LE FORUM ROMAIN et les FORUMS IMPÉRIAUX

HENRY THEDENAT , PRÊTRE DE L'ORATOIRE

PARIS

LIBRAIRIE HACHETTE ET C ie

79, boulevard saint-germain, 79

1898

 

A M. EDM. SAGLIO, MEMBRE DE L INSTITUT

 

Mon cher ami,

Pendant des jours trop rapides que jamais je n'oublierai, nous avons, avec notre ami Gustave Schlumberger, revu les monuments, les musées et les collections de Rome, l'attrait des ruines et des grands souvenirs devait nous attirer au Forum romain. C'est là que vous m'avez demandé d'écrire, pour le Dictionnaire des antiquités grecques et romaines qui est votre œuvre et avec lequel vivra votre nom, l'article Forum. Le petit volume que je publie aujourd'hui a cet article pour point de départ, sans lui, il n'aurait jamais été fait. Bon ou mauvais — ce n'est pas à moi d'en juger — il vous doit l'existence. C'est pourquoi j'ai voulu que, avec l'expression de ma reconnaissance et de mon amitié, votre nom fût inscrit sur la première page.

Henry THÉDENAT.

Paris, décembre 1897.

 

AVANT-PROPOS

Le Forum magnum fut le centre de la vie romaine. Événements heureux ou désastres, luttes de la plèbe contre l'aristocratie pour la conquête des droits politiques ou des conditions meilleures de l'existence, élections des magistrats, émeutes, révo­lutions, procès, proscriptions, jeux et spectacles, tout se préparait au forum, s'y faisait ou y avait un contre-coup. Ce fut comme le cerveau auquel afflua de bonne heure la vie de Rome et bientôt du monde civilisé. Aussi le nom du forum et de ses monu­ments revient à chaque page dans les écrits des auteurs anciens. Il est donc impossible d'étudier l'histoire romaine d'une manière réelle et vivante, on ne saurait comprendre de nombreux passages des auteurs si on ignore le forum romain et son histoire. Le but de ce livre est de le faire connaître, et c'est surtout aux étudiants qu'il est destiné. Il s'adresse aussi à leurs professeurs, non pas que l'auteur ait la prétention de leur apprendre beaucoup de choses nouvelles. Il s'est proposé de réunir pour eux des renseignements qu'il leur faudrait, avec beaucoup de peine, chercher dans un grand nombre d'auteurs, anciens, dans des livres et des revues spéciales, de langues diverses, il a essayé aussi, quand cela lui a paru utile, d'approfondir un peu plus qu'on ne l' a fait certaines questions controversées.

Ce livre, qui a pour point de départ l'article Forum publié par l'auteur dans le Dictionnaire des antiquités grecques et romaines de M. Saglio, est un livre d'étude et de travail. Des notes renvoient aux textes anciens et aux auteurs cités, permettant au lecteur de tout contrôler et, s'il le désire, de pousser plus loin ses recherches personnelles. Un index bibliographique placé à la fin du volume l'y aidera aussi. L'illustration, strictement archéologique, n'a pas sacrifié au pittoresque. Les plans ont été dressés d'après les dernières fouilles et les derniers travaux, spécialement d'après ceux de MM. Lanciani et Huelsen.

Ce livre pourra aussi être lu ou consulté avec intérêt et profit par les gens du monde qui, de leurs études classiques, ont gardé de bons souvenirs et le goût des choses de l'antiquité. Si jamais ils vont à Rome, c'est à eux, non moins qu'aux autres lecteurs, que s'adresse la dernière partie de ce volume, tout à fait indépendante de la première et dépourvue de l'appareil scientifique. En effet, au livre sur le forum fait suite un appendice d'une tout autre nature. Le titre en indique l'objet : Une visite au forum. Ceux de mes lecteurs qui seraient assez bienveillants pour em­porter mon petit volume à Rome, pourront ainsi faire au forum une promenade méthodique et, je l'espère, pas trop ennuyeuse. Pour rompre la mo­notonie des descriptions, j'ai essayé de raconter, en les localisant, quelques-uns des événements les plus dramatiques dont le forum fut le théâtre. Ces récits se distinguent du reste par un texte diffé­rent. Cet appendice étant absolument indépendant du volume sur le forum, il ne faudra pas être surpris d'y rencontrer des redites. Elles étaient inévitables. Toutefois elles sont moins nombreuses qu'on ne pourrait le croire, l'étude sur le forum étant historique et l'appendice surtout descriptif. Je m'abstiendrai d'exposer ici de quelle manière j'ai divisé ce livre. La table suppléera très suffi­samment à mon silence sur ce point.

 

LE FORUM ROMAIN

LES FORUMS IMPÉRIAUX

LIVRE I

LE FORUM ROMAIN. SON HISTOIRE SON ROLE

CHAPITRE I

CE QUE C'EST UN FORUM

Il existe encore aujourd'hui dans certaines de nos campagnes, en dehors des centres habités, de grands espaces où affluent, à des époques déterminées, les marchands ambulants avec leur pacotille, les paysans des villages voisins avec les bestiaux et les denrées qu'ils veulent vendre, Nous appelons ces lieux de réu­nion des champs de foire; chez les Romains, on leur donnait le nom de forum. Cette institution remonte à une haute antiquité. Bien avant la fondation de Rome, il est probable que le lieu qui fut plus tard le forum romain était un marché où les habitants des bourgades établies sur les collines environnantes venaient faire leur trafic. Rome est donc une ville qui peu à peu se créa et se développa près d'un forum et en effet, si elle fut fondée sur le Palatin, néanmoins, autour du forum, se déroule un grand nombre des légendes de sa première histoire.

A une époque moins ancienne et plus historique, cet usage, qui s'était établi pour ainsi dire seul, sous l'impulsion des nécessités, fut régularisé par les Romains qui le développèrent méthodiquement. En Italie et dans les provinces, il existait des villages et des hameaux non constitués en communes et attribués pour cette raison à des colonies ou à des municipes jouissant d'une organisation municipale. Mais souvent ces chefs-lieux étaient trop éloignés, les communications trop difficiles pour que les popula­tions qu'on y avait rattachées pussent prendre part aux actes de la vie municipale et venir régulièrement, aux jours de marché, vendre et acheter. Pour remédier à cet inconvénient, dans un endroit central, à proximité d'un certain nombre de ces lieux abandon­nés, on établissait un marché et, afin que l'accès en fût facile, on en choisissait l'emplacement près d'une route. La construction des grandes voies de l'empire romain donna souvent lieu à la création de ces centres de commerce. C'est ainsi qu'Appius, en même temps que la via Appia, créa Forum Appii entre Rome et Terracine. Puis, comme les habitants des bourgades voisines avaient l'habitude de se réunir périodique­ment sur ces marchés, comme il était facile de les y convoquer, les forums devinrent bientôt le lieu des assemblées, le centre de la vie municipale, ou plutôt de ce qui en tenait lieu à ces populations non encore organisées.

Forum, comme nous venons de le voir, était le nom du marché, le lieu des réunions politiques s'appelait conciliabulum mais il est évident que le même terrain avait ce double emploi. Dès lors, la population pourvue de ce centre de réunion formait une circonscription territoriale : là se tenait le marché, là on levait les troupes, on rendait la justice, on célébrait les cérémonies religieuses, c'est là qu'était le siège de l'adminis­tration . Jusqu'à la fondation d'une ville, les fora et conciliabula avaient donc une organisation spéciale, un droit particulier dont le caractère essentiel était de ne pas former d'unité juridique, de ne pas constituer, pour celui qui y habitait, un statut personnel survi­vant au changement de résidence .

On ne tardait pas à élever, autour de ces marchés, quelques constructions nécessaires : des auberges, des locaux pour l'administration. Puis, grâce à leur situa­tion avantageuse, grâce aussi à l'activité qu'y entretenaient le commerce et les réunions dont ils étaient le centre, un grand nombre de ces forums devinrent rapidement des bourgs et des villes importantes, souvent alors on les érigeait en municipes où on conduisait des colons. Plusieurs villes romaines trahissent, par leur nom, cette origine : Forum Sampronii, municipe d'Ombrie, Forum Julii, colonie de la Narbonnaise, Forum Segusiavorum, colonie de la Gaule, etc. D'autres forums, Forum Appii, par exemple, restèrent de sim­ples hameaux.

Par le fait même de la haute antiquité de ses origines, le forum était une chose sacrée, son emplace­ment était déterminé par des rites religieux inscrits dans le rituel immuable de la fondation des villes et de l'établissement des colonies et des camps. Les agrimensores mesuraient, d'après les règles de l'auguration, le terrain que devait enfermer l'enceinte, puis ils le divisaient en quatre parties égales par deux lignes se coupant en angle droit : le cardo maximus tiré du nord au sud, le decumanus maximus tiré de l'ouest à l'est. Théoriquement le forum se plaçait au point d'inter­section de ces deux lignes, je dis théoriquement car souvent il fallait tenir compte d'une ville déjà exis­tante ou de la nature du terrain. Parfois la ville était située sur une hauteur ou sur des rochers escarpés qui, à cause de leur stérilité, ne figuraient pas dans la limitation.

Les forums des villes conservaient le double caractère de marché et de centre de la vie publique et civile. Souvent le marché fut peu à peu éliminé et se réfugia dans des bâtiments spéciaux. C'est ce qui arriva à Pompéi. A Rome, la transformation du marché en centre politique fut lente. Tant que les patriciens eurent seuls la jouissance des droits civils, c'est-à-dire sous la royauté et pendant les premiers temps de la répu­blique, les lieux où se réunissait le sénat, c'est-à-dire le Comitium et quelquefois le Vulcanal, furent exclusivement le siège du gouvernement et de l'administration des affaires publiques. Le forum était alors un marché, une place ornée de temples, entourée de portiques et de boutiques, où l'on célébrait des fêtes et des jeux, où l'on donnait des combats de gladia­teurs, on n'avait ni à y délibérer ni à y voter. Mais, à mesure que le peuple conquit ses droits, c'est au forum qu'il les exerça. En même temps que grandis­sait l'importance politique du forum, celle du comitium décroissait sans cesse, jusqu'au jour où, quoique toujours rivaux, le peuple et le sénat furent contraints à gouverner ensemble.

Le forum romain cessa alors d'être un marché; d'élégantes boutiques de changeurs et d'orfèvres y entretinrent le commerce et l'industrie mais, pour la vente des choses nécessaires à la vie, on éleva à Rome d'autres constructions, on adapta d'autres emplace­ments qui, à leur tour, prirent le nom de forum ou de macellum (1) : forum piscarium, marché aux poissons, forum holitorium, marché aux légumes, forum pistorum, marché au blé et aux farines, forum suarium, marché aux porcs, forum vinarium, marché aux vins, forum cuppedinis, marché de comestibles.

(1)- L'emploi simultané de ces deux noms ressort du rapprochement de deux textes de Tite Live (XXVI, 37, et XXVII,11 ) où le même édifice est appelé forum et macellum

Puis survint un autre changement : les forums particuliers tendirent à disparaître pour faire place à de grands marchés où l'on vendait toute espèce de denrées tels le macellum magnum, sur le Caelius, le macelluni Liviae ou forum Esquilinum sur l'Esquilin. Acron, le scholiaste d'Horace, dit que chaque région de la ville avait son marché ou forum.

En même temps qu'un lieu politique, le forum romain devint aussi, comme le Comitium, le siège de tribunaux. A ses temples s'ajoutèrent bientôt des basiliques ou palais de justice. Mais le nombre des procès allant toujours croissant, César d'abord, Auguste ensuite, créèrent des forums judiciaires pour suppléer à l'insuffisance, du premier. D'autres forums existaient à Rome, places créées pour l'agrément des citoyens et l'embellissement de la ville. Tels étaient sans doute des forums dont on ignore la destination et l'emplacement, et qui portaient les noms de leur fondateur : forum Ahenobardi , forum Aproniani à cette catégorie aussi appartiennent le forum transitorium ou forum de Nerva et le magnifique forum de Trajan, où, cependant, on rendait aussi la justice. Quand Rome fut la capitale incontestée de l'Italie et des provinces conquises, toutes les villes voulurent avoir, comme elle, leur forum. Celles qui en avaient un depuis longtemps, le transformèrent à l'image de celui de la métropole. On voit les forums de Privernum, d'Aricie, de Minturnes, de Calatia, d'Auximum, de Potentia, de Pisaure, d'Aecianum, s'entourer, à l'exemple de celui de Rome, de boutiques et de por­tiques. Ils ont, comme le forum magnum, les monu­ments essentiels à la vie publique d'une cité : un temple, une curie, un trésor, une prison, une basi­lique. Des raccordements, d'ingénieux artifices d'ar­chitecture lui donnent la régularité et la forme rec­tangulaire requise. Le forum de Pompéi nous offre un curieux exemple de ces forums transformés.

Construisait-on, sur un terrain neuf, une ville toute nouvelle, on avait un type officiel de forum, inspiré de celui de Rome, qu'on appliquait partout. Le forum de Timgad est un excellent modèle de ces forums créés tout d'une pièce d'après le type traditionnel. Vitruve donne les règles que doivent observer les architectes dans la construction et la disposition des forums : « Les forums chez les Grecs sont carrés, entourés de doubles et amples portiques dont les colonnes serrées soutien­nent des architraves de pierre ou de marbre que sur­montent des galeries. Ce n'est pas ainsi que doivent être construits les forums des villes d'Italie, parce que nos ancêtres nous ont transmis l'usage d'y donner des combats de gladiateurs, les colonnes doivent donc, pour cette raison, être plus espacées. Sous les por­tiques, les boutiques des changeurs, et, au-dessus, les tribunes seront disposées de la façon la plus commode pour l'usage qu'on en doit faire et pour la perception des publica vectigalia. Il faut qu'il y ait proportion entre les dimensions du forum et le chiffre de la population, sans cette précaution la place pour­rait manquer ou bien le forum trop peu rempli paraître vide. La largeur aura les deux tiers de la longueur : la forme sera donc celle d'un rectangle, disposition plus commode pour les spectacles. Les colonnes du second étage seront d'un quart moins grandes que celles du bas qui, étant plus chargées, doivent être plus fortes». Vitruve s'occupe ensuite des monuments qui doivent entourer le forum : les temples, la basilique, le trésor public, la prison et la curie.

CHAPITRE II

Apercu historique

I

Le forum avant Romulus. Le forum sous les rois, pendant la république, sous les empereurs.

Les origines du forum romain sont, comme celles de Rome même, plus légendaires qu'historiques. Ce n'est pas le lieu de les discuter ici après beaucoup d'autres. Les historiens ont, avec plus ou moins de succès, cherché à dégager l'histoire de la légende. Notre rôle est tout autre : faire revivre pour un instant, dans l'imagination, ces ruines muettes, replacer dans leur cadre les événements, tel est notre but. Pour y atteindre, entrons dans les sentiments et les pensées, dans l'état d'âme, pour employer une expression à la mode, d'un Romain instruit et éclairé, mais crédule dans la mesure exigée par son patriotisme. Et ce sera sagesse, car si, à distance, la critique peut s'exercer sur les migrations des peuples et sur leur formation, la tâche est moins facile quand il s'agit de l'histoire d'un monument. Nous accepterons donc, tels qu'ils sont présentés, les événements merveilleux qui en­tourent les origines de certains monuments, et entre­rons, si le lecteur y consent, dans les dispositions de Tite Live, qui, au commencement de son Histoire, s'exprime ainsi : « Les événements qui ont précédé ou, suivi la fondation de Rome sont bien plus embellis par les fictions qu'attestés par le témoignage incor­ruptible des monuments. Je n'ai l'intention ni d'en affirmer ni d'en combattre l'authenticité. C'est le pri­vilège de l'antiquité de mêler l'action des dieux à celle des hommes afin de faire plus auguste la nais­sance des villes. Et s'il est un peuple à qui l'on doive permettre de consacrer ses origines en les fai­sant remonter aux dieux, c'est bien le peuple romain. Il s'est en effet assez illustré par les armes pour que les nations qui acceptent son joug ne lui contestent pas non plus le droit de déclarer que Mars est le père de son fondateur et aussi le sien. D'ailleurs, qu'on adopte cette tradition et les semblables, ou qu'on les repousse, je n'y attache pas une grande importance. Ce qu'avant tout je désire, c'est que chacun prenne à tâche d'étudier la vie et les mœurs du temps passé. »

Topographie du forum. — Le forum était une vallée marécageuse et boisée où s'accumulaient les eaux pluviales, de toutes parts des hauteurs l'environnaient, sauf du côté du Vélabre, dont les marais très bas lui apportaient, soit par des infiltrations, soit par des inondations, les eaux du Tibre. Les légendes et les traditions aussi bien que les eaux souterraines cou­rant encore sous cette région (1) confirment cet état.

(1) Le forum continua à être inondé de temps à autre (Horat., Carm., I, 2, 19 ss.; Dionys, II, 50), il l'est encore de nos jours.

L'extrémité ouest (1) de la vallée est dominée par le Capitole. Autrefois cette colline portait le nom de Collis Saturnius à ce nom se rattachaient les souve­nirs de l'âge d'or apporté par Saturne, c'est-à-dire du temps lointain où, avant les peuplades guerrières, les pasteurs et les agriculteurs avaient succédé aux races sauvages. Sur cette colline s'éleva la très antique ville de Saturnia dont le vieil Évandre montra les ruines à Énée et, seul témoignage de ces traditions, à la base du collis Saturmus, là où fut plus tard le temple de Saturne un autel à cette divinité avait été consacré par les Grecs que conduisait Hercule. Comme première origine, le temple de Saturne est donc le plus ancien monument du forum. Après l'ouverture par où le Vélabre déversait le trop-plein de ses marais, la vallée du forum longeait le flanc nord du Palatin sur lequel Romulus devait fonder la Roma quadrata.

(1) Pour plus de clarté dans la description je suppose le forum exactement orienté, en réalité ce que j'appelle l'ouest est presque le nord-ouest, et de même des autres points cardinaux.

A l'extrémité opposée au Capitole, vers l'Est, la vallée s'élevait lentement sur les pentes d'une petite colline appelée Velia, prolongement du Palatin, ayant son point culminant là où, plus tard, fut construit l'arc de Titus.

Le côté nord, moins bas que la vallée, s'appuyait au Quirinal et à l'Esquilin. Les récits des historiens montrent qu'on y pouvait circuler à pied sec. En cet endroit sans doute, ou sur la Vélia, se tenait le marché des temps antéhistoriques.

Le forum sous les rois. — Tel devait être à peu près l'aspect général du forum au moment où les Romains et les Sabins y livrèrent ce combat auquel mit fin l'intervention des Sabines.

Les deux rois, Titus Tatius et Romulus, se réu­nirent, pour régler les conditions de la paix ou plutôt de la fusion des deux peuples, au nord du forum, dans un lieu qui dès lors s'appela comitium , du latin coire se réunir, si l'on admet l'étymologie proposée par Varron.

Après des cérémonies purificatoires dont le sacrari um de Venus Cloacina conserva le souvenir, Tatius et Romulus construisirent les monuments qu'ils avaient voués aux dieux : le temple de Jupiter Stator, là où ce dieu avait arrêté la fuite des Romains, un autel à Vulcain, plus haut que le comitium , à un endroit qui désormais s'appellera Vulcanal, un autel à Janus, qui, en ce lieu même, avait fait jaillir sur les Sabins des eaux bouillantes et sulfureuses. En même temps la vallée du forum était déboisée, le marais plus ou moins desséché, et une chaussée, origine de la Voie sacrée, réunissant la base du Capitole à la Vélia, mettait en communication les deux villes mainte­nant unies.

A Romulus succèdent des rois sabins : le premier de cette série, Numa, organisateur du culte et des lois, construit le temple de Vesta, l' atrium Vestae ou maison des Vestales (?), la regia où habitera le pontifex maximus. Le même roi transforme l'autel de Janus en un temple qui devint célèbre et dont les portes, ouvertes pendant que Rome était en guerre, ne furent pas souvent fermées.

Tullus Hostilius construisit pour les sénateurs une curie ou salle des séances, qui, de son nom, s'appela curia Hostilia . Le comitium , sur lequel s'éleva ce nouvel édifice, devint et demeura le centre du gou­vernement aristocratique. Sous ce même roi, à un endroit du forum qu'on ne peut pas déterminer, sans doute au comitium, Horace dressa la pila Horatia, trophée de sa victoire sur les trois Curiaces. Le dernier roi sabin, Ancus Martius, fit la prison dont il semble que jusque-là Rome avait pu se passer. Avec Tarquin l'Ancien le pouvoir vint aux mains d'une dynastie étrusque. Les trois rois qui se succé­dèrent mirent au service de Rome le génie construc­teur de leur race. Au moment de l'expulsion de Tarquin le Superbe, la cloaca maxima , à laquelle se rattachait tout un système d'égouts, avait achevé le dessèchement du forum, le forum lui-même était une vaste place, de forme régulière, entourée de boutiques et de portiques faits sur un plan uniforme.

Le forum sous la République. - En l'an de Rome 257 (=497 av. J.-C), treize ans après l'expulsion des rois, on fit, le 17 décembre, la dédicace du temple de Saturne là où était son autel. L'année suivante, les Latins, auxquels s'étaient alliés les Tarquins expulsés et leurs partisans, ayant été défaits par les Romains avec l'aide de Castor et de Pollux, un temple fut élevé aux deux divinités, sur le forum, à l'endroit même où elles étaient venues annoncer aux Romains la victoire.

Tel était l'état du forum quand, en l'an de Rome 364 (= 390 av. J.-C), les Gaulois s'emparèrent de la ville qu'ils dévastèrent, et vinrent mettre le siège devant le Capitole. Après leur départ, une reconstruc­tion, ou tout au moins une restauration générale des monuments du forum devint nécessaire. A des époques qu'on ne peut préciser, trois monu­ments s'élevèrent sur les confins du comitium et du forum : le senaculum , la graecostasis et la tribune qui, en 416 (= 338 av. J.-C), fut ornée des rostres des vaisseaux pris aux Antiates, de là lui vint le nom de Rostra. En 491 (=263 av. J.-C), M. Valerius Messala dressa, près des rostres, un cadran solaire rapporté de Catane. Trois ans plus tard, la colonne de Duilius conserva, près de la tribune, le souvenir de la victoire navale sur les Carthaginois.

Caton le Censeur éleva en 570 (= 184 av. J.-C), la première basilique ou palais de justice, la basilique Porcia . Trois autres basiliques, la basi­lique Fulvia , plus tard Aemilia (d'), la basilique Sempronia et la basilique Opimia suivirent à intervalles rapprochés.

En 633 (= 121 av. J.-C), l'arc de triomphe de Fabius , vainqueur des Allobroges, forma une des entrées orientales du forum.

E n 652 (= 102 av. J.-C), Q. Lutatius Catulus construisit, au pied du Capitole, le tabularium qui, maintenant encore, domine le forum du côté ouest.

Le forum au temps de César et sous l'empire.— Sous César et sous Auguste, la transformation du forum romain, fut complète : César modifia l'aspect du comi­tium , transporta les rostres à l'extrémité ouest du forum et commença la basilique Julia . Auguste continua avec plus de magnificence encore l'œuvre de son père adoptif : il reconstruisit la curie et les deux basiliques, Julia et Aemilia qu'il fît plus vastes et plus belles, la regia , le temple de Castor , le temple de Saturne et le temple de la Con­corde furent réédifiés en marbre, l'étendue du forum fut restreinte à l'est, mais le magnifique temple de César flanqué de l'arc d'Auguste le termina de ce côté. Plus tard, quand, à l'autre extrémité, les arcs de Tibère et de Septime Sévère feront pendant à ceux d'Auguste et de Fabius, le forum romain formera cette belle place régulière dont, malgré son état de ruine, nous pouvons, aujourd'hui encore, admirer les heureuses proportions et les superbes édifices.

Il nous reste peu de monuments à énumérer : le milliaire d'or placé par Auguste à l'angle des rostres, le temple de Vespasien et de Titus élevé par Domitien à ses prédécesseurs, le temple dédié à Faustine par décret du sénat et, vingt ans plus tard, à Antonin, son mari, la schola Xanta , cercle des scribes et employés du trésor et des archives, dont l'emplacement est incertain, l' umbilicus , centre de Rome et du monde, construit au iv e siècle comme pen­dant au milliaire d'or, à l'autre angle des rostres, le portique des dii Consentes, restauré en 367 ap. J.-C. par le préfet de Rome, pour favoriser la renaissance de la foi païenne et enfin, image de Rome asservie et déchue, la colonne dédiée à Phocas en 608 ap. J.-C. par Smaragdus, exarque de Ravenne .

Les incendies du forum. — Dans la rapide esquisse qui précède, je n'ai guère parlé que des monuments nouveaux, sans mentionner leurs reconstructions qui cependant furent fréquentes, soit par suite de leur, vétusté, soit, plus souvent, après des incendies. Ces reconstructions sont indiquées plus loin, dans l'his­ toire particulière de chaque monument. Je me bor­nerai à rappeler ici les grands désastres : il y en eut quatre qui partagent en quatre parties l'histoire monu­mentale du forum.

Quand il fut détruit par l'incendie des Gaulois (390 = 364 av. J.-G.), le forum avait une enceinte de boutiques et de portiques, les monuments des rois, les temples de Saturne et de Castor. L'incendie de Néron (19-28 juillet 817 = 64 ap. J.-G.) ravagea la curie, une grande partie du côté nord du forum, la regia , le temple ) et l'atrium (?) de Vesta, le temple de Jupiter Stator. Néron lui-même, puis Vespasien et Domitien relevèrent les ruines. Quelque graves qu'ils aient été, les incendies qui éclatèrent sous Titus (833 = 80 ap. J.-C.) et sous Antonin paraissent avoir à peu près respecté le forum. Celui de Commode au contraire dévasta tout le côté Est : il se déclara dans le temple de la Paix et gagna le Palatin en consumant le temple de Vesta , et tous les monuments intermédiaires. Septime Sévère et son fils Caracalla reconstruisirent les monu­ments détruits. C'est à Julia Domna, femme de Septime Sévère, qu'il faut attribuer la réédification du temple de Vesta.

La partie ouest du forum fut éprouvée par l'incendie de Carinus (283-ap. J.-C). Le forum de César, la curie, la basilique Julia y périrent. Le temple de Saturne eut probablement à en souffrir aussi, aucun texte n'en fait mention, mais sa dernière restauration semble être d'une basse époque. Dioclétien répara les désastres causés par cet incendie.

CHAPITRE III

LA VIE ROMAINE AU FORUM

Le forum romain. — Le forum est commun à Rome et à beaucoup d'autres villes. Il n'en est pas de même du comitium , qui ne se retrouve pas ailleurs qu'à Rome. Le comitium et le forum sont donc absolument dis­tincts. Ils étaient, l'un et l'autre, une place découverte, entourée d'édifices publics mais leur origine et leur destination primitives sont aussi diverses que leur nom. On ne saurait cependant les séparer ni dans l'exposé des faits historiques ni dans les recherches archéologiques. Dès le temps des rois mais surtout quand, sous la République, la vie publique prit à Rome une plus grande extension, quand, par suite, le forum cessa d'être un simple marché, ses destinées furent tellement liées à celles du comitium , il y eut de l'un à l'autre un tel flux et reflux d'événements, qu'on ne pourrait pas traiter séparément de l'un ou de l'autre sans couper par moitié l'histoire de la République romaine.

Au comitium s'élève la curie, lieu ordinaire des séances du Sénat, là aussi se réunissent les comitia curiata, institution patricienne. Le comitium est la cita­delle des traditions et du gouvernement aristocratiques. Au forum se réunissent les assemblées populaires et les comitia tributa. La tribune est dressée sur les confins du forum et du comitium . De là les tribuns dirigent le combat et conduisent le peuple à l'assaut du comitium et à la conquête des droits politiques. Aussi la lutte est souvent ardente, le forum a ses « journées » plus d'une fois sanglantes : c'est la conquête du tribunat, puis du consulat, c'est le retour périodique des pro­positions de lois agraires, c'est la mise en accusation d'hommes soutenus ou attaqués par l'un ou l'autre parti. Tout cela ne va pas sans violences réciproques, sans que les tribuns se précipitent des portes de la curie à la tribune pour dévoiler au peuple les projets du Sénat et en appeler à son suffrage. Le peuple envahit le comitium et entoure la curie pour peser sur les décisions des Pères Conscrits. Les patriciens, à leur tour, descendent sur le forum, maltraitent les tri­buns, empêchent de procéder aux votes, dispersent la plèbe, parfois, au contraire, le Sénat se fait humble, et, vêtu d'habits de deuil comme dans les temps de calamité, il vient sur le forum en suppliant, dans l'espoir d'attendrir le peuple. Consuls et tribuns se disputent la tribune, qui souvent est occupée avant le lever du soleil ou couverte de bancs qui en interdisent l'accès à la partie adverse. C. Gracchus, le premier, y parle tourné non plus vers le comitium mais vers le forum, transférant la souveraineté des patriciens aux plébéiens. L'ennemi est-il aux portes de Rome, le peuple convoqué sur le forum refuse de s'enrôler et arrache ainsi au Sénat qu'effraye le danger de la patrie des concessions depuis longtemps réclamées en vain.

C'est au forum aussi que se sont déroulés la plupart des drames qui ont accompagné le meurtre de Servius, l'abolition de la royauté, la chute des décemvirs, la dictature de Sylla, la tyrannie des triumvirs, les luttes d'Octave et d'Antoine. Un jour même le forum se hérissa de fortifications en bois Pendant ces périodes troublées on vit les consuls C. Marius et C. Papirius Carbo, tirer les sénateurs de la curie, comme d'une prison, et les faire massacrer sur le forum, les partisans de Clodius occuper la curie, le comitium et le forum, et faire de tels mas­sacres que le frère de Cicéron échappa à la mort en se cachant sous des monceaux de cadavres et qu'on étancha, avec des éponges, le sang qui ruisselait sur le forum, Marius, et après lui Sylla, puis les trium­virs exposer, autour des rostres et du lac Servilius, comme de hideux trophées, les têtes des proscrits.

Si le peuple est surexcité par un fléau, par la misère par des charges nouvellement imposées par les circonstances politiques ou par des meneurs, c'est encore là qu'il vient manifester. Il porte au comi­tium et brûle avec la curie le cadavre de Clodius, puis célèbre au forum un immense repas funéraire. On vit encore au forum des émeutes de femmes soulevées par les lois somptuaires et des émeutes d'usuriers. Pendant la peste qui désola Rome en l'an 579 (= 175 av. J.-C), un jour de prières fut décrété, et tout le peuple, réuni sur le forum, s'engagea par le vœu suivant : « Si l'épidémie et le fléau s'éloignent du territoire romain, il y aura deux jours de fériés et d'actions de grâce ». D'ailleurs toutes les fois qu'un grave événement agite l'opinion, c'est au forum et au comitium que la foule afflue. Quand le bruit se répand que des légions ont passé sous les fourches caudines, que les armées romaines ont été défaites par Hannibal à Trasimène et à Cannes les boutiques se ferment sur le forum où les affaires sont suspendues (1), le peuple s'y presse avide de renseignements, les femmes, mêlées aux hommes, tendent les bras vers la curie, et, pour délibérer, les sénateurs sont obligés de faire écarter la foule. Pendant que les légions marchent contre Hasdrubal, les sénateurs au comitium , le peuple au forum, demeurent en permanence, attendant avec anxiété les nouvelles du combat et quand enfin les messagers de la victoire se présentent, la foule est si compacte qu'ils ne peuvent pénétrer dans la curie.

(1). Liv., IV, 31; IX, 7; III, 27, par ordre du dictateur, on fermait aussi les boutiques, par ordre du magistrat, pendant les comi­ces : Varr, Ling. lat, VI, 91; Cic, Pro domo, XXI.

Les dieux aussi choisissent souvent le forum pour y annoncer, par des présages, des châtiments que le peuple cherche ensuite à conjurer par des sacrifices : ce sont, en divers endroits, des pluies de lait et de sang, un essaim d'abeilles s'abat sur le forum, pen­dant que plusieurs citoyens, croyant voir des légions armées sur le Janicule, donnent l'alarme, par un ciel serein, un grand arc-en-ciel et trois soleils appa­raissent au-dessus du temple de Saturne, un vol de vautours se pose sur le temple de la Concorde, un hibou pénètre dans l'intérieur du temple.

Au forum les magistrats font des communications au peuple, et c'est un usage que, après leurs cam­pagnes, les chefs d'armées lui rendent compte de ce qu'ils ont fait. C'est aussi au forum et au comitium que se jugent ces grands procès politiques qui divisent et passionnent la foule et où parlent les orateurs en renom : les procès de Coriolan, de Manlius Capitolinus, de Scipion, de Jugurtha, de Verres, de Milon, etc. On y fait aussi des exécutions de prisonniers et de con­damnés, on y soumet des esclaves à la torture, les corps nus des suppliciés sont exposés aux insultes de la foule sur les marches des gémonies, puis, avec des crocs, le bourreau les traîne, à travers le forum, jusqu'au Tibre

Les fastes consulaires et triomphaux sont gravés sur les murs de la Regia, dans divers endroits du forum, on expose les fastes des prescriptions reli­gieuses, des lois, des traités avec les peuples amis, et aussi les listes des proscrits.

On voit, par ce rapide exposé, que presque toute la vie intérieure de Rome affluait au forum, que tous les grands événements extérieurs y avaient un écho, et que cette place de sept arpents était bien le centre du monde.

Mais le forum n'était pas tous les jours troublé par de graves événements. Il avait aussi ses jours de fête, ses cérémonies religieuses et ses sacrifices, il était traversé par des processions où l'on portait en grande pompe, devant les édifices ornés par les édiles, les statues des dieux. On y donnait des revues, des combats d'animaux et de gladiateurs, des jeux , de grands repas publics A la mort de M. Valerius Levinus, ses deux fils célébrèrent sur le forum des jeux funèbres qui durèrent quatre jours et où combattirent vingt-cinq couples de gladiateurs. Là aussi on faisait des expositions de choses propres à exciter la curiosité : œuvres d'art, tableaux , et, sous Auguste, un serpent long de cinquante coudées. Enfin, les pompes triomphales se déroulant sur la voie sacrée traversaient le forum dans toute sa longueur. Ces jours de fêtes on ornait les boutiques et les portiques, de riches citoyens prêtaient à la ville des œuvres d'art et des tentures, à une époque ancienne, au temps où il n'existait pas encore de théâtres, on organisait, avec des tableaux et des statues, de véritables scènes, la nuit venue, les jeux se célébraient à la clarté de nombreuses lumières. Souvent, à ces occasions, des échafaudages et des tribunes provisoires s'élevaient autour du forum, offrant les meilleures places aux privilégiés ou à ceux qui pouvaient les payer mais c'était aux dépens de l'espace dont le peuple aurait pu librement disposer, et, une nuit, le fougueux tribun C. Gracchus fit renverser les tribunes. Parfois, pour protéger la foule contre les rayons du soleil, on éten­dait au-dessus du comitium , du forum et de la voie sacrée de longs voiles de lin.

Les jours ordinaires, le forum n'est pas moins animé. C'est un lieu de rendez-vous et d'intrigues, c'est là qu'on vient engager le personnel nécessaire pour les fêtes privées : valets, cuisiniers, joueurs de flûte. Les boutiques, occupées à l'origine par des bouchers et aussi par des maîtres d'école, devien­nent rapidement plus luxueuses et plus décoratives, des changeurs s'y établissent. Les joailliers, les bijoutiers de la voie sacrée attirent au forum une clientèle riche et aristocratique. Les banquiers, les courtiers, les usuriers et leur inévitable cortège de spéculateurs de toute catégorie se rencontrent aux tabernae veteres et aux novae dans les basiliques près du temple de Castor et autour des janus . C'est là que siègent les censeurs. Les tribunaux civils et criminels entretiennent tout un peuple d'avocats réunis autour de la statue de Marsyas, de plaideurs , de témoins, de gens d'affaires, les ventes aux enchères, faites souvent par les argentarii et les ventes d'es­claves ont aussi leur public. Vers le milieu du forum, dans un endroit que traverse le ruisseau par où s'écoule l'eau des pluies, et appelé pour cette raison canalis , se réunissent ceux qu'on appelle les Canalicolae , pauvres diables, parasites complaisants, hâbleurs, ivrognes et aussi mauvais plaisants, les gens riches et bien posés fréquentent la partie basse du forum, le vicus Tuscus au contraire est mal famé. Vers Subure sont les pickpockets et vers l'Argiletum les copistes, les libraires et les cordonniers, sur la Vélia et particulièrement près de la summa sacra via les fruitiers, près de la basilique Aemilia, les mar­chands de vases en bronze, et, sous les portiques des basiliques, jusqu'à la création du forum piscarium, les marchands de poissons empestent les tribunaux. Autour de la fontaine Juturne, les malades et les infirmes viennent chercher la guérison de leurs maux. Un peu partout, circulent par groupes, les flâneurs, les habitués du forum, les , population désœu­vrée, prête à tous les coups de main, forenses que Tite Live oppose au peuple laborieux, ils se livrent, au mépris des lois, à des jeux de hasard, les dalles de la basilique Julia et du forum portent encore les marelles et autres jeux qu'ils y ont gravés. On les rencontre près du cadran solaire, au comitium , près de la peinture représentant la victoire de M. Valerius Messala sur Hiéron de Syracuse, les rostres qu'ils fréquentent les font appeler subrostrani , et les basi­liques, subbasilicani , ils se promènent au-dessus du lac Curtius et partout ils fabriquent et colpor­tent les fausses nouvelles , critiquent les opérations des généraux, font des plans de campagne infaillibles, Paul Emile, avant d'aller combattre Persée en Macé­doine, leur adresse de la tribune une verte réprimande et de fines railleries.

Sous l'Empire, il n'y a plus de distinction politique entre le forum et le comitium (1), les vieilles haines et les antiques discordes qu'ils représentaient sont oubliées, la paix s'est faite entre les classes réunies dans une commune servitude. Cependant le forum ne cesse pas d'être, de temps à autre, le théâtre de scènes tragiques et sanglantes. Pendant que le Sénat juge Pison, le peuple, entourant la curie, demande sa mort ou fait rouler ses statues sur les degrés des gémonies . Des têtes coupées paraissent encore sur les rostres . Galba, Sabinus, Vitellius, Séjan et ses enfants, et bien d'autres, sont exécutés par le bourreau, mas­sacrés par les soldats ou par la multitude, puis, au milieu des outrages, leurs corps d'abord exposés aux gémonies sont tirés avec des crocs jusqu'au Tibre. Mais ces troubles n'ont plus le même caractère qu'au­trefois. Ce ne sont plus les luttes de la plèbe pour la liberté et la conquête de ses droits politiques, mais des cruautés césariennes, des révoltes de prétoriens mécontents, des déchaînements soudains et passagers de la populace. Et, pendant ces agitations du forum, c'est le plus souvent dans les provinces, au milieu des légions, que se décident les destinées de l'Empire.

(1). Tacit. (Agricola, II) mentionne comitium et forum comme formant un tout.

La tribune est fermée aux orateurs populaires et poli­tiques, on y vient recevoir des congiarium , écouter des allocutions impériales , des communications officielles, des oraisons funèbres. Sur le forum de l'Empire on brûle, il est vrai, les livres trop indépen­dante, ce dont Tacite s'indigne mais parfois on y brûle aussi les registres où sont inscrits les noms des citoyens en retard avec le fisc et cela plaît au peuple. Les tribunaux fonctionnent toujours dans les basiliques, le commerce et les opérations financières sont de plus en plus florissants, les cérémonies religieuses et civiles aussi pompeuses. Il n'est pas surprenant que le forum reste encore à cette époque un lieu très fréquenté. Les Romains ne retrouvaient-ils pas là, en effet, des monuments dont l'origine remontait aux traditions mythologiques et aux temps des rois, des statues, des inscriptions, des arcs de triomphe qui leur rappe­laient, avec les souvenirs de la République, les victoires de Rome et ses conquêtes, depuis le Rhin jus­qu'à l'Euphrate?

Les forums provinciaux. - Nous avons vu que les forums provinciaux s'étaient, de bonne heure, modelés sur celui de Rome. Ils avaient comme lui des por­tiques et des boutiques, ils étaient entourés des mêmes édifices : temples, curie, tribune aux harangues, basiliques, prison, trésor, les citoyens riches les ornaient de monuments dont les inscriptions ren­daient leurs noms immortels, peu à peu ils étaient non moins encombrés de dédicaces aux Romains illustres, aux empereurs et aux princes de la famille impériale, aux magistrats et aux bienfaiteurs de la cité, de telle sorte que, au point de vue monumental et aussi au point de vue moral, le forum provincial était une réduction du forum romain.

Et en effet, sur beaucoup de forums provinciaux, en Italie surtout, on reproduisit les statues et les elogia dédiés par Auguste, sur son forum, aux grands hommes de guerre à qui Rome devait sa puissance, c'est ainsi qu'on retrouva à Pompéi les statues d'Énée et de Romulus, ou plutôt leurs bases avec les inscriptions et à Arretium toute une série de sept elogia . Les forums provinciaux étaient ornés aussi de statues de divinités, offertes souvent par de riches citoyens et quelquefois placées dans un édicule. Les empereurs et les princes des familles impériales, des particuliers aussi avaient des statues à pied ou équestres, votées par le conseil des décurions ou autorisées par lui, si le personnage était un empereur, un patron de la colonie ou un bienfaiteur insigne, le décret ajoutait souvent que la statue devait être érigée dans l'endroit le plus fréquenté du forum et, comme nous avons vu, à Rome, les censeurs procéder à l'enlèvement des statues qui encombraient le forum, nous voyons aussi, dans un municipe africain, un remaniement des sta­tues entre lesquelles il était devenu difficile de se frayer un passage. La statue la plus enviée par les forums de province était sans aucun doute celle de Marsyas, dont la présence attestait que la ville jouis­sait du droit italique . MM. Boeswilwald et Cagnât ont trouvé la base du Marsyas du forum de Timgad, on connaît les inscriptions de deux autres Marsyas de villes africaines. Les monuments des forums provinciaux portaient aussi, de toute part, les inscriptions des bienfaiteurs de la cité qui les avaient élevés, ornés ou restaurés, d'autres citoyens avaient construit, embelli ou réparé le forum lui-même, ils avaient fait ou refait le dal­lage de son aréa et le pavé des rues y aboutissant ou le traversant, ils l'avaient entouré de trottoirs, ils avaient réparé ou complété ses portiques, recons­truit en marbre son tribunal , etc., et n'avaient pas négligé de graver le souvenir de tous ces bienfaits sur la pierre ou le bronze. La comparaison entre les monuments et la disposi­tion du forum romain et des forums provinciaux révèle donc la plus grande analogie, il en sera de même si nous les comparons au point de vue moral. Le théâtre était moins vaste, ce n'étaient plus les destinées du monde qui s'y jouaient mais comme les honneurs qu'on y briguait étaient, aussi bien qu'à Rome, les plus élevés auxquels les candidats pouvaient aspirer, la lutte n'était pas moins vive sur les modestes forums de province, et les mêmes passions s'y agi­taient. C'est en effet au forum que se faisaient les élections : à Pompéi, on voit la différence du droit entre les anciens habitants et les colons amenés par Sylla créer, comme à Rome, la lutte entre deux classes, à Nola, un des anciens habitants (ex veteribus), élu décurion, croit la victoire assez importante pour la mentionner dans son inscription. Comme à Rome, le forum est le centre de la vie publique : c'est là que le gouverneur de la province tient ses assises, il y a, comme au forum romain, des rostres d'où l'on fait les communications officielles et où l'on prononce des oraisons funèbres : en effet, avec l'autorisation des décurions ou en vertu d'un décret spontanément porté, les restes des citoyens qui ont illustré ou enrichi leur cité peuvent reposer un instant au forum et c'est de là que partira la pompe funéraire. C'est au forum que les magistrats prêtent serment, on y célèbre des sacrifices, on y met en adjudication les travaux publics on y paye les impôts, on y dis­tribue des sportules, dans les basiliques on fait du commerce, des affaires d'argent, on juge les procès et on vient entendre des conférences. Les élections des magistrats, les inaugurations ou dédicaces des monuments ou des statues érigés par les particuliers, sont l'occasion de repas publics, de fêtes qui souvent se célèbrent au forum. Nous avons le pro­gramme très attrayant et très varié de jeux donnés sur le forum de Pompéi par A. Clodius Flaccus pour sa première et sa seconde élection au duumvirat : la fête commence par un défilé ou procession (pompa), puis viennent des courses de taureaux avec taurarii, taurocentae et succursores, des gladiateurs comiques (pontarii), des athlètes combattant par couples, à la mode grecque (pyciae) et à la mode romaines/es), : et des athlètes combattant en troupe (pugiles cater varii), des pantomimes, de nombreux couples de gla­diateurs, une venatio avec des taureaux, des sangliers, des ours, des animaux d'espèces variées, des inter­mèdes de chant et de musique. Outre ceux que leurs affaires amenaient au forum, les désœuvrés aussi en faisaient leur promenade favo­rite, à Timgad comme à Rome, ils ont laissé gravées sur les dalles les traces de leurs jeux, désirait-on rencontrer quelqu'un, c'est là qu'on était sûr de ne pas le manquer, en même temps que l'on appre­nait les nouvelles peu sûres répandues par les flâ­neurs, on trouvait, sur les albums, le moyen d'oc­cuper son temps pour les jours suivants : en effet, sur les albums du monument d'Eumachia, les forenses de Pompéi pouvaient lire les annonces des ventes et des adjudications, le programme du prochain spec­tacle. Une peinture de Pompéi représente le portique du forum, avec une longue affiche devant laquelle s'ar­rêtent les passants. Cette peinture fait d'ailleurs partie d'une curieuse série trouvée à Pompéi et repré­sentant les scènes les plus variées de la vie populaire sur le forum : on y voit des marchands de draps et de toiles des boulangers et des pâtissiers, des frui­tiers, des cordonniers prennent les mesures de leurs pratiques ou vantent leur marchandise, un gargotier a allumé son fourneau ambulant et sert ses clients, un marchand de ferraille et de pots a étalé sa marchandise, un aveugle en haillons, conduit par un chien, reçoit l'aumôme, un amateur dessine une statue équestre d'après nature, un chaudronnier couvre, avec le bruit de son marteau, les hurlements d'un gamin qui subit, dans l'école voisine, une correc­tion sans doute salutaire et, au milieu de ce tapage, des magistrats exercent gravement leurs fonctions.

LIVRE II

HISTOIRE DES MONUMENTS DU FORUM ROMAIN

CHAPITRE I

LES MONUMENTS DU FORUM DE LA. RENAISSANCE AU XVIII e SIÈCLE

Démolisseurs et protecteurs.

A première vue, dans leur état actuel, le forum romain et les monuments qui l'entourent, font naître le sentiment d'une dévastation extraordinaire, de ruines désolées, presque dépourvues d'intérêt artis­tique et auxquelles il semble impossible de restituer même un nom. Les monuments détruits par le temps, dans les lieux abandonnés, sont d'habitude entourés de quelques débris de leur architecture, où circule encore un reste de vie, où persiste un reflet de la beauté de l'œuvre disparue. Au forum c'est l'excep­tion. Des substructions presque au niveau du sol, de hauts soubassements mis à nu, complètement dépouil­lés de leur parure de pierre et de marbre, et, pour un regard superficiel, sans caractère, de, grandes bases en briques éventrées, semblables à des masures abandonnées, voilà ce qui saisit tout d'abord, tandis que, çà et là, quelques colonnes oubliées par le temps ou relevées par les hommes, des rues dont le pavé semble encore appeler les passants, ajoutent à la mélancolie de ce paysage mort.

Il n'y a pas lieu d'en être étonné. Ruiné et aban­donné depuis le XI° siècle, le forum fut, à la Renais­sance, exploité régulièrement comme une carrière de pierre et de marbre, de plus, trop souvent, les direc­teurs des fouilles archéologiques n'ont pas compris l'intérêt des débris laissés en place.

Je n'ai pas l'intention d'écrire ici le martyrologe complet des monuments du forum pendant les XIV°s, XV°s. et XVI° s., l'espace me manquerait et aussi beaucoup des documents nécessaires. M. Lanciani le fera dans l'histoire qu'il prépare des fouilles archéolo­giques à Rome. Pour moi, je me contenterai d'en tracer une très rapide esquisse, me bornant à ce qui se rap­porte aux monuments du forum romain. Au XIV° s., de 1362 à 1370, la curie, le temple d'Antonin et de Faustine, le templum sacrae Urbis, sont exploités pour la reconstruction du Latran.

Au XV°s., on démolit le mur d'enceinte du forum de César, on cherche des matériaux dans le templum sacrae Urbis, dans le temple de Vénus et de Rome, dans la maison des Vestales. La fin de ce même siècle est marquée par un acte régulier, daté de 1499, et publié par M. Müntz, con­cédant, moyennant une redevance égale au tiers des produits, l'exploitation d'une carrière de marbre située entre l'église Saint-Côme-et-Damien et les trois colonnes (temple de Castor). Les marbres de cette carrière étaient ceux de l'arc de Fabius, de la regia, de la maison des vestales (q) et du temple de Vesta (11), du temple de César et de l'arc d'Auguste.

On signale, en 1509, l 'enlèvement d'une grande quantité de marbres près du temple de Vespasien, et, en 1539, des fouilles près de l'arc de Septime Sévère et devant le temple d'Antonin.

En 1540, un nouveau décret, publié également par M. Müntz, investit la fabrique de Saint-Pierre du droit d'exploiter et de concéder les permis d'exploiter les matériaux des monuments du forum. Ce fut, pendant une période de dix ans, jusqu'en 1550, une dévastation sans exemple : les marches des temples d'Antonin et de Castor disparurent avec les colonnes, les frises et les corniches, la regia, construite en : marbre massif, les arcs de Fabius et d'Auguste, furent détruits et les marbres et le travertin du temple de César enlevés. Le temple de Vesta qui, en 1489, avait échappé aux risques d'une première découverte, fut retrouvé en 1549 et mis dans l'état où les fouilles l'ont rendu en 1816 et en 1876.

Ce ne sont pas des faits isolés, car des documents d'archives des 10 octobre 1431, 3 octobre 1451, 4 mars 1453, 14 février 1462, nous montrent la Zeccha vecchia — c'est le nom qu'on donnait à l'ensemble des ruines qui constituaient la curie (auj. Sainte-Martine et Saint-Adrien) exploitée régulièrement.

D'autres permis d'extraire des marbres et de la pierre dans les jardins de l'hôpital de la Consolazione, c'est-à-dire dans toute l'extrémité ouest du forum, de la basi­lique Julia à Saint-Adrien, ont été publiés par M. Lanciani, ils sont datés des années 1496 (14 avril), 1500 (30 juillet), 1511 (17 février), 1512 (9 octobre), 1514 (18 mars). Les débris extraits en vertu de ces autorisations servirent à la construction du palais du cardinal de Corneto (Hadrianus Castellensis de Corneto), aujourd'hui palais Torlonia, place Scossa-Cavalli. Dans le même palais entrèrent les débris d'un édifice existant encore au XIV°s., près de Saint-Adrien, et qui aurait été, d'après M. Lanciani, le temple de Janus, d'après Jordan, une des façades latérales de la basi­lique Aemilia.

Des colonnes du temple de Castor servirent à Lorenzetto pour exécuter, d'après les dessins de Raphaël, le Jonas de Santa-Maria del Popolo, et à Michel-Ange pour faire le piédestal de la statue de Marc-Aurèle, sur le Capitole.

Les marbres, que leur forme ou leurs dimensions ne rendaient pas propres à être utilisés, étaient brisés en morceaux et livrés aux fourniers. On a trouvé, en divers endroits du forum, spécialement dans la basilique Julia et près du temple de César des fours à chaux dont l'état attestait de longs et loyaux services, et aussi, ça et là, une couche épaisse de ces débris que laissent les tailleurs de pierre ou les marbriers.

Un grand nombre des monuments du forum avaient survécu aux invasions, aux sacs de Rome et à l'abandon du moyen âge. C'est à la Renaissance qu'ils périrent, précisément au moment où les esprits cultivés renaissaient au goût et à l'admiration des lettres et des arts de l'antiquité. Il ne faut pas en être surpris outre mesure. Les hommes de ce temps-là n'entendaient pas de la même manière que nous l'amour de l'antiquité. Ils n'avaient pas, comme on l'a aujourd'hui, le souci de : reconstituer les monuments antiques et de laisser en place les éléments de cette reconstitution. Pour eux, un fragment antique n'était pas déshonoré parce qu'il servait à l'embellissement ou à la construction d'un édifice moderne. Dans les belles frises, dans les restes de sculpture monumentale, leurs artistes voyaient sur­tout un sujet d'étude ou d'imitation, peu leur impor­tait que le fragment eût été arraché à tel ou tel monu­ment, peu importait même qu'il survécût à l'imitation ou au dessin qu'il avait inspirés. Quant aux inscriptions, ceux qui en étaient curieux détruisaient volontiers les monuments pour les cher­cher, c'est ainsi que pendant cette période de dévasta­tion beaucoup de textes épigraphiques furent sauvés. Mais les copistes ne pensaient pas toujours qu'il fût utile de noter sa provenance ni de s'occuper de son sort ultérieur. On croyait facilement à cette époque qu'un dessin, une copie ou une description dispen­saient de voir la pierre.

Tout en regrettant des pertes irréparables, ne soyons pas cependant sévères outre mesure pour ceux qui en furent responsables. C'est une règle de critique historique et de justice d'apprécier les choses et les hommes non d'après les idées de notre temps, mais après avoir étudié le leur. En outre, comme le fait remarquer M. Müntz avec beaucoup de bon sens, la Rome moderne ne pouvait se construire qu'aux dépens de l'ancienne. Pouvait-on exiger que les hommes de ce temps fissent venir à grands frais leur pierre, des lieux éloignés d'où la tiraient les Romains, leurs marbres précieux de Carare, des Alpes, de la Grèce ou de l'Afrique, quand ils en avaient, sous le sol qu'ils foulaient, des quantités considérables, au milieu de monuments ruinés et hors d'usage, dont l'esprit du temps méconnaissait la valeur et l'intérêt historiques? N'est-ce pas une loi universelle que la vie ne saurait être sans le secours de la mort?

Il faut en outre reconnaître que, au XV° s. et au XVI° siècle, il y eut aussi des architectes, des artistes et des érudits qui comprirent l'intérêt des monuments, antiques et consacrèrent à les étudier une bonne part de leur activité. On peut citer, parmi les architectes, et artistes, au XV° siècle : Léo Baptista Alberti, Bra­mante, Sangallo, Fra Giovanni Giocondo, Peruzzi, Raphaël; au XVI°siècle, Sebastiano Serlio, Labacco, Barozzi, Giacomo da Vignola, Andréa Palladio, Pirro Ligorio, Flaminio Vacca, Vicenzo Scamozzi, Du Pérac, parmi les érudits, au XV° s. : Polono Martino, Flavio Biondo, Pomponius Laetus, Marliano ; au XVI°s : Mazocchi, Albertino, Pighio, Panvinio, etc. Ces artistes et érudits, dont la liste qui précède est loin d'être complète, ne réussirent guère à sauver les monuments antiques de Rome et du forum, soit qu'ils y fussent impuissants, soit que, semblables à leurs contemporains, ils en comprissent peu la nécessité mais ils nous ont laissé de riches séries de documents où puisent les archéologues qui s'occupent du forum : des plans, des dessins épars aujourd'hui dans les prin­cipales bibliothèques et collections d'Europe, des notes précieuses, des ouvrages imprimés ou manuscrits.

Plusieurs, parmi lesquels on est heureux de saluer les grands noms de Pie II et de Léon X, se montrèrent plus clairvoyants que les hommes de leur temps. Pie II s'éleva avec éloquence contre le vandalisme des Romains et, sous les peines les plus sévères, défendit la des­truction des monuments antiques. Fra Giocondo essaya de persuader à Laurent le Magnifique de prendre des mesures protectrices. Raphaël, nommé commissaire des antiquités par un bref de Léon X, du 27 août 1515, s'exprimait ainsi dans un rapport publié par M. Müntz : « Ceux-là même qui devaient défendre comme des pères et des tuteurs ces tristes débris de Rome ont mis leurs soins à les détruire ou à les piller. Que de Pontifes, ô Saint Père, revêtus de la même dignité que V. S., mais ne possédant pas la même science, le même mérite, la même grandeur d'âme, ont permis la démolition des temples antiques, la destruction des statues, des arcs de triomphe et d'autres édifices, gloire de leurs fondateurs ! Combien d'entre eux ont permis de mettre à nu les fondations pour en retirer de la pouzzolane, et ont ainsi amené l'écroulement de ces édifices! Que de chaux n'a-t-on pas fabriquée avec les statues et les autres monuments antiques! J'ose dire que cette nouvelle Rome, que l'on voit aujourd'hui avec toute sa grandeur, toute sa beauté, avec ses églises, ses palais, ses autres monu­ments, est construite avec la chaux provenant des marbres antiques. » Ligorio, qui inventa autant de monuments que les autres en ont détruit, après avoir assisté, près du temple d'Antonin et de Faustine , à des fouilles telles qu'on les entendait alors, expri­mait son indignation : « il che fu cosa molto orrenda ».

Les fouilles désintéressées ou les hasards heureux pour l'archéologie furent rares au forum jusqu'à notre siècle. Léon X confia à Michel-Ange la direction de fouilles autour de l'arc de Septime Sévère. Il se produisit en 1536 un événement qui favorisa l'étude de la topographie du forum. Paul III, afin de ménager à Charles-Quint, sous les arcs de triomphe, une entrée digne des triomphateurs romains, fit raser les tours et constructions qui, au moyen âge, avaient peu à peu encombré le forum. Deux cents maisons et trois ou quatre églises y périrent, nous dit Rabelais, qui, à cette époque, se promenait par là. Nombre de monu­ments antiques furent dégagés, mais le sol resta


considérablement exhaussé, car, faute de temps et d'ar­gent, on s'était contenté d'égaliser les décombres au lieu de les enlever. Une cinquantaine d'années plus tard, Sixte-Quint, constructeur de génie, mais cruel ennemi des monuments antiques quoique la colonne Trajane ait trouvé grâce devant lui comme autrefois le Colisée devant Eugène IV, devait encore augmenter l'épaisseur des débris en déversant sur le forum les décombres des travaux qu'il faisait exécuter dans d'autres quartiers de Rome.

Dans un but vraiment scientifique, le cardinal Alexandre Farnèse commença en 1346, entre le temple d'Antonin et le temple de Castor, des fouilles qui, partie à ciel ouvert, partie en galeries, furent poursuivies jusqu'en 1565. Les résultats en furent heureux, mais, conformément à l'usage du temps, les beaux débris furent employés à orner le palais du cardinal. Les inscriptions fournies par ces fouilles sont d'un haut intérêt : il faut citer en première ligne les fastes capitolins et triomphaux, trouvés en 1546 non loin du temple de Castor puis, en 1547, près le temple d'Antonin, une partie des inscriptions de l'arc de Fabius, en 1549, des inscriptions dédiées aux Vestales, près du temple de Castor, on en avait déjà exhumé plusieurs en 1497, en 1554 une ins­cription provenant des alentours de l'arc de Septime Sévère et mentionnant une restauration de la basi­lique Julia par Gabinius Vettius Probianus, en 1565, l 'inscription relative à la victoire navale de Duilius.

Depuis cette époque, à part quelques excavations faites sous Alexandre VII par Leonardo Agostini en face l'église des Saints-Cosme-et-Damien et, en 1742, un déblaiement de la Cloaca maxima, qui mit à découvert une partie du dallage, en marbres précieux, de la basilique Julia, il n'y eut plus de fouilles au forum jusqu'à la fin du XVIII° siècle. Ce celeberrimus urbis locus, cette place, théâtre d'événements fameux, d'où Rome avait, pendant des siècles, gou­verné le monde civilisé, fut rendue à son usage des temps antéhistoriques : elle devint le marché aux bœufs de la campagne romaine, le campo vaccina. La végétation envahit son sol inégal, des barrières en bois y établirent des divisions, une allée d'ormeaux relia l'arc de Septime Sévère à celui de Titus. Sans les colonnes des temples de Vespasien, de Saturne et de Castor, dont une partie émergeait au-dessus du sol exhaussé par tant de débris, sans l'arc à moitié enfoui de Septime Sévère, on aurait pu oublier que là avait été le forum romain ».

CHAPITRE II

LES FOUILLES AU XVIII e ET AU XIX e SIÈCLE

1780-1870 et 1870-1896.

De 1780à 1870. — Vers la fin du XVIII°siècle, du 3 novembre 1788 au 4 mars 1789, le chevalier Fredenheim fit de grandes fouilles sur l'emplacement de la basilique Julia : il découvrit une partie du dallage en marbre et des degrés qui descendaient de la basilique au forum, sur la voie sacrée, des frag­ments de la voûte ornée de stucs en relief, un magni­fique chapiteau corinthien.. Ces fouilles enrichirent, l'épigraphie de l'inscription des Kalatores pontificum, mais furent funestes à ce qui subsistait de l'ancien édifice. Elles ne profitèrent pas non plus à l'étude de la topographie du forum, car bientôt la terre recouvrit, les parties mises au jour et on les oublia. Et cependant, cinquante ans plus tard, la nouvelle découverte des degrés de la basilique Julia contribua à démontrer d'une façon définitive et absolue la direction du forum vers l'Est.

Au commencement de ce siècle, Pie VII, secondé par Fea, prit des mesures pour assurer la préservation des monuments du forum, et résolut de les déblayer complètement. Il commença par les abords de l'arc de Septime Sévère, et fit construire, en 1803, un mur de soutènement qui maintint les terres, précau­tion qui semble contraire au projet, formé cependant, de tout déblayer rapidement. Ces travaux amenèrent la découverte de l' umbilicus .

De 1804,à 1809, le chantier des fouilles fut trans­porté au Colisée et à l'arc de Constantin puis on reprit, par l'arc de Titus, la direction du forum mais bientôt les événements politiques, en éloignant Pie VII de Rome, interrompirent les travaux qu'il avait commencés.

Sous l'habile et active direction du comte de Tournon, préfet du Tibre pendant l'occupation française, les fouilles furent poussées avec une persévérance digne de tous les éloges. Avant d'en faire l'exposé, nous emprunterons au rapport du comte de Tournon une curieuse et intéressante description de l'état du forum en 1809 :

« A partir du Capitole, l'amas d'immondices formait une terrasse, qui, touchant presque à l'astragale des colonnes du temple de Jupiter Tonnant (lisez temple de Vespasien, , s'élevait à dix mètres au-dessus du sol antique. Une route rapide, construite sur la pente de ce remblai, donnait aux voitures un difficile accès sur la place du Capitole.

Des maisons occupaient, au-dessous de ce monceau de débris, l'aire du temple de la Concorde (lisez temple de Saturne, et d'autres maisons et des greniers étaient bâtis entre la colonne dédiée à Phocas et l'arc de Septime Sévère, qui, par les soins de Pie VII, avait été excavé de 3 m . 85 jusqu'à la ren­contre du sol antique, dans un espace elliptique de quelques mètres de rayon.

Le temple d'Antonin et de Faustine était enterré jusqu'au-dessus des bases des colonnes, liées entre elles par la lourde grille d'une église dont la façade, du plus mauvais goût, contraste si pénible­ment avec l'élégance de ce portique.

En face, les colonnes du temple de Jupiter Stator (lisez de Castor et Pollux) étaient aussi profondé­ment enfouies, et l'immense vasque de granit, qui est aujourd'hui au pied de l'obélisque de Monte-Cavailo, touchait par ses bords au sol et se dégradait sous les roues des charrettes qu'on y introduisait pour les laver.

Plus loin, les vastes voûtes du temple de la paix (lisez basilique de Constantin), fermées par des murailles, servaient d'étables à des bestiaux et de remises à des charrons, et un amas de débris s'élevait jusqu'à la naissance de ces arcs.

Au delà de ce temple et au point culminant du vallon du forum, placé à 12 m . 80 au-dessus du niveau du sol de l'arc de Septime, point inférieur de ce vallon, une ligne de mauvaises constructions fermait l'horizon en s'étendant de l'église et du monastère de Santa-Francesca-Romana (Sainte-Françoise-Romaine) à l'arc de Titus» (Cte de Tournon, Etudes statistiques sur Rome, II, 363 ss.

L'administration française « voulut rechercher le niveau antique et mettre définitivement au jour les bases des monuments. Déjà Raphaël, dans une lettre très curieuse adressée à Léon X, avait proposé ce déblaiement général et permanent, et nous entre­prîmes de réaliser ce projet. » (Tournon, l . c.)

Après avoir acheté, de gré à gré, aux propriétaires, les maisons modernes qui encombraient les ruines, on commença en 1810 à travailler à la fois au Colisée et au forum. Les maisons démolies, on fouilla au pied des monuments, par tranchées ouvertes, jusqu'à la rencontre du sol antique, les terres étaient emportées au loin, précaution jusque-là négligée et faute de laquelle les éboulements rendaient bientôt inutiles les fouilles déjà faites. Ces travaux durèrent quatre années (1810-1813) et en voici les résultats : les colonnes du temple de Vespasien, enfouies jusqu'aux chapiteaux, n'étaient guère soutenues que par le poids des terres. Et en effet, après avoir fait une excavation circulaire de 15 mètres de profondeur, on reconnut qu'elles reposaient sur les restes d'un stylobate tellement rongé qu'elles manquaient presque d'appui. Il fallut poser sur un échafaudage le lourd entablement, reprendre le stylobate en sous-œuvre à une profondeur de 5 mètres , démonter et redresser les tambours des colonnes, et les charger de nouveau de leur entablement, le sol fut ensuite déblayé jusqu'au mur du tabularium. Ce travail hardi fut exécuté par Valadier et Camporese.

Le temple de Saturne fut complètement dégagé et son beau portique en granit apparut tel qu'on le voit aujourd'hui. Délivrée de deux maisons sous les­quelles elles disparaissait presque entièrement, pour la première fois depuis longtemps, la colonne de Phocas, profilant sur le ciel son élégante silhouette, se montra isolée. Le 23 février 1813, les fouilles pour­suivies autour de sa base devaient, par la découverte de l'inscription, faire connaître la destination du monument. En continuant à descendre le forum, on mit au jour le pavé du temple de Castor et on dégagea entièrement une grande vasque en granit à moitié enfouie en cet endroit. En face, l'architecte français Ménager avait mis à nu les bases des colonnes du temple d'Antonin et de Faustine, et avait reconnu, devant ce temple, le pavé de la voie sacrée.

A la basilique de Constantin, l'enlèvement des constructions modernes, des terres, des débris de la voûte écroulée permirent de constater la présence d'un pavé en marbres précieux élégamment disposés, que la masse des débris avait protégé en le cachant. Après la démolition du couvent et des greniers qui réunissaient à l'arc de Titus l'église Sainte-Françoise-Romaine, les degrés et le portique du temple de Vénus et de Rome reparurent. L'église Sainte-Françoise-Romaine fut respectée, à cause de la véné­ration dont les Romains entourent cette sainte, et aussi pour conserver, avec le monument qui le renferme, le tombeau où repose le pape français Grégoire XI qui, d'Avignon, revint à Rome. Ainsi débarrassé de toutes les adjonctions modernes, l'arc de Titus, menaçait ruine, et offrait un triste aspect, surtout du côté qui regarde le forum. Une planche de Du Pérac ( I vestigi della città di R oma ) et un dessin d'Agapito Franzetti ( Raccolta di vedute della città di Roma, ), nous donnent une vue de l'état, au XVI° s et au XVIII°s., de la face qui regarde le Colisée. L'arc de Titus devait être restauré quelques années plus tard, par les soins de Pie VII. Tels sont les travaux exécutés au forum par l'administration française, dans l'espace de quatre ans, sans préjudice de ce qu'elle fit au forum de Trajan et dans d'autres endroits. L'administration française avait l'intention « de rechercher, dans tout le forum, le sol antique, et de le mettre à découvert en soutenant par des murs les terres sur lesquelles sont assises les constructions modernes, et déjà elle avait fait construire [en 1810] un égout pour amener [du temple d'Antonin et de Faustine ] aux conduits antiques [la Cloaca Maxima] les eaux pluviales qui seraient tombées sur ce sol déprimé. Les terres provenant de ces fouilles auraient servi à faire les remblais qu'exigeait la construction des quais ou auraient été portées au loin. » (Cte de Tournon, p. 273-274.)

Pie VII, rentré à Rome, se préoccupa encore du forum. Le cardinal Consalvi fît dresser, par le cheva­lier Stern, le devis d'un déblaiement général, l'abbé Uggeri, d'après les indications de Fea, publia, sur une feuille volante, un plan des travaux par lesquels il fallait commencer. Décidé à les poursuivre jusqu'au bout, le cardinal Consalvi repoussa les offres d'une association européenne internationale qui offrait de se charger de l'entreprise. En 1816, on enleva, pour la transporter à la fontaine de la place du Quirinal, la grande vasque en granit que le comte de Tournon avait dégagée. Puis les fouilles continuées autour du temple de Castor amenèrent la découverte de son esca­lier latéral de gauche, du mur qui supporte les trois colonnes et, en même temps, de sept nouveaux frag­ments des fastes triomphaux et capitolins. Le temple de Castor, qui, jusque-là, avait passé pour celui de Jupiter Stator, fut identifié, Fea trouva et reconnut la substruction ronde du temple de Vesta.

Le 22 février 1817, le pape lui-même vint visiter le forum et approuva le projet de soutenir par un mur les terres qui entouraient la colonne de Phocas. Cette visite imprima sans doute aux travaux une nouvelle impulsion, car, la même année, on découvrit l'escalier de la basilique de Constantin sur la voie sacrée et des fragments de ses colonnes en porphyre rouge, cette même fouille donna la tête colossale de Domitien, aujourd'hui dans la cour du Palais des con­servateurs. Le comte de Funchal, ambassadeur du roi de Portugal, déblaya, devant le temple de Vespasien, le pavé du clivus capitolinus mais ses fouilles furent interrompues parce qu'elles ne rentraient pas dans le plan général.

La duchesse de Devonshire, collaborant avec l'administration pontificale - elle payait quatre forçats, sur dix employés à ces travaux - élargit le rayon des fouilles autour de la colonne de Phocas. Ces tra­vaux, continués jusqu'en 1819, mirent au jour, près de la colonne, deux des bases en briques qui bor­dent la voie sacrée, et, à leurs pieds, un tronçon de cette voie.

Le duc de Blacas, ambassadeur de France, résolut de fouiller plusieurs points du forum. Il s'attaqua au temple de Vénus et de Rome et au temple de Castor dont il reconnut le soubassement sous la cella et sous les trois colonnes. Pendant l'été, toujours en 1817, des fouilles entreprises au temple de la Con­corde donnèrent des fragments de statues colos­sales et des inscriptions à la déesse Concordia, fixant ainsi l'attribution de ce temple qui, jusque-là, avait été ignorée. Pendant l'année 1818, les travaux com­mencés depuis deux ans autour du temple de Castor continuèrent. L'année 1819 fut marquée par la décou­verte de la voie sacrée devant la basilique de Cons­tantin et par le dégagement de la façade de cette basi­lique. En 1820, le temple de Saturne fut isolé autant que le permettait la haute chaussée qui s'appuyait sur lui, du côté de l'est. Valadier, par ordre de Pie VII, restaura, en 1821, l 'arc de Titus.

Léon XII reprit, en 1827, avec plus d'étendue, les projets de Pie VII et fît dresser, par Valadier, un nou­veau plan. Comme le comte de Tournon, il avait conçu le projet de grandes fouilles générales, embras­sant tout l'espace compris entre le Capitole et le Colisée. Par décret du 18 janvier de la même année, il nomma Fea commissaire des antiquités. Celui-ci dressa encore un plan avec une petite brochure explicative, rare aujourd'hui .

Nibby, nommé directeur des fouilles, dirigea le déblaiement de la basilique de Constantin puis remit les ouvriers à la base du Capitole, où, en dégageant le podium du temple de la Concorde, en 1829-1830, ils découvrirent le petit édicule de Faustine. Ensuite les travaux continuèrent autour de la colonne de Phocas et du temple de Castor . Les degrés de la basilique Julia, depuis les fouilles du chevalier Fredenheim, avaient été de nouveau recouverts et oubliés, on les dégagea une seconde fois et, après eux, le portique des dii Consentes qui ne devait être restauré qu'en 1838. L 'espace compris entre l'arc de Septime Sévère et le temple de la Con­corde commença à être ramené au sol antique. On constata aussi l'existence d'une rue antique le long du côté nord du forum. A la basilique Julia de nombreuses inscriptions revirent la lumière. Il fut dcidé que le temple de la Concorde serait complè­tement déblayé, même en détruisant une partie de la rue qui montait au Capitole. Ces travaux se prolongèrent jusqu'en 1835, sous le pontificat de Grégoire XVI. A la suite de difficultés survenues entre Fea, commissaire des fouilles, et Nibby et Valadier, le 12 mars 1835, Grégoire XVI alla lui- même visiter le forum et, après avoir exprimé son mécontentement, révoqua le cardinal Galeffi, camer­lingue, de ses fonctions de surintendant des fouilles, il nomma ensuite une nouvelle commission composée de A. Tosti, prince Prospero di Soriano, marquis Louis Biondi, président de l'Académie d'Archéologie, Joseph Venturoli, ingénieur, Gaspard Salvi, président de l'Académie de Saint-Luc, architecte dirigeant, et Louis Brandolini. La commission remit, cette même année, au souverain pontife, un rapport sur les fouilles faites et à faire au forum. D'habitude, quand une commission est nommée pour s'occuper d une affaire, il en résulte un rapport et rien de plus. Il semble bien que c'est ce qui arriva en 1835. La commission cependant demanda et obtint l'achat de constructions qui couvraient une partie de la basilique Julia et s'opposaient à son dégagement. Elle fit acheter aussi une maison dont la démolition rendit visible la belle frise latérale du temple d'Antonin et de Faustine .

La période de fouilles inaugurée en 1827 par Léon XII et qui prit fin avec la commission nommée , en 1835, fut d'une grande importance pour la topogra­phie du forum. En effet, la mise au jour des degrés de la basilique Julia et de la voie sacrée vers laquelle ils descendent, ainsi que la découverte de la rue qui, du temple de César à l'arc de Septime Sévère, longe le côté nord du forum, permirent, pour la première fois, d'établir matériellement la lar­geur du forum et sa direction de l'ouest à l'est.

Les années 1841-1844 furent, avec des intermit­tences, consacrées au tabularium, son étage infé­rieur fut rendu accessible par l'enlèvement des terres et des décombres et on découvrit son grand escalier avec sa porte condamnée par le mur de fond du temple de Vespasien .

Le gouvernement de 1848 reprit les explorations et la municipalité de Rome les continua en 1849 sous la direction des autorités militaires françaises. Rentré dans ses Etats, Pie IX les poursuivit jusqu'en 1853. Pen­dant cette période, Canina enleva des terres autour de l'arc de Septime Sévère et à l'angle nord-ouest de la basilique Julia , où furent trouvées la base du milliaire d'or et les substructions de l'arc de Tibère, malheureusement presque aussitôt détruites.

Ces fouilles démontrèrent que la basilique Julia avait deux ordres d'architecture superposés, et que sa longueur était dans le sens du forum et non vers le sud. Elles firent retrouver la Cloaca Maxima et four­nirent aussi un certain nombre d'inscriptions dont voici les principales : dans la basilique Julia, fragment des fastes d'un collège sacerdotal se réunissant au temple de Jupiter Propugnator sur le Palatin, inscriptions honorifiques à Tibère et à Claude, votives à Vesta, près de l'arc de Septime Sévère, une dédicace à Trajan.

La mort de Jacobini (1854), ministre de l'agriculture et des travaux publiques, rapidement suivie de celle de Canina, mit fin aux fouilles du forum sous l'admi­nistration pontificale. Elles ne devaient plus être reprises qu'en 1870.

A l'époque à laquelle nous sommes arrivés, la rue moderne qui traversait le forum passait, en remblai, devant la façade Est de l'are de Septime Sévère et devant le temple de Saturne, cachant les Ros­tres que l'on avait, un moment, découverts sans les reconnaître à l'endroit où, devant le temple de Saturne elle passait sur la voie sacrée , à peu près sur l'em­ placement de l'arc de Tibère, son remblai était percé d'un tunnel communiquant avec la partie du forum située à la base du Capitole. Aujourd'hui, cette rue a été déplacée et couvre le Clivus Capitolinus dont le pavé était alors à découvert. Succédant à des siècles de dévastation et d'oubli, la première moitié de notre siècle fut, comme nous venons de le voir, heureuse pour le forum. Quoique les papes n'aient pas pu en achever le déblaiement complet, ils en eurent constamment la préoccupation.

Les fouilles partielles, en fournissant aux archéolo­gues des sujets d'études et des renseignements pour leurs investigations, devaient être l'occasion de nou­veaux travaux. Dès le XVII°s. le P. Donati - il faut remonter jusqu'à lui, car, en ce qui concerne le forum, il eut sur les travaux des meilleurs archéologues de notre siècle une déplorable influence, - le P. Do­ nati, dans un ouvrage d'ailleurs justement estimé expose très bien l'état des connaissances sur la topo­graphie de Rome, à son époque. Malheureusement, dans les chapitres consacrés au forum, il tombe, sur son orientation, dans une regrettable erreur, que ses prédécesseurs n'avaient cependant pas commise : en effet, Buffalini, Marliani, Lucio Fauno, Gamucci avaient bien saisi la direction du forum et l'orientaient de l'ouest à l'est, c'est-à-dire du tabularium vers le Colisée. Donati, au contraire, l'oriente du nord au sud, plaçant sa longueur de Saint-Adrien à la Consolazione, sa largeur entre le Capitole et le Palatin. Les auteurs qui, pendant la première moitié de ce siècle, écrivi­rent sur le forum, Nardini, Piranesi, Venuti, Fea et Nibby suivirent l'erreur de Donati, quoique, avant eux, Guattani l'ait évitée. La nécessité d'accommoder les textes avec cette topographie inexacte jeta dans l'étude des monuments du forum une étrange confu­sion, dont, même après l'erreur reconnue, on trouve la trace dans des auteurs récents. On plaça le Comitium au pied du Palatin, le temple de Jupiter Capitolin à la place de la citadelle et réciproquement. Mainte­nant encore, même dans des livres classiques très récents, on voit des restitutions du forum où cette der­nière erreur est commise. Il faut donc consulter avec une grande prudence les ouvrages du XVIII°s. et même du XIX°s. relatifs au forum. L'erreur de Donati et de son école fut définitivement réfutée par Piale, archéologue d'un rare mérite, d'un ferme bon sens, dont la sagacité semble parfois confiner à la divination. A sa suite, Canina revint à l'ancienne tradition sur l'orientation du forum. Elle n'est plus à discuter aujourd'hui : le forum entièrement découvert s'étend tout entier dans la direction du Colisée. Il est cependant une erreur que Piale n'a pas évitée : il a mis la curie et le comitium à la place de la basilique Julia , erreur dans laquelle tombèrent aussi Canina, et Tocco qui mourut impénitent. L'em­placement du comitium ne fut définitivement fixé au nord-ouest du forum que par Detlefsen en 1860.

De 1870 à 1896. — Dès le mois de décembre 1870, le gouvernement italien reprit les fouilles du forum et les poursuivit, avec une louable activité, pendant les années suivantes, jusqu'à leur complet achèvement. Ces fouilles peuvent se diviser en deux périodes : la première, de décembre 1870 au mois de mars de l'année 1878, la seconde, après une courte interruption, du mois de mars de l'année 1878 à l'année 1884.

La direction fut confiée à Rosa qui, les années précédentes, avait exploré le Palatin pour le compte de l'empereur Napoléon III. Le déblaiement des parties encore ensevelies de la basilique Julia (16-17) don­nèrent à peine quelques fragments du travertin ayant appartenu à la construction de César et d'Auguste, tant on l'avait soigneusement enlevé, plus nombreuses étaient les parties en briques de la reconstruction de Dioclétien, dont les matériaux ne pouvaient être uti­ lisés. Rosa, pour marquer la division des nefs, fit reconstruire les piliers jusqu'à une certaine hauteur. On trouva des bases qui, d'après leurs inscriptions, avaient supporté des œuvres — originaux ou copies — de Polyclète, Timiaque, Praxitèle et Bryaxis, de nou­veaux fragments des fastes des prêtres de Jupiter Propugnator, des tables de jeu, une inscription à Maxi­ mien. En même temps que la basilique Julia, on découvrait le vicus tuscus bordé sur un de ses côtés par le podium du temple de Castor qui garde encore des blocs de tuf appartenant à la recons­truction de L. Caecilius Metellus en 117 avant J.-C, et des restes du travertin et du marbre de l'édifice relevé sous Auguste.

Pendant l'hiver de 1871-1872 on mit au jour : la partie de l'aréa du forum, comprise entre la colonne de Phocas et le temple d'Antonin, la Cloaca Maxima, dont la direction fut reconnue, la voie sacrée , le long de la basilique Julia et les grandes bases en briques qui la bordent du côté opposé, le podium du temple de Castor, la voie qui va de ce temple à celui d'Antonin, en passant devant le temple de César, enfin, en face de ce dernier temple, des constructions en briques revê­tues de marbres, que, plus tard, Rosa eut la malheureuse idée de détruire. Quelques inscriptions et fragments d'architecture récompensèrent ces tra­vaux : entre autres, au pied de la colonne de Phocas , un magnifique chapiteau corinthien et, devant le temple de César, une base de L. Valerius Bassus, préfet de Rome, dédiée à Gratien, Valentinien et Théo­dose. Un rapport officiel, communiqué par la surinten­dance des fouilles au Bullettino de l'Institut archéolo­gique (1871), rend compte de la première partie des fouilles. Mais l'inexpérience archéologique du rapporteur est si manifeste qu'elle lui attira une verte critique publiée en 1872 dans la Voce della verità, par un auteur anonyme.

En avril 1872, tout l'effort des travailleurs fut con­centré sur l'espace qui s'étend en face du temple de Castor : on trouva deux fragments des fastes capitolins se rapportant aux années 616-620 et 709-710, trois fragments des fastes triomphaux, le premier de date incertaine, les deux autres des années 453 et 559­-563, et cette belle frise qu'on admire encore sur le forum, représentant des victoires ailées posées sur des tiges flexibles. Les terrassiers étaient arrivés au pied d'un podium élevé où l'on ne tarda pas à reconnaître le temple de César avec la tribune élevée par Auguste sur sa façade. Ce monument, dont les matériaux étaient d'une grande richesse, avait été particulièrement maltraité par les démolis­seurs. Le mois de septembre de cette même année fut marqué par une des plus intéressantes découvertes que l'on ait faites au forum. En démolissant, près de la colonne Phocas, une tour du moyen âge, on y trouva, avec d'autres fragments d'architecture et d'épigraphie, ces magnifiques plutei en marbre, si précieux pour la topographie du forum, représentant des scènes qui se passent aux rostres. Pendant l'hiver 1872-1873, on dégagea, sur l'aréa du forum, le soubassement de la statue de Cons­tantin, et, près du temple de Castor , la substruction circulaire à laquelle on a donné le nom de Puteal Libonis . Pendant l'été, un nouveau frag­ment des fastes consulaires se rapportant aux années 613-618 s'ajouta aux précédents. A la fin de 1873 et au printemps de 1874, l 'espace libre fut élargi autour du temple de César, cette même année, deux bases sortirent de terre près de l'arc de Septime Sévère, l'une dédiée à Arcadius, l'autre à Valentinien. A la fin de 1874 et au commencement de 1875, les travaux continuèrent derrière le temple de César.

En 1876, les fouilles, jusque-là dirigées par Rosa, furent confiées aux mains habiles de Fiorelli. Toute cette année, jusqu'aux fortes chaleurs de l'été, on déblaya les degrés du temple d'Antonin et de Faustine et l'espace qui s'étend devant ce temple jusqu'à celui de César, c'est alors qu'on reconnut la voie pavée qui, passant devant le temple d'Antonin et de Faustine, monte en ligne droite vers Sainte-Fran­çoise-Romaine. Ces fouilles donnèrent d'inté­ressants morceaux de sculpture et des inscriptions, parmi lesquelles un fragment des fastes consulaires des années 754-760 et un fragment des fastes triom­phaux comblant une lacune de l'an 482, trouvés l'un et l'autre près du temple d'Antonin, en outre les deux inscriptions de Gabinius Vettius Probianus où le forum est appelé celeberrinus Urbis locus. Cette même année fut marquée par la nouvelle découverte de ce qui reste du temple de Vesta.

L'année 1878 inaugure la seconde période des fouilles. A cette époque, tout le forum, jusques et y compris le temple d'Antonin , la regia et le temple de Vesta, était découvert. Mais la chaussée percée par un tunnel, dont nous avons parlé, séparait en deux le vaste espace ramené au sol antique, une autre voie, également en chaussée, réunissait San-Lorenzo-in-Miranda (temple d'Antonin ) à Sainte-Marie-Libératrice, en faisant une courbe vers le sud-est pour laisser à découvert des substructions que l'on ne savait pas encore être la regia , et le temple de Vesta. Dès cette époque le forum proprement dit était libre, sauf les parties couvertes par ces deux chaussées.

Le ministre de l'Instruction publique décida que tout l'espace qui fait suite au forum vers l'Est serait déblayé; c'est-à-dire ce qui est compris entre le temple de Romulus et la basilique de Constantin au nord, Sainte-Françoise-Romaine et l'arc de Titus à l'est, le Palatin au sud-le temple de Vesta, la regia et le temple d'Antonin à l'ouest.

Le mois de mars fut consacré aux préparatifs de la campagne, en avril on se mit à l'œuvre avec activité. Tout d'abord on s'attacha à reconnaître, soit par des fouilles, soit par des puits, la partie de la voie sacrée qui passe devant la basilique de Constantin, puis tourne, à angle droit, devant le portique du temple de Vénus et de Rome, dont les degrés sont en retrait sur Sainte-Françoise-Romaine . On retrouva une des colonnes en porphyre rouge qui sont maintenant redressées sur l'escalier de la basi­lique de Constantin, les autres avaient été exhumées en 1487 et 1819.

En dégageant la rue qui suit la direction du nord, du Templum sacrae Urbis à la basilique de Constantin, on reconnut, à l'angle sud-ouest de la basilique, un grand édifice en briques et, sous l'angle nord-ouest, qui a fermé cette rue probablement ancienne, un tunnel qui main­tient la communication . Interrompues par les chaleurs et par les inévitables délais apportés par les expropriations, les fouilles reprirent en octobre pour continuer pendant l'hiver et le printemps de 1879.

Après avoir un peu reculé le talus qui, du temple d'Antonin à Saint-Adrien. limite le côté nord de la partie découverte, on revint aux travaux de l'année précédente, pour déblayer le côté de la voie sacrée opposé au temple de Romulus, en cet endroit, subsistaient les débris d'un grand nombre de monuments honorifiques : statues et édicules, dont les plus anciens ne semblent pas antérieurs à Septime Sévère. De l'autre côté de la voie, contre l'angle sud-ouest de la basilique, un portique de basse époque, construit avec des matériaux anciens, fait face aux monuments honorifiques. Un peu plus haut, devant la basilique, était une fontaine. Derrière les monuments honorifi­ques commencèrent à apparaître les murs en briques du portique et des boutiques qui longent le côté nord de la maison des Vestales. Les inscriptions fournies par les monuments honorifiques sont très nombreuses.

En poursuivant les recherches dans les boutiques et le portique dont nous venons de parler, on ren­contra les soubassements d'un antique édifice, de la République, orienté dans une autre direction que les édifices plus récents qui l'entourent. C'est probablement la demeure du summus pontifex donnée par Auguste aux Vestales.

La même année, devant l'église des Saints-Côme-et-Damien, sortit de terre un fragment des fastes capitolins se rapportant aux années 655-667 et un fragment des fastes triomphaux des années 643-650.

Le déblaiement de tout l'espace compris entre le temple d'Antonin et de Faustine et l'arc de Titus, la basilique de Constantin et les jardins Farnèse (Palatin) étaient achevés.

Pendant l'année 1880, la base de Stilicon (?) fut relevée sur le forum, là où on la voit encore aujourd 'hui, le temple rond de Romulus, dégagé par la démolition de l' Oratorio dellia via crucis, sa porte antique en bronze avec son encadrement, descendue au niveau du sol primitif, à la place qu'elle occupait autrefois.

En 1882, M . Guido Baccelli, ministre de l'instruction publique, fit reculer derrière l'arc de Sévère et le temple de Saturne, sur le Clivus Capitolinus , là où elle passe encore aujourd'hui, la chaussée dont plu­sieurs fois déjà nous avons eu occasion de parler, ramenant ainsi à la lumière la tribune construite par César. En même temps disparaissait la chaussée qui reliait San-Lorenzo (temple d'Antonin ) à Sainte-Marie-Libératrice, et, pour la première fois depuis bien des siècles, on put, comme un Romain de la bonne époque, comme Horace, traverser, sur le sol antique, le forum dans toute sa longueur, du temple de Vesta à l'aréa du temple de Saturne. La destruction de cette der­nière chaussée amena la découverte de plusieurs frag­ments de l'arc de Fabius, près du temple d'An­tonin , mit au jour la cour, ornée d'un autel avec édicule, qui s'étend entre le temple et l'atrium de Vesta, elle permit encore d'achever le déblaiement des boutiques appuyées au mur de la maison des Vestales.

A la fin de cette année 1882, on était à la porte de la maison des Vestales (?), dont un angle même était entamé. C'est pendant les années 1883-1884 que le déblaiement complet, par M. Lanciani, de l'atrium Vestae et de la Via nova devait couronner cette série de fouilles continuées pendant plus de vingt-trois ans avec tant de persévérance, de savoir et d'habileté. Les inscriptions et les statues trouvées dans la maison des Vestales furent presque toutes laissées en place.

Comme les fouilles des années précédentes, celles des vingt-cinq dernières années ont suscité de nombreux travaux sur la topographie de Rome en général et du forum en particulier. Les auteurs récents ont profité des écrits de leurs prédécesseurs dont la seule utilité, grande encore, est aujourd'hui de nous renseigner sur l'état du forum au temps où ils vivaient et sur les débris maintenant disparus, qu'ils ont vus. Je ne ferai pas ici un exposé des travaux dont le forum a été le sujet de nos jours. Les idées de leurs auteurs sont exposées largement dans les chapitres qui suivent celui-ci, les titres de leurs ouvrages et leurs noms indiqués dans les notes.

La lecture du chapitre consacré à l'histoire des fouilles sera utilement complétée par une étude com­parée des plans du forum aux diverses époques. Les vues que nous donnons permettent bien de se rendre compte de l'état du forum : 1° avant toutes fouilles, 2° en 1882, à la veille des grands travaux où devaient disparaître les deux chaussées qui coupaient le forum, et revenir au jour la via nova et la maison des Vestales, 3° enfin après les derniers travaux qui ont mis tout le forum et son prolongement à découvert, sauf le côté nord. Mais l'examen des plans permet­tra de suivre, mieux que dans un récit, le lent pro­grès des fouilles, de constater aussi après combien de tâtonnements et d'erreurs on est arrivé à déter­miner les limites et la direction du forum, puis à donner aux monuments leur véritable attribution. Il est des édifices, les temples de Saturne et de Vespasien entre autres, qui plusieurs fois ont changé de nom avant de retrouver enfin, avec une démonstration cer­taine, celui qu'ils portaient dans l'antiquité. On peut particulièrement, pour cette étude intéressante, con­sulter les plans de Piranesi (1784), Nardini (1818), Nibby (1819), C aristie (1821), Fea (1827) Canina ( 1834 et 1845), Bunsen (1835 et 1836), Nibby (1838), Becker (1843), Canina (1853) Tocco (1858), Ravioli et Montiroli (1859), Detlefsen (1860), Dutert (1876), Jordan (1885), Richter(1889), Middleton (1892), Huelsen (1892), L. Lévy et Luckenbach (1895) Marucchi (1896), Kiepert et Huelsen (1896), et enfin le magnifique plan de Lanciani (1897).

En même temps qu'on dressait des plans du forum, on en essayait des restaurations plus ou moins heu­reuses. Nous négligerons celles qui ont été faites pen­dant la première moitié de ce siècle par Canina, Nibby, Nichitin, etc. Tentées à des époques où le forum n'était ni assez déblayé ni assez connu, elles ne peu­vent qu'être imaginatives. Nous renverrons à celles de MM. Dutert (1876), Nichols (1877), Fr. Reber (1879), Hans Auer (1888), Huelsen (1892), Bül mann et Alex-Wagner (1892), Levy et H. Luckenbach (1895), G. Gatteschi (1896). Nous n'avons plus à enregistrer que quelques fouilles partielles : En 1882-1883, on fit, pour reconstituer la tribune, des recherches dont Jordan a rendu compte, d'après un rapport de Fabricius, recherches que, l'année suivante, M, Richter compléta par de nouvelles fouilles. En 1886, à la demande de M. Nichols, Fiorelli fit I faire, sur remplacement de la regia , des fouilles qui permirent d'en reconnaître la disposition. La même année, Jordan fut autorisé à chercher, entre l'atrium de Vesta et la regia , le tracé de la voie sacrée et la solution de quelques difficultés relatives à la regia . En 1887, M . Ch. Huelsen fit de nouvelles fouilles sur remplacement de la regia , fouilles dont il a utilisé les résultats « nec pauca nec levis momenti » dans la préface des fastes capitolins. M. Richter obtint, en 1888, l 'autorisation de recher­ cher l'arc de triomphe d'Auguste, il eut le bonheur d'en retrouver les fondations entre le temple de César et le temple de Castor. Enfin, en 1896, à la demande de M. Richter, le ministre de l'instruction publique a fait dégager com­plètement la façade du podium du temple de Castor. De cette fouille, on a tiré la conclusion que le grand escalier de la façade ne continuait pas jusqu'à la voie sacrée, mais qu'on n'avait accès au temple que par les deux petits escaliers latéraux dont on voit encore les traces Cependant, le fragment du plan antique de Rome sur lequel est figuré le plan du temple de Castor le représente avec un escalier sur la façade descendant vers la voie sacrée et il me semble difficile de contredire ce témoi­gnage antique.

Tout le côté nord du forum est encore à déblayer. Sous le terre-plein qui porte l'église Sainte-Martine et la via Bonella, la rue Cavour et les vieilles baraques qui y font suite, gisent des monuments appartenant à la plus haute antiquité et aux origines mêmes de l'his­toire de Rome. La curie, le comitium et ses monuments, l'ancienne tribune, la graecostasis , le senaculum , le temple de Janus, le sacrarium de Venus Cloacina, la basilique Aemilia . Des questions con­troversées, qui divisent des archéologues de mérite, et que les fouilles seules pourraient définitivement tran­cher, trouveraient là leur solution. Il serait intéres­sant de savoir d'une façon bien certaine si le comi­tium était devant Saint-Adrien ou plus au nord, quel est l'emplacement exact du temple de Janus et si l'édifice dessiné au XIV°s. par Labacco et Ligorio était ce temple ou une partie de la basilique Aemilia. Le XIX°s. aura laissé au XX°s. une partie du forum à découvrir.

CHAPITRE III

HISTOIRE DES MONUMENTS DU FORUM ATTRIBUÉS A ROMULUS ET A NUMA

Le comitium - Le comitium était au nord du forum, c'est aujourd'hui un fait prouvé (1) «. Mais faut-il le placer devant l'église Saint-Adrien, la curie de Dioclétien? Ou bien faut-il croire que, sous la Répu­blique, avant la création du forum de César et la construction de la curia Julia , le comitium s'éten­dait beaucoup plus dans la direction du nord? Sur ce point les archéologues sont partagés. La dernière opinion a été tout récemment soutenue par M. Huelsen qui a apporté, dans la démonstration de cette thèse, des arguments nouveaux.

(1). II n'y a plus lieu de discuter les opinions de Canina, Bunsen, Becker et autres, qui placent le comitium au sud ou à l'est du forum, ou pensent que c'était un endroit déterminé du forum lui-même. Cf. T. H. Dyer, Roma , dans Smith, Diction. of greek. and rom. Geography, t. II, p. 715 ss., Marucchi, Op. laud ., p. 51 ss. —

Sous la République auquel nous aurons d'ailleurs plus d'une fois l'occasion de renvoyer le lecteur, toutefois nous le modifions d'après des indications données par lui-même dans des travaux plus récents (1).

La question de la situation précise et de l'étendue du comitium sous la République étant intimement liée à celle du déplacement ou du non déplacement de la curie par César, nous y reviendrons plus loin en parlant de la curie.

Les origines traditionnelles du comitium sont con­nues. Après les combats auxquels mit fin l'interven­tion des Sabines, Romulus, roi de Rome, et T. Tatius, roi des Sabins, conclurent une alliance : les deux, peuples, réunis en un seul, seraient gouvernés par les deux rois. Ceux-ci s'étaient rencontrés entre les deux villes, sur le lieu même où leurs armées s'étaient livré bataille (2). Cet endroit fut dès lors appelé comitium, du mot coire , dans l'avenir il justifia plus encore ce nom en devenant le lieu de réunion des comices ou assemblées politiques.

Notons cependant que Cicéron en attribue la création à Tullus Hostilius et ajoute que, avec le produit des dépouilles ennemies, ce roi l'entoura d'une enceinte (saepsit) .

(1). Das Comitium und seine Denkmüller dans Mittheil., l . c. et p. 283. Le plan de M. Huelsen fait connaître en outre les empla­cements de quelques monument, (basiliques Sempronia, Porcia, tabernae veteres et novae, etc.) qui n'existaient plus sur le forum impérial, et par conséquent manquent sur le plan de ce forum.

(2). Liv., I, 43. Suivant Appien (Hist. rom. Fragm., IV, édit. Didot), l'en­trevue aurait eu lieu sur la voie sacrée.

Si Tullus Hostilius entoura le comitium, ce f ut pour en faire un lieu sacré, déterminé par les augures, c'est-à-dire un temple et, dans ce cas, sa forme fut carrée. Un texte de Tite-Live, mal interprété par Nardini et mieux compris par Piale, a longtemps entretenu l'opinion que le comitium était un édifice pourvu d'une toiture. C'est une erreur : Tite-Live, en effet, raconte qu'il y tomba une pluie de sang, en même temps que sur le forum, et Julius Obsequens, une pluie de lait. On voit des troupes y camper. C'était donc un lieu découvert, il s'étendait devant la curie ou palais du Sénat. Son niveau était plus élevé que celui du forum et on pense, sans que cela soit certain (1), que du forum on y avait accès par des degrés. Pendant le gouvernement des rois et les premiers temps de la République, le comitium fut, à Rome, le centre des affaires civiles et politiques, le forum n'était alors qu'un marché, une place destinée aux jeux et aux combats de gladiateurs, un lieu de promenades. Mais, par suite de l'accroissement de la population, le comi­tium devint insuffisant pour les nombreuses causes judiciaires et des tribunaux en plein air furent établis au forum, en outre, les progrès toujours croissants de la démocratie firent du forum un lieu de vie politique de plus en plus active, dès lors le comitium vit,

(1). Liv, I, 36, 48 ; mais ces textes se rapportent aux degrés de l'escalier de la curie, et non, comme l'ont cru quelques auteurs, aux degrés du comitium.

d'une façon continue, son importance décroître à mesure que grandissait celle du forum, la nouvelle curie, cons­truite par César et par Auguste, restreignit son étendue, enfin, il fut absorbé complètement par le forum, dont Tacite et Pline semblent ne plus le séparer . Les principaux monuments du comitium de la répu­blique étaient la curie, la graecostasis et les rostres, dont nous parierons plus loin.

Sur les degrés de la curie, à gauche, la statue de l'augure Attus Navius avait été érigée à l'endroit même où, défié par le roi Tarquin, il coupa une pierre à aiguiser avec un rasoir. Près de là, un putéal entou­rait le sol dans lequel on avait enfoui la pierre et le rasoir. A côté, on conservait religieusement un figuier parce qu'il avait été frappé de la foudre, et aussi comme, symbole du figuier ruminai sous lequel la louve allaita les deux jumeaux. Le même augure, Attus Navius, con­sacra, sous ce figuier, un groupe en bronze représen­tant les jumeaux et leur sauvage nourrice, comme si, dit Pline, cet arbre vénéré s'était spontanément transporté des bords du Tibre au comitium (1). Pour cette raison, on l'appelait quelquefois ficus Navia, du nom de l'augure. En l'an de Rome 459 (= 293 av. J.-C), on fit, avec l'argent provenant des biens confisqués aux usuriers, un nouveau groupe représentant le même sujet et destiné à être placé près du figuier.

(1). Plin. ( H ist. nat, XVI, 20, 3) ne croit pas à l'émigration miraculeuse du figuier et semble accuser l'au­gure de supercherie.

Quand celui-ci se desséchait, c'était un présage funeste jus­qu'à ce qu'il eût poussé de nouveaux rejetons ou eût été replanté par les prêtres. Le comitium était orné d'un certain nombre de statues : près des rostres, un lion en pierre marquait la place où le berger Faustulus avait été tué et enterré. Suivant une autre tradition, Faustulus aurait été enterré à un endroit du comitium marqué par une pierre noire et destiné à la sépulture de Romulus. D'après le témoignage de Varron, la tombe de Romulus était derrière les rostres à un endroit où, en sou­venir de ce fait, on érigea deux lions. On voyait aussi au comitium une statue de la Sibylle, élevée par Tarquin, et à laquelle deux autres vinrent s'ajouter dans la suite, une statue archaïqne de Porsena, la statue d'Horatius Coclés, transportée plus tard au Vulcanal, celle d'Hermodore d'Éphèse qui avait aidé les décemvirs dans la rédaction de leurs lois et, enfin, les statues en bronze de Pythagore et d'Alcibiade érigées par ordre d'Apollon Pythien pendant la guerre des Samnites (1). Dans la partie du comitium plus voisine de la prison (2) s'élevait la colonne Maenia, dressée en l'hon­neur de C. Maenius, vainqueur des anciens Latins. C'est près de cette colonne que les triumviri capitales avaient leur tribunal et c'est au même endroit que se faisaient les exécutions. Les tribuns du peuple qui, n'avaient pas le droit de pénétrer dans la salle des séances du sénat, avaient leur siège sur le comitium , devant les portes de la curie. Enfin, sur le comitium , en un lieu qu'il est difficile de préciser, le pré­teur avait son tribunal.

Le Vulcanal — Après l'alliance conclue, Romulus et Tatius s'acquittèrent des vœux faits aux dieux pen­dant la guerre. C'est ainsi que Tatius, suivant Denys d'Halicarnasse, ou, d'après Plutarque, Romulus éleva à Vulcain un autel ou un temple. De là le nom de Vulcanal, donné à l'aréa de ce temple ou de cet autel. Le Vulcanal était donc une place (area) décou­verte, un peu plus élevée que le comitium . Il est difficile de déterminer ses limites avec précision. On sait que le premier temple de la Concorde fut cons­truit sur le Vulcanal, et, vraisemblablement, le nou­veau, dont le site est connu , occupa, quoique plus vaste, le même emplacement que l'ancien. Le Vulcanal était donc voisin du forum et un peu au-dessus du comitium , il l'était aussi du lieu où plus tard César construisit son forum. Il se trouvait par conséquent au nord-ouest du forum et à l'ouest du comitium. En 1848, on trouva dans cette région un autel érigé par Auguste à Vulcain en l'an de Rome 745 (= 9 av. J.C.).

Romulus, après avoir triomphé des Camerini, dédia sur le Vulcanal un quadrige en bronze, pris à l'ennemi, et, à côté, sa propre statue couronnée par la victoire avec son elogium gravé en grec. D'après d'anciennes traditions, T. Tatius et Romulus auraient eu des rencontres secrètes sur le Vulcanal et y auraient convoqué les sénateurs . Cette place paraît aussi avoir été, avant le forum, un lieu habituel d'assemblées populaires et on voit encore le décemvir Appius Claudius y convoquer le peuple. Les constructions que l'on éleva dans ce coin de Rome diminuèrent beaucoup l'étendue du Vulcanal : on lui prit l'emplacement du temple de la Concorde et de son aréa, la construction de la basilique Opimia le restreignit encore. Il était orné de statues, on y voyait celle d'Horatius Coclès et sur une colonne, celle d'un acteur tué dans le cirque par la foudre. On y admirait aussi deux arbres que d'anciennes traditions faisaient aussi vieux que Rome : un cyprès qui périt sous Néron, un lotus planté par Romulus et encore vivant au temps de Pline. Tous les ans, probablement le 23 août, pendant la fête des Volcanalia , le peuple apportait sur l' area du vulcanal des poissons qu'on y brûlait comme offrande à Vulcain.

Le temple de Janus — D'anciennes traditions rattachent le temple de Janus et son érec­tion par Romulus à un épisode des guerres des Romains contre les Sabins : Janus aurait mis en fuite les Sabins, prêts à entrer dans Rome, en faisant jaillir contre eux une eau bouillante et sulfureuse (aquae lautulae) . Il semble d'après Ovide que Janus, en récompense de ce service, aurait eu un temple et un autel. Mais le récit de Macrobe donne au temple une origine plus antique : c'est, dit-il, du temple même, déjà existant, que sortirent les eaux. Ce n'est donc pas, comme l'ont cru plusieurs auteurs, la porte de la ville, appelée Janualis à la suite de cet événement, mais la porte même du temple que l'on décida d'ou­vrir pendant la guerre velut ad Urbis auxilium profecto deo. Il existe d'ailleurs d'autres traces de tradi­tions faisant remonter à une antiquité beaucoup plus haute le temple de Janus. Certains auteurs attri­buaient, au contraire, à Romulus et à Tatius l'érection du temple, comme symbole de leur union. Mais Tite-Live et Pline regardent le roi Numa comme son fondateur.

Ce temple avait deux portes, regardant l'une l 'orient, l'autre l'occident appelées belli portae parce qu'elles étaient ouvertes pendant la guerre. Des textes des auteurs, il ressort clairement que le temple de Janus était situé à l'entrée de la large rue appelée Argiletum, à l'endroit où elle s'ouvre sur le forum, entre la curie et la basilique Aemilia. Jusque-là les textes concordent. Mais un passage de Servius remet tout en question. M. Lanciani, avec beaucoup de sagacité, a essayé de concilier les textes avec les documents archéologiques. De ce texte cor­rompu, rempli d'erreurs topographiques et histori­ques, M. Lanciani n'a retenu qu'un passage, confirmé d'ailleurs par d'autres auteurs : le temple de Janus quod Numa instituarat translatum est ad forum transitorium et quattuor portarum unum templum est insti tutum, et voici comment il l'interprète : l'incendié de Néron ayant sérieusement endommagé la curie et pro­bablement aussi le temple de Janus qui en était proche, Domitien conçut un plan grandiose de restauration de ce quartier déjà embelli par César, Auguste et Vespasien. La partie principale de ce plan, dans lequel entrait la reconstruction du temple de Janus, consistait à réunir par un nouveau forum Forum transitorium , le forum magnum et les forums impé­riaux. L'exécution du plan commença par la recon­struction, avec quatre portes, du temple de Janus qu'on orna d'un Janus à quatre faces rapporté de Faléries, et qu'on appela pour cette raison quadrifrons Ce rensei­gnement, donné par Servius, est confirmé par Martial :

Pevius exiguos habitabas ante penates Plurima qua medium Roma terebat iter. Nunc tua caesareis cinguntur limina donis. Et fora tot numeras, Jane, quot ora geris » .

Les quatre forums, égaux en nombre aux quatre visages de Janus quadrifrons, sont : le forum magnum, le forum de César, le forum d'Auguste et le forum transitorium. Stace fait allusion aussi à la situation du temple de Janus par rapport au nouveau forum et Lydus dit que le même temple était de son temps sur le forum de Nerva.

M. Lanciani a trouvé et publié des dessins d'archi­tectes du XV°s. donnant le plan d'un monument d'ordre dorique, avec une frise ornée de bucranes, situé près de Saint-Adrien, il était, à cette époque, encore bien conservé. M. Lanciani y reconnaît le temple de Janus quadrifrons. Ces plans confirmeraient la trans­formation du temple à deux portes en un temple à quatre portes. Un autre dessin de Sangallo, de la fin du XVI°s., montre le même monument mais, d'une note de Sangallo, il résulte qu'à ce moment cet édifice avait déjà cessé d'exister. En effet, ce qui en subsistait fut détruit pendant les années 1503-1504 et employé à la construction du palais du cardinal de Corneto (Hadrianus Castellensis de Corneto), aujour­d'hui palais Torlonia, place Scossa-Cavalli. On peut voir encore, engagé sous le talus nord du forum, un peu avant la voie pavée qui passe devant le temple de César, un fragment de la frise de cet édi­ fice, orné d'un bucrane enguirlandé, de beau style. M. Huelsen, qui croit que l'édifice était un reste de la basilique Aemilia, a signalé cet intéressant frag­ment .

La grosse difficulté, dans la théorie de M. Lanciani, c'est qu'on est obligé de ne pas prendre à la lettre l'expression de Servius, que le temple de Janus fut translatum ad forum transitorium. Le temple, en effet, aurait été reconstruit à la même place et ce fut le Forum qui s'étendit jusqu'à lui. Et encore le temple n'était-il pas dans l'enceinte même du forum, mais dans cette partie de l'Argiletum, longue de 50 m . 39, aussi large que le forum transitorium lui-même, et qui, bordée par la curie d'un côté et de l'autre par la basilique Aemilia, réunissait le forum romain au forum transitorium, dont elle peut être considérée comme le prolongement. Tous les textes seraient ainsi d'accord : et ceux qui donnent au temple de Janus deux portes, et ceux qui lui en donnent quatre, ceux qui le placent sur le forum transitorium aussi bien que ceux qui le disent voisin de la curie, de la basilique Aemilia et du forum romain. Ce serait par suite d'un usage invétéré, peut-être aussi parce que l'ancienne statue de Janus bifrons resta dans le nouveau temple, que l'on rencontrerait dans les auteurs, même après la construction du temple à quatre portes, les expressions Janus geminus pour désigner le temple de Janus.

Les théories de M. Lanciani sur le temple de Janus ont été combattues par MM. Jordan et Huelsen. Le premier interprète les textes autrement que M. Lan­ciani, le second voit dans les dessins non le temple de Janus, mais la basilique Aemilia. Cette discussion porte sur un texte obscur dans son ensemble et sur un ter­rain non déblayé qui garde encore son secret. C'est aux fouilles de la partie nord du forum, depuis longtemps désirées, qu'il appartient de fournir les arguments d'une solution définitive, qui s'impose à tous, comme cela se fit peu à peu pour les autres parties du forum, à mesure qu'on les mit au jour. La vue que nous donnons ici du temple de Janus, sert de type au revers d'une monnaie de Néron. Elle représente par conséquent le temple à deux portes. Le temple contenait une statue très antique de Janus b ifrons ou geminus, dont les deux visages regardaient, comme les deux portes, l'un l'orient, l'autre l'occident, on la disait dédiée par Numa, l'arrangement de ses doigts figurait le chiffre 365, nombre des jours de l'année, indiquant ainsi que Janus était le dieu du temps. Auguste dédia dans le même temple une statue de Janus, couverte d'or et rapportée d'Egypte. Enfin, devant le temple, se dressait un autel.

Fermé, pendant tout le règne de Numa, le temple de Janus ne le fut qu'une fois sous la République après la première guerre Punique. Auguste le ferma trois fois. Pendant la guerre Gothique et le siège de Rome par Bélisaire, des Romains, se souvenant de l'ancienne super­stition, tentèrent de forcer secrètement les portes du temple de Janus.

Le lac Curtius — Varron mentionne d'après différents auteurs trois traditions d'où le lacus Curtius aurait tiré son nom. Pendant la bataille à la fin de laquelle intervinrent les femmes Sabines, un chef sabin nommé Metius Curtius, sur le point d'être pris par Romulus et les siens, s'élança avec son cheval dans le marais qui occupait alors le centre du forum et réussit non sans peine à gagner, sain et sauf, la rive opposée. Suivant d'autres témoignages, un gouffre s'ouvrit au milieu du forum. Les aruspices consultés répondirent que les dieux eux-mêmes exigeaient qu'un citoyen courageux s'y précipitât. Curtius monta tout armé sur son cheval et, partant du temple de la Concorde, s'élança dans l'abîme qui se referma sur lui (1). Enfin, d'après une troisième tradition, le lacus Curtius aurait été un putéal élevé par le consul Curtius autour d'un lieu frappé de la foudre. C'est sans doute cette dernière tradition qui est la vraie, l'imagination populaire forgea des légendes reposant sur des simili­tudes de noms et sur les souvenirs de l'état antique du forum. Le lacus Curtius disparut quand on creusa les égouts qui le mirent à sec .

Curtius ille lacus, siccas qui sustinet aras Nunc solida est tellus, sed lacus ante fuit. (2)

Au même endroit on avait érigé un autel que César fit enlever pour donner un combat de gladiateurs. Mais l'autel fut ensuite rétabli, car il était en place au temps d'Ovide. Le lac Curtius était représenté par un putéal cons­truit au milieu du forum. Chaque année, les citoyens

(1) Tit Live, VII, 6. Tite Live préfère cette tradition a la précédente, avouant toutefois que le manque de documents et l'ancienneté des faits l'empêchent d'en vérifier l'authenticité.

(2) . Ovid., FasL, VI, 403-404 .

de tout ordre venaient, au jour anniversaire de la mort d'Auguste, y jeter des pièces de monnaies votives pour le salut de l'empereur. C'était sans doute un lointain et inconscient souvenir du temps où, les marais exis­tant encore, on y jetait des monnaies comme on avait coutume de le faire dans les eaux sacrées. De même la légende raconte que, quand Curtius se fut précipité dans le gouffre, de nombreux citoyens jetèrent sur lui des fruits et des offrandes. A côté du putéal avaient poussé un figuier, une vigne et un olivier que le peuple aimait et soignait à cause de leur ombrage. Pendant son règne, on érigea à Domitien, au même endroit, une statue équestre qui fut, sans aucun doute, ren­versée quand, après sa mort, le sénat eut condamné sa mémoire. C'est auprès du lac Curtius que Galba fut mis à mort par les soldats.

Le sanctuaire de Venus Cloacina. — Pline raconte que, après le combat, les Romains et les Sabins se puri­fièrent avec des branches de myrte à l'endroit où furent érigées ensuite les statues de Venus Cloacina (de cluere, mot qui, dans le vieux latin, signifie purifier). Ces statues étaient à côté des t abernae novae et près du comitium, c'est-à-dire à peu près l'endroit où la Cloaca maxima entre sous le Forum. Il est probable que Vénus Cloacina n'avait pas sur le Forum un temple, mais seulement un autel ou une base assez vaste pour porter les statues mentionnées par Pline. C'est bien l'idée que donne le type de la monnaie de la gens Mussida avec la légende cloa­ cina — une base en forme de vaisseau sur­montée de deux statues, dont l'une tient un rameau, sans doute une branche de myrte, entre les deux statues, un cippe, peut-être un autel.

— Toutefois Julius Obsequens, si c'est bien de ce monu­ment qu'il parle, l'appelle aedes Veneris et Tite-Live en parle comme d 'un temple en employant l'expression propre Cloacinae. Plaute, on ne s ait t rop pourquoi dit qu'on rencontre les menteurs et les vantards apud Cloacinae sacrum (1). La monnaie qui reproduit le sanctuaire de Vénus Cloacina est de l'année 705 (=49 av. J.-C.). On ne pos­sède aucun renseignement sur le sort de ce monument pendant l'Empire. Si, comme cela paraît probable, c'est bien à Venus Cloacina que se rapporte le texte de Julius Obsequens que nous avons mentionné tout à l'heure, ce petit monument fut complètement détruit en l'an 576 (= 108 av. J.-C.) par un incendie qui consuma plusieurs monuments du forum. Les tradi­tions par lesquelles on a essayé d'expliquer ses ori­gines inconnues prouvent sa haute antiquité.

(1). Curcul, IV, 1,10.

Le temple de Vesta . Beaucoup d'auteurs, dit Denys d'Halicarnasse, attribuent à Romulus la fon­dation du temple de Vesta. Fils d'une Vestale, venu d'Albe où le culte de Vesta, qui avait eu un temple à Troie, avait été apporté par les Troyens ses ancêtres.

Comment Romulus, homme versé dans les sciences sacrées, aurait-il fondé une ville sans y établir ce culte? Tout en reconnaissant la justesse de ces observations, Denys maintient que le temple du forum ne fut pas élevé par Romulus, parce qu'il est en dehors du pomerium de la Roma quadrata et Romulus n'aurait pas pu le bâtir en dehors de sa ville. C'est donc Numa qui en fut le fondateur. Toutefois, avant que celui-ci construisît ce temple commun au Palatin et au Capi­tule déjà protégés par une même enceinte, chaque curie avait son feu et son temple de Vesta.

Le temple de Vesta était sur le forum, près de la fontaine Juturne et du temple de Castor, près de la Voie Sacrée, à côté de la Via Nova. Dans le voisinage du temple un escalier, descendant du Palatin réunissait la Via Nova au forum, Ovide en fait mention et il figure sur le plan antique. Ces renseignements, la forme des substructions mises au jour à l'endroit désigné par les auteurs, le voisinage de la maison des Vestales ne laissent subsister aucun doute sur l'em­placement de l'antique sanctuaire.

Sa forme ronde était un souvenir oublié de l'antique cabane italienne dont des urnes funéraires nous ont conservé l'image.

En effet, l'origine première du temple de Vesta remonte sans doute à cette époque, peu avancée dans la civilisation où les hommes ne pouvaient que très difficilement faire du feu. Il y avait alors, dans chaque centre d'habita­tions, une cabane où l'on conservait le feu public, entre­tenu généralement par les femmes pen­dant que les hom­mes vaquaient en dehors à leurs occu­pations. Delà le feu perpétuel, les Ves­tales et le temple rond qui a conservé, par tradition, la forme de l'antique cabane de roseaux ou de chaume. Ovide paraît bien avoir recueilli une tradition de ces temps antiques, quand il dit du temple de Vesta :

Quae nunc aere vides stipula tune tecta videres Et paries lento vimine textus erat (1) .

Ce qui semble bien aussi indiquer un souvenir de ces temps préhistoriques, c'est ce fait que, si une Ves­tale laissait le feu sacré s'éteindre, elle était frappée de verges par le pontife et on rallumait le feu en frot­tant deux morceaux de bois pris à un arbre heureux. cette origine concorde d'ailleurs parfaitement avec la tradition qui rattache le culte de Vesta à celui du foyer et même la confirme. Peu à peu la forme ronde du temple avait pris, comme le feu perpétuel qu'on y entretenait, un sens symbolique :

(1). Ovid., Fast.,VI, 261-262.

Vesta eadem est quae terra, subest vigil ignis utrique, Significant sedem terra focusque suam (1).

Le temple de Vesta fut donc, dès sa première origine, un édifice rond. Sa toiture en airain de Syracuse avait la forme d'un dôme. Mais ce n'était pas à propre­ment parler un temple, car son emplacement n'avait pas été déterminé par les augures (2) Le temple, au moins celui qui fut reconstruit après le dernier incen­die et dont nous avons les maigres débris, était un périptère rond, avec dix-huit ou vingt colonnes et un diamètre de 17 mètres (3). Il fut trouvé très bien con­servé, une première fois en 1489, puis une seconde fois en 1549, et mis alors dans le triste état où nous l'ont rendu les fouilles de 1816 et de 1876.

(1). Ovid., Fast. VI, 267, 281.

(2) . Gell, XIV, 7; Scrv., ad Aen., VII, 133 , Lanciani attribue ce fait aux premières origines du temple, antérieures à une civilisation assez avancée pour que ces céré­monies religieuses fussent déjà pratiquées. Jordan (Der Tempel der Vesta und das Haus der Vestalinen, p. 15) attribue au temple de Vesta vingt colonnes, par analogie avec le temple rond situé sur les bords du Tibre.

Les fouilles de 1883 ont donné heureusement quelques débris de marbre échappés au désastre qui ont permis de se rendre compte de l'ornementation architecturale. Le temple était élevé sur un podium, les colonnes, d'ordre corinthien, étaient reliées entre elles par un treillis mé­tallique - clathri - et supportaient une frise élégante ornée de bucranes, de rameaux d'oliviers, de vases et d'instruments de sacrifice (1). Dans les fon­dations aujourd'hui découvertes, on voit des morceaux de tuf volcanique qui peuvent appartenir à la plus ancienne construction . On a retrouvé des substructions d'un mur en tuf qui probablement enfermait le temple dans une cour attenant à la maison des Vestales.

Le temple de Vesta est figuré sur beaucoup de monnaies, on y voit souvent la statue de la déesse, par la porte du temple, tantôt debout tantôt assise. Ces monnaies, qui semblent en contradiction avec un texte bien formel, dans lequel Ovide avoue que pendant longtemps il avait cru que la statue de Vesta était dans son temple, ont beaucoup embarrassé les archéologues.

Esse diu slultus Vestae simulacra pulavi : Mox didici curvo radia subesse tholo. Effigiem nullam Vesta nec ignis habent (1).

(1) Fast.,VI, 295-298.

La statue ne devait pas en effet être dans le temple même, mais au dehors, soit entre les colonnes, soit dans un vestibule ouvert, quoique ce petit édifice rond n'ait guère de place pour un vestibule, soit plutôt, comme me l'a suggéré M. R. Cagnât, sur l'autel d'un petit édicule qui se trouve non loin du temple, à l'en­trée de la maison des Vestales (1), il ne faut pas oublier toutefois que les ruines actuelles appartiennent à un édifice qui date de Septime Sévère seulement. La statue de Vesta n'a été malheureusement retrouvée ni près de son temple, ni dans la maison des Vestales. M. Salomon Reinach a, tout récem­ment, reconnu une représentation de Vesta sur un bas-relief gallo-romain de la Côte-d'Or. La déesse se voile les yeux avec les mains, pour les protéger contre la fumée du foyer dont elle est la divinité. C'est cette attitude qui donna naissance à la légende d'après laquelle les statues de Vesta se cachèrent les yeux de leurs mains au moment où la grande Vestale Silvia devint mère :

(1) Je crois que cette difficulté peut être définitivement tran­chée par le rapprochement de quelques textes. La mort de Q. Mucius Scaevola nous est racontée par différents auteurs : Cicéron dit que, quand Scaevola, grand pontife, fut massacré, son sang rejaillit sur la statue de Vesta (Cic, De orat., III, 3). Il est déjà assez probable que le massacre n'eut pas lieu dans ce temple fermé et inaccessible. Suivant Florus, Scaevola tenait embrassé l'autel de la déesse (III, 21) or, nous voyons sur les monnaies, les Vestales sacri­fier sur un autel placé devant le temple et non à l'intérieur. Enfin Lucain dit positivement que Scaevola fut massacré devant le temple : « Ante ipsum penetrale deae » (Phars., Il, 127), I'abréviateur de Tite-Live (Epitom., LXXXVI) ajoute ce détail qui précise davantage : « In vestibulo aedis Vestae occisus est ». Il ressort bien du rapprochement de ces diffé­rents témoignages que la statue de la déesse n'était pas dans l'intérieur du temple. Ovide (l. c.) n'est donc en contradiction ni avec les types monétaires, ni avec un autre texte où lui-même parle de la statue de Vesta (Fast., III, 45).

Silvia fit mater : Vestae similacra feruntur Virgineas oculis opposuisse manus (1) .

Le temple lui-même était fermé et on n'y pénétrait pas, la longue ignorance d'Ovide le prouve et il n'est pas probable que l'on ait représenté ouvert, sur les monnaies, un temple dont le mystère devait rester impénétrable à tout autre qu'aux Vestales (2).

La plus ancienne monnaie qui nous montre le temple de Vesta est un denier de la gens Cassia, appartenant au commencement du VII°° s. de Rome. Le temple rond est couvert d'un dôme surmonté d'une statue, à droite et à gauche, la toiture se termine, à son extré­mité inférieure, par une tête de dragon, peut-être des gouttières. Sur une monnaie de Vespasien, le dôme est surmonté d'une fleur de lotus . La statue reparaît sur le dôme du temple que représentent les monnaies bien connues de Julia Domna. Le dessin que nous donnons est pris sur un médaillon de Lucille.

Outre les monnaies, M. Lanciani a cru reconnaître le temple de Vesta dans des bas-reliefs antiques.

1. Ovid., Fast., III, 45. Sur ce qui précède, cf. Salomon Reinach, Une image de la Vesta romaine, dans Revue archéo­logique, 1897, t. XXXI, p. 313 ss.

Un de ces bas-reliefs, conservé par des dessins de Peruzzi et de Sangallo a été retrouvé plus complet dans l'album de la collection de M. Destailleurs et pu­blié par M. de Geymuller. Les compléments que le nouveau dessin ajoute à l'ancien, rendent l'attribution moins probable. Le second bas-relief a été conservé par un dessin de Ganina. le troisième est encore au musée des Offices à Florence. Ces monuments sont traités avec la licence que les sculpteurs de bas-reliefs apportent d'habitude dans la représentation des édifices, il est difficile de démon­trer avec certitude qu'ils représentent vraiment le temple de Vesta, en tout cas, si on les compare aux monnaies, aux descriptions et aux débris retrouvés, on ne peut nier la grande analogie. A l'aide de ces divers éléments, M. Lanciani, Jordan et Hans Auer ont essayé des restaurations du temple de Vesta. Le temple de Vesta fut plusieurs fois détruit. Il est fort probable que l'édifice bâti par Numa ne survécut pas à l'invasion des Gaulois. A l'approche de l'ennemi, les Vestales enfermèrent dans deux dolium le Palla­dium et les choses sacrées et les enfouirent près de la demeure du flamen Quirinalis, à un endroit qui con­serva depuis le nom de Doliola (1), puis elles se réfuièrent dans la ville étrusque de Caere, l'an de Rome 364 (= 390 av. J.-C). L'an 513 (= 241 av. J.-C.), le temple de Vesta fut incendié une seconde fois.

(1) Ce fut, depuis, un lieu sacré où il était défendu de cracher (Varr., Liv., Festus, l . c ).

Pen­dant que les Vestales fuyaient, le pontife Caecilius Metellus se précipita dans les flammes et réussit à sauver le Palladium, mais il eut un bras à demi brûlé et perdit la vue, dont plus tard les dieux lui rendirent l'usage. Le temple faillit encore être consumé en l'an 544 (= 210 av. J.-C), il fut sauvé par le zèle de treize esclaves, dont l'affranchissement fut la récompense. En 576 (= 178 av. J.-C), pendant un incendie qui détruisit plusieurs monuments du forum, la Vestale chargée de veiller sur le feu sacré, sans doute troublée par le danger, le laissa s'éteindre. Le temple représenté sur les deniers de la gens Cassia est peut-être le même qui fut reconstruit après l'in­cendie de l'an 513, car on ne connaît pas de nouveau désastre avant l'émission de ce denier. Sous le règne d'Auguste, en 740 (= 14 av. J.-C), le temple de Vesta fut menacé par un incendie, au point que les cinq Vestales, suppléant la grande Vestale qui était aveugle, mirent en sûreté au Palatin, dans la maison du flamen dialis, les choses sacrées dont elles avaient la garde. Sous le même règne, le temple fut renversé, ou tout au moins très endommagé par une inondation du Tibre. Auguste l'enrichit avec les dépouilles de l'ennemi . Complètement détruit dans l'incendie de Néron, il fut presque aussitôt reconstruit par le même prince (1). Des monnaies de Vespasien, de Titus, de Domitien, de Lucille, femme de Verus, semblent témoigner de restaurations ou de largesses dont l'histoire n'a pas conservé le souvenir. Enfin le terrible incendie qui éclata sous le règne de Commode, l'an 944 (= 191 ap. J.-C), dévora entière­ment le temple de Vesta avec le temple de la Paix et les monuments voisins. Alors, pour la première fois depuis qu'il avait été apporté de Troie par Énée, on put voir le Palladium que les Vestales transportèrent, par la voie sacrée, du temple en flammes au Palatin. Le temple fui reconstruit par Julia Domna, ses mon­naies nous ont conservé, avec le souvenir de cette reconstruction, la vue du nouveau temple. C'est celui dont on voit encore les substructions, car l'incendie de Carinus ne ravagea pas cette partie du Forum.

Le décret de Gratien, de l'an 383, supprima les allo­cations faites aux Vestales par l'État. Le temple ne fut cependant pas encore fermé. Cet événement arriva à la fin de l'année 1147 (= 394 ap. J.-C), après la défaite d'Eugène par Théodose II. Alors le temple et la maison des Vestales furent confisqués par le domaine et le feu, entretenu depuis plus de mille ans, s'éteignit.

1. On en a pour preuve la monnaie de cet empereur (Cohen, Méd. imp. (2- éd.), Néron, n° 334) et ce fait que, au moment du meurtre de Pison, dix ans après l'incendie, le temple était déjà reconstruit (Tacit., Hist, 1,43).

La regia . — Comme le temple de Vesta, la regia fut fondée par le roi Numa. Elle était située sur la voie sacrée et sur le forum dont, sous la République, elle formait, à l'est, la limite au pied du Palatin, près du temple de Vesta et de la maison des Vestales, derrière le temple de César, construit devant la regia, là où avait été dressé le bûcher du dic­tateur. Ces nombreuses indications topographiques ne permettaient guère aux recherches de s'égarer, MM. Nichols, Jordan et Huelsen leur ont donné une précision complète en pratiquant, en 1886 et 1888, des fouilles heureuses qui ont mis au jour les fondations de l'antique édifice. La regia était le centre de l'administration du sou­verain pontife. C'est là, ou dans un édifice attenant, qu'il avait sa demeure. Là se tinrent, même sous l'Empire, quoique l'empereur, qui était de droit sou­verain pontife, n'y résidât plus, les réunions du collège des pontifes. C'était un lieu consacré qui renfer­mait des chapelles vénérées : un sanctuaire où l'on conservait des armes de Mars (hastae Martis) , quand elles s'agitaient d'elles-mêmes, c'était un présage funeste qu'il fallait conjurer par des sacrifices (1), un sanctuaire d'Ops Consiva, remontant aux plus anciennes traditions religieuses de la royauté et où les Vestales et le sacerdos publicus pouvaient seuls entrer. On y célébrait un sacrifice le 25 août. Les actes des Frères Arvales nous ont conservé le sou­venir d'une séance tenue dans la Regia, le 14 mai de l'an 740 (= 14 av. J.-C), pour la cooptatio de Drusus César, fils de Tibère, à la place de L. Aemilius Paullus. La regia devait renfermer de riches archives : sans aucun doute les annales, les commentant et les acte des pontifes et aussi les documents et registres relatifs à la rédaction du calendrier et des fastes. Les fastes consulaires et les fastes triomphaux furent gravés sur l'angle sud-ouest de son mur extérieur, les pre­miers en l'année 718 (= 36 av. J.-C), les seconds entre les années 736-742 (= 18-12 av. J.-C).

1. Cf. le sénatus-consulte de l'an 655. (= 99 av J.-C.) dans Gell., IV, 6; l'auteur attribue le mouvement des lances à un tremblement de terre. Pendant la nuit qui précéda la mort de César, elles s'entre-choquèrent avec un grand bruit : Dio, XLIV, 17. Ce prodige, se renouvelait de temps en temps.

La regia, voisine du temple de Vesta, subit les mêmes vicissitudes, elle fut sans doute détruite par les Gaulois. Elle périt dans ce grand incendie de l'an 544 (= 210 av. J.-C.) où le temple de Vesta faillit briller, et l'année suivante, sa reconstruction fut mise en adjudication. En l'an 606 (— 148 av. J.-C), elle fut consumée par un nouvel incendie, toutefois, le sacrarium (probablement celui des armes de Mars) et un des deux lauriers qui poussaient à côté furent miracu­leusement préservés. Après un autre incendie, en l'an de Rome 718 (= 36 av. J.-C), elle fut reconstruite avec un grand luxe par Cn. Domitius Calvinus. Vingt-quatre ans plus tard, Auguste, élu Grand-Pontife et n'en continuant pas moins à résider sur le Palatin, donna aux Vestales la partie de la regia dont il n'avait plus besoin, c'est-à-dire la maison qui jusque-la avait servi de demeure au ponlifex maximus et qui était ô^toi^oç avec celle des Vestales 5 .

On avait déjà retrouvé les fondations de la regia reconstruite sous Auguste par Calvinus, quand des fouilles plus récentes mirent au jour des substructions du temps de la République, assez voisines de la maison des Vestales pour avoir été ô^to^qç, il est assez vraisemblable que ce sont là les restes de la maison du summus pontifex, donnée par Auguste aux Vestales. Jordan cependant croit au contraire que la regia donnée par Auguste aux Vestales est la regia proprement dite, l'ancienne regia de la République devenue inutile par suite de la construc­tion de la nouvelle regia de Calvinus. Il faut toute­fois, pour admettre cette opinion, supposer que Calvinus déplaça la regia, ce qui est peu probable, que l'incendie qui précéda la reconstruction de Calvinus ménagea assez l'ancienne regia pour qu'elle ait pu être restaurée, ou que le terrain seul fut donné aux. Vestales, ce que le texte de Dion ne permet guère d'admettre. La regia de Calvinus fut incendiée, comme le temple de Vesta, sous Néron. Si elle ne périt pas complète­ment dans cet incendie, celui de Commode dut l'achever. Elle fut probablement reconstruite par Septime Sévère et Caracalla en même temps que la maison des Vestales. Aucune monnaie, aucun monument ne nous a con­servé l'image de la regia, un fragment du plan antique en donne quelques traits, sans valeur pour sa reconsti­tution. Nous savons que Calvinus l'avait ornée de statues extorquées à César et que, devant elle, étaient placées deux des quatre statues qui soutenaient la tente d'Alexandre (1). Les dernières fouilles ont permis de reconnaître sa distribution intérieure et nous ont appris que Calvinus l'avait reconstruite en marbre massif. A l'aide des débris retrouvés, plusieurs archéologues ont essayé de la reconstituer.

(1). Plin., Hist nat, XXXIV 18, 8. Les deux autres étaient devant le temple de Mars Ultor.

CHAPITRE IV

HISTOIRE DES MONUMENTS FONDÉS PAR LES CINQ DERNIERS ROIS

La curie , l 'atrium Minervae, le secretarium senatus.

— Le lieu où plus tard s'éleva la curie était, à l'origine, occupé par un bois, un antre tapissé de lierre et une source où s'abreuvaient les chevaux de guerre, Tarpeia venait y puiser l'eau pour le culte de Vesta quand elle y rencontra Tatius. En ces temps éloignés, quand le temple de la déesse n'était lui-même qu'une cabane où l'on entretenait le feu public, l a curie, nous dit Ovide, était une hutte de chaume (1).

Curia , consilio quae nunc dignissima tanto est, De stipula, Tatio regna tenente, fuit.

Là se réunissaient les rustiques sénateurs vêtus de peaux de bêtes (2).

Curia, praetexto quae nunc nitet alta senatu, Pellilos habuit, rustica corda, patres.

(1) Ovid., De art. amat, III, 117-118.

(2) Propert., IV, 1. 12.

Plus tard nous voyons les deux rois alliés les con­voquer sur le Vulcanal. Tullus Hostilius le premier éleva un palais du Sénat qui, de son nom, s'appela jusqu'au temps de César, curia Hostiiia . Ce palais fut construit sur le comitium, on y montait par des degrés, la façade était tournée vers le forum, c'est-à-dire vers le sud et, comme le Sénat ne pouvait légalement prendre de décisions que dans un temple, la curie était augurée.

On sait très peu de chose sur cette première curie, après avoir franchi les degrés, on y pénétrait par un vestibule. M. Valerius Messala, en l'année 490 (= 264 av. J.-C), fit peindre sur un de ses murs exté­rieurs, ou tout à côté (in latere curiae) un tableau représentant sa victoire sur Hiéron de Syracuse. Dès lors, ce coin du comitium , connu sous le nom de Ad tabulant, Valeriam, est plus d'une fois mentionné par les auteurs.

Après un incendie la curie Hostilia fut reconstruite par Sylla, en l'année 674 (= 80 av. J.-C), sur un plan nouveau, sans doute plus grandiose. Deux statues qui se trouvaient jusque-là in cornibus comitii disparu­rent par suite de cette construction, ce qui prouve bien que, tout au moins, le nouvel édifice dépassait l'emplacement de l'ancien. Il semble résulter d'un texte de Cicéron que le monument de Sylla succéda directement à celui d'Hostilius. Pas plus que l'ancienne, la nouvelle curie n'était pourvue d'appareils de chauf­fage, et on fut un jour obligé de lever la séance à cause du froid.

Cette nouvelle curie n'eut pas une longue durée : en l'année 702 (=52 av. J.-C), les partisans de Clodius apportèrent sur les rostres le cadavre du tribun puis, dans la salle même des séances du Sénat, lui firent, avec les sièges des sénateurs, les bancs et les tables de la salle, les livres des archives, un bûcher dont les flammes, en même temps que le corps, consumèrent la curie, plusieurs maisons voisines et la basilique Porcia .

Peu de temps après ces événements, Pompée, rap­pelé à Rome, convoqua le Sénat dans le portique attenant à son théâtre, au Champ de Mars. Là, il fut décidé que Faustus, fils de Sylla, serait chargé de reconstruire la curie incendiée et que, du nom de cette famille qui, deux fois, l'aurait relevée, la curie s'appellerait désormais curia Camélia . Il est difficile de savoir jusqu'où Faustus poussa ses tra­vaux. En tout cas, quelques années plus tard, on fit détruire de nouveau la curie sous prétexte de con­struire un temple à la Félicité; temple dont l'exécution fut confiée à Lepidus pendant qu'il était maître de la cavalerie. En réalité, César ne voulait pas que le nom de Sylla demeurât attaché à la curie à laquelle il désirait au contraire donner la dénomination de curia Julia. Aussi, en l'année 710 (=44 av. J.-C), il se fit charger de relever la curia Hostilia qui désormais s'appellerait Julia. Les travaux ne commencèrent pas tout de suite, d'ailleurs la mort de César, arrivée cette année même, explique parfaitement ce retard. L'année suivante, le Sénat, effrayé par une série de prodiges funestes, après une délibération de trois jours, décréta de nouveau que la curia Hostilia serait relevée, en 712 (= 42 av. J.-C), les triumvirs se mirent à l'œuvre, donnant à la nouvelle curie, conformément au décret de l'an 710 le nom de curia Julia.

La curia Julia occupa-t-elle exactement le même emplacement que l'ancienne curie? C'est une question difficile, qui divise les archéologues. Tout en étant convaincu que la curia Julia, plus grande sans doute que l'ancienne curie et autrement orientée, s'éleva cependant sur le même emplacement, je dois recon­naître que les documents ne sont pas assez clairs pour permettre d'établir une solution qui s'impose et mette fin aux divergences d'opinion. Ce qui est certain et admis par tous, c'est que la curia Julia remplaça la curia Hostilia qui disparut, qu'elle fut construite sur le comitium , plus somptueuse et plus grande, et probablement, différemment orienté. En dehors de ces points acquis, on n'a rien de nouveau demander aux textes. Ici encore nous devons attendre les fouilles et le déblaiement du côté nord du forum, étant donnée la manière dont bâtissaient les Romains, on retrouvera les substructions, superposées ou espacées, des divers édifices qui se sont succédé. Alors seulement on saura avec certitude si les deux curies ont occupé le même emplacement, on saura aussi quelles étaient les dimensions du comitium , et si, placé devant la curie, il s'étendait cependant aussi loin vers le nord que le pense M. Huelsen.

La curia Julia, commencée par les triumvirs, fut achevée par Auguste qui la dédia en l'année 725 (= 29 av. J.-C), cette même année, Auguste célébra trois triomphes et ferma le temple de Janus. Il orna la nouvelle curie de deux grands tableaux signés l'un par Nicias, l'autre par Philocharès. Au centre de la curie, il plaça une magnifique statue de la Victoire, apportée autrefois de Tarente et ornée avec les dépouilles de l'Egypte et, devant la statue, il érigea un autel qui fut consacré le 28 août de la même année. C'est ce même autel qui, à la fin du IV°s., souleva de si vives discussions entre les païens et les chrétiens, ceux-ci demandant qu'il disparût de la salle des séances où ils siégeaient. La curie était encore ornée de boucliers offrant, en bustes, les portraits des citoyens auxquels le Sénat avait décrété cet honneur (1).

(1)Le bouclier sur lequel était représenté le buste de Claude II dans le sénat était en or et orné de palmes.

A la curie, Auguste ajouta un portique ( chalcidicum) y attenant (curiam et continent ei chalcidicum) appelé chalcidicum Minervae par Dion Cassius. Ce portique fut sans doute ajouté à la curie pour lui donner, conformément au précepte de Vitruve, des proportions harmonieuses. Il est probable qu'il faut l'identifier avec l' atrium Minervae que les catalogues placent près du Sénat. M. Huelsen le reconnaît dans le por­tique couvert qui sépare la curie du secretarium senatus . M . Lanciani au contraire a cru retrouver ce portique dans un dessin de Sangallo : ce serait le portique rectangulaire dont les restes ont été reconnus derrière la curie, un de ses petits côtés, com­posé de trois colonnes, ouvrait sur l'Argiletum. Au fond du grand côté faisant face au mur de derrière de la curie, s'ouvrait une niche avec un piédestal sup­portant la statue de Minerve. Une inscription, d'ori­gine inconnue qui mentionne l'érection, après un incendie, d'une nouvelle statue de Minerve, provient peut-être de l' atrium Minervae.

La curia Julia dut souffrir de l'incendie de Néron, si elle y périt complètement, au moins put-on sauver la statue de la Victoire et les deux peintures dont Auguste l'avait ornée, car Pline décrit plus tard ces peintures comme existant encore de son temps. En tout cas, une reconstruction de la curie est attribuée à l'empereur Domitien. Elle fut de nouveau détruite par un incendie sous Carinus et reconstruite par Dio­clétien. On a retrouvé, à différentes époques, des ins­criptions et des bas-reliefs qui ont dû appartenir à ce nouvel édifice. Une inscription monumentale, entre autres, mentionnant une voûte auri fulgore decoratam paraît avoir fait partie des inscriptions commémoratives de la reconstruction de Dioclétien. La curie de Dioclétien resta à peu près intacte jusqu'au VI° siècle.

C'est à cette époque que le pape Honorius I er en fit l'église San Hadrien. Cette église, au moins à l'extérieur, est encore la curie de Dioclétien. Nous en donnons un dessin exécuté par Du Perac qui a vu le monument au XVI°s dans un temps où il était plus dégagé  qu'aujourd'hui et conservait des restes plus nombreux de son ancienne ornementation (1). La maçonnerie était revêtue de briques cou­vertes de stuc sur lequel on avait imité les joints des pierres de taille, il en existait encore quelques restes au temps de Du Pérac. La corniche, également en briques recouvertes de stuc, repose sur une série de consoles en marbre. Aujourd'hui l'encadrement en marbre de la porte a disparu, la porte de bronze, qui figure encore sur le dessin de Du Pérac, a été enlevée et transportée par Alexandre VII à Saint-Jean-de-Latran. L'identification de l'église San Adriano avec la curie de Dioclétien est absolument démontrée et au point de vue topographique et au point de vue archi­tectural . Mais on possède, sur la curie de Dioclétien, des documents d'une plus grande importance que le dessin de Du Pérac. Ce sont des dessins d'Antonio da San­gallo, de Baldassare Peruzzi et de son fils, trouvés et publiés par Lanciani. Nous avons reproduit plus haut le dessin d'Antonio da Sangallo donnant un plan relevé au XVI° s. de la curie de Dioclétien et de ses dépendances.

(1) La porte de la curie aurait été précédée d'un portique de dix colonnes, surélevé de cinq marches.

L'ensemble de ces bâtiments formait un rectangle, long de 51 m. 28 et large de 27 m. 54. La façade s'ouvrait sur le comitium , du côté opposé, les constructions étaient adossées à un mur de tuf et de travertin qui appartenait à l'en­ceinte du forum de César, à droite étaient l'Argiletum et le forum de Nerva, à gauche s'étendait une place en bordure sur la rue qui passait devant la prison, clivus argentarius . La curie ou salle des séances du Sénat est occupée par l'église San Adriano. C'est une salle longue de 25 m. 20 sur 17 m. 61. Les dix colonnes qui divisent l'église en trois nefs et l'abside sont modernes, aux murs sont appliqués des pilastres corinthiens antiques en marbre, deux de chaque côté, et en plus ceux des coins. Chaque angle de la salle est flanqué, à l'extérieur, de massifs de maçonnerie carrés, qui soutenaient sans doute cette voûte auri fulgore decoratam dont il a déjà été parlé plus haut dans l'un de ces massifs était un escalier. Il est diffi­ cile de déterminer l'usage précis de la salle suivante, c'était un vestibule ou peut-être une cour, elle est traversée aujourd'hui par la via Bonella, qui ne date que de la fin du XVI° s. Il est probable, quoique les dessins ne l'indiquent pas, que cette partie communiquait avec la curie. Venait ensuite un portique couvert, long de 26 mètres, large de 7 m. 47, séparé en deux nefs par six piliers carrés, correspondant à des pilastres appuyés aux murs, et soutenant sans doute une voûte à arêtes. Ce portique communiquait, par une grande arcade mon­tant jusqu'au toit, avec la dernière salle, dont la destination nous est connue : c'était le secretarium senatus, aujourd'hui l'église Santa Martina. Le secretarium était une salle longue, de: 18 m,17large de 8 m,92, en forme de basilique, terminée par une abside circulaire. C'est là, si l'on en croit une note de Sangallo, que furent trouvés les bas reliefs exposés aujourd'hui dans l'es calier du palais des Conservateurs, qui ornaient l'arc de Marc-Aurèle. On a retrouvé en place l'inscription mentionnant la reconstruction, sous Honorius et Théodose, du secretarium amplissimi senatus, qui avait été construit par Flavianus, vir inlustris, puis détruit, par un incendie. L'inscription nous donne à peu près la date de la restauration, vers 412 ap. J.-C; quant à la première construction, on ne sait pas auquel des Flaviani, qui furent préfets de Rome, il faut l'attribuer. Une autre note de Sangallo nous apprend que le Secretarium était construit en travertin, d'où il faudrait conclure que le Flavianus du IV°siècle, à qui l 'inscription attribue la construction du Secretarium se serait borné, comme on le faisait souvent de son temps, à adapter à un nouvel usage une dépendance de la curie. M . Mommsen a émis l'opinion partagée par M. G. B. le Rossi et Gatti que, au VI°s.siècle, le secretarium senatus avait changé de destination et était devenu Atrium libertatis.

Le senaculum - On ignore com­plètement à quelle date remonte le senaculum, mais il est naturel d'en parler après la curie, car il fut, comme elle, à l'usage des sénateurs. Il était situé entre le Capitole et le forum, vers l'endroit où s'éle­vèrent le temple de la Concorde et la basilique Opimia, plus haut que la Graecostase, devant l'autel de Saturne situé sans doute près de son temple. Tous ces renseignements nous permettent de placer le sénaculum sur le Vulcanal, ou peut-être, comme le dit M. Huelsen, sur l'extrémité sud-ouest du comitium qui confinait au Vulcanal. Il est impossible de marquer avec probabilité un emplacement On ne sait pas davantage si le senaculum était une place découverte, un portique ou un édifice (1). Son usage n'est pas déterminé avec plus de précision. C'était, suivant quelques auteurs, un simple vestibule ou salle d'attente du Sénat, là en effet, d'après Valère Maxime, des sénateurs, dans les temps anciens de discipline et de mœurs austères, avaient l'habitude de se réunir, afin d'être prêts à entrer, à la première invitation, dans la salle des séances, sans attendre 1a convocation par édit.

(1) Cf. Nichols, The rom. Forum, . 168. Il paraît cependant plus probable que ce fut un édifice.

D'autres pensent, avec plus de vraisemblance, que le senaculum du forum était le lieu où les sénateurs conféraient avec les tribuns, auxquels l'entrée de la curie était interdite, cette opinion est autorisée par un texte de Festus, et aussi par le fait que les sénateurs entendaient, dans un autre senaculum, au temple de Bellone, ceux des ambassadeur des nations étrangères auxquels on ne permettait pas d'entrer dans la ville ou les personnages soumis à 1a même défense. II existait un troisième senaculum près de la porte Capène.

La pila Horatia. - Après la défaite des Albins, ou plutôt des trois Curiaces par le dernier des Horaces, le roi Tullus Hostilius fit attacher, en guise de trophée les armes des Curiaces à un pilier que, au temps d'Auguste, on voyait encore à l'angle d'un des deux portiques du forum. Le vieil Horace, pour exciter 1a pitié du peuple et lui arracher une sentence favorable à son fils, meurtrier de sa sœur, montrait ce trophée en rappelant la victoire qui avait sauvé Rome. Le temps avait détruit les armes, mais, à l'époque de Denys d'Halicarnasse et de Tite-Live, le pilier existait encore et avait conservé le nom de pila Horatia. On s'est demandé s'il ne fallait pas reconnaître ce pilier dans une base carrée, située à l'angle nord-est du por­tique de la basilique Julia, au point d'intersection le la voie sacrée et du vicus Tuscus. Mais il est beaucoup plus probable que cette base servait de piédestal à une statue. M. Otto Gilbert pense que la pila Horatia dut être érigée à la limite nord du forum, près de l'endroit où s'élevèrent plus tard les tabernae novae, du côté par où elles se rapprochaient du comitium. A ce dernier endroit, en effet, la gens Horatia éleva plus tard un autre monument consacré à sa gloire : la statue d'Horatius Codes.

La prison , le Tullianum, les Lautumiae, les scalae Gemoniae. — La prison était située à un endroit d'où elle dominait le forum, à côté du temple de la Concorde, près d'un escalier qui descendait du Capitole. Ces indications et les restes qui subsis­tent concordent parfaitement avec l'attribution de la prison aux églises San Pietro in Carcere et San Giuseppe de Falegnami. A la suite d'un accroissement de la population, Ancus Marcius fut contraint à la construire à cause de l'audace croissante des malfaiteurs et pour réprimer les crimes et les attentats. Elle était composée d'une série de cellules dont une subsiste encore, creusée dans le roc et construite en grosses pierres bien appareillées, avec une voûte Sous cette cellule s'étend un cachot souterrain, voûté, de forme ronde, qui ne communique avec la cellule supérieure que par un trou pratiqué dans la voûte. C'est par ce trou qu'étaient précipités les condamnés: parfois on les étranglait, souvent aussi on les laissait mourir de faim. Beaucoup de condamnés périrent dans le Tullianum : dans le nombre, les complices de la conjuration des Gracques et ceux de la conjuration de Catilina , Sabinus et ses esclaves, Séjan et ses enfants. Les chefs ennemis qui jusque là en avaient fait partie, étaient conduits dans la prison, et mis à mort, sauf les cas peu fré­quents où le triomphateur leur faisait grâce. Ainsi périrent Jugurtha, Vercingétorix, Simon. Ce cachot souterrain était une citerne, transformé en prison, il fut attribué à Servius Tullius vraisemblablement à causé de son nom Tullianum. On lui donnait aussi le nom de carcer inferior. Salluste nous en a laissé une horrible description, (encore exacte aujourd'hui). Sur la façade qui regarde le Forum on lit encore une inscription gravée en souvenir d'une restauration faite pendant le règne de Tibère, sous consulats de C. Vibius Rufinus et M. Cocceius Nerva, L'appellation vulgaire de la prison désignée aujourd'hui sous le nom de prison Mamertine date du moyen âge seulement. A côte de la prison d'Ancus Marcius, il existait une autre prison appelée Lautumiae, par analogie avec les célèbres prisons de Syracuse, parce que, comme elles, elle était établie dans d'anciennes carrières. On y enferma des prisonniers de guerre et Sabinus demanda comme une faveur d'y être transféré, elle était sans doute moins rigoureuse que l'autre. On arrivait à la prison par un escalier dont l'emplacement exact n'est pas encore bien déterminé. C'étaient les scalae Gemoniae. Leur nom revient souvent dans les récits des historiens. On y exposait les cadavres des suppliciés. Pline les appelle gradus gemitorii, nom qui rappelle le pont des Soupirs.

La cloaca maxima . — Commencée par Tarquin l'Ancien à l'aide d'ouvriers appelés d'Êtrurie et conti­nuée après lui, la cloaca maxima se rattache à tout un système d'égouts, dont elle est le plus considérable,destiné à dessécher non seulement le forum, mais toute la plaine où s'établissaient peu à peu les populations descendues des hauteurs. Pline loue déjà sa solidité, qui a résisté à tant de siècles. Strabon, non sans quelque exagération, dit que, par endroits, un char plein de foin aurait pu y passer. Agrippa, pour pousser jusqu'au Tibre les immondices qu'elle, recevait, y lança les eaux de sept rivières. Elle, apparte­nait à tout un ensemble d'égouts qui faisaient dire à Pline que Rome était une ville suspendue sous laquelle on naviguait. Théodoric fit réparer les égouts de Rome, qui, en ce temps-là, excitaient encore la même admi­ration. La cloaca maxima entre sous le forum près de l' Argiletum , passe à peu près sous la base de statue dont on voit les débris sur l'aréa du forum, sous la voie sacrée et sous l'extrémité orientale de la basilique Julia où l'on a pratiqué un regard qui permet de se rendre compte de son admirable construction. Dans un travail récent, M. Lanciani a déterminé le trajet de la cloaca maxima sous le forum de Nerva et le point précis où elle pénètre sous le forum romain un peu à droite de Saint-Adrien. Au sortir du forum, elle traverse le Vélabre, laissant le vicus Tuscus un peu à gauche puis, après un détour vers l'ouest, pénètre sous le Forum boarium , passant sous l'emplacement de l'arc de Janus Quadrifrons, et enfin débouche dans le Tibre, sous la place Bocca della Verita, près du ponte Rolto, au pied, ou à peu près, du petit temple rond appelé aujourd'hui Santa Maria del Sole. Les portiques, les boutiques, les Maeniana. - Tar­quin entoura le forum de portiques, c'est-à-dire qu'il distribua aux particuliers le terrain qui s'étendait autour du forum, avec charge d'y bâtir des boutiques et de les orner de portiques (1), il est probable que toutes ces constructions étaient édifiées sur un plan uniforme.

Plus tard les portiques eurent un étage supérieur formant une galerie couverte ou des loges, d'où l'on pouvait suivre les jeux qui se donnaient sur le forum. On appela ces loges maeniana, du nom de Maenius, le premier qui en ait fait construire. Les maeniana du forum romain, situés à l'endroit appelé sub veteribus, c'est-à-dire devant les tabernae veteres , dont nous parlerons tout à l'heure, étaient ornés de peintures de Sérapion. Il exista, aussi, aux tabernae veteres, une peinture qui représentait un Gaulois tirant la langue d'une façon hideuse et dont le pendant se voyait, en face, aux tabernae novae . D'ailleurs l'habitude se répandit de bonne heure d'or­ner le forum de tableaux et ils n'étaient pas tou­jours du goût le meilleur : un de ces tableaux repré­sentait un berger avec sa houlette, un ambassadeur des Teutons que l'on interrogeait sur sa valeur, répon­dit qu'il n'accepterait pas l'original, même vivant et pour rien. Parmi les boutiques qui s'élevaient sur le forum, deux groupes sont particulièrement connus : ce sont les tabernae veteres et les tabernae novae .

Nous savons par un texte de Tite-Live que la basi­lique Sempronia occupait l'emplacement de la maison de Scipion, près de la statue de Vertumne et à côté des tabernae veteres . Or la statue de Vertumne était sur le vicus Tuscus et on sait que la basilique Sempronia fut absorbée dans la construction de la basilique Julia. Ce texte nous permet donc de placer les tabernae veteres le long de la voie sacrée, à peu près à la place où fut plus tard le por­tique de la basilique Julia. Lorsque le soleil devenait insupportable aux promeneurs qui erraient sub novis, c'est-à-dire devant les tabernae novae, ils allaient chercher un peu de fraîcheur sub veteribus, c'est-à-dire devant les tabernae veteres . Que conclure de ce fait, sinon que les tabernae veteres étaient en bordure sur le côté sud du forum où elles projetaient leur ombre? Renseignement qui concorde avec les précédents. Quant aux tabernae novae, le même texte démontre que, inondées par les rayons du soleil, elles étaient sur le côté nord du forum. Et en effet Tite-Live dit que, derrière elles, on construisit la basilique Aemilia. On sait aussi que le père de Virginie, après avoir entraîné sa fille près du sacrarium de Vénus Cloacina, à côté des tabernae novae, saisit, pour l'en frapper, le couteau d'un boucher qui occupait l'une de ces boutiques, or ce sanctuaire était également sur le côté nord du forum. Les tabernae novae étaient ainsi appelées parce qu'elles avaient été reconstruites après un incendie qui éclata sur plusieurs points du forum à la fois (544= 210 av. J.-C.). Avant l'incendie, elles étaient au nombre de sept, mais on n'en releva que cinq qui furent occupées par des orfèvres. On les appelait aussi tabernae plebeiae parce qu'elles furent construites par les soins des édiles M. Junius Brutus et L. Opius.

Nous avons vu plus haut que les boutiques furent construites par des particuliers sur le terrain que leur avait donné le roi; cependant certaines appartenaient à l'État, car, après l'incendie des sept boutiques, leur reconstruction fut mise en adjudication par les cen­seurs. Les boutiques souffrirent, plus encore que les grands édifices, des incendies fréquents qui dévastèrent le forum romain, il serait sans intérêt de rechercher les désastres, qui détruisirent ces humbles constructions. Simples boutiques d'un marché à l'origine, elles devinrent plus riches à mesure que le forum devint lui-même un centre de promenade et d'affaires, les banquiers et les orfèvres y remplacèrent les bouchers, les marchands de comestibles et les maîtres d'école et on leur distribua, pour orner le forum aux jours de : fête, les boucliers dorés pris aux Samnites. On ne peut pas assigner de date à ce changement qui se fit sans doute lentement et progressivement, la mention la plus ancienne qui soit faite des boutiques des ban­quiers remonte au triomphe de L. Papirius Cursor, en l'année 445 (= 309 av. J.-C.). Nous savons par Tite-Live que sous Tarquin le forum fut entouré de boutiques et qu'il en était encore ainsi au temps où Hannibal assiégeait Rome, la phrase même de Tite-Live, dans ce dernier passage, fait entendre que, de son temps, ces boutiques n'existaient déjà plus. Et, en effet, elles disparurent peu à peu vers la fin de la République pour faire place aux grandes constructions publiques. Les jours de deuil et les jours de comices on fer­mait les boutiques, on les ornait les jours de fête et les jours de triomphe.

CHAPITRE V

DE L'EXPULSION DES ROIS A LA PRISE DE ROME PAR LES GAULOIS

Temple de Saturne. — Les Tarquins laissèrent le forum complètement desséché, entouré de portiques et orné de temples, déjà conforme au type traditionnel du forum romain. C'est peut-être aux Tarquins aussi qu'on doit le temple de Saturne, tout au moins cer­tains auteurs le leur attribuent. En tout cas il fut dédié sous la République, d'ailleurs ses premières origines, plus anciennes que celles de Rome même, remontent aux temps mythologiques.

Le temple de Saturne était situé entre trois rues : le vicus Jugarius à l'est, la voie sacrée à l'est et au nord, le Clivus Capitolinus à l'ouest. Son identification avec le temple à colonnes ioniennes dont le portique hexastyle est encore debout dans l'espace circonscrit par ces trois voies antiques, est certaine. Plusieurs textes très explicites et surtout un passage décisif de l'inscription d'Ancyre plaçant la basilique Julia entre ce temple et le temple des Castors ne laissent subsister aucun doute. D'ailleurs les fragments du plan antique nous montrent par la coïncidence des lignes qui se continuent d'un édifice à l'autre, la basilique Julia placée, comme le dit l'inscription d'Ancyre, inter aedern Castoris et aedem Satumi, et le temple de Saturne lui-même, conformément à un texte de Servius, ante clivum Capitolinum, juxta Concordiae templam.

Suivant Denys d'Halicarnasse, des Grecs conduits par Hercule érigèrent au pied du collis Saturnius (plus tard le Capitole), sur lequel ils s'étaient établis au milieu des ruines de la ville jadis fondée par Saturne un autel à Saturne, sur lequel, à l'époque romaine, on continuait à sacrifier suivant le rite grec, dans le temple même, d'après un usage remontant à la plus haute antiquité suivant Macrobe et Festus, les Romains sacrifiaient la tête découverte.

Les traditions sur l'époque à laquelle le temple s'éleva au même endroit que l'autel, sont multiples, on l'attribua à Tullus Hostilius. Selon d'autres, Tarquin en aurait ordonné la construction (1), mais la dédi­cace en aurait été faite, après l'expulsion des rois, par T. Lartius, dictateur en l'année 253 (= 501 av. J.-C.), ou par Posthumius Cominius, consul la même année. D'autres rapportent que les travaux en auraient été adjugés par T. Lartius, consul de l'année 256 (= 498 av. J.-C.). Aulu-Gelle a retrouvé un sénatus-consulte chargeant de la construction du temple L. Furius, tri­bun des soldats en l'an 373 (= 381 av. J.-C.). Mais la date qui semble devoir être admise pour la dédicace est le jour des Saturnales (le 18 décembre) de l'année 257 (= 497 av. J.-C), datée par les noms des consuls A. Sempronius Alratinus et M. Minicius.

Le temple de Saturne fut reconstruit, à la demande de l'empereur Auguste, par les soins de. L. Munatius Plancus Les débris qui en subsistent appar­tiennent probablement à cette reconstruction mais, comme l'indique l'inscription qu'on lit encore, le temple fut, à la suite d'un incendie, très vraisemblablement l'incendie de Carinus, de nouveau restauré.

(1). Dionys., VI, 1 .Suivant Varron( ling.lat.V, 74) Tarquin aurait élevé un autel à Saturne.

Cette dernière restauration doit en effet avoir été exé­cutée à une basse époque, car les colonnes redressées sans soin et sur des bases inégales et d'autres détails de la construction marquent un temps de décadence.

Suivant Macrobe, l'usage existait d'orner le faîte les temples de Saturne de tritons embouchant la trompette, l'auteur ne fait peut-être que généraliser une particularité du temple du forum. La façade regar­dait le nord, on y montait par un escalier monu­mental. Le temple était prostyle exastyle.

Le Trésor public était déposé dans le temple de Saturne et s'appelait pour ce motif aerarium Saturni. La chambre du Trésor se trouvait sous le temple dans le soubassement. Les questeurs, chargés de l'adminis­tration du Trésor sous le contrôle du Sénat, conser­vaient dans les archives du temple, les livres des recettes et des dépenses et leurs comptes, on dépo­sait dans les mêmes archives une partie des registres de l'état civil, les lois et les sénatus-consultes . Dans le Trésor aussi on gardait les étendards des légions . Les paiements s'y faisaient au poids avec une balance. C'est au temple de Saturne que les questeurs prêtaient serment avant d'entrer en charge. Les auteurs anciens font souvent mention d'un aerarium sanctius conservé dans le temple de Saturne. Ce n'était pas un second Trésor avec un local spécial mais un simple fonds de réserve.

Devant le temple de Saturne s'étendait une place appelée area Saturni , les praetores aerarii . Calpurnius Piso et M. Selvius en rectifièrent les limites elle était entourée de stèles portant des textes de lois gravées sur bronze et d'une balustrade. Sur l'aréa, à côté de l'autel de Saturne, avait été élevé un sacellum Ditis . Les cendres d'Oreste apportées d'Aricie, y reposaient, il y avait aussi, sur l' area Saturni une statue de Silvain à l'ombre d'un figuier que l'on dut arracher après les cérémonies religieuses requises parce que ses racines menaçaient de renverser statue. Derrière le temple s'élevait, près du vicus Jugarius un autel à Ops et à Cérès, érigé le 10 août de l'an de Rome 760 (= 7 après J.-C.) » sans doute à l'occasion d'une grande famine qui, cette même année, éprouva l'Italie. Le jour anniversaire de l'érection de cet autel était férié.

Une inscription publiée par Gruter et, d'après lui, par Orelli, a longtemps autorisé l'opinion que le temple de Saturne était aussi sous le vocable d'Ops, sa femme d'après la mythologie : aedes Opis et Saturni. Mais la fausseté de cette inscription, est aujourd'hui démontrée. Il n'est pas exact non plus qu'il ait existé, à côté du temple de Saturne, un temple d'Ops. Les textes qui mentionnent ce dernier se rapportent au temple d'Ops qui s'élevait sur le Capitole, ou au sanctuaire d'Ops Consiva dans la regia . Pendant les saturnales on célébrait les fêtes d'Ops à l'autel du forum, le 19 dé­cembre .

Le temple de Castor - L'expulsion des Tarquins fut suivie d'une série de complots et de guerres auxquels mit fin la bataille du lac Régille en l'année 258 (= 496 av. J.-C). Pendant le combat, le dictateur A. Postumius fit vœu d'élever un temple à Castor. Aussitôt on vit les deux Dioscures, sous la forme de jeunes gens d'une beauté et d'une stature surhu­maines, combattre à la tête des Romains, longtemps, on montra, sur un rocher du champ de bataille, l'empreinte du pied d'un de leurs chevaux. Puis, l'ennemi vaincu, ils apparurent sur le forum, à la tom­ bée de la nuit, abreuvant à la fontaine Juturne leurs chevaux baignés de sueur et annon­cèrent la victoire à la foulé rassemblée devant eux. C'est au lieu même de l'apparition qu'on construisit le temple voué par Postumius . Le temple de Castor était donc sur le forum et près de la fontaine Juturne, c'est bien là en effet que le placent le plan antique de Rome et le rensei­gnement fourni par l'inscription d'Ancyre. Il en sub­siste encore des ruines imposantes et particulièrement trois belles colonnes corinthiennes. Quoique dédié aux deux Dioscures, Castor et Pollux, on le désignait généralement sous le nom de temple de Castor, c'est ainsi qu'il est nommé sur le plan antique et par de nombreux auteurs. Bibulus, édile avec César, souvent effacé par son illustre collègue, disait plaisamment qu'il était sacrifié comme Pollux, dont le nom était omis dans le vocable du temple, dédié cependant aux deux Dioscures. La dédicace eut lieu le 27 janvier (1) de l'an de Rome 270 (= 484 av. J.-C.), elle fut faite par le fils du dicta­teur Postumius auteur du vœu, nommé duumvir à cette occasion. Le temple de Castor fut reconstruit 367 ans plus tard, avec le butin de la guerre de Dalmatie, par L. Caecilius Metellus Calvus Dalmaticus, consul en l'année 637 (= 107 av. J.-C), qui l'orna de statues, de tableaux et du portrait de la courtisane Flora.

(1) Tite-Live (II, 42) assigne à la dédicace la date des ides de juillet (15 juillet). Cette date, qui est en contradiction avec celle des calendriers, est aussi la date de la bataille du lac Régille. M. Mommsen pense avec vraisemblance (Corp. inscr. lat., l c) que la construction du temple ayant eu la bataille pour cause. Tite-Live a confondu les deux dates. Ceux qui n'acceptent pas cette conjecture doivent admettre que le temple fut dédié la pre­mière fois le 15 juillet, puis, après sa reconstruction, le 27 janvier.

Cicéron accuse Verres d'avoir profité de cette construction pour faire des gains illégitimes. Une seconde reconstruction fut faite sous Auguste, avec les dépouilles des Germains, par Tibère qui dédia le nouvel édifice en l'année 748 (= 6 av. J.-C), au nom de son frère Drusus et au sien. Caligula fît ouvrir dans la cella du temple une porte qui donnait accès à son palais du Palatin, disant que les deux Dioscures, fils de Jupiter et de Léda, seraient désormais ses portiers. Lui-même, assis entre Castor et Pollux, venait recevoir les adorations des visiteurs. Claude remit le temple dans l'état primitif. Au jour anniversaire de la dédicace, c'est-à-dire le 27 janvier, on célébrait à Ostie des jeux en l'honneur des Dioscures. Le 15 juillet, jour anniversaire de la bataille du lac Régille et de l'apparition des Dioscures, les chevaliers couronnés de rameaux d'olivier, vêtus de robes de pourpre et portant les décorations gagnées sur le champ de bataille, au nombre de cinq mille, se rendaient en procession au temple de Castor après avoir célébré un sacrifice solennel. Le temple de Castor, placé sur un podium élevé, était un temple octastyle, avec onze colonnes environ sur les côtés. Il était complètement revêtu de marbre pentélique, toute son ornementation était pure et d'une élégante simplicité. Sa façade dominait la voie sacrée, deux escaliers latéraux
descendaient l'un vers le vicus Tuscus , l'autre vers l'arc d'Auguste. Il avait une cella où était déposée une partie du Trésor et aussi un bureau où étaient conservés les types des poids officiels, les particu­liers y faisaient vérifier les leurs, ce qui était attesté par l'inscription exactum ad Castoris gravée sur le poids. Sur le forum, en face du temple, on érigea une statue à MarciusTremellus, vainqueur des Herniques.

La situation élevée du temple de Castor lui donna une grande importance dans les troubles politiques et il fut le théâtre de scènes violentes. Le Sénat y tenait des séances, c'était un centre d'affaires très fréquenté, Cicéron l'appelle celeberrimum clarissimumque monumentum et il salue Castor et Pollux comme omnium rerum forensium, consiliorum maximorum, legum judiciorumque arbitri et testes. Il y avait, comme dans le temple de la Paix, un trésor où les particuliers pouvaient mettre en dépôt leur argent et les objets précieux qu'ils possédaient. C'est là qu'on fixait le taux du change. Le temple de Castor est représenté sur un des bas-reliefs du forum. Il existait, autour du temple de Castor, beaucoup de banquiers et d'hommes d'affaires plus ou moins véreux.

La fontaine de Juturne . - Il est naturel de parler de la fontaine de Juturne en même temps que du temple des Dioscures. Nous n'avons pas à nous occuper ici de l'histoire mytholo­gique de Juturne que Virgile rattache aux origines romaines en en faisant la sœur de Turnus. La fontaine qui portait son nom se trouvait près des temples de Castor et de Vesta. Il est probable que l'emplacement du temple de Vesta fut déterminé par le voisinage de cette source, car Numa avait confié aux Vestales le soin non seulement du feu, mais aussi des sources. La fontaine de Juturne était célèbre par l'apparition des Dioscures qui y firent boire leurs chevaux après la bataille du lac Régille et annoncèrent la victoire aux Romains rassemblés sur le forum.

Le même prodige se renouvela près de la fontaine après la défaite de Persée par Paul Emile. Un denier de la famille Postumia offre comme type la représentation de l'ap­parition des Dioscures.

On y voit la fontaine Juturne sous la forme d'une vasque que supportait une petite colonne posée sur plusieurs degrés. Quelques auteurs croient voir ses restes dans des substructions circulaires voisines du temple de Cas­tor.

Une étymologie faite après coup donnait comme ori­gine au nom Juturne le verbe Juvare, aider, secourir, et cette croyance attirait à la fontaine de nombreux malades qui espéraient y trouver la santé. C'est sans doute dans le même sens que Properce appelle cette fontaine bienfaisante. Elle partageait avec la fontaine d'Apollon et la fontaine des Muses la vénération popu­laire et le don de guérir.

Tel était l'état du forum quand les Gaulois prirent et incendièrent Rome en l'année 364(=390 av. J.-C).

CHAPITRE VI

DE LA PRISE DE ROME PAR LES GAULOIS JUSQU'A CÉSAR

Le lucus Vestae et l'autel d'Aius Locutius ou Loquens. — Le premier monument que les Romains élevèrent au forum, avant de commencer la restauration géné­rale de leurs édifices détruits, se rattache à l'invasion gauloise où Rome avait failli périr.

Près du temple de Vesta, sur la pente du Palatin d'où il descendait vers la via nova, était un bois sacré, le lucus Vestae. De là, peu avant l'arrivée des Gaulois, un Romain de basse condition, nommé M. Caeditius, entendit, la nuit, une voix surhumaine qui lui annonçait la prochaine arrivée des Gaulois. La voix lui ordonnait en même temps de prévenir les magis­trats qu'il était urgent de réparer les murs et les portes de Rome qui, sans cette précaution, serait prise : un tel avis, donné par un pauvre homme, ne fut pas pris en considération. Plus tard, quand l'événement eut démontré la vérité du témoignage de M. Ceditius, par reconnaissance envers le dieu inconnu qui avait parlé, et aussi en expiation de n'avoir pas tenu compte de son avis, on lui érigea, au même lieu, sous le vocable d' Aius Locutius (celui qui a parlé), un autel qui subsista longtemps, près du temple, dans la partie basse de la via nova. Il semble, d'après le silence des auteurs, que le lucus Vestae disparut de bonne heure pour faire place à des édifices, en effet, après Cicéron, il n'en est plus ques­tion.

Le temple de la Concorde . — Le vote des lois liciniennes fut un grand événement dans l'histoire de Rome, en rétablissant l'union entre les deux ordres, ces lois permirent à la République pacifiée à l'inté­rieur de s'étendre au dehors (387 = 367 av. J.-C). Mais, vivement combattues par les patriciens, elles ne passèrent pas sans graves désordres. Au milieu d'un tumulte plus violent que tous ceux que le forum avait vus jusqu'alors, Camille fit vœu d'élever, aussitôt que la paix serait faite, un temple à la Concorde. Dès le lendemain du jour où les lois furent votées, on décréta l'érection du temple voué par Camille.

Ce temple fut construit dans un lieu d'où il dominait le forum et le comitium , près de la prison, du temple de Saturneet du clivus Capitolinus entre le Capitole et le forum, près des gradus Monetae . Ces renseignements sont confirmés par des fragments du plan antique de Rome. L'emplacement attribué à cet édifice est donc certain. On ignore la date de la dédicace du temple de Camille. En l'année 343 (= 211 av. J.-C), une Vic­toire, qui en couronnait le faite, fut renversée par la foudre, les antéfixes étaient également ornées de Vic­toires.

En l'année de Rome 633 (= 121 av. J.-C), le sénat, après la défaite et la mort de C. Gracchus, décréta que le temple serait reconstruit par Opimius. Le peuple, mécontent de la défaite de Gracchus, le fut plus encore de voir un monument, érigé en souvenir d'une victoire plébéienne, reconstruit comme témoignage du triomphe de l'aristocratie et, une nuit, on écrivit, au-dessous de l'inscription du temple, ces mots : « La Discorde élève ce temple à la Concorde » . Antoine eut des sta­tues dans ce temple et le droit d'y manger avec sa femme et ses enfants (719 = 35 av. J--C.), mais, après Actium, ses statues furent renversées et le jour de sa naissance déclaré néfaste.

Sous le règne d'Auguste, le 1 er janvier de l'an de Rome 747 (= 7 av. J.-C), Tibère inaugura son consulat en convoquant le sénat à une séance où il se fit charger de reconstruire le temple de la Concorde avec les dépouilles des Germains. L'édifice fut, comme le temple de Castor et Pollux, dédié par Tibère, en son nom et au nom de Drusus son frère déjà mort, la cérémonie eut lieu le 16 janvier de l'année 763 (= 10 ap. J.-C.) et la déesse reçut le vocable nouveau de Concordia Augusta. Pendant un voyage à Paros, Tibère avait contraint les habitants de cette ville à lui vendre une statue de Vesta qu'il destinait à l'ornementation du temple encore en construction, Livie, sa mère, avait donné l'autel et d'autres pré­sents. On admirait, dans le temple de la Concorde, un Marsyas lié, peint par Zeuxis, une Cassandre peinte par Théodoros, un Bacchus de Nicias, quatre éléphants en obsidienne, pierre qu'Auguste aimait à cause de sa transparence enfin une sardoine qui, s'il faut en croire les traditions, provenait de la bague que Polycrate, tyran de Samos, avait jetée dans la mer pour désarmer la Fortune. Il était orné aussi d'un grand nombre de statues d'artistes grecs en renom : un Apollon et une Junon de Bâton, une Latone tenant Apollon et Diane, par Euphranor, Esculape et Hygie de Niceratus, Mars et Mercure, de Piston, Cérès, Jupiter et Minerve, de Sthennis. On voit que Tibère avait fait du troisième temple de la Concorde un des plus beaux édifices de Rome et un véritable musée. L'inscription aujourd'hui détruite, dont le texte nous a été transmis par l'anonyme d'Ensiedeln, fait allusion à une reconstruction postérieure à celle de Tibère, sans doute après l'incendie de Carinus : S(enatus) p(opulus)q(ue) r(omanus) aedem Concordiae vetustate collapsam in meliorem faciem opere et cultu splendidiore restituit . Les restes du temple de la Concorde, quoiqu'ils ne se composent guère que du podium, permettent de se rendre compte de sa disposition. La cella, plus large que longue, a encore les piédestaux de deux statues . En avant, était un très vaste portique auquel donnait accès un escalier divisé en deux parties.

Devant le temple s'étendait une aréa, à laquelle le mur circulaire qui se voit derrière les rostres ser­vait de soutènement. Sur cette aréa, en (571 = 183 av. J.-C), il tomba une pluie de sang, le même prodige se reproduisit en l'an de Rome 573 (= 181 av. J.-C) s, en l'an de Rome 711 (= 43), prodige funeste, de nom­breux vautours se posèrent sur le temple de la Con­corde, et, présage non moins grave, en 722 (= 32), un hibou y pénétra.

Comme le temple de Castor, le temple de la Con­corde eut une grande importance politique : il fut le théâtre d'événements tumultueux, le sénat s'y réunis­sait souvent : c'est là que Cicéron prononça sa qua­trième catilinaire et obtint du sénat la condamnation et l'exécution immédiate, dans la prison, des com­plices de Catilina. Un procès-verbal des Actes des Frères Arvales nous a conservé le souvenir d'un sacrifice à la déesse Dia offert pour le salut de l'empereur Antonin in pronao aedis Concordiae, le 7 janvier de l'année 898 (= 145 ap. J.-C.) . C'était un des lieux où les Frères Arvales se réunissaient pour les cooptatio , et où ils prononçaient l' indictio solennelle des sacrifices. Des inscriptions mentionnent des aeditui du temple de la Concorde . On a trouvé dans les ruines plu­sieurs inscriptions votives à la Concorde.

Les rostra vetera . — Nous avons vu que, après le Vulcanal, le comitium fut le lieu où les magistrats haranguaient le peuple, on ignore à quelle époque une tribune y fut construite à cet effet. En l'an de Rome 416 (— 338 av. J.-C), C. Maenius triompha des Antiates et orna la tribune avec les ros­tres des vaisseaux pris à l'ennemi. C'est le premier témoignage historique que l'on ait de l'existence de la tribune, qui, depuis cette époque, s'appela les rostres, Tite-Live nous dit bien que les statues des ambassa­deurs tués par les Fidénates furent placées sur les ros­tres en l'année 328 (= 426 av. J.-C.) mais ce texte, où la tribune est, par anticipation, appelée Rostra, ne prouve pas d'une façon certaine qu'il y ait eu, dès cette époque, une tribune proprement dite. Peu aupa­ravant, en l'an de Rome 305 (=449 av. J.-C), Appius Claudius avait encore convoqué le peuple au Vulcanal. Il semble donc probable que la tribune fut construite entre la chute des décemvirs et la victoire de C. Maenius sur les Antiates, c'est-à-dire entre les années 305(449) et 416 (=338 av. J.-C). Elle était située sur les confins du comitium et du Forum Les orateurs pouvaient ainsi se faire entendre à la fois des patriciens et des plébéiens. Ce fut long­temps un usage que l'orateur parlât tourné vers le comitium, mais C. Gracchus ou Licinius Crassus introduisirent l'habitude de se tourner vers le peuple comme vers le véritable souverain. La tribune était en outre devant la curie et en même temps très rap­prochée de cet édifice, car Cicéron raille ces tribuns qui, pendant les funérailles de Clodius, continuèrent, de la tribune, à exciter le peuple par leurs discours, jusqu'au moment où ils furent obligés d'en descendre par le feu qui consumait la curie. (5) La tribune avait été consacrée par les augures, c'était donc un temple. Les rostres du comice étaient ornés ou entourés de nombreuses statues : celles de Tullius Clodius, L. Roscius, Sp. Nautus, C. Fulcinius, ambassadeurs tués par les Fidénates, de Cn. Octavius, envoyé près d'Antiochus et tué par lui, le même honneur avait été décrété à P. Junius et T. Coruncanius, tués également pendant une ambassade en Illyrie, il était d'usage de décerner cet honneur à tout Romain tué contre le droit des gens.

(1) Cicéron, dans un discours, dit que la tribune était près de la curie afin que celle-ci put la surveiller et la modérer : « Speculatur atque obsidet rostra, vindex temeritatis et moderatrix officii curia ». (Pro Flacc.XXlV).

On voyait aussi aux rostres la statue de Camille, la statue équestre de Sylla, en bronze doré, avec l'inscription Cornelii Syllae imperatoris felicis et celle de Pompée (1), le peuple renversa ces deux dernières statues, et César les rétablit aux nou­veaux rostres. L'année même de la mort de César, le sénat, entre autres honneurs, lui avait voté deux statues aux rostres, l'une avec la couronne civique, l'autre avec la couronne obsidionale.

Près de la tribune aux harangues, on admirait encore une magnifique statue en bronze d'Hercule revêtu de la tunique de Nessus, et expirant sur le mont Oeta, chef-d'œuvre d'un auteur inconnu, rapporté par Lucullus dans son butin, et, plus tard, réclamé à son fils par les édiles, pour le domaine public, une triple inscription relatant ces faits, était fixée à la statue.

A ces rostres se livrèrent des combats incessants entre l'aristocratie et la démocratie, Cicéron y pro­nonça deux de ses Catilinaires, on y exposa la tête d'Antoine, orateur et soldat, qui avait illustré la tri­bune par son éloquence, et l'avait embellie avec le butin conquis sur l'ennemi, les têtes du consul Octavius et des victimes de Marius et de Sylla, les cadavres de Sylla et de Clodius y reposèrent avant leurs funérailles.

(1) On y voyait aussi la statue d'Octavius (Cic, PhiL, IX, 2). Cicéron en fit voter une à Ser. Sulpicius Rufus (Phil. IX).

C'est aux rostres qu'étaient fixées les douze tables de la loi. On y avait aussi érigé : la colonne rostrale de Duilius, vainqueur des Carthaginois en l'an de Rome 494 (= 260 av. J.-C.). Un fragment considérable de l'inscription de cette colonne, trouvé près de l'arc de Septime Sévère, est aujourd'hui déposé au palais des Conservateurs. Nous ne connaissons les rostres du comitium que par une monnaie qui nous en donne une représentation conventionnelle. C'est un denier de la famille Lollia, la tribune y figure posé? sur une série d'arcades que supportent des piliers auxquels sont fixés les éperons. Cette attribution a été contestée. Il est probable cependant que ce type représente les anciens rostres du comitium , et que la forme ovale
qu'ils semblent avoir sur cette monnaie est due uniquement au graveur.

Comme la tribune par laquelle César la remplaça, elle se composait d'une plate-forme assez étendue, car Plutarque nous apprend que C. Gracchus le premier y prit l'habitude de marcher en parlant. L'année même de sa mort, en 710 (== 44 av, J.-C), César transféra les rostres du comitium sur le Forum, à l'endroit où l'on en voit encore aujourd'hui des restes considérables. L'attribution de ces ruines aux rostres de César est certaine, et a été démontrée par Tocco, ils formaient l'extrémité du forum à l'ouest, comme l'arc de Fabius la formait à l'est. Un bas-relief de l'arc de Constantin, déjà signalé par Canina, et depuis par de nombreux auteurs, en donne une démonstration tout à fait évi­dente.L'empereur y figure, debout sur les rostres, haranguant le peuple, la foule se presse autour de la tribune, à droite on voit l'arc de Septime Sévère avec ses trois arcades, à gauche l'arc de Tibère avec son arc unique sous lequel passait la voie sacrée puis la basilique Julia. Sur un autre bas-relief, du temps de Trajan, l'empereur fait brûler, devant les rostres, les livres où sont inscrits les noms des citoyens en retard avec le fisc . La tribune y est représentée d'une façon symbolique et non réelle, par des rostres mais ce bas- relief a l'intérêt tout particulier de nous donner les vues de plusieurs monuments du forum. Derrière la tribune, en effet, apparaît le temple de Vespasien dont trois colonnes sont encore complètes, à côté un arc qu'on n'a pas encore déterminé d'une manière satisfaisante, peut-être est-ce tout simplement une des arcades du premier étage du Tabularium. On voit ensuite une partie du fronton et les six colonne! ioniques du temple de Saturne, puis la basilique Julia. A la suite, la statue de Marsyas, côté du figuier qui ombrageait le milieu du forum près du lacus Curtius. L'autre bas-relief représente l'empereur sur les rostra Julia qui occupaient la façade du temple de César, vis-à-vis des anciens rostres à l'autre extrémité du forum. L'empereur a, à sa gauche, un peu en arrière, l'arc d'Auguste , le temple de Castor la trouée du vicus Tuscus , enfin l'autre extrémité la basilique Julia. Le groupe de Marsyas et du figuier était au milieu du forum, entre les deux tribunes, aussi, sur le premier bas-relief, celui qui se tenait sur la tribune avait, devant lui, Marsyas d'abord, puis le figuier tandis que l'orateur placé sur les rostres du temple de César, avait, devant lui, d'abord le figuier, puis la statue du satyre . Les restes de la tribune retrouvés et identifiés avec certitude, on chercha à la reconstituer telle qu'elle subsista sous l'empire. On fit, à cette intention, en 1882-1883, des fouilles spéciales dont Jordan a rendu compte d'après un rapport de Fabricius. Ces fouilles donnèrent de bons résultats, mais incomplets, parce qu'on ne s'occupa pas de rechercher quelle pouvait être la profondeur de la tribune. M. Richter, par des fouilles nouvelles, compléta les informations sur ce point. Il arriva ainsi à démontrer que la tribune était une vaste plate-forme, élevée de 3 mètres environ au-dessus de l'aréa du Forum, présentant, sur cette même aréa, une façade de 23 m . 69, ornée de deux rangs de rostres et regardant vers l'est, quant à la profondeur du monument, elle était de 10 mètres . Le sol même de la tribune était soutenu par des pilastres que les fouilles de M. Richter ont mis au jour (1), à l'aide de ces documents et du bas-relief de Constantin, M. Richter a fait une intéressante reconstitution de la tribune. Aux extrémités, deux statues assises, probablement celles de Stilicon, reposent sur des bases dont l'une, déplacée, est encore sur 1e forum . Tout le long de la façade, sauf au centre régnait une balustrade en marbre. Cinq colonnes supportaient des statues. Jusqu'ici, cette reconstitution est parfaitement justifiée par le bas-relief de l'arc de Constantin.

(1). Suivant Florus (I, 11), le anciens rostres furent transférés de l'ancienne tribune à la nouvelle.

Ce qui suit est beaucoup plus hypothétique : un escalier, situé en arrière, du côté de l 'aréa du temple de la Concorde, à laquelle le mur demi-circulaire qui existe encore servait sans doute de soutènement, aurait donné accès à la tribune, cet escalier aurait eu comme rampes les deux beaux bas-reliefs qui se voient encore sur le Forum et qui auraient conservé le souvenir d'une restauration de la tribune faite par Trajan ou Hadrien. Il est probable que la construction de basse époque, en briques, accotée au côté nord des restes de la tri­bune était une base de statue .

César, après avoir décrété le déplacement de la tribune, laissa à Antoine l'honneur de la reconstruire et la gloire d'inscrire son nom dans l'inscription. Il y fit replacer les deux statues de Sylla et de Pompée, ce dont on lui sut gré car elles avaient été enlevées des rostres du comitium après la bataille de Pharsale, toutefois Cicéron fait remarquer avec malice qu'il se donnait ainsi le droit d'y rétablir aussi les siennes. Aux statues transférées des anciens rostres, on ajouta une statue équestre du jeune Octavianus, âgé alors de dix-neuf ans, et la statue de Lépide, ensuite renver­sée par décret du sénat . Auguste y érigea à Antoine un char, en bronze, le père de Vitellius y eut une statue avec l'inscription : Pietatis immobilis erga principem, on y trouva la base de celle de Stilicon . Sur le bas-relief de Constantin nous voyons la tribune ornée de colonnes supportant des statues or on sait que le Sénat, entre autres honneurs, décréta qu'on élèverait à l'empereur Claude II, sur les rostres, une colonne ornée de palmes et surmontée de sa statue en argent, du poids de quinze cents livres. Une inscription de Rome mentionne l'érection sur les rostres d'une statue en bronze et en argent de l'empereur Honorius . On a d'ailleurs trouvé aux environs de la tribune les bases de nombreuses statues Enfin, près des rostres,, s'élevait un édicule au génie du peuple romain qu'Aurélien orna d'une statue en or, on y sacrifiait le 9 octobre. Au temps de Théodose, il y avait sur la tribune un siège en ivoire pour l'empereur ou pour le magistrat . C'est sur ces rostres que furent exposées, par ordre d'Antoine, les mains et la tête de Cicéron, c'est de là aussi qu'Antoine parla au peuple devant le cadavre de César. Une monnaie, appartenant à la gens Sulpicia, frappée vers l'an de Rome 718 (= 36 av. J.-C), représente la tribune figurée sous la forme très rudimentaire d'un simple suggestus symbolisé par trois rostres, deux magistrats y siègent, sans doute Auguste et Agrippa.

A la tribune étaient attenants deux monuments dont on ne peut guère la séparer, quoiqu'ils soient, l'un et l'autre, dune époque plus récente : le militaire d'or, l'umbelicus Romae.

Milliarium aureum . — Le milliaire d'or était une colonne à laquelle venaient aboutir toutes les routes qui traversaient l'Italie. Ce n'était pas cependant de ce milliaire, mais des extrémités de la ville que, léga­lement, on devait compter les distances. Le milliaire d'or fut élevé par Auguste en vertu de sa charge de curateur des voies des environs de Rome l'an 734 (= 20 av. J.-C.) . Il était situé à l'extrémité du forum (1), près du temple de Saturne, dans les catalogues il est mentionné immédiatement avant le vicus Jugarius ou avant la basilique Julia. Ces indications concordent bien avec remplacement que les archéologues attribuent au milliaire d'or à l'extrémité sud du terre-plein semi-circulaire qui est derrière la tribune.

(1) Plin ( Hist. nat.) III, 9, 13, 14 . « in capite romani Fori ». Pline donne, dans ce texte la distance du milliaire aux douze portes de la ville et aux dernières mai­sons, en suivant les rues aboutissant à toutes les grandes voies, c'est-à-dire aux endroits d'où commençaient à compter les milles pour ces voies.

On a d'ailleurs trouvé à cet endroit, dans les fouilles de 1 849-50, les restes d'une base en marbre cylindrique, encore en place, concor­dant parfaitement, par sa forme, son style et sa situa­tion, avec ce que l'on sait du milliaire d'or. Cette base, d'abord enlevée de son lieu d'origine, a été ensuite remise là où on l'avait trouvée. Un seul souvenir historique s'attache au milliaire d'or : c'est là qu'Othon avait donné rendez-vous aux quelques soldats qui commirent envers Rome le double crime de le porter à l'empire et d'assassiner Galba.

Umbilicus Romae . — L'umbilicus est un monu­ment de beaucoup plus basse époque que le milliaire d'or. On est maintenant d'accord pour ne pas l'iden­tifier, comme l'a fait Becker, avec le milliaire d'or. A l'extrémité nord de la tribune, on voit les restes d'une base circulaire, en briques, retenant encore quelques fragments de son revêtement de marbre . Ce sont, d'après l'opinion généralement admise, les restes de l' Umbilicus Romae. L'itinéraire d'Einsiedeln confirme cette attribution : S. Sergii ibi umbilicum, or l'église des Saints-Serges-et-Bacchus était située derrière les rostres sur l'aréa du temple de la Con­corde et sur le vicus Jugarius . Le Curiosum ne mentionne pas l' umbilicus, mais le De regionibus le nomme immédiatement après le temple de la Con­corde. Ce monument, réminiscence sans doute de lVpaXoç des Grecs, ne paraît pas antérieur à l'époque de Constantin.

La statue de Marsyas. — Il existait sur le forum, près des rostres , du tribunal et du putéal de Libon (1) , une statue célèbre du satyre Marsyas, statue dont le type emprunté aux Grecs remonte, à Rome même, à une haute antiquité , Le satyre était représenté nu, portant une outre sur l'épaule, la main levée. La statue de Marsyas qui figure sur les bas-reliefs trouvés au forum , est en outre connue par plusieurs monuments figurés, elle figure comme type sur une monnaie de L. Marcius Censorinus, monétaire vers l'an de Rome 670 (= 84 av. J.-C.), à côté d'une colonne surmontée d'une statue. Autour de la statue de Marsyas se réunissaient les avocats et les plaideurs.

... Fora litibus omnia fervent, Ipse potes fleri, Marsya, causidicus (2).

(1) Cela ressort du rapprochement de plusieurs textes : Horat, Serm,, I, 6, 120; II, 635; Ep., I, 19, 8.

(2) Martial, II, 64,7.

L'ensemble des textes prouve que si la statue de Marsyas se dressait non loin des rostres, elle était cependant plus rapprochée encore du tribunal, car elle semble surtout être le rendez-vous des plaideurs et des avocats. Elle devait être au milieu du forum, près du figuier du lac Curtius (1), ce que confirment les deux bas-reliefs du forum.

Il semble que ce fut un usage de couronner Marsyas de fleurs. Peut-être le satyre devait-il cette parure à des avocats ou à des plaideurs heureux dans leur procès. Un jeune homme fut condamné aux fers par les triumvirs pour s'être couronné de fleurs qu'il avait enlevées à la statue. Les environs de la statue de Marsyas étaient, la nuit, mal fréquentés. Julie, fille de l'empereur Auguste, qui se plaisait à braver, aux rostres même, les lois sévères que son père y avait promulguées, venait aussi, près de Marsyas, se livrer à ces scènes de désordres qui la firent exiler et, comme les plaideurs heureux, avant de se retirer, elle couronnait le satyre.

Sur les forums provinciaux (2), la statue de Marsyas indiquait la possession du droit italique et souvent elle figurait, comme type et comme symbole de leur droit, sur les monnaies de ces villes.

(1) Plin., XV, 20, 4. II y eut trois figuiers au forum : celui du lac Curtius, celui du comitium qui passa pour être le figuier Ruminal transporté du Palatin, enfin le figuier voisin d'une statue de Silvain sur l'aréa de Saturne (cf. Plin., XV, 2o, 3, 4.)

(2) MM. Cagnat et Boeswillwald (Timgad « Une cité africaine sous l'empire romain » p 68 ss) ont trouvé sur le forum de Timgad la base de la statue du Marsyas de la colonie. On connaît deux autres inscriptions analogues, toutes deux africaines.

La Graecostasis - La Graecostasis était, nous dit Varron, un lieu où les députés des nations étrangères attendaient les audiences du Sénat (1). C'était un locus substructus situé à droite des rostres en regardant du comitium , par conséquent près du Sénat, et devant cet édifice, puisque le crieur public annonçait l'heure de midi quand, du Sénat, il voyait le soleil entre les rostres et la Graecostasis. C'était un lieu découvert, car on y signale des pluies de sang et de lait. Des textes qui viennent d'être cités, il ressort que la Graecostasis était sur le comitium ou un peu au-dessus, elle fut, à une époque qu'on ignore, transférée hors du comi­tium . En l'an de Rome 450 (= 304 av. J.-C), au milieu de troubles graves, Cn. Flavius, à l'exemple de Camille, fit vœu de dédier un temple à la Concorde s'il réconciliait les ordres avec le peuple.

(1) Vers la fin de la République, l'usage s'était établi de consacrer le mois de février à l 'audience des députations provinciales et étrangères cet usage fut bientôt consacré par la loi Gabinia (Cic, Ad Q. fr., II,. 13. Cf. P. Willems, Le Sénat de la République romaine, t. II, p. 156). Quant aux députés qui ne devaient pas entrer dans la ville, ils étaient reçus au se naculum du temple de Bellone (Festus, s. v. Senacula, p. 347).

Comme des fonds d'État ne furent pas votés pour cette construction, il se con­tenta d'élever, avec le produit des amendes infligées aux usuriers, une chapelle en airain dans la Graeco­stasis Il la dédia l'année suivante (1), l'inscription, gravée sur une plaque de bronze, indiquait que cette dédicace avait été faîte deux cent quatre ans après celle du temple du Capitole. Il y avait aussi sur la Graecostasis un édicule ou autel à la Lune, devant lequel on faisait un sacrifice le 24 août. Le nom de la Graecostasis se lit sur un des fragments du plan antique de Rome. La date de sa fon­dation est ignorée. On ne sait pas s'il faut identifier avec la Graeco­stasis un monument appelé Graecostadium restauré par Antonin le Pieux, incendié sous Carinus en même temps que la basilique Julia, que le Curiosum men­tionne entre le vicus Jugarius et la basilique Julia et le De regionibus entre le temple de Castor et le temple de Vesta

(1) Liv., IX, 46. Tite-Live dit que ce temple était élevé sur l'aréa de Vulcain.

Le solarium. — Les Romains ne connurent que tardivement l'usage de diviser le temps en heures, la loi des douze tables fait seulement mention du lever et du coucher du soleil, quelques années après, on ajouta l'heure du midi que le crieur public annon­çait quand, de la curie, il apercevait le soleil entre les rostres et la Graecostasis, il annonçait la dernière heure du jour quand le soleil était descendu entre la colonne Maenia et la prison. Il en fut ainsi jusqu'au temps des guerres Puniques. L. Papirius Cursor établit bien, auprès du temple de Quirinus, un cadran solaire en l'an 461 (=293 av. J.-C.) mais Pline, qui nous fournit ces renseignements, dit qu'on ne sait rien de précis sur ce cadran ni sur le lieu exact où il se trouvait. Il ajoute, d'après Varron, que le premier cadran solaire public fut placé près des rostres, sur une colonne, par M. Valerius Messala, consul, qui l'avait rapporté de Catane en Sicile après la prise de cette ville (491 = 263 av. J.-C.). Ce cadran, bien imparfait puisque les lignes, tracées pour la Sicile, ne concordaient pas avec les heures de Rome, servit pendant quatre-vingt-dix-neuf ans, jusqu'à ce que le censeur L. Marcius Phillippus en fit poser, à côté de l'ancien, un autre mieux construit. Quand le temps était cou­vert, l'heure devenait incertaine, le crieur public ne pouvant, pas plus que le cadran, exercer sa fonction. Ce ne fut qu'en l'année 595 (= 159 av. J.-C.) que le censeur P. Scipio Nasica dédia la première clepsydre à eau, marquant les heures du jour et de la nuit, qu'il plaça dans la basilique Aemilia.

Les septa du Forum - La première fois qu'on réunit par surprise les comitia tributa sur le forum, rien n'étant préparé pour le vote, on suppléa aux septa par des cordes tendues. Il semble que plus tard on établit des vrais septa pour les jours de vote et nous voyons même leurs débris servir d'armes improvi­sées à une troupe de partisans de Clodius. M. Middleton a émis l'hypothèse que les lignes tra­cées sur le pavé de l'aréa du forum marquaient peut-être l'emplacement de ces septa . Mais, depuis le temps où les septa du forum cessèrent de servir, c'est-à-dire depuis César, le dallage du forum subit tant de restaurations qu'il est difficile de croire que ces lignes se soient si bien conservées. On ne peut pas davantage admettre que, si elles étaient destinées à marquer la place des septa, on ait, à chaque restauration, pris soin de les renouveler, puisqu'elles étaient devenues inutiles. Elles ont dû être tracées à une basse époque, pour un but qui nous échappe. Eckhel croit que la monnaie au type de Vénus Cloacina représente les septa du forum mais il semble bien que les personnages figurés sur cette monnaie sont des statues et non des citoyens procédant au vote.

La basilica Porcia . — La justice se rendit d'abord à Rome devant des tribunaux en plein air, le nombre toujours croissant des habitants fit bientôt les procès plus nombreux et aussi le Forum plus encombré. C'est pour ce motif qu'on commença à construire des basiliques : palais de justice, lieux de réunion et d'affaires. Toutefois les basiliques ne sup­primèrent pas les tribunaux du forum.

La première basilique fut élevée par Porcius Cato (Cato Major) en l'année 570 (= 184 av. J.-C), près de la curia Hostilia. Elle était à l'ouest de la curie, car, pour faire l'emplacement nécessaire à sa construction, Caton acheta, outre quatre boutiques, deux maisons, celles de Maenius et de Titius, situées in Lautumiis c'est-à-dire du côté de la prison. En vendant sa maison, Maenius s'était réservé le droit de conserver une colonne pour y établir un pont volant en bois d'où lui et ses descendants assisteraient aux jeux donnés sur le forum. Cette colonne est mentionnée dans les auteurs sous le nom de columna Maenia. Le Trésor public fit la dépense de la construction. Caton mena l' 'œuvre à bonne fin malgré une vive opposition et, de son nom de famille, appela la nouvelle basilique basi­lica Porcia. Les tribuns du peuple y avaient leur tribunal et c'est en plaidant contre eux, pour les empêcher d'enlever un pilier qui gênait leurs sièges, que le jeune Caton (Cato Minor) fit, comme orateur, des débuts très remarqués. La basilique Porcia fut incendiée avec la curie par le bûcher de Clodius en 702 (= 52 av. J.-C). On ignore si elle fut restaurée, comme son nom disparaît complètement à dater de c ette époque, il est fort probable qu'elle ne fut pas reconstruite.

Basilica Fulvia et Aemilia, basilica Paulli . — En l'année 575 (179 av. J.-C), M. Fulvius Nobilior, censeur en même temps qu'Aemilius Lepidus, fonda, derrière les tabernae novae , une basilique, appelée de son nom, basilica Fulvia, et l'entoura de boutiques qui furent louées à des particuliers P. Cornélius Scipio Nasica, censeur, y établit en 595 (= 159 av. J.-C), une clepsydre à eau, M. Aemilius Lepidus, consul en l'année 676 (= 78 av. J.-C), l'orna de boucliers représentant les portraits de ses ancêtres et adopta comme type d'une de ses monnaies une vue de la basilique ornée de ces boucliers. Il semble même, d'après la légende de cette monnaie M. Lepidus Aemilia ref(ecta) s(enatus) c(onsulto), que M. Aemilius Lepidus aurait non seulement orné, mais restauré complètement la basilique, il est probable qu'elle prit, à cette époque, le nom d'Aemilia.

Il faut croire cependant que cette restauration ne fut pas aussi complète que semble l'indiquer l'expression refecta de la légende, en effet, moins de vingt-cinq ans plus tard, nous voyons la basilique reconstruite par un autre Emile, L. Paullus, fils du précédent, qui, pour faire face à cette dépense, reçut de César, sur l'or prove­nant de la Gaule, quinze cents talents, César achetait ainsi l'abstention d'un homme jusque-là hostile à sa politique. Dans une lettre datée de l'an de Rome 700 (— 54 av. J.-C), Cicéron envoie à Atticus les nouvelles de Rome : Paullus a déjà presque achevé sa basilique, il emploie de nouveau les anciennes colonnes, mais quel beau monument, agréable au peuple, glorieux pour celui qui le fait construire M Plutarque et Appien louent également la magnificence du nouvel édifice, que les auteurs désignent dès lors sous le om de basilica Paulli. Quoique presque achevée en 99 (= 55 av. J.-C), au témoignage de Cicéron, la basilique ne le fut complètement que vingt et un ans lus tard, en 720 (= 34 av. J.-C), sous le consulat et par les soins de Paullus Aemilius, fils de L. Aemilius Paullus, qui en fit la dédicace cette même année. Vingt ans plus tard, en 740 (= 14 av. J.-C), à la suite d'un incendie qui menaça aussi le temple de Vesta, la basilique fut restaurée sous le nom d'Aemilius Paullus, représentant de la famille qui avait donné son nom à la basilique, mais, en réalité, aux frais d'Auguste et des amis de la famille Aemilia. C'est sans doute à cette restauration qu'appartiennent les magnifiques colonnes phrygiennes qui, au dire de Pline, faisaient de la basilique de Paul un des plus magnifiques monuments de Rome. Sous le règne de Tibère, Aemilius Lepidus obtint la permission de réparer et d'embellir ses frais, malgré la médiocrité de sa fortune, ce monument qui portait le nom de ses ancêtres et en perpétuait le gloire. La basilica Pauli est encore m entionnée dans les régionnaires. Il n'y a pas de doute à émettre sur l'emplacement occupé par la basilique Aemilia. Elle était située sur le forum, derrière les tabernae novae du côté opposé à la basilica Julia, près du temple de Janus.

M. G. B. de Rossi a communiqué à l'Institut archéologique de Rome les photographies d'un dessin représentant des vues de Rome, conservé à la bibliothèque de l'Escurial et déjà signalé par M. Mûntz. Sur ce dessin, sont figurées des représentations du temple de Vespasien, du temple de Saturne et de l'arc de Septime Sévère. Au delà d'une des arches de l'arc d Septime Sévère, apparaît l'angle d'un édifice soutenu par des pilastres sur lesquels repose une frise dorique M. Huelsen a cru reconnaître dans ce monument la basilique Aemilia dont il aurait par conséquent existé des restes considérables à la fin du XV° siècle. Un fragment du plan antique, avec le nom ( A)emili(a) concerne probablement cette basilique, mais sans donner aucun renseignement sur sa disposition ou son emplacement.

Basilica Sempronia - On sait très peu de choses sur cette basilique. En l'an de Rome 585 = 169 av. J.-C.). Ti. Sempronius Gracchus, censeur, acheta, avec la part des impôts qui lui avait été attribuée, la maison de P. Scipio Africanus et quelques bou­tiques et boucheries y attenant. Tite-Live, qui nous fournit ce renseignement, ajoute que la maison de Scip ion l'Africain était située près des tabernae veteres et la statue de Vertumnus. Nous pouvons tirer de ces renseignements topographiques la conclusion que la basilique Sempronia occupait, près du vicus Tuscus , à peu près l'extrémité de l'emplacement sur lequel s'éleva plus tard la basilique Julia . Comme les historiens n'en parlent plus, il est probable qu'elle disparut, absorbée par la grande basilique de César.

La basilique Opimia - Cette basilique est moins connue encore que la précédente. On suppose, avec toute vraisemblance, que le consul L . Opimius la construisit en même temps qu'il réédifia le temple de la Concorde en l'année 633 (= 121 av.J.-C.). Varron, en effet, dit que ces deux monu­ments étaient voisins l'un de l'autre et situés sur le Vulcanal. Ce texte et deux inscriptions du musée du Vatican, de l'époque républicaine, mentionnant les servi publici de la basilique Opimia sont les seuls renseignements que nous possédions. Comme aucun autre auteur ne parle plus de cette basilique, il est probable qu'elle disparut quand Tibère reconstruisit le temple de la Concorde entre les années 747 (= 7 av. f.-C.) et 763 (= 10 ap. J.-C.).

L'arc de Fabius — C'est le plus ancien des arcs de triomphe du forum romain (1). Il fut érigé par Q. Fabius, vainqueur des Allobroges, on ne sait pas exactement en quelle année, sans doute pendant celle de son consulat (633 — 121 av. J.-G.) . Un de ses descendants, probablement son petit-fils, por­tant les mêmes noms que son ancêtre, le restaure vers l'année 698 (= 56 av. J.-G.) . Il était orné des tituli et des statues de la gens Fabia et aussi de bas-reliefs représentant des boucliers et des insignes de victoire. L'arc de Fabius ( fornix Fabianus, fornix Fabii fornix Fabius) formait, à l'est, l'extrémité du forum comme les rostres à l'ouest, et y donnait accès par la voie sacrée sur laquelle il était posé, plus bas que l'endroit appelé summa sacra via.

1. Mais non le plus ancien de Rome : on en connaît trois qui lui sont antérieurs. Cf. T. H. Dyer, dans Smith, A dictionary of gr. and rom. geography, t. Il, p. 788.

Il s'élevai près de la regia, du temple d'Antonin et de Faustine, du putéal de Libon qui, lui-même, était voisin des rostres (les rostra nova ou Julia du temple de César) et du porticus Julia (1). Ces renseignements, complétés par des documents relatifs à des fouilles anciennes et par les résultats de fouilles récentes, autorisent l'opinion que l'arc de Fabius se trouvait entre la regia et le temple d'Antonin et de Faustine . Une fresque de Sodoma, dans le cloître de Monte 0liveto Maggiore, près de Sienne, un dessin de Martino Heemskerk conservé à la bibliothèque impériale de Berlin, et un dessin de la bibliothèque de l'Escurial, datant tous de la fin du xv° ou de la première partie du XVI°siècle, représentent la vue d'une partie du forum et un arc à demi enfoui que l'on a non sans quelque vraisemblance, regardé comme l'arc de Fabius encore debout à cette époque.

1. Glossae veteres in Pers. Sat. IV, 49. Ce porticus Julia ne peut pas être celui de la basilique Julia et on s'accorde pour le considérer comme étant en rapport avec le temple de César.

Le puteal Libonis ou Scribonianum, Les tribunaux. — Un denier de L. Scribonius Libo, monétaire vers l'an 700 (= 54 av. J.-C.), représente la margelle d 'un putéal orné de deux lyres et d'une guirlande de lauriers, avec la légende : Puteal Scribonian(um) . Un texte de Festus nous donne l'explication de ce type monétaire : le Sénat confia à un Scribonius la mission de rechercher les lieux frappés de la foudre car ces lieux deve­naient religiosi on ne devait ni les fouler aux pieds ni les couvrir d'une construction, mais les entourer d'un mur et les laisser à ciel ouvert. Un putéal fut, à cette occasion, élevé par Scribonius à un endroit que Festus désigne par l'expression peu claire ante airia (1) . Scribo­nius Libo avait donc adopté comme type monétaire le monument construit par son ancêtre.

Le puteal Scribonianum, appelé aussi par les auteurs puteal Libonis, était sur le forum, près de l'arc de Fabius, des rostres (2) du tribunal du préteur et du porticus Julia. C'était un lieu très fréquenté où se rencontraient, attirés par le tribunal, les plaideurs, les marchands, les usuriers.

(1) Le texte de Festus est d'ailleurs très mutilé.

(2) Il s'agit sans doute des rostres du temple de César.

Pendant longtemps les archéologues ont été à peu près d'accord pour reconnaître les restes du putéal de Libon dans des débris de forme circulaire assez semblables à la base d'une margelle, gisant entre les temples de Castor et de Vesta. Des fouilles récentes ont conduit M. Richter à l'opinion peu jus­tifiée par l'apparence des pierres que ces débris pro­viennent de l'arc d'Auguste. M. Nichols croit, et ce n'est pas plus démontré, qu'ils appartenaient à une grande vasque en pierre, qui resta vers cet endroit jusqu'en 1816, époque à laquelle on la transporta aux fontaines de Monte Cavallo.

On conserve au Musée de Latran un autel rond, avec l'inscription pietatis sacrum, trouvé à Vei, on a voulu y trouver une représen­tation du puteal Libonis, je ne crois pas qu'il y faille chercher autre chose qu'une ressemblance fortuite. Un Scribonius Libo, peut-être le même qui consacra le putéal, établit à côté, pour la première fois, le tribunal du préteur qui, jusque-là, avait été uniquement sur le comitium . Il ne faut pas cependant tirer la conclu­sion certaine que, pour cette raison, le tribunal du comitium disparut. Il y avait d'ailleurs plus d'un tri­bunal sur le forum. Cicéron fait plusieurs fois mention d'un tribunal Aurelium qui semble, de son temps, avoir tenu une grande place dans les troubles politi­ques et judiciaires du forum. Deux des procès plaidés devant ce tribunal sont des années 680 (— 74 av. J.-G.) et 690 (= 59 av. J.-C.). Il y avait, près de ce tribunal, des degrés appelés gradus Aurelii, qui étaient récem­ment construits en 680, et d'où le peuple pouvait assister aux procès. Si l'on doit admettre que les expressions tribunal Aurelium et gradus Aurelii sont synonymes, ou que le tribunal et les degrés ont été construits en même temps et forment un tout, on peut, avec Becker et Jordan, attribuer l'érection et le nom de ce tribunal à M. Aurelius Cotta, consul cette même année. Ces tribunaux durent peu à peu dispa­raître du forum, à mesure que les basiliques se cons­truisirent ou devinrent plus spacieuses, et que les empereurs créèrent de nouveaux forums, ils coexis­tèrent cependant avec les basiliques, Sénèque, ou l'au­teur des Controverses, en témoigne . On n'en a retrouvé aucune trace sur l' area du forum et cela n'a rien de surprenant, car ils devaient être en bois, mobiles et d'un enlèvement facile quand des assem­blées populaires ou des fêtes rendaient nécessaire le déblaiement du forum. Et, ce qui prouve bien qu'ils étaient en bois, c'est que nous voyons le peuple briser les tribunaux et les sièges, et se servir de leurs débris pour dresser les bûchers qui consumèrent les corps de Clodius et de César.

CHAPITRE VII

CÉSAR ET LES EMPEREURS

Tarquin avait laissé le forum complètement des­séché par les égouts, entouré de boutiques ouvrant sous des portiques et orné de quelques temples et édi­fices publics. Le nombre des temples augmenta sous la République puis, la première basilique construite, les autres se succédèrent avec une rapidité qui montre combien ces édifices étaient nécessaires et combien rapidement les anciens devenaient insuffisants. Ces travaux changèrent complètement la physionomie du forum en éliminant peu à peu les maisons privées au profit des grands édifices de l'État.

L'époque à laquelle, nous arrivons acheva cette transformation. César et Auguste en furent les princi­paux auteurs. La reconstruction sur un plan plus vaste de la basilique Aemilia et la fondation de la basilique Julia, la curie relevée avec plus de grandeur, les ros­tres transportés à l'extrémité du forum, et, à l'extré­mité opposée, le temple de César flanqué de l'arc d'Auguste, les temples de Castor et de la Concorde réédifiés avec magnificence, donnèrent au forum cet aspect grandiose que l'on devine encore malgré son état de ruine, plus tard les deux arcs de Tibère et de Septime Sévère compléteront son ornementation et en feront le type définitif des forums de l'époque impériale.

La basilique Julia. Le lacus Servilius. — La basilique Julia occupait une grande partie du côté sud du forum, elle était, nous dit le testament d'Au­guste, située entre les temples de Castor et de Saturne, et ce témoignage de l'empereur qui l'a terminée et reconstruite est confirmé par les fragments du plan antique parvenus jusqu'à nous.

La basilique Julia fut commencée par César. C'est peut-être d'elle que parle Cicéron dans une lettre à Atticus, datée de l'an 700 (= 54 av. J.-C.) où il est question aussi de la basilique Aemilia. César la dédia, sans qu'elle fût complètement terminée, l'année 708 (= 46 av. J.-C.), en même temps que son forum et que le temple de Vénus Genitrix, les der­niers travaux furent achevés par Auguste, mais bientôt un incendie contraignit cet empereur a reconstruire l'édifice, il le fit sur un plan plus vaste en y ajoutant un portique, et donna à ce double édifice les noms de ses petits-fils Gaius et Lucius Caesar. La dédicace eut lieu en l'année 765 (= 12 ap. J.-C.). Il est probable que le portique seul fut dédié alors, la basilique n'étant pas encore achevée au moment où, quelques mois avant sa mort, Auguste écrivit dans ses Res gestae : Et si vivus non perfecissem perfici ab heredibus [meis iussi].

On sait peu de chose sur l'histoire de la basilique Julia. Il est probable qu'elle supportait une partie du pont par lequel Caligula avait réuni à son palais le temple de Jupiter Capitolin. De là cet empereur jetait quelquefois des pièces d'or et d'argent au peuple qui se les disputait sur le forum avec un tel acharnement qu'il y eut souvent mort d'homme. La basilique fut incendiée sous Carinus et reconstruite par Dioclétien. Elle fut, en l'année 1130 (= 377 ap. J.-C), res­taurée et ornée de statues par Gabinius Vettius Probianus, préfet de Rome.

Les centumvirs avaient, dans la basilique Julia, quatre tribunaux que, pour les causes importantes, on réunissait en un seul? Pline le Jeune nous a laissé le récit d'une cause plaidée par lui, il y peint sur le vif la physionomie de la basilique un jour de grand procès : les juges des quatre tribunaux réunis au nombre de cent quatre-vingts, tout le barreau occupant les places réservées aux avocats, la foule en rangs pressés, entourant même le tribunal, les tribunes com­bles, la curiosité était très excitée. L'empereur Trajan rendit quelquefois la justice dans la basilique Julia On connaît plusieurs inscriptions de nummularii de basilica Julia. Dans la basilique elle-même on a trouvé un certain nombre d'inscriptions, et aussi des graffites et des jeux tracés sur le pavé par les désœuvrés qui y passaient leurs journées ou y cherchaient un refuge contre les pluies d'orage.

Au XV°siècle et aussi au XVIII°siècle, on a exploité comme une carrière les restes de la basilique Julia, fouillant jusqu'aux fondements pour en extraire les piliers dont les bases même, jusqu'à deux ou trois mètres au-dessous du sol, furent enlevées. Les pilastres en briques que l'on voit aujourd'hui, de même forme que les anciens pilastres en travertin, ont été construits après les dernières fouilles pour que les visiteurs puissent se rendre compte de la disposi­tion intérieure de l'édifice.

Le bas-côté de la basilique opposé à la voie sacrée, le long du Vélabre, était garni de boutiques . Nous voyons, par la description de Pline le Jeune, que l'aréa centrale de la basilique, où siégeait sans doute le tribunal, était dominée, à l'étage supérieur, par des galeries ou loges, les voûtes étaient ornées de figures et de feuillages en stuc très bien travaillés. Les tribunaux, construits sans doute en bois, n'ont pas laissé de trace. La basilique Julia est représentée sur trois bas-reliefs, donnant la vue de la façade qui longe la voie sacrée. C'est un monument d'ordre toscan, entouré d'une série d'arcades à plein cintre surmontées d'un mascaron représentant une tête de lion. Les arcades sont séparées par un pilastre sur lequel repose une demi-colonne dont le chapiteau monte jusqu'à la corniche. La basilica Julia est mentionnée dans le Curiosum et le De regionibus.

Le lacus Servilius. — A l'entrée du vicus Jugarius et attenant à la basilique Julia, existait le lacus Servilius, ainsi appelé du nom de celui qui l'avait établi en cet endroit. C'était une fontaine ou bassin, Rome en possédait un grand nombre, car les régionnaires en indiquent 1 350 . Le lacus Servilius acquit, au temps de Sylla, une triste célébrité : on y exposait les têtes des proscrits. Cicéron le compare au lac Trasimène, si funeste aux Romains (1), et Sénèque l'appelle le spoliarium proscriptionis Sullanae (2) Agrippa l'avait orné d'un bas-relief ou d'une statue représentant une hydre. Il n'est mentionné par aucun auteur, ni avant Sylla, ni après Agrippa. On n'en a retrouvé aucune trace quand on a déblayé la partie du vicus Jugarius voisine de la basilique.

(1) Pro Rosc. Amer., XXXII.

(2) De provid., III, 7.

  Le temple de César et les rostra Julia — A l'endroit où le peuple avait dressé le bûcher funèbre de César, c'est-à-dire sur l'aréa du forum de la république plus étendue que celle du forum impérial, et devant la Regia , on dressa un autel où le peuple se mit à célébrer un culte non autorisé et, à côté de l'autel, une colonne en marbre de Numidie, haute de près de vingt pieds, et portant l'inscription p arenti patriae . On y faisait des sacrifices et des vœux, on y terminait des différends en prêtant serment par le nom de César. Mais Antoine fit périr, contrairement aux lois, C. Amatius, usurpateur du nom et de la descendance de Marius et promoteur principal de l'érection de ces deux monuments, cela, fait, Dolabella, gendre de Cicéron, reconquit les bonnes grâces de son beau-père en faisant enlever autel et colonne. Le peuple, récla­mant le rétablissement de l'autel et un sacrifice célébré par les magistrats, se livra à de graves désordres, on les réprima par la force, le sang coula, et un certain nombre de manifestants furent condamnés, les esclaves à être mis en croix, les citoyens à être précipités de la roche Tarpéienne. Un peu plus tard, Cicéron s'in­quiétait du grand nombre des vétérans réunis sur le forum pour manifester dans le même sens.

L'agitation tomba quand, en l'année 712 (= 42 av. J.-C), les triumvirs décrétèrent qu'on élèverait un temple à César sur le forum, à l'endroit même où son corps avait été brûlé, et que ce temple jouirait du droit d'asile (1). Il est probable que, en même temps qu'ils prenaient cette décision, les triumvirs relevèrent l'autel, car d'après Suétone, qui toutefois enregistre le fait sans prendre la responsabilité de son exactitude, l'année suivante, au jour anniversaire de la mort de César, Auguste y aurait fait immoler, comme victimes trois cents prisonniers qui s'étaient rendus au moment de la capitulation de Pérouse. Construit par Auguste , le temple devait être à peu près terminé vers l'année 721 (= 33 av. J.-C), car il figure comme type sur les revers d'un aureus et d'un denier où Auguste est c onsul iterum, designatus tertium, à côté du temple s'élève un autel, peut-être l'autel qu'avait fait enlever Dolabella. La dédicace eut lieu le 18 août de l'année 725 (= 29 av. J.-C.). A cette occasion, on célébra des jeux troyens, on donna au peuple des com­bats où figura un sénateur, des chasses de bêtes féroces, des spectacles, on montra des animaux encore inconnus à Rome, et, entre autres, un rhinocéros et un hippo­potame. Auguste orna le temple de son père adoptif

1. Dio, XLV1I, 18 et 19. Cette décision fut accompagnée de plusieurs autres : on jura de ratifier tous les actes de César, aux jeux du cirque on porta son image avec celle de Vénus, le jour de sa naissance fut déclaré jour de fête, et néfaste celui de sa mort, les ides de mars reçurent le nom de parricide, on convertit en latrines la salle où il avait été tué, suivant Sué­tone elle fut murée, Appien dit qu'elle fut brûlée par le peuple.

de riches dons provenant du butin de l'Egypte, il y plaça plusieurs tableaux, entre autres les Dioscures, une Victoire, une Vénus Anadyomène peinte par Apelle mais ce dernier tableau ayant été détruit par le temps et par l'humidité, Néron le remplaça par un autre, de la main de Dorothée.

Le temple de César était un des lieux où les Frères Arvales procédaient aux cooptatio, et nous voyons dans leurs procès-verbaux que, dans la séance du 26 février 822 (= 69 ap. J.-C.) tenue dans ce temple et présidée, par Othon, on pourvut au remplacement de Galba.

Le temple de César était placé sur un podium artifi­ ciel très élevé, c'est la seule partie qui en subsiste. L'extrémité de ce podium, s'avançant sur l'aréa du Forum, en avant de la façade du temple, formait le suggestus des rostra Julia que, en vertu d'un décret du Sénat, Auguste avait orné des éperons des vaisseaux égyptiens pris à la bataille d'Actium. Au centre de la façade de cette tribune, on avait ménagé une niche demi-circulaire, les éperons étaient distribués sur le mur à droite et à gauche de cette niche, à chacun des deux angles de la façade, un escalier conduisait sur la plate-forme d'où l'orateur parlait à la foule répandue sur l'aréa du Forum. C'est là qu'Auguste, à la mort de sa sœur Octavie, prononça son éloge, pendant que Drusus la louait aux rostra vetera et lui-même y fut, à ses funérailles, loué par Tibère. T. Quinctius Crispinus, consul de l'année 745 (= 9 av. J.-C), y promulgua une loi très sévère, la loi Quinctia, contre ceux qui manqueraient aux prescriptions reiatives aux aqueducs . Des monnaies datées du troisième consulat d'Hadrien re­présentent le temple de César et l'empereur, debout sur les rostres, haranguant la foule qui l'acclame. Le temple de César était pycnostylos et prostylos, sur les deux côtés, comme sur le devant, régnait une terrasse, avec balustrade interrompue seulement, devant la tribune, à l'endroit d'où parlait l'orateur, comme aux rostra vetera . Les chapiteaux étaient sans doute inoniens comme ceux du temple de Saturne. D'après une des monnaies d'Hadrien, il semblerait que le temple était, à droite et à g auche, orné d'un quadrige. M. Richter a fait une b elle reconstitution du temple de César . L'emplacement attribué au temple de César est certain, et les débris qui subsistent encore sont bien ceux de son podium élevé. On sait qu'il était sur le forum, faisant face au Capitole, voisin du temple, de Castor et de Pollux et de la Regia et que, en face de lui, se dressait la statue équestre de Domitien.

Le second des bas-reliefs qui sont encore sur le forum confirme ces renseignements topographiques. L'empereur, en effet, y est repré­senté sur un suggestus garni d'éperons symbolisant les rostra Julia. A sa gauche, un peu en arrière, comme nous l'avons déjà expliqué plus haut, est appuyé l'arc d'Auguste qui s'étend jusqu'au temple de Castor, suit un espace libre, la trouée du vicus Tuscus entrant à cet endroit sur le forum, enfin la basilica Julia (1), que l'autre bas-relief, si on le place à la suite de celui-ci, continue pour nous donner ensuite la vue des monuments qui terminaient le forum à l'ouest.

(1) La plupart des archéologues ont vu dans ce second bas-relief une vue du côté nord du forum avec la curie et la basilique Aemilia. J'ai préféré adopte l'opinion de 0. Marucchi .

L'arc de triomphe d'Auguste . — Le jour des Ides de septembre et les 19 e et 18 e jours avant les calendes du même mois, c'est-à-dire les 13-15 août de l'année 725 (= 29 av. J.-C), Auguste triompha trois fois en trois jours des Dalmates, de l'Egypte et des vaincus d'Actium. En même temps que ce triple triomphe, le Sénat lui décréta l'érection d'un arc de triomphe sur le forum. Une seconde fois, quand Auguste eut reconquis sur les Parthes les prisonniers et les enseignes pris à Licinius Crassus, le Sénat lui décerna les honneurs d'un arc de triomphe (734 = 20 av. J.-C.) qui fut élevé à côté du temple du divin Jules. Cet arc figure comme type sur un denier de l'an 736-737 (= 18-17 av. J. C.), il est à trois arches, orné de colonnes et de pilastres, sur le sommet, Auguste dans un quadrige, entre deux Parthes qui lui présentent, l'un une enseigne militaire, l'autre une aigle légionnaire.

On n'avait, sur l'emplacement de ces arcs, que les renseignements fournis par les auteurs : l'un était sur le forum, l'autre près du temple de César mais, en pratiquant des fouilles pour explorer les environs de ce dernier temple, M. Otto Richter a retrouvé, tout à côté, les substructions d'un bel arc de triomphe à trois arches. Il est probable que cet arc est celui d'Actium plutôt que celui des Parthes, car, à peu près au même endroit, près du temple de Castor, on a mis au jour une inscription datée de l'an 725 ( =-29 av. J. C.) qui se rapporte, sans aucun doute, à la bataille d'Actium, peut-être, malgré ses dimensions peu con­sidérables, provient-elle du premier arc de triomphe. S'il en était ainsi, le n° 14 de notre plan se rapporterait à cet arc et celui qui fut élevé après le triomphe sur les Parthes aurait été construit, soit, comme le pense M. Richter qui croit que les deux arcs se fai­saient pendant de chaque côté du temple sur le côté nord du temple qui n'est pas encore déblayé, soit à un autre endroit du forum. Ici se présente de nouveau la question des dessins dont nous avons parlé plus haut, à propos de l'arc de Fabius. Il est difficile, dans l'état actuel, de décider s'ils représentent l'arc de Fabius ou celui d'Auguste.

L'arc de triomphe de Tibère . — L'arc de Tibère fut dédié près du temple de Saturne ob recepta signa cum Varo amissa, ductu Germanici, auspiciis Tiberii, en l'année 769 (= 16 ap. J. C.). En 1848-1849, en déblayant l'extrémité ouest de la basilique Julia, on mit à jour ses substructions qui furent aussitôt dé­truites. Au moins son emplacement est certain. On a cru retrouver des restes de son inscription. L'arc de Tibère est représenté sur le bas-relief de Constantin, reproduit plus haut. Il servait d'entrée au forum, après être passée sous sa voûte, la voie sacrée, quittant le Forum, se dirigeait vers la droite pour contourner le temple de Saturne (19) et se confondre avec le clivus Capitolinus . Tout à côté de l'arc de Tibère, à l'endroit où le vicus Jugarius et la voie sacrée se rencontrent, s'élèvent, de chaque côté de la rue, des fragments de murs que beaucoup d'archéologues ont pris à tort pour les restes de l'arc de Tibère. C'était probablement un Janus.

Le temple de Vespasien.- Le temple de Vespasien, peut-être commencé par Titus, fut achevé par Domitien qui le consacra aussi à Titus, c'est en effet sous ce double vocable que le chronographe de l'an 354 l'attribue à Domitien et qu'il figure dans le Curiosum . Il en subsiste encore trois élégantes colonnes corinthiennes qui suporte le dernier mot de l'inscription, aujourd'hui disparue, mais dont une copie nous a été heureusement conservée par l'anonyme d'Einsiedeln : il est dit que l'édifice fut restauré par Septime Sévère et Caracalla. Longtemps, on a pris ce temple pour le temple de Saturne et réciproquement. Nous ne reviendrons pas sur ce que nous avons dit à ce sujet en parlant du temple de Saturne. En effet, en prouvant que le temple à six colonnes est bien le temple de Saturne, on établit indirectement l'identité de celui de Vespasien. On peut aussi alléguer cette raison que, en cons­truisant ce dernier temple, on a condamné un escalier et une porte du Tabularium , monument plus ancien que le temple de Vespasien, mais plus récent que celui de Saturne. C'était un temple corinthien, hexastyle et prostyle, avec une cella carrée dont les murs intérieurs et le sol étaient recouverts de marbres orientaux, les sculptures ont beaucoup de grâce et de finesse, on en peut admirer un beau spécimen dans le musée du Tabula­rium. L'extérieur était recouvert de marbre pentélique.

Le temple d'Antonin et de Faustine . — Quand Faustine, femme de l'empereur Antonin le Pieux, mourut, en l'année 894 (= 141 ap. J.-C), le Sénat lui décréta les honneurs divins, des jeux publics, un temple, des flamines, des statues d'or et d'argent. Le temple fut construit près du forum et, sur le fronton, on grava la simple inscription : Divae Fanstinae ex. s. c. A la mort d'Antonin, en 914 (= 161 ap. J.-C), le Sénat lui décréta tous les honneurs divins et aussi un temple. Mais, au lieu d'élever un temple nouveau, on associa l'empereur défunt à Faustine et, au-dessus de l'inscription, on ajouta les mots Div. Antonino et, qui semblent, en effet, n'avoir pas été gravés en même temps que la seconde ligne.

Il n'y a aucune preuve à produire pour établir l'emplacement occupé par le temple d'Antonin et de Faustine. Il est encore debout avec son inscription, c'est aujourd'hui l'église San Lorenzo in Miranda. Si l'inté­rieur a été, au temps de cette transformation, dénaturé et en partie détruit, la façade au moins, sauf le fronton, est restée intacte. Le temple d'Antonin est corinthien, hexastyle et prostyle, on peut encore admirer les belles colonnes monolithes en marbre cipollin de son portique. Sur les côtés règne une frise en marbre d'un beau travail, ornée de griffons et de candélabres. Le temple de Faustine est représenté sur des mon­naies avec ses six colonnes, un fronton orné de scul­ptures et surmonté d'un quadrige avec une Victoire à chaque angle.

La chapelle de Faustine . - Au fond d'un long couloir formé par l'étroit espace laissé libre entre les soubassements des temples de la Concorde et de Vespasien existent quelques restes d'un édicule qui était adossé au tabulàrium, on l'a cru dédié à Faustine parce qu'il s'y trouvait un piédestal portant une dédicace à cette impératrice déifiée. M. Middleton croit ce petit monument contemporain du temple de Vespasien.

L'arc de Septime Sévère . — Cet arc de triomphe a été, comme l'indique l'inscription érigé en l'hon­neur de Septime Sévère et de ses deux fils, Caracalla et Géta, en l 'année 956 (= 203 ap. J.-C). Plus tard, après le meurtre de son frère, Caracalla fit marteler, sur l'inscription de l 'arc de triomphe comme sur tous les autres monuments, son nom et ses titres. Les sculptures dont cet arc est orné, peu remarquables au point de vue artistique, ont, pour l'étude des choses militaires, un grand intérêt. Elles représentent en effet les principaux épisodes des campagnes de Septime Sévère en Orient. La partie inférieure est ornée de groupes composés de soldats romains conduisant des prisonniers barbares enchaînés.

L'arc de Septime Sévère est, par ses sculptures, en pleine décadence artistique, il n'en est pas de même pour son architecture dont, malgré de graves défauts dans les proportions, les lignes sont heureuses. Il sub­siste encore en entier, sauf les groupes en bronze qui en ornaient le faîte mais une monnaie nous en a con­serve la représentation. La base est en travertin plaqué de marbre, l'arc lui-même est en marbre pentélique massif, et les colonnes en marbré plus précieux. Le faîte était couronné d'un groupe en bronze représentant Septime Sévère dans un char à huit chevaux, entre deux trophées et, à chaque angle, une statue équestre, peut-être Caracalla et Géta. L'arc de Septime Sévère est situé au nord de la tribune, il forme de ce coté l'entrée du Forum comme l'arc de Tibère du côté sud, il donne accès, à la sortie du forum, sur l'aréa du temple de la Concorde, entre le clivus Argentarius qui passait devant la prison et le clivus CapitoIinus.

La schola Xantha . — Cette schola était, comme l'indique son inscription l'officium des scribae, Ubrarii et praecones aedillum curulium. Elle fut construite, d'après l'inscription, vers l'époque de Caracalla, par C. Avillius Licinius Trosius (1).

(1) Ce C, Avil­lius Licinius Trosius est connu par une dédicace à l'empereur Caracalla de l'année 214 (Corp. inscr. lat., VI, 1068; cf. Huelsen, Op. laud, p. 216-217).

D'autres personnages, parmi lesquels A. Fabius Xanthus, dont la schola a conservé le nom, la refirent ab inchoato et, après sa dédidace, l'enrichirent de dons, une Victoire, des sièges en bronze, les statues en argent des sept dieux, etc. (1) Jusqu'à présent les archéologues ont été à peu près d'accord pour placer la schola Xantha dans une série de petites pièces situées au-dessous du portique des Dii Consentes , local incommode et peu approprié à cet usage. D'une étude attentive des documents concer­nant les fouilles faites à différentes époques dans la partie sud-ouest du forum, M. Huelsen a tiré la con clusion que la schola Xantha était construite en bor­dure sur la voie sacrée, entre les rostres et la basilique Julia, tout à côté de l'arc de Tibère.

(1). Ces renseignements sont empruntés aux inscriptions. Un des bienfaiteurs mentionnés dans l'inscription avec Xanthus est un affranchi impérial du nom de Bebryx Drusianus. A cause de ce nom, M. Huelsen ne croit pas pouvoir admettre avec Henzen ( Corp. inscr. lat., VI, 103) que cette inscription soit postérieure à celle de C. Avilius Licinius, qui est du commen­cement du III°siècle. Il en résulterait que celui-ci aurait recons­truit une seconde fois la schola déjà reconstruite par Fabius Xantus et Bebryx Drusianus, quoique l'inscription soit ainsi conçue : C. Avillius Licinius Trosius, curator, scholam de suo fecit (et non refecit). Le premier auteur du monument resterait inconnu

Le portique des Dii Consentes . — Ce portique fut découvert en 1834 et restauré en 1858, comme en témoigne une inscription encore en place. Ses colonnes corinthiennes, en marbre cipollin, supportent une inscription qui indique que Vettius Agorius Praetextatus, préfet de Rome en l'année 1120 (= 367 ap. J. C), rétablit dans leur portique restauré les douze dii consentes. Ce sont ces mêmes douze dieux, sex mares et feminae totidem, dont Varron signale déjà les statues dorées sur le forum et dont les noms sont réunis dans deux vers d'Ennius, bien connus :

Juno, Vesta, Minerva, Ceres, Diana, Venus, Mars, Mercurius, Jovi, Neptunu, Volcanus, Apollo.

M. Salomon Reinach a reconnu, sur un autel provenant de Marvilly (Côte-d'Or) et jusque-là non compris, une représentation des douze dii consentes , repré­sentation probablement conforme au type traditionnel, sauf les maladresses d'un sculpteur barbare. M. Salo­mon Reinach vient de compléter cette première étude, surtout en ce qui concerne l'image de Vesta, par un nouveau mémoire publié, comme le premier, dans la Revue archéologique.

Vettius Agorius Praetextatus fut, avec Symmaque, un des plus ardents défenseurs du paganisme expirant, il s'efforça de réveiller la foi païenne en favorisant les cultes les plus anciens et autrefois les plus vénérés, c'est à ce titre qu'il fut aussi le bienfaiteur des Vestales qui lui élevèrent une statue récemment retrouvée dans leur atrium. La restauration du portique avait pour but de ramener les Romains au culte oublié des douze divinités antiques.

La colonne de Phocas . — Cette colonne fut, comme l'indique l'inscription gravée sur sa base, érigée à Phocas, en l'année 608 ap. J.-C., par Smaragdus, exarque d'Italie, avec une statue auri splendore fulgentem.

La colonne est d'un style plus élégant que ne le comporte l'époque de Phocas. On a pensé ou qu'elle a été transportée d'un autre édifice, ou que le monument, élevé en l'honneur d'un empereur précédent, peut-être du grand Théodose, a été attribué à Phocas par Smaragdus qui aurait effacé l'inscription primitive pour y substituer celle que l'on voit aujourd'hui. L'attribution à Théodose est très hypothétique et, d'ailleurs, M. Nichols la présente comme telle. Quant à l'inscription qui aurait précédé celle de Smaragdus, j'en ai vainement cherché, sur la pierre, les traces indiquées par M. Nichols. Qu'il s'agisse d'un déplacement de colonne ou d'une désaffectation de monument, il reste certain que la colonne de Phocas est plus ancienne que l'inscription gravée sur sa base au VII°. S iècle. Il n'est pas probable en effet que, en ce temps, on ait taillé tout exprès une colonne, quand on n'avait qu'à en choisir une dans les monuments abandonnés. Au bord de l'aréa du forum, le long de la voie sacrée, s'élève une série de monuments analogues à la colonne de Phocas. Ce sont huit bases en briques, hautes de quatre mètres environ, ayant à peu près 4m. 50 de côté, et distantes les unes des autres de six ou sept mètres. On s'accorde pour reconnaître qu'elles devaient être recouvertes de marbres et surmontées de colonnes et de statues, elles sont de l'époque de Constantin comme le prouvent les mar­ques de briques qu'on y a relevées.

CHAPITRE VIII

LES STATUES, LES VOIES , LES JANUS DU FORUM

Les statues du forum. - A plusieurs reprises, nous avons eu occasion de parler des statues érigées sur le forum. Il serait d'autant moins intéressant d'en faire ici rémunération que, à propos des monuments qu'elles entouraient, nous avons cité les principales, spécialement celles qu'on avait érigées au comitium et près des rostres, elles étaient très nombreuses et si le forum devint rapidement insuffisant pour les vivants, il le fut bientôt aussi pour les statues des défunts. Aussi des révisions devenaient nécessaires, et, en l'année 596 (= 158 av. J.-C.), Scipion Nasica, pendant sa censure, fit enlever du forum toutes les statues d'anciens magistrats qui n'avaient pas été décrétées par le peuple ou le Sénat . Nous les abandonnerons à leur sort, ne faisant exception que pour deux statues remontant à une haute antiquité, et pour la statue de Domitien qui, à cause de son intérêt topographique exceptionnel, mérite une mention spéciale. Virgile décrivant le bouclier donné par Vénus à Énée dit qu'on y voyait représentés les deux rois, Romulus et Tatius, immolant, après le combat, comme gage de la paix, une truie sur l'autel de Jupiter :

.. Inter se posito certamine reges Armati Jovis ante aram, paterasque tenentes Stabant, et caesa jungebant foedera porca (1).

Le porc était l'animal dont l'immolation sanctionnait les traités de paix, quand Rome fit la paix avec Albe après le combat des Horaces et des Curiaces, on sacrifia un porc, et Tite-Live nous donne le rituel de cette cérémonie.

Servius commentant le passage de Virgile dit que deux statues conservaient le souvenir du sacrifice offert par les deux rois : la statue de Romulus du côté [u Palatin et la statue de Tatius en avant des rostres.

La statue équestre de Domitien était au milieu du forum, sur remplacement ou à côté du lac Curtius. Stace en a fait une description qui lui donne un grand intérêt et, en ce qui concerne remplacement des Monuments du forum, une valeur topographique égale à celle des bas-reliefs des rostres. Elle regardait le temple de César :

.... Hinc obvia limina pandit Qui fessus bellis, adscitae munere prolis, Primus iter nostris ostendit in aethera divis .

Elle était placée entre la basilique Émilienne ou de Paule et la basilique Julia :

At laterum passus hinc Jiia tecta tuentur, Illinc belligeri sublimis regia Pauli.

(1). Virgil., Aen., VIII, 639 ss.

Derrière elle étaient les temples de Vespasien, père de Donatien, et de la Concorde.

Terga pater blandoque videt Concordia vultu.

Enfin elle paraissait surveiller le Palatin et le temple de Vesta :

An nova contemptis surgant Palatia flammis Pulchrius ; an tacita vigilet face Troicus ignis Atque explorates jam laudet Vesta ministras .

On voit combien la topographie du Forum, telle qu'elle est établie aujourd'hui, concorde avec les renseignements fournis par le poète contemporain de Domitien.

Après la mort de Domitien, sa mémoire fut condamnée par le Sénat, et ses statues, y compris sans aucun doute celle du forum, furent renversées. Plus tard la place de la statue de Domitien fut occupée par une statue équestre en bronze de Septime Sévère, de dimensions colossales. Hérodien nous dit en quelles circonstances : au moment où Pertinax fut proclamé empereur, Septime Sévère, alors gouverneur de la Pannonie, vit en songe, sur la voie sacrée, un magnifique cheval, avec les ornements impériaux monté par Pertinax. Arrivé à l'entrée du forum, le cheval renverse son cavalier et vient se courber devant Septime Sévère pour l'inviter à monter puis, devenu docile, il transporte son nouveau maître au milieu d forum, l'offrant aux hommages de la foule. Devenu empereur, Septime Sévère fit élever, au milieu d forum, sa statue équestre, en souvenir du songe qui lui avait prédit ses hautes destinées, elle était encore en place au temps d 'Hérodien. On voit encore, sur l'aréa du forum, le reste du piédestal d 'une statue équestre. Il n 'est pas pos­sible que cette base, sans fondations, construite avec les matériaux arrachés à d 'anciens monuments et simplement posés sur le sol, soit celle de la statue de Domitien qui, d 'ailleurs, ne dut pas survivre à la statue renversée. Ce n 'est probablement pas non plus la base de la statue de Septime Sévère que fit élever à Rome tant de beaux édifices. Il est plus probable lu'elle supportait la statue de Constantin que les légionnaires signalent sur le forum.

La voie sacrée. — La voie sacrée, via sacra, de préférence clivus sacer chez les poètes, allait du sacellum Streniae à la citadelle, c'est-à-dire au Capitule. Le temple de la déesse Strenia occupait un emplacement que l'on n 'a pas pu déterminer avec certitude, dans les e nvirons du Colisée, ses origines, liées probablement au lucus Streniae, se rattachent avec lui aux plus antiques légendes qui entourent la naissance de Rome. Partant de ce temple, la voie sacrée gravissait, du côté qui regarde le Colisée, la pente de la Velia, jusq u'au point culminant qui s'appelait summa sacra via là où est aujourd'hui l'arc de Titus. De cet endroit elle descendait l'autre pente de la Velia, dans la direction du forum, jusqu'à la régia. Cette partie de la voie sacrée allant de la summa sacra via à la regia était la seule généralement connue sous le nom de voie sacrée : Hujus sacrae viae pars haec sola volgo nota, quae est a foro eunti, primiore clivo. Mais tout le parcours, du sacellum Streniae à la citadelle, n'en était pas moins la voie sacrée, et Festus semble avoir voulu compléter le texte de Varron quand il dit : Itaque ne calenus quidem, ut vulgus opinatur sacra appellanda est a regia ad domum regis sacrificuli sed etiam a régis domo ad sacellum Streniae et rursus a regia usque in arcem (1) . Et Pline nous dit aussi qui César fit couvrir de voiles de lin toute la voie sacrée depuis sa maison jusqu'au clivus capitolinus . Donc nous pouvons, en toute sécurité, sur tout son parcours l'appeler sacra via. Quelle direction suivait la voie sacrée du sommet de la Velia au Capitole? Nous avons trois points certains et connus : la summa sacra via, la regia et le Capitole.

De la summa sacra via à la regia, le parcours de la voie sacrée a varié suivant les temps. Le bon sens indique que, à l'origine, tracée sur un terrain libre de monuments, la via sacra descendait en ligne droite des hauteurs de la Velia jusqu'au point marqué par la regia, sans faire des détours que rien n'aurait justifiés car, alors, aucun monument ne les imposait. Plus tard, à une époque très éloignée de ses ori­gines, probablement même à une époque relativement basse, au sortir de l'arc de Titus,

(1). Festus, v. Sacram viam.

elle tourna brusquement à droite pour longer les degrés du portique du temple de Vénus et de Rome , puis, par un nouveau détour à angle droit, la basi­lique de Constantin, le temple rond de Romulus, fils de Maxence et là, un peu avant la regia, à l'endroit où, à peu près en l'an de Rome 633 (= 121 av. J.-C.) on avait élevé l'arc de Fabius , qui, sous la République, ser­vait d'entrée au forum, elle retrouvait son ancien tracé. Ce détour ne remonte pas à des temps reculés, peut-être même, sinon le détour, tout au moins la largeur extraordinaire de ce tronçon n'est-il pas anté­rieur à Maxence à qui l'on doit, comme on sait, la construction du temple de Romulus et de la basilique de Constantin et la res­tauration du temple de Vénus et de Rome, c'est-à-dire, en somme, de tous les édifices qui bordaient ce côté du nouveau tracé, depuis l'arc de Titus jusqu'à la regia. Ajoutons que les monuments honorifiques qui bordaient l'autre côté de la voie sont d'une époque peu ancienne et, pour la plupart, de ce temps-là.

De l'arc de Fabius la voie sacrée gagnait le temple de Castor. Cette portion du trajet fut, elle aussi, variable suivant les différentes époques. Sortant de l'arc de Fabius, la voie sacrée ne passa jamais entre la regia et le temple de Vesta, les fouilles récentes de MM. Nichols et Jordan l'ont démontré. Elle continuait donc à descendre en ligne droite, lais­sant la regia à sa gauche puis, arrivée à l'angle nord-ouest de cet édifice, elle inclinait vers la gauche pour rejoindre le temple de Castor. Que, de l'arc de Fabius, la voie sacrée se soit dirigée vers le temple de Castor, au lieu de continuer tout droit, le long du côté nord du forum, cela me paraît démontré, sinon d'une façon absolue, au moins vrai semblablement, par un texte d'un scoliaste de Cicéron disant que l'arc de Fabius se présentait sacrum ingredienlibus viam, post templum Castoris C'est-à-dire que, après avoir dépassé le temple de Castor, on entrait sur la voie sacrée par l'arc de Fabius. Ce texte coût concorde avec celui de Varron cité plus haut : Hujus sacrae viae pars haec sola volgo nota quae est a foro euntui, primiore clivo. Le scoliaste et Varron, en effet, appellent ici voie sacrée la partie volgo nota, le clivus qui va de la regia à la summa sacra via. Donc la voie sacrée, tournant à gauche, à l'angle nord-ouest de la regia, se dirigeait vers le temple de Castor. Après la construction du temple de César, la voie sacrée, plus resserrée, passa entre le mur de fond de cet édifice et la regia, pour entrer sur le forum près du temple de Castor, sous le nouvel arc de triomphe élevé par Auguste. Plus tard ce dernier trajet put être modifié. L'incendie de Néron d'abord, puis celui de Commode changèrent complètement la disposition de ce coin du forum et par les ravages qu'ils firent et aussi à cause des constructions nouvelles, sans doute plus grandes, par lesquelles on les répara. Il paraît que des fouilles ont démontré que des constructions du temps de Septime Sévère s'opposaient au passage de la voie sacrée entre la regia et le temple de César. Il est possible que, à dater de cette époque, la voie sacrée ait, après la regia, continué son parcours en ligne droite pour tourner ensuite à angle droit devant la façade du temple de César, au pied duquel existe encore une rue, elle rejoignait ensuite son ancien tracé près du vicus Tuscus. Mais, au temps d'Auguste, la voie sacrée passa sous l'arc de ce prince, et, pour cela, derrière le temple de César. L'érection de l'arc de triomphe me paraît d'ailleurs en être une preuve suffisante. N'est-ce pas sur la voie sacrée, c'est-à-dire sur la route que suivait la pompe triomphale, qu'on élevait les arcs destinés à commémorer ces triomphes? On y avait élevé l'arc de Fabius qui, de ce côté, formait l'entrée du forum. Auguste construisant le temple de César, là où le corps du dictateur avait été brûlé, et reculant d'autant la limite du forum, fît un nouvel arc de triomphe pour en marquer l'entrée nouvelle. L'arc de Tibère, lié au triomphe de Germanicus et aussi au sou­venir des aigles de Varus reconquis, fut aussi élevé sur la voie sacrée, à l'autre extrémité, à la sortie cor­respondant à l'entrée marquée par l'arc d'Auguste. L'arc de Titus occupe l'endroit le plus élevé de la voie sacrée, là où le triomphateur voyait tout d'un coup se dérouler au loin la pompe triomphale qui précédait son char, la foule en habits de fête pressée sur le forum pavoisé, et, dominant tout, sur le rocher du Capitole, le temple de Jupiter, terme du triomphe. Sous Auguste, la voie sacrée passait donc sous son arc de triomphe, comme elle passait avant lui sous celui de Fabius, comme elle passa plus tard sous ceux de Tibère et de Titus.

Il existe une preuve certaine que la voie sacrée continuait ensuite en longeant la basilique Julia : Plutarque raconte que, le jour 0ù il fit exécuter les complices de Catilina, Cicéron, consul, alla chercher lui-même Lentulus, l'un d'entre eux, dans une maison du Palatin où il était détenu. Et, ajoute l'historien, Cicéron conduisit Lentulus à la prison, d'abord par la voie sacrée, puis à travers le forum. Plus loin il dit encore : et lorsqu'il eut traversé le forum et fut arrivé à la prison, il remit Lentulus à l'exécuteur. Que Cicéron soit venu du Palatin au forum par la porte Mugonia, près de la summa sacra via, ou par le Vélabre et le vicus Tuscus , si la voie sacrée avait été sur le côté nord du forum, il n'aurait pas pu la quitter pour traverser l'aréa du forum, mais il l'aurait suivie jusqu'à la prison où elle allait tout droit. Tout détour sur le forum l'eût retardé et éloigné du but. Remar­quons qu'il conduisait au bourreau un complice de Catilina contre lequel il venait d'obtenir à grand'peine une sentence de mort, que, sur le forum, se trouvaient en grand nombre, mêlés à la foule, des parents, des amis et des complices des conjurés, et qu'il coupa certainement au plus court. Donc, si la voie sacrée avait longé le côté nord du forum, Cicéron n'aurait pas pu, pour aller du Palatin à la prison, traverser le forum après avoir quitté cette voie. Au contraire, si la voie sacrée suivait le tracé du côté sud, c'est-à-dire longeait le temple de Castor puis, après avoir coupé le vicus Tuscus , la basilique Julia, Cicéron, pour aller du Palatin à la prison, ne pouvait pas traverser le forum sans être, auparavant, passé sur la voie sacrée, il suffit, pour s'en convaincre, de jeter un coup d'œil sur le plan. Cette direction de la voie sacrée le long de la basi­lique Julia continua sous l'empire, nous en avons pour preuve l'arc d'Auguste et l'arc de Tibère. Je crois même qu'elle ne changea pas jusqu'à la fin. L'arc de Septime Sévère fut, il est vrai, construit ensuite sur le côté nord du forum. Mais on n'a aucune raison de croire que, pour la faire passer sous cet arc, on modifia le tracé de la voie sacrée. D'abord il n'est pas certain que l'arc de Sévère ait été posé précisément sur la voie qui longeait le côté nord du forum, l'examen des lieux laisse subsister des doutes sérieux sur ce point, le pavé que l'on voit aujourd'hui sous l'arc est d'une très basse époque, de plus, la situation de l'arc de Septime Sévère était imposée par la symé­trie, de l'autre côté des rostres, en pendant à l'arc de Tibère. Plus tard, quand, à l'époque de Constantin, on éleva, en bordure sur le forum, ces huit grandes bases en briques, encore debout, alors revêtues de marbre et supportant des colonnes couvertes d'ornements en bronze et surmontées de statues, n'était-il pas naturel de les placer le long de la voie sacrée, là où passaient les cortèges triomphaux et les processions? Et je crois que c'est ce qu'on a fait en les plaçant près de la voie qui borde la basilique Julia.

Le clivus Capitolmus . - A la voie sacrée faisait suite une rue appelée clivus Capitolinus par laquelle on montait au Capitole. Elle passait près du temple de Saturne, du côté opposé au forum. En l'an de Rome 578 (= 176 av. J.-C), elle fut pavée et ornée d'un portique qui la réunissait au senaculum. Au temps de la lutte de Vitellius contre Sabinus, le clivus Capitolinus était bordé d'anciens portiques. Pline le Jeune l'appelle iter Capitolinum. Le pavé du clivus Capitolinus , entre le temple de Vespasien et le temple de Saturne, fut mis au jour au printemps de l'année 1817 par le comte de Funchal, ambassadeur du Portugal près le Saint-Siège. Il est, depuis 1882, recouvert par une rue moderne. Plusieurs rues débouchaient sur la voie sacrée :

La via nova . — Découverte dans les fouilles de 1882, la via nova se confondait avec la voie sacrée près de la summa sacra via, très ancienne malgré son nom, cette rue longeait le côté sud du forum jusqu'au Vélabre. Elle n'a pas été explorée, vers l'ouest, au delà de Sainte-Marie-Libératrice, mais un texte de Varron nous dit qu'elle communiquait avec le Vélabre. L'immense différence de niveau entre la via nova, à l'endroit où elle se perd sous Sainte-Marie-Libératrice, et le vicus Tuscus laisse subsister des incertitudes sur la fin de son parcours. Se terminait-elle par un escalier? Ou, tournant à gauche, descendait-elle au Vélabre en suivant les dernières pentes du Palatin? La via nova était au pied du Palatin, au-dessus du temple de Vesta, et, à cet endroit, s'appelait infima nova via . Nous savons aussi par Varron que, sur le Palatin, de la porta Romanula, un escalier , aujourd'hui encore très reconnaissais, descendait vers la via nova, un fragment du plan de Rome découvert il y a quelques années montre que, de la via nova, une seconde partie de cet escalier descendait au forum, entre les temples de Castor et de Vesta, Ovide fait mention de cet escalier.

Le vicus Tuscus (la rue Étrusque). - Le vicus Tuscus débouchait sur le forum entre la basilique Julia et le temple de Castor. Il doit son nom à des légendes qui varient suivant les auteurs, mais qui, pour le fond, se rattachent toutes aux Étrusques. La grande procession des ludi Romani, entrée dans le forum par le vicus Jugarius , en sortait par le vicus Tuscus . C'est à l'entrée de cette rue, près de la basilique Julia, que se trouvait la statue du dieu étrusque Vortumnus ou Vertumnus . Le vicus Tuscus réunissait le forum au Vélabre et au Circus Maximus, on y faisait un commerce de parfums, d'où lui vint, sans doute, à une basse époque, le nom de vicus Turarius . C'était un lieu mal famé. De l'autre côté du temple de Castor, et parallèle au vicus Tuscus, était une rue que M. Lanciani appelle vicus Vestae.

vicus Jugarius . - Au sud-ouest, le vicus Jugarius , qui tirait son nom d'un, autel à Iuno Iuga, entrait sur le forum, près du temple de Saturne. Il venait de la porte Carmentalis. Ce fut, jusqu'à la création du forum de Trajan, le chemin qui reliait le forum au Champ de Mars. Il était orné d'une fontaine appelée lacus Servilius .

L'Argiletum - Entre la basilique Aemilia et la curie , l ' Argiletum mettait en commu­nication le forum avec le quartier de Subure, c 'était la rue des libraires et, parait -il , aussi des cordonniers. Domitien et Nerva changèrent complètement la partie de l 'Argiletum qui touchait au forum en y créant leur forum transitorium. Sur le côté nord du forum, une rue, dont on ignore le nom, passait entre le temple d'Antonin et de Faustine et la basilique Aemilia.

Le clivus Argentarius. - Une autre voie, appelée au moyen âge clivus Argentarius, sans doute d'après son nom antique (aujourd'hui via di Marforio), entrait sur le forum près de l'arc de Septime Sévère , après être passée devant la prison. Il est probable qu'elle devait son nom à la basilica Argentaria, située dans cette région.

Le vicus Jani et les janus. — On appelait Janus un petit arc à deux ouvertures, généralement posé sur une rue ou tout au moins servant de passage. Auguste, dit Suétone , f it placer la statue de Pompée dans un janus en marbre, près de son théâtre. Domitien en fit cons­truire dans les différents quartiers de Rome . Horace s'adressant à son livre, lui dit :

Vertummum Janumque liber spectare videris (1)

L'Argiletum était, nous l'avons vu tout à l'heure, le quartier des libraires et, comme c'est à peu près à l'entrée de l' Argiletum que se trouvait un janus célèbre, le janus medius, centre de commerce souvent men­tionné dans les auteurs, il est probable que c'est près de ce Janus que veut être mis en vente le livre d'Horace et en effet, le scoliaste, commentant ce passage d'Ho­ race, dit que le vicus Jani tire son nom d'un arc con­ sacré à Ianus .

(1) Epist. I, 20, 1.

Ce vicus Jani était la rue longeant le côté nord du forum, de la Curie à l'extrémité de la basilique Aemilia, Horace en parle à plusieurs reprises et men­tionne les diverses parties de cette rue : Janus sum mus, Janus médius, Janus imus , et ses scoliastes sont d'accord pour placer ces trois Janus dans le voisinage de la basilique Aemilia. Faut-il, suivant en cela l'opinion de l'éditeur d'Horace, Bentley, adoptée par Nichols, voir dans ces trois Janus une simple déno­mination des diverses parties de la rue, synonyme des expressions summa sacra via et ima via nova que nous avons déjà rencontrées? Faut-il au contraire conserver l'opinion traditionnelle, qui voit simplement dans ces textes la mention de trois de ces arcs qu'on appelait des janus?

Je crois que, conformément au texte du scoliaste, la rue s'appelait vicus Jani mais je crois aussi qu'elle devait son nom, comme le dit le même scoliaste, à la présence d'un Janus, le Janus médius. Elle avait un autre arc, Janus summus, à l'endroit où elle commen­çait, elle en avait un troisième, Janus imus, à l'endroit où elle finissait. Je suis confirmé dans cette opinion par le fait sui­vant : on sait que les forums provinciaux se transfor­mèrent de bonne heure pour se modeler sur celui de Rome. Or, en l'an de Rome 580 (=174 av. J-C), nous voyons les censeurs entourer de boutiques et de portiques les forums de plusieurs villes et y construire trois janus . Les trois janus du forum, spécialement le janus médius , cela ressort des textes cités, étaient des centres de commerce, d'affaires et d'opérations finan­cières. A l'entrée du vicus Jugarius , entre la basilique Julia et le temple de Saturne, on voit encore les débris d'un Janus .

LIVRE III

LES FORUMS IMPÉRIAUX

CHAPITRE I

ORIGINE DES FORUMS IMPÉRIAUX, LE FORUM DE CÉSAR

Origine des forums impériaux. — Le comitium , devenu insuffisant à cause de l'augmentation de la population, de l'expansion de la vie publique, et du nombre des procès, s'était, peu à peu, déversé sur le forum où des tribunaux s'étaient établis de divers côtés, ensuite les grandes basiliques fournirent aux juges et aux plaideurs des locaux nouveaux et plus commodes mais le forum romain lui-même et les basiliques devinrent insuffisants pour rendre la justice, ce fut un des prin­cipaux motifs de la création des deux premiers forums impériaux, celui de César et celui d'Auguste, les tribunaux du forum romain ne cessèrent pas pour cela de fonctionner, aussi l'ancien forum et les deux nouveaux sont-ils souvent associés dans les textes relatifs aux choses judiciaires,

Causas, inquis, agam Cicerone discertius ipso Atque erit in triplici par mihi nemo foro. (1)

(1) Martial., III, 38, 3: cf. ld., VIII, 44, 6 ; II, 64, 7.

Sénèque fait une longue énumération de crimes que les trois forums ne suffisent pas à juger, et Stace parle d'un jeune avocat dont la voix puissante assourdissait les trois forums . Les deux premiers forums impériaux dont nous allons nous occuper, le forum de César et le forum d'Auguste, sont donc, avant tout, des forums judiciaires . Les temples auxquels ils servaient d'aréa leur donnent aussi un caractère religieux. Le forum de la Paix ne fut que l'area d'un temple. Le forum de Nerva fut construit pour former, avec les quatre autres, un ensemble harmonieux. Le forum de Trajan réunit les différents caractères des autres forums impériaux.

Le forum de César . — En l'an de Rome 701 (= 54 av. J.-C .) pendant que César se préparait à descendre en Bretagne, Cicéron, qui, en ce temps-là était fier de son amitié, s'occupait à Rome de ses affaires : « Oppius et moi, écrit-il àAtticus, nous avons décidé que le forum (de César) s'étendra jusqu'à l' atrium Libertatis, nous avons payé le terrain soixante millions de sesterces, il n'y a pas eu moyen d'obtenir des propriétaires de meilleures conditions. Mais nous ferons quelque chose de magnifique. » I1 est probable que les propriétaires se montrèrent encore plus exigeants, ou que d'autres achats furent faits car, suivant Pline, le prix du terrain atteignit cent millions de sesterces, somme confirmée par le témoignage de Suétone. M. Mommsen a démontré que, au vi° siècle, cet atrium Libertatis, jusqu'où devait s'étendre le forum de César, était à la place occupée aujourd'hui par l'église Santa Martina. Il n'est pas probable qu'il en ait été de même au temps de Cicéron, en tout cas, le passage de sa lettre à Atticus prouve bien que l' atrium Libertatis était alors dans ce quartier.

César se disait par Iule et Énée descendant de Vénus, aussi il avait une dévotion spéciale pour cette déesse, il la représentait souvent sur ses monnaies avec son étoile, et son forum servit d'aréa au temple de Vénus Genitrix qu'il avait voué avant la bataille de Pharsale. César, en élevant un temple à Vénus en tant que mère de sa race, inaugurait le culte des empereurs. Commencé en 703 51 av. J.-C), pendant que César était en Gaule, le forum, ainsi que le temple, fut dédié, encore inachevé, en l'année 708 (= 46 av. J.-C.), le 24 ou le 25 septembre. César y vint cou­ ronné de fleurs, précédé d'éléphants qui portaient des torches et donna, à l'occasion de cette dédicace, des feux magnifiques. Auguste acheva, après la mort de César, le temple et le forum et fit célébrer les jeux institués à cette occasion.

Antonio da Sangallo a laissé les dessins d'une partie du mur d'enceinte du forum de César existant encore de son temps. C'était une forte muraille en pierre de tuf et de travertin à laquelle était appuyé un portique intérieur qui entourait l'aréa rectangulaire du forum. Le forum de César était, nous dit Dion, plus beau que le vieux forum romain, celui-ci, cependant crût en dignité, car, désormais, pour le distinguer du nouveau, on l'appela forum magnum , Le commerce était exclu du forum de César, qui avait voulu donnai aux Romains un forum analogue à ceux des Perses où l' on rendait la justice et où l'on enseignait le droit . César y avait laissé ériger sa statue revêtue d'une cuirasse, lui-même y avait dédié, devant le temple de Vénus, sa propre statue montant le célèbre cheval dont le sabot, fendu en forme de doigts, avait l'apparence d'un pied humain, la possession de ce cheval, d'après les haruspices, assurait à son maître l'empire de l'univers. Près du temple aussi étaient les monuments appelés Appiades, probablement des fontaines avec des nymphes sculptées par Stephanus élève de Pasitèle. Quant au temple de Vénus Genitrix, il était, selon Vitruve, pycnostyle. Palladio, d'après les restes qui existaient de son temps, en a fait une reconstitu­tion : c'était un temple corinthien en marbre, périptère, octastyle et pycnostyle, il était orné de scul­ptures riches et d'un art élégant, construit tout en marbre, resplendissant de l'éclat de l'or. La statue de la cella était l'œuvre d'Arcésilaus, fils de Tisicrate et ami de Lucullus, à côté de la déesse, son aïeule, César avait placé la statue en or de Cléopâtre, elle y était encore à l'époque d'Antonin. Une étoile bril­lante, que l'on remarqua après la mort de César, passa pour être le nouveau dieu lui-même, mis au nombre des astres, et Auguste lui érigea, dans le temple de Vénus, une statue avec l'étoile sur la tête, le temple devint ainsi le temple de Vénus et de César. Plus tard on plaça aussi dans le temple la statue dorée de Calpurnie, femme de Titus, l'un des trente tyrans, et dont la mémoire était vénérée. Dans le même temple on conservait aussi six dactyliothèques ou collections de pierres gravées et une cuirasse en perles de Bretagne. Sur la façade, on admirait la Médée et l' Ajax de Timomachus de Byzance, tableaux que César avait payés cinquante talents (1). Brûlé sous Carinus, le forum de César fut restauré par Dioclétien . L'emplacement qui lui est attribué est aujourd'hui admis par tous et incontestable.

(1) Plin., VII, 39, 1; XXXV, 9, 40, 11

CHAPITRE II

LE FORUM D'AUGUSTE

Suétone expose les raisons qui déterminèrent Auguste à créer un nouveau forum : la foule toujours crois­sante des plaideurs et des jugements l'avait rendu nécessaire pour suppléer à l'insuffisance des deux autres, aussi on se hâta de l'ouvrir, même avant l'achè­vement du temple de Mars et Auguste se consola par un bon mot des lenteurs de son architecte. Comme César à Pharsale, Auguste, à Philippes, avait fait vœu d'élever un temple et de le dédier à Mars Ultor qui, en lui donnant la victoire, devait venger le meurtre de César.

Mars ades et satia scelerato sanguine ferrum,

Stetque favor causa pro meliore tuus; Templa feres et, me victore, vocaberis Ultor (1) .

(1)0vid., Fast., V, 675 ss.

Voué en l'an 712 (= 43 av. J.-C.), le temple ne fut consacré que le 1 er août de l'an 752 (= 2 av. J.-C), et sans être complètement terminé. Auguste délégua, pour cette cérémonie, ses deux petits-fils Caïus et Lucius qui présidèrent ensuite, avec leur frère Agrippa, les jeux troyens, on célébra, à cette occasion avec une grande magnificence, un combat naval, des combats de gladiateurs et des venationes .

Le temple de Mars Ultor était, d'après Palladio, octastyle et périptère avec une cella en forme d'abside. Il subsiste encore une partie de son côté Est, ses magnifiques colonnes en marbre cannelées, avec leurs chapiteaux et leur architrave d'un si beau travail, le tout formant un ensemble de plus de vingt mètres de hauteur, justifient l'admiration de Pline qui écrivait que cet édifice était, avec le temple de la Paix, ce qu'on avait construit de plus beau. Ovide (1) représente Mars descendant lui-même visiter ce temple digne de sa grandeur : et deus est ingens, et opus.

(1) Il ne faut pas confondre ce temple de Mars Ultor avec un petit temple rond, représenté sur des monnaies, et qu'Auguste voua aussi à Mars Ultor qui lui avait permis de venger sur les Parthes la défaite de Crassus. Ce temple était au Capitole, les étendards reconquis sur les Parthes y furent déposés en attendant que le temple de Mars Ultor du forum d'Au­guste achevé put les recevoir. Ovide fait allusion à ce double vœu quand il appelle Mars bis ultus (Fast.,V, 581). On a souvent confondu ces deux temples.

Le dieu voit, sur le faite du temple, les statues des dieux ; il admire, aux portes, les trophées composés avec les armes des peuples vaincus, il lit, dans l'inscription, le nom d'Auguste et l'édifice lui en paraît plus majestueux encore. Des œuvres d'art de grande valeur contribuaient à la beauté de ce temple. Auguste l'avait enrichi d'une, partie des dépouilles ennemies. La statue du dieu Mars, père des Jules, était groupée avec celle de Vénus, mère du dictateur déifié. A gauche, en entrant, une, peinture représentait Alexandre sur un char de triom­phe, et, à côté, la Guerre, les mains liées derrière le dos, œuvre d'Apelle qui, comme le fait remarquer, Servius, semble avoir inspiré Virgile. Un autre tableau du même peintre, encore Alexandre sur un char triomphal avec Castor et Pollux, faisait sans doute, à droite, pendant au premier. Claude eut l'idée bizarre, blâmée d'ailleurs par Pline, de faire effacer sur les deux peintures la figure d'Alexandre pour y substituer celle d'Auguste. On conservait aussi dans le temple deux coupes en fer. L'épée de César y était déposée, et aussi trois épées que Caligula prétendait avoir été préparées contre lui par des conjurés.

Par les privilèges qu'il accorda à ce riche sanctuaire, Auguste en fit l'égal des temples vénérés de Jupiter Capitolin et d'Apollon Palatin : c'est là que les mem­bres de la famille impériale recevaient la toge virile et que le Sénat devait délibérer sur la guerre et sur les honneurs du triomphe, les magistrats investis de l'imperium partaient de ce temple et y rapportaient les trophées de leurs victoires comme les triompha­teurs devaient revenir dédier à Mars Ultor leur sceptre et leur couronne, dans ce temple on déposait les enseignes prises à l'ennemi, les censeurs sortant de charge y devaient fixer leur clou, les chevaux destinés à courir au cirque y étaient exposés, enfin, comme le temple d'Apollon et de Jupiter Capitolin, il était confié à la garde des sénateurs. Il renfermait aussi un dépôt du trésor, et Juvénal raille Mars de n'avoir su sauver des voleurs, qui, une nuit, en forcèrent les portes, ni la caisse dont il avait la garde, ni même son casque. Il avait enfin, comme le temple de Castor, un bureau pour la vérification des poids.

Comme le forum de César pour le temple de Vénus Genitrix, le forum d'Auguste servait d'aréa au temple de Mars Ultor, temple et forum avaient été construits avec le butin de Philippes, sur un terrain acheté aux particuliers, et même Auguste avait dû restreindre ses plans, reculant devant des expropriations trop considérables. On employa pour ces constructions des matériaux de premier choix, tout le bois avait été coupé à la canicule et sous certaines constellations, parce que, dit Pline, dans ces conditions il se con­serve indéfiniment. Le mur d'enceinte était bâti en gros blocs de tuf et de travertin, avec colonnes et revêtement de marbres précieux à l'intérieur. Le temple était adossé à la partie centrale du mur d'enceinte qui fermait le forum au nord-est, ce mur entourait une place carrée avec hémicycle à droite et à gauche du temple. L'arcade sous laquelle passe aujourd'hui la via Bonella, rue moderne, est antique, mais elle est encore à 5 mètres environ au-dessus de l'ancien sol du forum. A droite de cet arc, du côté opposé au temple, on a complètement déblayé une partie de l'hémicycle, jusqu'au sol, où on a retrouvé l'ancien dallage en marbre. Il dut contribuer à sauver le forum et le temple des incendies qui ravagèrent ce quartier. Et en effet, on n'en connaît qu'une restauration, sous Hadrien.

Le forum d'Auguste était, nous l'avons dit, un forum judiciaire, spécialement réservé aux publica judicia et
a
ux sortitiones judicum. Les empereurs y rendaient la justice. Auguste orna son forum de nombreuses statues, «Il voulut, nous dit Suétone, que, après les dieux immortels, on honorât surtout les illustres généraux qui avaient fait Rome, de si petite, si grande... c'est pourquoi il érigea leurs statues, en appareil triomphal, dans les deux portiques de son forum, déclarant dans son édit qu'il voulait ainsi proposer aux citoyens des modèles pour le juger lui-même, de son vivant, puis les princes des âges suivants. » Ces statues, en bronze, occupaient des niches rectangulaires ménagées dans le mur, le nom et le cursus honorum du personnage étaient gravés sur la plinthe supportant la statue, au-dessous une plaque en marbre portait l' elogium . Les niches étaient protégées par un portique, composé d'une seule rangée de colonnes auxquelles correspon­dait un pilastre, et courant à l'intérieur tout le long du mur d'enceinte. On peut voir quelques niches très bien conservées dans la partie du mur encore debout. La statue d'Enée, portant son père, commençait la série, suivaient les rois d'Albes (1), ancê­tres de la gens Julia, puis Romulus et, après lui, les grands généraux de la République.

(1) Ovid, Fast., V, 503 ss. Mars est venu visiter son temple et le forum qui lui sert d'aréa.

On continua après Auguste cette série de statues, jusqu'au jour où le forum de Trajan fut construit. Le Sénat décréta qu'on y érigerait à Néron, dans le temple de Mars, des statues égales en hauteur à celles du dieu. Une inscription, trouvée dans les dernières fouilles et gravée sur un piédestal, mentionne une œuvre d'art en or, sans doute un vase, du poids de cent livres, dédiée à Auguste par la province d'Espagne pacifiée. Nous savons, par Auguste lui-même, que, en l'année de son treizième consulat (752= 2 av. J.-C), le peuple lui décerna par acclamation le titre de Père de la patrie, et décréta que ce titre serait gravé sur les qua­driges qui lui avaient été, en vertu d'un sénatus-consulte, érigés sur son forum. On ne sait pas quel endroit du forum occupaient ces quadriges, M. Bor­sari suppose, avec assez de vraisemblance, que c'était peut-être le centre de chacun des hémicycles. En l'an 772 (= 19 ap. J,C), le Sénat, après la pacifi­cation de l'Arménie, décerna l'ovation à Germanicus et à Drusus, et décida que deux arcs de triomphe, ornés de leurs statues, leur seraient érigés de chaque côté du temple de Mars Ultor. Le forum n'était pas moins que le temple lui-même riche en œuvres d'art, on y voyait un Apollon en ivoire, à l'entrée, Auguste avait placé une statue archaïque de Minerve, en ivoire aussi, œuvre d'Endoios, qu'il avait rapportée d'Alea d'Arcadie, avec les défenses du sanglier de Calydon. Enfin, devant le temple, on avait dressé deux des quatre statues qui supportaient la tente d'Alexandre le Grand, les deux autres étaient devant la regia. Les actes des Frères Arvales contiennent la mention de plusieurs sacrifices célébrés soit dans le temple, soit dans le forum d'Auguste. C'était une des mansiones de la procession des prêtres saliens qui y faisaient un festin. Le forum d'Auguste est appelé forum Augustum dans les Res gestae, ce fut donc son nom officiel, après la mort d'Auguste on le désigna sous le nom de forum divi Augusti, la magnificence du temple de Mars lui fit aussi donner le nom de forum Martis. Le nom, si populaire à Rome de Marforio, porté encore aujour­d'hui par la rue qui passe devant la prison Mamertine, est une corruption de Martis forum . Le forum d'Auguste figure encore dans les régionnaires.

CHAPITRE III

LE TEMPLE ET LE FORUM DE LA PAIX

Aussitôt après avoir triomphé des Juifs (824 = 71 ap. J.-C.), Vespasien et Titus fermèrent le temple de Janus et résolurent d'élever un temple à la Paix. Les travaux furent poussés avec une grande activité, car le temple put être dédié dès l'année (828 = 75 ap. J.-C.). C'était un édifice d'une magnificence extraor­dinaire, Vespasien prodigua l'argent, dépouilla les autres temples pour l'enrichir et en fit un musée où l'on voyait réunies des merveilles jusque-là dispersées dans tout l'univers. C'est là que furent déposés les vases sacrés et les objets en or provenant du temple de Jérusalem (1).

(1) L'histoire de ces dépouilles sacrées est curieuse. Sauvées de l'incendie du temple de l a Paix, elles furent emportées à Carthage par Genséric , là Bélisaire les reprit et les rapporta à Constantinople d'où Justinien les envoya à l'église de Jérusalem (Procop, Bell. Vand., II, 9). Les tables de la loi et le voile du temple furent déposés au Palatin. Sur les légendes et récits relatifs au sort des dépouilles du temple de Jérusalem, cf. Salomon Reinach, «  L' arc de Titus et les dépouilles du temple de Jérusalem  » , 1890. p. 24 ss.

Néron avait dépouillé la Grèce de ses œuvres pour orner sa maison dorée, Vespasien en transporta une grande partie dans le nouveau temple. Les auteurs nous ont transmis les noms de quelques-uns de ces chefs-d'œuvre : un héros, œuvre parfaite de Timanthe qui excellait dans l'art de peindre les figures héroïques, l'Ialysus , le plus estimé des tableaux de Protogène (1) que l' on avait apporté de Rhodes où Cicéron l'avait autrefois admiré, une Scylla de Nicomaque, une Vénus d'auteur inconnu mais digne de son antique renommée, une statue de Cheimon par Naucydès, transportée d'Argos à Rome , la statué colossale du Nil en basanite (pierre de touche), repré­sentant le fleuve autour duquel jouent seize enfants symbole des seize coudées que le fleuve doit atteindre quand sa crue est complète, une statue de Ganymède. Enfin Vespasien avait dédié dans ce temple et en même temps dans le temple du Capitole une cou­ronne de cinname, enfermée dans de l'or ciselé. Il y avait aussi, dans le temple de la Paix, une bibliothèque, Trebellius Pollion se plaint de quelques cri­tiques dirigées contre lui par des érudits ou gens de lettres qui s'y réunissaient.

(1) C'est sur ce tableau qu'était représenté le chien dont l'artiste fit la bave en lançant son éponge contre la toile, dépité de ne pas pou­voir la reproduire.

Le temple de la Paix était situé près du forum romain et du forum de Nerva. Quant au forum de la Paix, son nom n'apparaît qu'à une époque tardive dans les auteurs. Ammien Marcellin en fait encore mention dans l'énumération des merveilles de Rome : Decora urbis aeternae . En l'année 944 (= 191 ap. J.-C), à la suite d'un tremblement de terre peu violent, soit par l'effet du tremblement de terre lui-même, soit qu'il eût été frappé de la foudre, le temple de la Paix fut incendié, d'autres crurent que le feu éclata d'abord dans les greniers aux épices, puis gagna le temple, malgré les efforts des citoyens et de la troupe animés par la pré­sence de l'empereur Commode, l'incendie s'étendit avec rapidité jusqu'au temple de Vesta et au Palatin où il dévora les bibliothèques publiques. Ce fut un désastre pour les arts et les lettres, c'en fut un aussi pour des particuliers qui, suivant un usage fréquent à Rome, avaient déposé dans le temple leurs richesses qu'ils ne croyaient pas assez en sûreté chez eux.

La plus grande incertitude règne sur le sort du temple après cet incendie, beaucoup pensent qu'il ne fut pas reconstruit. Cependant il me semble impossible d'admettre qu'il fut excepté des grands travaux par lesquels Septime Sévère répara les dommages de cet incendie, Trebellius Pollion, en parlant de la biblio­thèque certainement reconstituée du temple de la Paix, aurait-il employé les mots delubrum Pacis si le temple eût été de son temps une ruine abandonnée ? Ce temple figure encore dans la Notitia comme monu­ment principal et éponyme de la quatrième région, autour de lui, le forum Pacis avait été reconstruit, peut-être même est-ce seulement au temps de cette reconstruction, sous Septime Sévère, que l'ancienne aréa du temple de la paix fut transformée en forum. II semble qu'au temps de Procope le temple était en ruine mais faut-il supposer que pendant plus de trois siècles il était resté en cet état au milieu de son forum reconstruit? Toutes les œuvres d'art accumulées dans le temple de la Paix et sur son forum ne périrent pas dans l'in­cendie : on put sauver les dépouilles du temple de Jérusalem. Procope vit encore sur le forum de le Paix une fontaine ornée d'un bœuf en bronze, œuvre, croit-il, de Phidias ou de Lysippe, plusieurs statues de ces mêmes artistes, une, entre autres, dont l'in­scription attestait qu'elle était l'œuvre de Phidias, une génisse de Myron

Vespasien avait aussi construit un édifice qui devint le templum sacrae Urbis, une de ses extrémités bordait le forum de la paix, l'autre, que Maxence, à la fin du III ème siècle, masqua par le temple rond de son fils Romulus, se trouvait près de la voie sacrée, un peu avant le temple d'Antonin et de Faustine, c'est-à-dire en dehors du forum romain. Brûlé en même temps que le temple de la Paix, il fut reconstruit par Septime Sévère, son mur de derrière, sans abside, formait, du côté du forum Pacis, une grande surface plane sur laquelle Septime Sévère fixa son grand plan de Rome gravé sur marbre. Il est pro­bable qu'un premier plan, exécuté par ordre de Vespasien, avait péri dans l'incendie. Le templum sacrae Urbis et le temple de Romulus existent encore aujour­d'hui absorbés l'un et l'autre dans l'église des Saints-Cosme-et-Damien. Les travaux de voirie et de cons­truction ont mis au jour, à différentes reprises, des restes du temple et du forum de la Paix. Une rue, qui fut fermée plus tard par la basilique de Constantin, mettait le forum de la Paix en communica­tion avec la voie sacrée à côté du temple de Romu­lus.

CHAPITRE IV

LE FORUM DE NERVA OU FORUM TRANSITORIUM

Les forum d'Auguste et de César étaient séparés du temple de la Paix et de son aréa par une rue, l'Argiletum, qui mettait le forum romain en communication avec le quartier de Subure. Pour qu'il n'y eût pas de lacune entre ces groupes de monu­ments, dont les temples, les places et les portiques formaient déjà un ensemble remarquable, Domitien résolut de transformer en un nouveau forum la partie de l'Argiletum confinant au forum romain et, comme il avait une vénération toute particulière pour Minerve dont il prétendait être le fils et dont il avait toujours une statue dans sa chambre, ce fut à elle qu'il voulut consacrer le temple qui devait s'élever sur son nouveau forum. La dédicace du temple et du forum, que Domitien ne put achever, fut faite par Nerva (851 = 98 ap. J.-C.) qui donna son nom au forum. Le temple de Minerve était très beau, Aurelius Victor rappelle encore eminentior, magnificentior. On a retrouvé le fragment du plan antique de Rome sur lequel il est dessiné. Il en existait encore, au commencement du XVII ème siècle, des restes dont Du Pérac et Palladio nous ont conservé des vues, c'était un temple corinthien, prostyle, hexastyle avec abside. En 1606, le pape Paul V le démolit et ses matériaux servirent à cons­truire la fontaine de l'Aqua Paolo sur le Janicule, la destruction s'arrêta à la base des colonnes, et les substructions existent encore sous la maison qui forme l'angle de la via Alexandrina et de la via della croce bianca.

Le forum de Nerva était un rectangle allongé dont les deux petits côtés affectaient une forme légèrement curviligne. Tout le long du mur intérieur, sur les petits côtés aussi bien que sur les grands, courait un portique composé d'une seule rangée de colonnes corinthiennes cannelées, surmontées d'avant-corps qui servaient de piédestaux à des statues. Au-dessus des chapiteaux, régnait une frise ornée de sculptures d'un bon travail. Dans chaque entre-colonnement, au-dessus de la frise, était placée une image de divinité en relief. La portion encore existante, connue sous le nom de Colonnacce , permet de se rendre compte de cette belle architecture (1), des décou­vertes partielles ont démontré que l'ornementation était la même sur tout le périmètre du forum. Le petit côté regardant le forum romain était percé de grands arcs monumentaux, qui servaient d'issue, on se trouvait, après les avoir franchis, dans un bou­levard aussi large que le forum lui-même, long de 50 mètres environ, et qui débouchait sur le forum romain entre la curie et la basilique Aemilia . A l'intérieur du forum de Nerva, au pied des murailles des longs côtés, à droite et à gauche, existait une rue pavée avec de gros morceaux de lave de forme pentagonale, l'aréa était couverte de grandes dalles. Pour continuer la série des statues qui ornaient le forum d'Auguste, Sévère Alexandre fit dresser, sur le forum de Nerva, les statues colossales, soit en pied, soit équestres, des empereurs qui avaient reçu les honneurs de l'apothéose, à côté de chaque statue, sur une colonne en bronze, étaient gravées les res gestae du divus. M. Lanciani a pu, à l'aide de dessins inédits de la fin du xv ème siècle, reconstituer le forum de Nerva.

(1) La divinité en relief qui surmonte ce fragment du portique est Minerve; sur la frise qui est au-dessous, on a, jusqu'à ce jour, reconnu deux groupes : Minerve et Arachnè puis Minerve Erganè président à des travaux féminins.

Il y a trouvé la preuve que les forums d'Auguste et de Nerva se touchaient, et que l'architecte de Domitien avait su, avec une remarquable habileté, bâtir son forum et son temple dans un endroit resserré et les adapter merveilleusement à des édifices déjà existants et offrant des lignes courbes.

Le forum de Nerva porte dans les auteurs des noms très différents : il s'appelle forum Nervae, du nom de l'empereur qui l'a dédié, forum transitorium et forum pervium parce qu'il servait de lieu de pas­sage entre les différents forums, forum Palladium à cause du temple de Minerve.

CHAPITRE V

LE FORUM DE TRAJAN

Au temps de Trajan, il existait à Rome deux vastes emplacements séparés par le Capitole et couverts d'édifices somptueux : les forums situés au pied des palais impériaux et des temples du Capitole, et pro­longés vers l'est par l'amphithéâtre et par les Thermes de Titus puis, de l'autre côté, le Champ de Mars. La route qui réunissait ces deux centres, fermée par un promontoire que le Quirinal projetait vers le Capitole, n'était qu'un défilé très étroit. Trajan conçut le projet grandiose de faire disparaître la colline et de réunir le Champ de Mars aux forums romain et impériaux par un nouveau forum dont la beauté surpasserait celle de tous les autres.

Telle fut l'origine du forum Trajani, appelé quelque­fois aussi, mais rarement, forum Ulpium. L'exécution en fut confiée à l'architecte Apollodore de Damas, qui, déjà, avait construit pour Trajan le célèbre pont du Danube. Il fallut, pour faire ce forum, acheter environ 275 000 pieds carrés de terrain, et, pour aplanir la colline, dont la colonne Trajane devait égaler la hauteur, enlever environ 850000 mètres cubes de terre et de roche, qui furent transportés près de la via Salaria, sur les confins des jardins de Salluste, au lieu dit Ad nucem (Vigna Naro-Ber-tone). Le forum de Trajan était en communication avec celui d'Auguste, on y entrait de ce côté en passant sous un arc de triomphe décrété à Trajan par le Sénat, l'année même de sa mort, et dont on a, à plusieurs reprises, découvert des débris, une monnaie nous en a conservé l'image.

a façade est ornée de six colonnes, avec une grande porte au milieu, surmontée d'un médaillon, de chaque côté, deux niches, surmontées elles aussi d'un médaillon, renferment chacune une statue debout. Sur la plate-forme, l'empereur est couronné par la Victoire, dans un char à six chevaux, placé entre des trophées, des soldats ou des Victoires. L'arc de triomphe franchi, on entrait dans une vaste aréa (ou atrium) au milieu de laquelle se trouvait la statue équestre en bronze de Trajan. Cette aréa, d'une superficie de 126 mètres , était circonscrite par un portique de forme carrée, en dehors duquel elle se prolongeait, à droite et à gauche, par deux hémicycles , dont l'un, adossé au Quirinal, existe encore aujourd'hui en partie, ils étaient formés d'une double muraille dans l'intérieur de laquelle on avait ménagé des chambres avec une façade couverte d'ornements d'architecture. Le faîte de ces hémicycles était orné de chevaux et d'enseignes militaires en bronze doré, érigés ex manubiis.

Le côté de cette aréa opposé à l'entrée était occupé par la façade de la basilique Ulpia qui nous a été conservée comme type moné­taire . Une autre mon­naie représente la même fa­çade avec des variantes. On voit, en comparant ces mon­naies, que la façade de la ba­silique Ulpia était surélevée de plusieurs marches dont les restes existent encore. Dix colonnes de face et six petites en haut soutenaient trois frontons surmontés chacun d'un quadrige por­tant un triomphateur, le quadrige du milieu était con­duit par deux Victoires debout tenant une palme, l'édifice était couronné sur toute sa longueur par une plate-forme garnie d'antéfixes. Comme la basilique Julia du forum romain, la basilique Ulpia se compo­sait d'un espace central, rectangulaire, entouré d'une double rangée de colonnes qui la divisaient en trois nefs précédées d'un portique parallèle à la façade, les colonnes en granit gris dont il reste des fragments considérables et qui semblent être aujourd'hui en place, n'appartiennent pas à la basilique, mais aux portiques extérieurs du forum. Cependant, comme on les a redres­sées sur l'emplacement des colonnes de la basilique, elles marquent bien la division des nefs. Le premier étage formait tribune autour de la grande nef. C'était un monument d'une grande magnificence, pavé de marbres précieux, sa toiture était en bronze. Un fragment du plan antique de Rome représente la basilique Ulpia. Nous y voyons que, comme l'aréa, la basilique se prolongeait, à droite et à gauche, par deux absides. Sur l'une de ces absides, on lit le mot Libertatis. La plus grande incertitude règne sur l'interprétation de ce mot, on a voulu y voir la preuve que l' Atrium libertatis avait été transporté en cet endroit, d'autres auteurs ont rap­proché cette inscription d'un texte où Sidoine Apolli­naire dit que c'est au forum de Trajan que s'accom­plissaient les formalités de l'affranchissement. Il semble que ce nom de divinité, seul, au génitif, devrait être, d'après les habitudes de parler des Romains, l'indication d'un temple ou d'un sacrarium.

En sortant de la basilique, du côté opposé à la façade, on se trouvait, au milieu d'une petite cour, en face de la colonne Trajane. Sa hauteur égale celle de la colline disparue, comme l'in­dique l'inscription gravée sur la base. Elle est représentée sur un grand bronze de Trajan. La colonne, encore debout, est en marbre, elle se compose d'un piédestal quadrangulaire, orné d'armes, de trophées et de Victoires supportant l'inscription, le fût porte un développement de bas-reliefs disposés en zone spirale, représentant les expéditions de Trajan, près de 2500 personnages entrent dans cette composition. Le fût se termine par un amortissement ou acrotère qui supportait la statue. Creuse à l'intérieur, la colonne renferme un escalier à vis qui lui a fait donner par les auteurs anciens le nom de columna coclis . Elle était destinée à servir de sépulture à Trajan, et, en effet, après sa mort, on y enferma ses cendres recueillies dans une urne d'or.

De chaque côté de la colonne étaient deux édifices que l'on croit avoir été les bibliothèques grecque et latine. Ces bibliothèques, connues sous le nom de bi bliolheca Ulpia et de Bibliotheca templi Trajani sont souvent mentionnées par les auteurs. Les livres, au moins les livres précieux, y étaient classés dans des armoires numérotées, elles renfermaient beaucoup de documents d'archives : les libri lintei, mémoires des empereurs qui n'étaient pas communiqués sans l'autorisation du préfet de Rome, les sénatus-consultes ayant trait aux empereurs, les édits des anciens préteurs. Les écrivains célèbres y avaient, même de leur vivant, des statues. La bibliothèque Ulpia fut plus tard transférée en partie aux Thermes de Dioctétien.En face de la colonne, Hadrien éleva un temple à Plotine et à Trajan, le seul de ses nombreux édifices sur lequel il ait mis son nom. Le forum de Trajan était orné de nombreuses sta­tues dont on a retrouvé quelques piédestaux portant des inscriptions Trajan en fit élever à Sossius, à Palma et à Celsus qu'il avait en très grande estime. On y continua la série des statues qui ornaient le forum d'Auguste. Marc-Aurèle y fit ériger celles des offi­ciers morts glorieusement à la guerre, et Sévère Alexandre l'orna de statues apportées de tous les endroits de la ville, Aurélien y eut une statue en argent votée par le Sénat. Parmi les œuvres d'art les plus belles que contenait ce forum, Pausanias men­tionne une statue d'Auguste en électrum, et une statue en ivoire de Nicomède, roi de Bithynie. « Tel était, écrit M. C. de la Berge (1), le forum de Trajan qui resta debout jusqu'à la fin du IX ème siècle. Il est souvent mentionné dans les auteurs de la déca­dence, et, en effet, il fut longtemps un centre de réunions et de promenades. Bien des souvenirs popu­laires se rattachaient à cette place qui portait le nom du meilleur des princes. On y avait vu Hadrien brûler les créances non recouvrées du fisc, Marc Aurèle vendre les meubles les plus précieux du palais des Césars pour épargner de nouveaux impôts aux pro­vinces et défrayer la guerre contre les Marcomans, Aurélien détruire toutes les tables de proscription.

(1) Essai sur le règne de Trajan, 96 ss.

C'est là que les consuls venaient rendre la justice, c'est là qu'on affranchissait les esclaves. D'ailleurs, la bibliothèque Ulpia, riche en documents de haute importance, attirait les historiens et les philosophes. Sur l'aréa voisine, Favorinus parlait morale ou gram­maire avec ses amis, et Fronton, Dion Chrysostome, Hérode Atticus, avaient groupé leurs disciples. C'est sur le forum de Trajan que la poésie latine fit entendre ses derniers accents. Les grands édifices élevés par Apollodore avaient été ornés de statues représentant les hommes de guerre, les légistes, les littérateurs les plus célèbres. Le Romain pouvait être fier en jetant les yeux sur ces monuments d'un art original et puis­sant. Pausanias, familiarisé avec les merveilles encore debout sur le sol hellénique, n'a pas refusé son admi­ration au forum de Trajan. On sait qu'il arracha un cri de ravissement à l'indifférence byzantine de Constance, et les débris qu'on y retrouve, à de longs intervalles, sont placés, par les critiques du goût le plus difficile et le plus sûr, peu au-dessous ou à côte même des oeuvres grecques. »

APPENDICE

UNE VISITE AU FORUM

CHAPITRE I

VUE D'ENSEMBLE

Les quelques degrés en bois par lesquels nous des cendons vers le forum nous laissent sur la cella du temple de Castor, le temple aux trois belles colonnes . Si nous faisons quelques pas en avant, nous dominons tout le forum. Avant d'y descendre, embras­ons-le d'un coup d 'œil.

A nos pieds la voie sacrée monte en ligne droite vers l'ouest, après être passé sous l'arc de Tibère elle contourne, à droite, le temple de Saturne pour s e confondre avec le clivus Capitolinus qui gravit le Capitole dans la direction du temple de Jupiter Capitolin. A notre gauche, au pied du temple, le pavé du vicus Tuscus nous sépare de la basilique J ulia dont l'extrémité opposée est longée par le vicus Jugarius, près duquel le temple de Saturne profile les six colonnes de sa façade élevée. Tout à l'extrémité, à l'ouest, les blanches colonnes du portique des Dii consentes tranchent sur le mur sombre du Tabularium , puis, à droite, les trois colonnes en triangle du temple de Vespasien et, è la suite, au pied de la grande tour carrée du moyen âge qui termine le tabularium, l'emplacement du temple de la Concorde. L'arc de triomphe de Septime Sévère nous cache l'escalier moderne qui monte au Capitole et la prison, aujourd'hui l'église San Giuseppc dei Falegnami et San Pietro in carcere. A gauche de l'arc de Septime Sévère et en arrière de la colonne de Phocas nous apercevons confusé­ment des murs bas et sombres, c'est la tribune ou les rostres.

En face de la basilique Julia, de l'autre coté de la voie sacrée, de grandes bases rectangulaires en briques, autrefois revêtues de marbre et sur montées de colonnes, se dressent en bordure du forum au milieu de laquelle une base peu élevée servit sans doute de support à la statut équestre de Constantin, là aussi probablement, où tout près et certainement avec la même orientation fut autrefois la statue de Domitien, et, avant elle le lacus Curtius.

De l'autre côté de l'aréa, un talus élevé, non encore déblayé, recouvre le côté nord du forum qui étai bordé par une rue parallèle à la voie sacrée et appelé vicus Jani : en commençant par la gauche, l'église Sainte-Martine avec son dôme élégant, la via Bondi ouverte, à une époque relativement moderne, à travers les forums d'Auguste et de César, l'église Saint Adrien, dont le fronton triangulaire et les murs en bri­bes remontent à Dioclétien, occupent l'emplacement de la curie, palais du sénat de l'époque impériale, et ses annexes. Là était le comitium et plus haut, à gauche, au pied du Capitole, une place que le temple le la Concorde devait plus tard envahir en partie, le Vulcanal. Entre la prison et le sénat, une rue, le clivus Argentarius, aboutissait au forum au pied des degrés du temple de la Concorde. A droite de la curie, là où, près d'une petite maison appuyée à l'église saint-Adrien, la rue Cavour s'arrête brusquement à la tranchée formée par le forum, l' Argiletum, rue antique et célèbre, descendait du quartier populaire et mal famé de Subure, appelé le forum clandestinum à cause des transactions louches qui s'y faisaient. C'est là que s'élevait le temple de Janus dont les portes n'étaient fermées que pendant la paix. Les vieilles maisons, à droite de la rue Cavour, couvrent les restes de la basilique Aemilia, puis les colonnes en marbre cipollin qui supportent l'inscription et la belle frise du temple d'Antonin et de Faustine terminent le côté nord du forum. Tout à côté, l'arc de triomphe de Fabius, dont les débris ont été dispersés, faisait à la voie sacrée une entrée sur le forum.

Une double rangée d'édifices ferme le côté ouest : en arrière, quelques débris de marbre et de briques sont tout ce qui reste de la regia construite en marbre par Calvinus, à côté, un terre-plein circulaire , fondation du temple de Vesta, garde encore des pierres posées au temps des rois. Plus en avant, ce podium mis à nu et déformé supportait le temple de César, que flanquaient, du côté du temple de Castor, les trois baies de l'arc d'Auguste. Un peu en arrière de cet arc de triomphe, une substruction circulaire appelée puteal Libonis par les uns, fons Juturnae par d'autres, n'était peut-être ni l'un ni l'autre. A notre droite, au pied des trois colonnes, une rue parallèle au vicus Tuscus et à moitié fermée par un des côtés de l'arc d'Auguste, longeait le temple de Castor, M. Lanciani l'appelle vicus Vestae.

Au temps de la République le forum s'étendait de la regia et du temple de Vesta jusqu'au pied du tabularium . Sous l'Empire, son aréa fut res­treinte, à l'est par le temple de César et par l'arc de triomphe d'Auguste, à l'ouest, par l'arc de 1 Tibère, les rostres, qui font saillie sur l'aréa et l'arc de Septime Sévère.

Dans l'état actuel des fouilles, la largeur du forum est, à la hauteur des rostres et sans compter la voit sacrée, de 47 mètres , elle n'est que de 35 en face du temple de César. Du mur semi-circulaire auquel sont appuyés les rostres jusqu'à la façade de la regia, il y a 155 mètres , mais la construction du temple de César a diminué cette longueur d'une cinquantaine de mètres.

Tout à l'heure, pour que notre visite soit complète, il nous faudra franchir, à l'est, la limite du forum et voir quelques monuments qu'on n'en peut guère sé­parer, quoique, à proprement parler, ils n'en fassent pas partie. A notre droite, en effet, au delà du temple de Vesta, nous apercevons les murs en briques de la maison des Vestales, dominés par les arcades sous lesquelles passe la via nova , dans la direction de l'arc de Titus. En face de nous, le côté nord se prolonge, vers l'est, par le petit temple rond de Romulus adossé au templum sacrae Urbis qu'une rue étroite sépare de la basilique de Constantin dont nous voyons les trois arches grandioses, hautes comme la nef de Saint-Pierre. A l'est, en retrait sur l'église Sainte-Françoise-Romaine, le portique du temple de Vénus et de Rome nous ramène à l'arc de Titus posé sur le point culminant de la voie sacrée. C'est en face de nous, sur le côté nord du forum, que fut livrée la célèbre bataille entre les Sabins et les Romains. Ceux-ci avaient essayé d'emporter la citadelle livrée à l'en­nemi par la trahison de Tarpeia. Repoussés, ils avaient fui sur toute la longueur du forum, et, pêle-mêle avec eux, les Sabins allaient franchir la porte Mugonia et entrer dans la Roma quadrata, sur le Palatin. Mais Romulus fait vœu d'élever, en cet endroit même, un temple à Jupiter, si ses soldats cessent de fuir. Aussitôt les Romains s'arrêtent et reprennent une vigoureuse offensive. Le chef des Sabins, Mettius Curtius, serré de près, pousse son cheval dans un marais d'où lui-même se tire à grand'peine. Le lieu de ce marais conserva longtemps, au milieu du forum, le nom de lacus Curtius . Chaque année, quoiqu'il fût desséché depuis des siècles, au jour anniversaire de la naissance d'Auguste, les citoyens de tout ordre venaient jeter, dans le puteal qui en marquait l'emplacement, des pièces de mon­naie pour le salut de l'empereur. Souvenir inconscient d'une tradition remontant aux temps lointains où le lacus n'était pas encore desséché (1). Curtius se tira donc de son marais, et au centre de la vallée, le combat reprit avec acharnement. C'est alors que, intervenant entre leurs pères et leurs époux, les Sabines mirent fin au combat.

(1) On sait que les Romains avaient l'habitude de jeter des pièces de monnaie, comme offrandes, dans les sources, les gués et autres eaux sacrées.

Ce drame rapide a laissé dans nos jeunes imaginations d'écoliers une impression grandiose. La scène en est cepen­dant bien restreinte, nous l'embrassons d'un coup d'oeil : si le côté nord du forum était ramené au sol antique, cinq minutes suffiraient pour aller de la prison Mamertine à l'arc de Titus , les deux points extrêmes du combat. Nous commencerons la visite des monuments du forum par celui sur lequel nous nous trouvons : le temple de Castor et de Pollux.

CHAPITRE II

LE CÔTÉ SUD DU FORUM

Le temple de Castor et de Pollux — Voué pen­dant la bataille du lac Régille (258 de Rome = 496 av. J.-C), dédié l'an de Rome 270 (= 484 av. J.-C.), reconstruit en 647 (= 107 av. J.-G.) et sous Auguste (748 = 6).

L'escalier en bois du forum nous a conduits au milieu de la cella du temple de Castor. La cella est la partie du temple la plus retirée, au fond de laquelle, sur une base, se dressait la statue du dieu. Celle du temple de Castor avait deux bases : une pour la statue de Castor, l'autre pour la statue de Pollux. A notre droite, devant les trois colonnes, subsiste, au pied d'un fragment du mur latéral de la cella, un débris de la mosaïque. En avançant de quelques pas, après avoir laissé à gauche un reste du mur de la façade de la cella, nous sommes dans le pronaos ou portique du temple.

Les substructions en tuf et en travertin que nous foulons supportaient les huit colonnes de la façade. Tout le temple était entouré d'un portique dont les côtés longs comptaient neuf colonnes, les trois qui sont encore debout permettent d'apprécier la beauté et l'élégante simplicité de l'édifice reconstruit sous le règne d'Auguste. De la façade, un escalier descendant vers la voie sacrée aboutissait, comme l'ont démontré les fouilles faites en octobre 1896, à une plate-forme ou tribune qui occupait le centre du grand escalier, à chaque extré­mité, existait un autre escalier latéral dont les restes sont encore visibles. Cette disposition s'explique par le fait que, du temple de Castor, on parlait au peuple. La foule pouvait ainsi se tenir aux pieds de l'orateur sans le presser. En outre, l'étroitesse des escaliers, de la façade ou des côtés, protégeait le temple contre l'envahissement de la foule : précaution utile à cause du rôle important que joua dans les troubles politiques le temple de Castor, à la fois tribune et citadelle.

En descendant à notre gauche (vers le vicus Tuscus), l'escalier en bois qui remplace aujourd'hui les marches disparues de l'escalier antique, nous arrivons sur le vicus Tuscus. De là on ne saurait trop admirer la majestueuse solidité du podium du temple : il est formé d'une masse de blocage si ferme qu'elle semble être un seul bloc. Un peu en arrière de l'escalier par lequel nous sommes descendus, ouvre une petite chambre ayant sans doute servi de Trésor. La trace des blocs de tuf dont se composait la muraille subsiste encore sur le podium, et en avant, tout à fait sur le bord de la rue, on voit un fragment du revêtement en marbre avec sa plinthe. L'autre face latérale du podium, au-dessous des trois colonnes, est mieux conservée et révèle plus encore l'admirable construction de cet édifice, un des plus beaux spécimens de l'archi­tecture gréco-romaine : de distance en distance, des éperons en travertin, destinés à supporter les colonnes, font saillie sur le mur en tuf, et, par excès de précau­tion et exagération de la solidité, au-dessous de la base des colonnes, ces éperons sont reliés entre eux par des arcs en travertin formant voûte. En passant de nouveau devant la façade du temple pour regagner le vicus Tuscus, jetons un coup d'œil sur la base du mur en tuf, autrefois revêtu de marbre, par lequel, au centre de son grand escalier, le temple de Castor se terminait en tribune, ou sug­ gestus, sur la voie sacrée.

Le temple de Castor était un lieu de réunion du Sénat. De son portique élevé et de ses gradins, on assistait aux spectacles les plus variés : jeux et combats sur le forum, procès et plaidoiries au tribunal voisin, la pompe des triomphes et des grandes processions religieuses se dérou­lait au pied de son portique sur la voie sacrée. Le long et singulier cortège des ludi Romani, dont Denys d'Halicarnasse nous a laissé une si curieuse description, allant du Capitole au cirque Maxime, après avoir suivi la voie sacrée, tour­nait à l'angle du temple, pour suivre le vicus Tuscus . Au jour anniversaire de la dédicace du temple, on y célé­brait des sacrifices solennels et les cinq mille chevaliers, en armes, couronnés de rameaux d'olivier et revêtus de robes de pourpre, défilaient devant le sanctuaire. Pendant les périodes de troubles politiques, particulière­ment aux temps des Gracques, de Marius, de Sylla et de César, le temple de Castor fut le théâtre de luttes à main armée, de scènes violentes et de meurtres, ceux qui l'occu­paient y transportaient des armes, en enlevaient les gradins pour le rendre inaccessible, et aussi pour faire des projec­tiles. Le temple était gardé par des portiers (aeditui). Caligula en avait fait le vestibule de son palais, disant que Castor et Pollux étaient ses concierges, lui-même, par un passage pratiqué dans la cella, venait s'asseoir entre les deux statues des dieux pour recevoir les adorations de la foule.

Le vicus Tuscus — en fran­çais on dirait la rue Étrusque — mettait le forum en communication avec le quartier du Velabre, le circus Maximus et le forum boarium. Son nom et la statue du dieu Vortumne, érigée près de l'endroit ou le vicus se détache du forum, témoignent de ses anti­ques origines étrusques. C'était un endroit mal famé où se tenaient dans des boutiques interlopes des gens d'affaires véreux et des entremetteurs peu recomman­ dables.

Devant nous, au coin de la voie sacrée et du vicus Tuscus, à l'angle de la basilique Julia, s'élève un piédestal formé d'un gros bloc de travertin. On a voulu, mais sans preuves, y voir la pila Horatia, trophée auquel Horace avait suspendu les armes des Curiaces et qui existait encore au temps de Denys d'Halicarnasse et de Tite-Live. Il est plus probable que la pila Horatia était du côté du comitium , là où la gens Horatia avait déjà la statue d'un de ses membres, Horatius Coclès.

La Cloaca Maxima — Construite par les Tarquins.

A l'extrémité de la basilique Julia, près du vicus Tuscus, en haut des degrés de la basilique que nous venons de gravir, un regard pratiqué dans la voûte de la cloaca Maxima nous permet d'admirer sa magni­fique construction, on s'en rend mieux compte encore à l'endroit où elle déverse ses eaux dans le Tibre, au-dessous du forum boarium . «Les eaux, dit Pline, lancées comme des torrents impétueux pour entraîner les immondices et grossies encore par les eaux pluviales, battent le fond et les flancs de l'égout, le Tibre débordé y entre en remontant et les deux courants se heurtent, et cependant l'immuable solidité de la construction résiste. Des poids énormes sont traînés au-dessus de la voûte sans qu'elle fléchisse, le temps et les incendies y abattent des maisons, des tremblements de terre ébranlent le sol, et, depuis sept cents ans, l'œuvre de Tarquin est inébranlable. » Ce que Pline écrivait après sept cents ans est vrai encore après deux mille cinq cents.

La cloaca Maxima est construite et voûtée en blocs de peperino, de grand appareil, posés sans ciment, c'est la pierre qu'on employait à Rome aux époques les plus anciennes. L'arc a environ 5 mètres de dia­mètre, la hauteur est inconnue à cause des dépôts qui, avec le temps, ont beaucoup exhaussé le sol. Strabon dit, non sans un peu d'exagération, que, par endroits, une charrette chargée de foin aurait pu y passer. La cloaca maxima faisait partie de tout un système d'égouts non moins bien construits. Rome, écrivait Pline l'Ancien, est une ville suspendue, sous laquelle on navigue.

La basilica Julia - Construite par César et par Auguste. Relevée par Dioclétien, après un incendie. Sa construction fit disparaître la maison de Scipion l'Africain, la basilique Porcia et une série de bouti­ques appelées t abernae veteres, souvent mentionnées chez les auteurs, et qui avaient fait donner à la partie de la voie sacrée qu'elles bordaient le nom de sub veteribus .

La justice se rendit d'abord à Rome au comitium et sur le forum dans des tribunaux en plein air. Grâce à l'augmen­tation de la population et aux mœurs moins simples, les procès devinrent toujours plus nombreux et toujours plus compliqués, et les tribunaux en bois du forum n'y suffirent plus. Alors s'élevèrent les basiliques, à la fois palais de jus­tice et centres de réunions et d'affaires. La première fut la basilique Porcia près de la curie puis les basiliques Fulvia, plus tard Aemilia , Sempronia (583 = 169 av. J.-G.) absorbée dans la suite par la basilique Julia (46 av. J.-C.), Opimia (633-121) près du temple de la Concorde, enfin la basilique Julia. La rapidité avec laquelle ces édifices se succèdent montre à quel point ils étaient nécessaires, et combien vite ils devenaient successivement insuffisants. Plus loin d'ailleurs nous verrons César et Auguste construire leurs forums à cause du nombre toujours croissant des procès.

La basilique Julia s'élève sur un terrain en pente : en effet, du vicus Tuscus nous avons gravi six degrés pour y monter, et l'extrémité opposée est au niveau du vicus Jugarius , le long de la voie sacrée le nombre des degrés qui donne accès au portique de la basilique va toujours en décroissant à mesure qu'on approche de l'arc de triomphe de Tibère. La basilique forme un rectangle long de 109 mètres , large de 48, composé d'une partie centrale et de quatre bas-côtés dont les deux extrêmes forment des portiques ouvrant l'un sur la voie sacrée, l'autre sur des boutiques.

Les oisifs trouvaient dans les basiliques un lieu de réunion, pendant les fortes chaleurs ils cherchaient l 'ombre et la fraîcheur, une pluie d'orage balayait-elle le forum, c'est là que se reformaient les groupes subi­tement dispersés. Pour tuer le temps, ces désœuvrés se livraient à des jeux qui sont encore gravés sur les dalles. Nous allons en rencontrer quelques-uns.

A l'extrémité de l'ouverture de la cloaca maxima qui regarde le forum, nous tournons à gauche pour entrer dans le bas-côté longeant la grande nef. A notre gauche, entre le sixième et le sep­tième pilier, entre le neuvième et le dixième, en face du onzième, au pied du douzième, sont gravés des jeux de diverse nature. Revenons sur nos pas au neu­vième pilier que nous avons dû remarquer en le lais sant à notre gauche, car il est plus haut que tous les autres, et en travertin sauf ce dernier, tous les piliers sont en briques, et, on s'en aperçoit de suite, modernes. Rosa, après le déblaiement complet de la basilique, les a fait construire pour que les visiteurs puissent se rendre compte des dispositions de l'édifice. On avait mis autrefois tant d'ardeur à chercher des pierres dans les ruines de la basilique exploitées comme une carrière, qu'on avait creusé à une grande profondeur pour enlever même les fondations. C'est dans les trous qu'ont été élevés les modernes piliers en briques. Çà et là, parmi les briques, on aperçoit quelques rares débris du travertin de la construction d'Auguste, le neuvième pilier, devant lequel nous sommes arrêtés, est le seul qui ait, dans une certaine mesure, échappé au massacre. De ce pilier, traversons la grande nef dans sa largeur pour aller jusqu'au pilier situé exactement en face et, par conséquent, le neuvième aussi de ce côté : entre ce neuvième pilier et le dixième, un peu en avant dans le bas-côté, une des dalles présente un jeu curieux, gravé en forme de damier : en haut, on lit une inscription très effacée, cependant encore visible : vincis gavdes perdes plangis, et plus bas, en lettres moins bien gravées ou plus mal­traitées par le temps, j'ai cru lire : sile et recède. C'est-à-dire : Si tu gagnes, tu triomphes, si tu perds, tu te lamentes. Tais-toi et va-t'en , avis aux mauvais joueurs.

De ce jeu dirigeons-nous directement vers l'extrême angle sud-ouest de la basilique , là où les ruines cessent d'être apparentes, ensevelies dans le talus, sous l'angle des rues della Consolazione et delle Grazie. En cherchant un peu nous verrons, presque dissimulée sous le terre-plein, une belle colonne et un pilastre très bien conservés, en travertin, avec bases en marbre, ils appartiennent à la construction d'Auguste. A côté, le long de la rue parallèle à la basilique, à demi engagés dans les terres, sont encore visibles les murs en tuf des boutiques qui ouvraient sur le portique de la basilique, ce sont peut-être les boutiques des changeurs de la basilique Julia connus par des inscrip­tions. Dans l'une d'elles, un escalier, dont il existe encore des débris, montait à l'étage supérieur : la grande nef centrale était entourée d'un portique formant tri­bune au premier étage, c'était une disposition géné­rale dans les basiliques. Si nous levons les yeux, au-dessus de nos têtes nous verrons des restes de l'épaisse maçonnerie en blocage qui formait la voûte du rez-de chaussée et supportait le dallage de l'étage supérieur. Des fragments trouvés pendant les fouilles on démontré que cette voûte était ornée de stucs en relief C'était un genre de décoration très en usage chez les Romains, on peut en voir, au Musée des Thermes, de très beaux spécimens trouvés en 1878 dans les jardins de la Farnésine, il en existe de charmants débris, encore en place, dans le cryptoporticus du palais de Tibère au Palatin, à la voûte du temple de la Cafarella et surtout dans un des tombeaux de la voie latine. La basilique était fermée par une balustrade en marbre dont un fragment subsiste au milieu du petit côté que longe le vicus Jugarius. Les arcs et piliers en briques qui terminent cette extrémité de la basilique appartiennent à la reconstruction de Dioclétien, après l'incendie de Carinus.

C'est dans la basilique Julia que les centumviri avaient leurs quatre tribunaux qui, pour juger les causes impor­tantes, se réunissaient en un seul. Pline le Jeune nous a laissé le récit d'une cause plaidée par lui, il y peint sur le vif la physionomie de la basilique le jour d'un procès à sensation : « Le procès était porté devant les quatre tribu­naux des centumvirs réunis. Cent quatre-vingts juges sié­geaient dans cette affaire, c'est tout ce qu'en renfermant les quatre tribunaux. De part et d'autre les avocats remplis­saient, en grand nombre, les sièges qui leur avaient été destinés. La foule des auditeurs environnait de cercles re­doublés la vaste enceinte du tribunal. On se pressait même autour des juges et les galeries hautes de la basilique étaient encombrées les unes de femmes, les autres d'hommes a vides d'entendre, ce qui n'était pas facile, qui était fort aisé. Grande était l'attente. » Nous savons par Quintilien et par Martial que la foule ne se faisait pas faute de troubler l'audience par ses clameurs. Caligula, qui avait le cerveau malade, se faisait un jeu de monter sur la basilique et, de là, de jeter sur la voie sacrée et sur le forum des pièces d'or et d'argent que la populace se disputait avec tant d'acharnement que beaucoup de personnes y perdirent la vie. La basilique Julia est représentée en partie sur un bas-relief de l'arc de Constantin et sur les bas-reliefs que nous ver­rons tout à l'heure au milieu du forum. Elle avait deux étages formés d'une série de baies cintrées séparées par des pilastres portant une demi-colonne engagée avec chapiteau dorique. Une colonne rétablie dans la basilique, sur le bord de la voie sacrée, nous permet le nous rendre compte de cette disposition. Une élégante petite colonne en marbre, isolée, quelques débris de murs, des traces de peinture sur un des piliers en brique reconstruits par Dioclétien, les débris de sculpture bien reconnaissables à leur forme, dispersés dans cette extrémité de la basilique, sont tout ce qui reste d'une petite église à la Vierge, Sancta Maria in foro, construite au VIII ème siècle dans la basilique, près du vicus Jugarius .

Le vicus Jugarius . - Cette rue se confondait au pied du temple de Saturne et de l'arc de Tibère, avec la voie sacrée , puis avec le clivus capitolinus . De l'autre côté elle suivait la direction le la rue actuelle della Consolazione. C'était, avant la création du forum de Trajan, la principale voie de communication entre le quartier du forum et le Champ de Mars. A la sortie du forum, le vicus Jugarius était orné d 'une fontaine appelée lacus Servilius. De sinistres souvenirs s'y rattachent : c 'est là que furent exposées les têtes sanglantes des sénateurs proscrits par Sylla. Près de cette rue aussi, derrière le temple de Saturne, s'élevait un autel à Ops dont le jour anniversaire était férié et dont le culte était en étroite relation avec le culte de Saturne. À l'angle N.-O. de la basilique Julia, le vicus Jugarius passait sous une longue porte voûtée, construit en briques avec revêtement en travertin , adossée d'un côte au temple de Saturne, de l'autre à la basili que Julia, elle garde de ce côté l'empreinte d'un pilier de la basilique, aujourd'hui disparu, que son mur avait emprisonné. On manque de renseignements sur ce monument qui ne paraît pas être d'une époque très ancienne, selon quelques auteurs, ce serait un de ce arcs appelés janus que l'on sait avoir existé dans plu sieurs endroits de Rome.

Près de là, à l'extrémité de la voie sacrée, s'élevai l' arc de Tibère érigé après que Germanicus eu repris aux Germains les enseignes des légions de Varus (769 = 16 ap. J.-C).

CHAPITRE III

LE COTE OUEST DU FORUM

Le temple de Saturne . — Construit sur l'empla­cement ou à côté d'un autel élevé à Saturne par Hercule. Dédié le 19 décembre de l'année 257 (=497 av. J.-C), reconstruit à la demande de l'empereur Auguste par Munatius Plancus. Restauré après l'incendie de Carinus. Comme le temple de Castor, le temple de Saturne était construit sur un podium élevé en blocage, recou­vert de travertin et de marbre et conservant encore, sur le bord de la voie sacrée, des restes de son magni­fique revêtement de marbre pentélique. Dans ce mur, à l'angle de la façade, sous la naissance de l'esca­lier, subsistent encore quelques restes de marches, qui conduisaient sans doute à la chambre du Trésor. La façade était décorée de six colonnes ioniques, en granit gris, supportant le fronton, deux colonnes en granit rose formaient l'épaisseur du portique. L'ins­cription actuelle Senatus populusque Romanus incendio consumptum restituit mentionne la dernière restaura­tion. Au xvi ème siècle, on a trouvé un fragment, aujour­d'hui perdu, de l'inscription gravée après la restauration de Munatius Plancus : L. Plancus, L. filius, consul, imperator iterum, de manibiis. L'escalier, moins large que la façade, descendait, vers le nord, sur une aréa qui, dans l'état des monuments depuis Auguste, lui est commune avec le temple de la Concorde, cette aréa est soutenue par le mur semi-circulaire auquel s'appuient les rostres. Devant le temple il faut remarquer le pavé de la rue très bien conservé parce qu'il était recouvert et protégé par l'escalier, tandis que les pavés des autres rues du forum ont été tous refaits ou remaniés à de basses époques. Le podium qui supportait le temple de Saturne a 5 mètres de haut, 22 de large et 38 de long, du por­tique à l'autre extrémité. Il accuse différentes époques : le beau revêtement en marbre qui borde la voie sacrée est certainement de la reconstruction d'Auguste. Les huit colonnes du portique ont été redressées au temps de la dernière restauration, elles sont sans doute plus anciennes, mais le travail de restauration a été fait sans soin et d'une façon hâtive, plusieurs d'entre elles ont été dressées à l'envers, elles proviennent pro­bablement d'un autre monument, car les bases en marbre blanc qui les supportent doivent dater de la reconstruction d'Auguste, et n'ont visiblement pas été faites pour elles et même en certains endroits, là où le travertin avait disparu, on l'a remplacé par de la brique, c'est avec de la brique aussi qu'a été faite la maçonnerie qui soutenait le fronton restauré. Les chapiteaux ioniques sont d'une mauvaise exécution, et, à l'intérieur du portique, la frise qu'ils supportent est composée de beaux morceaux antiques, mal ajustés, avec lesquels contraste un morceau refait.

Plusieurs monuments occupaient l'aréa qui s'étend devant le temple : un autel à Saturne et, à côté, un macellum Ditis; une statue de Sylvain qu'ombrageait un figuier qu'il fallut arracher parce qu'il détériorait la statue. On ne le fit qu'après des prières et un sacrifice offert par les Vestales. Là aussi était le tombeau d'Oreste dont les cendres avaient été enle­vées d'Aricie où Iphigénie les avait apportées.

Le temple de Saturne renfermait le Trésor public mis ainsi sous la protection de la religion. On y tenait les regis­tres donnant l'état des recettes et des dépenses. Une balance antique y restait, qui avait servi au temps où les paiements se faisaient avec des fragments de lingots. On y conservait l'indication des naissances et les condamnations à mort, et, pendant la paix, les étendards des légions. César, entré à Rome après avoir franchi le Rubicon, vint au temple de Saturne afin de se faire ouvrir, dans le Trésor, la réserve mise à part pour les nécessités impré­vues (aerarium sanctius), les questeurs tardant à obéir, il donna l'ordre de faire venir un serrurier pour forcer les portes. Le tribun Metellus lui représenta qu'il violait les lois : « Le temps des armes, lui dit César, n'est pas celui des lois.... Après la paix tu feras tous les discours que tu voudras. . Metellus insistant, César le menaça de le tuer : « Et tu sais, jeune homme, ajouta-t-il, qu'il m'est moins facile de le dire que de le faire ». Metellus obéit.

Pendant le procès de Milon, Pompée craignant des trou­bles, avait fait occuper militairement le forum, lui-même, avec son escorte, se tenait sur la plate-forme élevée du temple de Saturne. Cicéron, en bas, près du tribunal, troublé par cet appareil militaire, prononçait une plaidoirie moins bonne que celle qu'il écrivit ensuite, et élevait la voix pour être entendu de Pompée : « Te enim jam apello, et hac voce ut me exaudire possis ».

C'est au temple de Saturne que, chaque année, le 17 dé­cembre, on inaugurait les fêtes des Saturnales. Un jour, par un ciel serein, les Romains assemblés sur le forum virent au-dessus du temple, prodige effrayant, un grand arc-en-ciel renversé et un double soleil.

Les scribes et employés attachés aux archives et au Trésor, c'est-à-dire au temple de Saturne et au tabularium, devaient être nombreux et à ce propos, il est curieux de remarquer qu'on a trouvé, dans les ruines du temple, un très grand nombre de styles à écrire. Si, de l'aréa du temple de Saturne, nous regardons le tabularium, nous avons, en face de nous, le temple de la Concorde et, plus à droite, après l'esca lier moderne qui monte au Capitole , la prison, de l'autre côté du temple de la Concorde, le temple de Vespasien avec ses trois belles colonnes, et, après le temple de Vespasien, le portique des dii Con­sentes . Ces quatre monuments étant aujourd'hui séparés du reste du forum par le remblai de la rue moderne, et sans communication, nous les visiterons un peu plus tard, en même temps que les forums impériaux. Nous quittons l'aréa du temple de Saturne en retour­nant sur nos pas, arrivés devant les grandes marches sur lesquelles est posée la colonne de Phocas, nous nous tournons vers le temple de la Concorde, et, à 7 ou 8 mètres devant nous, nous voyons un mur bas , en tuf sombre, percé de trous symétriques, long de plus de 20 mètres . C'est la tribune aux harangues, ou les rostres.

Les Rostres . — Ce ne sont pas les anciens rostres de la République, qui étaient placés sur les confins du comitium et du forum , où se livrèrent les grandes batailles pour la conquête des pri­vilèges réservés jusque-là aux patriciens et des droits politiques, ce n'est pas à cette tribune que furent exposées, au temps de Sylla, les têtes sanglantes des proscrits, et, avant les funérailles, les cadavres de Sylla lui-même et de Clodius. L'année même de sa mort (710 = 44 av. J.-C.), César transporta les rostres à l'endroit où nous les voyons aujourd'hui, soit que ce changement fût motivé par la construction de son forum et de la curia Julia, soit que César n'ait pas été fâché de déplacer ce vieux monument où vivaient encore tous les souvenirs de l'antique liberté qu'il voulait abolir.

Le devant de la tribune était un mur de tuf, en grand appareil, revêtu de marbre, les blocs de tuf étaient réunis par des crampons dont on voit encore le creux sur l'épaisseur du mur. Sa longueur dépassait 23 mètres . La plate-forme qui le surmontait, profonde de 10 mètres et surélevée de 3 mètres au-dessus de l'aréa du forum, reposait sur des piliers en marbre dont plusieurs sont en place. Le mur est percé d'une série de trous réguliers, traversant la pierre de part en part, c'est là qu'étaient fixés les éperons ou rostres des vaisseaux pris aux Antiates (416 = 338 av. J.-C.) et qui avaient d'abord orné l'ancienne tribune.

Un bas-relief de l'arc de Constantin nous a transmis une fidèle représentation de la tribune, les monuments qui l'entourent marquent bien son emplacement : à droite, en effet, nous voyons les trois baies de l'arc de triomphe de Septime Sévère repré­senté de cette manière conventionnelle dont sont coutumiers les sculpteurs de bas-reliefs et les graveurs de monnaies, à gauche, l'arc de Tibère et les pre­mières arcades de la basilique Julia, il y a lieu de remarquer la similitude des piliers auxquels s'ap­puie une demi-colonne dorique engagée, avec le pilier restitué d'après des fragments, sur le bord de la voie sacrée, dans le portique de la basilique . La plate-forme de la tribune est fermée, sur le devant, par une balustrade interrompue au centre, là où se tient l'orateur, on a trouvé dans les fouilles des traces de cette balustrade dont on a pu même constater la solu­ tion de continuité au centre. De chaque côté, la tri bune est flanquée d'une grande statue assise : la grande base en briques qui se voit encore aujour­d'hui à l'extrémité de la tribune, du côté de l'arc de Septime Sévère, était probablement le piédestal d'une de ces statues. Au fond, des colonnes supportent des statues : nous savons par des textes d'auteurs qu'il y avait, sur la tribune, des colonnes et des statues sem­blables. Donnons donc, par la pensée, à la tribune repré­sentée sur le bas-relief toute sa hauteur, remettons en place les éperons des vaisseaux, ramenons en avant la foule des auditeurs que les nécessités de la sculp­ture ont contraint de partager sur les côtés, replaçons dans sa vraie direction, sur le côté et en avant, la basilique Julia, nous aurons la vue d'un coin du forum avec une scène animée, figurée par un artiste du temps. Il nous sera facile alors de reconstituer sur ce modèle la ruine qui est sous nos yeux et, pour un instant, de lui rendre la vie.

C'est sur ces rostres que furent exposées, par ordre d'Antoine, les mains et la tête de Cicéron. C'est devant cette même tribune aussi qu'on avait déposé le cadavre de César, dans une chapelle dorée, faite à l'image du temple que le dictateur avait élevé à Venus Genitrix, sa mère. Le corps reposait sur un lit d'ivoire couvert d'une étoffe de pourpre et d'or. A la tête du lit, la toge ensanglantée et déchirée par les coups des assassins était disposée en trophée. Antoine, par les serments les plus sacrés et par des exécrations contre ceux qui y manqueraient, jura au nom du peuple et au sien que tous, de toutes leurs forces, veilleraient sur le cadavre de César et au besoin le défendraient. Jour et nuit, donc, une multitude en armes fit garde à l'en tour, de temps à autre des chants et des lamentations éclataient auxquels les soldats répondaient en heurtant leurs boucliers. Antoine voulut mettre à profit l'émotion populaire : dans un dis­cours ardent, prenant à témoin Jupiter Capitolin, dont il montrait le temple, il exalta les sentiments de la foule. Sai­sissant ensuite la toge de César, il en compta les trous, les déchirures et les souillures puis il s'approcha du lit funèbre, et là, tantôt incliné vers le cadavre, tantôt se redressant et prenant des poses à la manière d'un acteur, il chanta à César, comme à un dieu, un hymne auquel des chœurs répondirent. En môme temps une machine tour­nante présentait à la multitude l 'image en cire de César avec les trous sanglants de ses vingt-trois blessures. Le but était atteint: le peuple surexcité s'élança hors du forum, criant qu'il fallait massacrer les parricides et brûler la curie de Pompée où le crime avait été commis.

Sous l'empire encore, la tribune fut chargée des têtes livides de condamnés politiques mais, plus souvent, on y prononçait des oraisons funèbres, entre autres celle d'Octavie, sœur d'Auguste, et celle d'Auguste lui-même. On y promulguait des lois, on y distribuait des congiarium , parfois l'empereur y exposa la situation de l'empire etThéodoric y harangua le peuple romain. En arrière de la tribune s'étend un espace libre. On y pénètre par les côtés que fermaient des balustrades dont on voit encore des restes près de l'arc de Septime Sévère. En avant, près du mur en tuf, subsistent les restes des piliers qui soutenaient la plate-forme, le fond se termine par un mur semi-circulaire, dont la circonférence fait saillie à l'intérieur et que recouvrent des plaques d'un beau marbre fixées par des clous au-dessus d'une plinthe également en marbre, de l'autre côté, au-dessus, s'étend l'aréa du temple de la Concorde. On est surpris de ne pas trouver trace de l'escalier, là cependant devait être sa place. Peut-être était-il en bois, peut-être, sans escalier, communi­quait-on de plain-pied par un pont réunissant l'aréa du temple à la plate-forme de la tribune. De nombreuses statues, statues honorifiques ou œuvres d'art, décoraient ou entouraient la tribune, il y avait aussi une chapelle érigée au Génie du peuple romain avec sa statue en or.

L'Umbilicus . — Le fond de l'espace étroit ménagé entre l'extrémité du mur circulaire des rostres et l'arc de Septime Sévère est fermé par les assises d'un vieux mur en tuf dont l'antique destination est inconnue. Dans ce même coin, à notre gauche, s'élève une petite colonne en briques, à trois étages décroissants, gardant encore des parties de son revête­ ment en marbre. C'est l' umbilicus Romae, monument de basse époque, marquant le centre de Rome et du monde.

Le milliaire d'or . — Élevé par Auguste (en l'an de Rome 734 (=20 av. J.G.).

Nous revenons devant la tribune que nous longeons encore une fois. Ar­ rivés à l'extrémité opposée, celle qui regarde le temple de Saturne, nous voyons, sur le talus qui en forme le fond et exactement un pendant avec l' Um bilicus, une base cir­culaire en marbre blanc, ornée de pal mettes alternant avec des acanthes. C'est la base du milliarium aureum, colonne en marbre, recouverte de bronze doré sur lequel étaient gravées les distances, par les routes, de Rome aux principales villes de l'empire. C'est là qu'Othon avait fixé rendez-vous aux vingt trois prétoriens qui l'emmenèrent dans leur camp et le proclamèrent empereur. Galba s'était retranché dans le Palatin. Le bruit mensonger que la révolte était réprimée et Othon mis à mort l'en fit sortir. Escorté de quelques soldats, il vint, en litière, sur le Forum pour monter de là au Capitole rendre grâce à Jupiter. Bientôt il sut la vérité. La foule avait envahi le Forum et commençait à s'armer, plutôt favorable à Galba que les soldats seuls détestaient à cause de sa sévérité souvent maladroite. L'escorte ne savait quel parti prendre et la litière impériale, ballottée par l'incertitude des porteurs et les remous de la foule, comme dans une tempête, manquait à tout moment de chavirer. Alors accourent au galop des cavaliers et des fantassins envoyés par Othon. La foule se disperse, l'escorte de Galba arrachant de l'enseigne son image, passe à l'ennemi. Seul un centurion, défendit l'empereur avec acharnement et pendant longtemps mais un coup lui coupa les jarrets l'ayant fait tomber, la litière fut renversée et Galba roula dans la poussière. Protégé par une cuirasse, il reçut de nombreuses blessures aux bras et aux jambes jusqu'au moment où, présentant lui-même la gorge, il reçut le coup de grâce d'un soldat de la quinzième légion. Il expira près du lac Curtius à l'endroit même où le Sénat décréta qu'on lui érigerait une statue sur une colonne, projet qui ne fut jamais exécuté. La tête ayant été séparée du tronc, le meurtrier qui ne pouvait pas la prendre par les cheveux, parce qu'elle était chauve, lui passa le pouce dans la bouche pour la porter à Othon. Plus tard, après avoir subi mille avanies, elle fut promenée au bout d'une pique. Longtemps encore la fureur des soldats s'acharna sur le cadavre décapité. Vinius, un des partisans et conseillers habituels de Galba, peut-être en même temps un complice ignoré de la conjuration, frappé d'un premier coup, tomba devant le temple de César et fut immédiatement achevé. Quant à Pison, récemment créé César par Galba, au bruit de l' émeute, il était accouru au forum. Grâce au dévouement d'un centurion qui s'exposa aux coups pour le sauver, il put se réfugier dans la chambre d'un esclave des Vestales, mais, tiré de sa retraite par deux soldats, il fut tué devant le temple de Vesta. D'autres personnages périrent mas­sacrés sur le forum. La foule qui, au moment du danger, avait abandonné l'aréa du forum, s'était massée dans tous les endroits d'où elle pouvait suivre les péripéties du drame : dans les basi­liques Julia et Aemilia, sur les temples de Saturne, de César et de Castor. De là elle assistait silencieuse à ce changement d'empereur fait par des sol­dats. C'était encore plus intéressant qu'un combat de gladiateurs. Vers le soir, Othon, escorté par les soldats, se rendit au Palatin, traversant le forum ensanglanté où gisaient des cadavres sans tête, revêtus de la toge consulaire. Le Sénat lui prodigua ses adulations, la multitude l'acclama et maudit la mémoire de Galba, il rentra ainsi au palais impérial et permit de mettre les corps sur le bûcher. Les parents des victimes durent acheter les têtes que les meur­triers avaient gardées pour les leur vendre. Trois mois plus tard, après qu'Othon menacé par Vitellius se fut donné la mort, la même populace promena par les temples les images de Galba ornées de lauriers et de fleurs, et lui fit, avec un amas de couronnes, une espèce de cénotaphe près du lac Curtius, là où il avait été massacré. En face de la tribune, se dresse la colonne de Phocas.

La colonne de Phocas . —Elevée en 6 08 après J.-C.

L'inscription nous indique la nature du monument : Smaragdus, exarque d'Italie, a érigé et dédié sur cette colonne une statue en bronze doré à l'empereur Phocas, comme témoignage éternel de sa gloire, en reconnaissance de ses innombrables bienfaits, et aussi parce qu'il a rendu la paix à l 'Italie et sauvé : la liberté. L'élégance de cette colonne a fait supposer que Smaragdus l'avait empruntée à un autre monument. Suivant d'autres auteurs, l'exarque d'Italie aurait substitué à une statue antérieure celle de Phocas, après avoir gratté et remplacé l'inscription, désaffectant ainsi un monument d'une meilleure époque. Quoi qu'il en soit de ces hypothèses, la colonne est trop élégante pour dater du VII ème siècle.

L'arc de Septime Sévère — Construit en 956(= 203 ap. J.C.)

Le texte gravé sur cet arc de triomphe indique clai­rement son but : il fut élevé à Septime Sévère et à ses fils Caracalla et Géta pour avoir rétabli la paix dans l'empire et reculé les limites de la domination romaine. L'inscription est d'un grand style, digne de la majesté de l'empire romain. L'arc avait été érigé à Septime Sévère et à ses deux fils. Mais plus tard, Caracalla ayant assassiné son frère Géta, fit renverser ses statues et effacer son nom sur toutes les inscriptions. C'est ainsi que, dans l'inscrip­tion que nous avons sous les yeux, il remplaça les noms de Géta par les mots p(atri) p(atriae) optimis fortissimisque principibus, qu'il fit graver en surcharge, sur des mots effacés. Tout le monument est en marbre pentélique, mas­sif, sauf la base, dont le noyau est en travertin recou­vert de marbre. Sur chaque façade, quatre colonnes cannelées en marbre proconésien, d'ordre composite, avec pilastres correspondants dans la muraille, enca­drent les bas-reliefs et les trois arches, dont les deux latérales communiquent, à l'intérieur, avec celle du centre par des ouvertures cintrées. Les colonnes, petites et grêles pour la masse du monument, repo­sent sur de hauts piédestaux, ornés, sur leurs trois côtés dégagés, de prisonniers coiffés du bonnet phry­gien, enchaînés et conduits par des légionnaires. D'après les mesures de Reber, l'arche centrale est haute de 12 m . 30 et large de 7 mètres , les arches latérales ont 7 mètres de hauteur sur 3 de largeur. L'attique, qui porte l'inscription, a 5 m . 60. Les grands bas-reliefs des deux faces ont 3 m . 95 de hauteur sur 4 m . 90 de largeur. La hauteur totale du monument est de 23 mètres , sa largeur de 25, son épaisseur de 11. Un escalier intérieur, dont on voit l'entrée à une certaine hauteur au-dessus du sol sur le côté latéral qui regarde le temple de Saturne, conduit au sommet. La clef de voûte de l'arche centrale, ornée de l'image en relief de Mars, est accostée, sur les tympans, de la Victoire volant et présentant un trophée coiffé du bonnet phrygien, au-dessus de chaque Victoire, un génie ailé représente une des quatre saisons caracté­risée par ses produits : les fleurs pour le printemps, les épis pour l'été, les fruits et les raisins pour l'automne, l'hiver a disparu. Les tympans des petites arches, dont la clef de voûte portait un sujet qui n'est plus reconnaissable, sont ornés des divinités des fleuves qui traversaient les pays où Septime Sévère a fait la guerre, parmi eux figurent certainement le Tigre et l'Euphrate. Les quatre grands bas-reliefs représentent les prin­cipaux épisodes de la campagne de Septime Sévère, en Orient. Nous sommes du côté qui regarde le forum : à gauche, en commençant par le haut, Septime Sévère harangue son armée. Il délivre son lieutenant Laetus, assiégé dans Nisibe par Volosège IV, roi des Parthes, qui s'enfuit. Septime Sévère entre ensuite, sans coup férir, dans la ville de Carrha et marche contre l'Osroène et l'Adiabene (197 ap. J.-C). A droite, soin mission d'Abgar IX, roi d'Osroène (197), on de Vologèse, fils de Sanatruce, roi d'Arménie. L'empereur tient un conseil de guerre. Siège d'une ville entourée de murailles, les assiégeants usent du bélier pour battre en brèche le rempart. Le seul siège mentionné par les historiens est celui d'Hatra mais deux fois Septime Sévère assiégea cette place sans pouvoir y entrer, malgré plusieurs assauts. Je ne crois pas qu'on, ait représenté, sur son arc de triomphe, un siège qui se termina par un double échec. La petite frise qui, sur chaque façade, se voit au-dessous des bas-reliefs, représente la déesse Rome, assise, recevant, de l'Orient représenté par une femme coiffée de la tiare, des hommages et l'offrande d'un riche butin porté dans des chariots.

Passons du côté qui regarde le Capitole, à droite, entrée à Babylone abandonnée par les Parthes. Siège d'une ville, remarquer le bélier : on voit la manière dont il est suspendu et le soldat qui le manœuvre, il a fait dans la muraille une brèche que les assiégés cherchent à réparer. A gauche : prise de Séleucie et de Ctésiphon. L'arc était surmonté d'un beau groupe en bronze : Septime Sévère, debout, dans un char à huit chevaux, entre deux trophées, à droite et à gauche une statue équestre, probablement celles des fils de Sévère, Caracalla et Geta, mentionnés dans l'inscription. Le pavé qui est sous l'arche centrale ne remonte pas à l'antiquité. La question de savoir si cette arche avait aussi des marches est encore incertaine. Il ne semble pas que l'arc ait été posé sur la voie qui longeait le côté nord du forum.

CHAPITRE IV

L'ARÉA DU FORUM ET SES MONUMENTS

Inscription à Constance II - Nous passons de nouveau sous l'arc de Septime Sévère, pour revenir au Forum. Presque immédiatement, à notre gauche, deux degrés peu élevés nous conduisent sur une petite place dallée dont une faible partie seulement est déblayée. Est-ce là que commençait le Comitium ? Je suis porté à le croire, car le comitium était devant la curie, et je pense que la curie, avec des changements de dimensions et aussi d'orientation, a toujours occupé l'emplacement de l'église Saint-Adrien. Des archéologues d'un grand mérite, et qui font autorité, reculent la curie de la République, et, par là même, le comitium , beaucoup plus au nord, derrière l'église Sainte-Martine. Jusqu'au jour où des fouilles mettront tout le monde d'accord, il ne me semble pas que de nouveaux arguments puissent donner une solution qui s'impose à tous.

Une grande base en briques, tout à côté de l'arc de Sévère, dont elle est séparée par trois marches élevées, a perdu sa statue équestre, son revêtement de marbre, et, avec lui, son inscription. A côté, une base en marbre porte une inscription dédiée par Neratius Cerealis, préfet de Rome en 352-353 après J.-C, à l'empereur Constance II qu'il loue d'avoir restauré Rome et l'univers et d'avoir éteint une tyrannie pestifera. La pesti fera tyrannis est l'usurpateur Magnence qui, battu en Illyrie par Constance II, s'enfuit à Lyon où il se donna la mort (353). Sur cette même aréa, à peu près en face l'église Saint-Adrien, la plinthe d'un monument, avec rainure dans l'épaisseur de la pierre, est encore en place. Un peu plus à droite, aux trois quarts engagée dans le talus, une base en marbre porte une seconde inscription dédiée à Constance II, par Memmius Vitrasius Orfitus, préfet de Rome en 354, en face, sur les dalles, on voit la partie infé­rieure d'une autre base en marbre, brisée. Si nous examinons tout ce coin et aussi la partie de l'aréa du forum confinant à la rue qui nous en sépare, les débris et les traces que les monuments ont laissés sur les dalles nous prouvent que les inscriptions et les statues étaient très nombreuses et cela est d'autant plus vrai que le plus grand nombre des inscriptions trouvées dans la région des rostres et de l'arc de Septime Sévère ont été emportées, détruites ou mises dans des musées.

Statue de Constantin. — Traversant la voie qui va dans la direction de l'arc de Septime Sévère, nous entrons sur l'aréa du forum et nous dirigeons vers une base de statue située au milieu de l'aréa et retrouvée en 1872. Cette base, construite sans fon­dations avec des matériaux empruntés à d'autres monuments, est certainement d'une époque peu ancienne. On s'accorde généralement à croire que là était la statue de Constantin que l'on sait avoir été érigée sur le forum.

Statue de Domitien. - Antérieurement, à cette même place ou à peu près, s'élevait une statue de Domitien, elle fut certainement renversée après sa mort, le Sénat ayant condamné sa mémoire. Cette statue intéresse la topographie du forum à cause de la description que Stace nous en a laissée : elle est, dit le poète, en face le temple de César, la tête un peu tournée vers le temple de Vesta et le Palatin, derrière elle, s'élevaient les temples de Vespasien et de la Concorde, à sa droite, la basilique Julia, et, à sa gauche, la basilique Aemilia.

Le lacus Curtius. - A l 'emplacement qu'occupa la statue de Domitien avait été autrefois le lac Curtius, depuis longtemps desséché et dont un puteal conser­vait le souvenir. Nous avons vu à quelles lointaines légendes de la guerre contre les Sabins se rattachait, d'après une tradition, le nom du lacus Curtius.

Une autre tradition lui donne une origine différente. Voici comment Tite-Live la raconte : « En l'an de Rome 393, soit par suite d'un tremblement de terre, soit par quelqu'autre cause, la partie centrale du forum s'abîma dans un gouffre d'une immense profondeur. On ne parvenait pas à le com­bler, quoique chacun y apportât le plus de terre qu'il pou­vait et alors, par ordre des dieux, on se mit à chercher ce qui constituait la force principale du peuple romain car, disaient les devins, c'est cela qu'il faut sacrifier en ce lieu pour assurer à la République romaine des destinées éter­nelles. Un jeune guerrier de grand renom, M. Curtius, reprocha, dit-on, aux Romains leurs hésitations : Rome a-t-elle quelque bien qui soit supérieur aux armes et au courage? Puis, au milieu du silence, regardant le Capitole et les temples des dieux immortels qui dominent le forum, les mains tantôt élevées vers le ciel, tantôt abaissées vers les dieux mânes et l 'abîme béant, il se dévoua. Monté sur son cheval aussi richement harnaché que possible, convert de ses armes [il partit du temple de la Concorde ] et s'élança dans le gouffre. La multitude, hommes et femmes, jeta à l 'envi, sur lui, des fruits et des offrandes. C'est de lui plutôt que de Mettius Curtius, le soldat de Titus Tatius que le lac a tiré son nom. » Près de la base de la statue de Constantin, dans la direction de la voie sacrée, un gamin peu artiste, a gravé sur les dalles un cavalier.

L'aréa du forum. — En nous acheminant vers les beaux bas-reliefs que nous voyons un peu plus haut, à notre droite, dans la direction de l'arc de Sep­time Sévère, jetons un coup d'œil sur le dallage du forum. Il est probable qu'il fut fait pour la pre­mière fois à la fin du IV ème siècle avant J.-C, en même temps que les rues de Rome furent pavées. Ce dal­lage se compose de dalles en travertin, épaisses et larges d'une façon inégale, suivant les endroits, et accusant plusieurs époques. Comme dans la basilique Julia et sur la voie sacrée, on y a tracé des jeux, spé­cialement entre les bases en briques. Bientôt nous rencontrons un espace circonscrit par des lignes dessinant un rectangle dont la longueur occupe presque toute la largeur de l'aréa . Ces lignes, très régulièrement tracées, ne sont pas, comme les jeux, l'œuvre de désœuvrés, il est impossible de dire à quoi elles correspondent. L'opinion qu'elles marquent l'endroit où, les jours de comices, on pla­çait les septa ou barrières en bois entre lesquelles défilaient les votants, n'est pas admissible. Il n'y eut de comices au forum que sous la République, ces lignes n'auraient pas survécu, entières et si bien tra­cées, à tant de siècles et aux réparations de l'aréa et, sous l'Empire, quand elles n'avaient plus aucune uti­lité, on n'aurait pas pris soin de les retracer chaque fois qu'on remplaçait quelqu'une des dalles.

Les deux bas-reliefs . — Nous arrivons aux deux bas-reliefs en marbre blanc, trouvés en 1872 près de la colonne de Phocas, pendant la démolition d'une tour du moyen âge. D'où les avait-on tirés pour les employer là comme maté­riaux? Du forum certainement, peut-être des rostres, car ils représentent des scènes qui s'y passent, en somme, on l'ignore. Le style de ces bas-reliefs et les sujets représentés indiquent l'époque de Trajan.

Tout à fait à droite du premier bas-relief que nous rencontrons, celui qui est le plus éloigné de l'arc de Septime Sévère, les rostres sont représentés d'une manière conventionnelle et caractérisés par un éperon de navire. Devant les rostres, se tient debout l'empe­reur entouré de divers personnages dont l'un s'incline pour approcher d'un monceau de livres que de nom­breux employés viennent sans cesse augmenter, une torche aujourd'hui disparue mais qu'on devine encore. Voici l'explication la plus probable de cette scène : beaucoup de citoyens étaient en retard avec le fisc, l'empereur décida qu'ils ne seraient pas inquiétés et que, leur dette se trouvant ainsi éteinte, on brûlerait sur le forum les livres où elle était consignée. Le bas-relief fut érigé en mémoire de cet événement.

La scène est localisée non seulement par les rostres, mais aussi par les monuments environnants dont voici l'énumération : derrière les rostres, les six colonnes du temple de la Concorde ou de Vespasien, un arc, qui est probablement une des arcades du Tabularium, aujourd'hui murées, sauf la dernière à droite, les six colonnes ioniques du temple de Saturne, trois, sur notre bas-relief, ont perdu leurs chapiteaux, mais les fûts sont visibles, à la suite, la basilique Julia. Comparer la colonne du milieu, qui est complète, avec celle qu'on a redressée sur la basilique Julia, enfin la statue de Marsyas, symbole de la liberté, et un figuier qui existait à côté d'elle vers le milieu du forum. Si nous passons entre les deux bas-reliefs, nous verrons que leurs revers représentent des victimes parées pour le sacrifice spécial qui, des noms des victimes immolées, s'appelle suovetaurilia (sus-ovis-taurus, le porc, la brebis et le taureau). On offrit sans doute ce sacrifice à l'occasion des événements représentes sur les bas-reliefs. La scène représentée sur le premier bas-relief se passe, comme nous l'avons vu, aux rostres anciens : celle que représente le second bas-relief se passe au contraire du côté opposé, à l'autre extrémité du forum, sur les rostres du temple de César représentés à gauche, d'une façon conventionnelle. Remarquons en effet que, tandis que sur le bas-relief que nous avons vu le premier, les rostres sont en face de la statue de Marsyas d'abord, puis ensuite du figuier, ici, l'em­pereur, debout sur les rostres, a en face de lui, le figuier d'abord, Marsyas ensuite, ce qui prouve que, nous sommes bien en effet à l'extrémité opposée du forum. A gauche de la tribune, nous voyons l'arc d'Auguste, le temple de Castor, l'espace libre qui représente la trouée du vicus Tuscus et la basi­lique Julia prise par l'autre extrémité. Il y a deux scènes sur ce bas-relief : l'empereur, debout sur les rostres du temple de César, harangue la foule qui applaudit. Dans l'autre scène, l'empe­reur, assis, non plus aux rostres, mais sur un suggestus , au milieu du forum, crée l'institution des pueri alimentarii destinée à venir au secours des enfants orphelins et pauvres. Une femme debout, l'Italie, ou l a Pietas, tenant — ou plutôt ayant tenu, car la pierre, en cet endroit, est très mutilée — deux enfants, l'un de la main droite, l'autre sur le bras gauche, reste debout devant l'empereur qui étend la main en signe de protection.

Inscription de Stilicon. - En continuant à monter dans la direction de l'arc de Septime Sévère, nous ne tardons pas à rencontrer, sur le bord de la rue qui longe le forum à notre droite, une grande base r ectangulaire en marbre, posée sur un support en t ravertin et portant une inscription. Il suffit d'en faire le tour pour reconnaître que ce fut autrefois le piédestal d'une statue équestre que l' on a redressé verticalement sur un de ses petits côtés, pour graver une inscription entre les deux corniches d'un de ses côtés longs. C'est une inscription érigée en 405 par le Sénat et le peuple romain à l'armée qui, à Polentia (403), a vaincu Alaric et les Goths, et à son général Stilicon. Les deux lignes effacées ne l'ont pas été par le temps, mais par la main des hommes. Elles portaient les noms de l'illustre général qui furent martelés sur tous les monuments après sa disgrâce et sa mort (408). Au pied de cette inscription, la bordure de la rue est très bien conservée.

Monument des decennalia Caesarum. — Nous remon­tons toujours vers l'arc de Septime Sévère, jusqu'à un socle cubique ayant supporté une colonne dont les tronçons, encore sur le forum, pourraient être rajustés. Les quatre côtés de cette base portent des bas-reliefs : la face qui regarde la rue est orné d'un bouclier portant l'inscription Caesarum decennalis – feliciter- , posé sur un trophée accosté de deux captifs, deux Victoires ailées, volant, soutiennent des deux mains le bouclier, à chaque angle figure un trophée. Sur le côté qui est à notre droite, un victimaire conduit les trois victimes parées pour les suvetaurilia. Sur la face qui regarde le forum, au centre, l'un de Césars, assisté de son collègue et couronné par une Victoire debout qui tient une palme, fait, avec la patère, une libation sur la flamme de l'autel, de l'autre côté de l'autel un enfant joue de la double flûte, un autre tient la cassette à l'encens, au second plan, le flamme avec l' apex (casque à pointe) sur la tête, à gauche, Mars nu et un personnage en toge, à droite, à l'angle, Apollon avec la tête radiée, et devant lui, une femme assise, sans doute Diane. Sur la quatrième face, des porte-étendards et la suite de Césars. Ce monument, d'après son style, est certainement de basse époque, on ignore de quels Césars il commémore les decennalia.

Les sept grandes bases en brigues . - Nous tra­versons l'aréa du forum dans toute sa largeur en pas­sant entre les rostres et la colonne de Phocas. Redescendant la voie sacrée dans la direction du temple de Castor, nous longeons les grandes bases en briques qui bordent le forum : c'étaient des monuments honorifiques, la brique était recouverte de marbre et formait un grand piédestal sur lequel reposait une colonne probablement surmontée d'une statue. Plusieurs fragments de ces colonnes gisent à côté de leur base. Au pied de l'avant-dernière base, on a déposé de beaux fragments de marbre jaune qui avaient été utilisés pour la construction du piédestal de la statue de Constantin, près de la dernière base — celle sous laquelle, sur le plan, passe la cloaca Maxima — repose, sur le bord de la voie sacrée, une des colonnes avec des trous indiquant qu'elle était chargée d'ornements en bronze. Entre quelques-unes des bases, on a gravé des jeux, les joueurs, protégés de deux côtés, étaient moins exposés à être troublés par les passants, il est vrai cependant que nous pou­vons voir aussi des jeux sur le pavé même de la voie sacrée, près de l'angle de la basilique Julia et du vicus Tuscus . Remarquons, de distance en distance, sur la bordure du forum et de la voie sacrée, des trous carrés destinés sans doute à recevoir les mâts qui ser­vaient à orner le forum, et aussi, les jours de fête, à protéger par des voiles les citoyens contre les ardeurs du soleil.

Monument indéterminé. — Arrivés en face du vicus Tuscus, nous voyons, à notre gauche, les restes d'un édifice en briques dont la plus grande partie a été démolie, sa plinthe en marbre, que l'on n'a pas enlevée, nous permet de constater qu'il occupait presque toute la largeur de l' area, en face du temple de César. Il est d'assez basse époque et on ignore à quel usage il était affecté, nous traversons la rue et l'espace qui nous séparent du temple de César.

CHAPITRE V

LE CÔTÉ EST DU FORUM

Le temple de César. — Décrété en 712 (= 42 av. J.-C). Dédié le 18 août 725 (= 29 av. J.-C).

Le temple de César fut, comme celui de Castor, construit sur un podium élevé, fait de blocage et recouvert de tuf et de travertin avec revêtement en marbre. Le temple lui-même était, nous dit Vitruve, pycnostyle, c'est-à-dire que l'espace ménagé entre chaque colonne égalait l'épaisseur d'une colonne et demie, il était aussi prostyle et, sur chaque côté, régnait un portique avec une balustrade. Les chapi­teaux étaient sans doute ioniens, comme ceux du temple de Saturne.

L'extrémité du podium du temple s'avançait sur l'aréa du forum, et formait, en avant de la façade, un haut suggestus ou tribune. C'étaient les rostra Julia ou nova, construits par Auguste en face des anciens rostres et faisant partie intégrante du temple. Le centre du mur qui supportait cette tribune était creusé en demi-cercle, là sans doute était l'autel de César. Nous voyons très bien encore, dans la façade, la naissance du demi-'-, cercle dont des éboulis masquent la plus grande partie/; De chaque côté, à droite et à gauche, on avait disposai les rostres des vaisseaux pris par Auguste à la bataille - d 'Àclium. Quant au temple, on y moulait par un esca-: lier placé à chaque angle et qui donnait en même-temps accès à la tribune. De tout le temple il ne subsiste que le blocage du podium. Le temple fut construit à l'endroit même où avait été brûlé le corps de César, ses funérailles, préparées devant les rostres par les incidents que nous avons racontés, donnèrent lieu à de nouvelles manifestations.

On avait dressé le bûcher au Champ de Mars, près du tombeau de Julie, fille de César et femme de Pompée. Les présents destinés à y être jetés étaient si nombreux et offerts par une telle multitude, que le jour entier n'eût pas suffi si on avait voulu, comme c'était l'usage, les faire défiler dans, le cortège. On décida donc que chacun irait, isolément, déposer son offrande au Champ de Mars. Quand arriva le moment de porter le corps sur le bûcher préparé, la foule se divisa : les uns voulaient le consumer dans la cella même du temple de Jupiter Capitolin, d'autres dans la curie de Pompée. Mais, par crainte des incendies, les magistrats s'opposèrent aux deux projets. La foule ramena donc le corps au forum et, devant la regia, là où César avait habité comme summus pontifex , on improvisa, avec les bancs, les sièges, les tables et les clôtures des tribunaux et tous les objets en bois qui tombaient sous la main, un bûcher funèbre. Quand la flamme s'éleva, des joueurs de flûte et des histrions se dépouillèrent de la robe triomphale dont ils s'étaient revêtus pour la cérémonie pour la jeter dans le foyer, des soldats légionnaires y jetèrent aussi leurs armes de luxe, leurs couronnes et autres récompenses militaires, les matrones, les bijoux dont elles étaient parées, les robes prétextes et les bulles d'or de leurs enfants. Des représen­tants des nations étrangères vinrent se lamenter, chacun à la manière de son pays, les Juifs se firent remarquer par leur empressement, parce que César était le vainqueur de Pompée qui avait pris d'assaut la ville sainte. Grâce seule­ment à la vigilance des soldats et à la fermeté des consuls qui firent rouler de la roche Tarpéienne quelques citoyens plus turbulents que les autres, les édifices voisins furent préservés de l'incendie. Un des meilleurs amis de César, nommé Cinna, quoique malade et tourmenté par un songe de mauvais présage, vint au bûcher rendre les derniers devoirs à son ami. Son nom, prononcé par un citoyen, fut répété par plusieurs autres, et, comme un des conjurés por­tait le même nom, le bruit courut bientôt dans toute la foule que Cinna, l'un des meurtriers de César, était là, il fut immédiatement mis en pièces, on courait par la ville avec des brandons arrachés au bûcher, avec des torches, pour incendier les maisons de Brutus et de Cassius et les mas­sacrer eux-mêmes, la troupe parvint difficilement à les protéger. Toute la nuit, une multitude en armes entoura le bûcher. Les massacres ne cessèrent que quand les consuls eurent défendu à tous, sauf aux soldats, le port des armes. A l'endroit du bûcher, on dressa une colonne massive, en marbre de Numidie, haute de vingt pieds et portant l'inscription parens patriae puis, à côté de la colonne, fut érigé un autel où le peuple se mit à célébrer un culte non auto­risé : on y offrait des sacrifices à César, on y faisait des vœux, on réglait des différends en jurant par son nom. Le principal instigateur de cette agitation était un certain Amatius, esclave fugitif, qui avait conquis une grande popularité en usurpant le nom et la descendance de Marius. Antoine, en sa qualité de consul, le fit arrêter puis tuer illégalement, sans procès. Ce meurtre et l'enlèvement de la colonne et de l'autel qui le suivirent, soulevèrent une violente émeute, le peuple accourut sur le forum, voulant contraindre les magis­trats à ériger un nouvel autel et à y sacrifier. On eut recours à la force, le sang coula, et un certain nombre de manifes­tants furent, condamnés, les esclaves à être mis en croix, les citoyens à être précipités de la roche Tarpéienne. L'agita­tion cependant continua, peu après, on signalait la pré­sence à Rome d'un grand nombre de vétérans de César, on en attendait d'autres pour le 4 juin, c'était le jour qu'An­toine avait désigné pour la réunion du Sénat, la séance pouvait être orageuse et on prêtait aux vétérans l'intention de profiter du trouble pour manifester sur le forum et demander le rétablissement de l'autel de César.

Le calme revint quand, en l'an de Rome 712 (= 42 av J.-C), les triumvirs décrétèrent qu'on élèverait à César, à l'en droit même où avait été son bûcher, un temple qui jouirait du droit d'asile, que tous les actes de César seraient ratifiés, son image portée dans les processions avec celle de Vénus, en même temps, le jour de sa naissance fut déclaré jour de fête et néfaste celui de sa mort, les ides de mars furent appelées parricides, la curie de Pompée, où César avait été assassiné, fut, suivant certains auteurs, murée, d'après d'au­tres, incendiée ou convertie en latrines. Auguste, en attendant que le temple fût construit, releva sans doute l'autel, car Suétone dit que, en 713, aux ides de mars, jour anniversaire du meurtre, il fit immoler comme victimes, trois cents prisonniers faits à la reddition de Pérouse. L'autel même coexista sans doute avec le temple, et occupa l'hémicycle que nous avons remarqué au centre de la façade.

L'arc d'Auguste . - Décrété par le Sénat à Auguste, après la bataille d'Actium, en même temps que le triple triomphe sur les Dalmates, l'Egypte et les vaincus d'Actium (725, 29 av. J.-C). Les fondations de cet arc de triomphe ont été retrou­vées en 1888 sur le côté du temple de César qui regarde le temple de Castor, la place en est mar­quée par deux dépressions rectangulaires, de chaque côté de la voie sacrée qui, au moins à une certaine époque, passait sous l'arche centrale. Nous voyons, d'après le plan, que l'une des petites arches de l'arc d'Auguste était fermée par un des escaliers latéraux du temple de Castor. Il est probable que le temple qui existait au moment où l'arc fut construit était moins grand et s'avançait moins vers la voie sacrée que le nouvel édifice dédié en l'année 748.

Le puteal Libonis — Un peu en arrière de l'arc d'Auguste, on voit, sur le sol, les restes d'une substruction circulaire, en marbre, portant une rainure au centre de son épaisseur, ces débris font penser à une margelle de puits. Ils appartenaient sans doute à un puteal. On donnait ce nom à un rebord ou mar­gelle en pierre ou en marbre, dont on entourait, pour les protéger, les lieux sacrés que ne devait fouler aucun pied humain, tels étaient les lieux frappés de la foudre. Au temps de la République, le Sénat chargea un nommé Scribonius Libo de rechercher les endroits de Rome frappés de la foudre et de les entourer d'un puteal. Un de ces puteal, parce qu'il se trouvait dans un endroit très fréquenté du forum, devint vite célèbre et les auteurs le mentionnent souvent sous le nom de puteal Libonis ou puteal Scribonianum . Beaucoup d'archéologues ont cru le recon­naître dans cette substruction.

La fontaine de Juturne — D'autres ont voulu voir dans ces mêmes substructions les restes de la fontaine de Juturne. Virgile rattache ce monument aux origines romaines en faisant de Juturne la sœur de Turnus. C'est à cette fontaine que les Dioscures abreuvèrent leurs chevaux baignés de sueur, quand ils vinrent annoncer aux Romains la victoire du lac Régille. La fontaine Juturne avait la réputation de guérir et les malades y accouraient nombreux, cette croyance n'eut peut-être pas d'autre origine que la ressemblance du nom Juturne avec le verbe latin Juvare, aider. La fontaine de Juturne était située entre les temples de Vesta et de Castor. Avant de quitter ces substructions d'origine incer­taine, remarquons, au milieu des débris qui gisent derrière elles, entre les temples de Castor et de Vesta, cette charmante frise représentant des Victoires ailées qui se posent sur des. tiges flexibles au milieu d'une ornementation dont les motifs sont empruntés à la flore. Ces fragments ont été trouvés près du temple de César. Une frise peinte dans l'aile gauche de la maison de Livie, sur le Palatin, rappelle un peu ce genre de décoration.

Le temple d'Antonin et de Faustine . — Décrété par le Sénat après la mort de Faustine, en 894, 141 ap. J.-C).

Nous passons derrière le temple de César pour aller jusqu'au temple d'Antonin et de Faustine, dont nous voyons les six belles colonnes encore de­bout. C'est un temple corinthien, exastyle, prostyle. Les colonnes sont monolithes, en marbre cipollin. Elles supportent une architrave sans ornement sur laquelle on grava d'abord la simple inscription Divae Faustinae ex s(enatus) c(onsulto) : à la divine Faustine, par décret du Sénat. Dix ans plus tard, quand Antonin mourut, on l'associa à sa femme dans les honneurs divins et dans la dédicace du temple, c'est alors qu'on grava les mots Divo Antonino et au-dessus de la première inscription, nous avons encore sous les yeux ces deux lignes dont la gravure semble bien en effet n'être pas d'une seule main. La façade était surmontée d'un fronton sculpté aujourd'hui disparu, avec un quadrige au sommet et, à chaque angle, une Victoire. Les côtés sont encore ornés d'une belle frise de style grec, représentant une série de candélabres entre deux griffons. Ceux qui auront la patience d'examiner de près et avec soin les colonnes du temple seront récompensés de leur peine par la découverte de nombreux graffites. A droite, au pied du temple, il subsiste quelques beaux restes du dallage en marbre ayant appartenu au péribole qui entourait le temple. Une balustrade fermait l'escalier.

En face du temple d'Antonin et de Faustine, à une vingtaine de mètres environ, deux pilastres en briques, auxquels s'appuient quelques débris de marbre, nous marquent l 'emplacement de la regia .

La regia et la maison du summus pontifex . — Fondée par Numa. Incendiée plusieurs fois. Reconstruite par Calvinus après l'incendie de 718 (= 36 av. J.-C). De nouveau incendiée sous Néron et probablement encore sous Commode.

Il reste de cet édifice très peu de débris apparents e t, sauf des restaurations ultérieures, ils doivent avoir appartenu à la reconstruction de Calvinus. Des fouilles récentes ont momentanément découvert ses fondations. Ces mêmes fouilles ont permis de reconnaître les dispositions de l 'édifice tel qu'il est figuré sur le plan. Les fastes étaient gravés à l'extérieur, la porte regardait le temple de Vesta .

La regia possédait de riches archives : les annales les souverains pontifes, les commentaires qu'ils rédi­ geaient, les documents relatifs aux fastes et au calendrier. Là étaient la salle où se réunissait, pour délibérer, le collège des pontifes, un sanctuaire à Ops Consiva où entraient seuls le pontife et les Vestales, la chapelle où l'on conservait les armes de Mars, quand elles s'agitaient d'elles-mêmes c'était un funeste présage. A la curie, ou dans une maison attenante, habitait le souverain pontife. Quand Auguste fut empereur et souverain pontife, il alla demeurer sur le Palatin. N'en ayant plus besoin, il donna aux Veslales la regia qui, dit l'historien, était sous le même toit que leur maison. Par regia il faut entendre ici la partie qu'habitait le summus pontifex, la seule qui devint inutile le jour où Auguste élut domicile sur le Palatin. Si de sa regia nous allons au portique qui est devant les boutiques de la maison de Vestales , nous trou­vons facilement, dans ce portique , qui a l'apparence d'une rue étroite encombrée de substructions, les fon­dations d'un antique édifice en travertin avec bases de colonnes, et, en avant, une rigole pour l'écoulement des eaux qui tombaient des toitures. Cet édifice, orienté autrement que les constructions plus récentes qui l'entourent, se perd sous le mur de la maison des Vestales. Est-ce la demeure du summus pontifex donnée par Auguste aux prêtresses de Vesta? Cela me paraît assez probable. En tout cas, c'est là ou à côté de la regia qu'habitait le summus pontifex; César y passa donc la fin de sa vie. C'est dans cette maison que, pendant qu'on célébrait les fêtes de la bonne Déesse interdites aux hommes, Clodius sous des habits de musicienne, pénétra pour approcher de Pompeia, femme de César. Trahi par sa voix, Clodius fut reconnu et jeté dehors. Le scandale fut énorme et César répudia sa femme, non pas qu'il fût certain de sa complicité, mais parce que, disait il, la femme de César ne doit pas être soupçonnée. Il nous semblera peut-être singulier, après avoir lu le récit détaillé des funérailles de César, de parler de la dernière nuit et du dernier jour de sa vie. Ces interversions sont inévitables, notre visite du forum se faisant forcément dans l'ordre topographique des monuments, et non d'après l'ordre chronologique, qui nous contraindrait à traverser sans cesse le forum dans tous les sens. C'est dans cette maison que César passa sa dernière nuit troublée par des présages funestes. Déjà, la veille, on avait vu des oiseaux solitaires se poser en plein jour sur le forum. Pendant la nuit, César rêva qu'il volait au-dessus du mur et donnait la main à Jupiter, Calpurnia, sa femme, rêva que le faîte de la maison s'écroulait et que son mari était percé de coups dans ses bras. Au même instant, la porte et les fenêtres de la chambre s'ouvrirent tout à coup d'elles-mêmes et César fut réveillé en sursaut par le bruit. Dans la regia, les armes de Mars s'agitèrent d'elles-mêmes, avec un grand fracas. Quand le jour paru, Calpurnia conjura César de ne pas sortir ce jour-là, peu enclin à ces craintes, César résista d'abord, puis finit par céder. Mais quand l'heure de la séance approcha, un des conjurés, D. Brutus, que César regardait comme un de ses meilleurs amis, craignant de voir le com­plot échouer, vint chercher la victime, lui reprocha ses hési­tations et parvint à l'emmener. Ils durent suivre la voie sacrée, dépasser le temple de Castor et le vicus Tuscus . En longeant sa basilique dont les travaux, très avancés, n'étaient cependant pas encore terminés, César lui donna sans doute un dernier regard, puis, au pied du temple de Saturne , il tourna à gauche dans le vicus Jugarius pour gagner, en contournant le Capitole et la roche Tarpéienne, le Champ de Mars où se trouvait le por­tique de Pompée, lieu désigné ce jour-là pour la réunion du Sénat. On lui remit, pendant ce trajet, avec prière de lire de suite, un écrit qui lui dénonçait le complot mais la foule qui le pressait et les gens qui, à tout moment, l'abor­daient, ne lui permirent pas d'y jeter les yeux. Nous avons vu comment son cadavre fut rapporté aux rostres et brûlé devant la regia ).

En revenant un peu sur nos pas, nous rencontre­rons bientôt, en face de la regia , à notre gauche, les substructions rondes du temple de Vesta .

Le temple de Vesta . — Attribué à Numa. Incendié et reconstruit plusieurs fois sous la Répu­blique et sous l'Empire. Fortement endommagé, sous Auguste, par une inondation du Tibre. La dernière reconstruction connue est de Julia Domna, femme de Septime Sévère. Il subsiste, dans la fondation que nous avons sous les yeux, des pierres très anciennes ayant peut-être appartenu à l'édifice primitif, elles sont reconnaissables à leur couleur foncée et à leur nature volcanique. Le temple de Vesta était un périptère rond, dont les 18 colonnes (20 suivant d'autres auteurs) entouraient une cella également circulaire. Sa circonférence était de 53 m. 38. La toiture sphérique, en bronze, était surmontée d'une statue. Une monnaie du VII ème siècle de Rome nous montre le bord de cette toiture orné de têtes de dragons, c'étaient peut-être des gouttières pour l'écoulement des eaux pluviales. On avait accès au temple par un perron de plusieurs marches dont on peut encore deviner l'emplacement sur le côté Est du temple. La forme ronde du temple symbolisait la terre, sa cou­verture sphérique représentait la voûte céleste. Le temple ne contenait pas de statue, mais un autel sur lequel brûlait un feu sacré qu'on ne devait pas laisser mourir. Au com­mencement de chaque année, le 1- mars, le souverain pon­tife l'éteignait, puis le rallumait solennellement. C'était le foyer de Rome, près duquel le pontifex maximus était le pater familias, de même que le père de famille était le prêtre près du petit foyer domestique. Comme origine, ce culte et une grande partie du cérémonial se rattachaient aux tradi­tions grecques, comme idée religieuse, c'était la généralisa­tion du culte domestique autour du foyer de la maison, comme tradition, il remonte probablement, comme l'a fait observer M. Helbig, à ces époques lointaines et préhistoriques, où, faute de moyens perfectionnés, l'homme avait une grande peine à se procurer le feu. Les villages étaient composés de cabanes rondes, pendant que les hommes étaient à la chasse ou à la pêche et les femmes à leurs travaux, les jeunes filles entretenaient le feu dans la cabane où l'on venait le chercher, le soir, à l'heure de pré­parer le repas. De là le temple rond et les prêtresses vierges. Si le feu de Vesta s'éteignait, il ne pouvait, souvenir des temps préhistoriques, être allumé que par le frottement de deux morceaux de bois provenant d'un arbre d'heureux augure, plus tard, on autorisa l'emploi d'une lentille ou d'un vase d'airain, dans lesquels on concentrait les rayons du soleil, la source la plus pure de la lumière. L'extinction du feu était regardée comme un présage funeste, on le conjurait par des sacrifices expiatoires et la Vestale reconnue coupable de négligence était fouettée par le pontifex maximus . Une Vestale, accusée dans une circons­tance semblable, protesta qu'elle était innocente et que la faute ne lui était pas imputable et, en appelant au jugement de la déesse, elle jeta sur le foyer éteint un lambeau de son voile aussitôt la flamme jaillit. Au milieu des débris d'architecture amoncelés entre le temple de Vestra et la maison des Vestales , nous retrouverons facilement deux fragments juxta­posés ayant appartenu à la frise extérieure du temple, cette frise est ornée de bucranes enguirlandés, de branches de lauriers, de vases et d'instruments de sacrifice, le sofite était garni de caissons avec fleuron central. Le temple était dans une cour rectangulaire pavée en marbre, fermée de deux côtés par un angle de la maison des Vestales et de ses dépendances, des deux autres par un mur. Les Vestales pouvaient ainsi, sans sortir en public, aller de leur maison au temple ou leur devoir les appelait souvent. Dans cette cour, devant les degrés du temple, s'élevait un autel sur lequel on sacrifiait. A l'angle de la maison des Vestales, en face de nous, un peu à gauche, si nous regardons dans la direction de la via nova est appuyé contre le mur, près des degrés qui montent à la maison des Vestales, un autel en blocage, couvert de briques et ayant conservé des fragments de son revêtement en marbre. Deux colonnes cannelées posées sur le devant de l'autel, deux demi-colonnes dans le fond, appuyées contre le mur, soutenaient une architrave en marbre, qui est aujourd'hui déposée à terre devant l'autel et porte l'inscription suivante : Senatus populusque Romanus pecunia, publica faciendum curaverunt. Cet autel portait certai­nement une statue, on ignore laquelle, sans doute celle de Vesta. L'intérieur du temple était dépourvu, de statue, mais nous savons, par le récit d'un meurtre qui se commit à l'endroit où nous sommes, qu'il y en avait une en dehors du temple.

En l'an de Rome 672 (= 82 av. J.-C). les consuls C. Marius Juvenis et Carbo ayant investi la curie en faisaient sortir l'un après l'autre, pour les massacrer, les sénateurs dont ils avaient résolu la mort. L'un d'entre eux, le pontifex maximus Q. Mucius Scaevola, prit la fuite, poursuivi par les meurtriers, il traverse tout le Forum, gagne le temple de Vesta, embrasse l'autel de la déesse et est massacré dans le vestibule du temple, son sang, dit un des historiens, rejaillit jusque sur la statue de Vesta. Où était placée cette statue? Où était, dans ce petit temple rond, le vestibule? Questions qu'il ne nous est guère possible de trancher, car, si le temple de V esta, n'a pas changé de place, il n'en est pas moins vrai que nous sommes au milieu d 'édifices construits par Sep time Sévère et que les ruines dont nous sommes environnés ne sont pas celles des édifices qui virent le meurtre de Mucius Scaevola. Nous nous souvenons que c'est à ce même endroit que fut massacré Pison, le César que Galba avait associé à l'empire.

CHAPITRE VI

LA MAISON DES VESTALES

La visite du Forum proprement dit cesse avec le temple de Vesta et la regia. Cependant les monuments qui y font suite, vers l'est, lui appartiennent moralement, et nous compléterons, en les visitant, notre promenade archéologique. Comment, en effet, visiter le temple de Vesta et omettre la maison voisine où vivaient les Vestales?

L'atrium Vestae ou maison des Vestales — Attribuée à Numa, cette maison, voisine du temple de Vesta, subit les mêmes vicissitudes et les mêmes incendies. Les ruines qui sont sous nos yeux appartiennent à une reconstruc­tion de Septime Sévère.

Quatre Vestales furent d'abord instituées, leur nombre fut ensuite porté à six et resta ainsi définitif. Il semble cependant que, pendant une période très courte, à la fin du IV ème siècle et peu avant la suppression du collège, il y en ait eu sept. Dès qu'un vide se produisait parmi les Ves­tales, le souverain pontife choisissait vingt jeunes filles de six à dix ans, ayant encore leurs parents domiciliés en Italie, ingénus et de situation honorable, les jeunes filles elles-mêmes devaient être exemptes de défauts physiques et moraux. Parmi ces vingt candidates, le sort en désignait une, au forum, en assemblée publique, et celle dont le nom sortait était Vestale. Pouvaient se récuser les jeunes filles qui avaient déjà une sœur Vestale, étaient filles d'un membre d'un grand collège sacerdotal, de parents jouissant des privilèges conférés à ceux qui avaient trois enfants (justrium liberorum), étaient fiancées au pontifex maximus ou au tibicen sacrorum. Quelquefois on acceptait tout simple­ment une fille offerte par son père. La nouvelle Vestale était reçue (capta) par le souverain pontife qui pendant la cérémonie (inauguratio) prononçait une formule liturgique dans laquelle il lui donnait le nom Amata, ce qui, d'après la tradition, était le nom de la première Vestale consacrée : « Amata, je te reçois prêtresse de Vesta, afin que tu célèbres le culte que doivent célébrer les prêtresses de Vesta pour le bien du peuple romain, conformément à la loi très sage ». Puis il coupait sa chevelure qui devait être suspendue à un lotus, appelé, pour cette raison, lotus capillaris, on la laissait croître ensuite, car les Vestales portaient les cheveux longs. Les Vestales étaient la propriété de la déesse, et c'est en son nom que le souverain pontife exerçait sur elles le pouvoir, paternel. Pendant les dix premières années on les instrui­sait de leurs devoirs, elles les exerçaient pendant les dix années suivantes, pendant dix autres années elles instrui­saient les jeunes. Au bout de ces trente ans, c'est-à-dire entre trente-six et quarante ans, elles étaient libres de se retirer et même de se marier. Peu usaient de cette liberté. La plus ancienne était la supérieure avec le titre de grande Vestale : virgo Vestalis maxima. Les principaux devoirs des Vestales étaient les suivants : entretenir le feu sacré, avoir toujours, pour les choses sacrées, de l'eau non captée dans des tuyaux, et, pour cette raison aller la puiser à certaines sources déterminées, faire, la mola salsa, gâteau destiné aux sacrifices : à cet effet, chaque année, au commencement de mai, les Vestales rece­vaient des épis de blé dont elles extrayaient le grain qu'elles torréfiaient et broyaient, la farine ainsi obtenue était déposée dans le penus Vestae , et, trois fois par an, aux Lupercales, aux ides de septembre et le jour des Vestalia, les Vestales la mélangeaient avec du sel pour faire la mola salsa. La fête des Vestalia tombait le 9 juin. Ce jour-là, des plats chargés de mets étaient envoyés au temple de Vesta, chez les meuniers et dans les boulangeries c'était jour de fête chômée, les meules étaient enguirlandées, les ânes couronnés de fleurs portaient des colliers de pains, les femmes, pieds nus et les cheveux épars, venaient faire leurs dévotions au temple de la déesse, Ovide raconte que, reve­nant de ces fêtes, il vit, à l'endroit où, près du temple de Vesta, la Via nova communique avec le forum par un escalier, une matrone descendre pieds nus vers le temple. Un autre devoir des Vestales était de prier pour le salut du peuple romain, d'une façon habituelle et particulièrement quand elles en étaient requises dans les circons­tances critiques. Elles devaient à certains jours fixés, célé brer des sacrifices, assister à d'autres, intervenir par leur présence à des cérémonies publiques, religieuses ou civiles. Parfois aussi les particuliers leur demandaient des prières pour telle ou telle intention. Leurs privilèges étaient considérables : aussitôt reçues, elles étaient émancipées, capables de tester, en possession du droit des mères de trois enfants, au-dessus des lois, jouissant de leurs biens propres, de ceux du collège et d'une forte allocation. Elles avaient droit au char et leurs che­ vaux ainsi que leurs voitures étaient exempts d'impôts. Devant elles marchait un licteur et le consul même leur cédait le pas. Leur personne était sacrée et quiconque les offensait encourait la peine de mort. Si elles rencontraient fortuitement un condamné conduit au supplice, il était gracié. Au cirque, au théâtre et à l'amphithéâtre, elles étaient aux premières places. On les inhumait dans l'intérieur de la ville. La grande Vestale jouissait d'une haute influence, heu­ reux les parents et les amis qu'elle protégeait. Les inscrip­tions que nous verrons tout à l'heure dans l' atrium de leur maison nous en fourniront plus d'une preuve.

La maison des Vestales est construite sur les dernières pentes du Palatin qu'on a entaillé pour lui faire place, son premier étage au-dessus du forum forme rez-de-chaussée sur la via nova , et la fenêtre, élevée cependant, que l' on voit au fond du T ablinum , est, de l'autre côté, au niveau du sol. Après avoir franchi les quelques marches qui, à gauche de l'autel, donnent accès dans la maison des Vestales, nous entrons dans un vaste atrium long de 69 mètres, large de 25 et terminé, à l'extrémité Est, par une grande salle correspondant à ce que, dans la maison romaine, on appelait tablinum ou salon de réception. Tout autour de l' atrium régnait un portique à deux étages. Les colonnes du rez-de-chaussée, réunies à une époque tardive par des petits murs dont la trace est visible, étaient en marbre cipollin, celles de 1 étage supérieur, plus petites, en brecia coralina. Aux deux étages, des pièces et appartements ouvraient sur les portiques. Les murs intérieurs des portiques étaient revêtus de marbre, dont, ça et là, on voit encore quelques restes. Sous les portiques de l'atrium sont disposées des bases avec inscriptions, elles supportaient des statues érigées à des grandes Vestales, dans leur propre mai­son, soit par les pontifes satisfaits de leur ministère et interprètes du contentement de la déesse Vesta, soit par des parents ou amis, à qui elles avaient rendu service. A droite en entrant, nous rencontrons de suite trois belles bases qui, dans le haut moyen âge, ont été uti­lisées pour soutenir le mur d'une petite maison démolie pendant les fouilles de 1884, au milieu des ruines de cette maison on trouva un trésor de monnaies anglo-saxonnes du X ème siècle, qui, comme le démontra G.B. de Rossi, avait été envoyé à Rome pour le denier de Saint-Pierre, et enfoui à cet endroit par un haut fonctionnaire de la cour pontificale, pendant un des moments de troubles qui ne manquèrent pas à cette époque. Ces monnaies sont exposées au Musée des Thermes de Dioclétien. La première base a sa face gravée tournée vers l'atrium. Voici le sens de son inscription : Aemilia Rogatilla, nièce (sororis filia) de la grande Vestale Flavia Publicia, et son fils Minucius Horatius, etc., ont érigé une statue à leur tante en reconnaissance de ses bienfaits (ab pietatem). L'expression de la reconnaissance est précédée d'un grand éloge de la Vestale, appuyé sur le témoignage de Vesta elle-même. Le texte est daté, sur le coté de la base, du 11 juillet 247. L'inscription suivante (n° 2) mérite toute notre attention :

OB MERITVM CASTITATIS PVDICITIAE ADQ-IN SACRIS

RELiG I ONIBVSQVE DOCTRINAE MIRABILIS

ClilUIIIHIliilE - V | V - MAX -PONTIFICES - V - V - C - C PROMAG- MACRINIO +

SOSSIANO- V- C- P- M +

DEDICATA-V-IDVS-IVNIAS-DIVO- IOVIANO-ET-VARRONIANO

CONSS-

(9 juin 364)

Ob meritum castitatis. pudicitiae. adque in sucris religionibusque doctrinae mirabilis, C e v(virgini) v(estali) m(aximae),

pontifices v(iri) c(larissini) ; promag(istro) Macrinio Sossiano, viro) c(larissimo), p. M ?

C'est le collège des pontifes, qui, le 9 juin 364, en récompense de sa science et de ses vertus, éleva à la grande Vestale dont le nom est effacé, la statue que supportait cette base. Mais ensuite la vestale ayant été jugée indigne, sa mémoire fut condamnée et, confor­mément à l'usage des Romains, son nom martelé sur ses inscriptions. Deux causes peuvent être attribuées à cette condamnation : ou la Vestale manqua à son vœu, ou elle se fit chrétienne. Symmaque, à cette époque, parle d'une Vestale accusée d'avoir violé ses vœux, Prudence en mentionne une qui se fît chré­tienne. Tous les arguments pesés, on s'accorde généra­lement à croire, avec M. 0. Marucchi, que la Vestale dont nous venons de lire l'inscription se fit chrétienne. Ce fut une des dernières grandes Vestales, le collège ayant été supprimé trente ans plus tard, en 394. On connaît, depuis Tarquin jusqu'à la fin, une vingtaine de Vestales environ qui furent condamnées pour avoir manqué au vœu de chasteté. Convaincue de ce crime, la Vestale ne pouvait être exécutée par la main du bourreau mais, odieuse aux divinités supérieures et indigne de la lumière, elle était vouée vivante aux divinités souterraines. Pendant que son complice expirait sous les verges au comitium , la Vestale condamnée était portée, dans une litière fermée et avec la pompe d'un enterrement, à l'endroit où elle devait être ensevelie vivante. C'était un caveau souter­rain, creusé près et à droite de la porta Collina, c'est-à-dire, d'après les calculs de M. Lanciani, rue du Venti Settembre, sous l'angle du ministère des finances qui est le plus rap­proché de la porta Pia. Le lieu où était ce caveau s'appelait le campus sceleratus. Pline le Jeune nous a laissé un récit émouvant de l'exécu­tion d 'une grande Vestale : « Domitien désirait enterrer vive la grande Vestale Cornelia, il pensait, par un tel exemple, illustrer son siècle. Usant de son droit de souverain pontife, mais plus encore de la cruauté du tyran et du pouvoir sans contrôle du maître, il convoque les autres pontifes non à la regia, mais dans sa villa d'Albano. Là, par un crime non moins grand que celui qu'il prétendait punir, sans avoir fait comparaître la Vestale, sans qu'elle ait été entendue, il la condamne comme coupable d'inceste.... On envoie les pon­tifes pour l'enfouir dans le caveau où elle devait périr. Mais elle, tendant les mains tantôt vers Vesta, tantôt vers les autres dieux, proférait des plaintes parmi lesquelles celle-ci revenait sans cesse : « César me croit incestueuse, lui qui, par les sacrifices que j'offrais, a vaincu, a triomphé ». Voulait-elle adoucir le prince ou le railler? Était-ce confiance en elle-même ou mépris pour Domitien? On l'ignore. Elle, répéta ces paroles jusqu'à ce qu'on la conduisit au supplice, innocente, je ne sais, mais comme une coupable. Pendant qu'elle descendait dans le caveau, sa robe s'accrocha : elle se retourna pour la dégager, et le bourreau lui présentant la main, elle se détourna avec répulsion, dernier trait de piété pour repousser de son corps chaste et pur ce contact honteux. Elle eut les délicatesses de la pudeur, mettant tous ses soins à tomber avec décence. Le chevalier romain Céler, son complice, disait-on, frappé de verges dans le Comitium , persistait à dire : « Qu'ai-je fait? Je n'ai rien fait. » Plusieurs Vestales échappèrent au supplice par le suicide, entre autres Canutia Crescentina, qui, sous Caracalla, se précipita du faite de la maison que nous visitons en ce moment. Quelquefois Vesta prenait la défense de ses vierges et faisait éclater leur innocence : la vestale Tuccia, faussement accusée, répondit au pontife qu'elle saurait bien repousser l'accusation. Elle va au Tibre, invoque la déesse, et, pleine de confiance dans sa protection, puise l'eau du fleuve dans un crible qui la conserve miraculeusement. Suivie d'une foule immense, elle revient au forum vider le crible aux pieds du souverain pontife.

La troisième inscription fut érigée à la grande Vestale Caelia Claudiana à l'occasion du vingtième anniversaire de son maximat. Aurelius Fructuosus, le dédicant, termine en lui souhaitant un trentième anniversaire non moins heureux! Sic vicennalia, sic tricennalia feliciter. Nous n'avons pas le temps de lire et de com­menter toutes les inscriptions trouvées et conservées dans cet atrium. Après avoir laissé un fragment de base à notre droite près de l'endroit non encore déblayé, nous tournons à gauche pour longer la muraille contre laquelle sont adossées les bases et les statues. Après une inscription à Terentia Flavola qui appartenait à une illustre famille consulaire, nous ren­controns une inscription dédiée en 214 à Caracalla: Magno et invicto, etc., très importante pour l'étude de l'administration des voies romaines, elle ne concerne en rien les Vestales dans la maison desquelles elle fut cependant trouvée. La grande Vestale Praetexlata, dont l'inscription suit, est la plus ancienne des grandes Vestales dont on a retrouvé les noms dans l'atrium, elle n'est connue que par ce texte. La base qui suit offre le nom de Flavia Publicia, celle-ci dut rester longtemps en charge, jouir d'une grande influence et en user, car elle n'eut pas moins de six statues. Nous avons vu, en entrant, celle que lui érigea sa nièce. Celle qui nous arrête en ce moment a été dédiée par T. Flavius Apronius, fictor virginum Vestatium loci secundi. Les fictores des Vestales étaient des industriels qui confectionnaient les gâteaux sacrés et modelaient les objets votifs représentant les choses que l'on ne pouvait offrir en réalité : animaux, membres malades, etc. Il y avait des fictores attachés aux collèges des Vestales et des pontifes. La simili­tude du nom de famille (Flavia-Flavius) permet de supposer que la grande Vestale avait confié cette charge sans doute rémunératrice à un client de sa famille. Deux inscriptions de Flavia Publicia, datées l'une de l'année 247, l'autre de l'année 257, nous font connaître l'époque à laquelle elle était Vestalis maxima . Numisia Maximilla, dont l'inscription suit, était grande Vestale en l'an 201 ap. J.-C, comme l'a démontré une inscription datée trouvée antérieurement ( Corp. inscr. lat., VI, 2129). Cette base est surmontée d'une statue de Vestale assez bien drapée, nous retrouvons ensuite Terentia Flavola .

Après l'ouverture au fond de laquelle se trouve l'escalier), se présente une nouvelle base à Flavia Publicia et, ensuite, une belle inscription dédiée à Terentia Flavola par son frère Q. Lollianus Plautius Avitus, consul au commencement du III ème siècle Q. Lollianus a indiqué dans ce texte tout son cursus honorum qui offre des particularités inté­ressantes. La base suivante ne porte pas d'inscription. Nous n'avions vu jusqu'ici que des statues de Ves­tales décapitées, une statue complète nous permet maintenant de nous rendre compte de tout l'ensemble du costume . Les Vestales portaient une tunique (stola) nouée à la taille par un cordon, et, par-dessus la tunique, un manteau dans lequel elles se drapaient, et dont la partie supérieure était ramenée sur la tête. Il ne faut pas confondre ce manteau ( pallium) avec le voile que les Vestales portaient pendant les cérémonies sacrées. Ce voile, posé sur la tête, descendait jusque sur les épaules, mais pas plus bas, il était retenu sur la poitrine par une fibule (fibula), d'où son nom suffibulum. U ne seule des statues trouvées dans l'atrium offre cette particularité. A cause de sa beauté, à cause aussi de cette particularité unique, on l'a transportée dans le musée des Thermes, le dessin que nous en donnons ne dispensera pas d'aller la voir. Sous le manteau comme sous le voile, les Ves­tales avaient la tête ceinte de plusieurs rangs de ban­delettes dont les extrémités étaient ramenées sur les épaules. La statue qui fait suite à la base de Terentia Flavola a sur la poitrine les traces des trous à l'aide desquels était fixé un collier en métal dont le médaillon a laissé des traces d'oxydation. Une base anépigraphe sépare cette statue dune autre Vestale représentée avec les attributs de Cérès qu'elle tient dans la main gauche : des pavots et des épis. Arrêtons-nous un instant devait l'inscription dédiée encore à Flavia Publicia qui vient après, il y est parlé du feu éternel près duquel la Vestale a veillé jour et nuit : ad aeternos ignes, diebus noctibusque, pia mente vite deserviens, avec l'âge Publicia est arrivée à être grande Vestale : at hunc locum cum aetate pervenit, nous savons en effet que la plus ancienne était de droit grande Vestale. Nous rencontrons ensuite un groupe de trois statues : une statue d'homme ornée autrefois d'une barbe en métal qui a disparu, la seule statue virile qu'on ai trouvée dans l'atrium de Vesta, une Vestale dont la tête manque, une statue assise. M. Lanciani a reconnu dans la statue virile celle de Vettius Agorius Praetextatus, préfet de Rome, qui fut, avec Symmaque, un de plus ardents défenseurs du paganisme expirant. En effet, au XVI ème siècle, on mit au jour, sur l'Esquilin dans la maison des Agorii, non loin de Sainte-Marie Majeure, une base de statue dédiée à la grande Vestale Caelia Concordia par Fabia Paulina, femme Agorius Praetextatus, à qui Caelia Concordia avait elle-même élevé une statue dans l' atrium Vestae. Il est fort pro­bable que la statue que nous avons devant nous est bien celle du préfet de Rome placée là par Caelia Con­cordia. Les Vestales en effet lui devaient de la reconnaissance pour réveiller la foi païenne, Agorius Praefextatus favorisa les plus anciens cultes de Rome et tout particulièrement celui de Vesta. C'est lui aussi qui restaura le portique des dii consentes que nous I verrons tout à l'heure. La statue assise qui suit, dont la partie supérieure manque, est sans doute une déesse, comme l'indique le suppedaneum, ou tabouret sur lequel ses pieds sont posés. La statue que, après avoir tourné à gauche, nous rencontrons à droite de la grande ouverture formée par le tablinum , est encore une Vestale. Jetons, en passant, un coup d'œil sur les plis de son vêtement retombant au-dessous de la taille, et terminé par des petits glands qui semblent indiquer que l'étoffe était en laine. De l'autre côté du tablinum reste une der­nière statue et à coté une inscription dédiée à Flavia Publicia par Ulpius Verus et Aurelius Titus, centurions à qui sa protection avait obtenu quelques faveurs, peut-être de l'avancement.

A l'extrémité de l'atrium, en face du tablinum , un petit réservoir autrefois revêtu de marbré, recevait probablement l'eau que les Vestales allaient puiser aux sources. Un puits s'ouvrait plus bas, à droite, près du portique. La partie centrale de l' atrium est occupée, dans toute sa largeur, par les substructions d'un édifice de forme singulière, soigneuse­ment rasé au niveau du sol, il se compose d'un édifice rond inscrit dans un octogone divisé, par des murs, en huit compartiments. C'était, cette opinion a du moins été exprimée par des archéologues de grand mérite, le penus Vestae. C'est là que les Vestales auraient conservé le Palladium et des choses mysté­rieuses d'où dépendait le salut de Rome, apportées de Troie par Énée . Au moment de l'invasion des Gaulois, les Vestales enfoui­rent dans le sol les choses sacrées qu'elles avaient enfer­mées dans des urnes en terre, elles-mêmes se réfugièrent dans la ville étrusque de Caere. Seules les Vestales pouvaient voir le Palladium. Ilus, pour avoir vu le Palladium en voulant le sauver d'un incendie, et Diomède, lorsqu'il le ravit à Troie, furent frappés de cécité. Pendant l'incendie qui en 513 (= 241 av. J.-C.) dévasta ce coin du forum, le pontifes maximus Caccilius Metellus se précipita dans le penus Vestae en flammes, il en sortit aveugle et ayant perdu un bras, mais il avait sauvé le Palladium. Les dieux, d'ailleurs, rendirent la vue aux trois victimes de leur zèle. Dans l'incendie de Commode qui détruisit toute l'extrémité orientale du forum, on vit les Vestales sortir de leurs édifices en flammes et suivre la voie sacrée pour mettre en sûreté le Palladium qui n'avait pas été vu depuis les temps lointains où Énée l'avait apporté de Troie, toutefois il est probable que les Vestales ne por­tèrent pas le Palladium à découvert. Lampride, qui vivait cependant, à une époque où la foi des Romains avait perdu sa naïveté, raconte avec indignation le sacrilège d'Hélagabale, qui, après avoir voulu éteindre le feu sacré, pénétra, avec des gens aussi impurs que lui, dans le penus Vestae pour en enlever les choses sacrées. Le sacrilège cependant ne fut pas commis, grâce à la présence d'esprit de la grande Vestale qui donna à l'empereur des choses fausses à la place des vraies, et une statue qui n'était pas le Palladium.

La grande salle qui ouvre au fond de l'atrium est un peu surélevée, on y entre par un petit perron de quatre degrés, entre deux colonnes. Le devant de la pièce n'est pas fermé, mais les colonnes étaient réu­nies au mur par une balustrade dont on voit encore les restes à droite. La grande fenêtre ouverte dans le mur du fond est, de l'autre côté, au niveau du sol, au-dessus de cette fenêtre, à droite, il subsiste une amorce de la voûte qui recouvrait la pièce, et, plus haut encore, la naissance du mur de l'étage supérieur. En plusieurs endroits, particulièrement à l'angle de gauche, en entrant, la muraille conserve des débris de son revêtement en marbres divers et de la plinthe en rouge antique. Ça et là on voit, épars sur le sol, des débris du dallage en marbre. Par la situation qu'elle occupe, cette pièce correspond à ce que, dans les maisons romaines, on appelait tablinum ou salon de réception. Sur le tablinum ouvrent les portes de six chambres, trois de chaque côté, ce qui fait autant de chambres que de Vestales. Chacune avait-elle, à côté du salon commun, son petit parloir personnel? Leurs appartements étaient sur les côtés de l' atrium ou plutôt à l'étage supérieur. La première chambre à droite offre une curieuse particularité : le sol repo­sait sur des sections d'amphores encore en place, de telle sorte que le parquet ainsi surélevé était moins exposé à l'humidité toujours à craindre dans cette maison construite, en grande partie, en contre-bas. Si nous entrons dans la pièce à gauche, la fenêtre que l'on a, après les fouilles, abaissée jusqu'au sol, nous donne entrée dans une cour dont, le mur de fond, orné de trois niches, conserve des restes de son revêtement en marbre cipollin, le dallage était fait avec le même marbre. Au fond de la pièce qui fait suite, dans la direction de la voie sacrée, subsistent les restes d'un égout. A l'angle de la cour le plus rapproché de l'atrium une ouverture cin­trée, semblable à un four, était sans doute la bouche du foyer d'un hypocauste, ou calorifère. Dans toute cette partie de la maison qui longe le côté nord de l'atrium, nous rencontrons diverses pièces dont il est impossible de déterminer l'usage. Vers le centre un escalier montait aux étages supérieurs dont il ne reste plus trace. Nous rentrons dans l'atrium pour le traverser aussitôt et aller, à droite du tablinum, franchir une porte, qui nous conduit devant une pièce curieuse fermée par une grille. Le mur de gauche de cette pièce est longé par une galerie voûtée, probable­ment un calorifère, malgré ses dimensions extraordi­naires. Le fond de la pièce est occupé par une grande baignoire revêtue de marbre et surmontée de trois niches pour des statues. C'était une salle de bain. Au-dessus une voûte supporte un passage auquel don­nait accès un escalier et sur lequel ouvrent trois chambres. La chambre voisine, la première du côté sud, avec ses cuves et les traces de son four, peut avoir été une cuisine. La chambre qui fait suite est intéressante : c'est la meule. Un cheval ne pouvait circuler dans l'étroit passage qui l'entoure, elle était mise en action par un esclave ou par un âne. On a pensé que c'est à ce moulin que les Vestales faisaient moudre le blé destiné à la mola salsa, ce n'est pas probable. Pour faire la farine de la mola salsa, conformément à l'antique usage, on torréfiait d'abord le blé et il est probable que, pour le réduire en farine, les Vestales employaient aussi, par tradition, des moyens plus primitifs. Après avoir dépassé trois pièces dépourvues d'inté­rêt, et auxquelles on ne peut donner aucune attribution, nous arrivons à un escalier, il conduit à l'étage supérieur élevé d'une douzaine de marches au-dessus da la via nova. Une porte récemment posée en défend malheureusement l'accès aux visiteurs. Cette, partie a été d'ailleurs assez maltraitée et dénaturée par les constructions du moyen âge, elle n'offre rien de bien curieux, sauf des bains et un hypocauste, chose rare à un premier étage. Nous revenons à l' atrium par l'ouverture qui est en face de l'escalier, puis, longeant, sans sortir du bas-côté, le mur à notre gauche, nous entrons par la première ouverture que nous rencontrons, aussitôt, à gauche, s'ouvre une pièce qui a con­servé des débris intéressants de son ornementation : restes du revêtement en marbre, dallage, plinthe en rouge antique. Cette même pièce contient l'inscription d'une statue érigée, par un fictor qu'elle avait comblé de ses bienfaits, à la grande Vestale Flavia Publicia, dont le nom nous est déjà bien connu. Les trois chambres qui suivent n'offrent rien de remarquable, quelques traces de peinture sont encore visibles sur le mur du corridor. La décoration de la dernière pièce, autant qu'on en peut juger dans l'état de délabrement où elle se trouve aujourd'hui, était autrefois très soignée. Nous traversons une dernière fois l'atrium pour sortir par où nous sommes entrés. À notre droite sont les restes, très maltraités, d'un hypocauste. Tour­nant à droite, à l'angle de la maison, nous voyons huit boutiques adossées à la maison des Vestales, et où subsistent encore quelques rares débris de marbre et de mosaïque, elles ouvrent sur une rue étroite, très droite, dont le sol est encombré de substructions appartenant à des époques diverses et s'élevant plus ou moins haut, nous y avons visité tout à l'heure les restes de la maison du souverain pontife donnée par Auguste aux Vestales. M. Lanciani pense que cette voie est le prolongement du porticus margaritaria, les margaritarii étaient des marchands de perles, nous savons, par des inscrip­tions, qu'ils avaient des boutiques sur la voie sacrée et qu'ils avaient donné leur nom à un portique situé dans la VIII e région, c'est-à-dire la région du forum.

CHAPITRE VII

LE T E MPLE DE RO MULUS. — LE TEMPLUM SACRAE URBIS . - LA BASILIQUE DE CONSTANTIN. - L'ARC DE TITUS. — LA VOIE SACRÉE

Le temple de Romulus. - Commencé par Maxence, achevé par Constantin.

Nous traversons la voie sacrée, large en cet endroit de 12 mètres , et nous nous trouvons en face du petit temple rond de Romulus. Il ne s'agit pas ici du fonda­teur de Rome, mais de Romulus, fils de Maxence, mort à l'âge de quatre ans et à la divinité de qui son père dédia ce temple que le Sénat, plus tard, consacra à Constantin.

C'est un édifice rond, dont le diamètre intérieur est de près de 15 mètres , la toiture avait, comme celle du Panthéon, une ouverture centrale qui a été, au XVI ème siècle, recouverte de la lanterne que l'on voit aujourd'hui. Du Pérac, dans la planche IV de son recueil, en a laissé un dessin fait avant ce dernier chan­gement. Le temple est précédé d'un petit portique semi-circulaire et flanqué de deux salles longues, ter­minées en abside. Deux des colonnes du portique sont encore debout, des autres il ne reste que les bases. Un dessin du xvi° siècle prouve que, de chaque côté de la porte, le mur du portique était orné de quatre niches disposées en deux rangs superposés. La porte est encore encadrée dans deux colonnes corinthiennes en rouge antique, posées sur des bases et supportant un entablement. Les montants et les dessus de la porte, provenant sans doute d'un autre édifice plus ancien, sont mieux sculptés que ne le comporte l'époque de Maxence. La belle porte en bronze, intacte à cela près que les clous à tête ornée dont elle était garnie ont disparu, est sans doute aussi plus ancienne que l'édifice. Cette porte, son encadrement et son por­tique forment un ensemble intéressant à étudier. Le temple de Romulus et le grand édifice auquel il est adossé sont aujourd'hui réunis sous le nom de l'église des Saints-Cosme-et-Damien. C'est sur le pavé de la voie sacrée, près de ce temple, que la légende place la chute de Simon le magicien, et, pour cette raison, l'église porte, dans des documents du moyen âge, le nom de Sancti Cosma et Damianus in silice.

Templum sacrae Urbis . — Construit par Vespasien en 78 ap. J.-C.

L'orientation de cet édifice démontre qu'il a été construit en vue du forum de la Paix et non de la voie sacrée, qui, d'ailleurs, à cette époque, ne passait peut-être pas encore en cet endroit.

En qualité de censeurs, Vespasien et Titus firent le dénombrement des citoyens romains et fermèrent le lustre (en 74), ils ordonnèrent une nouvelle délimita­tion des biens communaux et du domaine, et, à Rome, reculèrent les limites du pomerium. En même temps, on continuait à relever les quartiers détruits par l'in­cendie de Néron. Tous les documents ayant trait au dénombrement et à ces travaux furent déposés dans cet édifice. Quand l'incendie de Commode l'eut détruit, Septime Sévère et Caracalla le reconstruisirent et, comme de nombreuses constructions avaient modifié l'aspect de Rome, ils firent faire un nouveau plan puis, après l'avoir gravé sur marbre, en recouvrirent le grand mur en briques qui termine le templum sacrae Urbis du côté du forum de la Paix. Les fragments retrouvés de ce plan ont été encastrés dans un mur de l'escalier du Musée du Capitole.

En tournant à notre gauche aussitôt après avoir dépassé le portique du temple de Romulus, nous entrons dans une petite rue qui débouchait sur la voie sacrée. Vers l'extrémité, à gauche, remarquons un magnifique fragment du mur en tuf du templum sacrae Urbis, avec les traces d'une porte, une autre porte, précédée d'un portique, ouvrait sur l'autre façade latérale. A. notre droite les restes d'un édifice un peu plus élevé que le niveau de la rue sont adossés au petit côté ouest de la basilique de Constantin. Au fond, la rue qui, sans cela, aurait été condamnée par la construction de la basilique de Constantin, passait sous un tunnel qui est aujour­d'hui fermé par une grille.

Monuments honorifiques sur le bord de la voie sacrée . Nous revenons sur la voie sacrée et continuons à la monter, dans la direction de l'église Sainte-Françoise-Romaine. A notre droite sont épars les débris d'un grand nombre de monuments honorifiques : frag­ments d'architecture, bases avec leurs inscriptions, privées des statues qui les surmontaient, petits édicules semi-circulaires ou carrés ayant abrité des sta­tues, un fragment d'un de ces édicules porte l'ins­cription Tapwtwv, souvenir d'un monument érigé par les habitants de Tarse probablement à Septime Sévère. Ce côté de la voie sacrée, jusqu'au coude qu'elle fait après avoir dépassé la basilique de Constantin, était très orné. Il y avait deux fontaines au temple de Romulus et une autre en face de la basilique de Cons­tantin. Les fragments d'inscriptions mis au jour sont si nombreux qu'on se demande comment les bases ou les édicules qui les portaient ont pu trouver place. Cette partie de la voie sacrée devait avoir un peu l'aspect d'une route bordée de tombeaux aux abords d'une ville antique.

A notre gauche, en avant de l'extrémité ouest de la basilique de Constantin, s'ouvrent les cinq arches d'un édifice ou portique de basse époque, fait avec des débris antiques, sur lequel on ne possède aucun ren­seignement.

La basilique de Constantin ou basilica nova . — Commencée par Maxence, et, après sa mort, achevée par Constantin.

Pour entrer dans la basilique nous gravissons les débris du grand escalier monumental et passons entre les colonnes de rouge antique qu'on a redressées. Si cette route nous paraît peu commode, à l'angle de la basilique, près de Sainte-Françoise-Romaine, nous pourrons entrer de plain-pied. Quand nous serons arrivés au milieu de la basilique, tournant le dos à la voie sacrée et à l'escalier, un coup d'oeil sur le plan et un autre sur les ruines nous permettront de nous rendre immédiatement compte des dispositions de l'édifice. Devant nous, subsistent encore trois chambres grandioses, voûtées en berceau, hautes de 24 m . 50, larges de 20 m . 50, profondes de 17 mètres , communiquant entre elles par des portes cintrées larges de 2 mètres . Derrière nous, trois autres cham­bres semblables, en bordure sur la voie sacrée, leur faisaient vis-à-vis, elles sont démolies. Le centre était occupé par une nef immense, rectangulaire, mesurant 80 mètres de long et 25 de large et environ 35 de hauteur. De sa voûte très surélevée au-dessus des bas-côtés, il ne reste que les amorces, les retom­bées reposaient sur des colonnes appuyées aux murs latéraux. Entre la chambre centrale et celle de gauche, une de ces retombées demeure sus­pendue sur le vide, elle a conservé la colonne qui la soutenait jusqu'en 1613, époque à laquelle Paul V la fit transporter devant l'église Sainte-Marie-Majeure, où elle supporte une statue en bronze de la Sainte-Vierge, la hauteur de cette colonne est de 14 m . 50, sa circonférence de 5 m . 40. A l'extrémité ouest, à notre gauche, le mur qui termine la basilique est d'une extraordinaire solidité, dans son épaisseur on a ménagé un escalier en spi­rale. A. l'est, à notre droite, la basilique se termine par un portique large de 7 m . 50, communiquant par trois ouvertures avec l'intérieur. Suivant Nibby, ce portique fut destiné à former l'entrée principale de la basilique et, avant l'achève­ment, on lui substitua le perron qui descend sur la voie sacrée. Ainsi s'expliqueraient les deux absides, en face de chacune des deux entrées (1).

(1). L'abside des basiliques était généralement placée en face de la principale porte d'entrée.

Des trois, chambres conservées, celle des deux extrémités sont à fond plat, elles étaient per­cées de trois grandes portes et de trois grandes fenê­tres cintrées, occupant tout le mur du fond, presque toutes sont murées aujourd'hui. La chambre centrale se termine par une abside particulièrement ornée, de 10 mètres de diamètre, des colonnes et une balustrade, dont les traces sont encore appa­rentes sur les dalles, la fermaient. Les voûtes étaient ornées de caissons octogonaux revêtus de stuc peint et doré, dont les moulures intérieures variaient la forme. L'abside de la chambre centrale n'existait pas primitivement, on voit très bien, à chacun de ses angles, les traces du mur plat que l'on a défoncé pour la construire. Elle fut sans doute ajoutée quand on fit, dans le côté latéral de l'édifice, le perron et la porte monumentale sur la voie sacrée. Tout autour de cette abside, le sol était exhaussé en trottoir étroit, surélevé de deux degrés. Un suggestus ou piédestal élevé occupait le centre. Seize niches rectangulaires, peu profondes, avec socles en marbre, destinées à recevoir des statues, sont disposées en deux rangs superposés, dans la muraille du fond. Entre les niches inférieures, des corbeaux en marbre, ornés de Victoires et de guirlandes grossièrement sculptées, supportaient des colonnes, celles-ci étaient surmontées d'une corniche sur laquelle reposaient les colonnes de l'ordre supérieur, couronné lui-même, à la nais­sance de la voûte, par une corniche monumentale. Restituons par la pensée au suggestus et aux murailles leurs revêtements de marbre, replaçons les statues dans les niches encadrées par les colonnes en marbre et par les corniches dont nous voyons à terre des fragments suffisants pour que notre restauration s oit documentée, à la voûte complétée, rendons le stuc, la peinture et les dorures de ses caissons moulés, replaçons sur leurs bases et sous les retombées de l'immense voûte en arêtes les huit colonnes corinthiennes en granit de la grande nef centrale, représentons-nous le bas-côté disparu semblable au bas-côté qui existe encore, sauf l'abside de la chambre centrale remplacée par une porte mo­numentale ouvrant sur le perron, replaçons sur le sol les dalles rectangulaires et les disques de marbre qui existaient encore il y a cinquante ans, prolongeons tout autour de la grande nef l'immense frise blanche dont nous voyons un fragment à droite, à l'angle nord-est, nous aurons ainsi une idée suffisante de l'aspect intérieur de cet immense édifice. Les procédés de l'architecture n'ont plus, il est vrai, pour les connais­seurs, la même pureté ni la même perfection qu'aux belles époques de l'art. Mais ce monument de la déca­dence n'en produit pas moins un effet grandiose et digne encore de toute la majesté de l'empire romain. Vu d'en bas, le haut fragment de corniche de l'angle nord-est de la grande nef paraît être en marbre. M. Middleton a constaté qu'il est formé par une con­sole en marbre surmontée de grandes briques recou­vertes de stuc sur lequel on a moulé les ornements que d'habitude on sculpte sur le marbre. Cette manière de simuler le marbre était souvent employée par les Romains dans les parties situées assez haut pour que l'illusion fût complète. Nous en verrons un autre exemple à la curie, aujourd'hui Saint-Adrien. La façade qui longeait la voie sacrée, avec ses colonnes de porphyre, devait être imposante, malheu­reusement les éléments nous manquent pour la reconstituer.

Le mur de l'autre côté latéral de l'édifice, dominant, à l'extérieur, tous les autres monuments de sa masse imposante, aurait été disgracieux sans ornement. On le dissimula sous deux ordres d'architecture superposés, divisés en trois compartiments correspon­dant aux trois divisions intérieures du bas-côté. Les trois portes et les trois fenêtres de chacune de ces divisions étaient encadrées dans des colonnes engagées supportant des entablements. Cette décoration existait encore au xvi e siècle, elle est représentée dans plusieurs vues de Rome, entre autres dans un tableau reproduit par G.-B. de Rossi, dans un tableau du musée de Francfort, attribué à Filippo Lippi ou à un de ses élèves et publié par M. Huelsen et dans deux vues de Rome imprimées l'une en 1490, l 'autre en 1549.

En sortant de la basilique de Constantin, nous dépassons le perron de l'église de Sainte-Françoise-Romaine et longeons les degrés du large escalier qui montait au portique du temple de Vénus et de Rome, construit par Hadrien à la place du vestibule de la maison dorée de Néron et restauré par Maxence. Sur l'un de ces degrés, à peu près à l'endroit où ils cessent , non loin de l'arc de Titus, un assez joli graffite représente un centaure tenant le pedum ou bâton recourbé, symbole des divinités champêtres, et une palme. Nous arrivons à l'arc de Titus.

L'arc de Titus , érigé à Titus après sa mort par le Sénat et le peuple romain.

Ce monument fut très maltraité au moyen âge, on lui déroba des pierres, puis il fut englobé dans les constructions du couvent de Sainte-Françoise-Romaine et dans les fortifications des Frangipani. Quand on eut détruit ces constructions, l'arc, très maltraité jadis et, de plus, privé des murs qui lui servaient de soutien, menaçait ruine. Une restauration devenait urgente, Pie VII, en 1821, en chargea l'architecte français Valadier, qui avait déjà fait ses preuves en déblayant, pendant l'occupation française, une partie du forum de Trajan et en relavant, avec Camporese, les colonnes du temple de Vespasien. La tâche était difficile, les pierres n'étaient pas, comme cela existe en général des monuments romains de cette époque, reliées entre elles par des crampons, elles se disjoignaient, la clé de voûte, elle-même glissait. Nous verrons tout à l'heure que la façade tournée vers le Colisée a pu être reconstituée beaucoup plus complète, à l'aide des fragments restés en place de l'ins­cription et de la petite frise. Valadier refit les parties de l'arc qui avaient disparu mais il les fit en travertin et sans reproduire l'ornementation, de telle sorte que, à première vue, on peut distinguer la partie antique, en marbre, de la partie refaite.

Dans cette restauration, Valadier a fait preuve d'un goût et d'une habileté au-dessus de tout éloge, et on a peine à comprendre qu'il ait été si durement critiqué. Aux artistes, à ceux qui cherchent dans les monuments la pureté et l'harmonie des lignes, il a rendu l'arc de Titus avec sa grâce sévère et son aspect d'autrefois les archéologues n'y perdent rien, car, à première vue, ils reconnaissent ce qui est antique dans le monu­ment, en outre, cette restauration faite, après de minu­tieuses études, par un homme compétent, ne peut que les intéresser. Toujours sur la face qui regarde le forum, une inscription écrite dans ce beau style lapi­daire dont les Romains ont conservé la tradition, garde le souvenir de cette restauration. L'arc de Titus était composé d'une ossature de tra­vertin recouverte de marbre pentélique. Il a, d'après les dimensions données par Reber, 15 m . Ai) de hauteur, 13m. 50 de largeur et 4 m . 75 de profon­deur.

Passons maintenant du côté qui regarde le Colisée: l'inscription, très simple, était autrefois garnie de let­tres de bronze incrustées :

SENATVS POPVLVSQVEROMANVS DIVOTITODIVIVESPASIANIF VESPASIANOAVGVSTO

Senatus populusque Romanus divo Tito, Vespasiani f(ilio),

Vespasiano Augusto.

Au-dessous de l'inscription, une petite frise repré­sente une partie de la pompe du triomphe de Titus sur les Juifs. Des soldats portent sur une litière le Jourdain personnifié par un vieillard à longue barbe, appuyé sur une urne, dans la pose traditionnelle, en avant marchent des soldats portant le butin, des per­sonnages du cortège, les animaux destinés au sacrifice conduits par des victimaires. Sur l'arc de Septime Sévère nous avons vu aussi, non dans le cortège, il est vrai, mais comme motif d'ornementation, la représentation personnifiée des fleuves qui coulent à travers les pays vaincus.

L'arche unique est encadrée entre deux colonnes cannelées à chapiteaux composites, le plus ancien exemple qu'on en connaisse. La clef de voûte présente une divinité peu reconnaissant, la déesse Rome, croit-on, du côté du Colisée, de l'autre, le génie du peuple romain (?). A droite et à gauche de la clef de voûte, les tympans sont ornés de Victoires ailées re­poussant la terre du pied pour s'élever dans les airs et portant des attributs variés : étendards, trophées, palmes et couronnes.

L'arche a 8 m . 30 de hauteur et 5 m . 36 de largeur. En y pénétrant nous voyons, à notre gauche, un beau et intéressant bas-relief représentant la suite du cor­tège triomphal de Titus, entrant sous une porte, peut-être la porta triumphalis à l'entrée du Champ de Mars, peut-être aussi sous un arc de triomphe : celui de Fabius, d'Auguste ou de Tibère. Les victimes et le Jourdain que nous avons vus sur la frise extérieure sont déjà passés, nous assistons au défilé d'une partie des dépouilles du temple de Jérusalem : des tituli ou écriteaux fixés à des hampes donnent des noms de villes prises ou l'indication des objets portés par les soldats, il est à remarquer que les personnages qui tiennent les hampes des tituli ont, sous leur couronne de laurier, une chevelure flottante et semblent être des femmes, personnifiant peut-être les villes dont elles portent les noms. La table des pains de propo­sition, les trompettes d'argent du temple de Jérusalem, le chandelier à sept branches sont portés sur I des civières.

Le bas-relief qui fait vis-à-vis nous montre la fin du cortège : l'empereur Titus se tient debout dans un quadrige escorté de licteurs et de personnages couronnés de laurier, la déesse Rome dirige les chevaux, debout derrière l'empereur, une Victoire ailée pose une couronne sur sa tête, en tête du groupe qui environne le char, marche un personnage nu, probablement une divinité.

Au sommet de la voûte un bas-relief représente l'apothéose de Titus enlevé au ciel sur un aigle. Par­tout ailleurs la voûte est garnie de caissons rectangu­laires bordés de rubans et d'oves et ornés d'un fleuron central. A l'intérieur, les quatre montants de l'arc ainsi que la bordure de la voûte sont garnis de rin­ceaux de feuillage vigoureusement enlevés.

Le triomphe de Titus fut un des plus beaux, ce fut aussi, à cause des dépouilles du temple de Jérusalem, un de ceux qui piqua le plus la curiosité du peuple romain. Outre les trompettes, la table de proposition et le chan­delier d 'or représentés sur le bas-relief, les tables de la loi et le voile du sanctuaire y figurèrent. On vit aussi une quantité innombrable d'objets d 'or, d'argent et d'ivoire d 'un travail exquis, les plus riches étoffes, les plus capricieuses broderies de l'Orient, des couronnes d'or, des pièces d'orfèvrerie ornées des plus éblouissantes pierreries, les statues des divinités de diverses nations, si belles que l'art remportait encore sur la richesse de la matière, des ani­maux rares et même encore inconnus à Rome, des chars rehaussés d'or et d'ivoire et portant d'immenses tableaux où étaient figurés les principaux épisodes de la guerre : les batailles, les massacres, la prise des villes et des forteresses, toutes les horreurs du siège et du sac de Jérusalem. Enfin, derrière des Victoires en or et en ivoire, les deux chars de Vespasien et de Titus escortés du jeune Domitien montant un cheval dont la beauté attirait tous les regards.

A côté de l'arc de Titus, au pied du Palatin, nous avons déjà remarqué sans doute plusieurs assises de belles pierres en grand appareil, ayant certainement appartenu à un bel et ancien édifice. C'était peut-être le temple des dieux Pénates, qui s'élevait de ce côté, ou le temple de Jupiter Stator, dont l'emplacement était à l'entrée du Palatin.

La voie sacrée . — L'arc de Titus était à cheval sur le point culminant de la voie sacrée qui, à cet endroit, s'appelait summa sacra via. Venant des environs du sacellum Streniae, qui était situé près du Colisée, à un endroit indéterminé, la voie sacrée gra­vissait la pente en haut de laquelle nous sommes arrêtés. De l'arc de Titus, posé sur le sommet de la Velia, elle descendait l'autre pente, vers le forum qu'elle longeait, pour monter ensuite, confondue avec le clivus Capitolinus , jusqu'au temple de Jupiter. Le trajet qu'elle suivait entre l'arc de Titus et le temple de Saturne, a été très discuté, sans qu'on ait pu l'établir d'une manière complètement décisive. Voilà ce qui paraît le plus probable : de la summa sacra via, le cortège de Titus, que nous venons de voir défiler, obliquant un peu à droite, descendit directement jusqu'à l'arc de Fabius, après l'avoir épassé ainsi que la regia, il passa entre ce dernier édifice et le temple de César pour entrer sur le forum par l'arc d'Auguste, et se dirigea en ligne droite vers le temple de Saturne. La foule l'acclamait, massée sur les temples de César et de Castor, dans le vicus Tuscus , sur la place du forum, où l'on avait sans doute élevé des estrades, à tous les étages de la basilique Julia. Le cortège, après avoir longé ce dernier édifice, passa sous l'arc de Tibère , contourna la façade du temple de Saturne, pour s'engager dans le clivus Capitolinus . C'est à ce moment que le principal chef des vaincus, Simon, fils de Gioras, fut emmené hors du cortège pour être exécuté. La richesse du costume dont on l'avait revêtu pour le triomphe contrastait avec sa triste condition, en effet, on le traîna, la corde au cou et en le frappant de verges, jus­qu'à la prison où il fut étranglé. Au Capitole, on ne commença pas les sacrifices d'actions de grâces avant que, au milieu des cris de joie de la foule, l'heureuse nouvelle de la mort de Simon eût été annoncée.

Il est certain que, à une époque postérieure, le trajet de la voie sacrée fut modifié sur la pente de la Velia qui regarde le forum, entre l'arc de Titus et l'arc de Fabius . Au sortir de l'arc de Titus, au lieu de gagner obliquement l'arc de Fabius , elle tourna immédiatement à droite, longeant le portique du temple de Vénus et de Rome, puis, tournant à gauche, elle passa au pied de la basilique de Constantin et du temple de Romulus, sous l'arc de Fabius et devant le temple d'Antonin et de Faustine . Nous avons déjà remarqué que les monuments honorifiques qui la bordaient de ce côté ne sont pas antérieurs à Septime Sévère. Il est possible que la largeur extraordinaire qu'elle a dans cette partie de son parcours remonte seulement à Maxence qui, comme on le sait, construisit le temple de Romulus et la basilique de Constantin et restaura le temple de Vénus et de Rome.

CHAPITRE VIII

LA VIA NOVA. — LES MONUMENTS SITUÉS AU PIED DU CAPITOLE

La via nova . — En sortant de l'arc de Titus, nous tournons à gauche et, presque immédiatement, nous prenons, à notre droite, la via nova, nous la reconnaîtrons d'ailleurs au premier coup d'oeil, grâce aux arcades en briques sous lesquelles elle passe un peu plus loin. A l'endroit où nous y entrons, la via nova rejoint la voie sacrée devant l'are de Titus, à notre gauche une rue antique qui s'embranche sur elle, montait au Palatin. Sur le prolongement du forum, à notre droite, des restes de constructions dont le travertin a été presque partout enlevé, appartenaient, suivant M. Lanciani, au porticus margaritaria. Au pied du Palatin, s'ouvrent des boutiques, nous laissons à gauche l'escalier qui monte au Casino des Farnèse, puis nous nous engageons sous les arcs qui servaient de contrefort à la fois aux substructions du palais de Caligula et à la maison des Vestales. Les boutiques qui bordent la voie à cet endroit sont très bien con­servées, les constructions étagées au-dessus ne sont pas le palais même du Palatin,  elles n'avaient d'autre but que de prolonger la montagne dans la direction du forum, on formait ainsi, au niveau de la partie plus haute, un sol factice, sur lequel on pouvait con­tinuer à bâtir. Le même procédé a été employé à l'extrémité opposée du Palatin, du côté qui regarde la voie Appienne.

Jetons encore un coup d'œil sur la maison des Ves­tales que nous dominons, nous venons de passer au niveau d'un palier de l'escalier de son premier étage. On voit bien d'ici comment la maison des prêtresses de Vesta est blottie, en contre-bas, dans un empla­cement qu'on lui a taillé dans le flanc du Palatin. En approchant du mur de Sainte-Marie-Libératrice qui barre la via nova, au fond d'une boutique, à gauche, subsiste un fragment de mur en opus reticulatum (petit appareil en losange) plus ancien que les murs en bri­ques qui l'entourent. Un peu plus loin, tout à fait contre l'église, un large escalier descendait de la porte Romana, sur le Palatin, à la via nova, il est aujourd'hui fermé par un mur et les marches ont disparu, mais la place qu'il occupait est très reconnaissable. A cet escalier en faisait suite un autre qui descendait de la via nova au forum, près du temple de Vesta, nous en chercherions vainement la place non encore déblayée, mais il est marqué sur un fragment du plan de Rome à côté du temple de Castor. Ovide raconte que revenant d'assister aux fêtes appe­lées Vestalia, il vit une matrone descen­dant pieds nus cet escalier pour aller faire ses dévo­tions au temple de Vesta. A ce même endroit, sur les pentes du Palatin et au-dessus de la via nova, était un bois sacré appelé lucus Vestae. C'est de ce bois que s'éleva cette voix surhumaine qui, à l'approche des Gaulois, annonça aux Romains le désastre qui les menaçait. Le bois disparut de bonne heure, dès le temps de la République, mais sur remplacement sub­sista un autel érigé au dieu qui avait donné aux, Romains cet avis qu'ils ne comprirent pas. Ce dieu de nom inconnu fut appelé Aius loquens ou locutius : La voix qui a parlé.

Le pavé de la via nova se perd, devant nous, sous le mur de Sainte-Marie-Libératrice. Au delà elle rejoi­gnait le Vélabre, mais comment? Ici, nous sommes sur le sol antique dont nous foulons le pavé, à quelques pas plus loin, là où doit aboutir la via nova si elle con­tinue en ligne droite, c'est-à-dire derrière le temple de Castor, la différence de niveau est énorme et subite. La via nova se terminait-elle par un escalier? Contour­nait-elle au contraire le Palatin, à gauche de l'abside de Sainte-Marie-Libératrice, pour descendre douce­ment au Vélabre avec les dernières pentes de la colline? L'église Sainte-Marie-Libératrice cache, sous ses fondations, la solution de ce problème et de plu­sieurs autres.

Abandonnant forcément la via nova, nous contour­nons la façade de Sainte-Marie-Libératrice et passons devant le petit escalier par lequel nous sommes des­cendus sur le forum. Après avoir laissé à gauche la rue actuelle San Theodoro qui recouvre le vicus Tuscus , nous longeons la basilique Julia et pas­sons au-dessus du vicus Jugarius, enfin, après que nous avons contourné le temple de Saturne que son podium élevé porte au niveau de la rue moderne, un brusque détour, à droite, nous met de nouveau sur le sol antique, sur le clivus Capitolinus qui gravit la pente du Capitole. Contre la muraille moderne de l'escalier auquel il vient se heurter, on peut voir quelques pavés antiques et un fragment de la bordure de son trottoir. Nous sommes en face du portique des dii Consentes.

Le portique des dii Consentes . - Vettius Agorius Praetextatus, préfet de Rome vers le milieu de la seconde moitié du iv e siècle, rétablit en 367 ce por­tique dans son ancien état, comme l'indique l'inscrip­tion que nous avons sous les yeux :

Deorum Consentium sacrosantia simulacra, cum omni lo[ci totius adornatio]ne, cultu in f[ormam antiquam restituto) \ Vettius Praetextatus, v(ir) c(larissimus), pra[efecius U\rbi, reposuit, \ curante Longeio... [viiro) c(larissimo), c]onsulari.

Ce Praetextatus ne nous est pas inconnu, tout à l'heure, nous avons vu sa statue dans la maison des Vestales, il les protégeait parce que, représentant un culte antique et très populaire, elles étaient une des dernières forces du paganisme qui se mourait. Pour cette même raison, il avait rétabli dans ce portique les dii Consentes qui, dès une haute antiquité, étaient vénérés sur le forum. Les dii Consentes n'étaient autres que les grands dieux, six dieux : Jupiter, Apollon, Mars, Neptune, Vulcain, Mercure, et six déesses : Junon, Minerve, Vénus, Cérès, Diane, Vesta. II est probable que chacune des six chambres du portique contenait deux bases, portant chacune une de ces divinités. Retrouvé en 1834, le portique fut, en 1858, restauré par ordre de Pie IX, comme l'indique l'inscription gravée sur la dernière des six chambres. Il est encombré de débris de provenances indéterminées, son dallage est, dans certaines parties, bien conservé. Au-dessous du portique, sept chambres en blocage revêtu de briques ouvrent sur le podium du temple de Vespasien qui les aveugle. Les seuils de marbre, le pavé en mosaïque, les murs recouverts de stuc peint indiquent une construction soignée. Une opinion, à peu près abandonnée aujourd'hui, en faisait le cercle d'employés connu sous le nom de schola Xanthi.

Le temple de Vespasien - Construit par Domitien.

Nous ne sommes plus au niveau du clivus Capitolinus, la route moderne que nous suivons, recouvre son pavé, il descendait, par une pente assez raide, jusqu'à l'aréa du temple de Saturne où la voie sacrée venait se réunir à lui. Les restes du temple de Vespasien, devant les­quels nous nous arrêtons, appartiennent à une recons­truction de Septime Sévère et Caracalla. Le fait était attesté par une inscription dont une partie du der­nier mot subsiste seul, au-dessus des deux colonnes de face :

Divo Vespasiano Augusto s(enatus) p(opulus)q(ue) R(omanus), imp(eratores) Caes(ares) Severus et Antoninus, pii, felic(es), Aug(usti), rESTITVER(unt ).

Hâtons-nous de dire que l'inscription n'a pas été reconstituée à l'aide des quelques lettres conservées, un voyageur anonyme l'a copiée alors que le temple était encore debout et sa copie, avec celle de beau­coup d'autres inscriptions de Rome, est parvenue jus­qu'à nous dans un manuscrit connu sous le nom de manuscrit d'Einsiedeln . Le temple de Vespasien était corinthien et prostyle, la cella, qui occupait toute la largeur du temple, était revêtue de marbres et entourée de colonnes posées sur un mur en tuf, coupé, de distance en distance, par les piles de travertin qui supportaient les colonnes. Une très large base, appuyée sur un mur épais en briques, autrefois recouvert de marbre, occupait le fond. Sur la façade, s'élevait un portique auquel on montait par un large escalier occupant toute la largeur de l'édifice et se continuant entre les six colonnes. Deux de ces colonnes et une du portique sont encore en place, redressées par Valadier et Camporese. A droite et à gauche du podium sur lequel est con­struit l'édifice, subsistent des fragments de la moulure en marbre, remontant probablement à la construction de Domitien. Remarquons que, en construisant cet édifice, on a aveuglé une porte du tabularium à laquelle aboutissait un escalier . Le temple de Vespasien était construit avec une grande magnificence, on conserve au tabularium des débris de sculpture d'une grande beauté qui en pro­viennent.

Le sacellum de Faustine . — En 1829, on décou­vrit, entre les podium des temples de Vespasien et de la Concorde, un petit édicule dont le mur de fond a laissé sa trace, très visible aujourd'hui encore, sur les pierres de taille du tabularium . Autant qu'on en peut juger, sa profondeur était de 4 mètres , quant à sa largeur, elle n'excédait pas 2 mètres et demi. On voit contre le podium du temple de la Concorde un reste de son mur latéral en briques. La découverte, en cet endroit, d'un autel dédié à Faustine par un employé du Trésor de Saturne, a fait donner à ce petit édicule le nom de chapelle de Faustine. C'est tout ce qu'on en sait.

Le temple de la Concorde . — Voué par Camille en 387 (= 367 av. J.-C), au moment du vote des lois liciniennes qui rétablirent la concorde entre les patri­ciens et les plébéiens, reconstruit trois cents ans plus tard, puis au temps d'Auguste, par Tibère avec dédicace à la Concordia Augusta. Nous avons vu, en cherchant l'emplacement de la chapelle de Faustine, un magnifique fragment du mur en tuf qui recouvrait le podium du temple de la Con­corde, sur ce tuf, les trous de scellement du revête­ment en marbre sont encore visibles, la corniche inférieure a été rasée au niveau du mur. Comme celui du temple de Castor qui fut reconstruit à la même date, ce podium était formé d'un noyau de blo­cage enserré dans un mur en tuf recouvert de marbre. Au centre on avait creusé une chambre pour le Trésor, dont l'ouverture est complètement dégagée.

Le temple de la Concorde était plus ancien que le tabularium, aussi le mur de façade de ce dernier édifice avait été construit en partie contre le mur de fond du temple. On peut juger des dimensions du premier temple par ce fait que la partie du mur du tabularium qu'il recouvrait a conservé les rugosités de la pierre qu'il a été impossible de polir. Ainsi on constate que le temple le plus ancien ne dépassait pas la pre­mière petite fenêtre rectangulaire ouverte dans le mut du rez-de-chaussée du tabularium. Le temple de la Concorde était exastyle, prostyle et corinthien. Pour bien voir le peu qui en reste, nous monterons jusqu'à une hauteur suffisante, l'escalier du Capitol, qui est à notre droite et qui couvre encore l'extré­mité nord du temple. De là nous dominerons hier toute sa surface. Sa cella avait, proportions tout à fait inusitées, 23 mètres de profondeur sur 42 de largeur. On y entrait en franchissant un beau seuil en marbre d'Afrique, encore en place, qui a conservé, dans la partie qui est de notre côté, les trous des gonds de la porte, et, au-dessous mais un peu plus loin, l'em­preinte en creux d'un caducée en bronze qui y était incrusté. Comme au temple de Vespasien, tout le tour de la cella était garni de colonnes soutenues par un petit mur en tuf avec bases en travertin là où posaient les colonnes. Il y avait deux bases de statues dont il subsiste des restes , l' une à notre droite, sur le mur de fond appuyé au tabularium, l'autre en face de nous, presque à l'angle de droite du petit côté. Un vaste portique ou pronaos, large de 24 mètres et profond de 12, s'étendait devant la cella, on y mon­tait par un escalier monumental en avant duquel une vaste aréa s'étendait jusqu'au mur en demi-cercle auquel sont appuyés les rostres. Parmi les débris du temple de la Concorde, on a trouvé des inscriptions votives à la déesse Concorde qui ont permis de restituer à l'édifice son véritable nom et des débris d'architecture témoignant de la magnificence de l'édifice. Un superbe morceau de frise a été transporté au tabularium . Ce temple, dont il ne reste plus guère aujourd'hui que le sol, était presque entier au XII ème siècle. Le temple de la Concorde était un véritable musée, un grand nombre de statues, œuvres des artistes grecs les plus renommés, étaient disposées entre les colonnes qui entouraient la cella. Entre autres reliques curieuses, on prétendait y conserver l'anneau que Polycarpe, tyran de Samos, jeta dans la mer pour désarmer la fortune, et retrouva dans le corps d'un poisson. Grâce à son emplacement qui dominait le forum et à son podium élevé, le temple de la Concorde eut, comme celui de Castor, une importance dans les luttes politiques de Rome. Il fut témoin de scènes violentes, le Sénat y tint souvent des séances dont les débats orageux attiraient la foule qui venait manifester sur les degrés. C'est à l'une de ces séances que Cicéron prononça sa Quatrième Catilinaire (1). Malgré le discours artificieux de César, vigoureuse­ment réfuté par Caton, l'orateur obtint la condamnation à mort des complices de Catilina. « Pendant ce temps, c'est Cicéron qui parle, autour du temple de la Concorde, étaient réunis les Romains de tous les ordres et de tous les âges, le forum en était rempli, tous les temples qui entouraient le forum, toutes les avenues qui conduisaient au temple de la Concorde ne pouvaient contenir la foule.» Cicéron présida lui-même, dans la prison, à l'exécution des condamnés. Puis, étant revenu sur le forum, il vit, mêlés à la foule, des amis et des parents des conjurés, qui, ignorant la sentence ren­due, attendaient anxieux et espéraient encore : Cicéron pro­nonça ce seul mot : vixerunt (ils ont vécu). Quand, la nuit venue, Cicéron quitta le forum pour retourner chez lui, presque tout le Sénat lui fit escorte, la foule l'entourait, l'acclamait, l'appelant le sauveur, le second fondateur de la patrie, tout ce que Rome avait de citoyens grands et illustres marchait derrière lui. A mesure qu'il avançait, les maisons illuminaient jusque sur les toits.

(1) La première : Quousque tandem..., etc., avait été prononcée au temple de Jupiter Stator (près de l'arc de Titus): la seconde et la troisième aux rostres anciens.

CHAPITRE IX

LA PRISON — LE CÔTÉ NORD DU FORUM

Aussitôt après avoir dépassé l'escalier sur lequel nous sommes montés pour dominer le temple de la Concorde, nous rencontrons, à notre gauche, le perron des deux églises superposées, S. Giuseppe de' Falegnami et San Pietro in carcere. C'est la prison connue sous le nom relativement moderne de prison Mamertine.

La prison . — Construite sous les rois, attribuée à Ancus Marcius.

La façade qui donne dans la rue moderne di Marforio, l'ancien clivus Argentarius, a conservé une partie de son beau mur en tuf, très bien appareillé et appar­tenant à une restauration faite pendant le règne de Tibère, comme en témoigne inscription encore en place:

G[aius) Vibius, G(aii) f(ilius), Rufinus, M(arcus) Cocceiu[Nerva ] , co(n)s(ules) ex s(enatus) c(onsulto).

Ce sont les noms des consuls de l'an 22,ap. J.-C. De l'église, un escalier moderne nous conduit à l 'étage supérieur de la prison, dans une chambre en forme de trapèze dont les côtés longs ont 5 mètres et les plus courts de 3 à 4 mètres . La voûte, en forme d'anse de panier, commence au sol, qui en partie repose sur le roc, en partie est forme par la voûte de la chambre inférieure. Le point le plus élevé de la voûte est à une hauteur de 5 mètres . La chambre inférieure est entièrement creusée dans le roc, c'est la partie de la prison appelée par les auteurs anciens Tullianum. Elle n'avait autrefois d'autre moyen de communication avec la chambre supérieure que le trou rond, de 70 centimètres de dia­mètre, existant encore aujourd'hui dans la voûte. Nous descendons par un escalier moderne dans une seconde chambre qui a l'apparence d'un cône tronqué, dont le sommet est remplacé par une voûte plate. Dans tout le pourtour, le roc est revêtu d'un mur en tuf bien appareillé, sauf sur le côté qui regarde le forum où le roc est à nu. Juste à cet endroit, une porte en fer ouvre sur un égout haut de près de 2 mètres , allant vers l'est dans la direction de la cloaca maxima , et coupé, presque à sa naissance, par un autre égout allant du nord au sud, si l'on avance dans ces égouts antiques on est bientôt arrêté par des éboulis. Dans la prison, près du mur opposé à la porte de l'égout, un puits fournit toujours une eau fraîche et limpide. Cette partie inférieure, avant d'être employée comme prison, fut autrefois une citerne que l'on a desséchée en creusant les égouts. La visite de cette prison justifie bien ce qu'en disent les historiens : «Elle est, dit Salluste, plongée dans des ténèbres affreuses, l'odeur y est fétide, tout son aspect est épouvantable». On y précipitait les condamnés à mort par le trou ménagé dans la voûte, soit après les avoir étranglés, soit pour les laisser mourir de faim. Le consul Opimius y fit périr les complices des Gracques, et, parmi eux, un jeune homme de dix-huit ans, d'une grande beauté, qui n'avait commis d'autre crime que d'être fils de Fulvius Flaccus, l'un des conjurés. Comme il pleurait pendant qu'on le conduisait au supplice : «que ne fais-tu comme moi? » lui dit un de ses amis, compagnon d'infortune, et se précipitant contre la porte de la prison, il s'y fracassa la tête avec tant de violence que la cervelle jaillit. Cicéron y fit étrangler les complices de Catilina.

Les jours de triomphe, le cortège s 'arrêtait à peu près à la hauteur du temple de Saturne. Les chefs vaincus étaient, à ce moment, entraînés par les licteurs et conduits à la prison pour y être mis à mort, à moins que le vainqueur ne leur fit grâce. Jugurtha périt ainsi au triomphe de Marius : pressés d'avoir sa dépouille, les licteurs déchirèrent sa robe et lui arrachèrent, avec les anneaux d'or qu'il y portait, l'extrémité des oreilles. Quand ils le jetèrent nu dans le souterrain froid et humide : « Par Hercule! dit Jugurtha, que vos étuves sont froides! » On ne l'étrangla pas, et, pendant six jours, entre ces murs où nous pensons à son supplice, il lutta contre la faim. Au jour de leur triomphe, Domitius Ahenobardus et Q. Fabius Maximus firent grâce de la vie à Bituitus, le roi vaincu des Arvernes, Paul-Émile aussi épargna Persée qui s'était livré lui-même, César fut moins généreux pour Vercingétorix, le héros gaulois, autrefois son ami, qui avait fait appel à sa générosité, et le laissa étrangler dans la prison.

La prison ne se composait pas uniquement des deux cachots que nous venons de décrire, cela du reste est évident, cette chambre unique n'aurait pu suffire, il y avait toute une série d'autres cellules dont on a retrouvé des restes. Le souvenir de la captivité de saint Pierre est attaché à cet antique et sombre monument.

Scalae Gemoniae. — Près de la prison étaient des escaliers où l'on jetait, pour l'amusement de la populace et avant de les tirer au Tibre, les cadavres des suppliciés. On les appelait scalae gemoniae et aussi gradus gemitorii, nom aussi lugubre et non moins mérité que celui de pont des soupirs. Par ordre de Tibère, Titius Sabinus, coupable d'avoir été, l'ami de Germanicus et de s'être trop fié à un faux ami, fut mis à mort avec ses esclaves en 781 (= 28 ap. J.-C.) et leurs corps exposés aux gémonies. Le chien d'un des esclaves, que l'on n'avait pu écarter de la prison tant que son maître y était enfermé, suivit le cadavre sur les degrés,on lui jeta des aliments, l les porta à la bouche du mort. Quand on précipita le corps dans le Tibre, il ne l'abandonna pas, mais, se jetant à l'u et nageant près de lui, il cherchait a l'empêcher de s'enfoncer. Le Sénat, réuni dans le temple de la Concorde, jugeait Séjan et déjà le peuple, avant que la sentence fût rendue, faisait rouler ses statues sur les escaliers des gémonies. Passant par là pendant qu'on le conduisait à la prison, l'an­cien favori de Tibère vit la foule s'exercer sur ses statues aux insultes que tout à l'heure elle prodiguerait à son corps. Pendant trois jours, en effet, avant qu'on le traînât au Tibre, son cadavre, sur les sinistres degrés, servit de jouet à la populace, n y jeta aussi ses fils, sa fille, une enfant qui, avant sa mort, fut livrée au bourreau parce qu'une vierge ne devait pas mourir d'une mort infâme,la femme de Séjan, après avoir vu ainsi exposés le cadavre de son mari et ceux de tous ses enfants, échappa, par une mort volon­taire, à un sort semblable. L'empereur Vitellius, à la nouvelle de l'approche des troupes de Vespasien, avait pris sur lui, au Palatin, une bourse pleine d'or et, se réfugiant dans une loge de portier, s'y était barricadé avec un lit et un matelas après avoir attaché le chien devant la porte. Tiré de cette honteuse cachette par des soldats du parti ennemi, il est reconnu. Aussitôt, les mains liées derrière le dos, une corde au cou, il est traîné au milieu du forum. On lui met sous le men­ton la pointe d'un poignard pour l'empêcher de baisser la tête, on le contraint à regarder ses statues renversées, on lui jette de la boue et des ordures, on l'appelle incendiaire, gourmand, ivrogne, on raille sa face rougeaude, sa taille démesurée, son gros ventre, sa jambe de travers, enfin sur les escaliers des gémonies, on le déchire à petits coups, puis, quand il est achevé, quand son cadavre a été suffi­samment outragé, avec un croc on le tire au Tibre.

La curie . — Attribuée à Tulius Hostilius sous le nom de curia Hostilia, reconstruite par Sylla, puis, au nom de César mort, par le Sénat, sous le nom de curia Julia, par Domitien et enfin par Dioclétien.

En face de la prison, nous trouvons l'église Santa Martina et plus loin, à droite, formant l'autre coin de la rue Bonella, l'église San Adriano . Les deux églises et la partie de la rue qui est entre elles occupent l'emplacement d'un groupe d'édi­fices qui constituaient la curie ou palais du sénat, c'est-à-dire la salle des séances et ses dépendances. L'église Sainte-Martine s'élève en partie sur l'emplacement du secretarium senatus, une inscription trouvée en place nous apprend que l'édifice fut res­tauré sous les empereurs Honorius et Théodose, on ignore l'époque de sa première construction. C'était une salle terminée en abside, longue de 18 m . 17 et large de 8 m . 92, le mur était en travertin. Au secreta­rium faisait suite, jusqu'à l'église San Adriano , un portique dans lequel on a ouvert la rue Bonella.

Quant à l'église San Adriano, c'était la salle des séances. Ses murs sont encore ceux qu'éleva Dio­clétien quand, après l'incendie de Carinus, il recons­truisit le sénat, ils sont en briques autrefois revêtues de stuc sur lequel on avait imité les joints de la pierre ou du marbre, il en subsiste quelques traces au-dessous du fronton, elles étaient plus considérables au temps où Du Pérac dessina le monument. La corniche du fronton triangulaire est aussi en briques revêtues de stuc, mais elle repose sur des consoles ou corbeaux en marbre. Chaque angle est flanqué, à l'extérieur, d'un massif ayant sans doute servi de contrefort à la voûte qui était, nous dit une inscription, resplendissante de l'éclat de l'or. Dans l'épaisseur du contrefort qui forme l'angle à l'entrée de la via Bonella, existe un escalier. L'intérieur forme une salle longue de 25 mètres environ et large de près de 18 mètres . Tout le mobilier, les tables, les bancs, le bureau, était en bois. Au temps de Du Pérac, c'est-à-dire au XVI ème siècle, on descendait dans l'église par un escalier extérieur que l'exhaussement du sol avait rendu nécessaire . Depuis, on a recouvert cet escalier et remonté la porte au niveau actuel. Jusqu'au milieu du XVII° siècle, la curie con­serva sa belle porte antique en bronze, certainement antérieure à l'époque de la reconstruction de Dioclé­tien, c'est elle qui est représentée sur le dessin de Du Pérac. Alexandre VII la fit enlever pour la transporter à Saint-Jean-de-Latran, elle ferme aujourd'hui la grande nef de cette basilique. Les trois édifices réunis dont se composait le sénat formaient un ensemble d'une profondeur de 27 m . 50 avec, sur le Comitium , une façade de 51 mètres environ, ils étaient adossés au grand mur en tuf et en travertin qui, de ce côté, bornait le forum de César. Au temps de la République, pendant que les sénateurs délibéraient à la curie, les tribuns du peuple siégeaient sur le comitium devant la salle des séances où ils n'avaient pas le droit de pénétrer, et de là surveillaient les actes du Sénat. Souvent ils montaient à la tribune située alors devant le Sénat, sur les confins du comitium et du forum, pour dévoiler au peuple les pro­jets des patriciens. Le peuple surexcité envahissait le comi­tium , se pressait devant la curie, cherchant par ses cla­meurs à intimider les Sénateurs. Plus d'une fois aussi les jeunes sénateurs irrités sortirent de la salle des séances, dispersant les tribuns, chargeant les plébéiens dont plus d'un s'enfuit la face meurtrie et les vêtements en lambeaux. Au plus fort de ces luttes, en l'an 293 (= 461 av. J.-C), un jeune sénateur, Kaeso Quinctius, orateur éloquent et très écoulé, valeureux soldat, taillé en Hercule, s'était acquis dans ce genre de pugilat une réputation méritée. On disait même que son coup de poing avait été mortel. Il fut obligé de s'exiler et faillit être condamné à mort. En temps de guerre, quand commençait à se répandre le bruit d'une bataille, la foule accourait aux nouvelles devant la curie. C'est là qu'avec des manifestations et des senti­ments divers, elle apprit les défaites de Trasimène et de Cannes et aussi la victoire sur Hasdrubal. Dans la curie de Dioclétien, le monument même qui subsiste aujourd'hui, se livra la dernière lutte entre le christianisme et le paganisme autour de la statue en or de la Victoire qui, depuis Auguste, présidait aux séances du Sénat. Après Saint-Adrien, nous laissons à gauche la rue Cavour : là était l' Argiletum, une des plus antiques rues de Rome, qui montait vers le quartier populeux de Subure et débouchait sur le forum entre la curie et la basilique Aemilia, cet endroit fut complète­ment modifié par la construction du forum de Nerva . Là était aussi le temple de Janus. Sous les mai­sons qui font suite, dorment les restes de la basilique Aemilia . Un peu en avant, sous le terrain que nous foulons, étaient, au temps de la République, une série de boutiques appelées tabemae novae. C'est parmi ces boutiques que se trouvait l'étal du boucher où Virginius prit un couteau pour tuer sa fille, il n'avait pas d'autre moyen de la soustraire à Appius Claudius, qui, mettant son autorité de magistrat au service de ses passions criminelles, venait de l'adjuger comme esclave à l'un de ses complices. On sait dans quel trouble et dans quelle agitation ce procès et son fatal dénouement jetèrent la foule qui se pressait sur le forum, et comment s'en suivit la chute des décemvirs, que perdit un crime analogue à celui par lequel avaient péri les Tarquins.

Avançons encore un peu jusqu'au pied du mur latéral du temple d'Antonin et de Faustine pour admirer de plus près son bel appareil et sa frise. En retournant sur nos pas pour prendre la rue Cavour, il faut nous arrêter un instant près de la balustrade qui borne le forum à la limite des fouilles, et y jeter un dernier coup d'oeil. D'ici il est encore tout entier à nos pieds et se présente sous un autre aspect. Nous sommes du côté opposé à celui par où nous sommes entrés, au-dessus du temple de César et en face du temple de Castor. Si, pendant notre séjour, nous devons venir encore au forum, disons-nous qu'on ne l'a jamais trop vu, que chaque visite nouvelle amène la découverte de quelque détail jusque-là inaperçu, si nous sommes au contraire à la veille du départ, qui sait quand nous le reverrons?

CHAPITRE X

LES FORUMS IMPERIAUX

Le forum de la Paix . — Revenant à la rue Cavour, nous la suivons jusqu'à l'endroit où elle est coupée par la rue Alessandrina. Nous sommes sur l'emplacement du forum de la Paix dont le temple s'élevait au milieu d'une vaste aréa rectangu­laire entourée d'un portique. Construit avec une magni­ficence extraordinaire par Vespasien et Titus après le triomphe sur les Juifs, le temple de la Paix fut dédié en l'an 828 (= 75 ap. J.-C). Son nom lui vint de ce que les deux empereurs, en même temps qu'ils décré­tèrent sa construction, fermèrent le temple de Janus, Il fut enrichi des dépouilles du temple de Jérusalem, à l'exception des tables de la loi et du voile du saint des saints qui furent transportés au Palatin. La plu­part des œuvres d'art que Néron avait entassées dans sa maison dorée contribuèrent à l'embellir. On y éta­blit une bibliothèque. Une grande partie de ces richesses périrent dans l'incendie de Commode dont Septime Sévère répara les dommages. Aucun débris du forum et du temple de la Paix n'est visible, sauf le mur de fond du templum sacrae Urbis sur lequel était fixé le grand plan de Rome dressé par ordre de Septime Sévère.

Le forum de Nerva . - Commencé par Domitien, achevé par Nerva.

Nous prenons la rue Alessandrina à notre gauche, et la suivons jusqu'à ce que nous rencontrions, à notre droite, dans la rue della croce bianca, les restes du forum de Nerva connus sous le nom de les Colonacce .

Ces débris appartenaient au portique qui entourait l'aréa du forum de Nerva. Une seule rangée de colonnes corinthiennes, cannelées, à chacune desquelles correspondait un pilastre engagé dans le mur, soutenait des avant-corps qui supportaient des piédestaux destinés à des statues. Au-dessus de la colonne, et sous la cor­niche richement ornée, courait une frise présentant des sculptures d'un bon travail. L'enfoncement ménagé dans chaque entre-colonnement était dominé par un bas-relief placé entre les deux piédestaux. Celui que nous avons sous les yeux représente Minerve casquée. Sur la frise qui règne au-dessous sont figurés des sujets relatifs au mythe de Minerve : la déesse et Arachnée, Minerve Ergané présidant à des travaux féminins, enfin, tout à fait à droite, comme l'a démontré M. Petersen, Minerve Musica, au milieu des neuf Muses, dans un paysage qui doit être l'Hélicon.

Il n'est pas étonnant que ces bas-reliefs aient trait à Minerve : le temple avait été consacré à cette déesse à qui Domitien avait voué une dévotion particulière. Pour cette raison, le forum portait aussi le nom de forum palladium, on l'appelait encore forum transitorium ou pervium, parce qu'il servait de passage pour aller du forum romain à la partie supérieure de l' Argi­ letum et au quartier de Subure, et aussi parce qu'il mettait en communication les forums de César et d'Auguste avec celui de la Paix.

Le temple, dont les restes n'ont été démolis qu'au commencement du XVII°.siècle, était, comme le montre le dessin de Du Pérac, appuyé au centre du petit côté nord du forum, c'est-à-dire au côté qui est à notre gauche quand nous regardons les colonacce, de ce même côté, une large porte donnait accès dans le forum. Par le dessin, qui nous offre les beaux restes du temple encore debout au xvi° siècle, on voit que les colonacce formaient la partie extrême du portique, à droite du temple. Le temple lui-même, exastyle et prostyle, faisait saillie sur le forum de Nerva, la rue Alessandrina, aussitôt après avoir dépassé la rue della croce bianca, passe sur son escalier, et la maison qui fait l'angle des deux rues, à droite, recouvre les soubassements du temple dont les maté­riaux furent, en 1606, employés à la construction de la chapelle de Borghèse à Sainte-Marie-Majeure et de la fontaine de l'aqua Paola sur le Janicule mais la destruction ne fut pas poussée jusqu'aux fondations et on trouverait, sous les maisons modernes, des restes importants.

Il nous est facile maintenant de reconstituer par la pensée, à l'aide de la vue prise par Du Pérac et du plan, le forum de Nerva. Dégageons d'abord jusqu'au sol les deux colonnes à moitié enfouies des colonacce, rendons-leur les pilastres cannelés correspondants, engagés dans la muraille et dont un chapiteau se voit encore derrière la colonne de droite, recouvrons le mur de son placage en marbre, sur le devant des piédestaux qui surmontent la corniche, replaçons les ornements, en bronze probablement, dont les trous de scellement sont visibles, enfin, sur chacun des pié­destaux redressons sa statue, ce petit fragment bien restauré, prolongeons-le sur une longueur de 120 mètres environ, en face, à un peu moins de 50 mètres , supposons un autre côté semblable. À l'extrémité nord, plaçons le temple de Minerve, avec son fronton et son escalier s'avançant de 20 mètres environ sur l'aréa. A droite du temple, figurons-nous la grande porte d'entrée avec ses marbres et son ornementation architecturale, le mur de gauche n'est pas percé d'une porte, le forum de Nerva s'appuyant de ce côté à l'hémicycle du forum d'Auguste. A l'autre extré­mité, le petit côté, légèrement concave, qui regarde le forum romain est percé de portes monumentales, devant le temple s'étend une longue aréa dallée que borde, à droite et à gauche, le long du portique, une rue bien pavée. Sévère Alexandre fit dresser sur ce forum les statues colossales des empereurs qui avaient reçu les honneurs de l'apothéose.

Le forum de César . — Nous continuons à suivre la rue Alessandrina jusqu'à la rue Bonella qui traverse le forum d'Auguste et de César.

A notre gauche, un peu au-dessous de la rue del Priorato, commençait le forum de César, qui, de l'autre côté, s'étendait jusqu'aux bâtiments de la curie. C'était un rectangle dont les côtés longs, étaient orientés de l'est à l'ouest. Sa création eut pour but de suppléer au forum romain, devenu, malgré ses deux grandes basiliques, insuffisant pour rendre la justice.Il servait de t éménos ou area au temple de Vénus Génitrix de qui César prétendait descendre. On conservait dans ce temple, d'une grande beauté, des œuvres d'art célèbres. Devant sa façade, se dressait la statue de César montant le célèbre cheval dont le sabot avait la forme d'un pied humain et au maître duquel une prophétie promettait l'empire du monde. César dédia le temple avant qu'il fût complètement achevé, en 708 (= 46 av. J.-C). Il y vint couronné de fleurs et précédé d'éléphants qui portaient des torches. Dans une allée de la rue delle Marmorelle (autrefois rue del Ghetarrello), on peut voir quelques débris, sans grand intérêt, des boutiques qui étaient adossées au mur d'enceinte du forum de César.

Le forum d'Auguste - En remontant la rue Bonella dans la direction opposée au forum romain, nous arrivons au forum d'Auguste. Après le forum romain, le forum de César à son tour devint insuffi­sant pour les plaideurs dont le nombre croissait tou­jours, c'est pour ce motif qu'Auguste créa le sien. Le forum d'Auguste se composait d'un temple à Mars Ultor, octostyle et périptère. Pendant la bataille de Philippes, Auguste l'avait voué à Mars, vengeur de César assassiné (712 = 42 av. J.-C). La dédicace n'eut lieu que quarante ans plus tard. L'abside ou cella du temple était appuyée au mur nord de l'enceinte, la façade et l'escalier s'avançaient sur le forum jusqu'au milieu d'une aréa circonscrite à droite et à gauche par deux hémicycles de 40 mètres de diamètre et se prolongeant dans la direction du sud en forme de rectangle, jusqu'au forum de César. Trois grandes colonnes corinthiennes en marbre de Carare, encore debout, flan­quent le mur de la cella, ce sont les trois dernières de la rangée, on voit d'ailleurs que la série s'arrête devant un pilastre de même style, quoique non can­nelé, engagé dans le mur du fond. Leur base mesure, avec le socle, 93 centimètres , le fût 13 m . 30, le cha­piteau 1 m . 93. Leur diamètre varie de 1 m . 52 à 1 m . 76, derrière les colonnes, le mur en marbre de la cella est très bien conservé; le soffite est en marbre avec caissons rectangulaires ornés d'un fleuron cen­tral. A moitié dissimulées derrière le remblai de la rue Bonella, ces colonnes ne produisent pas tout leur effet, elles constituent cependant un des plus beaux spécimens de l'architecture gréco-romaine. L'enceinte était construite, comme en témoignent ses restes imposants, en gros blocs de tuf et de tra­vertin. Les matériaux étaient de premier choix. Tout le bois, dit Pline, avait été coupé à la canicule et sous les constellations voulues, ce qui lui donne une éter­nelle durée. Sans croire à ces influences sidérales, il est cependant curieux de constater que, au XVI ème siècle, quand on détruisit une partie de l'enceinte de ce forum, là où elle confine avec l'enceinte du forum de Nerva, on constata que les grosses pierres de taille de ce mur étaient reliées entre elles par des crampons de bois taillés en queue d'aronde et si bien conservés qu'on aurait pu les remettre en œuvre. Le mur d'enceinte, à l'endroit déblayé jusqu'au est haut de 36 mètres . Il était recouvert de marbre et orné de niches dont plusieurs, très bien conservées, se voient encore. Un portique, composé d'une seule rangée de colonnes auxquelles correspondait un pilastre engagé dans le mur courait, à l'intérieur, tout le long de l'enceinte et abritait des niches dans lesquelles se dressaient les statues en bronze des personnages dont les noms et les titres étaient inscrits sur la plinthe inférieure de la niche, au-dessous, leur éloge était gravé sur une plaque en marbre. Énée portant Anchise ouvrait la série, puis venaient les rois d'Albe, ancêtres de la gens Julia puis Romulus et, après lui, les grands généraux de la République. Marc Aurèle continua cette série sur le forum de Trajan par les statues des officiers morts glorieusement à l'ennemi, et Sévère Alexandre, sur le forum de Nerva, par les statues colossales des empe­reurs divinisés.

Deux quadriges en bronze sur lesquels on avait gravé le plus beau de ses titres, père de la patrie, avaient été érigés à Auguste sur son forum, probablement au centre des deux hémicycles, en 752 (= 2 av. J.-C). En l'année 772 (— 19 ap. J.-C), le Sénat, après avoir accordé l'ovation à Germanicus et à Drusus, paci­ficateurs de l'Arménie, leur avait décrété deux arcs de triomphe ornés de leurs statues, l'un à droite, l'autre à gauche du temple de Mars Ultor. La grande porte sous laquelle on sort de la rue Bonella, appelée arco de Pantani , si on la sup­pose prolongée jusqu'au sol antique, c'est-à-dire 5 mètres plus bas, serait vraiment informe mais il ne faut pas oublier qu'elle était revêtue de marbre, que son ornementation architecturale était en rapport avec celle du temple et de l'enceinte, et qu'elle était peut-être, comme beaucoup de portes romaines, rectangu­laire avec une baie cintrée au-dessus de l'entablement. Il nous est facile, en combinant les renseignements qui précèdent avec le plan et les mines qui sont sous nos yeux, de reconstituer dans notre imagination l'aspect général du forum d'Auguste. Auguste avait accordé au temple de Mars Ultor de grands privilèges qui en faisaient l'égal des temples les plus vénérés de Rome. Le Sénat s'y réunissait pour délibérer sur la guerre et sur les honneurs du triomphe, les triomphateurs y venaient dans l'église offrir à Mars leur sceptre et leur couronne, comme chez nous aux Invalides, on y déposait les enseignes prises à l'ennemi. Chaque année nouvelle, pendant la procession qui avait lieu le 1er mars et les jours suivari t S l es prêtres Saliens y venaient avec les boucliers sacrés, chantant des hymnes aux origines lointaines, et rythmant, sur un mode très ancien, leurs danses hiératiques, ils faisaient, à cette occa­sion, dans le temple de Mars, un repas qui a laissé de bons souvenirs. Une année, précisément ce jour-là, Claude sié­geait sur son tribunal, rendant la justice dans le forum d'Auguste. Mais, pendant ce temps, on préparait dans le temple le repas des Saliens. L'odeur des marmites était si chargée de promesses que l'empereur n'y tint plus : tribu­nal, avocats et plaideurs, il laissa tout en suspens pour aller, comme disait Cicéron, epulari Saliarem in modum. Dans le temple de Mars Ultor, comme dans beaucoup d'autres, il y avait un trésor public. Une nuit, les voleurs s'y introduisirent et le dévalisèrent, ils poussèrent même l'irrévérence jusqu'à voler la casque de Mars lui-même, ce dont Juvénal raille le dieu de la guerre, mauvais gardien du trésor confié à ses soins :

Mars galeam quoque perdidit et res non potuit servare suas.

  Sortons un instant par l' arco de Paniani dans la rue Torre dei Conti pour admirer, à l'extérieur, le magnifique appareil du mur d'enceinte qui serait beaucoup plus imposant encore si un déblaiement lui rendait toute sa hauteur. Nous rentrons ensuite dans la rue Bonella et la sui­vons jusqu'à la rue Alessandrina, que nous prenons de nouveau, à notre droite, pour aller au forum de Trajan.

Le forum de Trajan . - Avant Trajan le mont Capitolin et l'extrémité du Quirinal se touchaient presque, ne laissant entre eux qu'un étroit passage fermé par l'enceinte de Servius que perçait en cet endroit la porta Fontinalis. Trajan résolut d'ouvrir de ce côté un large passage entre le forum et le Champ de Mars, et, pour atteindre ce but, de supprimer une partie des deux collines. Il fallut, dit M. Lanciani, acheter 275 000 mètres carrés de terrain, et, pour apla­nir la colline, dont la colonne Trajane devait égaler la hauteur, enlever environ 850 000 mètres cubes de déblais. C'est dans cette plaine artificielle que l'architecte Apollodore de Damas construisit le forum de Trajan. Il se composait, comme nous le voyons d'après le plan, dans ses parties essentielles, d'une vaste aréa que terminait une basilique, après la basilique, entre deux édifices et au milieu d'une cour que l'on s'étonne de voir si étroite, s'élevait la colonne Trajane. Hadrien prolongea encore cet ensemble grandiose d'édifices par le temple dédié à ses parents, Trajan et Plotine, qu'il entoura, comme il avait fait pour celui de Vénus et de Rome, d'un vaste portique. En lisant ce qui précède nous avons continué à suivre la rue Alessandrina. Une trentaine de mètres avant l'endroit où elle forme un carrefour avec les rues dei Carbonari et Campo Carleo, à notre gauche, était l'arc de triomphe de Trajan qui donnait entrée dans son forum. Aucun débris n'en est visible. A droite et à gauche de l'arc de triomphe, un mur en marbre formait l'enceinte du forum.

L'area . — L'arc de triomphe franchi on se trou­vait sur l' area du forum de Trajan, la partie de la rue Alessandrina où nous marchons maintenant passe dessus et nous conduit, à l'endroit qui a été déblayé en 1812-1814 par Valadier, le comte de Tournon étant préfet du Tibre. Ces fouilles ont mis au jour l'extrémité de l'aréa qui touche à la basilique Ulpia, la partie centrale de cette basilique et les alentours de la colonne. Toute l'aréa, sauf le côté bordé par la façade de la basilique, était circonscrite par un mur en avant duquel courait un portique, formé d'une seule rangée de colonnes du côté de l'arc de triomphe, et d'une double rangée sur les côtés de droite et de gauche. Le quatrième côté était occupé par la façade de la basilique avec son triple perron. Le mur d'enceinte avait 120 mètres sur 110. A droite et à gauche, l'aréa était prolongée, en dehors de son mur percé de portes à la partie centrale, par un hémicycle analogue par sa forme à ceux du forum d'Auguste. Ces deux hémicycles, appuyés, celui d droite au mont Quirinal, celui de gauche au mont Capitolin, avaient plusieurs étages et dissimulaient par l'aspect de constructions harmonieuses, l'énorme coupure faite dans la montagne. L'hémicycle d gauche est caché sous les constructions de la rue delle chiavi d'oro, celui de droite, adossé au mont Quirinal, existe encore en partie, on peut y pénétrer facilement par la porte n° 6 de la rue Campo Carleo. Il mérite une visite. Construit en blocage revêtu de briques autrefois recouvertes, suivant les endroits, soit de marbre, soit de stuc, il conserve çà et là quelques traces de stuc, comme partout, le marbre a disparu. L'arc qu'il décrit est, à l'intérieur, de 65 mètres de diamètre. Formé de deux murs concentriques, il es divisé, dans l'espace compris entre les deux murs, et une série de petites chambres pavées en mosaïque. L'une d'elles est occupée par l'escalier qui monte à l'étage supérieur où se trouvent d'autres chambres. Un portique, d'une seule rangée de colonnes, suivait la courbe de l'hémicycle et son faite était orné de che­vaux et d'enseignes militaires en bronze, avec l'ins­cription ex manubiis. A ses deux extrémités, le grand hémicycle était accosté d'un petit hémicycle. Au centre de l'aréa se dressait la statue équestre de Trajan et les portiques qui l'entouraient étaient peuplés de statues, Marc Aurèle y fit ériger celles des officiers tués glorieusement à l'ennemi, Sévère Alexandre y transporta les statues des grands hommes dispersés dans les divers quartiers de la ville. On voit encore un petit nombre des bases de ces statues.

Vers le milieu du IV ème siècle, le forum de Trajan était encore dans toute sa beauté. Ammien Marcellin raconte que Constance y entrant en 350, accompagné du roi de Perse, Ormisdas, restait saisi d'admiration devant une telle magnificence qui lui semblait supérieure aux forces humaines. Désespérant de jamais pouvoir atteindre à rien de semblable, il disait qu'au moins il ferait faire, pour porter sa statue, un cheval semblable à celui de la statue de Trajan. « Mais, lui dit en souriant Ormisdas, votre cheval ne peut pas être moins bien logé que celui de Trajan,  il vous faudra d'abord lui construire une écurie semblable. »

La basilique Ulpia — L'aréa se termine au seuil de la basilique Ulpia, devant son grand escalier dont nous voyons les restes. La façade de la basilique était percée de trois portes en saillie, abritées par des portiques et surélevées de cinq degrés, la partie cen­trale, avec son perron et la porte principale, a été déblayée, au delà de la partie fouillée, la façade se prolonge, à droite et à gauche, d'une quarantaine de mètres, en tout elle avait 130 mètres de longueur. La toiture était en bronze. L'intérieur était divisé en cinq nefs séparées par quatre rangées de colonnes, le long du mur, un pilastre engagé correspondait à chaque colonne des deux ran­gées extrêmes. Ce que nous voyons formait la partie centrale de la basilique dont la largeur va de l' area à la colonne Trajane. Si à chaque extrémité des rangées de colonnes qui ont été mises au jour, nous ajoutons quatre colonnes, ce qui fera 18 en tout pour chaque rangée, nous aurons la longueur intérieure de la grande nef centrale dont les deux petits côtés étaient fermés par quatre colonnes, chaque extrémité se terminait par une abside en demi-cercle précédée d'un portique de deux rangées de colonnes. Les colonnes en granit que nous voyons debout ont été redressées après les fouilles, elles sont bien à la place qu'occupaient les colonnes des nefs et nous donnent une idée exacte de la division de la basilique mais on s'accorde généralement à croire qu'elles appartenaient non à la basilique, mais aux por­tiques extérieurs. Les colonnes de la basilique étaient en marbre jaune africain. Le dallage de la nef centrale était en compartiments de marbre de Numidie et de Phrygrie, ronds et car­rés, alternant comme au Panthéon. Les dalles des bas-côtés étaient du même marbre de Phrygie et, de Numidie, mais encadrées dans du marbre africain, entre les colonnes le dallage était en marbre blanc. Comme à la basilique Julia, il y avait un premier étage formant tribune autour de la nef centrale. Du côté de la colonne Trajane, la basilique avait une seconde façade semblable à celle du côté opposé, avec des portes dont le seuil est conservé.

La colonne Trajane . — En sortant de la basilique par une de ces dernières portes, on se trouvait dans une petite cour de 60 pieds carrés , au milieu de laquelle s'élève la colonne. Dans l'état actuel, sa hau­teur, du sol à la naissance du piédestal qui portait la statue, est de 38 m . 22 centimètres , l'acrotère a 2 m . 91 centimètres , le total donne la hauteur de la montagne qu'on a fait disparaître. Dans le piédestal était ménagée une chambre destinée à contenir les cendres de Trajan, elles y furent en effet déposées dans une urne d'or. Mais sous Sixte Quint la chambre fut trouvée vide et on la mura dans l'intérêt de la solidité du monument, elle avait été violée par les Wisigoths. Le piédestal est orné d'armes et de trophées, deux Victoires supportent, au-dessus de l'entrée, le cartouche de l'inscription. Les angles sont ornés d'aigles reliés entre eux par des guirlandes de laurier, le fût repose sur un tore en forme de couronne laurée . Le piédestal se compose de huit immenses blocs de marbre de Paros, la base, y compris le tore, est d'un seul bloc, le fût en comprend 17, le chapiteau 1, l'acrotère 2. Un escalier, éclairé par 43 petites fenêtres, monte en spirale jusqu'à la plate-forme, ses 185 marches et les fenêtres sont taillées dans la masse même des blocs. Un rouleau de 23 spi­rales serpentant autour du fût raconte, en images, les campa­gnes de Trajan contre les Daces. Pendant que tous les autres monuments antiques de Rome étaient dévastés, la colonne Tra­jane a été entourée d'une protec­tion spéciale, elle bénéficia des légendes qui, au moyen âge, firent entrer Trajan dans le ciel avec les bons chrétiens. Au XI ème siècle, un décret du Sénat défendit, sous peine de mort, de détériorer la colonne; au XVI ème siècle, le pape Paul III en fit déblayer la base, quelques années plus tard, Sixte Quint démolit les maisons mo­dernes qui la masquaient en par­tie et la protégea par un mur contre les éboulements; les fouil­les faites au commencement de ce siècle éloignèrent encore les terres qui l'entouraient. Les trous qui, de distance en distance, ont enlevé des éclats du marbre, sont l'œuvre des barbares qui ont cher­ché les crampons en bronze pour en utiliser le métal.

Le temps nous manquerait pour étudier sur place et en détail ces bas-reliefs où figurent près de 2 500 personnages. Plus tard il faudra relire à loisir le volume de M. Fröhner en suivant sa description sur les photo­graphies de sa grande édition. Ceux qui habitent Paris pourront encore, avec le petit volume de M. Salomon Reinach, suivre sur le moulage dressé en plusieurs tronçons dans les fossés du château de Saint-Germain, ou à l'aide des photographies placées dans le meuble à volets, sur le palier du premier étage du musée, tous les épisodes des guerres de Trajan en Dacie (101, 102 et 105-107 ap. J.-C). Pour le moment, quelques lignes empruntées à M. Salomon Reinach nous aideront à en concevoir une idée générale très suffisante : « Les motifs figurés sur la colonne Trajane sont d'une variété infinie : passages de rivières, marches, navigations, conseils de guerre, combats, assauts, incendies, interrogatoires de prisonniers, sacrifices, négociations, revues, tous les épisodes s'y succèdent sans fatiguer l'attention. Ils sont l'image de la vie militaire dans toute sa complexité, sous tous ses aspects majestueux ou terribles. Les scènes douces et touchantes ne font pas plus défaut. Voici des blessés auxquels on prodigue des soins, les Daces pleurant sur leur jeunesse moissonnée, Trajan prenant sous sa protection, après une victoire, les princesses captives et leurs enfants. L'empereur est partout, il est représenté plus de cinquante fois sur la colonne... Chef de l'armée et grand pontife, soldat et prêtre, tantôt il combat et tantôt il sacrifie. Sa taille est d'ordinaire plus grande que celle des soldats qui l'entourent mais il vit avec eux et partage toutes leurs épreuves, le plus souventà pied ....... marchant en tête de ses légionnaires auxquels il montre le chemin de son bras tendu. L'artiste de la colonne n'a pas été injuste pour les vaincus : il montre leur courage héroïque, leur mépris de la mort, leur ardeur au suicide lorsqu'ils sont menacés de la servitude. Décébale, pressé par les Romains, tombé blessé au pied d'un arbre, se frappe de son glaive recourbé. Sa mort marque la fin de la guerre et l'indépendance de la Dacie périt avec lui. »

Le fût de la colonne Trajane est bien plus une page d'histoire qu'une œuvre d'art, elle mérite, plus que l'attention des artistes, celle des historiens et des archéologues. Il était difficile qu'il en fût autrement. Ces scènes animées, peuplées de tant de personnages, ne pouvaient pas, dans les paysages au milieu des­quels elles se déroulent, être figurées avec les reliefs et les perspectives qu'elles comportent. L'artiste ou les artistes - car on reconnaît, dit-on, plusieurs mains - ont été obligés d'entasser pour pouvoir tout mettre, la hauteur de la colonne et aussi celle des spirales étaient limitées, et la page d'histoire devait être com­plète. Il en résulte, comme pour les sculptures de l'arc de triomphe de Septime Sévère, un compromis entre les procédés de la sculpture et les procédés de la peinture, un genre bâtard et faux. Il ne faut pas cependant juger la sculpture du forum de Trajan d'après ce monument soumis, par le fait même de sa destination, à des nécessités et à des procédés qui ne relèvent pas de l'art. On connaît heureusement d'autres fragments de sculpture, pro­venant du forum de Trajan — c'est du moins une opinion admise — et qui font honneur aux artistes de l'époque : un aigle d'un grand style, encastré dans le mur de fond du portique de l'église des Saints-Apôtres, le bas-relief du musée de Latran, représentant le cortège si plein de majesté de Trajan au milieu de ses licteurs, dans le même musée, les fragments de la frise ornée de groupes de griffons et de génies dont le corps se termine en enroulements d'acanthes, alternant avec des vases, la grâce et la pureté de ces charmants sujets sont inspirées par les meilleures traditions de l'art décoratif aux belles époques, voir aussi une frise décorée de feuillages et de fleurs, d'une richesse luxu­riante et, en même temps, d'un goût très pur .

Les bibliothèques. - A droite et à gauche de la colonne s'élevaient deux édifices affectés l'un à la bibliothèque grecque, l'autre à la bibliothèque latine. Les livres y étaient classés dans des armoires numé­rotées et les bustes des grands écrivains, même con­temporains, ornaient les salles.

Le temple de Trajan . -Hadrien prolongea encore ce grandiose assemblage d'édifices magnifiques en élevant à ses parents, Trajan et Plotine, un beau temple placé au milieu d'un vaste péribolos rectangu­laire entouré d'un portique. Le chapiteau et le fût de dimensions inusitées qui gisent au pied de la colonne Trajane en proviennent. Le péribolos, ou grande place au milieu de laquelle s'élevait le temple, était pavé de serpentine, de porphyre, de jaune antique et autres marbres formant des dessins de marqueterie. Les restes du portique et du temple de Trajan sont cachés en partie sous le palais Valentini, et sous les deux églises dont il est accosté, il nome di Maria et Santa Maria di Loreto.

Le forum de Trajan était un lieu très fréquenté, plus d'un souvenir agréable au peuple romain s'y ratta­chait. C'est là qu'Hadrien brûla les registres sur les­quels étaient inscrits les noms des citoyens en retard avec le fisc et que Marc-Aurèle vendit aux enchères les meubles les plus précieux du palais des Césars pour payer, sans recourir à de nouveaux impôts, les frais de la guerre contre les Marcomans, Aurélien y brûla les tables de proscription. Il y avait un tribunal et un bureau d'affranchissement. La bibliothèque Ulpia y attirait un grand concours d'érudits, d'histo­riens, de poètes et de philosophes.

CONCLUSION

Nous voici au terme de cette longue promenade, un peu trop longue peut-être et un peu fatigante par la quantité des choses vues. Je conseillerai cependant de lui donner comme conclusion une visite au Tabula rium. On y entre par la rue del Campidoglio, la rue en escaliers qui passe sur l'extrémité du portique des dii Consentes . Ce monument, qui termine du côté du Capitole la perspective du forum, fut construit en 652 (= 102 av. J.-C.) par Q. Lutatius Catulus, à la suite d'un incendie : du Capitole dont le Sénat l'avait chargé de réparer les dégâts. On y conservait les textes des lois, des plé­biscites et des sénalus-consultes, beaucoup de ces documents étaient gravés sur des tables de bronze. Le rez-de-chaussée et le premier étage du Tabula­rium sont antiques, le premier étage formait un por­tique ouvrant sur le forum par une série d'arcades qui toutes, sauf la dernière à droite, ont été murées quand on a surélevé l'édifice.

On pénètre dans le Tabularium par une porte ouverte dans un beau fragment de mur antique, nous y verrons d'intéressants débris d'architecture prove­nant des temples de la Concorde et de Vespasien. Mais surtout, et c'est pour cela que la visite au Tabularium me semble être la conclusion de notre promenade, nous monterons à la tour du Capitole. De là nous pourrons nous rendre compte de tout l'ensemble des places et monuments que nous venons de visiter.Dans la direction du nord-ouest, à la hauteur de la rue Nationale près l'église des Sainte-Apôtres, com­mence le portique qui entoure le temple de Trajan, auquel font suite la colonne Trajane, la basilique Ulpia et l'aréa du forum de Trajan. Celui-ci est en commu­nication, par son arc de triomphe, avec le forum d'Au­guste, dont le côté sud touche au forum de César et le côté Est au forum de Nerva, qui le relie au forum de la Paix. Le forum magnum ou forum romain, avec son prolongement jusqu'à l'extrémité de la basilique de Constantin et jusqu'à l'arc de Titus, s'appuie, au nord, sur les forums de César, de Nerva et de la Paix, au sud, sur le Palatin où s'élèvent les palais des Césars. Le Palatin lui-même, du côté opposé, domine le Cirque Maxime (aujourd'hui l'usine à gaz). Cet ensemble déjà remarquable se prolonge par la double abside des temples de Vénus et de Rome et leurs vastes por­tiques, jusqu'au Colisée, et, au delà, à gauche, par les thermes de Titus et de Trajan, à droite, par Tare de Constantin et le magnifique temple de Claude sur le Caelius.

A-t-il jamais existé au monde une autre ville qui ait pu montrer une série si considérable et ininterrompue de places, de portiques, de temples, de basiliques, de palais, d'édifices en marbre, où les œuvres d'art abon­daient comme dans des musées, où se pressait une foule active; où vit encore aujourd'hui, dans tant de débris, la mémoire d'un si long et si glorieux passé, où nous puissions, de monuments en monuments, de souvenirs en souvenirs, remonter, sans interruption, jusqu'au point où l'histoire devenue légende se perd dans la nuit des origines mythologiques? Strabon, après avoir décrit le Champ de Mars et les plus beaux monuments de Rome ajoute : « Supposons cependant que d'ici l'on se transporte dans l'antique forum et qu'on y promène ses regards sur cette longue suite de basiliques, de portiques et de temples qui le bordent, ou bien que l'on aille au Capitole, au Palatin, dans les jardins de Livie, contempler les chefs-d'œuvre qui y sont déposés, on risque fort, une fois entré, d'oublier tout ce qu'on a laissé dehors. — Telle est Rome. » (Livr. V, 8.)

TABLE DES MATIÈRES

Lettre à M. Ed. Saglio.- .................................

AVANT-PROPOS ................................................

LIVRE I

LE FORUM. — SON HISTOIRE. — SON ROLE

CHAPITRE I

Ce que c'est qu'un forum ......................................

CHAPITRE II

APERÇU HISTORIQUE

Le forum avant Romulus. — Topographie du forum. — Le forum sous les rois -Le forum pendant la République. - Le forum sous les empereurs - Les incendies du forum ..............................................................

CHAPITRE III

LA VIE ROMAINE AU FORUM

Le forum romain. — Les forums provinciaux ...........

LIVRE II

HISTOIRE DES MONUMENTS DU FORUM

CHAPITRE I

LES MONUMENTS DU FORUM DE LA RENAISSANCE AU XVIII e SIÈCLE

Démolisseurs et protecteurs ..................................

CHAPITRE II

LES FOUILLES AUX XVIII e ET XIX e SIÈCLES

1780 à 1870. — 1870 à 1896

CHAPITRE III

HISTOIRE DES MONUMENTS DU FORUM ATTRIBUÉS A ROMULUS ET A NUNA

Le comitium. - Le vulcanal. - Le temple de Janus. - Le lacus Curtius. — Le sanctuaire de Venus Cloacina. — Le temple de Vesta. — La regia .............................. .......................................................................

CHAPITRE IV

HISTOIRE DES MONUMENTS FONDÉS PAR LES CINQ DERNIERS ROIS

La curie, l'atrium Minervae, le secretarium senatus.— Le Senaculum. – La pila Horacia.- La prison, le Tullianum, les Lautumiae, les scalae Gemoniae.- La cloaca maxima. - Les portiques, les boutiques, les Maeniana.

CHAPITRE V

DE L'EXPULSION DES ROIS A LA PRISE DE ROME PAR LES GAULOIS

Temple de Saturne. - Temple de Castor. - Fontaine de Juturne ............................................................

CHAPITRE VI

DE LA PRISE DE ROME PAR LES GAULOIS JUSQU'A CÉSAR

Le lucus Vestae et l'autel d'Aius Locutius. - Le temple de la Concorde.- Les rostres.- Le milliaire d'or.- L'umbilicus.- La statue de Marsyas.- La Graecostasis.- Le solarium. — Les saepta du forum. — La basilique Porcia. - La basilique Fulvia et Aemilia, la basilique Paulli. —La basilique Sempronia. — La basilique Opimia. - L'arc de Fabius. — Le puteal Libonis ou Scribonianum, les tribunaux

CHAPITRE VII

CÉSAR ET LES EMPEREURS

La basilique Julia, le lacus Servilius. - Le temple de César et les rostra Julia. — L'arc de triomphe d'Auguste. - L'arc de triomphe de Tibère. - Le temple de Vespasien.- Le temple d'Antonin et de Faustine.- La chapelle de Faustine. - L'arc de Septime Sévère. - La schola Xantha. - Le portique des dii Consentes. — La colonne de Phocas ...........................................

CHAPITRE VIII

LES STATUES, LES VOIES, LES JANUS DU FORUM

Les statues du forum. - La voie sacrée. - Le clivus Capitolinus. — La via nova. — Le vicus Tuscus. — Le vicus Jugarius. - L'Argiletum. - Le vicus Jani. - Le clivus Argentarius. - Les janus

LIVRE III

LES FORUMS IMPÉRIAUX

CHAPITRE I

Origine des forums impériaux. — Le forum de César .........................................................................

CHAPITRE II

Le forum d'Auguste ..............................................

CHAPITRE III

Le temple et le forum de la Paix..

CHAPITRE IV

Le forum de Nerva ................................................

CHAPITRE V

Le forum de Trajan ...............................................

APPENDICE

UNE VISITE AU FORUM

CHAPITRE I

Vue d'ensemble ....................................................

CHAPITRE II

 

Le côté sud du forum.. ..........................................

CHAPITRE III

Le côté ouest du forum .........................................

CHAPITRE IV

L'aréa du forum et ses monuments ........................ ..........................................................................

CHAPITRE V

Le côté est du forum .................................

CHAPITRE VI

La maison des Vestales .............................

CHAPITRE VII

Le temple de Romulus. - Le templum sacrae Urbis.- La basilique de Constantin. — L'arc de Titus. — La voie sacrée ......................................... ...................................................

CHAPITRE VIII

La via nova. —Les monuments situés au pied du Capitole.

CHAPITRE IX

La prison. - Le côté nord du forum .............

CHAPITRE X

Les forums impériaux ...............................

Conclusion

sommaire