SUPPLÉMENT AUX SIX DERNIERS LIVRES DES FASTES.

 

AVERTISSEMENT.

Quelle que soit l'opinion que l'on adopte sur le nombre des mois qui ont été le sujet des chants d'Ovide, on ne peut trop re­gretter que son ouvrage s'arrête au milieu de l'année. Que de lumières perdues pour la critique historique et pour la science de l'antiquaire ! Nous ne parlons pas des descriptions gracieuses, des tableaux intéressants qui se seraient offerts en foule à la plume féconde d'Ovide.

Un homme d'une érudition dévouée, M. Bayeux, auteur d'une traduction des «  Fastes », publiée sur la fin du dix-huitième siècle, s'est présenté pour remplir cette immense lacune. Ne demandez pas au correspondant de l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres , le style brillant, facile, enjoué de son modèle. Mais tout ce que les recherches les plus scrupuleuses peuvent découvrir sur les usages, les fêtes et les monuments rappelés dans les six der­niers mois de l'année romaine, se trouve réuni dans le travail qu'il publia sous le titre de «  Supplément aux six derniers livres des Fastes ». Cet opuscule, qui n'est pas dépourvu de mérite littéraire, est précieux pour l'intelligence des historiens, des poètes et des dif­férons écrivains de Rome. Nous croyons faire un véritable pré­sent aux amis de l'antiquité, en le reproduisant ici avec les sup­pressions et les changements nécessaires.

LIVRE VII

JUILLET.

L orsque l'année romaine commençait par le mois de Mars, ce mois étant alors le cinquième , était appelé «  Quintilis ». Mais Jules César étant né pendant ce mois, Marc-Antoine porta la loi qui lui fit donner le nom de Julius . Le jour des calendes de ce mois, où le soleil commençait lui-même à changer la direction de sa course, était à Rome l'époque des changements de maison.

« O honte des calendes de Juillet, s'écrie Martial, j'ai vu ton bagage, Vacerra! je l'ai vu; car il ne méritait pas la peine d'être arrêté, quoique après deux années de loyer . Il était porté par la femme aux sept cheveux roux, et par la mère au chef blanchi par l'âge, et par la longue sœur. J'ai cru voir les Furies déloger du nocturne séjour de Pluton, etc. » Lorsque le jour se lève pour la quatrième fois, la couronne brillante dont le dieu du vin ceignit: le front d'une amante désolée, disparaît au milieu des feux du soleil.

Mais la troisième aurore avant les nones vient éclairer une cérémonie qui rappelle le jour fatal où le peuple romain fut forcé de prendre la fuite. Aussi l'a PP elle-t-on la «  Fuite du peuple ». L'histoire est incertaine sur l'origine et la cause de cette solennité. Si l'on en croit quelques auteurs , les ruines de Rome fumaient encore, et des cabanes s'élevaient à peine à la place des édifices renversés sous le fer des Gaulois, lorsque les peuples voisins, voulant profiter de sa faiblesse pour l'as­servir à leur tour, se rassemblèrent des campagnes de Fidènes, de Ficulum et de l'Étrurie, et marchèrent contre celte ville sans défense. Alors le peuple effrayé, et croyant voir en­core les féroces habitants de la Gaule descendus de nouveau du haut des Alpes, abandonna ses murs détruits et prit la fuite. Des fêtes furent établies pour rappeler ce triste évènement, ou plutôt peut-être pour féliciter les dieux de la vic­toire qui le suivit car d'anciens calendriers ont placé au même jour la solennité de la déesse Victoire, ou «  Vilula », dont nous parlerons bientôt.

Mais cette fuite a, selon d'autres historiens, une origine bien plus reculée. Elle naquit du désordre et de l'effroi que causa la disparition subite du premier roi de Rome, lorsqu'au milieu d'un orage, Mars releva sur son char et l'emporta jus­qu'au pied du trône de Jupiter. Ovide a chanté cet événement, que quelques auteurs placent au jour même des nones de ce mois.

Un accident funeste marque d'une manière plus certaine le jour qui suit; je veux parler de l'embrasement du Capitole. Sylla apportait la guerre au sein de sa patrie. Des présages si­nistres devaient annoncer les malheurs que le destin de Rome lui réservait. Un présage digne de ces grandes calamités fut l'embrasement du Capitole. Un esclave vint au camp de Sylla lui promettre la victoire au nom de Bellone, et lui annoncer que, s'il ne hâtait sa marche, les flammes détruiraient le Capitole. Il annonça que le jour de ce fatal incendie serait la veille des nones, et l'événement répondit à sa prédiction. La main coupable qui l'embrasa, si pourtant ce ne fut pas la co­lère des dieux, resta cachée à jamais. Ainsi péril la demeure de Jupiter, et avec elle les livres fameux de la Sibylle.

Mais on s'occupa aussi tot à réparer ce malheur et, après quatorze années de travaux, ce monument de la gloire de Rome se releva de ses ruines. Sylla n'eut cependant pas l'hon­neur d'en faire la dédicace, et l'histoire a remarqué que cette circonstance manqua à son bonheur : ce fut Catulus qui avait présidé à la reconstruction. On vit alors pour la première fois le théâtre tendu de voiles de lin aux couleurs variées et bril­lantes. Mais de nouveaux spectacles appellent nos regards : le Cirque s'ouvre en l'honneur du dieu de Délos.

Quelle fut l'origine de ces jeux qu'on y célèbre avec tant de pompe? Les succès, dont un sort funeste avait couronné les armes de Carthage, menaçaient de livrer bientôt Rome à son redoutable ennemi. Le dieu des combats vieille sur son peuple chéri ; il inspire un de ses prêtres, et l'interprète sa­cré des volontés célestes vient les révéler au sénat : « Ro­mains, si voulez que la victoire accompagne enfin nos armes, vouez des jeux à Apollon, et célébrez les annuellement sui­vant le rit grec. » Il dit : on consulte les livres sacrés ; la ré­ponse est conforme au conseil du prêtre de Mars, et le sénat ordonne que l'on célèbre tous les ans des jeux somptueux en l'honneur d'Apollon. Un second sénatus-consulte règle la na­ture et le rit de ces jeux. On offrira au dieu des oracles un bœuf et deux chèvres blanches, aux cornes dorées, et à sa mère, à la puissante Latone, une vache, dont le front bril­lera aussi de l'éclat de l'or. Ainsi le pratiquent les Grecs dans les jeux Pythiens, que le Parnasse voit célébrer sur sa double cime (1). Telle est l'origine que les annales de Rome ont donnée à l'établissement des jeux Apollinaires. Mais, si l'on consulte les fastes du peuple du Latium, c'est au temps même d 'Énée qu'il faut remonter pour en trouver la première institution.

(1) Tite-Live, liv. xxv, ch. 12, place cette institution à l'an de Rome 540 , sous le consulat de Q. Fulvius et d'Appius Claudius Pulcher mais ce consulat descend à l'an 541, suivant les marbres du Capitule, et à l'an 543, suivant le calcul de Varron.

Il venait d'aborder sur les bords de Laurentum. Il y vit ce laurier sacré qui avait donné son nom à la ville, et ce bois de lauriers élevé sur le rivage, et consacré à Apollon. On sait que les Troyens honoraient ce dieu et avaient aussi en son honneur un bois de lauriers, où Achille fut tué par Pa­ris. Alors, se souvenant de l'oracle, et frappé du prodige de voir deux fontaines qui sortirent miraculeusement de la terre pour désaltérer l'armée, il éleva deux autels à Apollon, l'un vers le soleil levant, l'autre vers le couchant, sur lesquels il immola un taureau, et fit une fête le jour même de son arri­vée, c'est-à-dire au mois de Juillet, ou au milieu de l'été, suivant Denys d'Halicarnasse. On sait que les peuples latins observèrent avec un scrupuleux respect toutes les cérémonies établies par Énée et c'est d'eux que les Romains les appri­rent, ainsi que les jeux Apollinaires.

Il ne faut pas croire cependant que ces jeux, établis d'abord sous le consulat de Q. Fulvius et d'Appius Claudius, fussent à un jour fixe ; il dépendait du préteur de les indiquer. Mais l'an de Rome 544 , au milieu du plus grand feu des guerres puniques, un triste événement força de les fixer. Une peste cruelle avait ravagé Rome et les campagnes de l'Italie. Jamais ce fléau n'avait exercé de plus cruels ravages. On eut recours aux dieux, on fit des supplications publiques à tous les tem­ ples et, comme Apollon fut toujours regardé comme la di­vinité qui marquait sa colère par celte fatale maladie, on crut pouvoir le désarmer en prescrivant à P. Licinius, pré­teur de la ville, de porter au peuple une loi qui ordonnait quelles jeux Apollinaires seraient célébrés désormais à une époque fixe. Ils le furent donc au 5 de Juillet et , depuis cette époque , ce jour est devenu un des plus solennels de la religion romaine. La sérénité se rétablit aussitôt dans l'air; la peste dégénéra en maladies de langueur, et s'éteignit bien­tôt tout-à-fai t.

Mais qu'est-il besoin de chercher des causes historiques, quand le spectacle des cieux nous en présente une si sensible? Dans quel mois, en effet, pouvait-on célébrer plus justement la fête de l'astre du jour, que dans celui où il brille de son plus grand éclat, où sa puissance se développe avec le plus d'acti­vité dans le sein de la nature, dont il colore et mûrit lés ri­chesses!

Aussi tous les exercices des jeux qui lui sont consacrés sont-ils le symbole de son mouvement et de sa force. A peine le préteur, en habit triomphal, a-t-il agité la draperie , qui est le signal des jeux, que, sous l'inspection des quindécemvirs, la barrière s'ouvre et les exercices commencent, comme dans les jeux ordinaires du Cirque. D'abord les chars s'élancent de la barrière, et les quatre factions de leurs conducteurs étalant dans leurs livrées les couleurs de l'astre du jour et celles qu'il imprime à la nature, les font voler vers la borne, qu'ils ra­sent sept fois en tournant sur la gauche, pour imiter le mou­vement des sept planètes qui tournent dans les cieux. Des palmes couronnent les vainqueurs, et les chars se retirent pour faire place à un nouveau spectacle.

C'est la gymnastique qui vient présenter ses cinq exercices. D'abord les coureurs déploient l'agilité de leurs jambes et par­courent le long espace du Cirque. Les coups du ceste retentissent ensuite entre les deux pugiles qui frappent tour-à-tour avec mesure. Ici les athlètes luttent l'un contre l'autre, et es­saient dans les efforts de la palestre toute la vigueur de leur membre. Là les sauteurs rassemblent toutes leurs forces, et s'élancent pour franchir l'espace ou l'objet donné. Ailleurs enfin le palet rapide vole et atteint le but déterminé.

Le jeu troyen succède aussitôt. Écoulons le chantre d'Énée. « On voit paraître un nombreux escadron d'enfants traversant l'arène sur des chevaux richement équipés, couronnes de feuillages et portant à la main deux javelots garnis de fer ; quelques-uns un carquois sur l'épaule et tous une chaîne de fer en forme de collier qui leur tombe sur la poitrine, ils forment trois brigades de douze cavaliers, commandées par trois officiers. Ces enfants timides sont reçus au milieu des applaudissement des Troyens, qui les regardent avec joie, charmés de reconnaître sur leurs visages les traits de leurs aïeux. Lorsqu'ils eurent parcouru l'arène et joui du plaisir d'être regardés de leurs parents, Périphas déploie son fouet, et sa voix donne le signal. A l'instant ils partent en bon ordre, et les brigades se séparent au second signal : ils font une conversion, présentent leurs armes et avancent les uns contre les autres. On les voit s'étendre, puis se replier. On croit à leurs mouvements, à leurs marches, que c'est un com­bat réel. » Mais le théâtre change. Au lieu d'une vaste plaine où s'exer­çaient de jeunes cavaliers, l'œil aperçoit une forêt subite, au milieu de laquelle des animaux divers combattent entre eux ou luttent contre les efforts des chasseurs. Par une autre ma­gie, cette forêt fait place à son tour à une large pièce d'eau, où des vaisseaux brillants offrent l'image d'un combat naval. Bientôt l'arène reparait, et des troupes de gladiateurs s'y répandent pour repaître du spectacle affreux de leurs blessures et de leur mort la multitude assemblée qui les encourage au meurtre. Des jeux plus innocents viennent cependant à la fin écarter ces hideux spectacles. Melpomène et Thalie célèbrent l'héroïsme, ou censurent les vices et les ridicules; la poésie satirique déployant des décorations champêtres, introduit des divinités agrestes, qui viennent s'égayer en invectives, que leur rusticité excuse et autorise et le mime non moins gros­sier exprime, avec l'éloquence du geste, ce que la décence lui eût défendu de prononcer. Mais quittons le Cirque, la religion nous appelle au temple, On célèbre le sacrifice suivant le rit grec. Car ces jeux solennels ne sont-ils pas les mêmes que ceux du Parnasse, en l'honneur d'Apollon Pythius, du vainqueur du serpent Python, ou du dieu puissant qui s'élève vers le solstice, après avoir dompté et percé de ses rayons l'hiver et la constellation qui en est le symbole? Un bœuf aux cornes dorées, deux chèvres blanches, dont le front brille également de ce métal, tombent au pied des autels d'Apollon, et sa mère reçoit l'of­frande d'une vache. Tout le peuple assiste au sacrifice la tête entourée de fleurs ; les femmes, les cheveux épars, supplient. De longs berceaux sont formés le long des rues , et des banquet publics , qu'ils couvrent de leur ombre, célèbrent le dieu de Délos, Ces solennités se renouvellent pendant sept jours.

Lorsque l'aurore viendra dorer les palais de la reine du monde, une nouvelle fêle sera préparée pour Junon dans la ville de son fils ; nos fastes nomment ce jour les «  nones Caprotines », jour mémorable où le nombre des dames romaines fut augmenté par des femmes qui, nées au sein de l'esclavage, méritèrent la liberté par leur courage et leur dévoûment. En mémoire de cette conquête glorieuse, des esclaves, brillam­ment ornées de la stole et des atours de leurs maîtresses, vont sacrifier à l'autel de Junon sous ce figuier sauvage qui s'élève hors des murs. Une multitude de jeunes filles et de femmes libres se mêlent à leur troupe et partagent leur joie. Nous l'avons dit, les ruines de Rome fumaient encore, et les féroces vainqueurs des bords de l'Allia étaient à peine re­poussés, que les voisins de cette ville infortunée vinrent in­sulter, à sa faiblesse. Postumius s'avance à la tête des Fidénates, et demande au sénat que, pour conserver les restes de la république expirante, on lui livre les filles et les femmes. Le sénat balance entre l'opprobre et le danger, lorsqu'une es­clave (son nom mérite d'être conservé), Philolis, ou Tutela, demande la permission d'aller vers les ennemis avec ses com­pagnes, révolues toutes revêtus des habits de leurs maîtresses. Leur dévoûment est agréé, se rendent au camp, suivies d'une multitude qui donne des larmes à leur perte. Postumius les distribue aussitôt à son armée. Mais, profilant adroitement des transports de leurs nouveaux amants, elles les enivrent; et, lorsqu'elle les voit ensevelis dans le sommeil, Philolis monte sur un figuier sauvage qui était près du camp, et donne aux Romains le signal d'accourir. L'ennemi surpris est défait. Le sénat reconnaissant ordonne qu'on affranchisse les généreuses esclaves auxquelles l'état doit sa gloire et son salut les dote aux dépens du trésor public, et leur permet de porter l'habillement qui avait servi à leur heureuse superche­rie. Il veut aussi qu'on appelle ce jour les «  nones Caprotines », du nom de cet utile figuier, que chaque année une fête solennelle en rappelle le souvenir, et que le suc laiteux qui dé­coule de cet arbre soit versé sur l'autel de Junon. Des ber­ceaux formés de branches de figuier couvrent les tables où les esclaves joyeuses célèbrent publiquement leurs Saturnales puis se jouent et s'exercent à de légers combats, qui figurent celui où elles assurèrent la victoire aux Romains.

C'est ainsi que l'histoire raconte l'origine de cette solennité, en y mêlant même la disparition de Romulus, que quelques monuments historiques placent cependant au jour du «  Populi fugium », comme nous l'avons observé. Mais n'y a-t-il pas quelque rapport secret entre ce figuier, dont le nom signifie aussi une chèvre, el cette chèvre immolée à la reine des cieux par les Phalisques et cette déesse honorée du surnom de «  Sospita » (qui sauve), comme l'esclave «  Tutela » (protectrice), Philotis (favorable), et dont la tête est ornée de la dépouille d'une chèvre ? Si je porte mes regards vers les cieux en ce moment où la Vierge céleste se lève pour présider à Juillet, je vois descendre sous l'horizon et périr la chèvre que porte le dieu Pan, le fécond Ae giochus. Et ce Romulus, ce fils du dieu Mars, qui disparaît aussi, alors au marais de la Chèvre, dont la divinité est annoncée par Iulus , comme celle d'Hercule l'est par « Iolas » faudra-t-il aussi demander à l'histoire qu'elle nous instruise de sa mort ?

Mais une nouvelle solennité appelle à la joie les enfants de Romulus ; c'est la Vitulalion., ou la fête de Vitula. Quelle est cette divinité? Si l'on en croit les anciens étymologistes, c'est la déesse de la joie et des plaisirs ; elle inspire une gaîté folâtre semblable aux transports de la génisse pétulante qui tondit dans les prairies, lorsque la chaleur du printemps fait germer sous ses pas l'herbe verdoyante : et de la vient le nom de la déesse. On la fête, disent les auteurs qui ramènent en­core à ce jour l'apothéose de Romulus, parce que le peuple fut transporté d'allégresse quand il apprit que son roi était élevé dans les cieux. L'allégorie, de son côté, peut aussi bien que l'histoire qu'elle enveloppe de son voile magique, expliquer ces trois jours relatifs à la mort du fils de Mars. Il disparaît le jour des nones au marais «  de la Chèvre » ; le lendemain, le peuple éperdu le pleure et s'agite au milieu du trouble et du désordre dans la solennité symbolique du «  Populifugium » ; enfin, le troisième jour, il est ressuscité, il est monté dans l'Olympe : ce n'est plus un homme égorgé par des frénétiques, c'est un dieu qui jouit, dans les bras de son père, de la plénitude de sa gloire. Il faut donc célébrer son apothéose par des fêtes joyeuses car il est des auteurs qui rangent ainsi ces trois cérémonies, dont nous n'avons changé l'ordre que pour nous conformer aux calendriers.

On entrevoit dès lors que ceux qui prétendent que «  Vitula » est la déesse de la Victoire, n'ont pas une opinion étrangère au sens que présente sa fête. Le dieu vainqueur a dompté la mort et les ténèbres ; il s'avance triomphant dans les cieux. C'est encore par une suite des mêmes idées que d'autres ont voulu que «  Vitula » présidât à la vie, à l'entretien de l'existence, et que ce fût sous ce rapport qu'on l'invoquait pour les fruits de la terre ». N'est-ce pas, en effet, au mois que nous décrivons que la terre va livrer les trésors sortis de son sein pour nourrir tous les êtres qui vivent sur sa surface? La même déesse était donc à la fois le génie de la gaîté, de la victoire el de l'existence. Lorsqu'à la fin du second jour qui suit les nones, le soleil descendra au fond de l'Océan, on verra briller, sur le sombre voile de la nuit, les étoiles du père d'Andromède, qui s'élève alors sur l'horizon. Mais le troisième jour sera celui qui éclaira la naissance de César. Des fériés consacrent ce jour à jamais mémorable.

Encore deux jours, et les jours consacrés à Mercure com­menceront ; ils durent jusqu'au 14 des calendes d'août, c'est-à-dire pendant six jours, et se renouvellent encore au 12 des calendes d'octobre el au 14 de celles du dernier mois. Ces jours sont-ils des solennités où la religion honore particulièrement le fils de Maïa? ne sont-ce pas plutôt des jours où ce dieu protec­teur du commerce, dont ses talents divers animent l'industrie, voit les marchands se réunir dans un même lieu pour exciter un concours particulier ? N'est-ce pas au contraire de l'astro­nomie qu'il faut apprendre la destination de ces jours ? et ne faut-il pas y voir tout simplement ces portions de temps in­tercalaires et mercédoniennes calculées par Numa, pour con­cilier l'année solaire avec celle que composent les cercles parcourus par le char de Phoebé? L 'antiquité est muette sur cette question.

Mais elle daigne nous, instruire sur une autre particularité du premier de ses jours, sur la fondation du temple de la Fortune, distinguée par la dénomination de «  Femme » ou « Fémi nine ». Profanes indiscrets, n'allez pas penser que le titre sous lequel elle était honorée en ce mois lui ait été donné, par une critique irreligieuse, pour caractériser son inconstance et sa légèreté. Un des plus beaux évènements des fastes de la répu­blique, un mémorable exemple du pouvoir de la nature et de l'amour sur une grande âme lui a valu et ce nouvel hom­mage et ce nouveau surnom. Coriolan marchait contre Rome; déjà il était arrivé au quatrième mille sur la voie Latine. En vain des ambassadeurs, en vain des pontifes saints ont essayé de le désarmer. Mais Véturie paraît, et, avec elle, son épouse et ses enfants. Son cœur ne résiste plus. « Patrie ingrate, s'écriè-t-il, tu as attaqué et vaincu ma colère en empruntant les prières d'une femme, au sein de laquelle, malgré les in­justices, j'accorde leur pardon et ton salut! » Il dit, et fait retirer son armée. En reconnaissance de cet événement heureux, on éleva en cet endroit un temple à la Fortune Fémi­nine, dont la statue parla même plus d'une fois le jour de sa consécration.

Mais quelle est cette pompe que je vois briller aussitôt que l'aurore annonce le jour des ides? c'est la procession des che­valiers, noble institution de Fabius, selon quelques-uns, ou témoignage de piété, selon d'autres. Les Romains venaient de triompher enfin de leurs voisins confédérés pour rétablir les Taquins sur le trône. Mais Rome tremblait encore sur le sort de son armée, dont elle ignorait le succès, lorsque tout à coup on aperçoit deux jeunes cavaliers couverts de sueur et de poussière, se lavant à la fontaine que l'on voit encore au milieu du Forum, où la religion l'a consacrée, annonçant la victoire, disparaissant tout à coup. Déjà on les avait vus aussi aux bords du lac Régille, combattant pour les Romains. On ne douta pas que ce ne fussent les fils de Léda ; aussitôt on leur voua un temple et on institua cette procession annuelle des chevaliers au jour même de leur apparition. Un sacrifice pompeux ouvre la cérémonie. La troupe brillante se met en­suite en marche, divisée par tribus et par curies, le front couronné d'olivier, vêtue de la trabée triomphale, et monté sur les coursiers qu'elle tient des bienfaits de la république; elle part du temple de l'Honneur, traverse la ville éternelle, salue en passant dans la place publique le temple des divini­tés tutélaires de Castor et Pollux, et monte au Capitole pour rendre grâces au maître des dieux ; cérémonie auguste et im­posante, où plus de cinq mille chevaliers romains, les vain­queurs et les appuis du monde, offrent le spectacle le plus digne de la majesté et de la grandeur de l'empire !

Mais si ce jour brillant rappelle un des évènements les plus heureux pour la république, celui qui le suit fut marqué dans ses fastes des plus sinistres caractères. Jour noir, jour à jamais funeste, où Rome vit périr toutes ses espérances sur les bords sanglants de l'Allia! Les féroces habitants des Gaules, descen­dus comme un torrent du haut des Alpes, vont étendre leurs ravages jusqu'à la ville du dieu Mars; Rome, sans armée, sans appui, va être la proie des flammes et des brigands! Quel jour fût jamais plus lamentable? quel jour dut laisser à la postérité un plus long deuil? Que les temples soient fer­més, que toute occupation cesse ! Rome doit se livrer tout entière au douloureux souvenir que lui rappellent ses fastes! Le même jour, l'astre qui précède la Canicule, brille dans les cieux et annonce cette brûlante constellation.

Cependant le règne de la tristesse est passé, la gaîté renaît; je vois le peuple accourir en foule dans les bocages sacrés pour y fêler les dieux sous leur ombrage frais et religieux ; on célèbre les « Lucaries ». Ce bois antique et vaste qui s'élève sur le bord du Tibre, près la voie Salaire (1), hors des murs de Rome, est surtout le sanctuaire de la fête. C'est, dit-on, parce qu'il servit de retraite aux Romains vaincus, le jour précédent, par les Gaulois. Mais une équivoque trompa nos aïeux ; ce jour n'est la fête des Bocages que parce qu'il est celle de la Lumière. Dans quel mois en effet l'astre du jour développe-t-il une plus grande magnificence, une lumière plus vive, plus pure et plus durable? Où pouvait-on mieux célébrer le triomphe du dieu de la lumière, les plus longs et les plus beaux jours de l'année, que dans le fond des bois, sous le dôme épais et verdoyant du feuillage développé dans toute son étendue, sur le gazon dont il entretient la fraîcheur?

Mais, que vois-je? la hache fait tomber les rameaux de ce bois sacré. Privé de sa parure, il n'offrira, jusqu'au printemps nouveau, que des troncs stériles et nus, où l'oiseau trompé cherchera vainement ces voûtes touffues qui cachè­rent ses amours et retentirent de ses chants. Et qui profitera du produit de ces vertes dépouilles des bocages? ceux qui, chaussant le cothurne et le brodequin, étalent sur la scène, ou l'héroïsme de la tragédie, ou le ridicule de la scène co­mique ; c'est aux dépens des bois sacrés que l'état paie les histrions qui l'amusent !

Le lendemain de cette solennité, des jeux se célèbrent avec pompe et prolongent le règne de la joie et des fêtes. C'est en ce jour qu'Octave a voulu consacrer le grand prétexte qui lui mettait les armes à la main , pour écarter tous ses concurrents à la souveraine puissance.

(1). La «  Via Salaria » commençait, en effet, à la porte Colline, et était fort éloignée du Tibre dans Rome. II fallait donc que ce bois fût hors de Rome, parce qu'alors le Tibre et cette voie se rapprochent, et que ce n'est que de cette manière, qu'on peut entendre ces mots de Festus : « Inter viam Salariant et Tiberim »

A peine arrivé d'Apollonie, où César, son oncle, l'avait envoyé, il veut qu'on le reconnaisse publiquement pour son vengeur ; et afin de se préparer di­gnement à remplir ce sanglant ministère, il veut réveiller par un mouvement public le souvenir des victoires du dictateur. Les magistrats, obligés de donner les jeux institués en mé­moire de ces victoires, n'osaient s'en charger. Octave les donna lui-même à leur place. Ce fut donc en ce jour que l'on rap­pela, par des jeux, le souvenir de cette triste victoire, où Rome avait déchiré ses propres entrailles dans les champs en­sanglantés de Pharsale ! Ce même jour, le Lion de Némée voit le char du Soleil com­mencer à éclairer sa brûlante demeure.

Le jour suivant, on retourne en foule aux bosquets sacrés, où les fêtes de la Lumière recommencent. Jour brillant! tu fus pour l'Egypte le premier des jours ! tu marquas la plus belle saison de son année, s'ouvrant avec l'ardente constellation de Sirius ; et dès lors , tu dus être pour ses peuples le jour de la naissance du monde car le monde fut vraiment créé pour chaque peuple, à l'époque où la nature se mani­feste pour lui dans sa plus grande puissance ; et c'est ainsi que la bonté du grand être renouvelle les créations, et, par cette succession de périodes semblable?, roule perpétuelle­ment l'univers dans le cercle de l'éternité.

Mais déjà l'aurore a versé deux fois sur les Campagnes la rosée qui jaillit en perles brillantes. On célèbre la fête du dieu Mars qui recommence encore après quatre jours. Des treilles, des cabanes de feuillages bordent les deux rives du Tibre, et voilent de leur ombre les plus folâtres orgies. Des nacelles volent sur ses eaux, théâtre de la joie et des plai­sirs des mariniers de ses bords. De ce moment, jusqu'au dernier du mois, le Cirque déploie aussi la pompe de ses jeux. Mais ce n'est point en l'honneur de Neptune que les chars y volent sur l'arène et disputent le prix ; c'est dans un autre mois que Neptune est fêté comme dieu des coursiers et des sages conseils, el rappelle l'alliance antique de Rome avec ses voisins.

Une autre solennité suit la fête de la déesse Furina, déesse dont le culte fut jadis célèbre, mais dont maintenant on ignore presque jusque nom. Quelle est celle divinité ? l'obs­curité, qui l'enveloppe ne nous permet pas de le dire, et le malheureux Gracchus n'éprouva que trop que la religion n'en protège plus le sanctuaire. Est-ce la première des Furies ven­geresses des crimes, l'aînée des cruelles Euménides, image redoutable de cette divinité plus sensible, dont l'âme est le temple du Remords, qui suit partout le coupable et qui fait son premier supplice ? Les monuments qui nous restent du culte de cette antique déesse célébrée autrefois dans tout le Latium , nous portent à le croire.

Enfin une dernière solennité nous appelle ; solennité cham­pêtre, fête joyeuse où la piété va demander à la blonde Cérès qu'elle daigne veiller sans cesse sur ces moissons jaunissantes que le zéphyr agite et roule en longs flots au fond de nos val­lées. Les Ambarvales commencent : ce n'est plus pour prier les dieux de faire croître heureusement les semences confiées aux sillons, mais pour amener à une heureuse maturité les grains qui enrichissent et couronnent le front de Cybèle. Les douze frères, dont le sacerdoce est consacré à l'agriculture, s'avancent à la tête de la troupe rustique qui cultive les cam­pagnes ; trois fois cette troupe religieuse se promène autour des champs, ornée de couronnes de chêne, formant des danses, répétant alternativement les refrains joyeux de l'hymne cham­pêtre et traînant, avec des liens de fleurs, la truie lente et grondeuse qui va arroser de son sang l'autel de gazon où l'on honore Janus et Jupiter. Sacrifice précurseur de l a coupe des moissons, le chantre des bergers, des campagnes et des hé­ros, t'a prescrit au laboureur comme un des premiers devoirs que lui impose le retour du printemps. Il lui a dit :

Quand l'ombrage au printemps invite au doux sommeil,

Lorsque l'air est plus doux, l'horizon plus vermeil,

Les vins plus délicats, les victimes plus belles,

Offre des vœux nouveaux pour des moissons nouvelles ;

Choisis pour temple un bois, un gazon pour autel,

Pour offrande du vin et du lait et du miel.

Trois fois autour des blés promène la victime

Et trois fois enivre d'une joie unanime,

Qu'un chœur nombreux la suive en invoquant Cérès.

Même avant que le fer dépouille les guérèts,

Que tous entonnent l'hymne, et couronnés de chêne,

D'un pied lourd et sans art frappent gaîment la plaine (1).

Lorsqu'il ne restera plus au mois qu'un seul jour, on cher­chera dans les cieux l'oiseau qui porte la foudre du maître des dieux et qui cessa un jour d'être le ministre de sa ven­geance pour devenir celui de ses plaisirs.

N. On lit dans le fragment d'Amiterne ces trois indications :

Entre le 6 et le 5 des nones : Fer. ex. S. C. quod ara Pa­ris Aug. in Camp. Mart. constitut. fax si Nerone et Varro Cos.

(1). Géorgiques, liv.I, traduction de M. l'abbé Delille. Les légers changements que nous nous sommes permis, uniquement pour notre application, rendent plus fidèlement le sens des vers latins.

La veille des nones : Feriœ Jovi. Ludi ad 01. in Comit. Le 17 des calendes d'août : Dii Saliensis,

1. On doit lire ainsi la première note : Feriœ ex senatus-consulto, quod ara Pacis Augustœ in Campo Martio constituta fax sit, Nerone et Varro consulibus.

Il est vraisemblable qu'il s'agit d'un autel élevé par ordre du sénat, en l'honneur d'Auguste, dans le Champ-de-Mars, lorsque, après la défaite d'Antoine et des autres conjurés, il eut donné la paix à l'univers. Elle reçut de lui le surnom d' Auguste, et les monuments offrent fréquemment cette inscription : Paci Augusti, Paci Augustœ.

2. La seconde note est relative à un sacrifice fait à Jupiter chez plusieurs peuples du Latium. On fêtait ce dieu et Junon au premier jour du mois. Chez les Amiterniens, ce n'était qu'au quatrième.

3. La troisième note est mal imprimée; il faut lire : Dies Alliensis, jour de la bataille d'Allia.

LIVRE VIII.

AOUT.

Le sixième mois, commence ; une loi du sénat a changé son ancien nom. « C'est dans le mois jusqu'à présent nommé « sextilis » , que l'empereur César Auguste a pris possession de son premier consulat ; qu'il a triomphé trois fois; qu'il a reçu le serment de fidélité de la part des légions qui occupaient le mont Janicule ; qu'il a subjugué l 'Egypte et mis fin à toutes les guerres civiles : il paraît donc que ce mois a toujours été très heureux pour l'empire. C'est pourquoi le sénat ordonne qu'il soit dorénavant nommé Auguste. »

Bienfaisante Cérès, toi dont la divinité veille particuliè­rement sur ce mois, viens m'inspirer pour que je chante dignement ces beaux jours de ton règne! Écarte ces dragons furieux qui emportaient ton char à travers les airs, et ces torches funèbres qui éclairaient ta course vagabonde, lorsque tu cherchais le tendre fruit de tes amours, qu'un dieu ravis­seur avait caché dans le sombre empire ! Mais viens telle qu'on le vit lorsque, calme et paisible, tu donnais des leçons au jeune Triplolème, l'air serein, le front ceint d'épis qu'en­lacent le bluet, le voluble et le pavot des champs, mêlant à l'or de ta couronne leurs nuances d'azur, d'albâtre et de ver­millon ; ou telle qu'unie à l'amoureux Iacchus, tu te mani­festes aux initiés dans le sanctuaire d 'Eleusis, lorsque le voile des mystères s'est levé pour eux ! C'est ainsi que tu dois as­sister aux travaux de ce mois.

Mois de richesses, les solennités durent commencer par un sacrifice à l'espérance ! Les promesses dont elle a flatté le la­boureur vont enfin se réaliser. Elle accompagnait l'homme des champs lorsqu'il confia ses semences à la terre ; elle doit recevoir le premier tribut des fruits qu'il en récolte. On va donc, au premier jour de ce mois, sacrifier à l'Espérance dans l e marché aux Légumes.

Mais, tandis que j'indique une solennité paisible et cham­pêtre, le spectacle des jeux vient rappeler le souvenir de la guerre et de ses ravages. Il rappelle cependant aussi le triple triomphe de César.

Le flambeau des guerres civiles était éteint mais une étin­celle s'en conservait encore en Espagne, où elle produisit un nouvel incendie. Les deux fils de Pompée, restes infortunés de la famille de ce grand homme, rallumèrent la guerre dans l'Espagne Citérieure, pour venger la mort de leur père, Cé­sar, honoré d'un quatrième consulat, vole de nouveau à la victoire, et l'obtient sous les murs de Munda ; victoire lamentable qui manqua de coûter la vie au vainqueur, et qui li­vra à l'opprobre et à la mort les enfants d'un des plus grands des Romains! Le dernier de ces infortunés, après avoir été longtemps encore la terreur des ennemis de son père, péril enfin sous le fer d'Antoine, et Didius vint faire à César la cruelle offrande de la tête de l'aîné! Mais les dieux semblaient avoir arrêté le sort de celle journée ; on vit sortir du milieu du champ de bataille un rameau de palmier. Ce n'était pas pour couronner ton front, immortel Jules, que les dieux firent ce prodige, mais pour orner celui du jeune Octave, qui com­battait alors sous les enseignes. Enfin tu vainquis ! concours étrange des circonstances arrangées par le destin, lu vainquis ! et le jour où tu versas les dernières gouttes du sang de Pom­pée , fut celui-là même où , quatre années auparavant, ce héros était sorti de Rome pour combattre contre Rome ! Hélas! le triple triomphe dont on honora les succès ne fut, pas le prix d'une victoire contre les nations rivales de la capitale du monde ! ce fut la triste récompense des Romains vainqueurs des Romains!

Mais un sacrifice au Salut public vient détourner mes pen­sées de ces sinistres images ! Aimable fille du dieu d'Épidaure, ce n'est, pas ton culte que le Quirinal voit célébrer ! c'est toi que les Romains vont fêter, divinité des vrais citoyens, au­guste Salut de la patrie! Veille sans cesse du haut de cette col­line aux prospérités du peuple romaine ! Tu dus le temple où tu reçois son encens au succès de ses armes contre les féroces Samnites, et Bubulcus en ajouta la dédicace à la pompe de son triomphe! La main de l'illustre Fabius avait orné ses murs des chefs-d'œuvre de son pinceau, Mais, hélas! l'affreux incendie qui ravagea ce temple sous le règne de Claude, n'a pas permis que nous en admirassions les merveilles ! La même colline où le Salut public reçoit notre hommage, voit aussi fumer l'encens en l'honneur du Soleil «  Indigète  » . Bien­faisante divinité de la nature, ce surnom te viendrait-il du besoin qu'ont tous les êtres de ta chaleur vivifiante, ou de l'universalité du culte que tu reçois sous tant de noms différents ? Serait-ce parce que chaque contrée le regarde comme son dieu particulier, parce qu'en effet tu es celui de toutes les parties du monde ? Nous reconnaissons une classe de divinités locales et indigènes ; le pieux Énée, le digne fils de la mère des Amours, reçut le premier ce titre sacré, lorsque, du mi­lieu des roseaux de Numice, il fut reçu dans l'Olympe, et devint le Jupiter du Latium. Ne serait-il que ton image? et ton temple placé sur le Quirinal, sur la colline Agonale de Janus, ne le montrerait-il pas encore sous les doubles traits de cette divinité, vraiment indigène du Latium?

Cependant les clairons guerriers retentissent de nouveau ! Rome célèbre encore une fête en mémoire du triomphe de César, sur l'Espagne Citérieure. Hispalis supportait avec peine la domination de son vainqueur : elle égorge les soldats ro­mains préposés à sa garde. Mais bientôt elle en est sévèrement punie. César laisse, à ses habitants assiégés, l'espérance et la facilité de fuir ; puis il les enveloppe dans des embûches, et pénètre au milieu des murs dépouillés de leurs habitons. Lorsque l'étoile du matin annoncera le règne de la lumière, Ops et Cérès recevront l'encens des Romains dans le quartier qui prend son nom de la déesse qui joint les amants sous le joug conjugal. Dans quel mois ces sacrifices pouvaient-ils être mieux placés que dans celui où Cérès et la déesse des richesses vont enrichir la terre par la maturité des fruits qui parent sa surface? Le lendemain, c'est au cirque Flaminien que l'on court en foule pour adorer Hercule, qui en est le gardien. Mais que signifient ces feux qui brillent de toutes parts (1) ? c'est l'annonce de la fête qui, le lendemain, doit célébrer la naissance de Diane.

Le jour des ides se lève, jour brillant consacré à la chaste fille de Latone ! On court en foule au bois d'Aricie ; les femmes, armées de flambeaux, vont suspendre les bandelettes sacrées aux autels que le frère d'Iphigénie emporta de la Tauride. Souvent aussi l'Amour profile de ces courses religieuses.

(1). Les Lycnapsies, fêtes des flambeaux, courses la veille des ides.

« Cette divinité, toute vierge qu'elle est, tout ennemie qu'elle se montre des feux de l'amour, a souvent fait dans ces lieux de profondes blessures aux cœurs sensibles, » C'est là que Cynthie, éclairant ses pas avec des torches ardentes, courait sa­crifier au fils de Vénus, sous prétexte d'aller célébrer Diane. Une foule de chasseurs accourt aussi menant à sa suite ses chiens ornés de guirlandes; les doubles javelots, les dards sont offerts à la déesse au milieu des fleurs qui ornent son sanctuaire bocager ; elle couronne l'animal fidèle, nettoie les armes des chasseurs, et permet aux habitants des bois de s'égayer, sans craindre ni le fer meurtrier, ni le son de la trompe .

Une autre divinité champêtre reçoit aussi en ce jour l'hom­mage des Romains: c'est le dieu des fruits et de l'automne. On plaçait le commencement de l'automne quatre jours après les ides, dont les trésors naissants commencent à nourrir l'es­pérance du laboureur. L'amant de Pomone est orné de fes­tons et honoré d'un sacrifice particulier au milieu du grand bois de lauriers.

Quelle est encore cette cérémonie, ces espèces de Saturnales, où les esclaves des deux sexes se confondent avec leurs maîtres, et chantent la liberté au milieu de l'orgie qui les rassemble? C'est la fête de la naissance de Servuis, que quelques annales placent en ce mois. Ce bon roi, né d'une esclave, se plaît encore du haut des cieux à voir soulever un jour, en son hon­neur, le joug si pesant de la servitude! Les lotions fréquentes qui accompagnent la fête sont un rit introduit dans le culte par les esclaves, et qui, depuis, a été consacré par une loi commune à tous ceux qui approchent des autels et célèbrent un jour de fête.

Mais quoi ! Rome célèbre aussi le jour funeste où César vainquit dans les champs de Pharsale, théâtre funeste de la guerre civile : « de cette guerre sacrilège qui mit les lois aux pieds du crime; où l'on vit un peuple puissant tourner ses mains victorieuses contre ses entrailles, l'aigle s'exercer contre l'aigle, deux camps unis par les liens du sang, diviser l'em­pire et se disputer le coupable honneur de hâter sa ruine, avec toutes les forces du monde ébranlé. » Deux jours après les ides, le Dauphin, qui porta le chantre de Lesbos, disparaît dans les feux dont l'astre du jour vient embraser l'horizon.

Le lendemain on célèbre sur les bords du Tibre la fête du dieu des Ports, de «  Portumus », dans le petit temple que la piété lui éleva sur la rive d'un fleuve, près du pont Émilien. Ce dieu fut le fils du malheureux Athamas et de la triste Leucothoé, devenus tous deux des divinités marines. Mais la fête du jeune Palémon n'est à Rome qu'une fête joyeuse où les mariniers du Tibre chantent, dans leurs barques entou­rées de guirlandes, le dieu bienfaisant qui entretient le calme des eaux qu'ils sillonnent, et amène dans le port les vaisseaux nombreux qui les enrichissent; tandis que, sur le double promontoire de l'Isthme, de lugubres cérémonies rappellent l'aventure tragique de la mère et du fils. « Toutes les fois que Leucothoé, désolée de la perte de son cher Palémon, s'ap­proche du rivage de Corinthe, et que, pendant les jours con­sacrés à son culte, elle fait entendre les accents de son dés­espoir, alors les deux isthmes retentissent de gémissements, et Thèbes y répond par des clameurs lamentables ».

Deux jours se passent, et les secondes « Vinales », ou la fête des vendanges arrive. Nous avons vu les premières au mois consacré à Vénus ; elles appartenaient à cette déesse, dont la fé­condité, répandue dans le sein de la nature, fait germer la vigne et pousser les bourgeons dont doit naître un jour la grappe pourprée. Mais aujourd'hui Bacchus vient recueillir ses trésors que, les brûlants soleils de l'été ont mûris. C'est à Jupiter, au génie du monde, que ces secondes Vinales, ces Vinales Rustiques sont consacrées. Il recevra la libation du premier vin qui jaillira des tonneaux qui vont le renfer­mer.

Le flamme commence par faire l'ouverture de la ven­dange; un agneau femelle est immolé, et, avant que d'en offrir les entrailles fumantes, le pontife prend une grappe de raisin, la pressure dans une coupe, et consacre ainsi les pré­mices du vin. On prépare ensuite tous les instruments, on se met à l'ouvrage, et la religion exige encore la première li­queur exprimée de la grappe avant qu'elle ait reçu la prépa­ration qui doit en faire le vin. Des plantes odorantes sont embrasées et pétillent quelques instants sur les autels; elles servent à parfumer les tonneaux où le vendangeur va verser la liqueur de Bacchus.

On chante alors, dans une joyeuse orgie, les louanges de Jupiter et de Vénus; car quelques auteurs prétendent que Vé­nus partage aussi le culte de ce jour. Toute la ville retentit des accents de la joie et du tumulte des Bacchanales.

Lorsque le soleil revient ensuite pour la seconde fois éclai­rer le monde, un autre spectacle appelle nos regards : ce sont les fêtes de Consus. Dans l'origine, ces fêtes ne consistaient qu'en des courses qui se faisaient sur le gazon du Champ-de-Mars. Bientôt elles furent transformées en des jeux du Cirque.

Quel est ce dieu? pourquoi l'épithète de «  cavalier  » donnée au dieu des mers? et pourquoi cette divinité mixte porte-t-elle le nom de «  Cor s us  » , ou de dieu des conseils? Faudrait-il dire, avec Plutarque, que les chevaux et les mulets sont sous la protection de Neptune, parce que ces animaux furent bien soulagés, quand on eut trouvé le moyen des transports par eau et de la navigation ? Faudra-t-il croire, avec d'autres, que si le culte de ce dieu était lié avec celui de la terre, si son autel était tiré mystérieusement du sein de la terre, c'est parce que l'eau de la mer contribue souvent aux tremblements qui agitent le globe? Dirons-nous enfin que le dieu des mers fut changé en cavalier, parce que le mot qui signifiait «  cheval  » désigna, par métaphore, les vaisseaux ; et que, quant à l'épithète de «  Co n sus  » , elle n'avait, dans l'origine, aucun rap­port au mot et à l'idée de conseil, mais qu'elle se forma de la préposition cum (avec), et du verbe sua (coudre, assembler), parce que les vaisseaux sont des assemblages d'ais ? Nous pensons que ces attributs de Neptune sont dus à des idées plus simples. Les premières notions mythologiques nous ap­prennent que Neptune est l'emblème de la mer. On sait que le cheval figure à chaque scène de son histoire : quand il naît, Rhéa fait croire à Saturne qu'elle est accouchée d'un che­val, et lui en donne un à dévorer ; dispute-t-il avec Minerve pour savoir à qui appartiendra l'Attique, cette déesse fait naître l'olivier, et le dieu fait sortir un cheval de la terre. Est-il amoureux de Cérès ; il prend la forme d'un cheval pour obtenir ses faveurs ; l'esl-il d'Alopé ,1e fruit de leurs amours est nourri par une jument. Volage amant, est-il épris des charmes de Méduse, c'est un cheval qui naît de leurs amours ; cheval à jamais, célèbre, placé au rang des constellations ; en un mot Pégase ! Que penser de tant de fables où l'on voit figurer le cheval avec Neptune ? On sait que ce dieu a souvent été représenté sous l 'emblème du Verseau, le génie des pluies et des eaux. Si l 'on s'attache à cette allégorie, il suffit de jeter les yeux sur la sphère pour que tout s'explique. On y verra le signe du Verseau presque uni à celui du Cheval ou de Pégase, placé même sur le petit cheval dont la tête semble se confondre avec la sienne ; explication bien simple de la supercherie faite à Saturne. Minerve est la lumière éthérée : elle lutte avec le Verseau, puisque ce signe précède presque immédiatement celui du Bélier, où réside le grand empire de la lumière; et le Verseau produit alors le Cheval, qui, avec les Poissons, autre symbole de Neptune, occupe en effet tout l'espace entre le Verseau et le Bélier. S'il est vrai, comme on l'a prétendu, que Méduse soit un des poissons célestes, la naissance de Pé­gase se conçoit alors tout naturellement. Observez ensuite les deux, lorsque le soleil entre au signe de Cérès, ou de la Moissonneuse, ou de la Vierge, les signes les plus brillants en opposition avec elle, sont le Verseau et Pégase, etc., etc. Telles peuvent être les raisons qui auront établi tant de rap­ports entre Neptune et le cheval. Quant à l'épithète de «  Con­stat », elle est relative tout simplement à la supercherie de Romulus, qui, ayant imaginé d'appeler les peuples ses voisins aux jeux de Neptune Équestre, feignit d'avoir trouvé, dans la terre, l'autel d'un certain dieu , et donna à ce dieu, qui n'était autre que Neptune , l'épithète de «  Consus », dieu , du conseil, par allusion à l'idée qu'il avait eue de faire ser­vir les jeux de ce dieu à l'enlèvement des Sabines. Le culte de Neptune Équestre existait depuis longtemps dans le Latium. Le même jour le soleil entre au signe de la Vierge.

Un jour se passe, et ce jour, dont la moitié est une férié, précède et prépare les fêtes de Vulcain. Et dans quel moitié dieu du feu pouvait-il être célébré plus convenablement, que dans celui où, donnant à la terre cette chaleur interne, si propre à développer les derniers principes de la maturité de ses productions, il l'enrichit des trésors de l'été et prépare ceux de l'automne ?

Le temple de ce dieu avait été consacré dans le cirque Flaminien, le jour où depuis on célébra sa fête. On dit que ses gardiens étaient des chiens fidèles qui dévoraient les sacri­lèges. Le jour de sa fête on commençait toujours quelque ou­vrage, comme aux calendes de janvier, mais seulement par forme d'auspice et comme pour établir un heureux présage pour les travaux du reste de la saison. Il paraît aussi que l'on rappelait alors d'anciens sacrifices où l'on brûlait des hommes en l'honneur de Vulcain : car Festus dit que le peuple jetait alors aux flammes des bestiaux pour victimes de substitution; circonstances qui semblent se rapporter à l'époque où l'année commençait avec le mois de septembre. Nous avons vu, dans tout le cours de notre ouvrage, que les fins de période sem­blaient annoncer la fin du monde, soit par une inondation, soit par un incendie, et que ces idées apocalyptiques entraînaient toujours des sacrifices humains.

Quoi qu'il en soit, il était d'usage que ce jour-là chacun laissât consumer entièrement ses victimes au milieu des flammes, sans en rien conserver. Quelques-uns appelaient cette pratique «  protervia », qui était proprement un genre de sacrifice où l'on jetait dans le feu tous les restes du repas, comme Moïse ordonna qu'on le fit de l'Agneau pascal ; céré­monie également apocalyptique. Aussi Caton voulant faire une épigramme sur un certain Albidius, qui avait aliéné toute sa fortune, à l'exception d'une maison à laquelle il avait mis le feu, disait-il plaisamment, qu'il avait fait le sa­crifice «  protervia », où l'on brûle ce qu'on n'a pu manger.

On offrait à Vulcain, dans ces fêtes, un veau roux et un verrat ; c'est ce que prouve celle inscription assez curieuse, trouvée à Rome et rapportée par Gruter :

Haec . area. intra. hanc. definitionem. cipporvm. Clavsa. vervbvs. et. ara. iest. inferivs. DEdicATA . est. ex. voto. svscepto. qvod. div. erat, neglectvm. nec: redditvm. incenmorvm.

A rcendorvm. cavsa. quando. vrbs. per. novem. Dies. arsit. N eronianis. temporibvs. et. hac. L ege. dedicata. est. nec, vi. liceat. intra . hos, T erminos. aedificivm. exstrvere. manere. N egotiari, arborem. ponere. alivdve. qvid. serere. et, vt. praetor. gvi. HaEC. regio. sorti. obvenerit. litaturum. se. sciat. amvsve. qvis. M agistrats. V olcanaubvs. x. kal. sept. omnib V s. A nNIS. vitulo. robio. et. verre.

Terminons cet article par observer que le culte de Vulcain était fort ancien dans le Latium. « On vit aussi parmi les guerriers de l'Ausonie, dit Virgile, le fondateur de Préneste, le jeune prince «  Ceculus », que tous les âges ont cru né de Vul­cain, dans les champs, au milieu des troupeaux, et trouvé dans un foyer. » Le commentateur Servius, dont l'ouvrage est si précieux par les antiques traditions qu'il a conservées et les connaissances qu'il avait puisées dans des ouvrages de l'an­tiquité, que nous n'avons plus, rapporte cette histoire sur «  Ceculus » : « Préneste, dit-il, a ses prêtres et ses dieux indigètes, ainsi que Rome. Il y avait deux frères que l'on nom­mait Dieux (Divi). Leur sœur étant assise auprès, du foyer, une étincelle qui jaillit sur elle, frappa son sein, et l'on dit qu'elle en devint enceinte. Elle accoucha ensuite d'un fils, près du temple de Jupiter. Des vierges, en allant puiser de l'eau, le trouvèrent près d'un foyer qui n'était pas loin de la fontaine ; ce qui le fit nommer fils de Vulcain. On le surnomma « Céculus », parce qu'il avait les yeux petits, effet assez ordinaire de la fumée. Après avoir fait longtemps le métier de brigand, à la tête d'une troupe nombreuse, il bâtit Préneste sur les montagnes ; et ayant invité à des jeux, les peuples voisins, il commença à les exhorter d'habiter dans sa ville naissante, leur y promettant l'honneur d'être associés à un fils de Vulcain. Comme on n'ajoutait pas foi à ses discours, il pria son père de faire voir qu'il était son fils; et aussitôt une flamme étincelante environna toute cette multitude, qui, touchée de ce prodige, ne balança pas à habiter avec lui et à le regarder comme fils de Vulcain.

Ce conte a tant de ressemblance avec celui de Romulus et avec celui de Servius ( Tullius) , qu'on peut dire hardiment qu'ils ont été jetés dans le même moule, et que «  Céculus » est une allégorie relative à la divinité primitive de Préneste, le feu ou Vulcain, emblème de la divinité suprême. Quant aux deux personnages appelés Dieux, on ne peut y méconnaître les «  Dioscures », ou le Soleil d'été et le Soleil d'hiver, qui ont la Lune pour sœur.

Le lendemain de cette solemnité, on va sacrifier à la Lune dans le GrœcoStasis, c'est-à-dire au portique attenant les Comices , et sous lequel on recevait les ambassadeurs des nations étrangères.

Lorsque l'aurore amènera le jour suivant, on célébrera les «  Opiconsives ». C'est la fête d'Ops ou la terre, à laquelle on donnait, à cette époque, l'épithète de «  Consiva », parce qu'on commençait alors à faire différentes semailles. « Le lieu con­sacré à Opiconsiva, dit Varron, était dans la «  Regia »; ce qui avait été ainsi déterminé pour que personne n'y entrât, ex­cepté les vestales et le grand prêtre. Lorsque ce dernier y entre, il ne doit pas avoir de ceinture. »

Deux jours se passent, et une nouvelle solennité est prépa­rée : c'est la fête de Vulturne. Quel est ce dieu? est-ce le dieu du Tibre' ? N'est-ce pas plutôt un surnom d'Apollon, adoré sur le mont Lissus, près d'Éphèse, en lonie, et honoré de ce surnom par un berger que des vautours avaient retiré d'une caverne par l'intercession de ce dieu? Les monuments du Latium ne nous permettent pas de décider cette question.

Les calendriers marquent ainsi le jour qui suit : Le 5 des calendes on dédia un autel à la Victoire dans la Curie. Après avoir célébré par tous ces triomphes son entrée dans Rome, Auguste éleva à Minerve un temple nommé « Chalcidicum », dédia la curie Julia, bâtie en l'honneur de son père, et y plaça une statue de la Victoire, que l'on y voit encore aujourd'hui. Cette statue avait été apportée de Tarente : elle fut ainsi placée par Auguste et ornée des dépouilles de l 'Egypte, pour témoigner qu'il devait son empire à la Victoire.

Les « Volcanales » recommencent; on ouvre le sanctuaire se­cret de Cérès; Andromède brille dans les cieux le soir du jour heureux qui vit naître Germanicus ; et ce jour termine le mois qui s'honore du nom d'Auguste.

N. Quelques calendriers contiennent d'autres fêtes. le calendrier de Constant : le 5, fête du Soleil et de la Lune. Le fragment d'Amiterne : la veille des ides, sacrifice à Her­cule Invaincu au grand Cirque, à Vénus Victorieuse, à l'Hon­neur, à la Vertu, à la Félicité au Théâtre de marbre. Le 19 des calendes de septembre, fête de Castor et Pollux, au cirque Flaminien. Fragment des Capranici: le 14 des calendes, à Vénus, près du grand Cirque. Le 8, à Ops, au Capitole.

LIVRE IX.

SEPTEMBRE.

Ce mois reçut le nom qu'il a conservé jusqu'à nos jours, de ce qu'il était le septième de l'ancienne année qui commen­çait en mars, Quelques étymologistes ont cru que ce mot était composé de «  septem », pour l'ordre du mois, et de «  imber », parce que les pluies commencent dans ce mois et continuent dans les autres, qui ont la même terminaison, octo - imber, nov-ember, dec-ember.

Quoi qu'il en soit, la flatterie lui donna les noms de plu­sieurs empereurs. Ainsi le sénat voulut le nommer le mois «  Tiberius », en l'honneur de Tibère, qui eut le bon sens de se refuser à cet honneur Dion Cassius dit que ce fut le mois de novembre que l'on voulut consacrer à Tibère, parce qu'il était né le 16 des calendes de décembre. Domitien ayant pris le surnom de Germanique, le donna également à ce mois ». Le sénat, sous le règne d'Antonin le Pieux, voulut qu'il fut ap­pelé le mois Antonin, et octobre le mois «  Faustin »; mais l'em­pereur philosophe ne le permit pas. Commode, après avoir changé tous les noms des mois et leur avoir donné tous les nouveaux surnoms qu'il avait pris lui-même, l'appela le mois Herculéen. Enfin l'empereur Tacite voulut qu'il prît ce nom, parce qu'il était le mois de sa naissance. Mais tous ces sur­noms ont disparu, avec les flatteurs et les tyrans, et il n'est resté que celui qui tenait à l'ordre de l'année.

Ce mois est sous la protection de Vulcain ou « Phtas », adoré à Préneste et chez les Sabins, qui lui élevèrent un temple à Rome, sous Titus Tatius, du temps de Romulus. Un ancien hymnographe s'exprime ainsi sur le dieu présidant à ce mois : « Je te salue, dieu puissant, qui règnes sur l'élément du feu, puissant fils de Junon, triste époux de la belle Vénus, grand Ephaïstos, inépuisable Phtas, toi qui, précipité du ciel dans l'île de Lemnos, y établis ton empire ; rival de Prométhée, qui formas la première femme, la belle Pandore, épouse d'Épiméthée, dont la curiosité fatale ouvrit la boîte d'où s'é­chappèrent tous les maux qui affligent les mortels; amant de Minerve, qui pourtant rendit vaines tes bouillantes caresses; amant d'Àglaé, père de Cupidon et d'Ocrisia, fais suspendre, à ma voix, les marteaux qui retentissent dans les antres de l'Etna, et viens seconder mes chants! C'est par toi que s'entretient l'activité de la nature; principe créateur du monde et qui dois aussi le dévorer un jour, c'est toi qui allumes les volcans et entretiens, au sein de la terre, un réservoir intarissable de feux, restes de l'embrasement primitif! Mais dé­posant tes forces, c'est toi qui, divinité bienfaisante, circules dans le sein de la terre, cuis ses métaux, peints ses marbres, montes avec la sève jusqu'aux derniers rameaux, et colores insensiblement les fruits de l'automne, etc., etc. »

Au premier jour de ce mois on élève un temple à Jupiter Tonnant au bas du Capitole. Ce fut un ouvrage d'Auguste. Dans son expédition contre les Cantabres, la foudre tomba au mi­lieu de la nuit sur sa litière, et étouffa un de ses esclaves. Jupiter veillait pour le prince et sauva sa tête. Le 4 des nones était un jour mémorable, où l'on célébrait le souvenir de la victoire d'Actium, et le lendemain celle d'Octave sur Lépide, en Sicile. Alors on allait en procession aux reposoirs (ad pulvinaria). Le calendrier d'Amiterne porte cette indication, et elle ne signifie, pas autre chose qu'un lectisterne, cérémonie qui n'avait lieu que pour rappeler le souvenir des évènements, ou très affligeants, ou très heureux. On couchait les statues des dieux sur des lits (pulvinaria) magnifiquement dressés dans leurs temples, on leur servait à manger, et chacun prenait part au festin.

La veille des nones et les huit jours suivants, les «  jeux Romains » se célèbrent avec toute leur solennité. Ces jeux, sur­nommés aussi «  grands Jeux, jeux du Cirque », furent institués sous les rois de Rome. Tite-Live en rapporte l'origine à Tarquin l'Ancien : « Sa première expédition, dit-il, fut contre les Latins. Elle lui valut la ville d'Apioles et beaucoup plus de butin qu'on n'aurait dû le présumer d'une expédition si peu importante. A son retour, il fit célébrer des jeux à Rome, avec plus d'ordre et de magnificence qu'aucun de ses prédé­cesseurs n'avait encore fait. On y destina dès lors et pour tou­jours la place que nous nommons le grand Cirque (Circus maximus). On y marqua des places distinguées pour les séna­teurs et les chevaliers. Ils y firent construire des loges (qu'on appelait Fori) élevées à douze pieds du rez-de-chaussée, sur une charpente qui les soutenait. Ces jeux, qu'on a continué de célébrer tous les ans sous le nom de grands Jeux ou jeux Romains, consistaient en courses de chevaux et en combats d'athlètes, que Tarquin faisait venir la plupart d'Étrurie ».

Dans la suite on y mêla les représentations théâtrales, el ils furent également appelés «  jeux Scéniques ». D'abord ils ne durèrent qu'un jour, puis deux, et jusqu'à trois, enfin un plus grand nombre. On voit, dans les anciens calendriers, qu'ils se continuaient depuis le jour qui nous occupe ici jusqu'à la veille des ides du même mois ; et qu'ensuite, deux jours après, on célébrait d'autres jeux Romains dans le Cirque, pendant cinq jours.

Le jour des ides était celui de la fameuse cérémonie du Clou sacré. « Sous le consulat [de C. Genutius et de L. Emilius Mamercus, qui exerçaient cette magistrature l'un et l'autre pour la seconde fois, les Romains, moins sensibles à leurs maladies qu'à l'inquiétude de n'avoir pu trouver encore le secret d'apaiser les dieux, apprirent de leurs vieillards qu'une fois
la contagion avait cessé dans Rome aussitôt qu'un dictateur eut attaché un clou au Capitole. Le sénat se détermina là dessus à demander un dictateur pour réitérer cette cérémonie.

« Il était dit, par une loi conçue en vieux termes et écrites en caractères antiques que le premier des magistrats en exer­cice devait attacher ce clou le jour des ides de septembre. On l'enfonçait au côté droit du temple de Jupiter, du côté où est celui de Minerve. Il servait, dit-on, à marquer,le nombre des années dans un temps où les lettres numérales n'étaient pas encore en usage, et l'on avait choisi pour cet effet le mur du temple de Minerve, parce que l'art de compter était réputé de son invention. Cincius, très versé dans ces sortes d'antiquités, assure que l'on voyait de son temps de pareils clous dans le temple de la déesse Nortia (1). Après le bannissement des rois, Horatius, consul, avait ainsi marqué son consulat dans le temple de Jupiter, qu'il avait dédié. Le dictateur, quand il y en avait un, faisait la cérémonie préférablement aux consuls, parce que sa magistrature était supérieure à la leur. L'usage s'en était perdu, lorsque, pour le renouveler, On s'imagina qu'il ne fallait rien moins qu'un dictateur. »

(1). Ou «  Nurfia », nom sous lequel la Fortune était honorée à « Sutrium » en Étrurie.

On a cru, comme on voit, que ce clou était destiné à marquer, le nombre des années, et on a regardé cette cérémonie
comme une preuve : de l'ignorance, et de la barbarie des Romains.

Le même jour fut dédié le temple,de Jupiter- Capitolin. Ce temple, voué par Tarquin l'Ancien, avait été bâti par Tarquin 1e Superbe; mais il n'avait pu le dédier parce que peu de temps ayant qu'il fût achevé, ce prince fut chassé de Rome. Il fut enfin terminé sous le troisième consulat de Publicola. Ce fut son collègue Horatius qui obtint la faveur d'en faire la dé­ dicace ou consécration, que Plutarque place aussi au jour des ides de septembre. Tout le monde étant assemblé au Capitule, Horatius, après avoir achevé toutes les autres cérémonies, te­nait déjà un des poteaux ; tous les assistais, attentifs à son action, gardaient un religieux silence, et il allait prononcer la prière solennelle de la consécration lorsque Marcus Valerius, frère de Publicola, jaloux de ce que son frère n'avait pas obtenu cet honneur, et qui s'était tenu fort longtemps à la porte pour épier le moment, lui cria : Horatius, votre fils est mort de maladie dans le camp .....Mais le consul ne fit que répondre ce peu de paroles : «  Qu'on jette son corps ou l'on voudra; je ne prends point de part à cette nouvelle » (1) , et il acheva la consécration. C'était une ruse de Valerius pour l'empêcher de l'achever. Mais, observe Plutarque, on n'en doit pas moins admirer la fermeté de cet homme, soit qu'il se fût aperçu de l'imposture, ou que, croyant vraiment son fils mort, il eût eu le courage décommandera son émotion.

Ce même jour, on célèbre des féries pour la découverte de la conjuration de Libon contre Tibère. Drusus Libon, de la famille des Scribonius, trompé par de faux amis qui lui exal­taient l'illustration de ses ancêtres, et livré aux magiciens et aux astrologues, qui berçaient sa crédulité des chimères d'une fortune et d'une élévation prochaines, conçut un projet contre l'état. Quand les perfides qui l'avaient abusé le virent dans le piège et entouré de témoins, ils le dénoncèrent. L'accusation se poursuivit sévèrement devant Tibère. Libon, voyant qu'il ne pouvait échapper, se tua lui-même au milieu d'un festin. « Ses biens furent partagés entre ses accusateurs et, sans attendre les comices, on donna la préture (qu'il occupait) à ceux qui étaient membres du sénat. Défenses aux parents de Libon de faire porter son image aux pompes funèbres : ce fut l'avis de Messalinus Cotta. Le surnom de Drusus interdit à la famille Scribonia; ce fut l'avis de Cnéus Lentulus. Prières solennelles, en actions de grâces pendant plusieurs jours ; Pomponius Flaccus les proposa. Gallus Asinius, PapiusMulilus, L et L. Apronius ajoutèrent qu'on offrirait des dons à Jupiter, à Mars, à la Concorde, et qu'on fêterait désormais les ides de septembre, jour où Libon s'était donné la mort.

(1). Celui que regardait le présage n'avait qu'à le rejeter, et déclarer qu'il ne le prenait pas pour lui : le peuple croyait qu'il n'avait plus rien de funeste et qu'il était détruit.

— Je rapporte à dessein ces avis et ces bassesses, dit Tacite; il est bon de savoir que la flatterie est un mal ancien parmi nous. Le lendemain des ides, on faisait la revue de la cavalerie. Nous avons vu qu'il faut bien distinguer cette cérémonie, de la procession des Chevaliers, qui se faisait aux ides de juillet Il paraît qu'il ne s'agissait ici que d'une simple revue. Nous ne trouvons absolument rien dans les auteurs anciens, au su­jet de cette cérémonie, qui se remettait en octobre.

Quelques calendriers placent au même jour la naissance d'Esculape. Le 8 des calendes d'octobre était le jour de la naissance d'Auguste , et les trois jours précédents il y avait marché, foire, ou cérémonie en l'honneur de Mercure. Le calendrier romain indique ainsi ce jour : HD. Augusti Nat. Lud. Circ. Les chevaliers romains célébraient cette fête pendant deux jours. Les autres empereurs affectèrent aussi le même honneur pendant leur vie, et souvent le sénat or­donnait qu'ils en jouiraient, quoiqu'ils ne le demandassent pas. Ainsi nous avons vu qu'au 4 des ides de juillet on célé­brait la naissance de Jules César ; au 6 des calendes de no­vembre, on fêtait celle d'Adrien au 4 des calendes de décembre, celle de Nerva ; au 1 8 des calendes du même mois, celle de Septimianus ; au 15 des calendes de janvier, celle de Gordien; le 9 des calendes du même mois, celle de Titus ; au 4 des ca­lendes de février, celle de Conslantin -le -Grand, etc. Le lendemain était le jour de la naissance de Romulus et Rémus. Le 5 des calendes d'octobre était la fête de Vénus Génitrix dans le forum de César. On connaît l'histoire fabuleuse des amours de Vénus et d'Anchise, si accréditée chez les Romains, qu'elle est représentée sur plusieurs monuments. Cette fable fit donner à la déesse le surnom de « Génitrix » , à cause d'Énée, de qui les Romains tiraient vanité de descendre. Jules César affectait d'avoir pour elle une vénération singulière, et la tête de Vénus se trouve souvent répétée sur ses médailles. Il lui fit élever un temple l'an de Rome 708, et le consacra par des jeux magnifiques, comme il en avait formé le vœu avant la bataille de Pharsale. Elle y portait aussi le surnom de Victorieuse.

Ce temple était de marbre, et situé dans le huitième quar­tier; c'était un superbe édifice pycnostyle (1), et près duquel César fit également bâtir un forum, c'est-à-dire un lieu ou l'on rendait la justice. « Les sanctuaires même de la justice, qui le croirait? peuvent servir à l'amour; et souvent sa flamme a pris naissance au milieu du tumulte du barreau, sous les murs, du temple somptueux de Vénus, près de ces lieux où la nymphe de la fontaine Appienne élance dans les airs ses eaux longtemps comprimées. Là, plus d'un jurisconsulte s'est laissé séduire par l'amour; chargé de défendre les autres, il n'a pu se défendre lui-même. Là, plus d'une fois la parole a manqué au plus éloquent. Le voilà chargé d'une nouvelle affaire ; c'est sa propre cause qu'il s'agit de soutenir. Du haut de son tem­ple, voisin de ces lieux, Vénus sourit malignement, en voyant le défenseur des autres briguer lui-même le rôle de client. »

César dédia dans ce temple cinq écrins de pierres précieuses, une cuirasse ornée de perles de la Grande-Bretagne, et le ta­bleau de Vénus Anadyomène par Apelles.

(1). M. Larcher, Dissert. sur Vénus, dit : avec un pycnostyle; ce qui semblait désigner une partie d'édifice, tandis qu'il ne faut entendre par ce mot qu'une des manières d'espacer les colonnes. Voyez Vitruve.

Il fit placer aussi, à côté de la statue de la déesse, la statue d'or de Cléopâtre, que l'on y voyait encore du temps d'Àppien «. Auguste avait dessein de l'ôter de ce temple, si l'on en croit Plutarque mais Àrçhibius, qui avait été ami de Cléopâtre, donna à ce prince mille talents, pour l'en détourner . Enfin, comme ce fut pendant la célébration des jeux de Vénus Génitrix que parut la fameuse comète, «  L'astre de César », dont parlent les auteurs contemporains, Octave, pour en perpétuer le souvenir, fit placer dans ce temple une statue de bronze de César, avec la comète sur sa tête.

Nous voyons que César avait aussi fait placer devant ce temple la statue du cheval qu'il avait coutume de monter. Pline nous apprend encore qu'il dédia devant le même temple deux tableaux d'Ajax et de Médée, de Timomachus, contempo­rain de ce prince qui les avait achetés quatre-vingts talent.

Terminons ces détails par observer que si la flatterie fit don­ner à Vénus, le surnom de Génitrix, la philosophie le lui avait appliqué longtemps avant César, comme la déesse de la géné­ration et de la reproduction de la nature.

LIVRE X.

OCTOBRE.

Ce mois prit son nom, de ce qu'il était le huitième de l'année commençant avec le mois de mars, octo-imber. Domitien,
né en octobre, lui donna son nom, comme il avait donné
celui de Germanicus, un de ses surnoms, au mois de septembre. « Mais lorsqu'on crut devoir effacer le nom funeste de ce prince de l'airain même et du marbre sur lesquels on l'avait tracé, les mois furent aussi dépouillés de l'usurpation tyrannique de
la dénomination qu'ils avaient reçue : grande leçon, qui, apprenant aux autres princes à éviter les choses de funeste présage y fit rendre leurs anciens noms à tous les mois depuis septembre jusqu'à décembre » Le sénat ordonna dans la suite, par un décret solennel, que ce même mois porterait le nom de Faustine en l'honneur de l'épouse d'Antonin. Commode lui donna aussi le surnom d' « Invictus » , qu'il n'avait pas rougi de prendre lui-même. Mais aucun de ses surnoms ne pu subsister.

Le 3 des nones d'octobre on faisait la solennité indiquée dans les anciens calendriers par ces mois, «  Mundus patet ». L'auteur du «  Monde primitif », qui en cela à copié l'abbé de Marolles, paraît ne pas avoir bien connu le sens de ces mots, lorsqu'il les a traduits par : « Les premières beautés de Cérès se découvrent ».

On appelait «  mundus », une chapelle ou sanctuaire de figure ronde, comme le monde, où la voûte céleste, consacrée à Dis ou Pluton, et à Proserpine. Ce sanctuaire était impénétrable au vulgaire et ne s'ouvrait que trois fois l'année, après les «  Volcanales », ou le 3 des calendes de septembre, le 3 des nones d'octobre, et le 6 des ides de novembre. Caton semble dire, cependant, que la seule partie qui fût ouverte en ces jours, fut la partie inférieure, comme consacrée aux dieux Mânes; ce qui ferait croire que cette partie était une fosse creusée aussi en forme circulaire et formant le second hémicycle, qui, avec la voûte de la chapelle, composait le globe ou monde. Peut-être même y avait-il dans cette partie inférieure quelque autel secret, ou quelques objets de culte, que l'on montrait au grand jour, comme l'autel de Pluton et de Proserpine que l'on retirait de la terre pour la célébration des jeux Séculaires. Caton semble l'indiquer : « Pendant cette solennité, dit-il, on ne pouvait faire aucune opération publique, parce qu'en ces jours regardés comme religieux, on produisait au grand jour des objets consacrés à la religion secrète et au culte des Mânes. » « Il semblait alors, dit Macrobe d'après Varron, que le gouffre, la gueule de Pluton, la porte des divinités tristes et infernales fût ouverte».

Peut-être faut-il comprendre dans la même désignation ce qu'on appelait «  mundus Ceréris ». On sait que «  mundus » signifie aussi un ajustement; é mundus muliebris » dans le style des lois, exprimé la toilette d'une femme. Or, on trouve un fragment de Festus ainsi conçu : «  Mundus etiam mulieris..... atque etiam in œde Cereris. Qui mundus appellatur, qui ter in anno solet patere. 3 KaL Sept., et 4 Non. Octobr., et 3 Id. Novembr. »

L'antiquité ne nous a rien laissé qui puisse fournir quelques notions pour expliquer cette cérémonie, superstitieuse.

Le 5 des ides on célébrait les «  Méditrinales ». C'était la fête de la dégustation du vin nouveau, considéré comme médicament, ­ breuvage utile à la santé, suivant les vieux étymologistes, «Meditrinalia; dit Festus, dicta hoc de causa, mos erat La tinis populis quo die quis primum gustaret mustum, dicere, ominis gratia ; Vétus novum bibo, veteri morbo medeor. A qui­bus etiam Medittrinœ Deœ nomen captum, ejusque sacra Meditrimlia dicta sunt. » Varron s'explique plus clairement encore.

Cette fête était une sorte de secondes «  Vinales », une offrande, aux dieux, des premiers vins. À cette solennité succédait celle des «  Augustales ». Elles furent instituées pour perpétuer le souvenir du retour d'Auguste à Rome, lorsqu'il eut heureusement pacifié la Sicile, la Grèce, la Syrie, l'Asie et les Parthes, On éleva pour çe sujet un au­tel à la Fortune qui ramène,. FortunœReduci, et l'on institua des jeux appelés Auyustaux, qui consistaient en courses du Cirque et en représentations théâtrales. On connaît les médailles d'Auguste avec la légende «  Fortuna Redux ».

Le 3 des ides était la fête «  des Fontaines ». En ce jour on allait en pompe à la fontaine située près la porte Capène ; on ornait les puits de festons et de guirlandes, et l'on, jetait dans toutes les sources et dans toutes les fontaines des bouquets et des couronnes de fleurs. Nous ne savons rien de plus de cette fête in­téressante. Mais écoutons M. de Gébelin : « Les Arcadiens, les Celtes même avaient déjà regardé, longtemps avant les Ro­mains, les sources, les fontaines, les fleuves même, comme des divinités ; et ils s'assemblaient tous les ans sur les bords de quelque fleuve, de quelque lac ou de quelque fontaine, pour leurs fêtes solennelles. Tel fut un des plus anciens cultes. Bientôt on environna d'arbres ces fontaines, pour y être à l'abri des chaleurs, etc. ; et de là le culte des chênes (il pouvait dire des bosquets, des bois sacrés) : et ce fut une se­conde espèce de culte. Ensuite, à côté de ces fontaines et de ces chênes, on éleva des temples : ce fut le troisième culte, celui des Romains, et des peuples civilisés. Cette fête fut aussi placée avec raison en automne, ajoute-t-il, ou dans la saison des pluies, qui rétablit les fontaines desséchées, affai­blies par la chaleur de l'été.»

Quoi qu'il en soit, ce furent les Arcadiens qui introdui­sirent dans le Latium le culte des fontaines, des prairies et de tous les lieux verdoyants consacrés aux nymphes.

Le jour des ides était une fête du dieu Mars. Il se pratiquait alors une cérémonie très singulière : « on immolait à Mars, dans le champ qui portait son nom, un cheval, le plus ex­cellent des vainqueurs à la course des biges. II s'élevait, alors, un grand débat entre les habitants du quartier Suburre et ceux de la voie Sacrée, relativement à sa tête, pour savoir si les uns l'attacheraient, au mur de la Regia, ou les autres à la tour Mamilia; et il fallait que sa queue fût transportée avec tant de vitesse à la Regia, que le sang en dégoûtât encore sur le foyer de l'autel, pour établir la participation du sacrifice. Quelques-uns croient que ce sang tient lieu d'hostie au dieu Mars: loin de croire, comme le vulgaire, que c'est une espèce de peine qu'on fait subir à cet animal, parce que les Romains sont descendus des Troyens, et que Troie fut prise avec un simulacre de cheval. ». Plutarque propose la question de savoir si le rit dont il s 'agit et qu 'il décrit comme Festus, quoi qu 'il le place, par erreur, en décembre, avait vraiment pour objet une sotte de punition relative à la prisé de Troie, ou
était déterminé par la nature du cheval, qui , étant un animal colère, fier et belliqueux, convenait pour cela au dieu des batailles ; ou parce qu'on sacrifie aux dieux les victimes qui leur sont les plus agréables, et que la victoire et la force appartenant au dieu Mars, on doit lui sacrifier un coursier vic torieux, etc Mais Festus semble donner une meilleure raison : « Aux ides d'octobre, dit -il, on ornait de pains la tête d'un cheval immolé dans le Champ-de-Mars, parce que le sacrifice avait pour objet la prospérité des fruits de la terre ; et que l'on sacrifiait plutôt un cheval qu'un bœuf, parce que le bœuf sert à la culture des fruits de la terre. »

M. de Gébelin a imaginé une raison plus profondément allé gorique, mais bien moins naturelle : « Mars, protecteur du mois d'octobre, dit-il, correspondait à Typhon, auquel ce même mois était consacré en Egypte, et qui était le mauvais principe, le dieu des dévastations, ainsi que Mars. Mais ce Typhon avait été vaincu par Horu, au moyen du cheval. C'é­ tait donc pour vaincre Mars, pour désarmer le mauvais prin­ cipe, qu'on offrait en sacrifice un cheval, et qu'on l'appelait « October » afin de représenter d'une manière adoucie, le dieu qui présidait à ce mois, au lieu de l'appeler le destructeur, le mauvais principe, l'ennemi du genre humain C'est par le même motif qu'on exposait la tête de ce cheval sacrifié, en la clouant aux murs de la ville, afin qu'elle fût comme, un pré­servatif contre les suites funestes de ce mois. » Cette cérémonie se désignait aussi par cette formule : «  Equus adnixas fit ».

Le 14 des calendes de novembre on faisait la cérémonie de l' «  Armilustrium ». Comme on faisait un sacrifice purificatoire pour l'armée, avant d'aller au combat, de même on la purifiait après la bataille. Cette dernière purification était aussi une espèce de service funèbre pour ceux qui avaient été tués. Peut-être son origine, chez les Romains, vient-elle d'une pareille cérémonie pratiquée autour du tombeau de l'ancien roi Tatius, et que l'on arrêta de renouveler tous les ans. Varron la définit ainsi: « «  Armilustrium » ab eo quod in Armilusltrio armati sacra faciunt ; nisi locus potius dictus ab eis, sed quod de his prius id ab luendo, aut lustro, id est quod circum ibant ludentes ancilibus armati. » Festus, ou plutôt Paul, son abrévialeur, dit: « Armilustrium festum erat apud Romanos, qui res divinas armati faciebant, et dum sacrificarent, tubis canerent. »

Quelques savants ont pensé que cette cérémonie s'exécutait par les Saliens, qui dansaient, alors la Pyrrhique; l'emploi des boucliers Anciles, qui ne pouvaient être agités que par ces prêtres de Mars, l'a fait croire avec beaucoup de raison. Quel­ques-uns ont cru le contraire ; mais c'est qu'ils ont mal à pro­pos imaginé qu'il faudrait alors confondre la fête des « Anciles » au mois de mars, avec cette solennité; comme si les « Anciles » n'eussent pas également pu être employés à deux lustrations, qui avaient un objet tout différent !

Quant à l'endroit nommé «  Armilustrium » , qui incontestable­ ment, comme l'a soupçonné Varron, tire sa dénomination de la cérémonie, c'était une place sur le haut de l'Aventin, desti­née à cette purification des armes. Le tombeau de Tatius était auprès.

Le 5 des calendes de novembre et les cinq jours suivants on célébrait des jeux en l'honneur de la Victoire. Sylla les insti­ tua pour perpétuer le souvenir de la défaite des Samnites et de Télésinus; il établit des jeux du Cirque à ce dessein, et l'on y célébrait, en termes génériques, les victoires de Sylla, dit Velleius Paterculus.

L'ancien calendrier nous apprend que l'on célébrait aussi en ce mois une fête de Bacchus : c'était probablement une es­ pèce de Bacchanales ; et dans quel temps plus convenable au­rait-on pu fêter ce dieu? Rien n'était plus gai et plus brillant que ces folâtres orgies, qu'accompagnaient des danses, des festins, des figures mystérieuses suspendues aux arbres, des sauts sur des outres huilées, des farces champêtres, qui depuis ont fait naître la tragédie, des processions de « phallus » , ornés de guirlandes, l'immolation d'un bouc, etc.

Un bouc était le prix de ces grossiers acteurs

Qui, de nos jeux brillants barbares inventeurs,

Sur un char mal orné promenant dans l'Attique

Leurs théâtres errants et leur scène rustique;

Et, de joie et de vin à la fois enivrés,

Sur des outres glissants bondissaient dans les prés.

Nos Latins, à leur tour, ont des fils de la Grèce

Transporté dans leurs jeux la bachique allégresse :

Ils se forment d'écorce un visage hideux,

Entonnent pour Bacchus des vers grossiers comme eux ;

Et de l'objet sacré: de leurs bruyants hommages, Suspendent à des pins les mobiles images,

Soudain l' aspect du dieu fertilise les monts, Les arides coteaux , les humides vallons.

Gloire, honneur à ce dieu ! célébrons ses mystères ;

Chantons pour fui les vers que lui chantaient nos pères ;

Qu'un bouc soit par la corne entraîné vers l'autel ;

Préparons de ses chairs, un festin solennel ;

Et que le coudrier, de ses branches sanglantes,

Perce de l'ennemi, les entrailles fumantes. (1)

Enfin les derniers jours du mois étaient consacrés à Isis. A cette époque la déesse affligée avait perdu son époux, le prin­cipe de la fécondité, l'âme de la nature; et ce n'était que dans le mois suivant, mois de la verdure pour l' Égypte, que l'on fêtait solennellement «  Osiris retrouvé ».

(1). Virgile, Géorgiques, liv.II, traduction de M. l'abbé Delille.

LIVRE XI

NOVEMBRE.

Commode, ce t yran aussi vain que cruel, voulut aussi im­poser à ce mois le nom   d' « Exsuperatorius », l'une des qualifica­tions qu'il avait prises dans son orgueil. Mais l'usage fut encore une fois vainqueur de la flatterie. Novembre reprit le nom que lui assignait son rang dans l'ordre des mois, en commençant l'année au mois de mars, comme on faisait dans les temps anciens.

Ce mois était consacré à Diane. On a observé que Diane, toujours vierge et par conséquent stérile, désignait, d'une ma­nière sensible l'état de la terre lorsqu'elle ne produit rien, n'enfante rien, Diane, qu'on représentait presque nue, était bien propre à caractériser les campagnes dépouillées. Enfin, Diane, déesse des forêts, armée de l'arc et du carquois, mé­ ritait de commander à la saison, où les animaux plus nom­breux et les différentes productions de la terre recueillies in­vitent les hommes au plaisir de la chasse

En Egypte, ce mois était consacré à la déesse «  Athyr », ou Vénus, déesse de la reproduction parce que c'était en ce mois que, pour le climat d 'Egypte , la nature commençait à développer sa fécondité. Nous aurons peu de détails â rapporter sur les cérémonies religieuses du mois de novembre. La première qui s'offre est la troisième ouverture du « mundus » de Cérès, le7des ides. Le 9 des ides on commençait à célébrer des jeux, qui du­ raient pendant six jours. Le 5 des ides, la navigation était solennellement défendue jusqu'au 6 des ides de mars. C'est ce qui s'indiquait par ces mots : «  Maria clauduntur ».

Le jour des ides était remarquable par une cérémonie très importante, appelée le «  Banquet de Jupiter ». Écoutons du Boul ay, qui a décrit cette solennité, comme toutes celles de la religion romaine, avec beaucoup d'érudition, et surtout avec une naïveté piquante, non seulement dans le style , mais encore dans certaines applications fort délicates. « Les festins qui se faisaient aux dieux étaient doubles : l'un pour Jupiter, ap­pelé proprement «  Epulum Jovis »; l 'autre pour les autres dieux, appelé «  Lectisternium ». Celui de Jupiter se faisait ordinairement au Capitole, où l 'on parait pour ce dieu un lit magnifique, sur lequel il était couché tout de son long et appuyé sur le coude, ayant à ses deux côtés Junon et Minerve assises sur de petits sièges, et tous- en posture d'aller manger ce qu'on leur servait sur table. Voilà la compagnie ordinaire qu'on lui don­ nait quand on le traitait ; car lui, qui était le roi des cieux et de la terre, n'eût pas été bien aise de se familiariser avec d'autes que ces deux-là, dont l'une était sa femme et l'autre sa fille. Quant aux autres dieux, ils étaient quelquefois traités plusieurs ensemble, deux ou trois en chaque lit, et quelquefois aussi chacun sur le sien.

« Ceux qui avaient le soin de préparer ces festins-là dans les temples, étaient certains prêtres appelés de cet office « epulones » , qui dressaient les lits, «  lectos sternebant », et avaient l'in­tendance de tout le festin, si ce n'est qu'il en fût autrement ordonné, ou que des personnes de considération l'entreprissent par piété et dévotion, ainsi que nous voyons avoir été fait par les sénateurs, au temps de la seconde guerre punique. (Ces prêtres étaient au nombre de sept ; de là leur nom de septemviri epulones.)

« Quant aux frais du festin, c'était le public qui y fournissait; c'est pourquoi nous voyons assez souvent cette façon de parler dans Tite-Live : «  publice convivium », ou « epulum apparatum est », et autres semblables ; ce qui se peut entendre de telle sorte que le public l'eût fait dresser, et que chacun y pouvait , aller manger s'il voulait. Il est bien certain encore que quel­quefois les particuliers mêmes dressaient en leurs maisons des festins publics, où toutes personnes étaient reçues, même les étrangères et inconnues.

« Outre cela, il se faisait là quantité de présents et d'of­frandes, par les particuliers, en vin, viandes et autres choses nécessaires à là vie, qui servaient, comme tous les restes du festin précédent à nourrir et entretenir les «  épulons » : de la même façon qu'il se pratique encore aujourd'hui à la cam­pagne, où les paysans portent sur l'autel des pains entiers, des coins de beurre, du miel, vin et viandes, et telles autres choses, lesquelles, en quelques endroits, s'appliquent à l'en­tretien des fabriques, et en d'autres pour les curés »

Il semble que l'on trouve déjà une idée de ces repas dans le festin célébré par Évandre, en mémoire d'Hercule, auprès de l' «  Ara Maxima », et auquel il admit Énée et ses compagnons. Ovide parle aussi des festins anciens que l'on faisait auprès des foyers, et auxquels on croyait que les dieux assistaient. M. de Gébelin, en parlant du festin de novembre, dit : « on y était conduit par la saison ; on venait de faire ses récoltes et ses semailles. Le temps des féries était expiré, et chacun de ceux que les vendanges et les semailles avaient attirés aux champs revenaient à la ville. Il était donc naturel de faire de ce temps un temps de réjouissances. Ces fêtes, ajoute-t-il, étaient donc indépendantes de la religion ; mais on la leur associa dans tous les temps, afin qu'elles fussent plus décentes, et parce qu'il était juste de témoigner au ciel sa reconnaissance pour les biens dont on jouissait alors » Le lendemain des nones on faisait une seconde revue de la cavalerie.

Le 17 des calendes de décembre et les deux jours suivants on célébrait les jeux «  Plébéiens » dans le Cirque. Ces jeux, bien différents des jeux Romains, étaient ainsi nommés en mémoire de la délivrance du peuple par l'expulsion des rois, ou de sa réconciliation avec les patriciens, après sa retraite sur le mont Sacré. L'ordonnance en appartenait aux édiles plébéiens, qui étaient toujours tenus de donner un festin public avant qu'ils commençassent. Le 14 des calendes de décembre et les deux jours suivants sont désignés «  Merk », dans les calendriers ; «  Mercatus ou Mercurialia » :

Le 8 des calendes, on célébrait les «  Brumales » C'étaient des fêtes en l'honneur de Bacchus, appelé aussi «  Bromius » ou «  Brumus »; les Grecs les nommaient «  Ambrosia ». Mais l'étymologie de ces fêtes ne venait pas de Bacchus, dont le surnom «  Brumius » ne s'écrivait jamais «  Brumus »; elle venait tout naturelle­ment à «  Bruma », du temps hiémal, de la brume, du règne de l'hiver qui commençait. Cette fête fut instituée par Romulus. On y observait d'apporter chacun son plat, et de ne manger rien qui fût fourni par autrui. Les vieilles traditions disaient que cette pratique avait pour objet d'effacer le souvenir hon­teux de ce que Romulus et Rémus avaient été nourris par une femme étrangère. On traitait alors le sénat et les principaux officiers de l'armée, parce que, disait-on, il était juste qu'on les nourrît pendant l'hiver, époque où il n'y avait pas de ser­vice. Il est infiniment plus simple de ne voir dans ces solen­nités, qui s'introduisirent jusque dans les usages chrétiens, que des fêtes joyeuses, qui rapprochaient tous les citoyens au commencement de l'hiver, et les consolaient des rigueurs de la saison. Cet usage n'a pas eu besoin de la sotte raison prêtée à Romulus, son instituteur, pour durer jusqu'à nos jours et je­ter encore quelque gaîté parmi les hommes, au milieu des images de la destruction et du deuil de la nature.

Nous trouvons encore dans ce mois une cérémonie pure­ment allégorique ; elle est désignée par le mot «  Hévrésis », qui, en grec, signifie l'action de retrouver. Cette fête était celle de Cérès retrouvant Proserpine, sa fille ; c'est-à-dire dans l'allé­gorie secondaire de ces deux divinités, les grains qui, déposés dans le sein de la terre et cachés, perdus pendant plusieurs mois, paraissent enfin et font le charme de leur mère. C'est ainsi qu'en ce mois les Égyptiens fêtaient «  Osiris retrouvé », comme nous l'avons vu.

Enfin ce mois se termine par une férié « instituée, dit du Boulay, à cause des Grecs et des Gaulois qu'ils enterrèrent tout vifs dans le marché aux Bœufs, dont Plutarque touche le su­jet en la «  Question romaine ». Il dit qu'une vestale nom­mée Helbia, allant à cheval, fut atteinte d'un coup de foudre, et que le cheval fut trouvé tout étendu et elle aussi à la ren­verse, ses robes retroussées, qui l'exposaient toute nue, ses souliers, ses anneaux et sa coiffe jetés l'un de çà, l'autre de là, et la langue tirée hors de la bouche : ce que les devins dirent signifier qu'il devait arriver un insigne désordre et opprobre aux vierges vestales, et que partie de cette honte retomberait sûr l'ordre des chevaliers. Sur ces entrefaites le serviteur d'un chevalier étranger vint découvrir aux pontifes que trois ves­tales avaient en même temps forfait à leur honneur : savoir, Émilia, Licinia et Martia; et qu'entre ceux qui les avaient dé­bauchées était un nommé Brutetius, chevalier étranger, son maître. Aussitôt le procès fut fait à ces vierges, et elles furent punies selon la coutume. Mais parce que de tels désordres n'arrivaient jamais sans être suivis de beaucoup d'autres, le sénat ordonna que l'on visiterait les livres de la Sibylle, dans lesquels on trouva une prophétie qui déclarait la chose comme elle était arrivée, et ajoutait que, pour détourner les malheurs qui menaçaient l'état, il fallait maudire et livrer aux déités infernales deux Grecs et deux Gaulois, et les enterrer tout vifs : ce qui fut fait; et à pareil jour, tous les ans, l'on faisait un sacrifice pour eux».

LIVRE XII.

DÉCEMBRE.

Ce mois, comme les précédents, a toujours conservé le dixième rang qu'il avait dans l'année de Romulus. Il est vrai que les vils flatteurs de Commode lui donnèrent le nom d' « Amozonius », en l'honneur d'une courtisane qu'il aimait éperdûment et qu'il avait fait peindre en Amazone ; mais après la mort de ce tyran, le mois reprit le nom de dixième qu'il avait aupa­ravant.

La première fête que nous trouvons est celle de la Fortune Féminine, c'est-à-dire que cette fête fut célébrée, pour la pre­mière fois, le jour des calendes de décembre, et qu'elle fut ensuite transférée à la veille des nones de juillet. « Le sénat, conjointement avec le peuple, fit une ordonnance par laquelle il était porté qu'on achèterait des deniers publics la place où se ferait le temple de la Fortune Féminine; qu'on y élèverait un temple et un autel sous la direction des pontifes; que l'on y ferait des sacrifices, et qu'une des matrones, a leur choix, commencerait la fête et serait censée la modératrice de ce glo­rieux ministère. Par cet arrêt du sénat, Valérie, qui avait en­gagé l'ambassade vers Coriolan, et qui avait déterminé la mère de ce dernier à s'en faire le chef, fut déclarée la première prêtresse de cette sainte cérémonie. Revêtue de cette dignité, elle fit le premier sacrifice sur un autel placé dans le lieu où l'on devait bâtir le temple et dresser la statue de la déesse : ce fut dans le mois de décembre de l'année suivante, en la nou­velle lune, que les Romains appellent « calendes », L'année suivante, le temple fut achevé et consacré le 6 du mois de juillet, selon le cours de la lune, qui est pour les Romains le jour avant les nones de juillet». Aux nones de ce mois on célébrait la fête de Faune dans les bois et dans les prés et on lui sacrifiait un chevreau lar­gement arrosé de vin « Amant redouté des Nymphes timides, s 'écrie Horace, Faune, parcours mes champs avec bonté; et que ta présence ne soit pas funeste aux petits de mes troupeaux !

«Rappelle-toi qu'à la fin de chaque année un tendre chevreau tombe en ton honneur, que les coupes amies, et com­pagnes devenus, ne manquent pas d'être largement remplies, et que l'encens brûle abondamment sur ton vieil autel.

« Lorsque les nones de décembre ramènent ta fête, tout le troupeau bondit dans les champs fleuris; et les bœufs oisif se jouent dans la prairie, avec tout le hameau en fête. Le loup se promène parmi les agneaux, qu'il n'épouvante plus; la forêt jonche pour: toi les chemins de ses rameaux agrestes et le vigneron aime à frapper de ses cadences et de ses sauts joyeux la terre qui cause ses peines. »

Cette fête était beaucoup plus ancienne que Rome, et se cé­ lébrait; dans tout le Latium. « Les Romains, observe M. de Gébelin, disaient que Faune arrivait, d'Arcadie en Italie le 13 février, et qu'il s'en retournait le 5 décembre : ils lui faisaient des sacrifices à son retour et à son départ. Ces dates sont trop remarquables, ajoute-t-il, et trop voisines l'une de l'autre, puisqu'elles ne sont éloignées que de neuf semaines, pour n'avoir pas un motif puisé dans la nature même. Ces deux jours étaient des jours de fête pour les troupeaux, pour ces troupeaux qui habitent les campagnes, et qui étaient aussi sous protection de Faune. On peut donc assurer, conclut-il, que l'un de ces jours est celui où les troupeaux reviennent des pâturages éloignés, qui ne sont plus praticables à cause du froid, et que le 13 février est celui où on les ramène dans ces pâturages. La campagne n'étant pas praticable pendant ce temps-là, on disait, en plaisantant que Faune les abandonnait pour se rendre en Arcadie. »

Le 3 des Ides on célébrait les «  Agonales » , c'est-à-dire des courses en l'honneur de Janus ou du Soleil.

Le 18 des calendes de janvier on célébrait les « Consuales » , dont nous avons parlé ailleurs.

Enfin le 16 de ces mêmes calendes commençait la fameuse solennité des «  Saturnales ». Elles duraient sept jours et se divisaient en trois parties : les « Saturnales » proprement dites, les « Opales » et les « Sigillaires ».

-Les « Saturnales » étaient beaucoup plus anciennes dans le Latium que la fondation de Rome.

Les légendes du Latium racontaient que Saturne s'étant retiré auprès de Janus, roi des Aborigènes, gouverna avec lui ces peuples presque sauvages, régla leurs mœurs, leur donna des lois, et leur enseigna l'agriculture. La paix et l'abondance dont ils jouirent pendant son règne, firent donner à ces heureux temps le nom de siècle d'or ; et ce fut pour en retracer la mémoire qu'on institua la fête des « Saturnales ».

On s'attacha particulièrement à y représenter l'égalité, qui du temps de Saturne régnait parmi les hommes soumis aux seules lois de la nature, sans diversité de conditions. En effet, la puissance des maîtres sur leurs esclaves était suspendue : ils mangeaient ensemble; les esclaves avaient la liberté de dire et de faire tout ce qu'il leur plaisait : leurs maîtres se faisaient un divertissement de changer d'état et d'habit avec eux. Tout le monde se livrait aussi aux réjouissances; et aux festins. On quittait la loge, et l'on paraissait en public en habits de table. On s'envoyait des présents comme aux étrennes . Les jeux de hasard, défendus en tout autre temps, étaient alors permis : le sénat vaquait ; les affaires du barreau cessaient; les écoles étaient fermées. On ne pouvait faire aucun acte public ou d'administration, Les enfants annonçaient la fête en courant par les rues de la ville, et criant : «  Jo Saturnalia! » On voit encore, des médailles sur lesquelles ces mots sont gravés.

Quant aux cérémonies religieuses qu'on y observait , d'abord on ne pouvait sacrifier à Saturne que la tête découverte. Plutarque en donne pour raison, que le culte qu'on rendait à ce dieu était plus ancien que la coutume de se couvrit la tête en sacrifiant, qu'il attribue à Enée, Mais ce qui paraît plus vraisemblable, c'est qu'on ne se couvrait la tête que pour les dieux célestes, et que Saturne était mis au nombre des dieux infernaux.

Sa statue, qui, toute l'année, était liée de bandelettes de laine, en était aussi dégagée tant que durait la fête soit pour montrer sa délivrance, soit pour représenter la liberté qui régnait au siècle d'or et celle dont on jouissait pendant les « Saturnales ».

On offrait au dieu des figures de forme humaine, comme pour assouvir l'avidité du temps, qui dévore tout; et à ce su­jet les légendes du Latium faisaient un conte, pareil à cent autres qu'on trouve chez d'autres peuples. Elles disaient qu'avant Hercule on offrait à Saturne des victimes humaines ; mais que lorsque ce héros passa en Italie, en revenant d'Espagne, avec les vaches de Géryon qu'il avait conquises, il détermina les Latins à n'offrir que des figures, et à substituer aux têtes d'hommes des flambeaux de cire. En faisant de ce héros un subtil grammairien, elles apportent qu'il fit voir à ces peu­ples que le mot « têtes » , dont l'oracle s'était servi pour ordonner cette fête, n e désignait que des têtes en figures. On offrait effectivement à Saturne des flambeaux de cire ; c'était aussi le présent que les pauvres faisaient aux riches : Cereos Satmnalibus muneri dabant humiliores potentoribus, quia candelis pauperes, locupletes cereis utebantur. (1)

Telle était la solennité des Saturnales proprement dites. S 'il en faut croire l' auteur d u Monde primitif «cette, fête fut éta­blie en réjouissance de ce que les : travaux de la campagne v enaient d'être entièrement terminés; de ce que toutes les récoltes étaient faites, le blé battu et renfermé. Le motif des «  Saturnales » n'avait pu échapper aux anciens. C'est, dit Philochore, afin que les pères de famille goûtassent ; avec tous leurs gens, ces récoltes et ces fruits, qu'ils avaient fait venir en se livrant tous ensemble aux travaux des champs. Rien, n 'était donc, plus naturel que cette, fête : il était très naturel, après avoir soutenu les travaux de l'année entière, de se livrer à la joie, lorsqu'on était parvenu à la fin de ces travaux et qu 'on jouissait de leurs fruits. Rien n'était en même temps plus na­turel, plus humain, mieux vu, que de permettre à tous ceux qui avaient concouru à ces travaux, de se livrer également à la joie et d'avoir part aux mêmes plaisirs puisqu'ils avaient eu part aux mêmes, peines. D'ailleurs cette fête peignait très bien l'égalité qui renaissait en quelque sorte entre les hommes à la fin des travaux,où il n'y avait plus personne appelé à commander et à être, commandé », »

L'auteur de «  l'Antiquité dévoilée » n'a pas à ce sujet des idées aussi riantes. Selon lui, Saturne était le grand juge, le dieu «  Sabaoth », ou le dieu de la fin, c'est lui qui devait amener la grande révolution de la fin du monde. La solution de la plus part des Saturnales est donc l'esprit alarmé de l'antiquité qui s'attendait à cette destruction à la fin de chaque période. Par une suite de ce dogme, et des usages qui en dérivaient, on se comportait dans ces fêtes, comme si l'on ne comptait plus sur l'avenir : tous les soins étaient bannis; on menait une vie bizarre; les étals étaient confondus ; tout se prodiguait en présents,etc.

Les « Opalia » se célébraient le 14 des calendes de janvier. Cette fête était consacrée à Ops ou la Terre, femme de Saturne, parce qu'on gardait également les deux époux comme les inventeurs de l'art de cultiver la terre. Ainsi; toutes les productions de la nature étant à cette époque renfermées dans les greniers ou dans le sein de la terre, on devait honorer ces deux divi­nités d'un culte particulier. Lorsqu'on adressait des vœux à Ops, il fallait être assis et la toucher de la main, pour annon­cer que tous les mortels devaient l'embrasser comme leur mère. Philochore dit que Cécrops fut le premier qui éleva dans l'Attique un autel à Saturne et à Ops ; qu'on y adora ces divinités comme Jupiter et la Terre, et que l'onétabli qu'après que tous les fruits de la culture étaient resserrés, les maîtres de­vaient partager le repos et les fêtes avec les serviteurs qui avaient contribué avec eux aux travaux de l'année ».

Les «  Sigillaires » commencent le 15 des calendes de janvier. On les appelait ainsi «  a Sigitlis », petites images d'or, d'ar gent,de terre, de plâtre et d'autres matières qu'on présen­tait à Saturne, Macrobe attribue cette institution au même fait que nous avons vu donner lieu à la cérémonie des « A rgées ».On substitua donc des effigies aux vrais corps des défunts. Pendant tout ce temps on pouvait s'envoyer des présents les uns aux autres. Ces présents s'appelaient «  Sigillaria » et «  Sigillaritia ».

Il ne faut pas croire cependant qu'on ne s'envoyait alors que ces petits simulacres. On peut voir dans le livre de Martial intitulé « Apophoreta » toutes les espèces de cadeaux que l'on y joignait ; des tablettes, des boîtes à jetons, des dés, des cor­nets, des damiers, des noix, des écritoires, des cure-dents, des cure-oreilles, des aiguilles, des éventails, des couteaux de chasse, des rasoirs, des écrins, des lampes, de la bougie, des candélabres, des balles de paume, des parfums, des cosmétiques, des oiseaux, des cages, des vases, des vêtements, des tableaux, des livres, des esclaves, etc.

La fête appelée «  Divalia » ou «  Angeronalia », « d'Angerona », déesse qu'on invoquait pour une espèce d'esquinancie, en latin « an gina » , se trouve encore renfermée dans la solennité des Saturnales; car on la met au 11 du mois. Macrobe dérive le mot «  angina » du verbe «  angor », qui signifie être en angoisse, dont cette déesse délivrait. Son image avait la bouche cachetée ou enveloppée, pour montrer que si dans les dou­leurs on peut contenir ses plaintes, on parvient plus facilement à les vaincre : c'est ce qui avait donné sujet de croire qu'elle était aussi déesse du silence. On croyait que cette fête avait été instituée particulièrement pour faire cesser la maladie «  angina » qui s'était répandue parmi les bestiaux : mais on devait voir qu'elle n'était évidemment pour le Latium que la fête d'Harpocrates, ou le dieu du Silence, en Egypte ; ce dieu étant, d'après l'opinion de plusieurs savants, l'image de l'année expi­ rante. Le même jour on sacrifiait à Hercule et à Cérès du moût, ou vin nouveau, et une truie pleine.

Le 16 des calendes on célébrait en l'honneur des Lares une fête autre que celle que nous ayons vue au mois de mai. Émilius Regillus leur bâtit une chapelle au Champ-deMars, au temps de la guerre d'Antioche.

Le lendemain étaient les «  Larentinales », cette fête qu'Ovide avait annoncé devoir chanter. Varron et Festus la définissent comme la fête d'Acca Laurentia et du berger Faustulus, qui prirent soin des jours de Romulus et de Rémus. On la célébrait dans le Vélabre, à l'endroit où l'on prétendait qu'était le tombeau d'Acca, C'était aussi la fête de Jupiter, auquel on sacrifiait en même temps qu'aux mânes d'Acca, parce que, dit Macrobe, les anciens pensaient que les âmes étaient un présent de Jupiter et quelles retournaient à lui. Ces mots indiquent assez quel était l'esprit de la fête, surtout si l'on observe que dans le même temps on sacrifiait aussi à « S ummanus », que l'on sait être le génie de l'hiver et des ténèbres. Cette fête était donc évidemment une cérémonie lugubre et apocalyptique, peignant la fin de l'année, la mort de la «  Louve » ou de la lu­mière.

Enfin l'octave des «  Saturnales  » se terminait par la cérémonie des « Juvénal » ou «  jeux Juvé naux » . Ils furent institués par Néron, lorsque, pour la première fois, il se fit couper la barb e , dont les poils enfermés dans un globe d'or furent consacrés à Jupi ter Capitolin. Ces jeux consistaient surtout en représentations théâtrales, et n'étaient pas publics ; Néron voulant, par ce moyen, suivre son goût pour jouer la comédie , sans se dés­honorer publiquement . Mais bientôt il brûla de plus en plus de se livrer en spectacle à tout le peuple. Les «  jeux de la Jeu­nesse  » , les seuls où il eût chanté jusqu'alors, ne s'é t aien t célé­brés que dans son palais ou ses jardins, théâtre trop peu fre­inte, trop resserré pour une si belle voix . Il enrôla dans ces jeux des personnes de tout état : l'âge, la noblesse, les di­gnités dont on avait été revêtu ne garantirent personne de se former à l'art des histrions de Rome et de la Grèce, jusque dans leurs manières efféminées : des rôles indécen t s furent étu­diés par des femmes illustres. Il y introduisit aussi des vieil­lards consulaires et des femmes de distinction, même chargées de vieillesse ? On raconte qu'on y vit danser Élia Ca t ula, femme de très haute qualité, quoiqu'elle fût âgée de quatre-vingts ans. Ceux qui, par leur, âge trop avancé ou par mala­ die, ne pouvaient faire un rôle particulier, chantaient dans les choeurs.

Ce jour célèbre arrive, et il est marqué dans les calendriers par «  natale invicti Solis », « le Noël, le jour natal du Soleil in­vaincu ; » et alors on célébrait des jeux en l'honneur de cette grande divinité. Tous les peuples s'accordent à placer à ce jour la naissance du principal personnage de leur culte. Les Perses célébraient alors la naissance de Mythra, et les Égyp­tiens celle d'Osiris. Les Grecs appelaient la nuit du solstice la «  triple nuit », et ils y plaçaient la naissance d'Hercule. « Ce con­cours unanime n'est point étonnant : c'est de part par la nature que ce jour est devenu un jour de solennité pour tous les peuples. Alors les nuits cessent décroître, et les jours de diminuer. Alors il y a une fin aux ténèbres qui menaçaient de couvrir l'univers ; et le soleil qui nous abandonnait commence à re­venir vers nos contrées, et acquiert chaque jour plus de vi­gueur. On célébra donc partout, ce jour-là même, le jour de la renaissance du soleil et même celui du renouvellement de la nature, des hommes eux-mêmes que les glaces de cette saison jettent dans cet engourdissement qu'offre la nature en­tière. »

Enfin la dernière fête que nous offre l'année est celle du «  Septimon t ium  » , ou fê t e des sept Collines de Rome, instituée quand la septième colline fut enfermée dans la ville , comme le dit Plutarque. On faisait alors un sacrifice à sept endroits, sur le Palatin, dans le quartier S u burre, dans la Vélie, dans le Fagutal, sur le Célius, l'Oppius et le Cespius. Il était dé­fendu alors d'aller; en voiture par la ville, et même d'aller à la campagne. Plutarque se propose ces deux raisons de cet usage : « ou parce que les Romains estimèrent avoir achevé un grand ouvrage quand ils eurent fait et parfait l'enceinte de leur ville, et pensèrent qu'elle ne procéderait jamais plus outre en grandeur; à l'occasion de quoi ils se reposèrent eux, et firent semblablement reposer les bêtes de voilure qui leur avaient aidée faire leur clôture, et voulurent qu'elles jouissent du repos de la fête et solennité commune. Ou bien, c'est qu'ils voulurent que leurs citoyens solennisassent et honorassent de leur présence toutes autres fêtes de la ville., mais spécialement celle qui était ordonnée et instituée pour le peuplement et agrandissement d'icelle.»

Fin de l'ouvrage

sommaire