sur le point de prendre Ulia, quitta le siège de cette ville, et marcha sur Cordoue avec ses troupes.

5 César étant arrivé au fleuve Bétis, et ne pouvant le traverser à cause de sa profondeur, y fit jeter de grandes corbeilles remplies de pierres sur lesquelles on dressa un pont, et l'armée passa en trois corps. Ce pont était formé de deux rangs de poutres qui allaient d'un bord à l'autre, vis-à-vis de la place. Pompée étant arrivé avec ses troupes campa de même en face de l'ennemi. César, pour lui couper les vivres et lui ôter la communication avec la ville, fit tirer une ligne de son camp au pont. Pompée fit de même. Ce fut alors entre les deux chefs à qui s'emparerait le premier du pont. De là de légers combats quotidiens, où tantôt les uns, tantôt les autres avaient l'avantage. Enfin, les deux partis s'étant échauffés, on se livra un véritable combat, et comme, des deux côtés, on s'obstinait à emporter le pont, à mesure qu'on en approchait davantage, on se trouvait plus resserré sur les bords de la rivière. On s'y précipitait les uns les autres, on s'y donnait à l'envi la mort, et les cadavres s'entassaient sur les cadavres. Pendant plusieurs jours César essaya tous les moyens d'attirer les ennemis en rase campagne, afin de terminer dès l'abord la guerre.

6 Voyant qu'il ne pouvait les y engager, quoiqu'il ne les eût détournés vers lui que dans cette intention, il repasse le fleuve avec ses troupes, allume pendant la nuit de grands feux et marche sur Atégua, la plus forte place de Pompée. Celui-ci, averti par quelques transfuges, retira le même jour plusieurs de ses chariots et de ses balistes, que la difficulté des chemins lui avait fait abandonner sur la route, et entra dans Cordoue. César, de son côté se retrancha devant Atégua et commença à l'investir. À cette nouvelle, Pompée part le même jour pour aller la secourir. Mais avant qu'il n'arrivât, César s'était assuré des postes fortifiés et y avait établi des troupes, mi-parties de cavalerie et d'infanterie, pour veiller à la sûreté du camp. Pompée arriva un matin par un brouillard très épais. Avec quelques cohortes et quelques escadrons, ils attaquèrent dans l'obscurité les cavaliers de César et laissèrent à peine échapper quelques hommes.

7 La nuit suivante, Pompée mit le feu à son camp, passa le Salsum, et, traversant quelques vallons, alla camper sur une hauteur, entre Atégua et Ucubi. César était alors dans son camp où il faisait disposer les mantelets, les tranchées et toutes les choses nécessaires pour un siège. Ce pays montueux semble fait pour les opérations militaires ; la rivière de Salsum traverse la plaine, environ à deux milles d'Atégua. Pompée était campé vis-à-vis, sur les hauteurs, à la vue des deux villes, sans oser secourir les siens. Il avait treize légions ; mais il ne comptait guère que sur deux, composées de soldats de la province qui avaient quitté Trébonius ; sur une autre qui avait été levée dans les colonies romaines de ce pays ; enfin sur une quatrième, qu'Afranius avait amenée d'Afrique ; le reste des troupes auxiliaires n'était que des fugitifs ; en ce qui concerne la cavalerie et l'infanterie légère, nos forces étaient de beaucoup supérieures en nombre et en valeur.

8 Pompée avait d'ailleurs cet avantage pour traîner la guerre en longueur, que tout le pays est montueux et propre aux fortifications d'un camp. En effet, presque toute l'Espagne ultérieure est d'une attaque difficile, en ce que les vivres y sont en abondance et qu'on y a de l'eau à volonté. Outre cela, on a été forcé, à cause des fréquentes incursions des Barbares, de munir de châteaux et de tours tous les lieux éloignés des villes ; ils sont, comme en Afrique, recouverts de ciment et non de tuiles ; et l'on y a placé des guérites qui, grâce à leur élévation, permettent à la vue de s'étendre au loin. La plupart des villes de cette province sont également bâties sur des hauteurs et en des lieux naturellement favorables qui en rendent l'abord difficile ; de sorte que, par la situation seule de ces villes, il est presque impossible de les prendre, comme il parut dans cette guerre. Pompée s'était campé, comme on l'a dit, entre Atégua et Ucubi, à la vue de ces deux villes. À quatre mille pas environ de ses retranchements est une éminence admirablement située, qu'on nomme Castra Postumiana. César y fortifia un poste et y mit garnison.

9 Pompée, qui était couvert par cette même hauteur assez éloignée du camp de César, avait remarqué l'importance de ce poste, et comme, pour y arriver, il fallait traverser la rivière de Salsum et un terrain fort difficile, il pensait que ces obstacles empêcheraient César de le secourir. Dans cette persuasion, il part à la troisième veille, et commence l'attaque pour faire une diversion utile aux assiégés. À son approche, nos gens poussèrent de grands cris, lancèrent une quantité de traits, et lui blessèrent beaucoup de monde. Ainsi, ceux du fort s'étant mis en défense, César, qui était dans son grand camp, fut averti de ce qui se passait, et y accourut aussitôt avec trois légions. À son arrivée, les ennemis effrayés prirent la fuite ; beaucoup furent tués ; beaucoup d'autres faits prisonniers ; et parmi ces derniers deux centurions. Un grand nombre jetèrent leurs armes pour mieux fuir. On rapporta au camp quatre-vingts boucliers.

10 Le jour suivant, Arguétius arriva d'Italie avec de la cavalerie, et apporta cinq drapeaux pris sur les Sagontins. On a omis de dire ailleurs qu'Asprénas avait également amené d'Italie de la cavalerie à César. Cette même nuit Pompée mit le feu à son camp et marcha vers Cordoue. Un roi, nommé Indo, qui nous avait amené des troupes, parmi lesquelles il y avait de la cavalerie, s'étant livré avec trop d'ardeur à la poursuite de l'ennemi, fut pris et tué par des légionnaires de la province.

11 Le lendemain, notre cavalerie poursuivit fort loin vers Cordoue ceux qui portaient de cette ville des vivres au camp de Pompée. Elle en prit cinquante, qui furent conduits au camp. Le même jour, Q. Marcius, qui servait Pompée en qualité de tribun militaire, passa de notre côté. Vers la troisième veille de la nuit, les assiégés firent une sortie très vive, et nous lancèrent une grande quantité de feux de toute espèce. Quelque temps après, C. Fundanius, chevalier romain, passa du camp ennemi dans le nôtre.

12 Le lendemain, notre cavalerie prit deux soldats d'une légion du pays. Ils se disaient esclaves ; mais à leur arrivée au camp ils furent reconnus par quelques soldats qui avaient servi dans l'armée de Fabius et Pédius, et qui avaient quitté Trébonius : ils ne purent obtenir grâce ; nos soldats les massacrèrent. Le même jour on prit aussi les messagers qui allaient de Cordoue vers Pompée, et qui, par imprudence, étaient tombés dans notre camp : on les renvoya les mains coupées. À la seconde veille, les assiégés, selon leur coutume, nous lancèrent pendant longtemps une grande quantité de feux et de traits, et ils nous blessèrent beaucoup de monde. À la pointe du jour, ils firent une sortie sur la sixième légion, alors occupée aux travaux, et se battirent d'abord avec acharnement ; mais ils furent repoussés par les nôtres, quoiqu'ils eussent l'avantage du terrain. ) Malgré la vigueur de leur sortie, et bien que nous fussions obligés de combattre de bas en haut, nos soldats les forcèrent de rentrer dans la ville après les avoir fort maltraités.

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