Columelle
De l'agriculture
Trad. nouvelle par M. Louis Du Bois,
Edité par C. L. F. Panckoucke.
1844
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I. Celui qui s'applique à l'agriculture doit savoir qu'il est obligé d'appeler à son aide ces trois choses qui remontent à l'antiquité la plus reculée : la prudence en affaires, les moyens de dépense, la volonté d'agir ; car, comme dit Tremellius, on ne possédera un domaine très bien cultivé qu'en réunissant le savoir, le pouvoir et le vouloir. En effet, la science et la volonté ne suffiront à personne sans la faculté de faire les dépenses que les travaux exigent. La volonté de faire ou de dépenser ne servira guère non plus sans la connaissance de l'art, parce que le principal en toute entreprise, est de savoir ce qu’il faut faire : cette maxime est surtout nécessaire en agriculture, dans laquelle la volonté et les moyens pécuniaires, sans la science, occasionnent souvent de grands dommages aux maîtres, puisque le travail exécuté sans expérience rend les dépenses inutiles. En conséquence, un père de famille diligent, qui a vraiment à coeur de trouver dans la culture les moyens d'accroître sa fortune, aura soin surtout de consulter en tout point les agriculteurs les plus instruits de son temps, d'étudier à fond les notes laissées par les anciens, et d'apprécier leur sentiment et leurs préceptes, afin de s'assurer si tout ce qu'ils ont prescrit répond à ce que nous faisons aujourd'hui, et si quelques parties en diffèrent. J'ai trouvé plusieurs auteurs estimables qui étaient persuadés que l'état et la nature de l'atmosphère avaient changé par le laps d'un long temps ; ils disaient qu'Hipparque, leur grande autorité comme professeur d'astrologie, avait découvert qu'il viendrait une époque où les pôles du monde se déplaceraient : cette opinion paraît même avoir été accréditée par Saserna, auteur non méprisable d'une Économie rurale. En effet, dans ce livre qu'il a laissé sur l'agriculture, il conclut que la situation du ciel a éprouvé des changements tels, que les contrées qui jadis ne pouvaient, à cause de la longue rigueur de l'hiver, conserver un seul des pieds de vigne ou d'olivier qu'on leur avait confiés, abondaient maintenant, grâce à l'adoucissement et à l'attiédissement des anciens froids, en larges récoltes d'olives, en productives vendanges. Que cette opinion soit vraie ou fausse, je m'en rapporte aux textes de l'astrologie ; mais l'agriculteur ne devra pas ignorer les autres préceptes agronomiques qui, la plupart, nous ont été transmis d'Afrique par les écrivains carthaginois, quoique nos fermiers taxent d'erreur un grand nombre de ces maximes. Ainsi Tremellius, tout en se plaignant à cet égard, n'admet pas que le sol et la température de l'Italie et de l'Afrique soient différents de ce qu'ils ont été, et ne puissent plus donner les mêmes productions. Quelles que soient les différences entre les anciens temps et l'époque actuelle, par rapport à l'application des préceptes, cette considération ne doit pas éloigner de leur étude celui qui veut s'instruire : car on trouvera chez nos prédécesseurs infiniment plus de choses à approuver qu'à rejeter. Le nombre des Grecs qui se sont occupés de ce qui concerne les travaux champêtres est considérable : à leur tête le célèbre poète béotien Hésiode n'a pas peu travaillé pour notre profession. Elle reçut ensuite de plus grands secours de ces hommes qui sortirent des sources de la sagesse, Démocrite d'Abdère, Xénophon disciple de Socrate, le Tarentin Architas, le maître et le disciple des péripatéticiens, Aristote et Théophraste. Ce n'est pas, non plus, avec un soin médiocre que cette même occupation a été poursuivie par les Siciliens Hiéron, Épicharme, Philométor et Attale. De son côté, Athènes a produit une grande quantité d'écrivains, parmi lesquels les plus estimés sont Chéréas, Aristandros, Amphiloque, Chrestus, et Euphronius, non celui qui naquit à Amphipolis, comme beaucoup de personnes le pensent, mais celui qui était originaire de l'Attique ; au surplus, l'Amphipolitain fut lui-même un agronome digne d'éloges. L'agronomie ne fut pas non plus négligée dans les îles, comme on le voit par Epigène de Rhodes, Agathocle de Chio, Évagon, et Anaxipolis de Thasos. Des compatriotes de Bias, l'un des sept sages, Ménandre et Diodore surtout se signalèrent dans l'art agronomique ; les Milésiens Bacchius et Mnasséas, Antigone de Cymée, Apollonius de Pergame, Dion de Colophon, Hégésias de Maronée, ne leur cédèrent en rien. Quant à Diophane de Bithynie, il rédigea un abrégé en six livres des nombreux volumes qu'avait écrits Denys dUtique, l'interprète du Carthaginois Magon. Plusieurs autres aussi, mais plus obscurs, dont j'ignore la patrie, ont apporté quelques contingents à la science qui nous occupe : ce sont Androtion, Aeschrion, Aristomène, Athénagoras, Cratès, Dadis, Denys, Euphyton, Euphorion. Ce n'a pas été avec moins de confiance que, pour une notable partie, nous avons reçu le tribut de Lysimaque, de Cléobule, de Ménestrate, de Pleutiphane, de Persis et de Théophile. Enfin, pour donner à l'agriculture le droit de cité romaine (car nous n'avons encore nommé que des auteurs grecs), nous allons rappeler le souvenir de M. Caton le Censeur, qui, le premier, lui apprit à parler le langage latin. Après lui vinrent les deux Saserna, père et fils, qui perfectionnèrent cette science avec un grand zèle ; puis Scrofa Tremellius, qui lui prêta son éloquence, et M. Terentius Varron, qui polit son idiome ; bientôt après, Virgile, dont les vers la rendirent puissante. Enfin, ne dédaignons pas de faire mention de Julius Hygin, qu'on peut en regarder comme le précepteur : nous ne témoignerons pas moins cependant une profonde vénération au Carthaginois Magon, père des études sur les choses champêtres ; en effet, ses vingt-huit mémorables volumes méritèrent qu'un sénatus-consulte les fît traduire en latin. Il est des hommes de notre temps qui ont mérité d'aussi grands éloges : ce sont Cornelius Celse et Julius Atticus, dont le premier embrassa dans cinq livres tout le corps de la science, et le second publia un livre unique relatif seulement à la culture des vignes. Jules Grécinus, que l'on peut considérer comme son disciple, composa pour la postérité deux volumes de préceptes sur la même matière, qu'il écrivit avec plus de grâce et d'érudition que n'avait fait son maître. Ainsi, Publius Silvinus, avant d'embrasser la profession d'agriculteur, appelez ces auteurs dans vos conseils ; non pas toutefois avec cette disposition d'esprit qui vous ferait subordonner toutes vos entreprises à leur sentiment : car les monuments de ces sortes d'écrivains instruisent plutôt qu'ils ne font un bon ouvrier. L'usage et l'expérience sont les maîtres des arts, et il n'existe pas de science qu'on apprenne sans trébucher. En effet, là où une chose mal à propos entreprise a produit un fâcheux résultat, on évitera ce qui a induit en erreur, et les enseignements du maître éclaireront la bonne route. Aussi nos préceptes ne promettent pas de produire une science parfaite, mais de prêter leur secours; et nul homme, après les avoir lus, ne connaîtra bien l'agriculture, s'il ne veut les suivre, et s'il n'a les facultés nécessaires pour les mettre en pratique. C'est pourquoi nous les offrons à ceux qui nous étudieront, plutôt comme propres à les aider que comme devant seuls les conduire : encore faudra-t-il qu'ils aient recours à d'autres. Et même tous ces secours, dont nous venons de parler, un travail assidu, l'expérience du fermier, les moyens et la volonté de dépenser, ne produiront pas encore autant de bien que la seule présence du maître. A moins qu'il ne surveille sans cesse les travaux , tous les services, comme il arrive dans une armée pendant l'absence du général, sont bientôt désorganisés. J'ai lieu de croire que c'est ainsi qu'il faut entendre cette maxime que le Carthaginois Magon a placée au début de ses ouvrages : "Que celui qui achètera un champ, vende sa maison, de peur qu'il ne préfère donner ses soins à ses pénates de la ville qu'à ceux de la campagne. Celui qui prodigue tant d'affection à son domicile de la cité, n'a pas besoin d'un domaine champêtre." S'il était praticable de nos jours, je ne changerais rien à ce précepte ; mais, puisqu'aujourd'hui l'ambition des places retient souvent à la ville le plus grand nombre d'entre nous qu'elle y a appelés, je pense conséquemment qu'on doit avoir à proximité un domaine très commode, afin que l'homme occupé puisse, après les affaires du forum, y faire tous les jours une facile excursion. Il est évident que, sans parler des possessions d'outre-mer, ceux qui en achètent d'éloignées, se comportent comme ces hommes qui, de leur vivant, abandonnent leur patrimoine à leurs héritiers, ou, ce qui est plus fâcheux, à leurs esclaves. Ces derniers, séparés du maître par une longue distance, se négligent, et, corrompus après les méfaits qu'ils ont commis, s'appliquent beaucoup plus, en attendant les successeurs, aux bénéfices de la rapine qu'aux fatigues de la culture.
II. Je suis donc d'avis qu'il faut qu'un maître achète ses champs dans son voisinage, afin qu'il puisse y aller fréquemment et fasse présumer qu'il y viendra plus fréquemment encore qu'il n'y doit venir. Dans la crainte de ces visites, le fermier et ses gens seront toujours à leur devoir. Au reste, le propriétaire doit se trouver sur son bien toutes les fois qu'il en a occasion ; mais non pas pour y vivre dans le repos et s'y tenir à l'ombre. Il convient, en effet, qu'un père de famille diligent parcoure souvent et dans tous les temps de l'année les plus petites parties de ses champs, afin de mieux en observer l'état, soit à l'époque des feuilles et des herbes, soit lors de la maturité des grains, et pour n'ignorer rien de ce qu'il pourra être à propos de faire. C'est un vieil axiome, et il est de Caton, « qu'une terre a grandement à souffrir quand le maître n'enseigne pas au fermier, mais apprend de lui ce qu'il faut faire. » C'est pourquoi le principal soin de tout individu qui tient un héritage de ses ancêtres ou qui se propose d'en acheter un, doit être de savoir quel fonds est le plus productif dans le pays, afin de se défaire de celui qui ne lui serait pas avantageux ou d'en acquérir un excellent. Si la fortune a souscrit à nos voeux, nous jouirons d'une terre placée sous un ciel salubre, offrant une couche épaisse de terrain végétal; s'étendant en partie sur une plaine et dans une autre partie sur des coteaux légèrement inclinés vers l'orient ou vers le midi; consistant en cultures, en bois, en points sauvages ; ayant à portée, soit la mer, soit une rivière navigable, afin de pouvoir exporter les produits et apporter les objets dont on a besoin. Qu'une plaine, partagée en prés et en labours, en oseraies et en roseaux, soit près des bâtiments. Quelques collines seront privées d'arbres, afin de les utiliser. Pour les céréales, qui toutefois prospèrent mieux dans les plaines dont la terre est grasse et médiocrement sèche, que sur les pentes rapides. En conséquence, les champs à blé les plus élevés doivent offrir une surface unie qui ne sera que mollement inclinée, et qui approchera le plus possible d'une plate campagne. D'autres collines seront revêtues d'oliviers, de vignes, et de bois propres à fournir des échalas ; on y trouvera des pâturages pour les troupeaux, et, si on a besoin de bâtir, de la pierre et du bois de charpente. Là, que des cours d'eaux vives viennent arroser les prés, les jardins et les oseraies. On sera pourvu aussi de gros bestiaux de toute espèce, qui trouveront leur pâture dans les cultures et les broussailles. Mais un fonds dans les conditions que je souhaite, est difficile à trouver et peu de personnes en jouissent. Celui qui en approche le plus réunit le plus de ces qualités; et celui-là est encore tolérable qui n'est pas réduit à un trop petit nombre. Ce que, avant de l'acheter, il faut principalement observer dans l'examen d'un domaine.
III. Porcius Caton était d'avis que, dans l'examen et l'achat d'une terre, il fallait principalement considérer deux choses : la salubrité de son exposition, et la fécondité du terrain ; et que si, un de ces avantages manquant, quelqu'un se présentait pour l'habiter, il était fou et méritait d'être mis sous la curatelle de ses parents. En effet, aucun homme d'un esprit sain ne fera de dépenses pour la culture d'un sol stérile, et n'espérera, dans une atmosphère pestilentielle, parvenir à jouir des fruits du terrain même le plus fécond : car où il faut disputer avec la mort, les récoltes sont aussi incertaines que la vie des cultivateurs, ou plutôt le trépas est plus assuré que les productions. Après ces deux considérations principales, Caton ajoutait qu'il fallait avoir presque autant égard aux chemins, à l'eau et au voisinage. Une communication commode avec le domaine présente de grands avantages : le premier, et il est fort important, est de faciliter la présence du maître, qui se rendra plus volontiers sur son bien, s'il n'a pas à redouter la difficulté du chemin ; les autres sont relatifs à l'apport et à l'exportation des instruments de culture : ce qui donne plus de valeur aux articles produits et diminue la dépense de ce que l'on apporte, puisque le charriage est d'autant moins coûteux qu'on le fait avec de moindres efforts. En outre, on peut voyager à meilleur marché, surtout si l'on fait le voyage avec des animaux de louage, ce qui est plus avantageux que d'en entretenir à ses frais. Enfin les esclaves qui suivront le père de famille se fatigueront moins à faire le voyage à pied. Les avantages d'une eau de bonne qualité sont tellement incontestables, qu'il n'est pas besoin, à cet égard, d'une longue dissertation. Car qui doute qu'on ne doive considérer beaucoup une substance sans laquelle nul de nous ne prolonge sa vie, dans la bonne comme dans la mauvaise santé ? Quant à l'avantage qu'on peut retirer des voisins, c'est une chose sur laquelle on ne saurait compter, puisque la mort et divers autres événements peuvent nous les enlever. Aussi certaines personnes rejettent l'opinion de Caton ; mais je crois qu'elles sont dans l'erreur : car, comme c'est le fait d'un homme sage de supporter avec courage les coups du sort, c'est de même l'action d'un fou de se rendre malheureux ; et c'est ce que fait celui qui paye pour avoir un voisin pervers, quand, depuis le berceau, il a pu entendre dire, pour peu qu'il soit issu d'une bonne famille, que « Jamais on ne perdrait de boeufs, s'il n'était pas de mauvais voisins; » ce qui ne se borne pas aux boeufs, mais s'étend à toutes les parties de nos propriétés. C'est à tel point, que beaucoup de gens se résoudraient à manquer de demeure, et à fuir leur domicile, pour éviter les désagréments d'un mauvais voisinage. Car que penser des peuples entiers qui ont gagné diverses contrées étrangères après avoir abandonné le sol paternel : je veux dire les Achéens, les Ibères, les Albaniens, les Siciliens, et, pour parler de ceux à qui nous devons notre origine, les Pélasges, les Aborigènes, les Arcades, si ce n'est qu'ils ne pouvaient supporter la méchanceté de leurs voisins ? Et pour ne pas citer seulement des calamités publiques, le souvenir nous a été conservé de malheurs particuliers ; et dans les contrées de la Grèce et dans l'Hespérie aussi, existèrent des voisins détestables : à moins qu'on ne prétende que quelqu'un pouvait trouver supportable le voisinage d'Autolycus, ou que Cacus, se fixant sur le mont Aventin, devait être agréable aux habitants contigus du mont Palatin. J'aime mieux me rappeler les anciens que mes contemporains, pour n'avoir pas à nommer un de mes voisins qui ne saurait souffrir dans le pays ni qu'un bel arbre étende ses rameaux, ni qu'une pépinière subsiste en bon état, ni qu'un échalas reste attaché à la vigne, ni même que les troupeaux paissent sans surveillance. C'est donc à bon droit, autant que me le dit mon opinion, que M. Porcius a pesé qu'on devait éviter une telle peste, et surtout a prévenu celui qui veut devenir agriculteur de ne pas, de son propre gré, s'exposer à un tel malheur. Ajoutons aux autres maximes celle qu'a léguée à la postérité un des Sept Sages « qu'il faut observer en tout un milieu et une juste mesure » : ce qui doit s'appliquer non seulement aux autres actions, mais aussi à l'acquisition d'une terre, afin qu'on ne veuille pas faire un achat supérieur à ses moyens pécuniaires. C'est ce point aussi que touche cette belle sentence de notre poète : «Vantez les grands domaines, cultivez-en un petit.» (VIRGILE, Géorgiques, II, 410) Ce savant homme, comme je le crois, s'est borné à mettre en vers un adage transmis par les anciens. On reconnaît, en effet, que les Carthaginois, nation très ingénieuse, disaient que le champ devait être plus faible que son cultivateur, puisque, dans la lutte qui s'établit entre eux, si le fonds est le plus fort, c'est le maître qui souffrira le dommage ; car il n'est pas douteux qu'un vaste champ mal cultivé produit moins qu'un petit qui l'est bien. Aussi les sept jugères (demi-arpent) que le tribun Licinius assigna à chaque citoyen, après l'expulsion des rois, rapportaient à nos ancêtres de plus grands produits que ne nous en donnent aujourd'hui les plus vastes guérets. Aussi Curius Dentatus, dont nous avons parlé un peu plus haut, regarda-t-il comme au-dessus de ce que méritait un consul, un triomphateur, les cinquante jugères de terrain que, après une victoire remportée sous son heureux commandement, le peuple lui avait décernés comme récompense de sa valeur signalée : il refusa le présent populaire offert en public, et se contenta de la portion donnée aux plébéiens. Même après que nos victoires et la mort de nos ennemis eurent rendu disponible une immense quantité de terres, il fut défendu comme crime, à un sénateur, de posséder plus de cinquante jugères ; et C. Licinius lui-même fut, en vertu de sa propre loi, condamné pour avoir, dans l'excès de sa cupidité, dépassé l'étendue de terrain qu'il avait, durant sa magistrature, fixée par sa réquisition tribunitienne. Il faut ajouter que cette sévérité avait pour objet de prévenir autant le soupçon d'orgueil que concevait le possesseur de tant de fonds, que la honte qu'il y aurait à se voir forcé d'abandonner des champs qui étaient au-dessus des forces du nouveau propriétaire, puisque, en fuyant, l'ennemi les avait dévastés. Ainsi une juste proportion, qui convient en toutes choses, doit s'appliquer aussi à l'acquisition d'un domaine. Il n'en faut acheter qu'autant qu'il est nécessaire, afin qu'on voie que nous en avons pour en jouir, et non pour en être surchargés et pour l'enlever à ceux qui en tireraient un bon parti, à la manière de ces maîtres de propriétés immenses qui possèdent les terres d'une nation, et n'en peuvent pas même faire le tour à cheval, mais les abandonnent au gaspillage des troupeaux, à la dévastation et au ravage des bêtes sauvages, ou bien les emploient à retenir des citoyens dans les fers et les prisons. Or, la juste mesure dépendra d'une sage volonté et des ressources pécuniaires ; car, comme je l'ai déjà dit ci-dessus, il ne suffit pas de vouloir posséder, il faut pouvoir cultiver.
IV. Dans l'ordre des choses vient le précepte de Césonius, dont on assure que Caton faisait usage : « que ceux qui veulent traiter d'une terre doivent souvent en renouveler l'examen. » Car la première inspection ne fait connaître ni ses inconvénients ni ses avantages cachés, qui bientôt se découvriront à une nouvelle visite. Une sorte de formule d'inspection nous a été transmise par nos ancêtres, c'est que le sol soit gras, et d'un aspect agréable : qualités dont nous parlerons en leur lieu, lorsque nous traiterons des diverses espèces de terres. Cependant, en général, j'atteste et proclame souvent que déjà, dans la première guerre punique, l'illustre capitaine M. Attilius Regulus passe pour avoir dit qu'il ne faut faire l'acquisition d'un fonds, ni très fertile, s'il est insalubre, ni épuisé, fût-il le plus sain du monde. C'est ce qu'Attilius persuadait aux agriculteurs de son temps, avec le poids d'une autorité que rendait plus grande encore son expérience : car l'histoire rapporte qu'il cultivait un champ à la fois pestilentiel et maigre, à Pupinie. De même qu'un homme raisonnable ne doit pas acheter indifféremment une propriété dans quelqu'endroit que ce soit, ni se laisser aveuglément entraîner par l'attrait de la fertilité ni par la séduction des délices ; de même il convient à un bon père de famille de rendre utile et productif ce qu'il aura acheté ou reçu par héritage. Il y parviendra d'autant plus facilement, que nos pères nous ont transmis beaucoup de moyens de remédier à l'insalubrité de l'atmosphère, d'atténuer la violence des maladies pestilentielles, et d'autres à l'aide desquels l'habileté et l'activité du cultivateur peuvent vaincre la maigreur d'un sol improductif. Nous parviendrons à ce but, si nous avons confiance, comme à un oracle, à un poète éminemment véridique, qui dit : « Ayez soin de connaître d'avance les vents et les variations du ciel, les pratiques du pays, la disposition du terrain, et ce que la contrée peut rapporter et ce qu'elle refuse de produire. » Cependant, non contents de l'autorité des cultivateurs tant anciens que présents, nous n'omettrons pas nos propres exemples et les nouvelles expériences que nous pourrons tenter. Quoique ces essais soient parfois préjudiciables pour quelques parties, ils sont pourtant avantageux en somme, puisque ce n'est jamais sans produit que l'on cultive la terre; d'ailleurs, par ces tentatives, le possesseur parvient à se former dans les opérations qu'il lui convient le mieux d'entreprendre, et parvient à rendre plus productifs encore les champs les plus fertiles. Il ne faut donc nulle part négliger de varier ses expériences ; et c'est même dans un terrain gras qu'il faut le plus tenter d'innovations, parce que le résultat y récompense toujours du travail et des frais. Mais de même qu'il importe de connaître quelle est la qualité du fonds et quelle est la culture qui lui convient, il ne faut pas, non plus, ignorer comment doivent être construits les bâtiments de la ferme, et quelle disposition est la plus avantageuse pour son exploitation. On n'a pas oublié que beaucoup de propriétaires se sont trompés à cet égard, comme L. Lucullus et Q. Scévola, personnages si distingués, dont l'un fit construire des édifices trop considérables, l'autre de trop exigus, pour l'étendue de leurs métairies : faute également préjudiciable à leurs intérêts. En effet, de vastes enclos exigent plus de bâtiments et nécessitent de plus grandes dépenses ; s'il y a trop peu de constructions pour l'étendue du fonds, on est exposé à en perdre la récolte : car les productions de la terre, soit sèches, soit liquides, se gâtent facilement si, pour les conserver, on n'a pas d'abris, ou que ces bâtiments soient incommodes par leur insuffisance. Le maître aussi bâtira pour lui-même, selon ses facultés, le mieux qu'il lui sera possible, la maison qu'il doit habiter, afin qu'il se rende plus volontiers à sa campagne et qu'il puisse y séjourner avec plus d'agrément. Il aura pour ce soin un motif de plus si sa femme l'y accompagne, puisque ce sexe a plus de délicatesse et de corps et d'esprit : c'est pourquoi il faudra la séduire par les attraits de la demeure, afin qu'elle y reste plus patiemment avec son mari. Le propriétaire ne négligera donc pas de bâtir avec élégance, sans toutefois se jeter dans la manie des constructions, mais en occupant seulement une étendue telle, comme dit Caton, que les bâtiments de la ferme n'en cherchent pas le terrain, ni le terrain les édifices. Nous allons maintenant faire connaître toutes les conditions désirables pour l'établissement d'une ferme. Le bâtiment qu'on se propose d'élever doit être établi dans un lieu salubre, et sur le point le plus salubre de ce lieu : car lorsque l'air qui environne les constructions est vicié, il est pour eux une cause multipliée de maladies. Quelques localités souffrent peu des chaleurs du solstice d'été, mais sont en proie aux froids les plus cuisants de l'hiver : telle est Thèbes en Béotie; quelques autres ont un hiver tiède, mais durant l'été sont cruellement embrasés : c'est ce qu'on rapporte de Chalcis en Eubée. Il faut donc chercher un air tempéré par le chaud et la fraîcheur, tel qu'on l'obtient sur le flanc d'une colline, où l'on ne soit pas, durant l'hiver, engourdi par les frimas, ni pendant l'été, rôti par les ardeurs du soleil ; en s'établissant sur le sommet d'une montagne, on aurait à souffrir du moindre souffle du vent et des pluies qui y sévissent toute l'année. La meilleure position est donc celle que présente le milieu d'une colline, où le sol s'élève par une pente douce, afin que, si un torrent formé par les orages vient à rouler de la cime du coteau, il ne puisse détruire les fondements des édifices.
V. Qu'au dedans ou aux confins de l'exploitation coule un ruisseau qui ne tarisse jamais ; que le bois et la pâture soient à proximité. Si l'on manque d'eau courante, il faut près de là chercher un puits dont l'eau ne soit ni à une grande profondeur, ni de saveur amère ou salée. Si l'eau courante n'existe pas et qu'on n'ait pas l'espoir de trouver de l'eau de puits, on construira de vastes citernes pour les hommes et des piscines pour les troupeaux, dans lesquelles on rassemblera celles des eaux pluviales qui seront les plus favorables à la santé du corps. Elles seront très bonnes si elles sont conduites dans la citerne, bien couverte, par des tuyaux de terre cuite. Il est une eau qui vaut presque celle des pluies : c'est celle qui prend sa source dans une montagne, si elle en descend à travers les rochers, comme on le voit en Campanie dans le Guarcène. La troisième en qualité est l'eau d'un puits creusé sur une colline, ou du moins sur le penchant d'une vallée. La plus mauvaise de toutes est celle des marais qui rampe en son cours paresseux. Quant à celle qui reste immobile dans les marais, elle est pestilentielle ; toutefois, quelque nuisible qu'elle soit, elle devient moins malfaisante en hiver, amendée qu'elle est par les pluies : d'où il faut conclure que l'eau du ciel est éminemment salubre, puisqu'elle dissipe ce qu'avait de pernicieux un même liquide empoisonné. Au surplus, nous avons désigné celle qui est la meilleure à boire. Dans tous les cas, pour tempérer les chaleurs de l'été autant que pour l'agrément des lieux, on retire un immense avantage des ruisseaux que, si le gisement du terrain ne s'y oppose pas, il faut, à mon avis, pour peu qu'ils soient de nature douce, conduire à la métairie de quelque part qu'ils viennent. S'il se trouve une rivière au-dessous et, à une certaine distance du coteau, pourvu que la salubrité du lieu et le sol élevé de ses bords le permettent, on y élèvera les bâtiments à proximité du courant ; toutefois on fera en sorte qu'ils lui présentent plutôt le derrière, afin que la façade de l'édifice soit à l'abri des mauvais vents de la contrée et tournée vers les vents favorables : car la plupart des rivières se couvrent en été de vapeurs, et en hiver de froids brouillards, qui, s'ils ne sont emportés par la force du vent, engendrent des épidémies funestes aux hommes et aux troupeaux. Comme je l'ai dit, l'exposition la plus favorable, pour la ferme sera l'orient ou le midi dans les localités saines, et le nord dans les lieux insalubres. Il sera toujours avantageux aussi de lui faire regarder la mer, pourvu que celle-ci la batte et l'arrose de ses flots ; mais on ne devra jamais la placer ainsi sur le rivage, à moins qu'une certaine distance ne la sépare des eaux : car il vaut mieux, si l'on n'y touche pas, en être éloigné par un grand que par un petit intervalle, puisque les exhalaisons dangereuses occupent l'espace intermédiaire. Il ne convient nullement que les bâtiments soient voisins d'un marais ni d'une voie militaire : les eaux stagnantes laissent échapper, par l'effet des chaleurs, des miasmes empoisonnés, et engendrent des insectes armés d'aiguillons offensifs, lesquels fondent sur nous en épais essaims ; on y est aussi infesté par des reptiles et des serpents qui, privés de l'humidité des hivers, recueillent leur venin dans la fange et l'ordure en fermentation. On contracte souvent ainsi des maladies dont les caractères sont tellement obscurs que les médecins eux-mêmes ne peuvent les reconnaître. Là, toute l'année, l'exposition et l'humidité détériorent les instruments rustiques, les meubles, et même les fruits de la terre, tant ceux qui sont serrés que ceux qui restent à découvert. Sur les voies publiques, on est exposé au pillage de la part des voyageurs qui passent, et l'économie souffre de l'hospitalité fréquente à donner aux visiteurs. Pour éviter d'aussi graves inconvénients, je pense qu'il ne faut construire la ferme sur un chemin, ni dans un lieu malsain, mais loin de la route et sur un point élevé, en tournant la façade vers l'orient équinoxial. Une telle exposition offre un juste tempérament entre les vents d'hiver et ceux d'été. Plus le sol en sera exposé au levant, plus librement il pourra recevoir le souffle du vent d'été, et moins il aura à souffrir des tempêtes de la mauvaise saison, en même temps que dès le matin le soleil y liquéfiera les rosées glacées. D'ailleurs on considère comme à peu près pestilentielle toute position arrière du soleil et des vents chauds, en l'absence desquels aucune autre chose ne saurait dessécher ni ressuyer la glace des nuits, et tout ce qui s'est couvert de rouille ou d'ordures : choses pernicieuses aux hommes, aux animaux, aux plantes et à leurs fruits. Quiconque veut bâtir sur un terrain déclive, doit toujours commencer par le point le plus bas du sol, parce que les fondations jetées dans ce renfoncement, non seulement supporteront facilement leur muraille, mais aussi serviront de contre-fort et de soutènement à ce qu'on construira bientôt sur le point supérieur, s'il convient d'accroître la bâtisse. En effet, ce qui aura été établi dans la partie inférieure opposera une puissante résistance à ce qui, par la suite, sera édifié au-dessus ; tandis que si l'on commence vers le sommet du coteau à établir les fondations, elles auront à supporter leur propre poids, et tout ce que l'on ajoutera au-dessous s'entr'ouvrira et présentera des lézardes. Toutes les fois qu'on relie des constructions nouvelles à de vieilles, et du neuf à des ruines, le vieux bâtiment, surchargé par celui qui s'élève, finit par céder à son poids, et ce qui, bâti d'abord, menace de crouler, se dégrade peu à peu et entraîne le tout dans sa chute. Il faut donc éviter ce vice de construction dès que l'on commence à jeter ses fondations.
VI. La distribution et le nombre des pièces à construire dépendent de l'étendue de la propriété. La division se fera en trois parties : l'habitation du maître, les bâtiments rustiques et ceux à provisions. L'habitation du maître sera distribuée en appartements d'hiver et en appartements d'été, de manière que les chambres à coucher, pour l'hiver, regardent l'orient de cette saison, et les salles à manger le couchant équinoxial. Les chambres à coucher, pour l'été, feront face au midi, et les salles à manger, pour la même saison, à l'orient d'hiver. Tournez vers l'occident d'été les salles de bain, afin qu'elles soient visitées par le soleil de l'après-midi, et jusqu'au soir. Les galeries pour la promenade seront exposées au midi équinoxial, afin qu'elles reçoivent plus de soleil en hiver et moins durant l'été. Dans la partie rustique, on fera une grande et haute cuisine, afin que la charpente du plancher soit moins exposée à l'incendie, et que les gens de la ferme puissent en tout temps s'y tenir commodément. Il sera tout à fait à propos de placer au midi équinoxial les chambres des esclaves qui ne sont point enchaînés ; les autres occuperont une retraite souterraine la plus saine qu'il sera possible de trouver, éclairée par de nombreuses, mais étroites fenêtres, assez élevées au-dessus du sol pour qu'ils ne puissent y atteindre avec la main. Les étables des bestiaux n'auront rien à redouter ni du froid ni de la chaleur. Pour les bêtes de travail, on bâtira de doubles étables, les unes pour l'hiver, les autres pour l'été. Quant aux autres bestiaux qu'il faut tenir dans l'intérieur de la ferme, on leur disposera des retraites, les unes couvertes, les autres découvertes, entourées de hautes murailles, afin que, placés dans celles-là pendant l'hiver, dans celles-ci durant l'été, ils puissent se reposer à l'abri des attaques des bêtes féroces. Toutes ces étables seront ordonnées de manière qu'il n'y puisse filtrer aucune humidité, et que celle qui s'y formera s'en écoule promptement, et ne pourrisse ni les fondations des murs ni la corne des pieds des animaux. Les bouveries devront être larges de dix pieds ou de neuf au moins : cette étendue est nécessaire pour que le boeuf puisse se coucher, et pour que le bouvier puisse à l'aise circuler autour de l'animal. Il n'est pas nécessaire que les mangeoires soient plus élevées qu'il ne suffit au boeuf ou au cheval pour atteindre sa nourriture étant debout. Près de la porte on établira l'habitation du fermier, afin qu'il puisse voir ce qui entre ou sort. Pour le même motif, le procurateur aura son logement au-dessus de la porte elle-même : ce voisinage lui fournira, en outre, les moyens de surveiller le fermier. A proximité de l'un et de l'autre sera le magasin destiné à recevoir les instruments d'agriculture, dans l'intérieur duquel les objets en fer seront serrés en une pièce bien fermée. Les chambres des bouviers et des bergers seront auprès des animaux confiés à leur garde, afin qu'il leur soit facile de les soigner aux moments convenables. Tous ces domestiques doivent, au surplus, habiter à peu de distance les uns des autres, pour que l'activité du fermier, en parcourant les diverses parties de son exploitation, ait moins à s'écarter, et que chacun d'eux soit témoin du zèle ou de la négligence de ses camarades. Les bâtiments à provisions se divisent en huilerie, en pressoir, en cellier à vins, en pièce à cuire le moût, en fenil, en pailler, en magasins et en greniers, de manière que les pièces de plain-pied reçoivent les liquides tels que le vin et l'huile destinés à la vente ; et qu'on entasse dans les greniers planchéiés les blés, le foin, les feuilles, les pailles et les autres fourrages. On arrivera aux greniers par des escaliers, et ils seront aérés au moyen de petites fenêtres du côté du nord, parce que ce point de l'horizon est le plus froid et le moins humide : double avantage qui assure la longue conservation des productions de la culture. Par la même raison, les celliers à vin seront établis au rez-de-chaussée, éloignés des bains, du four, des fumiers et autres immondices exhalant une mauvaise odeur, aussi bien que des citernes et des eaux courantes dont l'humidité peut gâter les vins. Je ne dois pas oublier de dire que quelques personnes considèrent comme le meilleur emplacement pour serrer les grains une voûte pratiquée dans le sol, offrant une aire qui, après avoir été remuée et, humectée de lie d'huile fraîche et non salée, a été battue et condensée avec des battes à la manière des maçonneries de Segnia. Quand le tout est bien sec, on le recouvre de pavés en brique qui, dans la fabrication, au lieu d'eau, ont aussi reçu de la lie d'huile mêlée avec de la chaux et du sable. Ces pavés sont enfoncés à grande force, puis polis, et l'on garnit toutes les jointures des murs et du sol avec du ciment. C'est une précaution d'autant plus nécessaire de ne laisser aucuns trous dans cette construction, qu'ils fourniraient des retraites aux animaux souterrains. Les greniers seront divisés en compartiments, afin que chaque légume y soit déposé séparément. On recouvre les murs d'un enduit de terre détrempée avec de la lie d'huile dans lequel on substitue à la paille des feuilles sèches d'olivier sauvage, ou, à leur défaut, de tout, autre olivier. Dès que cet enduit est bien sec, on l'imbibe encore de lie d'huile ; puis, lorsqu'elle est desséchée, on peut y déposer le froment. Ce travail paraît protéger très avantageusement les dépôts de grains contre le dommage qu'occasionnent les charançons et les autres insectes de même genre, qui, par faute de tels soins, auraient promptement dévoré ces céréales. On ne saurait dissimuler néanmoins que ces greniers que nous verrons de décrire, s'ils n'occupent dans la ferme une position très sèche, ne pourront préserver de la moisissure les grains le mieux en état d'y résister. Si un tel emplacement n'existe pas, on peut aussi les conserver sous terre, comme on en use dans quelques contrées d'outremer, où le sol, creusé en manière de puits qu'on y appelle siros, reçoit les productions qu'il a données. Mais, dans notre Italie où l'humidité est considérable, nous croyons préférables les greniers élevés dont l'aire a été préparée et les murs enduits, puisque, comme je l'ai dit, le sol et la muraille, dans ces conditions, ne permettent pas aux charançons d'y pénétrer. Quand ce fléau survient, beaucoup de personnes pensent qu'on peut s'en délivrer en exposant, dans le grenier, les grains attaqués à la ventilation et à une sorte de refroidissement. Cette assertion est de toute fausseté ; car par ce procédé les insectes ne sont pas chassés, mais sont dispersés dans tous les tas. Si, au contraire, on ne les déplace pas, ils n'endommagent que la superficie de ces monceaux, puisqu'on ne voit pas le charançon naître au-dessous de la profondeur d'un palme. Or, il vaut mieux sacrifier ce qui est déjà gâté, que d'exposer toute la récolte. Quand on aura besoin de grain, il sera facile d'enlever la partie altérée et d'employer les couches inférieures. Au reste, quoique ces observations soient étrangères à la matière que nous traitons, je ne regarde pas comme hors de propos de les rapporter en ce lieu. Les pressoirs, surtout les celliers à huile, doivent être chauds, parce que tout liquide se dissout mieux par l'effet de la chaleur que si le froid le concentre et le resserre. L'huile qui se dégage lentement est exposée à se congeler et à se gâter. Mais s'il est besoin de la chaleur naturelle qui résulte du climat et de l'exposition, il n'en est pas de même de celle que l'on se procurerait à force de feu et de flamme ; car la fumée et la suie détériorent la saveur de l’huile. C'est pourquoi le pressoir devra tirer ses jours du midi, afin que l'on puisse se passer de feu et de lampe lorsqu'on y pressera des olives. Le cortinal, où l'on cuit certains vins, ne sera ni étroit ni obscur, afin que l'ouvrier qui opère la cuisson du moût puisse circuler sans embarras. Le fumoir, dans lequel le bois, s'il n'est depuis longtemps coupé, doit être promptement séché, peut être établi dans la partie de la ferme où se trouvent les bains des ouvriers, qui, au reste, n'en usent que les jours de fête, car leur fréquent usage est loin d'entretenir la force du corps. C'est avec avantage qu'on place les magasins au-dessus de ces pièces, d'où s'élève souvent de la fumée, puisque les vins vieillissent plus promptement quand une certaine proportion de fumée accélère leur maturité. Il sera bon d'avoir un autre cellier où ils seront transportés, de peur que, soumis à une fumigation trop prolongée, ils n'en soient altérés. Nous nous sommes suffisamment étendus sur ce qui concerne la situation et la disposition de la ferme. Parlons maintenant de ses accessoires. Le four et le moulin seront proportionnés au nombre d'ouvriers à nourrir. On creusera au moins deux piscines, dont l'une sera réservée pour les oies et le troupeau, et dont l'autre sera employée à macérer les lupins, les osiers, les gaulettes, et les autres choses qu'on a besoin d'y faire tremper. Les fosses à engrais seront aussi au nombre de deux : la première recevra les nouvelles curures d'étables et les conservera durant un an ; et la seconde servira de dépôt aux fumiers anciens et propres à être employés. Toutes deux seront, comme les piscines, creusées dans un sol légèrement incliné, murées et pavées de manière à ne laisser échapper aucun liquide : car il importe beaucoup que, par son état humide, le fumier conserve toute sa force, et se macère dans un liquide continuel, afin que s'il s'y mêle aux litières et aux pailles quelques graines d'épines ou de mauvaises herbes, elles pourrissent, et, portées dans les champs, ne nuisent pas aux moissons. En conséquence, les cultivateurs habiles couvrent avec des claies les apports des bergeries et des étables, qui seraient desséchés par le grand air ou seraient brûlés par les rayons du soleil. Autant qu'on le pourra, on établira l'aire de manière qu'elle soit à portée des regards soit du maître, soit du procurateur. La meilleure sera celle qui aura un pavé de pierres dures, parce que les grains y sont plus promptement tirés de leur balle, que le sol y résiste mieux au pied des animaux et à la pression du traîneau, que le vent l'entretiendra mieux dans un état de propreté, qu'il ne s'y trouvera pas de gravier ni de petites mottes, que donnent presque toujours, pendant le battage, les aires qui ne sont que de terre. Près de là sera un lieu destiné à abriter les grains à demi battus, dans le cas où il surviendrait une averse : cette précaution, très nécessaire en Italie, en raison de l'inconstance de son ciel, serait superflue dans quelques contrées d'outre-mer, où l'été se passe sans pluies. On entourera de haies les vergers et les jardins, qui devront être à proximité, et dans un emplacement où on puisse les faire profiter des écoulements des fumiers de la basse-cour, des bains, et des lies provenant de l'expression des olives : car les légumes et les arbres se trouvent bien des aliments de cette nature.
VII. Toutes ces choses se trouvant ou ayant été ainsi disposées, les soins principaux du maître seront réclamés par quelques autres objets, et principalement par le personnel de son exploitation : il se compose des fermiers et des esclaves, soit libres, soit enchaînés. Il traitera les premiers avec affabilité, se montrera doux, et plus exigeant pour le travail que pour le payement des fermages : cette manière d'agir les blesse moins, et est plus avantageuse en tout. En effet, lorsqu'une terre est soigneusement cultivée, le fermier doit toujours y faire des bénéfices, à moins de force majeure, comme orage ou pillage. Hors ce cas, le fermier n'oserait demander la remise de l'arriéré. Le maître ne doit pas, non plus, être tenace au point de faire remplir strictement en chaque chose les obligations contractées envers lui, telles que le payement des fermages, la livraison du bois et autres menues redevances qu'il a droit d'exiger, mais dont l'acquittement cause au fermier plus de dérangement qu'elles ne lui occasionnent de dépense. En général, il ne faut pas toujours réclamer ce à quoi l'on a droit ; car nos ancêtres regardaient la grande rigueur du droit comme la plus grande des tyrannies. Il ne faut cependant pas montrer trop d'indulgence; car, comme le disait avec raison l'usurier Alphius, les meilleures obligations deviennent mauvaises faute d'être exigées à leur échéance. De nos jours, j'ai entendu dire à L. Volusius, homme consulaire et très riche, que pour un père de famille le fonds le plus productif était celui dont les fermiers étaient du pays, et qui, nés sur cette terre comme sur leur patrimoine, y restant dès le berceau, y avaient contracté de longues habitudes. Assurément, c'est bien mon opinion, qu'il y a de l'inconvénient à changer souvent de fermiers, et que le pire de tous est un fermier citadin qui aime mieux faire cultiver par ses gens que cultiver lui-même. Saserna disait qu'il fallait plutôt attendre d'un homme de ce genre des procès que des fermages; qu'en conséquence, il fallait s'appliquer à retenir des fermiers villageois et diligents, quand nous ne pouvions pas nous livrer nous-mêmes à la culture ni la faire exécuter par nos gens : ce qui n'arrive que dans les cantons en proie à l'insalubrité de l'air et à la stérilité du sol. Au reste, quand l'un ou l'autre inconvénient est médiocre, les soins du fermier tirent toujours moins de produits de la terre que n'en obtient le maître, ou même son métayer, à moins d'extrême paresse et d'infidélité de la part de cet esclave. Mais il n'est pas douteux que le plus souvent ces désagréments ne proviennent de la faute du maître ou ne soient favorisés par lui, puisqu'il lui est loisible ou d'éviter de mettre un tel homme à la tête de ses affaires, ou de lui en retirer la gestion. Toutefois, quand une terre est éloignée au point qu'il soit difficile au propriétaire de s'y transporter, toute espèce de fonds prospérera plus sous des fermiers libres que sous des métayers esclaves : c'est ce qu'on peut dire surtout des terres arables, que le fermier ne saurait dévaster comme les vignes et les arbres. Les esclaves peuvent causer de grands dommages, soit en donnant à louage les boeufs de la terre, soit en les nourrissant mal, ainsi que les autres bestiaux, soit en ne labourant pas à propos, soit en faisant payer plus de semence qu'ils n'en ont confié aux sillons, soit en ne soignant pas, pour les faire prendre, les plantes qu'ils ont mises en terre, soit, lorsque la moisson est portée sur l'aire, en diminuant le produit du battage par fraude ou par négligence : car ils le dérobent eux-mêmes ou bien ils le laissent prendre par d'autres voleurs, ou ils ne le portent pas fidèlement en compte. Il en résulte que le maître-valet et ses gens se comportent mal, et que trop souvent une terre se trouve ainsi décréditée. C'est pourquoi je suis d'avis qu'il faut donner à ferme ce genre de domaine, si, comme je m'en suis expliqué, il doit être privé de la présence du maître.
VIII. Après le fermier, le soin le plus important concerne les esclaves, afin de savoir à qui d'entre eux il convient de remettre chaque emploi et de confier tel ou tel travail. Je commence donc par avertir que nous ne devons pas tirer le fermier de cette espèce d'esclaves dont les belles formes ont su plaire, ou qui ont exercé à la ville des arts enfantés par la mollesse. Cette espèce de valets, paresseuse et dormeuse, accoutumée à la fainéantise, à la promenade, au cirque, aux théâtres, au jeu, au cabaret, aux mauvais lieux, ne songe qu'à ces futilités, dont le goût porté à la campagne n'est pas moins funeste à l'esclave lui-même que préjudiciable à tous les intérêts du maître. Le choix doit porter sur un homme endurci dès l'enfance aux travaux de l'agriculture, et connu pour son expérience. Si pourtant on ne peut trouver un tel homme, on en prendra un de ceux qui ont rempli un service pénible. Il aura dépassé l'âge de la première jeunesse et ne touchera point encore à la vieillesse : celle-là affaiblirait l'autorité du commandement, puisque les gens âgés dédaignent d'obéir à un jeune homme ; celle-ci l'exposerait à succomber sous le poids des fatigues de son travail. En conséquence, il doit être parvenu à un âge moyen, être robuste, instruit des travaux des champs, et surtout doué d'un grand zèle pour apprendre au plus tôt son service. Nos affaires seraient en souffrance si l'un avait le commandement et que son subordonné lui donnât des leçons : en effet, peut-on exiger un bon travail quand on est obligé de demander à un subordonné ce qu'il faut faire et comment on doit opérer ? Un homme illettré peut, à la rigueur, conduire assez bien son affaire, pourvu qu'il soit doué d'une excellente mémoire. Cornelius Celse dit qu'un tel métayer apporte à son maître plus souvent de l'argent que le registre, parce que son ignorance ne lui permet pas d'établir lui-même des comptes fictifs, et qu'il n'oserait en charger un autre, dans la crainte qu'on ne découvre son infidélité. Au surplus, quel que soit le métayer choisi, il faut lui associer une femme de la maison, qui le retienne, et le seconde même en certaines choses. On lui prescrira, ainsi qu'à son maître-valet, de ne pas prendre ses repas avec les domestiques, et moins encore avec les étrangers. Quelquefois cependant il pourra, les jours de fête, et comme témoignage honorable, admettre à sa table celui qu'il aura reconnu toujours zélé et constant dans ses travaux. Il ne fera pas de sacrifices, à moins que ce ne soit d'après l'ordre du maître; il ne recevra dans sa maison ni aruspices, ni sorcières, sorte de gens qui, entretenant de vaines superstitions, poussent les ignorants à la dépense et à l'immoralité ; il s'abstiendra d'aller à la ville et aux marchés, à moins que ce ne soit pour acheter ou pour vendre des objets de sa compétence. En effet, comme dit Caton, un métayer ne doit pas être un coureur et ne doit pas franchir les limites de sa terre, si ce n'est pour apprendre quelque procédé de culture, et cela même, à si peu de distance, qu'il puisse bientôt être de retour. Il ne souffrira pas que l'on pratique de nouveaux sentiers, ni qu'on déplace les bornes; il ne donnera chez lui l'hospitalité à d'autre personne qu'à un ami intime de son maître. En lui faisant ces défenses, il faut aussi l'exhorter à prendre soin des outils et de tous les instruments de fer, qu'il gardera bien réparés et placés en nombre double des esclaves qui les emploient, pour n'être pas obligé d'en emprunter dans le voisinage, parce qu'on perd plus par le chômage des esclaves que par la dépense de ces objets. Il tiendra ses gens bien entretenus et vêtus plutôt pour la commodité que pour l'élégance, de manière à les préserver des effets du vent, du froid et de la pluie : des casaques de peau pourvues de manches, de vieux habits de maître qu'on a rapiécés, ou des saies à capuchon rempliront bien ce but. A cette condition, il n'y a jour si mauvais où l'on ne puisse travailler en plein air à quelque ouvrage. Non seulement le métayer sera propre aux travaux agricoles, mais, autant que le comporte son état d'esclave, il sera vertueux, afin qu'il ne commande ni avec mollesse ni avec dureté. Il doit avoir des égards pour les bons, et même quelque indulgence pour ceux qui le sont moins, de manière qu'on craigne sa sévérité plutôt qu'on ne déteste sa rigueur. C'est ce à quoi il pourra parvenir, s'il aime mieux contenir dans le devoir ses subordonnés que les punir pour les fautes que sa négligence leur aurait laissé commettre. Il n'y a pas de meilleur moyen de gouverner, même un méchant homme, que de lui imposer une tâche, de n'exiger de lui que ce qui est juste, et de le surveiller avec assiduité. Ainsi, pour chaque partie, les chefs de travail s'acquitteront exactement de leur devoir, et les autres, après leurs fatigues, pourront se livrer non pas aux délices, mais au repos et au sommeil. Puissent revivre pour les métayers ces anciennes habitudes qui étaient excellentes, mais qui sont tombées en désuétude, de n'employer le ministère d'aucun de ses compagnons d'esclavage, si ce n'est pour le service du maître ; de prendre ses repas en présence des gens, de ne pas manger d'autres mets que les leurs ! Ainsi le métayer aura soin que le pain soit bien conditionné, et que les autres aliments soient de nature bien saine. Il ne laissera sortir personne de la ferme, à moins qu'il ne l'envoie lui-même, ce qu'il ne devra faire que pour un cas d'urgence. Il ne fera pour son compte aucun commerce, et n'emploiera pas l'argent de son maître en achat d'animaux ni d'autres marchandises : un tel commerce détourne le métayer de ses obligations, et ne lui permet pas de bien conduire les affaires du maître, qui, lorsqu'il demande à compter, ne voit que des acquisitions au lieu d'argent. Ce qu'il faut surtout obtenir de cet agent, c'est que, loin de penser savoir ce qu'il ignore, il cherche toujours à s'instruire de ce qu'il ne connaît pas : car les choses mal faites causent plus de perte qu'on ne trouve d'avantage à les bien exécuter. Il est un seul principe fondamental en agriculture, c'est de faire tout de suite ce qu'une bonne culture exige : car, lorsqu'il faut revenir à remédier soit à l'imprudence, soit à la négligence, les affaires ont grandement souffert, et ne peuvent désormais prospérer au point de réparer les pertes éprouvées et de reproduire les bénéfices évanouis. Pour les autres esclaves, il faut observer ces préceptes, auxquels je ne me repens pas d'être fidèle. Pourvu qu'ils se fussent bien comportés, j'entrais en conversation plus fréquente et plus familière avec mes gens de la campagne qu'avec ceux de la ville, et, voyant que mon affabilité procurait quelque adoucissement à leurs continuels travaux, je plaisantais joyeusement avec eux et leur permettais d'en faire autant avec moi. Il m'arrive même souvent de délibérer avec ces gens, comme avec des personnes capables, sur quelques opérations nouvelles ; ainsi j'apprends à connaître l'esprit de chacun d'eux, la qualité et l'étendue de ses moyens. Je les vois alors se livrer plus volontiers au travail sur lequel je les ai consultés et qu'ils croient entrepris par l'effet de leurs conseils. Mais ce qui ne doit point échapper à tout propriétaire attentif, c'est d'inspecter l'état des prisons, d'examiner si les esclaves sont attachés comme il convient, si les loges sont solides et suffisamment sûres, et si, à l'insu du maître, le métayer a mis quelqu'un aux fers ou s'il l'en a détaché. En effet, il doit surtout observer de ne pas mettre en liberté, sans la permission du père de famille, celui qu'il a condamné, ni déchaîner celui qu'il aurait condamné lui-même sans en avoir prévenu le maître. La surveillance du père de famille, à l'égard des esclaves enchaînés, doit être attentive au point qu'ils n'aient pas à souffrir dans la distribution des vêtements ni des choses qu'on doit leur donner, d'autant plus que, soumis à plusieurs supérieurs, aux métayers, aux chefs des travaux, aux geôliers, ils sont exposés à plus d'injustices, de vexations, et peuvent devenir plus redoutables quand ils ont été les victimes de la cruauté et de l'avarice. C'est pourquoi un bon maître s'informera auprès de ces esclaves, et auprès de ceux qui ne sont pas enchaînés, lesquels méritent plus de confiance, si chacun a reçu ce qui lui revient équitablement. Lui-même goûtera le pain et la boisson, pour juger leur qualité ; il vérifiera l'état des habits, des manches et des chaussures. Souvent aussi il leur permettra de se plaindre des vexations et des fraudes qu'ils endurent. Quant à moi, autant je m'empresse de venger les opprimés qui se plaignent justement, autant je punis avec rigueur ceux qui excitent des émeutes et qui calomnient leurs chefs ; comme aussi je récompense l'activité et la capacité. Je dispense parfois de travail et j'appelle même à la liberté les femmes fécondes, qui méritent ces avantages par le nombre des enfants qu'elles ont élevés : ainsi je fais remise de travaux à celles qui en ont trois ; je rends libres celles qui en ont davantage. Cette justice et ce soin du père de famille contribue puissamment à l'accroissement de son patrimoine. Le maître n'oubliera pas, à son retour de la ville, d'adorer ses dieux pénates; ensuite, et sans tarder, s'il en a le temps, sinon, le lendemain de son arrivée, d'aller visiter son domaine dans toute son étendue, puis d'en revoir et d'en apprécier chaque portion, afin de s'assurer si, pendant son absence, il n'y a pas eu relâchement dans les devoirs et dans la surveillance ; s'il ne lui manque ni vigne, ni arbre, ni autres productions. Il fera le recensement de ses troupeaux et de ses gens, des outils et du mobilier dont sa terre est pourvue. S'il continue d'en agir ainsi pendant plusieurs années, il parviendra à établir une habitude d'ordre dont il goûtera les fruits lorsqu'arrivera la vieillesse, et il ne sera jamais assez affaibli par l'âge pour ne pas imposer à ses esclaves. En quoi les esclaves doivent contribuer à chaque ouvrage.
IX. Il faut dire aussi quels sont les travaux auxquels chaque esclave doit contribuer selon sa force et son intelligence. Il faut préposer à l'ouvrage des chefs soigneux et sobres : pour cet objet ces deux qualités sont plus importantes que la taille et la force du corps, puisque ce service est un ministère de garde diligente et de capacité. Quoique nécessaires au bouvier, les qualités intellectuelles ne lui suffisent pas, il faut encore que l'ampleur de sa voix et sa stature le rendent redoutable à ses bestiaux. Il doit pourtant tempérer la force par la douceur, et plutôt inspirer la crainte qu'être cruel : ses boeufs ainsi obéiront mieux à son commandement et dureront plus longtemps, que s'il les accablait de travail et de coups. Mais je dirai en son lieu quels sont les devoirs des chefs des travaux et ceux des bouviers ; il suffit maintenant d'avertir que la force et la taille n'importent nullement aux premiers, tandis qu'elles sont indispensables aux derniers. Nous exigeons que le laboureur soit très grand, comme je l'ai dit, pour les raisons que je viens de donner, et parce que parmi les travaux de la campagne le labourage est celui qui fatigue le moins un homme d'une taille élevée, en raison de ce que, travaillant presque droit, il peut s'appuyer sur le manche de sa charrue. La taille du valet de second rang est indifférente, pourvu qu'il soit assez fort pour supporter le travail. Les vignes demandent des hommes plutôt larges de poitrine et membrus que d'une taille élevée, car ils sont plus propres au bêchage, à la taille et aux autres façons qu'elles réclament. Cette partie de l'agriculture requiert moins de frugalité que quelques autres, parce que le vigneron doit travailler en compagnie et sous les yeux d'un moniteur ; et comme ordinairement l'esprit des mauvais sujets est plus actif, c'est à eux que l'on réserve cette culture, qui demande à la fois de la force physique et de l'intelligence. C'est pourquoi on fait le plus souvent travailler les vignes par les esclaves qui sont à la chaîne. Toutefois, à dispositions égales, un homme honnête s'en acquittera mieux encore qu'un méchant. Je fais ici cette observation pour qu'on ne pense pas que j'aie l'opinion que les champs sont mieux cultivés par le dernier que par le premier de ces hommes ; mais je suis convaincu que, pour ne pas confondre les travaux des gens de la ferme, il faut qu'il y en ait pour tout le monde. La confusion est préjudiciable à l'agriculteur, soit parce que personne ne considère comme son propre l'ouvrage qu'on lui fait exécuter ; soit parce que chacun, voyant qu'on ne lui tient pas personnellement compte de ses efforts, qui ne sont avantageux qu'à la totalité de ses camarades, se soustrait autant qu'il est possible à l'obligation du travail. On ne peut d'ailleurs constater ce qui a été mal exécuté par chacun quand tous s'en sont occupés. Il est donc à propos de séparer les laboureurs des vignerons, les vignerons des laboureurs, et les uns et les autres des valets de second rang. Les classes ne seront pas composées de plus de dix hommes : c'est ce que les anciens appelaient des décuries, et ils se trouvaient bien de ce mode, qui est avantageusement employé dans le travail, et n'offre pas une foule qui rendrait vaine l'attention du moniteur qui les dirige. En conséquence, si le champ est très spacieux, on distribuera ces classes dans des quartiers distincts, et l'on divisera le travail de manière que les individus ne soient ni seuls ni deux à deux : car les disperser, c'est en rendre la surveillance difficile. Pourtant il ne faut pas élever le nombre à plus de dix par classe, parce que, je le répète, lorsqu'il y a foule, chacun croit que le travail dont il s'occupe n'est pas le sien. L'ordre que j'indique non seulement excite l'émulation, mais fait connaître les paresseux : en effet, quand le travail est animé par l'émulation, la punition infligée aux paresseux paraît juste, et ne saurait exciter de réclamation. Mais, après avoir instruit le futur agriculteur des soins que réclament la salubrité, les chemins, le voisinage, l'eau, la situation de la ferme, la distribution du fonds, les fermiers et les esclaves, la répartition des obligations et du travail, nous arrivons à propos à la culture du sol, sur laquelle nous allons nous étendre dans le livre suivant.
I. Vous me demandez, Publius Silvinus, et je ne refuse pas de vous en instruire sans retard, pourquoi, dans mon premier livre, dès le commencement, j'ai repoussé l'opinion de presque tous les anciens et rejeté le sentiment erroné de ceux qui pensent que, fatiguée et épuisée par l'action d'un âge si prolongé et par les travaux de tant de siècles, la terre est arrivée à la vieillesse. Je n'ignore pas que vous avez un grand respect pour l'autorité de tant d'illustres écrivains, et surtout de Tremellius, qui nous a laissé sur l'agriculture un grand nombre de préceptes aussi remarquables par l'élégance du style que par le savoir qu'ils révèlent, et qui, séduit évidemment par l'excès de son amour pour nos aïeux, a cru faussement que la terre, cette mère de toutes choses, accablée déjà par la vieillesse, était, comme les vieilles femmes, devenue inhabile à la génération. J'en conviendrais, si je ne voyais plus naître de productions nulle part. Or, la vieillesse humaine est constatée, non pas quand la femme cesse de mettre au monde trois ou deux enfants à la fois, mais quand elle ne peut plus donner aucune production. C'est pourquoi, passé le temps de la jeunesse, quand même une longue vie serait encore accordée à la femme, la faculté d'engendrer, que les années lui refusent, ne lui est pas restituée. La terre, au contraire, abandonnée soit volontairement, soit par quelque accident, répond, si on la remet en culture, au soin du cultivateur par de gros intérêts pour le repos dont elle a joui. Le vieil âge de la terre n'est donc pas la cause de la diminution de ses productions, puisque, quand une fois la vieillesse est venue, elle ne retourne point sur ses pas, et que nous ne pouvons ni rajeunir, ni reprendre la vigueur du jeune âge. Ce n'est pas, non plus, la lassitude du sol qui cause la diminution des produits : il ne serait pas sage de dire que, comme dans l'homme le corps se fatigue par un trop violent exercice ou par la surcharge d'un fardeau, de même la lassitude de la terre est le résultat des cultures et du remuement des champs. Qu'est-ce donc, me dites-vous, que cette assertion de Tremellius, qui observe que les lieux jadis incultes et sauvages, après avoir d'abord commencé par rapporter avec abondance, ne tardent guère à ne plus répondre avec la même fécondité aux travaux du laboureur ? Sans doute il voit ce qui arrive, mais il n'en a pas pénétré la cause. En effet, un sol neuf, et passant de l'état sauvage à la culture, n'est pas plus fertile parce qu'il a plus de repos et de jeunesse, mais parce que, durant de longues années, les feuilles et les herbes que la nature produit d'elle-même l'engraissant en quelque sorte d'une nourriture copieuse, suffisent pour lui procurer les moyens de faire naître et de nourrir des récoltes ; mais aussi, dès que la herse ou la charrue n'a plus de racines de végétaux à briser, que les bois abattus ne nourrissent plus de leur feuillage la terre qui les a produits, et que les feuilles qui, en automne, tombées des arbres et des buissons, couvraient la surface de la terre, venant à y être enfouies par la charrue, se mêlent aux couches inférieures, qui sont les moins fécondes , et s'y trouvent absorbées : alors il s'ensuit que, privée de son ancienne nourriture, la terre ne tarde pas à maigrir. Ce n'est donc point par la fatigue, comme plusieurs personnes le prétendent, ni par l'effet de la vieillesse, mais par notre nonchalance, que nos sillons répondent avec moins de bienveillance à notre espoir ; mais l'on peut accroître leurs productions, si on veut les entretenir par des engrais fréquents, faits en temps convenable et dans de justes proportions. Dans le livre précédent, nous avons promis de parler de cette culture; nous allons nous en occuper.
II. Les hommes les plus experts en agriculture, Silvinus, ont dit qu'il existait trois genres de terrains : la plaine, la colline, la montagne. En plaine, ils regardent comme le meilleur terrain celui qui n'est pas complètement plat et nivelé, mais qui offre une légère inclinaison ; sur les collines, celui qui s'élève doucement et mollement ; sur les montagnes, celui qui n'est ni trop haut ni escarpé, mais qui offre des bois et de l'herbe. Chacun de ces genres de sol se divise en six espèces : il est gras ou maigre, léger ou compacte, humide ou sec. Ces qualités, mêlées entre elles et par couches alternatives, donnent lieu à plusieurs variétés. Il n'est pas de la compétence d'un praticien agriculteur de les énumérer; ce n'est pas non plus l'objet de l'art du cultivateur de se perdre dans toutes ces variétés, qui sont innombrables; il se bornera à s'occuper des principales espèces, qu'il peut facilement distinguer et définir avec exactitude. Bornons-nous donc à rapprocher en certains points ces qualités distinctes entre elles, que les Grecs appellent g-syzygias g-enantitehtohn, et que nous désignerions assez bien sous le nom de comparaisons des différences. En outre, il est bon de faire connaître que de toutes les productions de la terre, le plus grand nombre se plaît moins sur les collines que dans la plaine, et préfère un terrain gras à un sol maigre. Pour les terres, soit sèches, soit arrosées, nous ne savons lesquelles l'emportent par le nombre de leurs productions, la quantité de plantes qui prospèrent dans les lieux secs et dans les lieux humides étant de part et d'autre presque infinie ; cependant, toutes préfèrent un sol meuble à un sol compacte. Aussi notre Virgile, après avoir énuméré les autres qualités que doit avoir un champ pour être fécond, n'oublie-t-il pas d'indiquer « Un sol friable : car c'est pour le rendre tel qu'on laboure. » Cultiver la terre n'est pas autre chose que l'ameublir et l'engraissera et c'est alors qu'elle produit de grands revenus. Aussi un terrain gras et meuble, tout en rendant beaucoup, demande peu, et ce qu'il demande n'exige que peu de travail et de faibles dépenses : c'est donc à bon droit qu'on appelle excellent un pareil terrain. Celui qui est gras et compacte vient ensuite ; parce qu'il paye par une abondante production les dépenses et le travail du cultivateur. Le troisième sera celui qui est arrosé, parce qu'il peut rapporter sans frais. Caton même le mettait au premier rang, lui qui préférait à tout le revenu des prés. Mais nous nous occupons présentement du travail de la terre, et non de sa situation. Il n'y a pas de plus mauvais sol que celui qui est à la fois sec, compacte et maigre : parce que, tout en exigeant, de pénibles labours, il ne récompense pas des soins qu'il coûte, et que si on l'abandonne à lui-même il n'offre pas la ressource d'un bon pré et d'un bon pâturage. C'est pourquoi un tel champ, qu'on le cultive ou non, est pour le cultivateur une source de regrets, et doit être évité comme un champ pestilentiel : car si celui-ci donne la mort, l'autre amène l'affreuse compagne de la mort, la famine ; si pourtant nous ajoutons foi à ce cri des muses grecques « Il n'est pas de plus misérable destinée que de mourir de faim. » Maintenant faisons plutôt mention du sol fertile, qu'il faut envisager sous deux points de vue : cultivé ou sauvage. Nous parlerons d'abord de la transformation d'un terrain sauvage en champ labourable, puisque, avant de cultiver un champ, il faut le créer. Considérons donc un lieu inculte : est-il sec ou humide, rempli d'arbres ou hérissé de pierres, couvert de joncs ou d'herbes, on bien embarrassé de fougères ou de broussailles. S'il est humide, on le desséchera au moyen de fossés qui recevront les eaux surabondantes. Nous connaissons deux sortes de fossés : ceux qui sont cachés, et ceux qui sont ouverts. Dans les terrains compactes et argileux, on préfère ces derniers ; mais partout où la terre est moins dense, on en creuse quelques-uns d'ouverts, et les autres sont recouverts, de manière que les derniers s'écoulent dans les premiers. Les fossés ouverts seront plus larges en haut qu'à leur fond vers lequel la pente est déclive, et présenteront l'apparence d'une tuile renversée; car s'ils étaient taillés perpendiculairement, ils seraient bientôt dégradés par les eaux et se combleraient par l'éboulement du sol supérieur. Pour les fossés couverts, on creuse une sorte de sillon à la profondeur de trois pieds ; quand on les a remplis à moitié avec de petites pierres ou du gravier pur, on finit de les combler avec une partie de la terre qu'on en avait tirée. Si on n'a à sa disposition ni caillou ni gravier, on formera comme un câble des sarments liés ensemble, assez gros pour occuper le fond de la fosse qui en est la partie la plus étroite, et clans laquelle on le presse et l'adapte ; puis on recouvrira les sarments avec des ramilles soit de cyprès, soit de pin, ou, à leur défaut, avec des feuillages quelconques, que l'on pressera fortement avec le pied, et sur lesquels on répandra de la terre. Après cette opération, on établira aux deux extrémités du fossé, comme on le fait pour les petits ponts, deux pierres seulement comme deux piles, sur lesquelles on placera une troisième pierre, afin que cette construction soutienne les bords et empêche qu'il n'y ait encombrement, par l'effet de la chute et de la sortie des eaux. Quant aux terrains couverts de bois et de buissons, il y a deux moyens de les défricher : il faut arracher à fond les arbres et les enlever ; ou, s'ils sont en petit nombre, les couper, brûler ce qui en reste, et enfouir les cendres au moyen du labourage. Le terrain caillouteux sera rendu propre à la culture par l'enlèvement des pierres. S'il y en a une quantité, considérable, on fera comme des constructions dans quelque coin du champ, afin de pouvoir en débarrasser le reste ; ou bien on les enterrera dans une tranchée profonde : ce qu'on ne devra pourtant faire que si le prix de la main d'oeuvre n'est pas élevé. Le binage de la terre fera périr les joncs et les herbes. La fougère ne cède qu'à une extirpation fréquemment répétée : l'emploi de la charrue peut remplir le même but, puisqu'il suffit le plus souvent d'en faire usage pendant deux ans de suite pour faire mourir cette plante. On y parvient plus promptement encore, si, durant la même période de temps, on engraisse le terrain et qu'on l'ensemence de lupins ou de fèves, afin de tirer du remède même quelque bénéfice. Il est constant, en effet, qu'on détruit facilement la fougère au moyen des cultures et des engrais. Si, en outre, on la fauche dès qu'elle commence à sortir de terre (travail qu'au besoin pourrait faire un enfant), elle aura perdu toute sa force dans l'espace de temps qui vient d'être indiqué. Aux moyens de rendre un champ propre à la culture, viennent se joindre les soins à donner aux terrains nouvellement défrichés. Je dirai bientôt ce que j'en pense, mais je dois auparavant enseigner à ceux qui s'occupent d'agriculture ce qu'il faut d'abord qu'ils sachent. Je n'ai pas oublié plusieurs de nos anciens qui ont écrit sur l'économie rurale : ils regardent comme des signes reconnus et certains d'un sol gras et fertile en blé, une terre douce au toucher, produisant des herbes et des arbres, et présentant une couleur noire ou cendrée. Je ne contesterai pas sur les deux premières qualités; mais, pour ce qui regarde la couleur, je ne puis assez m'étonner de ce que quelques auteurs, et entre autres Cernelius Celse, si savant en agronomie et dans toutes les sciences naturelles, aient manqué de sens et de vue au point de n'avoir pas remarqué tant de marais et de terrains salés qui presque tous offrent les nuances précitées. En effet, nous ne voyons aucun lieu, baigné par une eau croupissante, qui ne soit de couleur ou noire ou cendrée. Je ne crois pourtant pas me tromper, en affirmant que le froment ne saurait prospérer dans une terre de marais limoneux , ni dans une humidité saumâtre, ni sur l'aire marine des salines. Mais cette erreur des anciens est trop évidente pour qu'il y ait besoin de la réfuter par une longue argumentation. La couleur n'est donc pas une preuve certaine de la bonté d'un champ : ainsi une terre à blé, c'est-à-dire grasse, sera mieux appréciée par d'autres qualités. En effet, de même que les grands bestiaux offrent à l'oeil des couleurs diverses et presque innombrables, de même les terres les plus vigoureuses en ont reçu plusieurs et de très variées. En conséquence, il est bon de considérer si le sol dont nous apprécions la teinte est véritablement gras. Ce serait peu encore, s'il n'était pas doux au toucher ; ce dont on peut s'assurer par cette expérience assez expéditive : on arrose d'un peu d'eau une motte de terre, puis on la manipule; si elle se trouve visqueuse, et qu'elle s'attache à la main qui la pétrit légèrement : « Et si, comme la poix, elle s'étend sur les doigts qui la pressent, » comme dit Virgile; et si lancée à nos pieds elle ne s'y égrène pas, nous sommes avertis que cette substance renferme un suc naturel et de la graisse. De même, si vous rejetez dans un fossé la terre que vous en avez extraite, et qu'en l'y refoulant, elle vous paraisse gonflée par la fermentation, c'est une preuve certaine qu'elle est grasse. Si elle ne remplit pas le fossé, c'est qu'elle est maigre ; si elle le remplit exactement, c'est qu'elle est médiocre. Toutefois ces signes de bonté pourront ne pas paraître aussi certains qu'une couleur foncée, que l'on regarde comme la meilleure pour le froment. Nous reconnaîtrons aussi les terres d'après leur saveur : si nous prenons, dans la partie du champ qui nous plaît le moins, quelques mottes de son sol, et que nous les détrempions dans un vase de terre cuite en les mêlant avec de l'eau douce, qu'on filtre ensuite soigneusement, comme le vin chargé de lie, le goût déterminera l'appréciation : car la saveur donnée par l'eau est celle de la terre du champ éprouvé. Outre cette expérience, il y a plusieurs signes qui font reconnaître une terre douce et propre au blé, comme la présence du jonc, du roseau, du chiendent, du trèfle, de l'hièble, des ronces, des prunelliers, et de plusieurs autres plantes qui, bien connues des chercheurs de sources, ne croissent que dans les veines d'une terre douce. Il ne faut pas s'en rapporter exclusivement à l'apparence de la surface du sol : il faut aussi examiner soigneusement la qualité des couches inférieures, pour savoir si elles sont végétales ou non. Toutefois il suffira aux céréales qu'il y ait deux pieds d'humus également bon; mais les arbres en exigent quatre pieds. Après cet examen, nous préparerons le champ pour l'ensemencement. Il produira abondamment, s'il a été labouré avec soin et intelligence. Aussi presque tous les auteurs anciens ont-ils écrit sur ce travail des préceptes que les agriculteurs devront observer comme une ordonnance et une loi pour le labourage de leurs champs. En conséquence, les boeufs seront étroitement unis, afin qu'ils marchent fièrement le front haut, que leur cou soit moins incliné, et que le joug s'applique mieux à leur tête : car ce mode d'attelage est le plus généralement adopté. Quant à celui qui est employé dans certaines provinces, où le joug est attaché aux cornes mêmes, il est rejeté par la plupart de ceux qui ont écrit pour les laboureurs; et ce n'est pas à tort , puisque les boeufs ont plus de force dans le cou et le poitrail que dans leurs cornes, et que ce mode leur fournit les moyens d'emprunter leurs efforts à toute la masse, à tout le poids du corps, tandis que la méthode que nous condamnons les tourmente par la rétraction et le renversement de leur tête : ce qui leur permet à peine d'égratigner la surface de la terre avec: le soc qui pèche par trop de légèreté! Aussi on est forcé d'employer de petites charrues qui ne peuvent entamer assez profondément des terrains qui viennent d'être défrichés : ce qui pourtant est nécessaire à toute végétation, puisque ce n'est que dans les sillons profondément creusés que les moissons et les arbres poussent avec plus de vigueur. En cela donc je diffère du sentiment de Celse, qui, redoutant la dépense, plus forte en effet dans l'emploi de plus grands animaux, pense qu'il faut labourer la terre avec de petits socs fixés dans de petites attelles, afin de pouvoir employer des boeufs de taille inférieure. Ainsi il ignore qu'il y a plus de bénéfice à faire dans l'abondance de la production, que de perte à supporter dans l'achat de forts animaux, surtout en Italie, où les champs, plantés de vignes et d'oliviers, veulent être profondément labourés et travaillés, afin que les racines supérieures de ces vignes et de ces oliviers soient coupées par le soc. En effet, si elles étaient épargnées, elles nuiraient aux récoltes ; tandis que les racines inférieures, occupant un point profond du sol, y trouvent plus facilement l'humidité qui sert à les nourrir. Il faut dire pourtant que la méthode de Celse peut convenir à la Numidie et à l'Égypte, où, le plus ordinairement, les terrains privés d'arbres ne sont couverts que de céréales. Or, il suffit là de remuer avec le soc le plus léger une terre que des sables gras rendent friable, et qui se dissout comme de la cendre. Le laboureur marche sur la terre qu'il vient d'ouvrir alternativement : il tient sa charrue penchée, et alternativement il la tient droite pour tracer sa raie à plein ; mais de manière pourtant qu'il ne laisse aucun point brut et non remué, ce que les laboureurs appellent un banc. On retient fortement et on ralentit dans leur marche les boeufs, de peur que le soc, engagé par un grand effort dans quelque racine d'arbre, ne donne une forte secousse à leur cou, ou qu'ils ne heurtent violemment leurs cornes contre le tronc, ou qu'avec l'extrémité du joug ils n'enlèvent soit l'écorce, soit quelque branche. La voix doit les effrayer plutôt que les coups, qui ne seront qu'un remède extrême quand ils refuseront d'obéir. Le laboureur ne devra jamais se servir de l'aiguillon pour diriger les jeunes boeufs : il les rendrait revêches et récalcitrants ; cependant il peut les avertir quelquefois avec le fouet. Il ne les arrêtera jamais au milieu d'un sillon, et ne leur donnera de repos qu'après qu'il sera entièrement tracé : dans l'espoir de relâche, les boeufs franchiront tout l'espace avec plus d'agilité. Il est mauvais de leur faire ouvrir un sillon de plus de cent vingt pieds de longueur, ils en éprouveraient trop de fatigue. Arrivé au détour, le laboureur repoussera le joug en avant, et arrêtera les boeufs pour leur rafraîchir le cou, qui , sans ce soin sagement observé, s'échaufferait promptement, et de là des tumeurs qui feraient naître des ulcères. Le bouvier ne se servira pas moins de la doloire que du soc, afin d'extirper toutes les souches brisées et les racines montantes dont un champ planté d'arbres est embarrassé.
III. Quand, après le travail, le bouvier aura dételé ses boeufs, il frottera les parties comprimées ; il leur pressera le dos avec la main, soulèvera légèrement leur peau afin de l'empêcher d'adhérer au corps ; car ce genre d'affection est très préjudiciable aux bestiaux. Il leur frottera aussi le cou, et, s'ils sont échauffés, il leur versera du vin dans la gorge : deux setiers suffiront pour chaque boeuf. Mais il convient de ne les mettre à l'étable que lorsqu'ils ont cessé de suer et qu'ils ne sont plus essoufflés. Quand le moment de leur donner la nourriture sera venu, il ne conviendra pas de leur livrer toute leur ration , mais de la leur distribuer par parties et peu à peu. Quand ils l'auront mangée, il faut les conduire à l'abreuvoir, où on les excitera à boire en sifflant au retour de l'eau, on leur donnera une ration assez ample pour les rassasier. Mais nous avons parlé avec assez d'étendue des devoirs du laboureur ; nous allons maintenant faire connaître le temps convenable pour labourer les champs.
IV. Les terrains gras qui retiennent longtemps les eaux pluviales doivent recevoir le premier labour au temps où commencent les chaleurs, lorsque toutes leurs herbes sont en végétation, sans que toutefois les graines en soient parvenues à maturité. Alors on labourera à sillons si répétés et pressés qu'on ne puisse pas distinguer les traces du soc : ce n'est qu'en brisant ainsi les racines des mauvaises herbes qu'on les fait .périr. Il faut que par plusieurs labours réitérés, le guéret soit tellement réduit en poussière, que, pour l'ensemencement, l'opération du hersage ne soit pas nécessaire, ou au moins le soit peu. Aussi les anciens Romains disaient-ils que le champ qui avait besoin d'être hersé pour recevoir la semence, avait été mal labouré. L'agriculteur doit souvent le visiter pour s'assurer s'il a été bien travaillé. Il ne suffit pas pour cet examen de s'en rapporter à la vue, qui peut quelquefois induire en erreur, quand il y a de la terre répandue sur les bancs cachés; il faut aussi recourir au toucher, qu'il est plus difficile de tromper. Pour cela on enfoncera une forte perche au travers des sillons : si cette perche pénètre partout également et sans résistance, il est évident que toute la terre a été remuée ; tandis que le guéret n'a pas été convenablement brisé, si quelque portion fait obstacle à l'introduction de l'instrument. Quand les laboureurs voient qu'on contrôle ainsi souvent leur travail, il ne leur arrive plus de laisser des bancs. C'est après les ides du mois d'avril qu'on doit donner le premier labour aux terrains humides. Cette tâche remplie, on laisse reposer l'ouvrage, pour procéder, vers le solstice d'été, qui arrive au neuvième ou huitième des calendes de juillet, à un second labourage, puis à un troisième vers les calendes de septembre. Il est reconnu par les habiles agronomes qu'il ne faut pas user de la charrue dans les premiers mois de l'été, à moins que, comme il arrive parfois, la terre n'ait été trempée par des pluies imprévues semblables à celles d'hiver. Dans ce cas, rien ne s'oppose à ce que, dès le mois de juillet, on ne laboure les champs. Nous observerons toutefois qu'à toutes les époques de l'année, on ne doit pas toucher à une terre bourbeuse, pas plus qu'à celle qui ne serait qu'à demi mouillée par de petites pluies, et que les paysans appellent cariée et mouchetée : la terre est dans ce cas, quand, après de longues sécheresses, une légère pluie humecte seulement la partie supérieure des mottes de terre sans atteindre le dessous. En effet, les champs qui sont retournés dans un état fangeux deviennent pour toute l'année impropres à la culture, réfractaires à l'ensemencement, au hersage, à la plantation ; ceux qui , au contraire, étaient mouchetés quand on les a travaillés, sont pour trois ans consécutifs affectés de stérilité. Adoptons donc un moyen terme pour labourer nos champs : faisons en sorte qu'ils ne soient ni trop secs ni trop humides. Trop d'eau, en effet, comme je l'ai dit, les rend visqueux et bourbeux, et s'ils sont desséchés par défaut de pluies, on n'en saurait tirer parti : dans ce dernier cas, la dureté du sol repousse le soc, ou, s'il peut pénétrer quelque part, il ne divise que grossièrement la terre, et ne détache que de vastes gazons : embarrassé par eux, le champ reçoit beaucoup plus difficilement le second labour, parce que le soc est repoussé du sillon par la résistance des mottes comme par quelques fondements d'édifices. Il en résulte que, dans cette seconde façon, il se fait des bancs, et que les boeufs ont grandement à souffrir de la difficulté de l'ouvrage. Ajoutons que toute terre, même la plus fertile, a pourtant un sous-sol de mauvaise qualité, et que les grosses mottes qu'on déplace pour, les briser l'attirent à la surface. Il arrive donc qu'une substance stérile mêlée à une qui est féconde, amoindrit les produits de la moisson ; et que le cultivateur accroît sa dépense en avançant moins dans son travail, car la peine que lui donne son champ l'empêche d'y faire ce qui conviendrait. C’est pourquoi je suis d'avis qu'il faut se garder, durant les sécheresses, de donner un second labour aux terres qui en ont reçu un premier, et qu'il convient d'attendre la pluie, qui, en imbibant la terre, nous en rend la culture plus facile. Au reste, un jugère d'un tel terrain s'expédie en quatre journées de travail, puisqu'on petit facilement lui donner le premier tour en deux jours, le biner dans une journée, le tiercer dans les trois premiers quarts de la quatrième, et dans le quatrième quart l'élever en lires. Les lires, que les paysans appellent porques, sont les couches qui, formées par le labour, se trouvent entre deux sillons assez distants l'un de l'autre, et qui par leur élévation préservent les céréales de l'humidité. Les collines d'un sol gras doivent recevoir le premier labour après les semailles trimestrielles, au mois de mars, et même, si le temps est assez chaud et la terre assez sèche, dans le courant de février. Ensuite, dès le milieu d'avril et jusqu'au solstice d'été, on binera; puis on tiercera en septembre, vers l'équinoxe d'automne. La culture d'un jugère de cette terre ne demande pas moins de travail qu'une même quantité de terre humide ; mais pour la montagne, il ne faut jamais se départir de tracer le sillon en travers de son talus ; on surmonte ainsi plus facilement les difficultés que présente la pente en même temps qu'on diminue avantageusement la fatigue des hommes et des animaux. Cependant, toutes les fois qu'on procédera au binage, il faudra faire porter l'obliquité des raies tantôt sur le point supérieur de la pente, tantôt sur son point inférieur, afin que la terre soit également ameublie des deux côtés, et qu'on ne retombe pas dans le même sillon. Un champ maigre en plaine, qui regorge d'eau, recevra son premier labour dans la dernière moitié du mois d'août, puis sera biné en septembre, et disposé pour l'ensemencement vers l'équinoxe d'automne. Un champ de cette nature est plus tôt préparé, et demande moins de travail que tout autre ; car trois jours suffisent pour un jugère. Les coteaux dont la terre est légère ne doivent pas être labourés en plein été, mais bien vers les calendes de septembre, parce que, si on le fait avant cette époque, la terre s'épuise, et, restant sans suc, est brûlée par le soleil et se trouve privée du peu de force qu'elle avait. C’est pourquoi on labourera fructueusement entre les calendes et les ides de septembre ; on binera ensuite de manière à pouvoir semer lors des premières pluies de l'équinoxe ; et, ce qui convient le mieux à cette espèce de sol, on sèmera, non sur la lire, mais dans le, sillon.
V. Avant de biner un terrain maigre, il est à propos de le fumer : car le fumier est pour le sol une sorte de nourriture qui l'engraisse. On disposera des tas de fumier d'environ cinq modius chacun, plus éloignés dans les. plaines que sur les collines : dans les plaines, l'intervalle sera d'environ huit. pieds, et de six seulement sur les collines. Il est important de s'occuper de ce travail au moment du décours de la lune, parce qu'ainsi les grains ne sont pas infestés par les herbes. Par jugère, on emploie vingt-quatre voies pour le coteau et dix-huit pour la plaine. Aussitôt que le fumier est répandu, il doit être enfoui à la charrue, de peur que l'évaporation produite par le soleil ne lui enlève ses bonnes qualités, et pour que la terre, s'y mêlant mieux, s'en engraisse plus abondamment. C'est pourquoi, lorsque les monceaux de fumier seront disposés dans le champ, on ne devra ne répandre que ce que les laboureurs peuvent couvrir dans la journée.
VI. Après avoir dit ce qu'il faut faire pour préparer le terrain à l'ensemencement, nous allons maintenant parler des diverses espèces de semences. Les premières et les plus utiles aux hommes sont le froment et l'adoréum. Nous connaissons plusieurs espèces de froment, mais on doit semer de préférence celui que l'on appelle robus ; il est plus pesant et plus blanc. Il faut mettre au second rang le siligo, dont la meilleure espèce donne un pain léger. La troisième espèce est le trimestriel ou trémois, ressource précieuse pour les laboureurs qui y ont recours, lorsque les pluies ou toute autre cause ne leur ont pas permis de faire à temps les ensemencements ordinaires : c'est une variété du siligo. Les autres espèces de froment sont de peu d'importance, si ce n'est pour les amateurs qui aiment à en posséder toutes les variétés ou à satisfaire une vaine gloire d'érudition. Quant à l'adoréum, on en compte pour l'usage quatre espèces différentes : le far, qu'on surnomme de Clusium, et qui est d'un blanc pur; le far qu'on appelle vennuculum et qui est roux, et un autre de couleur blanche : tous deux plus pesants que celui de Clusium, enfin le trimestriel, qui porte le nom d'halicastrum, et est remarquable par son poids et sa bonne qualité. Ces espèces de froment et d'adoréum méritent donc d'être conservées par les cultivateurs, parce que rarement un champ est de telle nature qu'on puisse s'y contenter d'une seule sorte de grain, puisqu'il peut s'y rencontrer quelques parties plus ou moins humides, plus ou moins sèches. Or, le froment s'accommode mieux d'un sol sec ; l'adoréum souffre moins de l'humidité.
VII. Parmi les espèces nombreuses de légumes, les plus recherchés et les plus employés par l'homme, sont la fève, la lentille, le pois, le haricot, le pois chiche, le chanvre, le millet, le panis, le sésame, le lupin, aussi bien que le lin, et l'orge, qui sert à faire la tisane. Les meilleurs fourrages sont la luzerne, le fenugrec et la vesce; ensuite, la cicerole, l'ers, et le farrago où entre l'orge. Mais, avant tout, nous parlerons des plantes qui sont à notre usage, en nous conformant à un très ancien précepte, qui nous avertit qu'on doit ensemencer très tard les lieux froids, de bonne heure ceux qui le sont moins, et le plus tôt possible les terrains chauds. Les préceptes que nous allons donner s'appliquent à un sol tempéré.
VIII. Notre poète veut qu'on ne sème l'adoréum et même le froment qu'au coucher des Pléiades ; c'est ce qu'il prescrit dans ces vers : « Mais si vous cultivez votre champ pour y récolter du froment ou le robuste far, et que vous vouliez surtout des épis, attendez que les filles orientales d'Atlas se soient dérobées à vos regards. » Or, les Pléiades se couchent trente et un jours après l'équinoxe d'automne, qui arrive vers le 9 des calendes d'octobre ; on doit donc comprendre que pour les semailles du froment, on peut disposer des quarante-six jours qui suivent le coucher des Pléiades, qui a lieu le 9 des calendes de novembre, au temps du solstice d'hiver. C'est pourquoi les agriculteurs expérimentés s'abstiennent de labourer, de tailler la vigne ou tout autre arbre quinze jours avant et quinze jours après ce solstice. Nous pensons qu'on doit suivre cette pratique pour l'ensemencement d'un sol tempéré et non humide. Au reste, dans les terrains moites et maigres, ou froids et lourds, on sème ordinairement avant les calendes d'octobre, « Pendant que la sécheresse de la terre le permet, pendant que les nuages sont encore suspendus, » afin que les racines des froments aient le temps de se fortifier avant que les pluies d'hiver, les gelées et les frimas ne viennent les endommager. Au surplus, quoique les semailles aient eu lieu en temps opportun, on aura soin d'ouvrir les lires, de multiplier les rigoles, que quelques personnes appellent élices, et de dériver les eaux vers des fossés et loin des grains. Je n'ignore pas que certains vieux auteurs ont prescrit de n'ensemencer les champs que lorsque la terre serait imbibée par les pluies ; je ne doute pas que, si le travail est fait à temps, l'agriculture ne s'en trouve bien ; mais si, ce qui arrive quelquefois, les pluies surviennent tardivement, il sera bon d'avoir semé, même dans un terrain sec : c'est, du reste, ce qui se fait dans certaines provinces où tel est l'état du ciel. La semence jetée dans une terre sèche et bien hersée ne pourrira pas plus que dans un grenier, et lorsque la pluie est arrivée, une seule journée suffit pour faire lever l'ensemencement fait depuis un grand nombre de jours. A la vérité, Tremellius assure que, avant les pluies les oiseaux et les fourmis auront mangé ce grain, pendant que le champ reste desséché sous le ciel serein de l'été ; et, après plusieurs expériences à ce sujet, nous avons nous-même reconnu la vérité de cette assertion. Dans les terres de cette espèce, il est plus avantageux de semer l'adoréum que le froment, parce que le premier de ces grains est pourvu d'une balle ferme et durable, qui lui permet de résister contre une humidité prolongée.
IX . Le jugère d'un champ gras demande ordinairement quatre modius de froment ; il en faut cinq dans un terrain médiocre. On sème neuf modius d'adoréum, si le sol est excellent ; s'il n'est que de médiocre qualité, il en veut dix. Quoique les auteurs ne soient pas d'accord sur cette quantité, l'expérience nous a pourtant fait reconnaître qu'elle est la plus convenable. Si quelqu'un pourtant ne veut pas l'adopter, il peut suivre les préceptes de ceux qui veulent qu'on sème par chaque jugère de bonne terre, soit cinq modius de froment, soit huit d'adoréum, et qu'on observe la même proportion pour les terrains médiocres. Nous-même, nous ne trouvons pas toujours bon de nous assujettir à la mesure que nous avons conseillée, parce qu'elle est subordonnée aux différences de lieu, de saison et d'état atmosphérique : de lieu, puisqu'on peut semer ou en plaine ou sur un coteau, et dans des terres soit grasses, soit médiocres, soit maigres ; de saison, parce que l'ensemencement peut être effectué en automne, ou au commencement de l'hiver, dont le premier exige moins de semence que le dernier ; de l'état atmosphérique, qui pourrait être ou pluvieux ou sec, et ainsi demander une semence moins ou plus abondante. Au reste, toutes les espèces de grains réussissent bien dans un champ découvert, incliné vers le soleil et chauffé par ses rayons, et dont le sol est de nature légère. Quoique les collines favorisent davantage leur développement, elles produisent cependant moins en quantité. Une terre compacte, argileuse et humide, ne nourrit pas mal le siligo et le far adoréum. L'orge ne se trouve bien qu'en un terrain léger et sec. Ces céréales veulent un fonds reposé, puis labouré alternativement tous les deux ans, et qui soit de bonne nature. La médiocrité n'est pas ce qui convient à l'orge; il s'attache à une terre ou très grasse ou très maigre. Si la nécessité l'exigeait, les autres céréales supporteraient l'état d'un champ resté, après de longues pluies, boueux et humide ; l'orge y mourrait. Dans le cas où le champ serait médiocrement argileux et mouillé, il faudra pour l'ensemencer en siligo ou en froment, comme je l'ai déjà dit plus haut, un peu plus de cinq modius. Mais s'il est sec, si la terre en est légère, qu'il soit ou gras ou maigre, quatre mesures suffisent : car, par une sorte de contradiction, le mauvais terrain veut autant de semence que le bon. Le grain, si on le sème dru, ne donne qu'un épi chétif et vide ; tandis que, dans le cas contraire, une seule tige produisant plusieurs chalumeaux, d'une petite semaille on tire une abondante récolte. Entre autres choses, nous ne devons pas ignorer qu'il est nécessaire de répandre un cinquième de semence en plus dans un champ planté que dans celui qui est vide et découvert. Nous n'avons encore parlé que des semailles de l'automne : nous les regardons, en effet, comme les plus importantes ; mais il en est d'autres auxquelles la nécessité force quelquefois de recourir : les cultivateurs les appellent semailles trimestrielles. Elles conviennent parfaitement aux lieux exposés aux gelées et à la neige, où l'été est humide et sans chaleurs; ailleurs, elles réussissent très rarement. Au reste, il y faut procéder avec célérité et avant l'équinoxe du printemps ; et, si l'état des lieux et du temps le permet, plus tôt on sèmera , plus il y aura d'avantage. Il n'y a pas, quoique plusieurs le croient, de grain qui pousse naturellement en trois mois, puisque ce même grain, jeté en terre dans l'automne, réussit toujours mieux. Néanmoins, pour ce genre d'ensemencement, quelques céréales sont préférables à d'autres, parce qu'elles supportent mieux la tiédeur du printemps : telles sont le siligo, l’orge galate, l'halicastrum, et la fève des Marses. Quant aux autres grains qui sont plus forts, ils doivent toujours, dans les pays tempérés, être mis en terre avant l'hiver. Le sol jette parfois une humidité salée et amère, poison funeste qui détruit les moissons déjà mûres, et transforme, pour ainsi dire, en aires les parties du champ dépouillées. Il faut noter par des marques les points dégarnis, afin qu'on puisse remédier au mal en temps convenable. En effet, là où l'humidité ou quelque autre fâcheux accident fait périr les grains semés , il faut répandre et enterrer à la charrue de la fiente de pigeon ou, à défaut, des ramilles de cyprès ; mais il est préférable de faire écouler toute eau nuisible, au moyen d'une rigole : sans cette précaution, les remèdes que nous venons d'indiquer seraient inutiles. Il est des personnes qui doublent d'une peau d'hyène un semoir de trois modius, et qui, après y avoir laissé séjourner quelque temps la semence, l'en tirent et la répandent, ne doutant pas qu'avec cette précaution elle ne réussisse bien. Quelques animaux qui vivent sous terre font périr les grains déjà avancés dans leur végétation, en attaquant la racine. Pour prévenir ce dégât, on fait macérer pendant une nuit, dans le suc de l'herbe que les paysans appellent sédum, et qu'on a étendu d'eau, les semences qu'on veut confier à la terre. Plusieurs agriculteurs délayent dans de l'eau le suc exprimé du concombre serpentaire et de sa racine broyée, et suivent, pour le reste, le procédé que nous venons d'indiquer. Quelques autres arrosent les sillons avec ces liqueurs ou bien avec de la lie d'huile sans sel, lorsque le dommage commence à paraître, et par ce moyen chassent les animaux nuisibles. Je dois maintenant prescrire ce qu'il faut faire, après que la moisson aura été apportée sur l'aire, pour préparer le futur ensemencement ; car, comme dit Celse, lorsque le grain est de médiocre qualité, il faut choisir les plus beaux épis et les séparer du reste pour en tirer la semence. Quand la récolte aura été plus favorable, le grain battu sera purgé au crible, et toujours on réservera pour la semence celui qui, en raison de sa grosseur et de son poids, tombera au-dessous de l'autre. Cette précaution est fort utile, car sans elle les froments dégénèrent, même dans les lieux secs, quoique moins promptement que dans un sol humide. Au surplus, il n'est pas douteux qu'un gros grain ne donne quelquefois des produits qui lui sont inférieurs; mais il est évident que celui qui est chétif primitivement ne saurait acquérir de force. Aussi, entre autres choses que Virgile a si bien dites, il s'exprime ainsi sur les semences : « J'ai remarqué que les semences choisies avec attention et considérées par un long examen, dégénèrent cependant, si tous les ans la sagesse humaine ne fait pas à la main un choix des plus développées : c'est la destinée de toutes choses, de finir par se détériorer et de retourner au néant d'où elles sont sorties. » Si le grain roux, fendu en deux, offre à l'intérieur la même couleur, il n'y a aucun doute qu'il ne soit excellent. Celui qui est blanc extérieurement et dont l'intérieur est blanc aussi, doit être considéré comme léger et vide. Que le siligo ne nous induise pas en erreur, en raison de l'empressement que mettent les agriculteurs à le rechercher : car ce froment pèche par le poids, quoiqu'il excelle en blancheur ; mais par une température humide il vient très bien, et convient, par conséquent, aux lieux arrosés par les cours d'eau. Nous n'avons pas besoin, au reste, d'en chercher au loin ni de nous tourmenter pour en trouver ; car toute espèce de froment, après avoir été semée trois fois dans une terre humide, se convertit en siligo. Après ces blés, le grain dont l'usage est le plus répandu, est l'orge que les paysans appellent hexastique et quelques-uns canthérine : elle est préférable au froment pour nourrir tous les animaux de la campagne, et l'homme y trouve un pain plus sain que celui qui provient d'un froment de mauvaise qualité. Dans les temps de disette, aucun grain n'est plus propre à parer au besoin. On la met en terre légère et sèche, soit excellente, soit maigre, parce qu'étant reconnu que sa culture amaigrit le sol, elle ne nuira pas à la première, qui se défend par sa propre force, ni à la seconde , qui ne peut produire autre chose. Après l'équinoxe, vers le milieu des semailles, la terre ayant reçu deux labours, on la confie aux sillons, si le sol est gras, mais plus tôt, s'il est maigre. Six modius couvriront bien un jugère. Quand elle commence à mûrir, on se hâte de la couper avant tout autre blé : car son chalumeau se brise facilement, et le grain, n'étant revêtu d'aucune balle, tombe promptement ; aussi nulle autre espèce ne se bat-elle plus facilement. Après la moisson, vous laisserez reposer un an le champ qui l'a produite, ou vous le fumerez abondamment, et vous purgerez la terre des influences pernicieuses qu'elle pourrait avoir conservées. Il est une autre espèce d'orge que les uns appellent distique, les autres galate ; son poids et sa blancheur sont remarquables : mêlée avec le froment, elle fournit un excellent pain de ménage. C'est vers le mois de mars qu'on la sème en terrain très gras, mais frais. Elle rendra davantage si la douceur de l'hiver permet de la mettre en terre vers les ides de janvier. Chaque jugère en demande six modius. On place parmi les blés le panis et le millet, quoique je les aie rangés au nombre des légumes. Dans beaucoup de contrées les paysans en font leur nourriture. Ils se plaisent dans une terre légère et meuble, et réussissent bien, non seulement en terre sablonneuse, mais aussi dans le sable même, pourvu que le temps soit humide ou le sol arrosé ; mais ils redoutent la sécheresse et l'argile. On ne peut les semer avant le printemps, parce qu'une douce température leur est seule favorable. Au surplus, c'est dans la dernière partie du mois de mars qu'il est le plus avantageux de les confier à la terre. Ils n'occasionnent pas au cultivateur une forte dépense, puisqu'il ne faut guère que quatre setiers pour ensemencer un jugère ; mais ils exigent un fréquent sarclage pour les débarrasser des herbes. Quand l'épi a paru , avant que la chaleur n'en détache les grains, on le cueille à la main, et on le serre après l'avoir suspendu au soleil pour le dessécher. Au moyen de cette précaution, ces céréales se conservent plus longtemps que toutes les autres. On fait avec le millet un pain qui, avant qu'il soit refroidi, peut être mangé sans dégoût. Le panis, pilé et dépouillé du son, fournit, ainsi que le millet, une bouillie qui, surtout lorsqu'on la fait avec du lait, n'est point à dédaigner en temps de disette.
X. Puisque nous avons prescrit au long ce qu'il convient de faire à l'égard des froments, traitons maintenant des légumes. Le premier qui doit fixer notre attention est le lupin, parce qu'il exige le moins de travail, qu'on l'achète à vil prix, et que de toutes les cultures il est la plus favorable au sol. En effet, il fournit un bon amendement aux vignes épuisées et aux champs labourés ; il réussit dans les terres fatiguées, et, déposé dans le grenier, il s'y conserve durant de longues années. Pendant l'hiver, donné cuit et macéré aux boeufs, il les nourrit très bien, et sert même, dans un temps de détresse, à apaiser la faim des hommes. On peut le semer au sortir de l'aire où il a été battu. Ainsi il est le seul de tous les légumes qui n'ait pas besoin du repos du grenier. C'est dans le mois de septembre, avant l'équinoxe, ou aussitôt après les calendes d'octobre, qu'on le sème sur les guérets d'un an ; et, de quelque manière qu'on le travaille, il ne souffre pas de la négligence du cultivateur. Toutefois la tiédeur de l'automne lui est utile pour s'enraciner promptement : car, s'il ne s'est pas fortifié avant l'hiver, les froids lui feront tort. Il sera bon de déposer ce qui restera de semence sur un plancher accessible à la fumée ; si ce légume était exposé à l'humidité, il engendrerait des vers qui en mangeraient le germe, et l'empêcheraient ainsi de lever. Comme je l'ai dit, le lupin aime une terre maigre et surtout rouge ; mais il redoute l'argile, et il ne vient pas dans un sol limoneux. Dix modius suffisent pour couvrir un jugère. Après le lupin, on sème le haricot avantageusement, soit sur des jachères, soit mieux encore dans un champ gras et labouré tous les ans. Il n'en faut que quatre modius pour ensemencer un jugère. On cultive de même le pois ; mais il désire une terre légère et meuble, une exposition chaude et des pluies fréquentes. Dans le premier temps des semailles, après l'équinoxe d'automne, on peut le semer dans la même proportion que le haricot, et même employer un modius de moins par jugère. On réserve à la fève un lieu naturellement très gras ou bien fumé, et si l'on a une jachère située dans une vallée qui reçoive quelque humidité des terrains supérieurs, on commencera par répandre la semence, puis on labourera la terre, on la retournera en lires, on y fera passer la herse, afin que cet ensemencement soit largement recouvert : car il importe beaucoup que les racines naissantes soient profondément enfoncées. Dans le cas où on voudrait semer des fèves dans une terre qui ne s'est pas reposée et qui vient de produire une récolte, il faudra couper la paille et répandre par jugère vingt- quatre voies de fumier. De même, quand on sème les fèves sur une terre non labourée, on lui donne un tour, et on la herse après l'avoir disposée en raies ; quoiqu'il y ait des gens qui soutiennent qu'on ne doit pas herser le terrain sur les fèves dans les terres exposées au froid, parce qu'alors les mottes préservent de la gelée la plante encore tendre, et lui procurent quelque chaleur propre à tempérer les rigueurs du temps. II existe même des personnes qui pensent que la fève sert d'engrais aux champs : ce qui veut dire, je pense, que si sa production n'engraisse pas le sol, elle l'épuise moins que les autres semences : car je regarde comme certain qu'un champ qui n'a rien rapporté, produira plus de céréales que s'il vient de donner des fèves. Suivant Tremellius, il faut semer par jugère quatre modius de ce légume ; mais il me semble qu'il en faut six si le sol est gras, et un peu plus s'il est de médiocre qualité. La fève ne s'accommode ni d'un sol maigre, ni d'un lieu exposé aux brouillards ; cependant elle rend souvent beaucoup dans une terre compacte. On en fait un premier ensemencement au milieu de la saison. des semailles ; l'autre à la fin : ce dernier s'appelle septimontial. Le premier est ordinairement le meilleur; cependant quelquefois le second est plus productif. On a tort de semer ce légume après le solstice d'hiver, et plus grand tort d'attendre le printemps. Il existe cependant une fève de trois mois, que l'on met en terre au mois de février ; on en sème un cinquième de plus qu'à l'époque convenable : elle donne de faibles tiges et peu de gousses. Aussi j'entends dire aux vieux cultivateurs, qu'ils aiment mieux un champ de fèves semées en temps convenable, que celui qui l'est en trémois ; mais, à quelque époque de l'année qu'on les mette en terre, il faut veiller à ce que toute la semence dont vous voulez disposer, soit employée le quinzième jour de la lune, si toutefois, ce jour-là, elle n'est pas encore derrière les rayons du soleil: position que les Grecs appellent g-apocrose ; sinon, cette semence sera répandue le quatorzième jour pendant que la lune croît encore, quand même on ne pourrait pas la recouvrir en entier dans la journée. Alors elle n'aura rien à craindre ni des rosées de la nuit, ni d'autres météores, pourvu qu'elle soit mise à l'abri de la voracité des troupeaux et des oiseaux. Les anciens cultivateurs, et Virgile comme eux, aimaient à faire, avant de la semer, macérer la fève dans la lie d'huile et dans l'eau nitrée, « Afin que ses produits fussent plus multipliés dans les gousses, ordinairement trompeuses, et que, même sur un faible feu, ils cuisent avec plus de célérité. » Nous-mêmes, nous avons observé que, lorsqu'elle a été ainsi préparée, la fève est à sa maturité moins vivement attaquée par le charançon. C'est aussi après l'avoir éprouvé que nous allons prescrire ce qui suit : à la nouvelle lune, cueillez la fève avant le jour, et dès qu'elle aura été bien desséchée sur l'aire, portez-la au grenier battue et rafraîchie, avant que la lune commence à croître ; dans ce dépôt, elle sera à l'abri des charançons. De tous les légumes, celui-ci seul n'a pas besoin sur l'aire des efforts des bêtes de somme, et on le nettoie très vite sans le secours du vent, par le procédé que nous allons indiquer : on place à l'extrémité de l'aire un certain nombre de bottes déliées que trois ou quatre ouvriers pousseront devant eux avec le pied par l'espace le plus long, et en traversant le milieu de l'aire ; ils les frapperont en même temps avec des bâtons et des fourches. Ensuite , quand ils seront parvenus à l'autre extrémité de l'aire, ils mettront les tiges en monceaux. Par ce moyen, les graines détachées resteront sur l'aire, et sur elles peu à peu le reste des bottes viendra, par le même moyen, se dépouiller. Les tiges les plus dures seront coupées et mises de côté parles batteurs ; quant aux menus débris qui se détachent des gousses avec le grain, on en fait un tas séparé. Lorsque le monceau, mêlé de grains et de pailles, sera formé, on le jettera par petites parties à une certaine distance au moyen du van : alors la paille, qui est plus légère, restera en deçà ; tandis que la fève, lancée plus loin, parviendra nette au point où le vanneur l'aura jetée. La lentille demande à être semée vers le milieu de l'époque des semailles, dans les douze premiers jours de la lune nouvelle, en terre légère et ameublie , bien grasse et surtout sèche : car sa luxuriance et l'humidité qui la produit font facilement couler sa fleur. Pour que la lentille profite mieux et grandisse plus vite, on doit, avant de la semer, la mêler avec du fumier sec, puis, quand elle y est restée quatre ou cinq jours, la répandre. On la sème à deux époques : la première, et en même temps la plus favorable, au milieu du temps des semailles ; la seconde, trop tardive, au mois de février. Un jugère en exige un peu plus d'un modius. De peur qu'elles ne soient dévorées par les charançons, qui la rongent même dans la gousse, il faudra veiller à ce que, aussitôt après qu'elles auront été battues, elles soient jetées dans l'eau, où l'on séparera les bons grains de ceux qui sont vides et surnagent aussitôt. On les fait sécher ensuite au soleil, on les asperge de vinaigre dans lequel on a broyé de la racine de laser, on agite le tout par un mouvement qui opère un frottement, on fait de nouveau sécher au soleil, et dès que ce légume n'est plus humide, on le met en sûreté: dans un grenier, si on en a recueilli beaucoup; dans des vases à huile ou à saumure, si on n'en a qu'une petite quantité. Ces vases étant remplis, on les lute aussitôt avec du plâtre, et, lorsqu'on en tire les lentilles pour l'usage, on les trouve dans un parfait état de conservation. Sans recourir à cette méthode, on peut facilement conserver les lentilles en les mêlant avec de la cendre. Vous ne sèmerez du lin que lorsque, dans le pays où vous le cultiveriez , le produit en serait grand et le prix élevé : car il épuise la terre. II demande un sol très gras et un peu humide. On le sème depuis les calendes d'octobre jusqu'au lever de la constellation de l'Aigle, qui a lieu le sept des ides de décembre. Un jugère de champ demande huit modius de graine. Quelques personnes sont d'avis de le semer très épais dans un terrain maigre, pour obtenir un lin plus fin, et ajoutent que, si on le met en terre au mois de février dans un bon fonds, il y faut répandre dix modius par jugère. Le sésame se sème de bonne heure dans les terrains arrosés ; dans ceux qui manquent d'eau, il ne faut le semer qu'à partir de l'équinoxe d'automne jusqu'aux ides d'octobre. Il aime de prédilection ce sol humide que, dans la Campanie, on appelle pulle ; cependant il vient assez bien aussi dans les sables gras ou dans les terres rapportées. On sème le sésame dans la même proportion que le millet et le panis : quelquefois cependant on en répand deux setiers de plus par jugère. J'ai vu de mes propres yeux, en Cilicie et en Syrie, semer le sésame dans les mois de juin et de juillet, et le recueillir, parfaitement mûr, en automne. La cicerole, qui ressemble au pois, doit être semée dans le mois de janvier ou dans celui de février, en bon terrain et sous un ciel humide. Cependant il est quelques lieux en Italie où on la sème avant les calendes de novembre. Trois modius remplissent un jugère. Aucun légume ne fatigue moins les champs ; mais la cicerole rend peu, parce qu'elle ne supporte ni les sécheresses, ni les vents du midi lorsqu'elle est en fleur : inconvénients qui presque toujours se présentent à l'époque de l'année où elle défleurit. On peut, durant tout le mois de mars, semer le pois chiche qu'on appelle de bélier, ainsi que le punique, autre pois du même genre : l'un et l'autre veulent une terre très fertile et un ciel humide. Ils nuisent au sol, et par ce motif nos meilleurs agriculteurs les rejettent. Cependant, si on en doit semer, il faut, dès la veille, les faire macérer, pour les faire lever plus promptement. Trois modius suffisent amplement pour un jugère. Le chanvre demande un sol gras, fumé et arrosé, ou bien situé en plaine, humide et profondément défoncé. On sème six graines par pied carré, au lever de l'arcture, qui arrive dans le dernier mois de l'année, en février, vers le six ou le cinq des calendes de mars. Il n'y aurait pourtant pas d'inconvénient à différer jusqu'à l'équinoxe du printemps, si le ciel était pluvieux. Après ces légumes il faut s'occuper des navets et des raves, car les paysans en font leur nourriture. Les raves toutefois sont plus utiles que les navets, parce qu'elles réussissent mieux, et qu'elles nourrissent non seulement les hommes, mais aussi les boeufs, surtout dans la Gaule, où ce légume leur est donné pendant l'hiver. Ces deux racines veulent une terre humide et meuble, et ne viennent pas dans une terre compacte. La rave réussit dans les champs et les lieux qui ne sont pas secs ; le navet, dans un terrain en pente, sec et assez léger : aussi est-il meilleur dans les terres graveleuses et sablonneuses. Les propriétés du sol changent la nature des semences de ces deux légumes : car dans tel ou tel terrain, en deux ans, la graine de rave donne des navets, et celle de navet des raves. On les sème avantageusement l'un et l'autre dans des lieux arrosés, à partir du solstice d'été, et dans les lieux secs, pendant la dernière partie du mois d'août ou la première du mois de septembre. Ils demandent un terrain bien ameubli par plusieurs labours ou hersages, et amplement saturé de fumier. Ces soins sont fort importants, non seulement parce que la production sera plus abondante, mais encore parce que, après cette récolte, un terrain ainsi traité donnera de riches moissons. Par jugère de champ on ne jette pas plus de quatre setiers de graine de raves ; il en faut un quart de plus pour les navets, parce qu'il ne s'étend pas en ventre, mais s'enfonce en racine effilée. Voilà les plantes qu'il faut semer pour l'usage des hommes ; occupons-nous maintenant de celles qui sont réservées aux bestiaux.
XI. On compte plusieurs espèces de plantes fourragères, telles que la luzerne, la vesce, la dragée mêlée d'orge, l'avoine, le fénugrec, ainsi que l'ers et la gesse. Nous dédaignons d'énumérer et encore plus de cultiver les autres, excepté pourtant le cytise, dont nous parlerons dans les livres qui traitent des arbrisseaux. Parmi les plantes que nous venons de nommer, la meilleure est la luzerne. Une fois semée, elle dure dix ans, et chaque année on peut la faucher quatre fois, même six ; elle amende le champ, engraisse toute espèce de gros bétail maigre, et sert de remède aux bestiaux malades. Un seul jugère suffit pour nourrir trois chevaux durant toute une année. On la sème comme nous allons l'enseigner. Vers les calendes d'octobre, donnez un premier tour de labourage au lieu dans lequel vous devez semer de la luzerne au printemps prochain, et laissez la terre se mûrir pendant tout l'hiver. Ensuite, aux calendes de février, labourez soigneusement votre champ pour la seconde fois, enlevez toutes les pierres, brisez toutes les mottes ; puis vers le mois de mars, tiercez et passez la herse. Quand vous aurez ainsi travaillé votre sol, formez, comme pour un jardin, des planches larges de dix pieds et longues de cinquante, afin de pouvoir, par les sentiers, faire les irrigations nécessaires et donner de chaque côté un accès aux sarcleurs. Étendez ensuite de vieux fumier, et, à la fin du mois d'avril, semez de manière qu'un cyathe de graines occupe un espace de dix pieds de longueur et de cinq de largeur. Quand cette opération sera terminée, vous, recouvrirez sans retard, au moyen de herses de bois, la graine que vous aurez répandue : cette précaution est nécessaire pour la préserver du soleil, qui l'aurait bientôt brûlée. Après l'ensemencement, ce terrain ne doit plus être touché par le fer : c'est, comme je l'ai dit, avec des herses de bois qu'il doit être sarclé et nettoyé, afin que les herbes parasites ne tuent pas la luzerne quand elle est encore faible. Il sera à propos d'en faire la première coupe quand déjà elle aura répandu une petite partie de ses semences. Ensuite, quand elle aura repoussé, on la coupera aussi tendre qu'on voudra pour la donner aux bêtes de charge ; mais avec circonspection d'abord, jusqu'à ce qu'elles s'y soient accoutumées, de peur que la nouveauté de cette nourriture ne leur soit préjudiciable ; car elle les fait enfler, et produit beaucoup de sang. Après la coupe, arrosez-la souvent, et, peu de jours après, dès qu'elle commencera à produire de nouvelles tiges, sarclez toutes les mauvaises herbes. Ainsi cultivée, la luzerne pourra fournir six coupes par an et durera dix années. Il y a pour la vesce deux époques d'ensemencement, selon qu'on veut l'employer en fourrage ou en obtenir de la graine: la première vers l'équinoxe d'automne, et la deuxième au mois de janvier et même plus tard. Dans le premier cas on devra semer sept modius de graine par jugère, et six seulement dans le second. Ces deux ensemencements peuvent se faire en terre non retournée ; mais ils réussissent mieux si le terrain a reçu un premier labour. Cette sorte de légume surtout n'exige pas la rosée au moment du semis. C'est pourquoi on fera bien de ne répandre la graine qu'après la deuxième ou la troisième heure du jour, lorsque toute humidité a été dissipée par le soleil ou par le vent ; et il n'en faut semer que ce qu'on peut en recouvrir le même jour ; car si la nuit survenait avant qu'elle ne soit enterrée, la moindre humidité suffirait pour détériorer la graine. On observera de ne pas effectuer cet ensemencement avant le vingt-cinquième jour de la lune : autrement, comme nous l'avons reconnu, les limaces pourraient lui nuire. Il convient de semer la dragée dans un terrain que l'on cultive tous les ans, qui a été bien fumé, et qui vient d'être biné. Elle réussit bien, si on sème par jugère dix modius d'orge canthérin vers l'équinoxe d'automne, immédiatement avant les pluies, afin que, arrosé aussitôt que mis en terre, il lève promptement et ait le temps de se fortifier contre la violence de l'hiver. Quand les autres fourrages viennent à manquer par l'effet de la rigueur de cette saison, on coupe de la dragée et on la donne avec avantage aux boeufs et aux autres bestiaux, et, si vous voulez en faire leur nourriture ordinaire, vous en aurez assez jusqu'au mois de mai. Si vous désirez en retirer de la semence, vous empêcherez vos animaux d'en approcher à dater des calendes de mars, et vous la préserverez de tout ce qui pourrait l'empêcher de monter en graine. L'avoine se sème de même, en automne : pendant qu'elle est verte encore, on en coupe une partie, soit pour la garder en guise de foin, soit pour la donner en vert ; on réserve le reste pour la graille. Le fénugrec, que les paysans appellent silique, se sème à deux époques : au mois de septembre, vers l'équinoxe, les mêmes jours que la vesce, quand on le destine au fourrage; et au dernier jour de janvier ou au premier de février, quand on spécule sur sa récolte. Dans le premier cas, on emploie par jugère six modius, et dans le second un de plus. Ces deux ensemencements peuvent se faire sur jachère sans inconvénient ; on doit seulement veiller ensuite à ce que le sol soit bien brisé sans l'être profondément : car si la graine est enfoncée de plus de quatre doigts, elle éprouve de la difficulté à lever. C'est pourquoi quelques personnes commencent par labourer avec, de très petites charrues, jettent la semence à la surface, et la recouvrent avec le sarcloir. Quant à l'ers, il vient bien en terrain maigre, non humide, car, il périt le plus souvent par la trop grande force de sa végétation. On peut le semer en automne, même après l'équinoxe, à la fin de janvier, pendant tout février, pourvu que ce soit avant les calendes de mars. Les agriculteurs prétendent que ce dernier mois ne convient pas à l'ers, parce que celui qui a été semé à cette époque nuit aux troupeaux, et surtout aux boeufs, qui deviennent rétifs lorsqu'ils en mangent. Il en faut cinq modius pour un jugère. Dans l'Espagne Bétique on donne aux boeufs, au lieu d'ers, de la gesse moulue. Quand elle a été concassée par la meule peu serrée, on la fait un peu macérer dans l'eau jusqu'à ce qu'elle s'y soit amollie, et dans cet état on la distribue aux animaux mêlée avec de la paille hachée. Douze livres d'ers suffisent pour un jugère, mais il y faut seize livres de gesse. Cette dernière n'est pas inutile à l'homme, et ne lui semble pas désagréable au goût. Sa saveur ne diffère en rien de la cicerole ; la couleur seule fait la différence : car la gesse est plus foncée et plus rapprochée du noir. On la sème au mois de mars, après un premier ou un second tour de labourage, selon le plus ou le moins de fertilité dit sol : c'est aussi en raison de la qualité de la terre, que l'on emploie par jugère quatre modius, quelquefois trois, même deux et demi.
XII. Après avoir expliqué quand et quels grains il faut semer, nous allons indiquer le genre de culture qui convient à chacune des plantes dont nous avons parlé, et le nombre de journées de travail qu'elles réclament. Les semailles finies, il faut s'occuper du sarclage : opération sur l'opportunité de laquelle les auteurs ne sont pas d'accord. Quelques-uns prétendent qu'elle est loin d'être utile, parce que le sarcloir met à nu les racines, qu'il en coupe même quelques-unes, et que, si le froid survient après le sarclage, la gelée fait mourir la plante : ils préfèrent, en conséquence, arracher les mauvaises herbes en temps convenable et en purger la culture. II existe cependant un grand nombre d'auteurs qui sont partisans du sarclage, pourvu toutefois qu'on ne l'employé pas partout de la même manière, ni dans le même temps. En effet, dans les terrains secs et très exposés au soleil, pour que les plantes puissent supporter le sarclage, on doit remuer la terre pour les rechausser, afin qu'elles tallent : cette opération faite avant l'hiver, doit être répétée quand l'hiver est passé. Dans les lieux froids et marécageux, il sera le plus souvent à propos de ne sarcler qu'après l'hiver, et, au lieu de rechausser, de serfouir seulement à plat. Toutefois nous avons remarqué que le sarclage d'hiver convenait à beaucoup de contrées, pourvu que le temps soit sec et la température douce ; nous ne pensons pas toutefois que cela doive se faire partout il faut suivre l'usage du pays. Quelques contrées ont des avantages particuliers : telles sont l'Égypte et l'Afrique, où l'agriculteur, des semailles jusqu'à la moisson, ne touche pas à ses cultures, parce que l'état du ciel et la bonté du sol sont tels qu'à peine il paraît d'autres plantes que celles qui proviennent de la semence répandue, soit que cela tienne à la rareté des pluies, soit que la qualité du terrain favorise ainsi les cultivateurs. Quant aux contrées où le sarclage est nécessaire, il ne faut pas toucher aux cultures, quand même l'état du ciel le permettrait, avant que les plantes aient couvert les sillons. C'est avec avantage que l'on sarclera le froment et l'adoréum quand ils commenceront à avoir, quatre feuilles, l'orge cinq, et la fève ainsi que les autres légumes lorsqu'ils s'élèveront de quatre doigts au- dessus du sol. Il faut toutefois excepter le lupin, à la jeune tige duquel le sarclage est contraire, parce que sa racine unique ne saurait être coupée ou même blessée par le fer, sans que toute la plante ne périsse. Lors même que cet accident n'aurait pas lieu, le sarclage lui serait encore inutile, parce que, loin d'avoir à souffrir des plantes parasites, le lupin les fait mourir. Pour ce qui concerne les autres cultures, qui peuvent être serfouies humides, il y a pourtant plus d'avantage à les sarcler sèches, parce qu'alors elles ne sont pas infestées par la rouille : l'orge surtout, si elle n'est très sèche, redoute le sarcloir. Plusieurs personnes pensent qu'il ne faut jamais en user pour les fèves, parce que, à leur maturité , arrachées avec la main , elles se détachent du sol sans en entraîner une partie, et qu'ainsi les herbes interposées sont réservées pour fournir du foin. C'est l'opinion de Cornelius Celse, qui, parmi les autres qualités de ce légume, lui reconnaît celle de laisser récolter du foin sur le terrain qui vient de le produire. Pour moi, il me semble qu'un mauvais agriculteur peut seul laisser croître l'herbe parmi les plantes qu''il a semées ; car le défaut de sarclage diminue beaucoup les produits. Il n'est donc pas d'un sage cultivateur de s'occuper de la nourriture des bestiaux plus que de la nourriture des hommes, quand surtout il peut pourvoir au fourrage par la culture de ses prés. Je suis tellement partisan du sarclage des fèves, que je crois qu'on doit le pratiquer à trois reprises ; car nous avons remarqué que non seulement alors leur fruit est plus abondant, mais que les gousses forment un si petit volume que, battus et dépouillés de leurs cosses, ses grains remplissent presque autant le modius qu'avant cette préparation : ce qu'on a jeté diminuant à peine la mesure. Enfin, comme nous l'avons dit, le sarclage d'hiver est très avantageux quand on le fait par un jour serein et sec, après le solstice, au mois de janvier, s'il ne gèle pas. Au surplus, il doit s'exécuter de manière à ne point blesser la racine des plantes, mais à les rechausser et à les butter, afin qu'elles tallent plus au large. Il est avantageux d'arriver à ce but par le premier sarclage : ainsi dirigé, le second serait préjudiciable, parce que, parvenues à tout leur accroissement, les céréales qu'on rechausse alors cessent de pousser et pourrissent. On doit se borner alors à remuer le sol bien également, et procéder à ce travail dans les vingt jours qui suivent l'équinoxe du printemps, avant que les chalumeaux aient produit des noeuds, parce que plus tard il en résulterait un grand préjudice pour les grains , que ne tarderaient pas à faire périr la sécheresse et les chaleurs de l'été. Le sarclage terminé, il faut s'occuper d'arracher les mauvaises herbes, en s'abstenant toutefois de toucher aux céréales en fleur : ainsi ce sera avant ou peu de temps après la floraison, que cette opération devra être entreprise. Tous les blés et l'orge, enfin toute plante qui, en levant, n'offre pas deux cotylédons, jettent leur épi entre le troisième et le quatrième noeud ; quand il est entièrement sorti, il met huit jours à défleurir, et grandit pendant quarante autres jours, au bout desquels il parvient à sa maturité. Les légumes qui, au contraire, sont pourvus de deux cotylédons, comme la fève, le pois, la lentille, fleurissent en quarante jours, et grandissent en même temps.
XIII. Comptons maintenant combien il faut employer de journées de travail pour conduire jusqu'à l'aire les productions dont nous avons confié la semence à la terre. Quatre ou cinq modius de froment demandent quatre journées de labourage, une de hersage, deux pour le premier sarclage et une pour le second, une pour arracher les mauvaises herbes, une et demie pour la moisson : en tout dix journées et demie de travaux. Cinq modius de siligo demandent le même temps. Neuf ou dix modius de sésame réclament le même travail que cinq de froment. Cinq modius d'orge exigent trois journées de labourage, une de hersage, une et demie de sarclage, et une pour la moisson : total, six journées et demie de travaux. Quatre à six modius de fèves sur guéret occupent le laboureur pendant deux jours, et seulement pendant un sur une terre qui reste tous les ans en culture. Il faut une journée et demie pour les herser, le même temps pour les sarcler la première fois, un jour pour le second sarclage, autant pour le troisième, et un jour pour les moissonner : c'est un total de huit ou sept journées. Six ou sept modius de vesce sur guéret veulent deux journées de laboureur, et une seule sur une terre qui reste tous les ans en culture ; le hersage se fait en un jour, ainsi que la moisson : total, quatre ou trois jours. Cinq modius d'ers exigent aussi deux journées de labourage, puis une journée pour herser, autant pour chacune des autres opérations : sarcler, arracher les herbes parasites, et moissonner : en tout six journées. II faut le même nombre de journées pour mettre en terre six ou sept modius de fenugrec, et un jour pour le recueillir. Quatre modius de haricots demandent le même nombre de journées pour être ensemencés, une journée pour être hersés, et une autre pour être récoltés. Quatre modius de gesse ou de cicerole réclament trois journées de labourage, une de hersage, une de sarclage, et une pour la récolte : c'est une somme de six journées. L'ensemencement d'un demi-modius de lentilles demande aussi trois journées, le hersage une, le sarclage deux ; ajoutez à cela une journée pour arracher les herbes, et une pour récolter la plante : ce qui fait un total de huit journées. Un jour suffit pour mettre en terre dix modius de lupins, puis un jour, pour les herser et un pour les cueillir. Quatre setiers de millet et autant de panis occupent le laboureur pendant quatre jours ; on en passe trois à herser et autant à sarcler : le nombre de jours nécessaires à la récolte n'est pas fixe. Il faut aussi quatre journées pour semer trois modius de pois chiches ; deux journées pour les herser, une journée pour arracher les herbes, une autre pour les sarcler, et trois journées pour les récolter : total, dix journées de travaux. Une quantité de dix modius ou seulement de huit de lin se sème en quatre journées ; trois autres suffisent pour le hersage, une seule pour sarcler, et trois pour l'arracher : en tout onze jours de travaux. Six setiers de sésame demandent trois journées pour être labourés ; quatre journées ensuite sont nécessaires pour herser, quatre pour sarcler la première fois, et deux pour la seconde, et enfin deux pour récolter : la totalité est donc (le quinze journées de travaux. Nous avons enseigné ci-dessus comment on procède à l'ensemencement du chanvre ; mais on ne saurait déterminer au juste quelle dépense et quels soins il réclame. Quant à la luzerne, on ne la recouvre pas avec la charrue, mais, ainsi que je l'ai dit, au moyen de râteaux de bois. Un jugère ensemencé de luzerne réclame deux jours pour le hersage, un pour le sarclage, et un pour la récolte. De cet emploi des journées on peut conclure qu'un domaine de deux cents jugères peut être cultivé avec deux attelages de boeufs, deux laboureurs et six valets de second rang, si toutefois le fonds n'est point planté d'arbres. Dans le cas où il le serait, Saserna assure, qu'avec trois hommes de plus on peut cultiver convenablement cette même étendue. Le détail que nous venons de donner montre, en outre, qu'un seul attelage de boeufs peut suffire pour l'ensemencement de cent vingt-cinq modius de froment et pour une quantité égale de légumes, de manière que les semailles d'automne se montent à deux cent cinquante modius : ce qui n'empêchera pas de semer ensuite soixante-quinze modius de trémois. On pourra s'en convaincre par ce qui suit. Les semences qui exigent quatre labours demandent cent quinze journées de travail par vingt-cinq jugères. En effet, un champ de cette dimension, fût-il de la terre la plus forte, peut recevoir le premier labour en cinquante journées, le second en vingt-cinq, et le troisième en quarante, y compris celui qui suit l'ensemencement. Les divers légumes emploient soixante journées, c'est-à-dire deux mois. Il faut, en outre, évaluer à quarante-cinq le nombre des jours de pluie et les fêtes pendant lesquels on ne laboure pas. Après les semailles, trente jours sont encore accordés au repos. Ainsi nous trouvons pour résultat huit mois dix jours. Il reste encore de l'année trois mois et vingt-cinq jours, que nous employons à semer les trémois, ou à charrier le foin, les autres fourrages, les fumiers et autres objets nécessaires.
XIV. Parmi les légumes dont je viens de parler, Saserna pense que les uns sont favorables aux champs et les engraissent, que les autres, au contraire, les brûlent et les amaigrissent. Dans la première classe, selon lui, il faut ranger le lupin, la fève, la vesce, l'ers, la lentille, la cicerole et le pois. Je suis de son avis pour le lupin, et même pour la vesce, pourvu qu'aussitôt qu'elle a été coupée en vert, la charrue soit mise dans le champ, et que le soc brise et recouvre, avant qu'il ne se soit desséché, ce qui peut avoir échappé au tranchant de la faux ces débris servent de fumier ; tandis que, si les racines de la vesce se desséchaient abandonnées après la coupe du fourrage, elles priveraient de tout son suc la terre, dont elles absorberaient la force : ce qui arrive vraisemblablement à l'égard de la fève et des autres légumes, qui paraissent engraisser le sol. Ainsi, à moins qu'après l'enlèvement de la récolte de ces légumes on ne laboure le champ qui les a produits, ils ne seront d'aucune utilité aux cultures qu'on doit établir dans le même lieu. A propos des légumes qu'on arrache de terre, Tremellius assure que le pois chiche et le lin sont surtout préjudiciables au sol par le poison dont ils l'infectent : l'un, parce qu'il est de nature salée ; l'autre, parce qu'il est de nature brûlante. C'est aussi ce que Virgile exprime, quand il dit : « Une culture de lin brûle le champ ; l'avoine le brûle aussi ; il est encore brûlé par ces pavots qui nous plongent dans le sommeil de la mort. » En effet, il n'est pas douteux que ces plantes ne soient funestes au sol, aussi bien que le millet et le panis. Mais, pour tout terrain qui a été épuisé par leur production, il est un remède efficace : en le nourrissant de fumier vous rappellerez en lui ses forces perdues. Cet engrais ne sera pas seulement utile aux végétaux que l'on confie aux sillons qu'a tracés la charrue, les arbres et les arbustes tireront aussi de cet aliment un puissant secours. Si, comme il le paraît, le fumier est d'une si grande utilité aux agriculteurs, je pense qu'il est tout à fait à propos d'en parler ici, d'autant plus que les anciens auteurs, sans avoir omis d'en faire mention, s'en sont pourtant légèrement occupés.
XV. On compte trois espèces principales de fumier, lesquelles proviennent des oiseaux, des hommes, et des bestiaux. Le fumier d'oiseaux passe pour le meilleur de tous, et d'abord celui qu'on tire des colombiers, ensuite celui que fournissent les poules et les autres volatiles, en exceptant les oiseaux aquatiques et nageurs, tels que le canard et l'oie, dont la fiente est même nuisible à la terre. Nous faisons un grand cas du fumier de pigeon, que nous avons reconnu très propre à faire fermenter la terre, quand il est employé dans de justes proportions. Au second rang sont les excréments de l'homme, si on les mélange avec les autres immondices de la ferme ; car, seule, cette espèce de fumier est naturellement trop chaude et, par conséquent, brûle la terre. L'urine humaine convient particulièrement aux arbres, quand on l'a laissée vieillir pendant six mois. Répandue art pied des vignes et des arbres fruitiers, elle les rend plus féconds ; et non seulement elle en accroît la production, mais elle améliore la saveur et l'odeur du vin et des fruits. On peut avec avantage mélanger avec l'urine d'homme la vieille lie d'huile, pourvu qu'elle ne soit pas salée, et en arroser les arbres fruitiers, surtout les oliviers ; car employée seule, la lie d’huile leur est aussi très favorable. C'est principalement en hiver qu'il faut faire usage du mélange, ou même dans le printemps, avant les chaleurs de l'été, et pendant que la vigne et les autres arbres fruitiers sont encore déchaussés. Le fumier provenant des bestiaux occupe le troisième rang, et il en est de plusieurs qualités : en effet, celui de l'âne est regardé comme le meilleur, parce que cet animal mange très lentement et, par conséquent, élabore mieux sa digestion, ce qui rend aussitôt propre aux cultures le fumier qu'il a produit; vient ensuite le crottin de brebis, puis celui de chèvre, et enfin le fumier des gros bestiaux et des bêtes de somme. On considère comme le plus mauvais de tous le fumier du cochon. Il ne faut pas oublier de dire que la cendre et le menu charbon sont fort utiles aux nouveaux ensemencements. La tige hachée du lupin a la force du meilleur fumier. Je n'ignore pas qu'il est des lieux dans lesquels on ne saurait avoir ni bestiaux ni volailles ; cependant il faut qu'un cultivateur soit bien négligent, si, même dans un tel endroit, il manque de fumier. Ne peut-il pas recueillir des feuilles quelconques, et le terreau qui s'amasse au pied des buissons et dans les chemins ? Ne peut-il pas obtenir la permission de couper de la fougère chez son voisin, auquel cet enlèvement ne fait aucun tort, et la mêler aux immondices de la cour ? Ne peut-il pas creuser une fosse pour recevoir les engrais, ainsi que nous l'avons prescrit dans notre premier livre, et y réunir la cendre, le dépôt des cloaques, les chaumes et les balayures ? Il y enfoncera au milieu une forte pièce de bois de chêne, pour empêcher les serpents venimeux de se cacher dans le fumier. Voilà ce qu'il faut se borner à faire dans les campagnes où il n'y a pas de troupeaux. Dans les fermes pourvues de bestiaux, on se procure le fumier en nettoyant tous les jours la cuisine et la fromagerie. et, quand il pleut, les étables et les bergeries. Si la ferme consiste en terres à blé, il importe peu de séparer les fumiers par espèces; si, au contraire, elle se compose de plantations d'arbres, de terres labourables et de prés, il faudra mettre à part ces engrais : le crottin de chèvres occupera donc une place particulière, ainsi que la fiente des oiseaux. Le surplus sera entassé dans la fosse dont nous avons parlé, et tenu dans un état constant d'humidité, afin que la graine d'herbes parasites, qui pourrait se trouver mêlée au chaume et aux autres ordures, puisse y pourrir. Ensuite, dans les mois d'été, pour que l'engrais se pourrisse mieux et soit meilleur, il faut remuer tout le fumier avec des râteaux, comme lorsqu'on use de la houe à deux dents pour ameublir la terre. Je regarde comme négligents les agriculteurs qui ne peuvent tous les mois recueillir et entasser au moins une voie de fumier du menu bétail, et dix des gros bestiaux, ainsi qu'autant des immondices tant du corps humain que des basses-cours, et des balayures que la ferme produit journellement. Je crois aussi qu'il faut faire remarquer que le fumier qui, à propos déposé, s'est mûri pendant un an, est le meilleur pour les cultures des champs ; car il possède encore la vigueur de ses qualités et n'engendre plus d'herbes : après ce laps de temps, plus il vieillit, moins il est d'un bon emploi, parce qu'il a moins d'énergie. On doit le répandre aussi nouveau que possible sur les prés pour qu'il y engendre une plus grande quantité d'herbes, et ce travail doit être fait dans le mois de février, à l'époque du croissant de la lune ; car cette circonstance augmente la production du foin. Au reste, nous indiquerons l'emploi qu'on doit faire du fumier, dans telle ou telle culture, quand nous traiterons de chacune d'elles en particulier.
XVI. Ceux qui veulent préparer leurs terres à recevoir du blé, doivent y déposer, au déclin de la lune, dès le mois de septembre, pour les semailles d'automne, et dans le courant de l'hiver, pour celles du printemps, du fumier par petits tas, dans la proportion de douze voies par jugère en plaine et de vingt-quatre sur les coteaux ; et, comme je l'ai dit un peu plus haut, on n'étendra cet engrais qu'au moment d'ensemencer. Si pourtant quelque cause empêche de fumer à temps, on aura recours à un autre procédé : avant de sarcler, on répandra sur les sillons, comme si l'on y jetait de la semence, de la fiente d'oiseaux réduite en poudre ; à défaut de cet engrais, on jettera à la main du crottin de chèvre, que l'on mêlera à la terre au moyen du sarcloir : on obtient une abondante récolte. Les cultivateurs doivent savoir que, si l'absence du fumier refroidit le sol, l'excès le brûle ; et qu'il est plus dans leur intérêt de fumer fréquemment que de fumer trop largement. Il n'y a pas de doute, non plus, qu'un champ humide exige plus de fumier qu'un champ sec : le premier, refroidi par les eaux qui y séjournent, se réchauffe par l'effet de l'engrais ; le second, déjà chaud par lui-même en raison de sa sécheresse, sera brûlé si on lui fournit cet amendement avec trop de prodigalité : il faut donc qu'il reçoive dans une juste proportion cet élément de fertilité. Pourtant, si un cultivateur est dépourvu de toute espèce de fumier, il lui sera avantageux de faire ce que je me rappelle avoir vu pratiquer à M. Columelle, mon oncle paternel, agriculteur très instruit et très actif : il mêlait de l'argile aux terrains sablonneux, et du sable aux terres argileuses et trop compactes. Par ce moyen, non seulement il se préparait d'abondantes récoltes, mais encore il obtenait les plus belles vignes. Au surplus, il n'était pas d'avis de donner du fumier aux vignes, parce qu'il gâtait la saveur du vin. Ce qu'il regardait comme le meilleur amendement pour augmenter leur produit, c'étaient des terreaux ramassés dans les chemins, ou dans les baies, en un mot toute terre extraite et transportée. Quant à moi, je pense que, fût-il privé de toute espèce de fumiers, le laboureur trouvera toujours prête la ressource des lupins, qui, vers les ides de septembre, étendus et enfouis dans une terre maigre, où le soc ou bien le hoyau les brise en temps convenable, procureront l'avantage du meilleur engrais. Dans les terrains sablonneux, il faut couper le lupin à sa seconde fleur ; dans les terres rouges, à l'apparition de la troisième. Dans le premier terrain, on doit l'enfouir tendre, afin qu'il pourrisse promptement et se mêle à ce sol sans liaison ; dans le second, on l'emploie plus ferme, afin qu'il tienne soulevées et divise les mottes trop denses, de manière que l'ardeur du soleil d'été les pénètre et les réduise en poussière.
XVII. Le cultivateur pourra conduire à bien son entreprise, s'il se pourvoit non seulement des espèces de fourrages dont je viens de parler, mais aussi d'une forte provision de foin, afin de mieux entretenir ses animaux , sans lesquels il est difficile de faire valoir, avantageusement une terre. C'est pourquoi il devra s'adonner à la culture des prés, propriétés que les anciens Romains mettaient au-dessus des autres. Aussi leur avaient-ils donné le nom de prata parce qu'ils sont bientôt préparés, n'exigeant pas un long travail. M. Porcius Caton aussi a fait l'éloge des prés, parce qu'ils n'ont pas à souffrir des tempêtes, comme les autres parties de la campagne ; parce que, sans exiger de dépenses, ils donnent tous les ans un revenu qui est double , en ce sens qu'ils ne rendent pas moins en pâturage qu'en foin. Il y en a de deux espèces : le pré sec et le pré arrosé. Quand le terrain est gras et fécond, il n'est pas besoin d'un cours d'eau, et l'on regarde le foin qui croît naturellement sur un sol plein de suc, comme préférable à celui qu'on n'obtient que par des irrigations réitérées, lesquelles pourtant deviennent nécessaires quand la maigreur de la terre réclame de l'eau. Dans un terrain soit compacte, soit léger, on peut, quoiqu'il soit maigre, établir un pré, pourvu qu'on ait la faculté de l'arroser ; mais il ne doit pas être situé, dans une vallée profonde, ni sur un coteau rapide : dans le premier cas, il retiendrait trop longtemps l'eau qui s'y amasse; dans le second, l'eau s'en précipiterait trop vite. Toutefois, sur une pente douce, on peut créer un pré si le terrain est gras ou facile à arroser ; mais une plaine surtout est excellente pour cet objet quand sa pente légère ne permet pas aux eaux pluviales d'y séjourner longtemps, et ne garde pas trop les courants qu'elle reçoit, et quand un écoulement lent s'y opère à mesure que l'eau y est arrivée. En conséquence, si la terre marécageuse offre en quelques parties des eaux croupissantes, il faut les faire écouler par des rigoles : car la surabondance d'eau n'est pas moins préjudiciable aux herbes que sa pénurie.
XVIII. La culture des prés demande plus de soin que de travail. Il faut d'abord n'y laisser subsister ni souches, ni épines, ni herbes qui poussent trop vite. Nous extirperons donc avant l'hiver et pendant l'automne les ronces, les broussailles, les joncs; au printemps, nous arracherons les chicorées sauvages et les plantes épineuses qui ne paraissent qu'au solstice. Nous ne voulons pas, non plus, que le porc aille y chercher sa pâture, parce que, de son groin, il fouille et arrache les gazons ; ni que les grands bestiaux s'y introduisent, à moins que le sol ne soit très sec, parce qu'ils y enfoncent les pieds, écrasent et brisent les racines de l'herbe. Ensuite , au mois de février, pendant que la lune est dans son croissant, il faut, avec du fumier, venir au secours des terrains maigres et inclinés. On doit ramasser toutes les pierres et les porter ailleurs, ainsi que tout ce qui peut faire obstacle à la faux, et n'exploiter le terrain, suivant sa nature, que plus tôt ou plus tard. Il y a aussi certains prés qui, à la longue, se couvrent d'une mousse vieillie et touffue, auxquels les cultivateurs remédient ordinairement en y semant des graines balayées dans les fenils, ou en y répandant du fumier : pratiques qui, ni l'une ni l'autre, ne produisent un aussi bon effet que la cendre fréquemment employée : cette substance tue la mousse. Toutefois ces remèdes n'agissent que très lentement, et le seul qui soit tout à fait efficace, est de labourer la place en entier. Voilà ce que nous devons faire pour les prés qui étaient tout formés avant de devenir notre propriété ; quant à ceux que nous voulons créer, ou dont nous désirons rajeunir la vieillesse (car, je le répète, beaucoup n'ont vieilli et ne sont devenus stériles que par négligence), il est à propos de les labourer pour en tirer une récolte de blé, parce qu'une telle terre, après un long repos, produit une abondante moisson. En conséquence, le terrain dont nous voulons faire un pré sera d'abord soumis en été à un premier labour, puis à plusieurs autres pendant l'automne ; et alors nous y sèmerons des raves, des navets ou même des fèves ; l'année suivante, du froment. La troisième année, nous le labourerons avec soin et nous extirperons à fond toutes les herbes trop fortes, les ronces, et les arbres qui y auront poussé, à moins que nous n'en soyons empêchés par l'espoir des fruits qu'ils promettraient. Ensuite nous sèmerons de la vesce mêlée avec de la graine de foin. A cet effet, nous aurons brisé les mottes avec le sarcloir, aplani le terrain en y faisant passer la herse, et tellement égrené les grumeaux qu'en tournant cet instrument amasse au bout des sillons, qu'il ne puisse s'y trouver d'obstacle au fer de la faux. Quant à la vesce, il ne faut pas la couper avant sa maturité parfaite, pour qu'elle puisse jeter une partie de sa graine sur le sol. C'est alors qu'il faudra faucher, lier en bottes et enlever le fourrage coupé ; puis arroser, lorsqu'on a de l'eau à sa proximité, si toutefois la terre est compacte ; car, en terre meuble, il n'est pas bon d'amener beaucoup d'eau avant que le sol ne soit affermi et consolidé par l'herbe, parce que l'eau dans la rapidité de son cours délaye la terre, et mettant les racines à nu, les empêche de se nourrir. C'est par un motif semblable qu'il ne faut pas introduire les troupeaux dans les prés nouveaux et faciles à défoncer, mais se borner à en faucher l'herbe dès qu'elle aura atteint une certaine hauteur ; car, ainsi que je l'ai dit, les bestiaux enfoncent la corne de leurs pieds dans la terre molle, et ne permettent pas aux racines qu'ils brisent de s'étendre et de s'affermir. Pourtant, l'année suivante, nous permettons au petit bétail d'y entrer après l'enlèvement du foin, pourvu que le sol soit assez sec et d'une nature telle qu'il n'ait pas à en souffrir. Enfin, à la troisième année, lorsque le pré sera devenu plus solide et plus ferme, il pourra recevoir les grands bestiaux. En général, on aura soin, lorsque le favonius commence à souffler, au mois de février, vers les ides, de répandre sur les lieux maigres, et surtout s'ils sont élevés, du fumier mêlé avec de la graine de foin ; car les coteaux fournissent assez d'engrais aux terrains inférieurs : les pluies, ou les ruisseaux qu'on y a ménagés entraînant sur ces terrains les sucs du fumier. C'est pourquoi les agriculteurs, tant soit peu expérimentés, fument plus largement, même dans les terres labourées, les collines que les vallées, parce que, je le répète, les pluies font toujours descendre les parties les plus grasses des amendements.
XIX. On doit choisir pour couper le foin le moment où il n'est point encore desséché; car, outre qu'il est plus abondant alors, il fournit aux bestiaux une nourriture plus agréable. Or, il y a une juste mesure à observer pour sécher le foin : il ne doit être serré ni trop sec, ni trop vert. Dans le premier cas, ayant perdu tous ses sucs, il n'est propre qu'à faire de la litière; dans le second cas, s'il en conserve trop, il pourrit sur les planchers du grenier, et peut souvent, par l'effet de la chaleur fui s'y développe, prendre feu et occasionner des incendies. Quelquefois aussi , la pluie tombe sur le foin qui vient d'être coupé : s'il est fortement mouillé, il est inutile de l'enlever dans cet état; il vaut mieux attendre lue la couche supérieure en soit séchée par le soleil, puis le retourner, et quand les deux côtés ne sont plus humides, l'amasser en raies et le lier en bottes. On ne prendra pas alors de repos qu'il ne soit rentré à la ferme. Si cependant on ne pouvait l'y transporter ou le mettre en bottes, on se bornerait alors à former de ce qui sera bien sec des meules qu'on terminera en pointe très-aiguë : par ce moyen, on protégé avantageusement le foin contre les eaux du ciel. Lors même que les pluies ne tomberaient pas, il serait cependant convenable de former les Meules dont il s'agit, parce que, s'il reste quelque humidité dans le foin, elle transsudera et se recuira dans le tas. Aussi les cultivateurs expérimentés, quoique leur foin soit déjà porté à l'abri, s'il a été recueilli précipitamment, ne le rangent-ils pas qu'ils ne l'aient laissé, quelques jours se recuire et se refroidir. Après la récolte des foins vient bientôt celle des grains , que nous ne saurions entreprendre convenablement si nous n'avons eu le soin de disposer les instruments propres à l'effectuer.
XX. Pour que l'aire qu'on forme sur le sol soit propre au battage, il faut préalablement enlever l'herbe qui couvre sa superficie, puis le défoncer, y mêler de la paille et de la lie d'huile non salée, et rendre la place nette (par ce moyen on garantira le grain du ravage des rats et des fourmis) ; on l'aplanira ensuite à la hie ou on l'affermira au moyen d'une meule ; et, après avoir répandit de nouvelle paille qu'on battra de nouveau, on laissera sécher au soleil. Quelques personnes cependant préfèrent pour leur aire l'emplacement où les fèves ont été dépouillées de leurs cosses, et le polissent quand cette opération est terminée : en effet, foulées par les bestiaux qui marchent sur ces légumes, les herbes sont écrasées par la corne de leurs pieds, et la place se trouve ainsi mise à nu et devient une aire propre à tous les battages.
XXI. Quand les grains seront mûrs, on s'empressera de les moissonner avant qu'ils ne soient rôtis par l'ardeur du soleil, qui est excessive au lever de la canicule. Tout retard serait préjudiciable : d'abord ils deviendraient la proie des oiseaux et des autres animaux ; ensuite les grains et même les épis tomberaient promptement lorsque les chalumeaux et les balles seraient desséchés; et si quelques coups de vent et des tourbillons survenaient, la majeure partie du grain tomberait à terre. C'est pourquoi il faut bien se garder de renvoyer la moisson au lendemain ; mais dès que les épis sont également jaunes, avant que les grains soient tout à fait durs, quand ils ont pris une couleur rougeâtre, on doit procéder à la récolte des blés, afin qu 'ils acquièrent de la grosseur sur l'aire et en monceau plutôt que, sur le sillon : car il est constant que, s'ils sont coupés à temps, ils prennent ensuite du volume. Il y a plusieurs manières de moissonner. Beaucoup de cultivateurs coupent au milieu le chaume avec des faux à long manche, soit à bec, soit à dents ; beaucoup enlèvent l'épi même à la fourche, d'autres au fauchet : ce qui est très facile dans une moisson clair semée, et très difficile quand elle est très fourrée. Si les blés sont coupés à la faux avec une partie du chaume, on les entasse aussitôt en meule, ou sous le hangar qui sert à battre quand il pleut ; puis, desséchés par un soleil favorable, on les soumet au battage. S'est-on borné à couper les épis, on peut les porter au grenier, et pendant l'hiver on les soumet au fléau ou bien aux pieds des animaux ; mais si le grain doit être battu sur l'aire, il n'y a pas de doute que le travail ne soit mieux fait par des chevaux que par des boeufs ; si l'on n'a pas assez de ces animaux à sa disposition, on peut s'aider de rouleaux ou de traîneaux : machines qui froissent suffisamment les chalumeaux. Si les épis sont isolés, on devra préalablement les battre au fléau, et les vanner ensuite. Lorsque le blé se trouve mêlé avec la paille, on l'en sépare en l'exposant à l'action du vent. Pour cette opération, le favonius est regardé comme le meilleur, parce que, dans les mois d'été, il souffle doucement et d'une manière égale ; mais il n'y a qu'un agriculteur nonchalant qui puisse se résoudre à l'attendre : car pendant ce temporisement le froid hiver peut nous surprendre. C'est pourquoi on doit amonceler sur l'aire le grain battu, afin de pouvoir le nettoyer par quelque vent que ce soit. Si l'air se maintenait calme durant plusieurs jours, il faudrait recourir au van pour le purifier, de peur que, après cette inertie prolongée des vents, quelque orage ne fasse perdre le travail de toute une année. Si le grain doit être conservé plusieurs années, on devra le nettoyer une seconde fois : car plus il est propre, moins il est sujet à être rongé par les charançons. Dans le cas où il serait destiné à un usage prochain, un second nettoyage devient inutile : il suffit de le faire rafraîchir à l'ombre et de le déposer ensuite dans un grenier. Les légumes n'exigent pas d'autres précautions que les blés : car on les emploie aussitôt, ou on les met en réserve. Voilà le bénéfice que le laboureur reçoit en compensation des grains qu'il a confiés à la terre.
XXII. Nos ancêtres étaient d'avis qu'on ne doit pas moins rendre compte de ses loisirs que de ses travaux. Nous aussi, nous croyons qu'il est à propos de faire connaître aux agriculteurs ce que, pendant les fêtes, ils ont droit de faire, et ce qui leur est défendu. Il existe des choses que, comme dit le poëte, « Le droit et les lois permettent d'exécuter dans les jours de fête : aucune religion n'a défendu de détourner les ruisseaux, d'entourer de haies une moisson, de tendre des pièges aux oiseaux, de mettre le feu aux plantes parasites, ni de plonger le troupeau bêlant dans une onde salutaire.» Les pontifes cependant nient qu'on ait le droit d'enclore sa moisson un jour de fête ; comme ils défendent de baigner les brebis pour blanchir leur toison, ce que d'après eux on ne doit faire que pour leur rendre la santé. Aussi Virgile, qui détermine le cas où il est permis de laver son troupeau dans la rivière, a-t-il ajouté, « De le plonger dans une eau salutaire : » et en effet , il y a des maladies pour lesquelles il est utile de laver les troupeaux. Il était d'usage chez nos ancêtres d'accorder encore d'autres permissions pour les jours de fête : telles que de moudre du blé, de tailler des torches, de faire des chandelles de suif, de cultiver la vigne que l'on tient à loyer, de curer et nettoyer les piscines, les mares, les anciens fossés ; de faucher le regain des prés, d'épandre les fumiers, de tasser le foin dans les greniers, de cueillir le fruit des oliviers affermés, d'étendre les pommes, les poires et les figues, de faire du fromage, de transporter sur ses épaules ou à dos de mulet des arbres à planter ; mais il n'est pas permis d'employer à ce transport l'animal attelé, ni de planter ce qu'on a ainsi charrié, ni d'ouvrir la terre, ni d'élaguer les arbres ; on ne doit faire, non plus, d'ensemencement, qu'après avoir immolé un jeune chien, ni faucher le foin, ni le lier ou le transporter. Les règlements des pontifes n'autorisent même à faire la vendange et la tonte des bêtes à laine les jours de fête, que si auparavant on a offert un jeune chien en sacrifice. Toutefois il est permis de faire du vin cuit et d'en mêler avec d'autre vin; de cueillir, pour les confire, des raisins et des olives. Il est défendu de couvrir les brebis avec des peaux ; et il ne l'est pas de travailler à tout ce qui, dans le jardin, concerne les plantes potagères. Les jours de fête publique, il est interdit d'ensevelir un homme mort. M. Porcius Caton dit qu'il n'y a de fêtes ni pour les mulets, ni pour les chevaux, ni pour les ânes; il permet aussi d'atteler les boeufs pour le transport, chez soi, du bois et des grains. Nous avons lu dans les ordonnances des pontifes, que c'était seulement pendant les fêtes Dénicales qu'il était défendu d'atteler les mulets, mais que cela était permis durant les autres fêtes. A ce propos, je suis certain que, après ce recensement de la solennisation des fêtes, quelques personnes désireront que je leur fasse connaître les rites usités par les anciens pour les lustrations et les autres sacrifices : je ne refuse pas d'accéder à ce désir; mais cela fera partie d'un livre que je me propose d'écrire quand j'aurai donné tous les préceptes de l'agriculture. En attendant, je vais terminer cette présente dissertation , et me disposer à parler, dans le livre suivant, de ce que les anciens auteurs ont publié sur les vignes et les plants d'arbres, et de ce que, depuis eux, j'ai découvert moi-même.
I. « J'ai chanté jusqu'alors la culture des champs, » comme dit le grand poète : car rien ne nous empêche, P. Silvinus, nous qui allons parler des mêmes objets, de commencer ce livre par ce vers de son poème célèbre. Nous sommes arrivés aux soins que réclament les arbres, qui sont certainement la principale partie de l'agriculture. Leurs variétés sont nombreuses et se présentent sous des formes diverses. En effet, ainsi que le dit le même auteur : « Plusieurs espèces viennent d'elles-mêmes, sans y être contraintes par l'homme; » comme aussi il y en a un grand nombre qui ont été créées par notre industrie. Mais celles qui ne viennent pas par le secours de l'homme sont brutes et sauvages, et rapportent des fruits ou des semences qui tiennent de leur caractère; tandis que celles qui sont secondées par le travail donnent des fruits plus propres à notre nourriture. C'est donc d'abord de ce dernier genre d'arbres qu'il faut parler, puisqu'il nous fournit des aliments. On en forme trois classes : car d'un rejeton provient ou un arbre, comme l'olivier; ou un arbrisseau, comme le palmier des champs ; ou bien un végétal que je ne saurais, à proprement parler, appeler ni arbre ni arbrisseau, comme est la vigne. Nous la plaçons à bon droit avant tous les plants, non pas tant pour la délicatesse de ses fruits, que pour la facilité avec laquelle elle répond aux soins dont elle est l'objet, presque dans toutes les contrées et sous tous les climats du monde, si l'on en excepte les régions ou glacées ou brûlantes ; elle prospère à la fois, et dans les plaines et sur les coteaux, autant dans les terres compactes que dans celles qui sont meubles, souvent même dans un fonds ou gras ou maigre, sec ou humide. Elle est donc la plante qui supporte le mieux les températures les plus opposées, soit qu'on la cultive sous le pôle boréal, soit qu'on la transporte sous le pôle austral, sujet aux orages. Il importe pourtant que vous sachiez quelle espèce de vigne vous devez préférer, et quelle culture elle exige, suivant l'état du pays. Cette culture n'est pas la même sous toutes les températures ni dans tous les terrains ; et l'on n'admet pas indistinctement la même variété de cépage. Il n'est pas facile de dire quelle est la préférable, puisque l'expérience seule peut nous apprendre ce qui convient plus ou moins à chaque pays. Au reste, un agriculteur intelligent saura que le genre de vigne qui supporte sans préjudice les brouillards et les frimas convient à la plaine ; que celui qui ne redoute ni la sécheresse ni les vents, se plaît sur les coteaux. Il donnera à un sol gras et fertile une vigne de nature faible et qui soit peu féconde ; à un sol maigre, une vigne productive ; à une terre compacte, celle qui s'emporte en rameaux multipliés ; à un terrain léger et fertile, celle qui ne projette que peu de sarments. Cet agriculteur saura que, dans un terrain humide, il ne serait pas avantageux de cultiver des raisins à grain tendre et gros, mais au contraire dur et petit, renfermant beaucoup de pépins : il n'en est pas de même en terrain sec, qui admet les différentes espèces. Il n'ignorera pas non plus qu'après ces considérations, il faut, plus qu'à tout le reste, avoir égard à la nature du ciel, froid ou chaud, sec ou humide, calme ou sujet à la grêle et aux vents, serein ou nébuleux. Dans les contrées froides ou nébuleuses, il placera convenablement deux espèces de vignes : ou les précoces dont les raisins, mûrissant plus vite, préviendront l'arrivée de l'hiver ; ou celles qui ont le grain ferme et dur, et dont les grappes se nouent sous les brouillards, et dont le fruit s'adoucit à la gelée et aux frimas, comme les autres par, l'effet des chaleurs. Sur les lieux exposés aux vents et aux bourrasques, il établira la vigne qui produit un raisin ferme et dont le grain est dur. Au terrain chaud, il confiera les espèces tendres et productives ; au terrain sec, il destinera celles que les pluies et les rosées continuelles pourriraient ; au terrain humide, celles qui souffriraient des sécheresses ; aux lieux sujets à être frappés de la grêle, celles qui sont pourvues de feuilles dures et amples, pour mieux protéger leurs fruits. Au reste, toute contrée calme et sereine reçoit toute sorte de vignes, plus avantageusement pourtant celles dont la grappe ou les grains se détachent de bonne heure. Mais si on peut, selon ses voeux, choisir pour son vignoble la nature du sol et celle du ciel, le meilleur emplacement, comme le dit Celse avec beaucoup de raison, sera un sol ni trop compacte ni trop léger, cependant assez meuble ; ni maigre ni très gras, fertile toutefois ; ni en plaine ni escarpé, mais plutôt élevé ; ni sec ni mouillé, pourtant médiocrement humide ; qui ne voie pas sourdre d'eaux ni à sa surface ni au dessous, et fournisse cependant aux racines une moiteur suffisante, mais qui ne puisse, amère ou salée, gâter le goût du vin, ni couvrir, comme d'une certaine croûte de rouille, la verdure des jeunes pousses, s'il faut nous en rapporter à Virgile, qui dit : « Un terrain salé et reconnu amer est préjudiciable aux productions ; on ne saurait l'adoucir par le labourage ; il fait perdre au vin sa qualité, et aux fruits leur bonne réputation. » Au surplus, comme je l'ai dit plus haut, la vigne ne veut ni une température glaciale ni un climat brûlant ; pourtant elle s'accommode mieux de la chaleur que du froid ; les pluies lui nuisent plus qu'un temps constamment beau ; elle préfère, une contrée sèche à une contrée pluvieuse ; un air soufflant modérément et avec douceur lui est salutaire, tandis que les tempêtes lui sont nuisibles. Telles sont les conditions du ciel et de la terre qui lui sont les plus avantageuses.
II. On plante la vigne soit pour en manger le fruit, soit pour le pressurer. Dans le premier cas, il n'est pas à propos de former un vignoble, excepté lorsque la ferme est tellement près de la ville, qu'on ait intérêt à vendre aux marchands, sitôt cueilli, le raisin comme les autres fruits. Quand on s'adonne à cette spéculation, on recherche principalement les raisins précoces et à chair ferme, de couleur pourpre, à grains à la fois gros et allongés, ceux de Rhodes, de Libye et des monts Cérauniens. On doit planter les espèces qui se recommandent, non seulement par l'agrément de la saveur, mais aussi par la beauté de la grappe, comme les couronnées, les trois-pieds, les onciaires , et celles dont les grains ont la forme du coing ; et aussi celles dont les raisins peuvent se conserver dans des vases pour la saison d'hiver, comme les vénucules, et les numisiennes, en qui on a récemment découvert les qualités qui conviennent à cet objet. Si nous désirons obtenir du vin, nous choisirons la vigne qui excelle par la bonté du fruit et par la vigueur du bois : double qualité importante, l'une pour les revenus du cultivateur, l'autre pour la durée du plant. La meilleure vigne est celle qui ne se couvre pas trop tôt de bourgeons, qui défleurit de bonne heure, celle dont le fruit ne mûrit pas trop tard, qui résiste facilement aux frimas, aux brouillards et au charbon, qui ne pourrit pas à la pluie et résiste à la sécheresse prolongée. Tel sera l'objet de notre choix, fût-elle médiocrement féconde, pourvu que nous possédions un terrain qui donne au vin un goût fin et distingué ; car dans le cas où il ne donnerait qu'un produit vulgaire et sans nul mérite, il faudrait planter le cépage le plus productif, afin que l'abondance augmente notre revenu. Presque toujours, et en quelque état que ce soit, les vignobles produisent en plaine plus de vin, et sur les coteaux le donnent de meilleure qualité. Cependant, sous un climat tempéré, les vins des pentes exposées au vent du nord sont plus abondants, ceux des pentes exposées au vent dut raidi sont plus généreux. Il n'y a pas de doute que telle est la nature de quelques vignes, que, suivant la position du terrain, un vin soit tantôt supérieur en qualité, tantôt inférieur. Seules, les vignes aminées passent pour produire, partout où on les plante, excepté sous un ciel trop froid, et quoique dégénérées, un vin qui surpasse tous les autres en saveur, bien que comparées entre elles, elles donnent des vins d'un goût plus ou moins parfait. Quoique ces vignes n'aient qu'un seul nom, elles ne se bornent pas a une seule espèce. Nous en avons connu deux, dont la plus petite variété défleurit plus tôt et mieux que la grande. Elle est propre à être mariée aux arbres, ainsi qu'à être attachée au joug : dans le premier cas, elle demande une terre grasse ; dans le second, elle en préfère une médiocre. Elle l'emporte de beaucoup sur la grande variété, parce qu'elle supporte mieux les pluies et les vents : en effet, la grande variété voit promptement sa fleur s'altérer, plus encore aux jougs que sur les arbres. Aussi ne convient-elle pas pour former des vignobles, puisqu'elle est tout au plus propre à être cultivée dans les vergers, à moins, cependant, que le sol en soit gras et humide ; elle ne réussit pas dans les fonds médiocres, moins encore dans ceux qui sont maigres. On la reconnaît à la multitude de sarments qu'elle jette, à la grandeur de son feuillage, à la grosseur de ses raisins et de leurs grains. Elle a moins de noeuds que la petite variété, qui l'emporte par l'abondance de sa production, mais non par la saveur. Toutes les deux sont dites vignes aminées. Outre celles-ci, il y en a encore deux autres espèces qu'on appelle aminées jumelles, en raison des doubles grappes qu'elles produisent ; leur vin est dur, mais il se conserve aussi longtemps que celui des précédentes. La plus petite variété de ces deux espèces est très connue, parce qu'elle couvre dans la Campanie les plus célèbres coteaux du Vésuve et ceux de Sorrente. Elle se trouve bien du souffle estival du Favonius. et souffre de celui de l'Auster : aussi, dans les autres contrées de l'Italie, elle est moins employée pour les vignobles que pour les vergers, tandis que, sur les coteaux dont nous venons de parler, le joug soutient avantageusement son bois et son fruit. Son raisin ne diffère guère de celui de la petite aminée véritable, qu'en ce qu'il est double, comme la grappe de la grande aminée jumelle ressemble à celle de la grande aminée véritable ; la petite jumelle, toutefois, est préférable à cette dernière, en ce qu'elle est plus féconde même dans un terrain médiocre, et que, comme nous l'avons déjà dit, la grande aminée véritable ne rend bien que dans un fonds très gras: Certains cultivateurs prisent beaucoup aussi l'aminée laineuse, ainsi appelée, non parce qu'elle est la seule de toutes les aminées qui se couvre de duvet, mais parce qu'elle possède ce caractère au premier degré. Assurément ce cépage donne un vin de bonne qualité , mais plus léger que celui des précédents. Il jette également beaucoup de bois ; aussi la multitude de ses pampres nuit-elle souvent à la défloraison, et ses fruits pourrissent-ils promptement dès qu'ils sont mûrs. Outre les espèces d'aminées dont nous venons de parler, il en existe une particulière, ressemblant assez, au premier coup d'oeil, à la grande jumelle, par les pampres et le cep, mais qui lui est un peu inférieure par la saveur du vin, quoiqu'il soit très généreux ; elle est, au surplus, préférable à celle-ci par des qualités qui lui sont propres : car elle est plus féconde, elle se dépouille mieux de sa fleur, elle porte des grappes serrées et blanches, et dont le grain est très gros ; elle ne dégénère pas dans les terrains maigres : aussi est-elle mise au nombre des vignes les plus productives. Pour l'excellence du vin, les vignes de Nomentum tiennent le second rang après les aminées, mais elles les surpassent en fécondité ; car elles se chargent d'une quantité considérable de fruits qu'elles mènent à bien. La plus fertile des nomentaines est la petite variété, dont la feuille est moins découpée et le bois moins rouge que dans les aminées : c'est cette couleur qui les a fait nommer rubelliennes; on les appelle aussi féciniennes, parce qu'elles déposent plus de lie que les autres. Elles récompensent de cet inconvénient par la multitude des raisins qu'elles étalent sur le joug, et plus encore sur l'arbre. Elles supportent fort bien les vents et les pluies ; elles défleurissent promptement et, par conséquent, parviennent plus tôt à la maturité, de toutes les incommodités ne redoutant guère que la chaleur : en effet, les grains, naturellement petits et dont la peau est dure, s'affermissent encore sous le feu du soleil. C'est en terrain bras que surtout elles se plaisent : lui seul peut fournir une nourriture abondante à leurs grappes naturellement grêles et petites. Les eugénies soutiennent sans inconvénient les effets d'un sol et d'un ciel froids et humides, lorsqu'elles sont sur les coteaux d'Albe ; mais lorsqu'elles ont changé de lieu, elles répondent à peine à leur réputation. Les allobrogiques se comportent de même, et ne donnent plus hors de leur patrie qu'un vin sans agrément. Les trois apiennes se recommandent aussi par des qualités supérieures ; toutes les trois fécondes et s'accommodant assez bien du joug et des arbres : l'une d'elles pourtant est plus généreuse que les autres, c'est celle dont la feuille est glabre ; pour les deux variétés à feuilles cotonneuses, quoique se ressemblant pour le feuillage et les bourgeons, elles diffèrent par la qualité de la liqueur, puisque le vin de l'une se conserve plus longtemps que celui de l'autre. Très fertiles dans un terrain gras, fécondes même dans un sol médiocre, elles donnent un fruit précoce : aussi conviennent-elles parfaitement aux situations froides ; mais leur vin, de saveur douce, ne convient guère au cerveau, aux nerfs et à la circulation. Si on n'en recueille de bonne heure le raisin, il devient la proie des pluies, des vents et des abeilles, qui, en raison du ravage qu'elles y exercent, lui ont fait donner le surnom d'apien. Ce fruit est très célèbre à cause de son exquise saveur. Il y a des vignes qui, bien que de seconde classe, sont recommandables aussi par leur production et leur fécondité : telle est la biturique, telle est aussi la royale, desquelles les Espagnols appellent cocolubis la plus petite variété. Elles se rapprochent le plus des premières que nous avons citées ; car leur vin ne redoute pas la vieillesse et, grâce aux années, acquiert même quelque bonté. C'est autant par leur fécondité que par leur vigueur qu'elles l'emportent sur toutes les espèces dont j'ai parlé, ci-devant, puisqu'elles bravent les ouragans et les pluies, produisent beaucoup de vin, et ne font pas défaut dans les terrains maigres. Elles supportent mieux le froid que l'humidité, et l'humidité que la sécheresse, sans pourtant. souffrir de la chaleur. Viennent ensuite la visule et la petite argitis, qui se trouvent bien d'un sol médiocre, tandis qu'en terre grasse elles déploient beaucoup trop de végétation , et que dans un terrain maigre elles sont chétives et privées de fruit ; elles s'accommodent mieux du joug que des arbres. L'argitis toutefois, fertile sur les points élevés, y abonde en bois et en raisins. La visule, plus propre aux plus bas palissages, donne peu de bois, mais de larges feuilles, dont l'ampleur protège avantageusement contre la grêle ses fruits, qui tombent à terre si on ne les cueille dès les premiers temps de leur maturité, ou pourrissent par l'effet de l'humidité, plutôt encore qu'ils ne tombent. Les helvoles, que quelques personnes appellent les bigarrées, et dont la grappe n'est ni pourpre ni noire, tirent, si je ne me trompe, leur nom de leur couleur rouge pâle. La variété la plus noire est la meilleure eu égard à l'abondance de son vin, mais la variété la plus blanche est préférable pour sa saveur. La couleur des grains ne se montre pas égale dans l'une comme dans l'autre variété. Elles donnent toutes les deux du vin blanc dont la quantité est plus ou moins grande alternativement de deux années l'une : elles se développent mieux sur l'arbre, toutefois elles couvrent bien le joug. Leur fécondité se manifeste aussi sur un sol médiocre, de même que la grande et la petite précies ; mais ces deux dernières sont plus recommandables par la générosité de leur vin : elles se couvrent d'une grande quantité de pampres et mûrissent promptement. Plus utile sur la colline que dans la plaine, comme dit Celse, l'albuélis réussit mieux sur l'arbre que sur le joug, au haut de l'arbre qu'au bas; elle est très féconde en rameaux et en raisins. Quant aux petites vignes grecques, telles que les maréotiques, les thasiennes, les psithiennes, les sophorties, le goût de leurs productions est délicat, mais dans nos contrées elles donnent peu de grappes, leurs grains sont petits, et on en obtient peu de vin. Cependant l'inerticule noire, que quelques Grecs appellent améthyste, peut en quelque sorte prendre place dans la seconde tribu, parce que son vin est bon et n'incommode nullement : avantage qui lui procure son nom, vu qu'elle passe, quoiqu'elle ne soit pas insipide au goût, pour n'avoir aucune action sur les nerfs. Celse place au troisième degré les vignes qui ne se recommandent que par leur fécondité : telles que les trois helvénacies, dont les deux grandes variétés ne sont pas plus estimées l'une que l'autre, la qualité et l'abondance de leur vin ne suffisant point pour établir une préférence. L'une d'elles, qui a reçu des habitants des Gaules la dénomination démarque, n'offre qu'un vin médiocre ; l'autre, qu'ils appellent la longue et aussi l'avare, ne donne qu'une liqueur trouble et même moins abondante que ne semble le faire espérer d'abord le nombre de ses grappes. La plus petite et la meilleure de ces trois variétés se reconnaît facilement à sa feuille, qui est beaucoup plus ronde que celle des deux premières : elle mérite des éloges, parce qu'elle supporte très bien les sécheresses ; parce qu'elle endure le froid, pourvu qu'il ne soit pas accompagné de pluies ; parce qu'en certaines localités son vin se conserve très longtemps, et surtout parce qu'elle est la seule qui, par sa fécondité, fait honneur au terrain le plus maigre. La spionie est plus libérale en vin et en grappes volumineuses qu'elle ne l'est par leur quantité, telles sont aussi l'oléaginie, la murgentine, qui est la même que la pompéienne, la numisienne, la vénucule aussi appelée scirpule et sticule, la frégellane noire, la mérique, la rhétique, et la grande arcelaque, la plus productive de toutes les espèces que nous connaissons, et que beaucoup de personnes confondent à tort avec l'argitis. Il me serait fort difficile de dire dans quelle classe on doit placer la pergulane, l'irtiole et la féréole, que je ne connais que depuis peu de temps. Quoique j'aie reconnu qu'elles sont assez productives, je ne saurais encore prononcer sur la bonté du vin qu'on en retire. Nous avons aussi découvert une vigne précoce qui nous était inconnue jusqu'alors : les Grecs l'appellent dracontion. On peut comparer sa fécondité et l'agrément de sa saveur aux mêmes qualités qu'on remarque dans l'arcélaque, la royale et la biturique, et en outre à la force généreuse du vin d'aminée. On compte encore beaucoup d'espèces de vignes, dont nous ne pourrions garantir ni le nombre ni les noms. « Car {comme dit le poète} il est sans importance de les énumérer. Qui voudrait les connaître toutes, voudrait savoir combien le zéphyr bouleverse de grains de sable dans la mer de Libye. » En effet, tous les pays et presque tous les cantons de ces pays possèdent des espèces de vignes qui leur sont particulières et qu'ils nomment à leur manière ; certaines variétés ont, en changeant de lieu, changé aussi de nom, et, comme nous l'avons dit, quelques-unes, en quittant leur pays, ont perdu leur qualité primitive au point de ne pouvoir plus être reconnues. Et, pour ne point parler de l'immensité du globe, dans l'Italie même, les peuples, même voisins, ne s'accordent point dans les noms qu'ils donnent aux vignes, et leur en assignent chacun de différents. Aussi, un maître sage doit-il se garder de faire perdre le temps à ses élèves dans la recherche d'une nomenclature impossible à fixer : il se bornera, suivant le précepte de Celse, et comme avant lui l'avait prescrit M. Caton, à conseiller de ne planter d'autres espèces de vignes que celles qui jouissent d'une juste réputation, de ne conserver que celles dont l'expérience aura confirmé les qualités, et les plus généreuses, ainsi que dit Jules Grécinus, si le pays est situé dans des conditions telles qu'elles engagent à planter des vignes de renom. Là où il n'y a rien ou peu de chose qui dicte cette détermination, il vaut mieux rechercher la fécondité, qui ne sera jamais aussi inférieure en prix qu'elle sera supérieure en abondance. Au reste, je dirai bientôt en son lieu ce que je pense au fond de ces conseils, quoique je les aie déjà approuvés un peu plus haut : car mon projet est d'enseigner à constituer des vignes fécondes et qui produisent en même temps un vin de qualité.
III. Maintenant, avant de parler de la plantation des vignes, je ne crois pas étranger à mon sujet de jeter, en quelque sorte, les fondements de la discussion que je vais entreprendre, en examinant et jugeant si la culture d'un vignoble peut enrichir un père de famille. En effet, il serait à peu près inutile d'enseigner à planter des vignes, tant qu'on n'a pas décidé s'il convient d'en posséder. C'est ce dont on doute si généralement que beaucoup de personnes évitent et redoutent une terre disposée en vignoble, et considèrent comme préférable la possession des prés, des pâturages et des taillis. Pour les vignes mariées aux arbres, c'est, même parmi les auteurs, le sujet de grands débats : Saserna repoussant ce genre d'exploitation, Tremellius lui donnant hautement son suffrage. Cette question sera pour nous, plus tard, le sujet d'un examen ; toutefois nous devons dire ici à ceux qui s'adonnent à l'agriculture, que le revenu des vignobles est fort considérable. Je pourrais citer comme preuve cette ancienne fertilité des terres qu'avait déjà mise en avant M. Caton, et après lui Terentius Varron, qui prétendent que chaque jugère de vignes fournissait six cents urnes de vin. C'est ce que Varron affirme positivement dans le premier livre de son Économie rurale, où il dit qu'un tel produit ne se bornait pas à une seule contrée, mais était commun au canton de Faventia et à cette partie de la Gaule Cisalpine qui est aujourd'hui comprise dans le Picénum. On ne peut donc mettre en doute la fertilité des vignes de ce temps-là. Mais, pour parler de notre époque, la contrée de Nomentum n'est-elle pas célèbre par la haute réputation dont elle jouit, et surtout la partie que possède Sénèque, homme d'un grand génie et d'une science profonde, dans les terres duquel il est reconnu que chaque jugère de vignes rend ordinairement huit culléus de vin ? On a regardé comme un prodige ce qui est arrivé dans nos terres de Cérétan, où un pied de vigne te donna, Silvinus, plus de deux mille grappes ; chez moi, quatre-vingts ceps, greffés depuis deux ans, emplirent sept culléus, les jeunes vignes donnèrent cent amphores par jugère. Et les prés, les pâturages et les bois passent pour être d'un grand produit, quand ils rapportent cent sesterces par jugère à leur maître. Quant au blé, dans la majeure partie de l'Italie, nous pouvons à peine citer qu'il ait rendu le quart de ce revenu. Pourquoi donc la culture de la vigne est-elle décriée ? Grécinus dit que ce n'est point par la faute de cette plante, mais bien par celle des hommes: d'abord, parce que personne n'apporte assez de soin à choisir ses plants, et que la plupart des vignerons composent leurs vignobles de variétés détestables ; ensuite parce qu'ils ne cultivent pas leurs plants de manière à les fortifier avant tout, à leur faire jeter de vigoureux sarments qui puissent résister au feu des étés, et parce que, enfin, si le hasard veut que le plant vienne à bien, ils ne le soignent qu'avec négligence. D'abord, ils pensent que peu importe quel lieu sera mis en vignoble ; ils vont même jusqu'à lui consacrer la plus mauvaise partie de leurs champs, comme si le terrain qui ne peut recevoir rien autre chose était le seul qui convînt aux vignes. Ils ne se donnent pas même la peine d'étudier la manière de les planter, ou, s'ils la connaissent, ils n'en tiennent aucun compte ; il est rare qu'ils dotent leur vignoble des instruments nécessaires à sa culture ; et il en résulte beaucoup plus de travail, et par conséquent non moins de dépenses pour le propriétaire. La plupart s'attachent à obtenir tout de suite une abondante récolte, ne songent pas à l'avenir; et, comme s'ils n'avaient qu'un jour à vivre, ils épuisent le cep, et, sans penser à leur postérité, ils le surchargent de sarments à fruit. Quand ils ont commis toutes ces fautes, ou du moins le plus grand nombre, pour rien au monde ils n'avoueraient leurs torts, et se plaignent que leur vignoble ne répond pas aux soins qu'ils lui donnent, quand ils l'ont perdu soit par avarice, soit par ignorance, soit par négligence. Or, s'il est reconnu que ceux qui ont uni l'activité, aux connaissances acquises, recueillent par jugère, non pas quarante ou au moins trente amphores de vin, comme j'estime qu'on peut le faire, mais vingt, selon le calcul de Grécinus, qui est loin d'être exagéré, ces cultivateurs n'accroîtront-ils pas plus facilement leur patrimoine que ceux qui s'attachent à leurs foins et à leurs légumes ? Grécinus ne se trompe pas en cela, puisque, en exact calculateur, il reconnaît, tout compte établi, que la culture des vignobles est la plus favorable de toutes à l'intérêt du père de famille. Quoique les vignes exigent de très fortes dépenses, un vigneron suffit pour en cultiver sept jugères. On croit généralement qu'un esclave acheté à bas prix ou choisi parmi les criminels que l'on vend à l'encan, peut remplir convenablement cet emploi ; pour moi, différant du plus grand nombre, je crois qu'avant tout il faut s'assurer d'un vigneron habile. L'eût-on acheté sept à huit mille sesterces ; une étendue de sept jugères en eût-elle coûté autant ; fallût-il paver deux mille sesterces les ceps de chaque jugère avec leurs accessoires, c'est-à-dire les échalas et les liens : la dépense ne s'élèverait encore qu'à vingt-neuf mille sesterces. Si, à cette somme, on ajoute trois mille quatre cent quatre-vingts sesterces d'intérêts, à six pour cent, pour les deux années pendant lesquelles les vignes, comme dans leur enfance, ne produisent rien encore, c'est donc au total, tant en premières dépenses qu'en intérêts, une somme de trente-deux mille quatre cent quatre-vingts sesterces. Cela posé, si le cultivateur agit, à l'égard de ses vignes, comme l'usurier envers son débiteur, de manière qu'il constitue à perpétuité l'intérêt de six pour cent dont nous venons de parler, il doit toucher annuellement dix-neuf cent cinquante sesterces : compte qui rend supérieur le revenu des sept jugères, selon l'opinion de Grécinus, à l'intérêt des trente-deux mille quatre cent quatre-vingts sesterces. Au surplus, les vignes, fussent-elles de la plus mauvaise qualité, produiront pourtant, si on les cultive, un culléus de vin par jugère. Or, quarante urnes de vin se vendent trois cents sesterces, au plus bas prix du marché ; sept culléus produiront deux mille cent sesterces : c'est donc, au total, une somme plus forte que celle de l'intérêt à six pour cent. Or, ce calcul, tel que nous le posons, est celui sur lequel Grécinus fonde son raisonnement. Quant à nous, nous sommes d'avis qu'il faut arracher les vignes dont chaque jugère produit moins de trois culléus. Nous avons jusqu'ici établi notre compte comme s'il n'y avait aucun profit à retirer des marcottes du champ que l'on cultivera à la houe ; produit qui seul peut pourtant, par sa vente, balancer le prix d'achat du terrain, pourvu que ce soit en Italie, et non dans les provinces. C'est ce qui sera évident pour quiconque voudra examiner ma méthode et celle de Julius Atticus. Je plante entre les lignes de ceps vingt mille marcottes par jugère ; Atticus en plante quatre mille de moins que moi. Sa pratique, fût-elle préférable à la mienne, il n'y a pas de terrain, quelque ingrat qu'il soit, qui ne rendît une somme plus considérable que celle qu'il a fallu pour l'acquérir. Qu'on suppose même que, par la négligence du vigneron, six mille de ces plants viennent à périr, les dix mille qui survivront trouveront facilement un acheteur qui les payera trois mille sesterces, et qui aura encore un bénéfice sur ce marché. Cette somme est d'un tiers plus forte que les deux mille sesterces qui, comme nous l'avons dit plus haut, sont le prix d'un jugère de vignes. J'en suis même venu, par mes soins, à faire payer volontiers par les cultivateurs, six cents sesterces chaque millier de mes marcottes. A la vérité, d'autres personnes n'auraient pas le même avantage que moi ; car on aurait peine à croire quelle est l'abondance de vin que je recueille sur mon vignoble, qui pourtant est de petite étendue. C'est ce que vous avez vu vous-même, Silvinus. J'ai eu soin de ne supposer aux marcottes qu'un prix médiocre et commun, afin d'amener plus promptement et sans contestation à mon avis ceux qui, faute de le connaître, n'osent s'adonner à ce genre de culture. Ce revenu de marcottes obtenues par le travail de la houe, doit donc, ainsi que l'espoir des vendanges, nous déterminer à la plantation des vignes. Nous venons de prouver qu'il est raisonnable d'en planter, nous allons maintenant donner des préceptes pour leur culture.
IV. Le cultivateur qui veut établir un vignoble, ne doit se fier, pour l'achat de ses marcottes, à personne plus qu'à lui-même. Il ne cultivera que l'espèce de ceps qu'il a déjà éprouvée chez lui, et en fera une pépinière d'où il tirera le plant nécessaire pour garnir son champ. Les espèces qui sont apportées de diverses contrées lointaines se familiarisent plus difficilement avec notre sol que celles qui sont nées dans le pays et, comme tout étranger, redoutent les changements de climat et de lieu. On ne saurait compter avec certitude sur la bonté de leur produit, car rien ne prouve que le cultivateur qui les a plantées en a soigneusement examiné l'espèce et éprouvé la bonté. C'est pourquoi l'espace de deux ans ne nous semble pas trop long pour s'assurer que le plant qu'on veut transplanter mérite les soins que cette opération réclame, puisqu'il importe tant, comme je l'ai dit, de ne mettre en terre que des espèces d'une excellente nature. Ensuite on ne perdra pas de vue qu'il faut mettre le plus grand soin dans le choix du lieu qu'occuperont les vignes. Quand on l'aura déterminé, il ne faut rien épargner pour le remuer à la houe ; puis ne pas déployer moins d'attention pour mettre le plant dans la terre, et, quand il y sera convenablement établi, le cultiver avec une activité infatigable. Tous ces soins sont comme la base et la colonne sur lesquelles repose le capital engagé, et c'est dans leur accomplissement que se trouve résolue la question de savoir si le père de famille a eu plus de raison de confier son argent à la terre que d'en tirer parti sans se fatiguer. Je vais maintenant développer, chacun dans son ordre, tous les enseignements que je viens de donner.
V. La pépinière ne doit être établie, ni dans un sol maigre, ni dans une terre humide ; mais dans un fonds succulent, et plutôt médiocre que gras, quoi qu'en aient dit presque tous les auteurs, qui préfèrent pour cette, culture le meilleur des terrains : ce qui ne me semble nullement conforme aux intérêts des cultivateurs. A la vérité, les plants déposés dans une terre féconde y prennent promptement et poussent avec vigueur ; mais si, ayant acquis assez de racines, on les transfère dans un terrain moins bon, ils se rabougrissent et ne peuvent plus croître. Un habile cultivateur transplantera donc plutôt d'une mauvaise terre dans une meilleure, que d'une bonne dans une inférieure en qualité. C'est pourquoi, dans le choix de la pépinière, la médiocrité est ce qui convient le mieux, puisqu'elle est placée précisément entre le bien et le mal. Si la nécessité oblige, par la suite, de mettre en terrain maigre les marcottes qui doivent être transplantées, elles n'éprouveront pas une différence notable en passant d'un sol médiocre dans un plus mauvais ; si, au contraire, on les plante dans une terre plus grasse, elles croîtront plus vite en raison de cette fertilité. Au surplus, il n'est pas raisonnable d'établir une pépinière de vignes dans une terre tout à fait maigre, puisque la majeure partie des marcottes y dépérit, et que ce qui survit n'est que tardivement propre à la transplantation. C'est donc un sol médiocre et modérément sec qui convient le mieux à la pépinière. Avant tout il doit être foui avec la houe à deux dents, qui pénétrera jusqu'à deux pieds et demi et retournera la terre ; ensuite on ménagera des espaces de trois pieds pour recevoir les marcottes, et l'on placera bien alignées six cents marcottes, qui occuperont un espace de deux cent quarante pieds. A ce compte, la totalité du jugère emploiera vingt-quatre mille plants. Mais, avant ce travail, il faut examiner et choisir les crocettes : car, ainsi que je l'ai souvent répété, le point fondamental de l'opération est l'emploi de la variété de vignes reconnue la plus parfaite.
VI. Il y a deux choses à considérer dans le choix du plant : il ne suffit pas que la mère à laquelle on emprunte la race soit féconde, on doit être guidé par un motif plus délicat qui fera prendre sur les parties du cep les rameaux producteurs, et parmi ceux-là les plus fertiles. Or, on ne doit pas considérer comme féconde la vigne dont on recherche la progéniture, par cela seul qu'elle produit beaucoup de grappes : car cette abondance peut provenir, ou de l'étendue du cep ou de la multiplicité de ses sarments ; on ne pourra pas dire néanmoins qu'une vigne est fertile lorsqu'elle ne présente qu'une grappe sur chacun de ses rameaux : mais si chacun d'eux est chargé de plusieurs raisins, si sur le bois nombreux chaque bourgeon fructifie, si enfin il sort du tronc des sarments qui donnent quelques fruits, et si les rejetons des pampres eux-mêmes produisent beaucoup, on peut sans hésiter préférer cette vigne pour y cueillir des marcottes. La marcotte est un jeune sarment né sur un scion de l'année précédente : on la nomme mailleton, parce que la partie du vieux bois qu'on laisse de chaque côté lorsqu'on l'en détache, présente l'apparence d'un petit maillet. Nous pensons que, sur une vigne très féconde, il faut choisir les marcottes à toutes les époques où on la taille ; on les enfoncera soigneusement en terre médiocrement humide, mais non marécageuse, de manière que trois ou quatre de leurs bourgeons s'élèvent au-dessus du sol. Il est, au reste, bien entendu que la vigne mère ne doit pas être sujette à perdre sa fleur, ni produire des grains qui ne se développent qu'avec peine et qui mûrissent avant ou après l'époque convenable : car, dans le premier cas, ils sont dévorés par les oiseaux ; dans le second, ils ont à souffrir des intempéries de l'arrière-saison. Une seule vendange ne suffit pas pour prouver les qualités de la vigne, car il peut arriver qu'un cep naturellement infécond produise beaucoup une fois, soit parce que le temps lui a été complètement favorable, soit par d'autres causes. Au contraire, on ne doit avoir aucun doute sur la fécondité d'une vigne dont les sarments ont justifié de leur bonne nature par plusieurs années consécutives d'excellente production. Toutefois, il n'est pas nécessaire de prolonger les expériences au delà de quatre ans : cet espace de temps, en effet, suffit pour constater la bonté des plants, parce que le soleil, dans cette période, revient aux mêmes signes du zodiaque par lesquels il avait commencé son cours. Les observateurs des mouvements célestes appellent apocatastase cet espace de temps qui embrasse mille quatre cent soixante et un jours.
VII. Je suis certain, P. Silvinus, que depuis longtemps vous demandez tout bas à quelle espèce appartient telle vigne féconde que nous mettons tant de soin à signaler, et si elle ne serait pas une de celles qui vulgairement ne sont pas considérées comme très productives. Beaucoup de personnes, en effet, donnent de grands éloges soit à la biturique, soit à la spionie, soit à la royale, soit à l'arcelaque. Nous aussi nous ne leur refusons pas notre suffrage : car elles produisent beaucoup de vin; mais nous croyons plus à propos de conseiller la plantation de ces cépages qui, tout en ne donnant pas moins de fruit que les précédents, ont encore l'avantage d'une saveur distinguée, comme les aminées, ou, tout au moins, celles qui approchent de ce goût. Je sais bien que presque tous les vignerons sont d'une opinion opposée à la nôtre, opinion invétérée qui a longtemps prévalu contre ces aminées qui passent pour être affectées d'une stérilité, native inhérente à leur espèce. C'est ce qui nous détermine à remonter plus haut, pour y trouver un grand nombre d'exemples confirmatifs de notre sentiment, qui n'a manqué de l'évidence lumineuse de la vérité que parce qu'il a été condamné par la négligence et par le défaut de jugement des vignerons, et obscurci par les ténèbres de leur ignorance. En conséquence, il ne nous paraît pas hors de propos de revenir aux considérations qui nous semblent propres à faire cesser cette erreur publique.
VIII. Pour peu que nous voulions, P. Silvinus, examiner avec toute la perspicacité de l'esprit la nature des choses, nous trouverons qu'elle a imposé la même loi de fécondité aux végétaux, ainsi qu'aux hommes et aux autres animaux, et qu'elle n'a point départi à quelques nations ni à quelques pays certains privilèges, pour priver les autres de semblables avantages. La nature accorde la faculté de produire beaucoup d'enfants à quelques peuples, tels que les Égyptiens et les Africains, chez lesquels les doubles enfantements sont communs et presque habituels ; mais, en Italie, elle a voulu que deux mères d'Albe, de la famille des Curiaces, missent au monde, par l'effet d'une fécondité remarquable, chacune trois enfants d'une même couche. Elle a favorisé la Germanie d'armées dont les soldats sont de la plus haute taille ; mais elle n'a pas totalement privé les autres nations d'hommes de haute stature ; car M. Tullius Cicéron nous atteste que Névius Pollion, citoyen romain, était d'un pied plus haut que les hommes les plus grands. Récemment même, nous avons pu remarquer dans l'éclat de la pompe des jeux du Cirque un homme, appartenant à la nation juive, dont la hauteur excédait celle du Germain le plus grand. Je passe aux bestiaux. Mévanie est citée pour la taille extraordinaire de ses boeufs, la Ligurie pour la petitesse des siens ; et cependant on voit quelquefois de petits boeufs à Mévanie et de grands en Ligurie. L'Inde a acquis un juste renom pour la grosseur prodigieuse de ses animaux sauvages ; mais qui niera que l'Italie ne puisse produire de ces bêtes vraiment colossales, puisque nous voyons dans les murs de Rome des éléphants qui y sont nés. Je reviens aux variétés des productions de la terre. On assure que la Mysie et la Libye abondent en fécondes moissons ; et cependant les champs de l'Apulie et de la Campanie ne manquent pas de riches récoltes. Tmole et Coryce, dit-on, produisent beaucoup de safran ; la Judée et l'Arabie, beaucoup de parfums précieux : mais notre ville n'est pas dépourvue des plantes qui les fournissent, puisque déjà, dans plusieurs quartiers de Rome, nous voyons le cannellier se couvrir de feuilles ainsi que l'arbre qui porte l'encens, et nos jardins embellis par les fleurs de la myrrhe et du safran. Ces exemples nous prouvent sans doute que l'Italie répond très bien aux soins des mortels, puisque, au moyen d'une culture bien entendue, on l'a habituée à porter les productions de presque tout l'univers. Nous ne devons donc pas douter du succès de fruits qui, véritablement indigènes, sont particuliers à notre sol et y croissent presque naturellement. Il est reconnu aussi que parmi toutes les vignes que supporte la terre, celles de Massique, de Sorrente et d'Albe tiennent le premier rang parmi celles qui sont renommées par la qualité de leur vin.
IX. On pourrait désirer peut-être plus de fécondité à nos vignes ; mais l'industrie du cultivateur aidera à l'obtenir : car si, comme je l'ai dit plus haut, la nature, cette excellente mère de toutes choses, a doté chaque nation et chaque contrée de dons qui leur sont propres, sans pourtant priver les autres de semblables avantages, pourquoi douterions-nous qu'elle eût suivi la même loi en ce qui concerne les vignes ? Elle a voulu que quelques-unes de leurs variétés fussent plus particulièrement fécondes, telles que la biturique, ou la royale, et cependant elle n'a pas rendu l'aminée tellement stérile, que, sur plusieurs milliers de ses ceps, on n'en trouvât pas même un petit nombre de productifs, comme on a vu, dans l'espèce humaine, en Italie, ces deux soeurs albaines. Cette assertion vraisemblable se trouve confirmée par l'expérience, puisque, dans le territoire d'Ardée, qui a été longtemps en notre possession, dans le Carséolan et dans le pays d'Albe, nous avons remarqué des vignes de l'espèce aminée, peu nombreuses à la vérité, mais tellement fertiles, que chaque cep attaché au joug donnait trois urnes de vin, et en treille dix amphores. Cette fécondité dans les aminées ne doit point paraître incroyable ; car comment Terentius Varron, et avant lui M. Caton, auraient-ils pu affirmer que chaque jugère de vignoble rendait aux anciens cultivateurs six cents urnes de vin, si les aminées, qui étaient presque les seules vignes connues alors, eussent été stériles ? à moins que nous n'admettions qu'ils ont cultivé les bituriques et les royales, qui ne nous sont connues que depuis fort peu de temps et qui nous viennent, comme chacun sait, de contrées lointaines : ce qui n'est pas admissible, puisque nous regardons généralement encore aujourd'hui les aminées comme les plus anciennes de nos vignes. Si quelqu'un donc, après l'expérience de plusieurs vendanges, après avoir remarqué des aminées telles que celles que j'ai citées plus haut comme ayant été ma propriété , en tire les mailletons les plus féconds, il pourra comme moi obtenir des vignes généreuses et très productives. Car il est certain que la nature a voulu que les enfants ressemblassent à leur mère ; et c'est ce qui a fait dire à ce berger des Bucoliques : « Je savais que, comme les jeunes chiens sont semblables à la chienne, de même les chevreaux le sont aux chèvre. " Aussi les amateurs des combats sacrés conservent avec une scrupuleuse attention la race des coursiers rapides qui traînent les chars, et nourrissent l'espoir de victoires futures en propageant l'espèce de leurs généreux animaux. Nous aussi, par la même raison, comme pour les cavales qui ont remporté le prix aux jeux Olympiques, nous fondons l'espérance d'une large vendange sur un choix bien fait des marcottes des plus fécondes aminées. Il ne faut point s'effrayer du temps éloigné où l'on pourra recueillir le fruit de ses travaux ; car on n'a d'autre retard à éprouver que celui que demande l'observation du cep : une fois la fécondité de la vigne constatée, on l'aura bientôt multipliée à l'infini par le moyen de la greffe. C'est un fait, Publius Silvinus, dont vous pouvez, plus que tout autre, rendre témoignage, puisque vous vous rappelez parfaitement que, dans l'espace de deux ans, au moyen de greffes prises sur une vigne précoce que vous possédez dans le Cérétan, j'ai peuplé deux jugères de vignes. Je vous laisse à penser ce que, dans le même espace de temps, ces deux jugères pourraient donner de greffes, puisqu'un seul cep a suffi polir les planter ? Si donc, comme je l'ai dit, nous ne leur refusons ni le travail, ni les soins qu'elles exigent, nous pourrons facilement, en usant des moyens que j'ai indiqués, former des vignes de l'espèce aminée aussi fécondes que le sont les bituriques et les royales. Il sera seulement nécessaire d'observer, pour la transplantation, l'état du climat, du lieu et de la vigne même pour la mettre dans des conditions semblables ; car souvent un cep dégénère si les qualités du sol et de l'air ne lui conviennent pas, ou si on le tire d'auprès d'un arbre pour l'attacher à un joug. C'est pourquoi il faut la transférer d'un lieu froid dans un lieu froid, d'un lieu chaud dans un semblable, d'un vignoble dans un autre de même nature. Cependant l'espèce aminée supporte plus facilement la transition du froid au chaud que celle du chaud au froid. En effet, toute espèce de vigne, surtout celle dont nous venons de parler, aime naturellement mieux la chaleur que le froid. La qualité du sol est une chose non moins importante, et l'on doit toujours transférer le plant d'une terre maigre ou médiocre dans un meilleur fonds ; car la plante accoutumée à vivre dans un terrain gras, ne peut se faire à un terrain maigre, à moins qu'on ne le fume très souvent. Après avoir ainsi traité du soin qu'en général il faut apporter au choix des marcottes, nous allons prescrire spécialement comment on doit les choisir, non seulement dans une vigne très féconde, mais encore dans sa partie la plus fertile.
X. Les marcottes les plus fertiles ne sont pas, comme l'indiquent les anciens auteurs, l'extrémité de ce qu'on appelle la tête de la vigne, c'est-à-dire la pointe du rameau et sa partie la plus allongée : car c'est encore là un point sur lequel se trompent les agriculteurs. La première cause de leur erreur est l'apparence et le nombre des grappes qui se font remarquer ordinairement sur un sarment très prolongé. Cette apparence pourtant ne doit pas nous tromper : cet effet est dû non pas à la fertilité native du jet, mais bien à l'avantage de sa position, parce que toute la sève et la nourriture que fournit le sol traversent les autres parties de l'arbre jusqu'à ce qu'elles soient parvenues à son extrémité. Par une aspiration naturelle, tout aliment des végétaux, comme une espèce d'âme, est porté à leur point le plus élevé par la moelle du tronc, comme par le siphon que les machinistes appellent diabète ; et quand cet aliment est parvenu à la cime, il s'y arrête et s'y élabore. C'est pourquoi les pousses les plus vigoureuses se trouvent ou à la tête de la vigne, ou à son pied dans le voisinage des racines. Ces sarments que produit un bois dur sont estimés par une double raison : et parce qu''ils sont dépourvus de fruit et parce que, plus rapprochés du sol, ils en ont reçu pour nourriture un suc plus parfait et plus pur. Les autres, au contraire, sont féconds et vigoureux, parce qu'ils proviennent d'une partie tendre et se sont approprié toute la nourriture qui, comme je l'ai dit, leur est parvenue. Les intermédiaires sont les plus maigres, parce que la sève, interceptée d'une part, et attirée d'une autre, ne fait que les traverser. Il ne faut donc pas considérer comme fécond, quoiqu'il présente beaucoup de fruits, le jet le plus élevé, puisque à la faveur de sa position il est forcé de fructifier ; mais bien le sarment, qui, placé vers le milieu de la vigne, produit malgré sa position désavantageuse et prouve sa bonne qualité par le nombre de ses fruits. Ce jet transféré dégénère rarement, parce qu'il passe alors d'une condition pire dans une condition meilleure. En effet, soit qu'on le plante en terre bien remuée, soit qu'on l'emploie comme greffe, il se rassasie d'aliments plus abondants qu'auparavant, puisqu'alors il n'en avait pas une quantité suffisante. En conséquence nous ne négligerons pas de choisir nos marcottes sur les points dont nous avons parlé et que les paysans appellent épaulés, après toutefois avoir constaté qu'ils ont produit convenablement des fruits. S'il en était autrement, quoiqu'ils proviennent d'une partie estimable de la vigne, nous ne pensons pas qu'ils puissent, par cela seulement, donner de la fécondité au plant. Aussi doit-on regarder comme erronée l'opinion de ces agriculteurs qui croient qu'il n'importe pas que le sarment ait fourni peu ou beaucoup de raisins, pourvu qu'il soit cueilli sur une vigne fertile et non sur cette partie dure de son tronc qu'ils appellent pampinaire. Au surplus, cette opinion provient de l'ignorance des vignerons qui choisissent les marcottes, et il en résulte que leurs vignes sont d'abord peu productives et ensuite deviennent tout à fait stériles. Quel est celui qui, en effet, depuis les temps les plus reculés jusqu'à nos jours, a prescrit au cultivateur chargé de choisir des marcottes, ce que nous venons de rapporter ? Bien plus, ne charge-t-on pas de ce soin l'homme le plus incapable, et celui qui n'est propre à aucune autre besogne ? Aussi, d'après cette coutume, les gens les plus inhabiles, et même les plus infirmes, s'arrogent-ils une mission si importante ; car, comme je l'ai dit, on la juge tout au plus digne de l'homme le plus inutile et qui ne peut exécuter aucun autre travail. Cet homme même s'il se connaît un peu au choix des marcottes, en raison de sa faiblesse même, dissimule ce qu'il sait ou même s'en défend ; et, pourvu qu'il puisse compléter le nombre de mailletons que le fermier lui aura ordonné de choisir, il n'emploie ni soin ni conscience : il n'a pour objet que d'accomplir sa tâche ; ce qui lui est d'autant plus facile que, pour toute instruction et pour toute mission, il n'a reçu de ses maîtres que l'ordre de prendre des marcottes sur toutes les parties de la vigne, pourvu qu'il n'arrache point les jets sortis du bois dur. Nous, au contraire, ayant d'abord suivi les conseils de la raison et éclairés par une longue expérience, nous ne choisissons pas d'autres sujets de propagation, et nous ne croyons pas qu'il y en ait d'autres féconds, que les rameaux qui, placés sur un point propre à la reproduction, y ont déjà porté des fruits ; car pour ceux qui ont poussé vigoureusement sur un point stérile, et se montrent robustes sans produire, ils n'offrent qu'une trompeuse apparence de fécondité, et ne possèdent aucune puissance génératrice. La raison nous avertit que notre assertion est hors de doute, si nous admettons que, de même que chaque membre a son emploi spécial dans nos corps, de même les différentes parties des plantes à fruits ont chacune leur fonction à remplir. Ne voyons-nous pas que l'âme a été soufflée dans l'homme comme le conducteur et le guide de ses membres ; que les sens lui ont été accordés pour discerner les objets par le tact, l'odorat, l'ouïe et la vue ; que les pieds lui ont été donnés pour qu'il marchât, les bras pour qu'il saisît ; et, pour ne point parler plus qu'il ne convient de toutes les fonctions qui sont du ministère de l'homme, bornons-nous à dire que les oreilles ne peuvent faire ce qui est du ressort des yeux, ni les yeux ce qui appartient aux oreilles, et que la puissance génératrice n'a été concédée ni aux mains ni aux pieds : faculté que le père de l'univers a voulu, pour la dérober à la connaissance des hommes, cacher dans l'intérieur du ventre. Ainsi, l'éternel créateur de toutes choses, doué d'une raison divine, a cru devoir mêler les éléments sacrés de l'intelligence avec les rudiments terrestres du corps, et composer la forme d'une machine animée, comme s'il eût voulu mettre les mystères de l'être matériel dans un lieu secret et couvert. C'est d'après la même loi qu'il a donné naissance aux animaux et aux plantes ; c'est ainsi qu'il a distingué les variétés des vignes. En effet, la mère et l'auteur de ces créations, la nature, a jeté les racines de la vigne comme une certaine base, afin qu'elle s'appuyât sur ces organes comme sur des pieds ; elle a ensuite placé le tronc au-dessus, comme la stature et la contenance d'un corps ; elle a étendu les rameaux comme des bras ; elle en a fait jaillir, pour représenter des mains, les pampres et les menues branches ; elle a doté de fruits les unes, et n'a revêtu les autres que de feuilles pour protéger et mettre en sûreté leurs productions. Parmi ces membres, si nous ne choisissons pas, comme nous l'avons dit ci-dessus , ceux qui sont destinés à la procréation et à la conception, mais seulement ceux qui leur servent d'abris et d'ombrages, et qui sont stériles, nous travaillons pour nous procurer de l'ombre et non de la vendange Que faut-il conclure ? Pourquoi le pampre, s'il n'est pas tiré du tronc, mais des jeunes pousses, sera-t-il sans vertu, et même sera-t-il condamné par nous comme devant rester toujours stérile ? Tout à l'heure, il résultait de notre discussion qu'un office particulier était attribué à chaque partie du corps et ne convenait qu'à elle : ainsi la faculté d'être féconde appartient à la marcotte née dans une partie favorable, lors même qu'elle ne donne pas de fruits. Je ne disconviens pas que mon argumentation repose sur cette comparaison ; je déclare toutefois positivement qu'une branche, quoiqu'elle ait crû sur un point fécond, ne possède pas la puissance fécondante si elle ne donne pas de fruit. Cette conclusion n'est pas en opposition avec le sentiment que j'ai énoncé : s'il est évident que quelques hommes ne peuvent engendrer, quoiqu'ils soient bien pourvus de tous leurs membres, est-il donc incroyable qu'une branche, quoique née sur un point fécond, ne puisse pas produire ? Pour revenir aux usages des agriculteurs, je dirai qu'ils donnent le nom de spadons aux sarments qui n'ont rien produit : ce qu'ils ne feraient pas, s'ils ne les soupçonnaient inhabiles à la fructification. C'est cette dénomination qui m'a fourni le motif de ne pas choisir pour marcottes, quoique nés sur un point très bon, des sarments qui n'auraient pas offert de fruits, sachant fort bien, au reste, qu'ils n'étaient pas tout à fait affectés de stérilité. J'avoue même que les pampinaires aussi, quoique sortis du tronc, acquièrent au bout d'un an la propriété d'être féconds, et que c'est pour cela qu'on les rabat en coursons, afin qu'ils donnent du fruit. J'ai découvert toutefois que la cause de cette production n'est pas tant le fait du courson qu'un don maternel : car, comme il est adhérent au tronc, qui, de sa nature, est fécond, il participe aux aliments de la tige maternelle et aux causes d'une production fertile, et, comme fortifié par un sein nourricier, il s'habitue peu à peu à porter des fruits ; mais si, privé d'une certaine puberté naturelle, arraché au tronc avant le temps et la maturité, ce sarment est confié à la terre ou greffé sur un sujet préparé à cet effet, resté comme dans l'âge d'enfance, inhabile même au coït, et plus encore à la conception, il perd totalement, ou au moins il ne possède que faiblement la fonce de procréer. C'est pourquoi je suis surtout d'avis qu'on doit apporter beaucoup de soin dans le choix des marcottes, en prenant, dans la partie féconde de la vigne, des sarments dont l'abondance des fruits soit un gage de leur fertilité future. Ne nous contentons pas toutefois de ces rameaux qui ont donné chacun une grappe : préférons surtout ceux qui se distinguent par de nombreuses productions. Ne donnerions-nous pas des éloges au berger qui s'appliquerait à propager la race des brebis qui auraient mis bas deux agneaux à la fois, et au chevrier multipliant l'espèce de chèvres qui se recommanderaient par l'enfantement simultané de trois chevreaux ? C'est parce que nous pensons que presque toujours la lignée répond à la fécondité de ses parents. Suivons donc aussi cette méthode pour les vignes, et d'autant plus scrupuleusement que nous avons éprouvé que, par une certaine dépravation naturelle, les graines tendent à la dégénérescence, quoiqu'avant été choisies avec soin. C'est ce que le poète veut nous faire entendre, comme si nous fermions l'oreille à la voix de la vérité : « J'ai vu des semences choisies avec attention, scrupuleusement examinées, qui finissaient par dégénérer, si la sagesse humaine n'employait pas sa main à rechercher tous les ans les plus parfaites. Ainsi les destins ont voulu que toutes choses se détériorassent, et que, déchues, elles allassent en rétrogradant. » Ce qu'il faut comprendre comme n'ayant pas été dit seulement pour les graines des légumes, mais pour toutes celles qui sont du domaine de l'agriculture. Si de longues observations nous ont fait découvrir, et cette découverte n'est pas chimérique, que telle marcotte qui avait porté quatre raisins, coupée et mise en terre, dégénère tellement de la fécondité maternelle, qu'elle n'en produit plus que deux et même qu'un seul : à plus forte raison ne devons-nous pas croire que le sarment qui, attaché à sa mère, ne portait que deux grappes ou même une seule, déclinera aussi, puisque souvent les plus productifs redoutent le déplacement ? Je déclare hautement que je suis plutôt le démonstrateur que l'inventeur de la méthode que je propose, de peur que l'on ne pense que je veuille priver nos pères d'une louange qu'ils ont méritée : car il n'est pas douteux que telle fut leur opinion, quoiqu'elle n'ait été consignée dans aucun écrit, si ce n'est dans les vers de Virgile que nous avons cités, et encore ses préceptes semblent-ils ne s'appliquer qu'à la graine des légumes. Pourquoi nos ancêtres auraient-ils rejeté le sarment issu du tronc, ou même la flèche coupée sur une marcotte féconde qu'ils avaient eux-mêmes reconnue productive, s'ils eussent cru que le point d'où ils détachaient ces marcottes était chose indifférente ? Maintenant nous estimons qu'ils ne doutaient pas que la puissance fécondante résidât dans certaines parties comme dans des membres particuliers : c'est pourquoi ils condamnaient prudemment la pampinaire et la flèche comme impropres à la plantation. S'il en est ainsi, il n'est pas douteux qu'à plus forte raison ils improuvaient beaucoup plus ce sarment qui, né sur un point fécond, n'avait pas donné de fruit: car s'ils blâmaient la flèche, c'est-à-dire l'extrémité supérieure du sarment, lors même qu'elle faisait partie d'un rameau productif, à plus forte raison devons-nous penser qu'ils n'admettaient pas, s'il était stérile, le jet issu d'une partie fertile de la vigne : à moins toutefois (ce qui serait absurde) qu'ils n'eussent cru que ce rameau, coupé, détaché de sa tige et privé des aliments maternels, fût devenu fécond, lui qui ne l'était pas, secondé par sa mère. J'en ai dit peut-être plus qu'il ne convenait pour défendre; la cause de la vérité ; mais trop peu, sans doute, pour détruire l'opinion déplorablement erronée et invétérée des cultivateurs.
XI. Maintenant je vais reprendre la discussion dans l'ordre que je me suis proposé. Le travail de la houe suit les soins à prendre pour le choix des marcottes, après toutefois qu'on a eu constaté la qualité du terrain : car il n'est pas douteux qu'elle contribue puissamment à la bonté et à l'abondance des productions. Avant tout examen, nous regardons comme le mieux à faire, de choisir, si on le peut, un champ en friche, préférablement à celui qui aurait porté des moissons ou des arbres mariés aux vignes : car tous les auteurs s'accordent en ce point, que, les terres qui ont été longtemps en vignobles sont les plus mauvaises pour la culture de vignes nouvelles : en effet, le sous-sol est sillonné d'une foule de racines, et comme embarrassé dans un réseau ; en outre, il n'a pas eu le temps de perdre cette humeur âcre et cette carie de vétusté, poisons qui engourdissent la terre et la rendent inerte. Par ces motifs, il faut, de préférence à tout autre, choisir un champ sauvage, qui, fût-il hérissé de broussailles et d'arbres, en sera facilement nettoyé ; car toute plante qui vient spontanément n'implante pas fortement ni à fond ses racines, mais les disperse et les prolonge à la surface du terrain, où il est aisé de les couper avec le fer, de les extirper, d'arracher avec le râteau le peu qui en reste, de l'amonceler pour qu'il fermente, et de l'enfouir en compost. Si l'on n'avait pas à sa disposition un terrain en friche, le sol qui en approcherait le plus serait celui où n'existerait aucun arbre. Dans le cas où l'on n'aurait pu se procurer un tel emplacement, il faut destiner au vignoble, ou un verger où les arbres soient très peu nombreux, ou un massif d'oliviers auxquels la vigne n'aura pas été mariée. Le plus mauvais terrain serait, comme je l'ai dit, un vignoble en culture habituelle. Quand la nécessité contraint de l'employer, il faut commencer par extirper ce qui reste des anciennes vignes ; ensuite on fumera tout ce fonds avec du fumier sec, ou, si l'on n'en a pas, avec tout autre, mais très récent; on retournera le sol, on amènera à sa surface, avec le plus grand soin, les racines arrachées, et on les y réduira en cendres. Alors on couvrira largement, ou de vieux fumier, parce qu'il n'engendre pas d'herbes, ou de terreau pris sous les buissons, ce terrain qui aura été préalablement bien travaillé à la houe. Quand on a des terres en friche dégarnies d'arbres, il faut, avant d'y enfoncer la houe, examiner si la terre est ou n'est pas propre à la culture des arbrisseaux : c'est ce que l'on découvre, sans la moindre difficulté, par les végétaux qu'elle a spontanément produits. Il n'y a pas, en effet, de terrain si dépourvu de broussailles qu'il n'y pousse quelques jets d'arbres, tels que poiriers sauvages, prunelliers ou ronces : quoique ce ne soient que des espèces d'épines, elles y viennent ordinairement fortes, pleines de vie et chargées de fruits. En conséquence, si nous voyons que ces plants ne sont ni rabougris ni galeux, mais élancés, luisants, bien portants et couverts de fruits, nous comprendrons que la terre qui les produit convient à la culture des arbrisseaux. Outre ces observations qui s'appliquent à toutes les espèces d'arbrisseaux, il faut, s'il s'agit particulièrement de la vigne, examiner, je le répète, si la terre est facile à travailler, médiocrement friable, et semblable a celle que nous avons dit s'appeler pulle ; non pas qu'elle soit seule propre aux vignobles, mais parce que c'est celle qui leur est le plus favorable. Quel agriculteur, quelque mince que soit sa science, ignore que le tuf le plus dur, et même la pierraille, dès qu'ils sont divisés et jetés à la surface, s'amollissent et deviennent friables par l'effet alternatif des pluies, des gelées et des chaleurs de l'été, et que pendant cette saison ils tiennent admirablement dans la fraîcheur les racines des vignes et empêchent l'évaporation du suc de la terre, conditions tout à fait favorables à la nourriture des jeunes plantes ? Par une semblable raison, on approuve aussi le menu gravier, le gros sable, même le caillou, pourvu toutefois qu'il soit mêlé de terre grasse, sans quoi on n'en ferait aucun cas. Au surplus, et c'est mon opinion, le silex convient aux vignes lorsqu'il est recouvert d'un peu de terrain, parce que, frais et retenant l'eau, il ne laisse pas les racines souffrir de la soif quand la canicule se lève. Hygin, qui suit en cela Tremellius, avec lesquels je suis d'accord ici, assure que le pied des montagnes, qui a reçu la terre entraînée de leur sommet, et que les vallées qui ont été exhaussées par les terres qu'y ont apportées les inondations et les alluvions, sont propres à la culture des vignes. La terre argileuse passe pour leur être favorable ; mais, par soi-même, l'argile à potier, que quelques personnes appellent exclusivement argile, leur est tout à fait contraire, autant que le sable pur, et tout ce qui, connue dit Jules Atticus, produit des pousses chétives, c'est-à-dire les terrains marécageux, salés, amers, altérés et très arides. Les anciens ont donné des éloges au sablon noir et rougeâtre mélangé de terre humide ; car pour le champ purement graveleux, si on ne lui vient en aide avec du fumier, il ne produit, selon eux, que des vignes très maigres. Le même Atticus dit que la terre rouge est lourde et laisse difficilement passer les racines. Toutefois elle nourrit bien la vigne quand elle s'y est implantée. Il est vrai qu'elle est fort difficile à travailler, parce que, pour pouvoir être remuée, humide elle est trop visqueuse, et sèche elle est trop dure.
XII. Pour ne pas nous égarer à travers ces variétés infinies de terrains, il ne sera pas hors de propos de rappeler ici l'axiome que Jules Grécinus nous a laissé par écrit, et qui fixe les limites entre lesquelles sont comprises les terres propres à la culture des vignes. Il s'exprime en ces termes : Il existe des terrains chauds ou froids, humides ou secs, friables ou compactes, légers ou lourds, gras ou maigres ; mais les vignes ne sauraient prospérer dans un sol ni trop chaud, parce qu'il les brûle ; ni trop froid , parce qu'il ne permet aucun mouvement aux racines engourdies et gelées ; ni trop humide, parce que, quand l'arbrisseau vient à pousser, il lui fournit, sous l'influence d'un temps tiède, une eau surabondante qui pourrit les plants qu'on lui a confiés. Une trop grande sécheresse, dit-il encore, privant la végétation de sa nourriture naturelle, fait mourir les plantes, ou les rend galeuses et rabougries. La terre compacte ne s'abreuve pas des eaux pluviales, n'est point perméable à l'air, se déchire facilement, et ouvre des crevasses par lesquelles le soleil pénètre jusqu'aux racines mêmes ; elle comprime et étrangle, en quelque sorte les plants qu'elle emprisonne et qu'elle étreint. Les terrains trop friables, comparables à un entonnoir, laissent échapper les pluies à mesure qu'ils les reçoivent, perdent au soleil et au vent toute fraîcheur, et, se dessèchent à fond. La terre lourde ne cède à aucune culture ; trop légère, on ne peut la soutenir ; trop grasse, elle surabonde d'une végétation luxuriante ; et maigre et ténue, elle pèche, par le manque de sucs nourriciers. Il est nécessaire, ajoute-t-il, d'adopter entre ces natures diverses ce grand tempérament qui est tant à désirer pour nos corps, dont la bonne santé résulte d'une certaine mesure proportionnée de chaud et de froid, d'humidité et de sec, de lourd et de léger. Il convient toutefois que cet exact tempérament, nécessaire aux corps, n'est pas aussi rigoureusement indispensable à la terre que l'on destine aux vignes , et qu'il doit pencher plus particulièrement vers un point : ainsi cette terre sera plus chaude que froide, plus sèche qu'humide, plus légère que compacte, et ainsi des autres qualités sur lesquelles doit porter son attention celui qui crée un vignoble ; et toutes ces qualités, à mon avis, seront d'autant plus profitables qu'elles s'harmoniserons mieux avec le climat. Les anciens auteurs diffèrent sur l'exposition qu'on doit donner aux vignes : Saserna approuve surtout le levant, puis le midi, et faute de mieux le couchant. Tremellius Scrofa considère le midi comme la position préférable ; Virgile repousse formellement le couchant en ces termes : « que tes vignobles ne soient pas tournés vers le point où le soleil s'abaisse à l'horizon; » Démocrite et Magon donnent des éloges au septentrion, parce qu'ils pensent que les vignes qui y sont exposée deviennent éminemment fécondes ; toutefois le vin qu'elles donnent est d'une qualité médiocre. En général, ce qui nous paraît le plus avantageux à prescrire, c'est que dans les contrées froides on choisisse le midi ; dans les régions tempérées, l'orient, si cependant on n'a pas à redouter les ravages des autans et de l'eurus, comme il arrive sur les côtes maritimes de la Bétique. Dans les pays sujets à ces vents, on fera mieux de les tourner vers le point du ciel d'où souffle l'aquilon ou le favonius. Dans les provinces brûlantes, telles que l'Égypte et la Numidie, l'exposition du nord est la seule qui convienne. Après avoir examiné soigneusement toutes ces questions, occupons-nous du labourage de la terre au moyen de la houe.
XIII. Il est à propos de faire connaître cette culture aux futurs agriculteurs tant de l'Italie que des provinces ; car pour les contrées lointaines et reculées, on n'est pas dans l'usage de retourner et de travailler la terre comme nous : on y plante ordinairement les vignes dans des fosses ou dans des tranchées faites à la charrue. Voici comment on les plante dans des fosses. Ceux qui ont l'habitude de pratiquer cette méthode creusent le sol à une profondeur de deux pieds, sur une longueur de trois environ, et sur la largeur déterminée par celle de l'instrument ; ils étendent à l'opposé l'une de l'autre les marcottes, du fond de la fosse à ses parois, et les font monter ainsi courbées ; puis ramènent la terre pour recouvrir, ayant soin de laisser deux yeux au-dessus du sol ; enfin ils aplanissent le terrain. On poursuit l'opération sur une même ligne, en laissant entre les fosses des bancs de même longueur qu'elles ; puis, ayant laissé cet intervalle, soit qu'on emploie la charrue, soit qu'on se serve de la houe à deux dents, on termine les rangées. Si la terre n'est travaillée qu'à la bêche, on ne laissera pas moins de cinq pieds d'intervalle entre chaque ligne, et sept au plus ; mais si on emploie le boeuf et la charrue, la moindre distance sera de sept pieds, et elle pourra s'étendre jusqu'à dix. Quelques personnes cependant plantent toute sorte de vignes à la distance de dix pieds entre elles, et les disposent en quinconce, de manière que la terre, comme pour les novales, puisse être labourée en tout sens. Ce genre de culture n'est pas avantageux au vigneron, à moins que, le sol étant très fertile, la vigne n'y pousse très vigoureusement. Quant à ceux qui craignent la dépense qu'occasionne le travail de la houe, et veulent pourtant l'imiter, ils ouvrent des tranchées de six pieds de largeur, en laissant entre chacune d'elles un intervalle qui occupe autant d'espace ; ils les creusent, et en relèvent la terre sur les bords à trois pieds de hauteur, et sur ces talus disposent leurs vignes ou leurs marcottes. D'autres, dans le but d'une plus grande économie, ne font leurs tranchées profondes que de deux pieds neuf pouces, et larges seulement de cinq pieds ; ils laissent ensuite sans culture un espace trois fois plus large que la tranchée, et creusent les tranchées suivantes ; puis, lorsque cette opération est finie pour toute l'étendue du vignoble, ils plantent sur les talus des marcottes enracinées ou de jeunes sarments coupés au moment de les confier à la terre, et ajoutent entre ce plant beaucoup de simples marcottes, qu'ensuite, dès qu'elles ont acquis de la force, ils propagent dans des fosses transversales qu'ils ouvrent aux points qu'ils avaient laissés d'abord sans les labourer, et terminent ainsi la disposition régulière de leur vignoble. Au surplus, nous regardons ces divers modes de plantation des vignes comme devant être parfois adoptés, et quelquefois repoussés, selon la nature et la disposition de chaque contrée. Il s'agit maintenant d'expliquer la manière de labourer la terre à la houe. D'abord tout le terrain, soit déjà planté, soit sauvage, que l'on destine à recevoir un vignoble, doit être entièrement dépouillé et débarrassé de tous les arbres et arbrisseaux qui s'y trouvent, pour que le cultivateur ne soit pas arrêté dans son travail, et pour que le sol qui aura été remué ne soit ni affaissé par les dépôts de bois, ni foulé aux pieds par les ouvriers qui enlèvent les branches et les troncs d'arbres. Il importe beaucoup que le terrain travaillé reste soulevé et, s'il se peut, vierge de toute impression du pied, afin que, également meuble, il laisse facilement pénétrer les racines du jeune plant, de quelque côté qu'elles cherchent à s'étendre, et pour que, par sa dureté, la terre ne s'oppose pas à leur tendance à prendre de l'accroissement ; mais, au contraire, les reçoive dans son sein comme une tendre nourrice, s'imbibe des eaux pluviales pour les répartir à cette jeune famille, et concoure en toutes ses parties à soir éducation. Dans la plaine la terre sera remuée à la profondeur de deux pieds et demi ; à trois pieds sur les pentes légères, et à quatre pieds sur les collines rapides : sans cette précaution l'entraînement ordinaire de la partie supérieure vers le point inférieur laisserait à peine l'épaisseur de sol labouré nécessaire à la plantation, à moins cependant qu'on n'ait élevé les talus beaucoup plus haut qu'en plaine. Dans le fond des vallées, il ne convient pas d'enfoncer la vigne à moins de deux pieds ; car il vaudrait mieux n'en pas planter, que de la suspendre à la surface du sol. Pourtant, si des sources marécageuses se présentent, comme dans le territoire de Ravenne, elles s'opposent à ce que le plant soit enfoncé au-dessous d'un pied et demi. On ne doit pas commencer ce travail, comme le font plusieurs agriculteurs de nos jours, en élevant peu à peu le sillon et parvenant en deux ou trois reprises à la profondeur que l'on donne ordinairement au labour à la houe ; mais, sans interruption, on conduira au cordeau avec égalité toute la fosse dont les côtés seront bien droits, on rejettera derrière soi la terre remuée, et on continuera de creuser jusqu'à ce que l'on soit parvenu au point de profondeur déterminé. Alors on dirigera également le cordeau dans toute l'étendue de la fouille, et l'on obtiendra au fond la même largeur qu'on a donnée à la partie supérieure de l'excavation. Pour arriver à ce but, on a besoin de recourir à un habile et vigilant conducteur de travaux, qui fasse bien dresser les bords de la tranchée, qui la fasse bien vider, et qui prescrive de mélanger le sol non remué avec la terre qui vient de l'être, comme je l'ai enseigné dans le livre précédent, où j'ai dit comment devait s'opérer le labourage, en avertissant de ne pas laisser de bancs, ni de recouvrir le terrain dur d'une couche de mottes. Pour conduire à bien cette opération, nos ancêtres employaient une sorte de machine consistant en une règle dans laquelle une petite verge placée, donnant la mesure de la profondeur désirée, atteignait le point élevé des bords de la tranchée. Les paysans appellent cigogne cette espèce de mesure. Mais elle peut induire en erreur, puisqu'elle donne des résultats différents, selon qu'on la tient droite ou inclinée. C'est cet inconvénient qui nous a déterminé à faire quelques additions à cette machine pour aplanir les difficultés qui pourraient s'élever sur l'appréciation du travail. Ainsi, nous avons placé en sautoir, sous l'a forme de la lettre grecque X, deux règles égales à la largeur que l'ouvrier doit donner à la tranchée, et nous avons fixé, sur le point de rencontre de ces règles, l'ancienne cigogne, de manière qu'elle s'assoie perpendiculairement comme sur une base ; nous plaçons ensuite un niveau sur la petite verge dont nous venons d'indiquer la position. L'instrument, ainsi disposé dans la tranchée, lève toute difficulté de mesure entre le maître et le conducteur : en effet, les rayons de l'étoile que nous avons dit ressembler à la lettre X, déterminent avec égalité la mesure du fond de la fosse, puisque l'instrument, par sa position, soit inclinée, soit perpendiculaire, constate également bien l'état des choses : c'est ce que démontre, dans l'un ou l'autre cas, le niveau placé sur la petite verge. Par ce moyen, le conducteur ne saurait être trompé par les ouvriers qu'il employe. Ainsi mesuré et nivelé, le travail avance toujours comme le labourage d'un guéret ; et le cordeau, que l'on fait marcher à mesure, doit occuper autant d'espace que la tranchée creusée aura d'étendue en longueur et en largeur. Telle est la meilleure méthode pour la préparation du sol d'un vignoble.
XIV. Occupons-nous maintenant du travail qu'exige la plantation de la vigne. Cette opération se fait soit au printemps, soit en automne. Le printemps est préférable, s'il est pluvieux ou froid, si le terrain est gras, ou plat et humide ; mais l'automne vaut mieux, quand le temps est habituellement sec et chaud ; quand le sol, en plaine, est maigre et aride, ou quand, élevé en colline, il est maigre et escarpé. La plantation du printemps se fait pendant quarante jours environ, depuis les ides de février jusqu'à l'équinoxe prochain, et celle d'automne depuis les ides d'octobre jusqu'aux calendes de décembre. Il existe deux méthodes de plantation, soit les simples marcottes, soit les marcottes enracinées : ces deux modes sont également employés par les cultivateurs, excepté dans les provinces, où le premier a prévalu, parce qu'on ne s'y attache pas à faire des pépinières, et que, par conséquent, on n'y a pas formé de marcottes enracinées. Les vignerons d'Italie, pour la plupart, blâment à bon droit cette méthode, vu que la plantation des marcottes enracinées réunit beaucoup d'avantages : en effet, il en périt moins, puisque, plus fortes, elles supportent mieux la chaleur, le froid et tous les mauvais temps ; elles croissent d'ailleurs plus promptement, d'où il résulte qu'elles sont plus tôt en état de donner du fruit ; ajoutons encore qu'on peut sans danger lui faire subir plusieurs transplantations. Pourtant, au lieu de plant enraciné, on peut faire usage de simples marcottes en terre légère et facile à manier ; mais, si elle est compacte et lourde, il faut nécessairement lui confier de la vigne toute faite.
XV. La vigne sera donc plantée en terre bien labourée, nettoyée, hersée et aplanie, en laissant cinq pieds de distance entre les lignes, si le sol est maigre ; six, s'il est médiocre ; mais, quand il est gras, on donne un espace de sept pieds, parce que là il faut un intervalle plus large pour suffire au développement des sarments, qui y viendront nombreux et fort longs. On la disposera en quinconce par le procédé suivant qui ne présente aucune difficulté dans sa pratique. On coud sur un cordeau des morceaux d'étoffe pourpre ou de toute autre couleur éclatante, séparés entre eux par une distance d'autant de pieds qu'on en veut mettre entre les vignes ; puis, ainsi préparé, le cordeau est tendu sur le champ, et à chaque marque on fiche un roseau en terre : ainsi sont déterminés à pareils intervalles les rangs qu'on désire tracer. Cela fait, l'ouvrier chargé de conduire les fosses commencera son travail, et, franchissant alternativement un des intervalles marqués sur la rangée, il pratiquera, depuis un roseau jusqu'au suivant, une tranchée qui n'aura pas moins de deux pieds et demi de profondeur dans les terrains plats ; de deux pieds neuf pouces si le sol est incliné, et de trois pieds si la pente est rapide. Les fosses étant creusées à la profondeur voulue, on place les marcottes enracinées de manière que chacune d'elles y soit couchée au milieu dans un sens inverse, et qu'elles s'élèvent ainsi, par les côtés opposés des fosses, vers les roseaux. Le planteur doit transporter, de la pépinière au vignoble, ses plants arrachés avec soin, non mutilés, aussi frais qu'il est possible, et, si faire se peut, les enlever de terre au moment même où il veut les employer; puis les tailler tous ensuite comme les vieilles vignes, les réduire à un seul rameau vigoureux, et les débarrasser de leurs noeuds et de leurs cicatrices. S'il arrivait (ce qu'il faut surtout éviter en les arrachant) que quelques racines eussent souffert, il les coupera, puis il couchera sa jeune vigne de manière que les racines de deux plants ne s'embarrassent point entre elles. On évitera facilement cet inconvénient en disposant au milieu des fosses et transversalement quelques pierres dont le poids de chacune n'excédera pas cinq livres. Il paraît, comme le prétend Magon, que ces pierres sont un préservatif contre les pluies de l'hiver et les chaleurs de l'été. Virgile a suivi ce précepte, et voici comme il prescrit de préserver et de fortifier le plant : « Enfouissez ou des pierres poreuses ou des coquilles couvertes d'aspérités; » et quelques vers après : « On a vu des vignerons qui chargeaient les racines de pierres ou d'énormes tessons. Ainsi ils leur procuraient un rempart contre les pluies excessives et l'ardeur de la canicule, qui dessèche et fait gercer les guérets. » L'auteur carthaginois que nous venons de citer prouve que le marc de raisin, mêlé au fumier dans les fosses où l'on plante les marcottes, augmente leur force en provoquant et faisant jaillir de nouveaux filets aux racines ; que ce compost introduit à propos de la chaleur dans ces tranchées pendant les hivers froids et humides, et, durant l'été, fournit de l'humidité et de la sève. Si le terrain auquel on confie la vigne paraît maigre, il est d'avis qu'il y faut apporter de la terre grasse pour mettre dans les fosses. Le prix des vivres et de la journée de travail nous mettra à même d'apprécier si cette dépense est admissible.
XVI. Le terrain remué à la houe et légèrement humide convient à la plantation de la vigne ; mais il vaut mieux cependant la confier à un sol aride qu'à une terre marécageuse. Quand le plant est élevé de plusieurs noeuds au-dessus de la surface des fosses, on coupe le superflu du jet, en laissant subsister seulement deux yeux au-dessus du sol, et on comble de terre chaque tranchée. La terre étant ensuite nivelée, on introduit des marcottes entre les plants : il sera suffisant d'en piquer dans le milieu de l'intervalle vacant entre les vignes et sur la même ligne. Les marcottes ainsi disposées pousseront mieux, et il se trouvera assez d'espace pour que l'on puisse cultiver le plant qui est dans les rangées. Ensuite dans la même ligne que les marcottes enracinées, il sera, en cas que quelqu'une des jeunes vignes vienne à y mourir, une ressource pour la remplacer. On doit planter cinq marcottes dans l'espace d'un pied, et ce pied est pris à partir du milieu de l'intervalle, de manière que, de chaque côté, la distance soit égale. Jules Atticus estime que pour une telle plantation seize mille marcottes suffisent. Quoi qu'il en soit, nous en mettons quatre mille de plus, parce qu'il en périt une grande partie par la négligence des vignerons, et que, de celles qui survivent, le nombre diminue par les remplacements auxquels donne lieu la mort de quelques jeunes vignes.
XVII. La discussion est vive aussi entre les vignerons, par rapport à la manière de planter les marcottes enracinées. Les uns pensent qu'il faut mettre en terre tout le sarment, tel qu'il a été détaché de sa mère, et, après l'avoir partagé en boutures de cinq et même de six yeux, ils en forment plusieurs marcottes pour les planter : c'est ce que je suis bien éloigné d'approuver. Je me range plutôt à l'avis de ces auteurs qui ont nié que la partie supérieure de la branche fût propre à donner des fruits, et qui, n'admettant que la partie la plus rapprochée du vieux bois, rejettent le surplus de la flèche. Les paysans appellent flèche la jeune portion d'un sarment, soit parce que s'élançant et franchissant l'espace, elle laisse sa mère loin derrière elle, soit parce que, par sa pointe effilée, elle ressemble à l'espèce de dard qui porte ce nom. Les agriculteurs les plus éclairés nient qu'on doive en faire usage pour la plantation ; cependant ils ne nous ont pas donné le motif de leur opinion, sans doute parce qu'il était familier à toutes les personnes versées dans l'agriculture, et sautait, pour ainsi dire, aux yeux. En effet, tout pampre fécond ne donne beaucoup de fruits qu'au-dessous du cinquième ou du sixième oeil ; le reste, quoique fort long, ou ne produit rien, ou n'offre que des grappes chétives. Telle est la cause qui, avec raison, a fait taxer de stérilité l'extrémité supérieure du sarment. Au surplus, ces cultivateurs tiraient leur marcotte de manière qu'une portion de vieux bois restât attachée au sarment nouveau ; mais l'usage a condamné cette méthode : car toute cette portion, mise en terre et recouverte, pourrissait promptement par l'effet de l'humidité, et, par l'altération qu'elle subissait, faisait périr dans son voisinage les jeunes racines qui commençaient â s'étendre ; après quoi la partie supérieure de la marcotte se desséchait. Bientôt Jules Atticus et Cornelius Celse, auteurs des plus célèbres de notre âge, suivant les traces des deux Saserna, père et fils, retranchèrent tout ce qui restait du vieux bois au point même où naît le nouveau, et ainsi ne plantèrent que ce que l'on nomme proprement crossette.
XVIII. Jules Atticus plante ses marcottes après leur avoir tordu et recourbé la tête, de peur qu'elles n'échappent an pastinum. Les cultivateurs appellent pastinum l'outil en fer bifurqué ou à deux dents, avec lequel on enfonce les marcottes : c'est pourquoi ils désignent sous le nom de repastinées, les vieilles vignes dont on a remanié le fonds. On appelait proprement ainsi un vignoble resté en culture ; maintenant, par ignorance des choses anciennes, on nomme repastiné tout terrain travaillé pour recevoir un vignoble. Mais revenons à notre objet. La méthode de Jules Atticus, du moins c'est mon opinion, est vicieuse en ce qu'il tord la tête de ses marcottes, et il existe plus d'un motif pour s'écarter de son procédé : d'abord, parce qu'aucun plant, tourmenté et brisé avant d'être mis en terre, n'y pousse aussi bien que celui qui y est déposé sain et sans altération ; ensuite, parce que ce plant, recourbé et tourné en l'air quand on l'enterre, opposera, lorsque le temps de l'arracher sera venu, de la résistance au fossoyeur comme ferait un croc, et, ainsi attaché au sol, se brisera avant d'en être extrait : car le bois est fragile à la partie qui a été tordue et recourbée au moment de la plantation : en raison de cette mauvaise pratique, il perd la majeure partie de ses racines qui se brisent. Même en passant sous silence ces inconvénients, je ne saurais dissimuler le plus grand de tous. Tout à l'heure, en parlant de l'extrémité du sarment que j'ai dit s'appeler la flèche, je désignais comme produisant des raisins le point intermédiaire entre le point de départ du vieux sarment et le cinquième ou sixième oeil. Celui qui courberait ainsi la marcotte, altérerait cette partie féconde, puisque cette partie qui est reployée produit trois ou quatre bourgeons, que les deux ou trois autres yeux qui devaient porter fruit sont entièrement enfouis, et qu'ainsi il n'en sort plus de bois, mais seulement des racines. Il arrive donc, ce que nous éviterions en plantant une saussaie, que pour de telles marcottes de vigne il est nécessaire de les faire plus longues pour avoir de quoi enfoncer suffisamment après les avoir ployées. Il n'est pas douteux que les yeux les plus voisins de la pointe, lesquels sont inféconds, sont conservés pour ne produire que des pampres à peu près stériles, ou certainement les moins fertiles : ce sont ceux que les villageois appellent racémaires. Que dirai-je de plus ? Il importe au plus haut degré que la marcotte qui est déposée en terre s'y nourrisse au point par lequel elle a été détachée de sa mère, et se cicatrise au plus tôt. S'il n'en est pas ainsi, elle attire trop d'humidité par le canal de la moelle qui reste ouvert comme un chalumeau, et le tronc, bientôt creusé, fournit des retraites aux fourmis et à d'autres insectes qui font pourrir le pied de la vigne. C'est bien là ce qui arrive aux sarments tordus : car, comme leur partie inférieure a été brisée pour les détacher du tronc maternel, la moelle reste à découvert, et, par l'effet de l'eau et des insectes dont je viens de parler, les vignes qui proviennent de telles marcottes ne tardent pas à dépérir. C'est pourquoi la saine raison prescrit de planter droites les marcottes, dont alors la tête, en se trouvant engagée entre les deux dents de la houe, y est facilement contenue et pressée, vu la gorge étroite de cette partie de l'instrument. Ainsi comprimé le plant pousse promptement des racines nourricières : car il en projette aussi du point qui a été coupé pour le séparer de sa mère, lesquelles, en croissant, ferment la cicatrice de la marcotte ; cette plaie d'ailleurs tournée en bas ne reçoit pas tant d'humidité que celle d'un rameau courbé, où elle est tournée en haut : formant alors une sorte d'entonnoir, elle introduit dans la moelle tout ce qu'elle reçoit des eaux pluviales.
XIX. On est peu d'accord sur la longueur que doit avoir la marcotte, puisqu'il faut la couper plus ou moins courte, selon qu'elle a beaucoup ou peu de bourgeons. Cependant elle ne doit pas avoir plus d'un pied ni moins de neuf pouces : trop courte, elle aurait à la surface du sol à souffrir de l'été ; trop longue et enfoncée profondément, elle deviendrait après sa croissance difficile à arracher. Mais ceci ne doit s'appliquer qu'aux terrains plats; car sur les coteaux, d'où la terre tend naturellement à se détacher, on peut enfoncer ce plant à un pied et un palme. De même, dans les vallées et les champs humides nous plantons des marcottes trigemmes : ce qui fait un peu moins de neuf' pouces, et toutefois un peu plus d'un demi-pied. Si on les appelle trigemmes, ce n'est pas qu'elles n'aient réellement que trois yeux, car vers le point détaché de la mère, elles en sont remplies ; mais c'est parce que, sans compter ceux- ci, il ne leur en reste que trois aux trois noeuds de cette fraction de sarment. Au reste, j'avertis le vigneron qu'il plante des marcottes enracinées ou non, d'éviter, pour qu'elles ne se dessèchent pas, les grands vents et le soleil : il les en préservera efficacement par l'interposition d'un vêtement ou d'un tissu quelconque, suffisamment serré. Toutefois le mieux est de choisir pour cette opération un jour où le vent se tait, ou, du moins, ne souffle que modérément; quant au soleil, il est facile de s'en préserver par quelque ombrage. Avant de terminer cette discussion, il nous reste à parler d'objets que nous n'avons pas encore traités : par exemple, convient-il d'avoir plusieurs variétés de vignes, et, dans ce cas, faut-il les tenir spécialement séparées et distinctes, ou confondues et mêlées ensemble ? Nous allons d'abord discuter la première de ces questions.
XX. Un agriculteur circonspect doit se borner à planter la variété qu'il croit la meilleure, sans mélange d'aucun plant de nouvelle espèce, et à la multiplier le plus qu'il peut ; mais, s'il est prévoyant, il en emploiera de diverses natures. En effet, il ne se présente jamais d'année favorable et tempérée au point que quelque espèce de vigne n'ait à en souffrir : car si elle est sèche, l'espèce qui a besoin d'humidité dépérit ; si elle est pluvieuse, c'est un contre-temps pour celle qui veut de la sécheresse ; si elle est froide et brumeuse, le cépage qui ne peut supporter ces conditions de température réussit mal ; si enfin elle est brûlante, elle fait tort à celui qui craint les grandes chaleurs. Sans entrer dans le détail de mille intempéries, il survient toujours quelque temps fâcheux pour certaines vignes. Ainsi, en ne plantant qu'une espèce, si le temps qui lui est défavorable survient, nous serons privés de vendange, et il ne restera pas de ressource à celui qui n'aura pas cultivé plusieurs variétés ; tandis que si vous composons notre vignoble de plusieurs espèces, il y eu aura toujours quelqu'une de préservée, qui nous donnera ses fruits. Toutefois ce motif ne doit pas nous déterminer à multiplier beaucoup ces variétés : réunissons la meilleure dans une quantité convenable ; puis celle qui en approche le plus, enfin une troisième ou même une quatrième qualité : alors contentons-nous de ce que nous appellerons ce quatuor d'élite. Il est bien suffisant de tenter la fortune par quatre chances de vendange ou par cinq tout au plus. Pour la seconde des questions que je viens de me proposer, je n'en doute nullement, il est à propos de classer et de distribuer par espèces les vignes chacune dans son quartier, que l'on séparera par des sentiers et des chemins ouverts du levant au couchant ; c'est ce que je n'avais pu moi-même obtenir de mes gens, c'est ce que je n'ai pas vu exécuter, même par ceux qui m'approuvaient le plus : une telle symétrie est, en effet , une oeuvre très difficile pour tous les paysans, parce qu'elle exige beaucoup d'attention dans l'examen et le choix des plants. Pour y parvenir, il faut le plus souvent seconder les hasards heureux par la prudence, et quelquefois (comme dit Platon, ce divin auteur) être attiré par le charme du beau, vers un objet que la faiblesse de notre nature mortelle ne nous laisse guère l'espoir d'atteindre. Au surplus, si le temps nous le permet, si la science et notre pouvoir y concourent, nous ferons très volontiers ce travail, quoique pour une telle oeuvre il faille une assez longue existence, en raison du grand nombre de ceps qui demandent quelques années pour être reconnus ; car toute sorte de temps n'est pas propre à cette étude, et telles vignes qu'à cause de la ressemblance de la couleur, du bois, et des sarments, on ne saurait distinguer, seront reconnues par leur feuillage et par leurs fruits parvenus à la maturité. Je n'affirmerai pourtant pas que, quelque zèle qu'on mette dans l'examen, il puisse être conduit à bien par un autre que par le père de famille. La négligence seule pourrait s'en rapporter à un fermier et même à un vigneron : car, quoique la chose soit facile, très peu d'agriculteurs sont capables de déterminer quels sont les ceps qui produisent du vin noir, quoique pourtant la couleur de la grappe soit apparente pour le moins habile.
XXI. Je connais un moyen de faire en peu de temps, si le vignoble est ancien, ce que nous nous sommes proposé pour la plantation des marcottes de chaque espèce dans des compartiments respectifs, et je ne doute point qu'ainsi on puisse se procurer en peu d'années des milliers de sujets tirés des cépages greffés, et qu'il ne soit ainsi possible de faire des plants de vignes différentes et distribuées par régions. Plusieurs motifs d'utilité peuvent nous déterminer à agir de cette manière. Pour commencer par les moins puissants, je dirai d'abord que dans toutes les positions de la vie, non seulement pour l'agriculture, mais encore pour toute autre science, un homme de sens est plus satisfait de voir chaque chose classée par espèces distinctes, plutôt que jetée, en quelque sorte, au hasard et perdue dans la foule. Ensuite, la personne la plus étrangère à la vie rustique, venant dans un champ régulièrement planté, admirera avec un grand plaisir les bienfaits de la nature en voyant des bituriques, riches de leurs grappes ; des helvoles, qui les égalent en fécondité ; là les arcelles, ici les spionies et les royales, dont une terre fertile se couvrant tous les ans, semblable à une mère qui ne cesse d'enfanter, offre aux mortels ses mamelles gorgées de moût. Parmi tant de richesses, grâce à Bacchus, on contemple l'automne resplendissant de rameaux chargés de grappes ou blanches, ou jaunes, ou rouges, ou brillant de l'éclat de la pourpre, et multipliant de toutes parts des fruits de toutes les couleurs. Quoique ce spectacle enchante les regards, l'utilité y surpasse encore le plaisir de la vite. Le père de famille descend d'autant plus volontiers de la ville pour en jouir, que sa terre est plus opulente ; et ce que le poëte dit en parlant d'une divinité sacrée : « Le vrai beau se présente partout où le dieu porte ses regards, » peut s'appliquer au propriétaire visitant fréquemment son domaine, et par sa présence y faisant naître les fruits en plus grande abondance. Je passe sur cet avantage, qui peut aussi être remarqué dans les vignes non classées; et je vais continuer à examiner ce qui, dans les premières, doit surtout attirer notre attention. Les diverses espèces de vignes ne défleurissent pas en même temps, et leurs raisins ne parviennent pas ensemble à la maturité. Il en résulte que celui qui n'a pas fait la séparation que je viens d'indiquer, subira nécessairement un de ces deux inconvénients : ou il recueillera le fruit tardif avec le précoce, et alors le vin éprouvera de l'acidité, ou bien il attendra que le tardif soit mûr, et il perdra la vendange du hâtif qui, exposée à la voracité des oiseaux, au vent et à la pluie, ne peut guère échapper à ces trois fléaux. Si, au contraire, il s'attache à recueillir séparément les raisins de chaque variété, il faut qu'il s'attende à être trompé par les vendangeurs : car il n'est pas possible de donner à chacun d'eux des inspecteurs qui les observent et qui prescrivent de ne pas mêler le raisin vert avec le mûr. D'ailleurs, quand même toute la vendange serait également mûre, si les espèces sont différentes, le goût de la meilleure sera altéré par celui de la moins bonne, outre que plusieurs saveurs confondues ne permettent pas au vin de vieillir. Dans une telle circonstance la nécessité contraindra le cultivateur de vendre au plus tôt sa récolte de vin, tandis que le prix en augmenterait s'il pouvait, sans crainte d'altération, différer sa vente jusqu'à l'été ou à l'année suivante. La séparation des variétés offre un avantage éminent, en ce que le vigneron procède plus facilement à la taille quand il connaît la nature du quartier sur lequel il va opérer : ce qu'il est difficile d'observer dans les vignes mélangées, parce que la majeure partie de la taille a lieu à urne époque où la vigne ne porte pas encore de feuilles qui puissent les faire reconnaître. D'ailleurs il est fort important que, suivant la nature de chaque espèce, le vigneron laisse beaucoup ou peu de bois, de manière à les lancer en leur laissant de longs sarments, ou bien à les contenir par une taille plus courte. L'orientation du vignoble n'est pas non plus à négliger car, toute espèce ne se plaît pas indifféremment à une exposition ou froide ou chaude, puisque, parmi les vignes, les unes ont la propriété de se fortifier au midi parce que le froid leur est dommageable, les autres de désirer le nord parce que la grande chaleur les chagrine ; quelques autres préfèrent la température modérée de l'orient ou du couchant. Celui qui classe ses espèces par divisions distinctes, a égard à ces différences d'après la situation et l'exposition du sol. Il se présente encore un avantage qui n'est pas de peu d'importance, puisqu'il tend à diminuer le travail et la dépense de la vendange. En effet, on peut recueillir à temps les raisins à mesure de leur maturité, et sans inconvénient on diffère la récolte de ceux qui ne l'ont pas encore atteinte. Ainsi on n'est pas exposé à gâter sa vendange par le mélange du raisin qui est mûr depuis quelque temps avec celui qui n'est qu'à son point, et on n'est point forcé de se pourvoir d'un grand nombre d'ouvriers à quelque prix que ce soit. C'est, en outre, un grand avantage, de pouvoir mettre à part chaque nuance de vin d'après son goût, et de le serrer dans toute sa pureté et séparément, soit qu'il provienne de la biturique, soit qu'il sorte de la royale ou de la spionée. Ces espèces ainsi serrées, comme leur goût n'est altéré par aucun mélange, ont tout de suite la qualité qu'elles doivent à leur origine : car, après quinze années ou un peu plus, le goût ne sait plus saisir les défauts d'un vin vulgaire, et alors presque tous les vins offrent cette particularité, que l'âge leur procure de la bonté. C'est pourquoi, comme nous l'avons dit plus haut, le classement des variétés est d'une grande utilité. Si on ne pouvait l'effectuer, il faudrait recourir à un second procédé, qui consiste à ne rapprocher d'autres espèces de vignes que celles qui offrent une même saveur, et qui produisent des fruits qui mûrissent à la même époque. Vous pouvez encore, si vous êtes amateur de fruits, planter aux derniers rangs, vers le septentrion, pour n'avoir pas à souffrir de leur ombre, des figuiers, des poiriers et des pommiers à haute tige que vous grefferez au bout de deux ans, ou, s'ils sont de bonne espèce, que vous y transplanterez quand ils seront assez élevés. Voilà ce que j'avais à dire sur la plantation des vignes. Il me reste à traiter de la partie la plus importante de leur culture, sur laquelle nous nous étendrons dans le livre suivant.
I. Lorsque vous eûtes lu, devant plusieurs agronomes, Publius Silvinus, le livre que j'ai écrit sur la plantation des vignes, vous dîtes qu'il s'en trouva quelques-uns qui, tout en donnant des éloges à mes autres préceptes, en critiquèrent deux ; d'abord ils pensent que je fais creuser trop avant les tranchées pour les marcottes de vigne, en ajoutant neuf pouces à la profondeur de deux pieds qu'avaient fixée Celse et Atticus ; ensuite ils n'approuvent pas que je ne donne qu'un soutien à chaque marcotte enracinée, quand ces deux auteurs permettent, pour diminuer la dépense, d'écarter du pied de chacune deux sarments pour leur faire couvrir deux échalas sur la même ligne d'une rangée. Ces deux assertions reposent plutôt sur une phrase ambiguë que sur la vérité. En effet (pour réfuter d'abord ce qui d'abord est contesté), pourquoi, si nous devons nous contenter d'une fosse de deux pieds, disons-nous qu'on doit labourer au-dessous du point où nous plaçons la vigne ? On dira que c'est pour qu'il se trouve sous elle de la terre ameublie qui, par sa dureté, n'écarte pas ou ne repousse pas les nouvelles radicules qui se développent. Mais ce but ne sera-t-il pas atteint lorsque le fonds aura été remué au louchet, et que la marcotte aura été placée dans une fosse de deux pieds et demi de profondeur où on aura préalablement répandu du fumier ? Car, la terre remuée d'une surface plane est plus gonflée que ne l'est le sol durci par le temps. Assurément les plantations ne demandent pas à reposer sur un lit fort profond, et l'on peut affirmer qu'il suffit d'ameublir sous les jeunes vignes une couche d'un demi-pied de terre qui reçoit l'enfance de ces végétaux comme dans un sein hospitalier et maternel. Citons à l'appui les vignes mariées à des arbres : quand nous creusons des fosses destinées à recevoir des marcottes, ne se borne-t-on pas à répandre un peu de terre ameublie sous elles. La meilleure méthode est donc de défoncer profondément la terre avec la houe à deux dents, puisque la vigne destinée au joug s'élève d'autant mieux que les fosses sont plus profondément creusées. Celles de deux pieds peuvent à peine être employées par les cultivateurs des provinces, qui, le plus souvent, arrêtent leurs vignes très bas et presque à la surface du sol ; car pour celles qui sont destinées au joug, elles veulent être établies sur un fondement plus profond, et plus elles s'élèvent haut, plus elles demandent le secours d'une forte couche de terre. Aussi, lorsqu'on veut marier la vigne à des arbres, personne ne donne moins de deux pieds à la profondeur des tranchées. Au reste, les avantages attribués par les cultivateurs à une excavation peu profonde leur profitent peu : ces avantages, selon eux, consistent en ce que le plant n'étant point fatigué par la pression d'un poids considérable de terre pousse promptement, et que, plus légèrement fixé, il devient plus fécond. Ces deux raisons sur lesquelles s'appuie Jules Atticus sont réfutées par l'exemple de la vigne mariée aux arbres, laquelle produit incontestablement des ceps plus vigoureux et plus féconds : ce qui n'aurait pas lieu, si le plant plus enfoncé souffrait de sa position. Ajouterai-je que le fonds labouré à la houe s'enfle comme sous l'action d'un levain, pendant que la terre est encore fraîchement remuée et ameublie ; puis, quelque temps après, s'affaisse, se durcit, et laisse à fleur de sol les racines qui semblent y nager ? Cet inconvénient se présente moins souvent dans notre méthode, qui consiste à recouvrir la vigne d'une plus épaisse couche de terrain. Quant à ce qu'on dit, que les jeunes plants trop avant enfoncés en terre, souffrent du froid, nous n'en disconvenons pas ; mais une profondeur de deux pieds neuf pouces ne peut offrir cet inconvénient, puisque, comme nous l’avons dit un peu plus haut, l'enfoncement des vignes mariées aux arbres effectué à une plus grande profondeur n'occasionne même pas ce désavantage.
II. C'est une opinion erronée, que celle qui pose en principe qu'il y a moins de dépense à faire en mariant à deux pieux les sarments d'une même vigne : car ou elle vient à périr, et, les deux tuteurs restant vides, il faut bientôt la remplacer par deux marcottes enracinées, qui augmentent les frais de culture ; ou bien cette vigne subsiste, et alors, comme il arrive souvent, ou elle donne du raisin noir, ou elle est peu productive, et le fruit manque, non pas sur des échalas, mais sur plusieurs. Les hommes les plus instruits en agriculture pensent que, fût-elle d'une espèce généreuse, une telle vigne, divisée sur deux échalas, sera toujours moins féconde, parce qu'elle formera la claie. C'est ce qui a déterminé Atticus lui-même à prescrire de multiplier plutôt les vieilles vignes par sautelles, que de les étendre à terre dans toute leur étendue, parce que les sautelles s'enracinent vite et facilement, de manière que chaque nouvelle vigne s'affermit sur ses racines comme sur des fondements. Il n'en est pas de même de celle qui, étendue tout de son long en terre, s'y est enchevêtrée en manière de grille, y forme comme les mailles d'un filet, souffre de l'enlacement de plusieurs de ses racines, et dépérit autant que si elle était surchargée d'une multitude de sarments. C'est pourquoi, après tout, je préférerais la plantation de deux marcottes au risque qu'offre une seule, et je ne regarderais pas comme une économie, ce qui, dans tous les cas, peut conduire à une dépense plus considérable. Mais la dissertation qui a fait l'objet du livre précédent exige que nous nous occupions sans plus tarder de la matière que nous avons promis de traiter dans celui-ci.
III. Dans toute espèce de dépenses, comme dit Grécinus, l'homme déploie en général plus d'énergie pour entreprendre une nouvelle opération que pour en suivre le perfectionnement. Certaines personnes, ajoute-t-il, commencent des édifices depuis leurs fondements, et après la grosse construction, ne s'occupent plus des embellissements. Quelques-unes mettent beaucoup d'activité à construire des navires, et quand ils sont achevés, elles ne les pourvoient ni d'agrès ni de matelots. Tel a la manie d'acheter des bestiaux, tel autre celle d'acquérir des esclaves ; mais ni l'un ni l'autre ne s'inquiète de leur entretien. Beaucoup de gens aussi détruisent par leur légèreté les bienfaits dont ils ont favorisé leurs amis. Ces conséquences, Silvinus, ne doivent point nous étonner, puisque nous voyons des hommes qui nourrissent chichement des enfants que de tous leurs voeux ils demandaient au mariage, et qui ne cultivent ni les dispositions de leur esprit ni celles de leur corps. Qu'en faut-il conclure ? que des fautes semblables sont ordinairement commises par ces cultivateurs qui, par divers motifs, abandonnent, avant qu'elles soient mises en état de produire, les vignes que pourtant ils avaient admirablement plantées. D'autres, voulant éviter une dépense annuelle, et regardant comme le premier et le plus certain revenu l'absence de toute dépense, abandonnent bientôt par avarice leur vignoble, comme s'ils avaient été contraints à le planter. On en voit qui tiennent beaucoup plus à la grande étendue qu'à la bonne culture de cette exploitation. J'ai connu bon nombre de gens qui étaient persuadés qu'il suffisait de cultiver un champ, bien ou mal. Quant à moi , je juge que toute espèce de terre, et surtout les vignobles, ne peut bien produire, si elle n'est travaillée avec un grand soin et par un homme habile. En effet, la vigne est un arbrisseau délicat, faible, redoutant surtout les intempéries, qui souvent se consume par ses efforts excessifs et ses surabondantes productions, et qui périt par sa propre fécondité, si on ne sait pas la modérer. Cependant lorsque, au bout de quelque temps, elle a pris de la force et est parvenue à une sorte de vigueur juvénile, elle ne souffre pas trop de la négligence ; mais, pendant sa première jeunesse, si on ne lui donne pas les soins convenables, elle est bientôt réduite à une extrême maigreur, et elle s'exténue tellement, que désormais aucune dépense ne peut la rétablir. Il faut donc poser, en quelque sorte, ses fondements avec un grand soin, et dès le premier jour de sa plantation, s'occuper de ses membres comme de ceux d'un enfant : si on ne procède pas ainsi, toute dépense tombera en pure perte, et le moment propre à chaque opération n'ayant pas été saisi, il sera impossible d'y revenir. Croyez-en mon expérience, Silvinus, une vigne bien plantée, de bonne espèce, et cultivée par un bon vigneron, récompense largement des soins qu'elle a coûtés. Grécinus, que nous venons de citer, nous le prouve, non seulement par le raisonnement, mais encore par l'exemple qu'il en donne dans le livre qu'il a écrit sur la culture des vignes : il y rapporte qu'il a fréquemment entendu dire à son père, qu'un certain Paridius de Vetera, son voisin, avait deux filles et un vignoble, et qu'après avoir donné le tiers de sa propriété en dot à l'aînée qu'il maria, il n'obtint pourtant pas un moindre revenu des deux tiers qui lui restaient. Ensuite, ayant marié sa seconde fille, il lui assigna la moitié de ce qui lui restait de son fonds ; et du tiers qu'il conserva il tira un produit égal à celui que lui donnait sa vigne entière. Que conclure de là, si ce n'est que le dernier tiers de son fonds fut mieux cultivé par la suite que ne l'avait été d'abord la totalité.
IV. Plantons donc des vignes avec une grande ardeur, Publius Silvinus, et cultivons les avec un plus grand soin encore. La seule bonne méthode de plantation est celle que nous avons donnée dans le livre précédent, et qui consiste à coucher les marcottes dans une fosse pratiquée dans un terrain bien labouré à la houe, vers le milieu de la tranchée, de manière à dresser le plant depuis ce point jusqu'au sommet de l'excavation, pour l'attacher ensuite à un roseau. On aura soin surtout de ne pas rendre cette tranchée semblable à une auge, mais de la tailler perpendiculairement et de lui donner des angles bien droits. En effet, un plant étendu et comme couché sur les parois d'une auge, est exposé à des blessures quand on vient à le déchausser ; car, lorsque le fossoyeur s'applique à creuser profondément dans le cercle qu'il trace pour le déchaussement, il atteint souvent cette vigne inclinée, et quelquefois même la coupe entièrement. N'oublions donc pas de tenir droit depuis le fond de la fosse le sarment bien soutenu, et de le conduire ainsi jusqu'en haut. Pour le surplus, on se conformera à ce que nous avons prescrit dans notre premier livre ; puis on aplanira la terre au-dessus de laquelle s'élèveront deux yeux de la marcotte ; et le plant ayant été bien aligné, on ameublit le terrain par de fréquents binages à la houe, et on le rend léger comme de la poussière. Ainsi les sarments, les marcottes enracinées, et tous autres plants mis en terre, croissent vigoureusement, pourvu qu'un terrain meuble et tendre, débarrassé des herbes parasites, fournisse de la sève aux racines, et qu'un sol compact n'étreigne pas dans un lien serré la plante nouvellement plantée.
V. A vrai dire, on ne saurait déterminer combien de binages on doit faire avec la houe à deux dents, puisque, plus ils seront répétés, plus les plantes en tireront avantage; mais, comme la dépense est naturellement bornée, il paraît généralement suffisant de fouir les nouveaux vignobles tous les trente jours, à partir des calendes de mars jusqu'à celles d'octobre, et d'extirper toutes les mauvaises herbes, surtout le chiendent : ces herbes, si on ne les sarcle pas à la main, et qu'on ne les jette pas sur la superficie du sol, repoussent, quelque petite que soit la partie qui reste en terre, et brûlent tellement les jeunes plants de vigne, qu'ils deviennent galeux et rabougris.
VI. Que notre plantation ait été faite, soit en sarments, soit en marcottes enracinées, il est très important de bien façonner la vigne dès le principe, de la débarrasser des parties superflues par un fréquent épamprement, et de diriger toutes les forces et toute la nourriture de chaque plant vers une tige unique. Toutefois on maintient d'abord deux rameaux, afin que l'un d'eux serve de ressource si l'autre venait à périr. Lorsqu'ils ont pris de la consistance, on détache le moins vigoureux ; et pour que le survivant ne soit pas exposé à être brisé par l'impétuosité des vents, il sera convenable de le soutenir, tandis qu'il grandit, avec un lien mou et peu serré jusqu'à ce qu'il puisse, comme avec des mains, s'attacher de ses vrilles à ses supports. Si le défaut d'ouvriers empêche de faire ce travail pour les simples marcottes, que nous croyons devoir aussi être épamprées, on ne saurait s'en dispenser pour les vignes enracinées, qui seraient bientôt affaiblies par trop de sarments, à moins pourtant qu'on n'ait en vue de faire plus tard des provins. Quant au bois conservé, nous devons faciliter son accroissement en lui adaptant un long échalas, au moyen duquel il s'étend assez pour surpasser le joug qui doit le supporter l'année suivante, et pouvoir être courbé de manière à donner du fruit. Parvenue à cette hauteur, la cime de la vigne sera cassée, afin qu'elle se fortifie par la grosseur au lieu de s'exténuer par un prolongement superflu. Au surplus, nous épamprerons jusqu'à la hauteur de trois pieds et demi le sarment conservé pour devenir cep, et nous enlèverons souvent tous les rejetons intermédiaires entre le pied et la cime ; mais il faut laisser intactes toutes les pousses supérieures. Il vaudra mieux, dans l'automne prochain, tailler à la serpe ces sommités, que de les épamprer durant l'été, parce qu'il réparait aussitôt, air point où vous avez arraché un rejeton, un nouveau bourgeon, dont la naissance empêche qu'il ne reste sur le bois des yeux qui, l'année suivante, auraient porté fruit.
VII. Le temps le plus propre à tout épamprement est celui où les pampres sont encore assez tendres pour céder à la moindre action du doigt ; car, s'ils avaient pris plus de consistance, il faudrait plus d'effort pour les arracher, ou recourir au tranchant de la serpe, deux choses qu'il faut éviter : l'une, parce qu'en s'efforçant de détacher les pampres, on déchire la mère ; l'autre, parce qu'on fait une blessure qui est toujours grave dans une plante verte et qui n'est point encore mûre. La plaie d'ailleurs ne se borne pas à l'aire de la coupure ; mais il arrive que, sous les chaleurs de l'été, la blessure profonde que fait la serpe cause un dessèchement tellement étendu qu'il tue la plus grande partie du corps de la mère. C'est pourquoi, s'il faut employer le fer pour retrancher des pampres déjà durs, on ne les coupera qu'à une certaine distance de la mère, et on les traitera comme les coursons, afin qu'ils supportent seuls le mauvais effet de la chaleur ; cette opération s'étendra jusqu'au noeud où naissent des bourgeons latéraux : la violence de la chaleur ne se communique pas au delà. On suit la même méthode, et je l'ai mise en pratique, pour épamprer les simples marcottes, comme pour exciter le bois dont on petit se servir dès la première année en l'allongeant convenablement. Si, au contraire, on se propose de les couper entièrement pour n'en faire usage qu'à deux ans, après les avoir réduites à un seul sarment, on l'étêtera dès qu'il aura plus d'un pied de longueur, afin qu'il se fortifie vers le haut et devienne plus robuste. Tels sont les premiers soins qu'exigent les jeunes plants de vigne.
VIII. Ainsi que le disent Celse et Atticus, dont notre siècle apprécie les connaissances en agriculture, le temps qui suit la première année demande de plus grands soins que tout autre. En effet, après les ides d'octobre, et avant l'invasion des froids, la vigne doit être déchaussée. Par cette opération, on met au jour les radicules qui ont poussé durant l'été, et que tout cultivateur sensé coupe avec le fer : car, s'il leur donnait le temps de se fortifier, elles affaibliraient les racines inférieures, et il en résulterait que la vigne en projetterait à fleur de terre, qui seraient incommodées de l'âpreté du froid, et, durant les chaleurs, échauffées outre mesure, feraient souffrir de la soif la tige mère au lever de la canicule. C'est pourquoi, après le déchaussement, on coupe tout ce qui s'élève en deçà d'un pied et demi. Mais on n'use pas, pour cette amputation des mêmes procédés que pour les rameaux de la vigne ; car il ne sera pas nécessaire de parer la plaie, ni de porter le fer jusqu'à la racine mère ; puisque, si l'on coupait tout près de ce tronc, plusieurs radicules renaîtraient près de la cicatrice, et que, durant l'hiver, l'eau des pluies, qui se fixe dans les cavités de la fosse de déchaussement, brûlerait, par les gelées du solstice de cette saison, les blessures récentes encore, et pénétrerait jusqu'à la moelle. Pour que cet accident n'ait pas lieu, il conviendra d'opérer à la distance d'un doigt de la partie dégarnie, et d'y retrancher les radicules, qui, ainsi enlevées, ne repousseront pas et n'occasionneront plus d'inconvénient à la vigne. Cet ouvrage étant terminé, si dans la contrée l'hiver est doux, on laissera à nu la partie déchaussée ; mais s'il y est rigoureux, on remplira les cavités et on aplanira le sol avant les ides de décembre. Si l'on a à redouter des froids excessifs, il faudra même, avant de rechausser, étendre sur les racines une légère couche de fumier, ou, si l'on veut, de la fiente de pigeon, ou encore six setiers d'urine vieillie préparée pour cet usage. Durant les cinq premières années, il sera nécessaire, tous les automnes, de déchausser la jeune vigne pour qu'elle pousse avec force ; mais, quand son tronc sera devenu fort, on pourra n'opérer le déchaussement que tous les trois ans environ : car alors on est moins exposé à blesser avec le fer le pied de l'arbrisseau, et les radicules renaissent moins vite sur un tronc qui a acquis de la consistance.
IX. Après le déchaussement suit la taille, qui, d'après les préceptes des anciens auteurs, doit être exécutée de manière que la vigne soit réduite à un seul sarment que l'on étêtera à la hauteur de deux yeux au-dessus du sol. La coupe ne doit pas être faite près d'un noeud, dans la crainte d'altérer l'oeil voisin ; mais la serpe atteindra obliquement le point intermédiaire entre l'oeil conservé et le premier des noeuds qu'on supprime, de peur que, si la cicatrice était horizontale, elle ne retînt l'eau de pluie qui tomberait dessus. Cette coupe ne descendra pas du côté de l'oeil, mais du côté opposé, afin que les pleurs de la vigne tombent plutôt à terre que sur le bourgeon : car, en coulant sur lui, cette humeur éteindrait l'oeil et ne lui permettrait pas de donner des feuilles.
X. Deux époques sont favorables à la taille ; mais la meilleure, suivant Magon, est le printemps, avant la germination des sarments, parce que, pleins de sève alors, ils permettent une amputation facile, légère et unie, et ne résistent pas à la serpe. Celse et Atticus ont suivi ce précepte. Quant à nous, il nous semble qu'on ne doit pas tailler trop court, ce qui arrêterait l'essor de la pousse, à moins que le jet ne soit faible ; ni tailler toujours au printemps : mais, dans la première année de la plantation, on secondera la végétation par de fréquents serfouissages que l'on pratiquera durant tous les mois pendant lesquels elle développe des feuillages, et par des épamprements qui fortifieront la tige unique que l'on aura conservée. Quand elle sera devenue forte, nous pensons qu'on doit la nettoyer en automne, ou au printemps si on le juge plus convenable, et la débarrasser des rejets que celui qui aura épampré a mal à propos laissés dans la partie supérieure du sarment : alors on pourra la fixer au joug. En effet, la vigne doit être svelte et droite, sans cicatrices, pour que le jet de la première année s'élève au-dessus de cet appui : c'est pourtant ce qui se voit rarement et ce dont s'inquiètent peu de cultivateurs. Aussi les auteurs que je viens de citer pensent-ils qu'on doit couper les premières pousses. Quant à la taille, la meilleure n'est pas pour tous les pays celle du printemps : et là où le sol est bien échauffé par le soleil, où l'hiver est doux, la taille la plus avantageuse et la plus naturelle est celle qui se pratique en automne, puisque à cette époque les arbres, en vertu d'une loi divine et éternelle, déposent leurs fruits et leur feuillage.
XI. Voilà ce que je crois à propos de faire pour les plants. L'usage a condamné l'ancienne opinion, qu'il ne fallait pas toucher avec le fer les marcottes d'un an, parce qu'elles souffrent de son tranchant : erreur qui a été partagée par Virgile, Saserna, les Stolon et les Caton, qui ne se sont pas trompés sur ce point seulement en défendant de toucher au chevelu des plants d'un an, mais encore en faisant au bout de deux ans couper totalement la marcotte enracinée rez-terre, près du premier noeud pour que le nouveau jet sortît du bois dur. L'expérience, cette maîtresse des arts, nous a enseigné, au contraire, qu'on doit disposer les pousses des marcottes dès leur première année, et ne pas permettre à la vigne, luxuriante de feuillages superflus, de jeter trop de bois, et qu'il ne faut pas non plus la refréner autant que les anciens le prescrivaient, en la coupant tout entière, ce qui lui est très préjudiciable. En effet, lorsqu'on a pratiqué l'amputation rez-terre, les jeunes plants, atteints d'une blessure à laquelle ils ne sauraient guère survivre, meurent pour la plupart, et, s'il en est qui aient assez de vigueur pour survivre, ils ne produisent que des sarments peu féconds ; et tous les vignerons sont en cela d'accord que les pampres qui pullulent sur le bois dur donnent rarement du fruit. Il faut donc ; adopter un moyen terme, en ne coupant point la marcotte rez-terre, et en ne provoquant pas un trop grand essor des pousses ; on doit remarquer le jet de l'année précédente, pour laisser, au-dessus du point de départ du vieux sarment, un ou deux yeux desquels sortiront les nouveaux jets.
XII. Après la taille de la vigne suit le travail de l'échalassement. Il est vrai que cette première année n'exige pas encore des pieux ou des échalas très forts : car j'ai remarqué que, le plus souvent, la vigne qui est jeune s'arrange mieux d'un appui médiocre que d'une grosse perche. C'est pour cela que nous placerons , auprès de chaque vigne, deux roseaux secs, de peur que, nouveaux, ils ne prennent racine; ou, si la nature du lieu ne s'y oppose pas, nous poserons de vieux piquets auxquels, vers le bas, nous assujettirons des perches transversales : c'est cette espèce de palissade que les paysans appellent cantère. Il est fort important qu'un peu au-dessous de la courbure de la vigne, les pampres, en s'allongeant, trouvent aussitôt un point où ils s'accrochent, et qu'ils se prolongent plutôt horizontalement que perpendiculairement, parce que, soutenus par le cantère, ils résistent plus facilement aux vents. Il sera bon que ce joug ne s'élève pas jusqu'à quatre pieds tant que la vigne n'aura pas pris beaucoup de force.
XIII. Après avoir échalassé la vigne, il faut la lier. Cette opération a pour objet de diriger la vigne en ligne droite sur le joug. Si le pieu est placé près d'elle, comme il plaît à quelques auteurs, celui qui l'attache doit alors veiller à ce que son bois ne suive pas les courbures du pieu, s'il en a, parce qu'elle deviendrait elle-même tordue ; mais si, d'après l'avis d'Atticus et de quelques autres agriculteurs, ce qui ne me déplaît pas non plus, on laisse un peu d'espace entre la vigne et le pieu, il faut joindre le cep à un roseau bien droit, l'y attacher sur plusieurs points, et le conduire ainsi au joug. Il n'est pas indifférent de déterminer l'espèce de ligature avec laquelle on lie les vignes. Tant que leur bois est tendre, le lien ne doit pas être dur, parce que, si on employait le saule ou l'orme, la vigne en croissant se couperait elle-même. Pour cet usage, le genêt, le jonc coupé dans les marais et le glaïeul sont les plantes qui conviennent le mieux ; des feuilles de roseaux séchées à l'ombre ne sont pas non plus à dédaigner en cette occasion.
XIV. Les marcottes exigent le même soin que nous venons de prescrire : taillées dans l'automne ou dans le printemps, à un ou deux yeux, on les attachera avant qu'elles ne bourgeonnent. Le cantère, dont j'ai parlé, sera pour les marcottes plus rapproché de terre que pour les vignes qui sont dans les rangées. Ainsi il ne sera pas élevé de plus d'un pied, afin que les pampres, tendres encore, le trouvant à leur proximité, puissent s'y attacher avec leurs vrilles, et n'aient plus rien ainsi à redouter des vents. Puis le fossoyeur, par de fréquents labours à la houe à deux dents, fera en sorte que la surface du sol soit toujours unie et très meuble. Nous approuvons beaucoup ce binage fait à plat : car par celui qu'en Espagne on appelle binage d'hiver, et que l'on pratique en déchaussant les vignes et en rangeant la terre dans l'intervalle des lignes, il nous parait superflu, en raison de ce que le déchaussement d'automne qui vient d'avoir lieu a découvert les radicules supérieures et a profité aux inférieures en ouvrant un accès aux pluies d'hiver. On pratiquera ce serfouissage autant de fois qu'à la première année, ou une fois de moins : car on doit surtout remuer souvent le terrain, jusqu'à ce que les jeunes vignes aient assez de sarments pour lui procurer de l'ombrage et empêcher l'herbe de croître sous elles. On procède à l'épamprement de cette année comme à celui de l'année précédente : car il faut, pour ainsi dire, contenir encore l'enfance de ce plant, et ne lui laisser qu'un sarment, d'autant plus que son âge tendre ne lui permet pas de se charger de beaucoup de bois et de beaucoup de fruits.
XV. Quand, au bout de dix-huit mois, la vigne est parvenue à la vendange, il faut, aussitôt son raisin cueilli, la repeupler, propager les marcottes réservées que l'on a mises à part pour cet usage, ou bien, si l'on n'en a pas, on attirera, des vignes qui sont dans les rangées, des sautelles vers un échalas particulier : car il est bien important, dans cette plantation nouvelle encore, de ne laisser aucun échalas inoccupé, et de ne coucher aucun sarment au moment où l'on est sur le point d'en cueillir le fruit. La sautelle est cette espèce de rameau que l'on couche près de l'échalas d'une vigne, et que l'on recouvre de terre dans une fosse suffisamment profonde, pour le conduire à un échalas vacant : alors de la partie qui fait l'arc sort un bois vigoureux qui, aussitôt attaché à un soutien, est conduit au joug. L'année suivante, on coupe jusqu'à la moelle la partie supérieure de la sautelle à l'endroit où commence la courbure, de peur que les sarments qu'elle produit n'attirent à eux toutes les forces maternelles, et pour qu'elle apprenne peu à peu à se nourrir avec ses propres racines. A deux ans, on coupe la sautelle très près du jet sorti de la partie arquée, puis on foule profondément la terre autour de cette nouvelle plante ; on la rabat au fond de la fossette qu'on lui a ménagée, puis on ramène de la terre afin qu'elle puisse pousser ses racines en bas et ne jette pas de pampre : ce qui aurait lieu si l'amputation avait, par négligence, été pratiquée à fleur de terre. Nul temps n'est plus favorable à la coupe des sautelles que celui qui est compris entre les ides d'octobre et les ides de novembre, parce que les racines ont le temps de s'affermir durant les mois d'hiver. Si l'on pratiquait cette opération au printemps, les sarments commençant alors à germer, la sautelle, privée tout à coup des aliments de sa mère, ne manquerait pas de languir.
XVI. La transplantation des marcottes se fait d'après la même méthode. Pourvu que la température et la nature du terrain ne s'y opposent pas, on l'effectue avantageusement pendant la seconde partie de l'automne, après les ides du mois d'octobre. Si, au contraire, l'état du terrain et de l'atmosphère ne sont pas favorables, il est à propos de renvoyer l'opération au printemps prochain. On ne laissera pas trop longtemps les marcottes dans les vignes, de peur qu'elles n'en épuisent les forces et ne nuisent aux ceps des lignes. Plus tôt les vignes sont délivrées de la société des marcottes enracinées, plus facilement elles prospèrent. Dans la pépinière, au contraire, on peut conserver des vignes de trois ans, et même de quatre, pourvu qu'on les coupe entièrement ou qu'on les taille très court, car leur objet n'est pas de donner immédiatement du fruit. Lorsque la vigne sera parvenue à son trentième mois de plantation, c'est-à-dire, à son troisième automne, elle sera sans retard attachée à des échalas plus forts que ceux qui la soutenaient ; et c'est un travail qu'on ne doit faire ni arbitrairement ni au hasard. Si l'on fixe l'échalas près du tronc de l'arbrisseau, à la distance toutefois d'un pied, pour ne pas trop le comprimer, ni blesser ses racines, et afin que le fossoyeur puisse fouir tout autour du pied des plants ; ce pieu sera placé de telle sorte qu'il reçoive toute la violence du froid et des aquilons, et en garantisse la vigne. Si on l'établit au milieu des lignes, il faut creuser bien avant ou préparer son entrée au moyen d'un piquet, afin qu'il soit assez enfoncé pour supporter facilement et le joug et les fruits. Plus l'échalas est planté près du tronc, lors même qu'il est peu enfoncé, plus il a de force, puisque, touchant à la vigne, il est soutenu par elle, en même temps qu'il la soutient. On lie ensuite à leurs appuis de forts jougs, qui sont un assemblage ou de perches de saule, ou de roseaux réunis en petits faisceaux, afin qu'ils aient de la roideur, et qu'ils ne fléchissent pas sous le poids des raisins : alors on peut conserver deux sarments à chaque plant, à moins que, trop grêles, quelques-uns d'eux n'exigent une taille plus rapprochée : ce qui forcerait à ne conserver qu'un jet, auquel même on ne laisserait qu'un petit nombre d'yeux.
XVII. Le joug le plus solide et le moins coûteux est fait avec des perches. Il faut plus de travail pour assembler les roseaux, parce qu'on les lie en plusieurs points de leur longueur, et parce qu'on les assujettit en plaçant alternativement leurs cimes d'un côté et de l'autre pour que tout le joug offre une égale épaisseur ; autrement, la partie faible, cédant au poids, fléchirait et entraînerait à terre le fruit mûr, qui y serait plus exposé aux chiens et aux autres animaux ; tandis que, composé de roseaux assemblés en faisceaux, et présentant alternativement le pied et la tête, le joug peut durer près de cinq ans. Pour la taille et les autres opérations de la culture, la méthode à suivre ne diffère point de celle qui est mise en pratique pour les deux premières années : ainsi on fera exactement le déchaussement en automne, et on regarnira de provins les pieux vacants. Ce dernier travail ne doit jamais être interrompu, et une année ne doit pas s'écouler sans qu'il ait été fait : car, comme nos plantations ne sauraient être immortelles, nous leur assurerons ainsi l'éternité en substituant de nouveaux plants à ceux qui ont péri ; et nous nous épargnons la douleur de voir périr toute l'espèce par une négligence qui aurait duré plusieurs années. Il faut aussi donner à la vigne de fréquents binages, quoique pourtant on puisse en faire un de moins que la première année ; on l'épamprera souvent, car il ne suffirait pas de lui enlever une fois ou deux, dans le cours de l'été, les feuilles superflues. On doit principalement s'attacher à couper tous les rejetons qui naissent au-dessous de la tête du tronc ; et si chaque oeil a poussé deux sarments sous le joug, il faut, quoiqu'on y voie plusieurs grappes, en supprimer un, afin que l'autre acquière plus de force et puisse mieux nourrir le fruit qu'on lui aura laissé. Après quarante et un mois, la vendange finie, on procédera à la taille, de manière que la vigne, au moyen de plusieurs sarments conservés, présente l'apparence d'une étoile. Le devoir du vigneron est d'arrêter par la taille la vigne à près d'un pied au-dessous du joug, afin que toutes les branches tendres qui de sa tête viendraient à pousser à travers ses bras soient stimulées, et qu'en se recourbant sur le joug elles se précipitent vers la terre, sans toutefois pouvoir la toucher. Il faut néanmoins consulter les forces du tronc, pour ne pas conserver plus de ces pousses que la vigne n'en pourrait nourrir. Ordinairement à cet âge, en terre fertile, une vigne ne veut sur son tronc que trois sarments, rarement quatre, que le vigneron doit attacher de manière à les diriger vers autant de points différents. Dans ce cas, il n'est pas nécessaire que le joug forme une étoile et s'étende ainsi, à moins qu'on ait assez de sarments à y étendre. Au reste, tous les agriculteurs n'approuvent pas cette forme ; plusieurs d'entre eux se contentent de la disposition ordinaire. Il n'en est pas moins vrai que la vigne est plus affermie sous le poids des sarments et du fruit qu'elle doit porter, quand elle est de deux côtés fixée au joug, dans un certain équilibre, comme retenue par plusieurs ancres. Alors elle projette son bois par ses bras, et le développe plus facilement appuyée de toutes parts, que celle qui, sur un simple cantère, est surchargée d'un grand nombre de sarments. Toutefois elle peut se contenter d'un seul joug, si elle ne s'étend pas beaucoup, si elle donne peu de fruits, et si le climat n'est pas sujet aux tempêtes et aux orages ; tandis que, sous un ciel où les pluies et les tempêtes sont fréquentes, où l'abondance des eaux l'ébranle, où elle est comme suspendue sur des coteaux escarpés, il ne faut pas lui épargner les appuis : là elle doit être défendue comme par un bataillon carré. Dans les lieux chauds et secs, on donnera de l'extension au joug de tous les côtés, afin de réunir les pampres éparpillés qui, rassemblés en forme de voûte, ombrageront le sol altéré. Au contraire, dans les régions froides et sujettes aux frimas, on dressera les pampres sur une ligne unique : par ce moyen la terre reçoit plus facilement les rayons du soleil, le raisin mûrit mieux et jouit d'un air plus salubre ; les fossoyeurs ont, en outre, plus d'aisance pour le travail de leur houe, le fruit est mieux vu de ceux qui le gardent, et les vendangeurs le recueillent plus facilement.
XVIII. Quand on jugera à propos de classer son vignoble, on séparera par des sentiers chaque compartiment dans lequel on plantera cent ceps ; ou bien, comme il convient mieux à certaines personnes, on divisera le tout par demi jugères. Une bonne division, outre l'avantage qu'elle a d'offrir plus d'accès au soleil et à l'air, permet plus facilement au maître de parcourir et examiner son vignoble, ce qui lui est toujours avantageux, et de rendre plus exacte l'appréciation des journées de travail, sur lesquelles on ne saurait tromper quand les jugères sont partagées en portions égales. Bien plus, la fatigue semblera d'autant moindre qu'on donnera à ces carrés des dimensions moindres, et l'ardeur des ouvriers sera d'autant plus grande : car souvent l'immensité d'un travail qui presse inspire le découragement. Il n'est pas moins utile de pouvoir connaître les forces et le produit de chaque partie du vignoble pour juger le point qui réclame plus ou moins la main du vigneron. En outre, ces sentiers offrent aux vendangeurs et aux ouvriers une voie commode et assez large tant pour la réparation des jougs et des échalas, que pour le transport des appuis et celui des récoltes. Quand on jugera à propos de classer son vignoble, on séparera par des sentiers chaque compartiment dans lequel on plantera cent ceps ; ou bien, comme il convient mieux à certaines personnes, on divisera le tout par demi jugères. Une bonne division, outre l'avantage qu'elle a d'offrir plus d'accès au soleil et à l'air, permet plus facilement au maître de parcourir et examiner son vignoble, ce qui lui est toujours avantageux, et de rendre plus exacte l'appréciation des journées de travail, sur lesquelles on ne saurait tromper quand les jugères sont partagées en portions égales. Bien plus, la fatigue semblera d'autant moindre qu'on donnera à ces carrés des dimensions moindres, et l'ardeur des ouvriers sera d'autant plus grande : car souvent l'immensité d'un travail qui presse inspire le découragement. Il n'est pas moins utile de pouvoir connaître les forces et le produit de chaque partie du vignoble pour juger le point qui réclame plus ou moins la main du vigneron. En outre, ces sentiers offrent aux vendangeurs et aux ouvriers une voie commode et assez large tant pour la réparation des jougs et des échalas, que pour le transport des appuis et celui des récoltes.
XIX. Pour la position du joug, il suffit de dire à quelle distance il doit être au-dessus du sol : cette distance sera de quatre pieds au moins, et de sept au plus. Cette dernière élévation cependant ne conviendrait pas aux jeunes plants : car ils ne doivent pas d'abord atteindre cette hauteur, mais n'y parvenir qu'après une longue suite d'années. Au reste, plus le sol et l'air sont humides, moins les vents sont violents, plus haut doit être élevé le joug ; car alors la vigueur des vignes permet de leur laisser prendre plus d'élévation ; les grappes, d'ailleurs, plus éloignées de la terre, sont moins exposées à pourrir ; outre que c'est le seul moyen de tirer un parti avantageux des vents qui sèchent ainsi promptement les brouillards et l'humidité malfaisante, ils contribuent puissamment à faciliter la défloraison de la vigne et à donner de la qualité au vin. Au contraire, un terrain maigre, ou situé en pente, ou brûlé par l'ardeur du soleil, ou exposé à l'impétuosité des tempêtes, demande un joug plus bas. Mais si tout répond à nos voeux, la hauteur de cinq pieds est celle qui doit être donnée à la vigne. Toutefois il n'est pas douteux que les ceps fournissent une liqueur d'une saveur d'autant plus parfaite qu'ils se dressent sur un joug plus élevé.
XX. La vigne ayant reçu l'échalas et le joug, le premier soin du vigneron est de la lier. Dans cette opération, il devra surtout s'appliquer, comme je l'ai dit plus haut, à conserver la tige bien droite, et éviter de lui faire suivre les courbures que pourraient présenter les pieux, dans la crainte que la vigne ne contracte le vice de leur conformation. Cette pratique n'a pas seulement pour but de plaire à l'oeil, mais surtout de favoriser la fécondité, la solidité et la durée de l'arbuste ; car un tronc tenu bien droit donne la même direction à sa moelle, par laquelle, comme par un chemin, circulent plus facilement, sans détour et sans obstacle, et montent à la cime les sucs de la terre qui doivent lui servir d'aliments ; tandis que, si ce tronc est recourbé et tortu, la sève ne se répartit pas également, en raison de l'obstacle que lui opposent le noeuds et les sinuosités, qui ne lui laissent qu'un chemin difficile à parcourir. C'est pourquoi, lorsque la vigne bien droite est étendue jusqu'au haut du pieu, on la fixe avec un lien, pour l'empêcher de s'affaisser sous le poids de ses fruits et de perdre sa bonne direction. Alors du point où elle a été liée au joug, on dispose ses bras de divers côtés, et on ramène vers le bas les sarments à fruit, qui, courbés convenablement, sont aussi attachés avec un lien. Par ce moyen, les rameaux qui retombent du joug se couvrent de beaucoup de raisins, et la partie courbée jette son bois près du point attaché. vignerons font monter au -dessus du joug les sarments que nous en faisons descendre, et les y retiennent au moyen de ligatures rapprochées : mais cette méthode ne me paraît pas du tout devoir être approuvée. En effet, les pluies, les frimas et la grêle causent moins de dommage aux sarments pendants qu'à ceux qui sont liés et semblent, en quelque sorte, défier les tempêtes. Toutefois ces rameaux doivent être attachés avant que le fruit ne mûrisse, tandis que les grappes commencent à tourner et n'offrent encore qu'une saveur acerbe, afin que les fortes rosées ne puissent les faire pourrir et qu'elles ne soient ravagées par les vents et les animaux. Le long du chemin principal et des sentiers, les sarments doivent être recourbés en dedans du vignoble, pour qu'ils ne soient pas endommagés par le heurt des passants. Telle est la méthode à suivre pour conduire la vigne à son joug en temps convenable. Ajoutons qu'une vigne faible ou courte doit être rabattue à deux yeux, afin de lui faire produire un bois plus vigoureux et qui d'un seul jet puisse s'élever jusqu'au joug.
XXI. Il n'y a pas d'autre taille à faire à une vigne de cinq ans, pour qu'elle conserve une bonne forme et ne jette pas trop de bois au-dessus du joug, que celle que nous avons prescrite ci-dessus ; sa tête doit donc être maintenue à un pied environ au-dessous de cet appui, et ses quatre bras, que quelques personnes appellent des duraments, seront dirigés dans tout autant de directions. Il suffira de laisser à ces bras un seul sarment à fruit, jusqu'à ce que la vigne ait acquis une force convenable ; mais quand, après quelques années, elle sera parvenue à l'âge juvénile, le nombre de sarments à conserver ne sera plus déterminé : une terre fertile permet d'en laisser une assez grande quantité, un sol maigre n'en souffre que fort peu. Si la végétation du cep est luxuriante, il défleurira mal et se répandra en bois et en feuillage, à moins qu'on ne réduise ses branches à fruit ; si elle est faible, il souffrira de l'abondance de sa production. En conséquence, en terre grasse on permettra à chaque bras de garder deux flèches ; il ne faudra pas toutefois surcharger le cep au point de lui imposer plus de huit sarments à fruit à nourrir, à moins que la fertilité extraordinaire du sol n'autorise absolument cet excédant. Un cep surchargé de bois au delà de ce qui a été prescrit ci-dessus prend plutôt la forme d'une treille que d'une vigne. On ne doit pas souffrir, non plus, que les bras soient plus gros que le tronc ; mais, quand des côtés des bras on laissera croître des flèches, on devra exactement en couper la cime de manière qu'elle ne dépasse pas le haut du joug et que la vigne soit sans cesse renouvelée par le jeune bois, que l'on attache au joug lorsqu'il a atteint une longueur suffisante. Si quelque partie de ce bois vient à se briser ou ne s'élève pas assez, et qu'il se trouve dans un endroit qui, l'année suivante, puisse servir au renouvellement de la vigne, on le taillera pour en faire une sorte de pouce qui est appelée par les uns réserve, par les autres courson, par d'autres encore garnisaire : c'est un sarment de deux ou trois yeux, au moyen duquel, quand il a produit du bois à fruit, on supprime tout le surplus du vieux bras ; et ainsi du nouveau jet la vigne se régénère. Cette méthode, par laquelle les vignes auront prospéré, devra toujours être suivie à l'avenir.
XXII. Si nous devenons possesseurs de vignes dirigées autrement que nous venons de le prescrire, et que, par une négligence de plusieurs années, elles se soient élevées au-dessus du joug, on examinera quelle est la longueur des bras qui excèdent cet appui. Car s'ils n'ont que deux pieds ou un peu plus, la vigne entière pourra encore être ramenée sous le joug, pourvu toutefois que le pieu ait été appliqué au tronc même : il suffira pour lors d'écarter ce pieu de la vigne et de le planter au milieu de l'intervalle qui existe entre les deux bras, et dans le même alignement ; ensuite la vigne inclinée sera conduite au pieu, et se trouvera ainsi ramenée au joug. Si, au contraire, les bras ont acquis plus de longueur et ont atteint le quatrième ou même le cinquième échalas, on pourra, mais avec plus de frais, la rétablir au moyen de sautelles : propagée par cette méthode, et c'est ce qui nous plaît beaucoup, elle pousse très rapidement. Au reste, si la surface du tronc est vieille et galeuse, elle occasionnera de notables frais de main-d'oeuvre, mais qui seront petits, si elle est robuste et saine. Pendant l'hiver, après l'avoir déchaussée, on la rassasie de fumier, on la taille de court, et, à la hauteur de trois à quatre pieds au-dessus du sol, on ouvre avec le tranchant aigu d'un instrument de fer la partie la plus verte de l'écorce. Ensuite on mêle la terre par de fréquents binages, afin de pouvoir stimuler la vigne et faire jaillir un pampre à cette partie qui a été ouverte par le fer. Ordinairement il part de cette cicatrice un bourgeon qui, s'il s'étend beaucoup, devient une flèche ; sinon on le taille en courson ou s'il est tout à fait court, en furoncle : ce dernier petit être formé du plus mince filament. En effet, quand un pampre, pourvu d'une ou de deux feuilles, est sorti du bois dur, il ne manquera pas, au printemps suivant, pourvu qu'il soit parvenu à maturité, et qu'il n'ait été ni privé de ses noeuds, ni tranché, de jeter une grande abondance de bois. Quand cette nouvelle pousse aura pris de la force et formé une espère de bras, on pourra couper la portion de l'ancien bras qui avait trop monté, et attacher le surplus au joug. Pour gagner du temps, beaucoup de vignerons étêtent ces vignes au-dessus de quatre pieds, sans craindre les résultats d'une telle amputation : car la nature de la plupart des arbres se prête à la reproduction de nouveaux jets auprès de la cicatrice qu'on leur a faite. Mais ce procédé n'a nullement notre approbation ; car une large plaie, si elle n'a au-dessus d'elle une portion de bois bien portante avec laquelle elle puisse prendre de la consistance, est brûlée par l'ardeur du soleil, et bientôt les rosées et les pluies y déterminent la pourriture. Si pourtant il est nécessaire de couper un cep, on commencera par le déchausser ; ensuite on l'amputera un peu au-dessous du sol, afin que la terre dont on le recouvrira le protège contre la violence du soleil, et permette le passage des nouveaux sarments qui s'élanceront des racines, lesquels pourront, soit être mariés à leurs échalas, soit revêtir de provins ceux qui se trouveraient vacants à leur proximité. Ces opérations ne devront avoir lieu que dans le cas où les vignes sont plantées profondément, n'ont pas leurs racines vacillant à fleur de terre, et sont d'une bonne espèce ; autrement, ce serait en pure perte qu'on ferait un tel travail, puisque des ceps dégénérés, même étant ainsi renouvelés, conservent le vice de leur origine, et que ceux qui tiennent à peine au fonds périssent avant d'avoir poussé. Il vaut donc mieux, dans le premier cas, greffer sur cette vigne une essence féconde ; dans le second, l'extirper entièrement et en planter une autre si le sol est assez bon pour y engager. Si elle dépérit à cause de la mauvaise nature du terrain, nous croyons qu'il n'existe aucun moyen de la rétablir. Or, les vices du sol qui finissent presque toujours par tuer les vignobles, sont la maigreur et la stérilité, une terre salée ou amère, l'humidité constante, une situation abrupte et escarpée, un pays trop couvert, la privation de soleil, les vallées sablonneuses aussi bien qu'un tuf sablonneux et un sable trop maigre et dépourvu d'humus, comme le gravier pur, et en général tout terrain qui, en raison de circonstances analogues, ne donne pas aux vignes une nourriture suffisante. Au reste, si le sol n'a pas ces inconvénients et autres semblables, on pourra en faire un vignoble qui produira tous les ans sans se reposer, en suivant la méthode que nous avons exposée dans le livre qui précède. Au surplus, les mauvais vignobles, qui, quoique robustes, sont si stériles qu'ils ne produisent pas de fruits, nous le répétons, seront améliorés par la greffe, dont nous parlerons en son lieu, quand nous serons parvenus à cet article de notre discussion.
XXIII. Maintenant, comme il semble que nous avons peu parlé de la taille des vignes, nous allons mettre tous nos soins à traiter cette partie éminemment importante du travail que nous avons entrepris. Il convient donc, si, dans la contrée où nous cultivons, la bénignité douce et tempérée de l'atmosphère le permet, de commencer la taille, après la vendange, aux ides d'octobre, pourvu toutefois que les pluies de l'équinoxe soient tombées et que les sarments aient acquis une consistance suffisante : car la sécheresse forcerait de différer cette opération. Au contraire, si le froid et les gelées blanches font prévoir un hiver rigoureux, on remettra ce travail aux ides de février. On aura d'ailleurs tout le loisir de le faire, si le vignoble n'est pas considérable. Il n'en est pas de même là où un vaste domaine ne permet pas le choix du temps : alors on taillera, malgré le froid, les portions les plus vigoureuses du vignoble, les plus maigres en automne ou au printemps ; celles qui sont exposées au midi, pendant le solstice d'hiver, et celles qui sont inclinées au nord, pendant le printemps ou l'automne. Il est hors de doute que la nature de ces arbrisseaux est telle que, plus tôt on les taille, plus ils donnent de bois, et que plus tard on fait cette coupe, plus ils rapportent de fruit.
XXIV. Au surplus, à quelque époque que le vigneron procède à la taille, il y a trois considérations principales qui doivent le diriger : d'abord il s'occupera surtout du fruit à faire produire ; ensuite il réservera pour l'année suivante le meilleur bois ; puis il pourvoira à la longue durée des ceps : la négligence d'un de ces points, quel qu'il soit, causerait le plus grand préjudice au maître. Le vignoble étant divisé en quatre parties, chacune d'elles regarde un des points cardinaux de l'horizon. Ces expositions ayant chacune des propriétés différentes, demandent aussi pour les vignes différents moyens de les traiter qui soient en rapport avec l'aspect qui leur a été donné. En conséquence, les bras étendus au septentrion doivent recevoir peu de plaies, surtout si les amputations ont lieu à l'approche des froids, qui brilleraient infailliblement les cicatrices. On ne laissera donc qu'un sarment près du joug, et l'on conservera au-dessous un courson qui, l'année suivante, renouvellera la vigne. Au contraire, du côté du midi, on ménage plusieurs sarments à fruit qui fourniront de l'ombrage à leur mère exposée à souffrir des ardeurs de l'été, et empêcheront les raisins de se dessécher avant leur maturité. Pour les points exposés soit à l'orient, soit à l'occident, il y a peu de différence à faire relativement à la taille, puisque les ceps reçoivent le soleil pendant autant d'heures sous l'une que sous l'autre de ces positions. C'est pourquoi il faudra agir d'après ce que dicteront la nature du terrain et la qualité du plant. Voilà pour le principe général ; parlons ensuite de son application particulière. Pour commencer par le pied de la vigne, je dirais presque par ses fondements, on en écarte la terre avec la doloire, et s'il sort des racines quelques-uns de ces rejetons que les paysans appellent suffragants, il faut les arracher avec soin, et polir avec le fer la plaie qui en résulte, afin que les pluies d'hiver ne s'y introduisent pas : car il vaut mieux arracher les rejetons qui poussent d'un endroit qui a été taillé que d'y laisser une plaie noueuse et raboteuse. Dans le premier cas, la cicatrice ne tarde pas à se fermer ; dans le second, elle se cave et pourrit. Après avoir ainsi donné des soins au pied de la vigne, on visitera les jambes et le tronc pour n'y pas laisser les pampres parasites qui auraient pu y naître, ni ces furoncles qui ressemblent à des verrues, à moins que la vigne, s'élevant au-dessus du joug, n'ait besoin d'être renouvelée par les sarments inférieurs. Si une portion du tronc a été coupée et se dessèche au soleil ; si la vigne a été creusée par les pluies ou par les animaux qui s'insinuent dans la moelle, il faut retrancher à la doloire tout le bois mort, puis nettoyer jusqu'au vif avec la serpette, afin que la cicatrice se forme sur une aire saine. Il n'est pas difficile d'enduire aussitôt les plaies bien polies avec de la terre détrempée dans de la lie d'huile : cet enduit conserve au fruit sa vigueur, éloigne les vers et les fourmis, et protégé la plaie contre le soleil et les pluies, outre qu'il la cicatrise promptement. On arrachera jusqu'à l'écorce vive les vieilles écorces sèches et effilées qui pendent le long du tronc : par ce moyen la vigne, débarrassée de ces sortes d'ordures, pousse mieux et communique au vin inclus de lie. La mousse aussi qui, comme une entrave, comprime le pied des vignes qu'elle lie, et qui les fait dépérir par la moisissure et par la saleté, doit être grattée et enlevée avec le fer. Voilà ce qu'il convient de faire pour la partie inférieure de la vigne. Il n'est pas moins utile de connaître les pratiques qui ont pour objet la conservation de sa partie supérieure. Les blessures qu'elle reçoit sur son tronc doivent être rendues obliques et rondes : elles se guérissent ainsi plus promptement et, jusqu'à ce que la plaie soit cicatrisée, l'eau s'en écoule avec plus de facilité ; tandis que lorsqu'elles sont horizontales elles reçoivent et retiennent plus d'eau. Le vigneron évitera donc cette faute avec soin ; il retranchera les sarments qui s'étendront trop, ainsi que ceux qui auront vieilli, qui seront de mauvaise venue, tortus et tournés vers le sol ; et respectera les jeunes brins droits promettant du fruit. Il conservera les bras tendres et verts ; coupera avec la serpe ceux qui sont desséchés et vieillis ; rognera les ergots des coursons de l'année. Quand la vigne se sera élevée à quatre pieds environ au-dessus du sol, il lui formera quatre bras dont chacun sera tourné du côté de l'X du joug ; alors il donnera à chaque bras un sarment s'il est maigre, ou deux s'il est bien nourri, et les conduira sans retard vers le joug. Mais il ne devra pas perdre de vue qu'il ne faut pas souffrir deux rameaux ou un plus grand nombre sur la même ligne ni sur un seul côté du bras : car il est très préjudiciable à la vigne que toutes les parties de ses bras ne travaillent point également : elle veut distribuer à ses enfants leur nourriture par portions égales. Sucée d'un seul côté, toute la sève s'y porte, y est épuisée, et la plante se dessèche comme si elle avait été frappée de la foudre. On appelle focané le sarment qui s'élève entre deux branches ; les paysans lui ont donné ce nom, parce que, né entre les deux bras dans lesquels la vigne se divise, il occupe cette sorte de gorge, et intercepte la nourriture de l'une et de l'autre de ces branches. Aussi, avant qu'il ait eu le temps de se fortifier, l'amputent-ils soigneusement comme un rival dangereux et aplanissent-ils le noeud qu'il a formé. Cependant, s'il a pris tellement de force, que les deux bras en aient souffert, il faut enlever le plus faible et laisser subsister le focané. Ce bras étant coupé, la mère nourrit également les deux parties conservées. En conséquence, on fixera à un pied au-dessous du joug la tête de la vigne, dont s'écarteront les quatre bras dont j'ai parlé, et sur lesquels on la renouvellera tous les ans, en coupant les vieux sarments et les remplaçant par des nouveaux, dont le choix sera fait avec discernement. En effet, là où beaucoup de sarments poussent avec force, le vigneron doit veiller à n'en pas laisser qui soient trop voisins du bois dur, c'est-à-dire près du tronc et de la tête, ni à leurs extrémités : ceux-là produisent peu pour la vendange, en ne donnant que de petites grappes, comme font les pampinaires ; ceux-ci épuisent la vigne, parce qu'ils se chargent de trop de fruit, et se prolongent jusqu'au second ou au troisième pied, ce qui offre des inconvénients, ainsi que nous l'avons dit. Il faut donc conserver pour plus d'avantage les branches du milieu des bras, lesquelles n'enlèvent pas l'espoir d'une bonne récolte, et n'amaigrissent pas le cep. Quelques agriculteurs provoquent, par excès d'avidité, une abondance de fruits, en dressant les jets de l'extrémité et du milieu, et en coupant pour courson le sarment le plus rapproché du bois dur : ce que je ne crois pas bon à faire, à moins que l'excellence du sol et la force du tronc le permettent : car dans cet état les grappes se pressent tellement entre elles qu'elles ne sauraient acquérir une maturité parfaite, si elles ne sont favorisées par la fertilité de la terre et la vigueur du tronc. Le sarment subsidiaire et le courson ne doivent pas être rabattus en manière de pouce, quand les branches, dont on attend de prochains fruits, sont établies convenablement : car, où vous les aurez liées et courbées vers la terre, vous provoquerez au-dessous de la ligature l'émission de nouveaux jets. Si, au contraire, de la tête de la vigne s'élancent des sarments plus longs que n'ont coutume de le permettre les cultivateurs, et qu'elle projette ses bras jusque sur les auvents que forment les autres jougs, nous laisserons sur le tronc un fort courson et le meilleur qu'il sera possible de conserver, pourvu de deux ou de trois noeuds, duquel, comme d'un pouce, s'élancera, l'année suivante, un jet dont on formera un bras nouveau. Ainsi coupée et renouvelée, la vigne sera contenue dans les bornes de son joug. Pour la conduite du courson, voici ce qu'il faut observer avec attention. D'abord la plaie ne doit pas être horizontale et regarder le ciel, mais oblique et dirigée vers la terre : par cette précaution, elle se garantit elle-même des frimas et de l'ardeur du soleil. Ensuite la taille se fera non pas en forme de flèche, mais en forme d'ongle : en effet, la première méthode fait mourir le bois plus tôt et dans une plus grande étendue, tandis que la seconde l'empêche plus longtemps de sécher et restreint le mal dans un moindre espace. Il faut surtout éviter une pratique des plus funestes, inconsidérément suivie par nombre de vignerons qui, n'ayant égard qu'au coup d'oeil, tranchent le sarment près du noeud, afin que le courson soit plus court et ressemble au pouce. Ce mode d'amputation est très préjudiciable, en ce que l'oeil, trop rapproché de la plaie, a beaucoup à souffrir des frimas, du froid, et aussi de la chaleur. Il est donc préférable de couper le sarment subsidiaire vers le milieu de deux noeuds, et de donner à la section une inclinaison qui soit dirigée du côté opposé à oeil, de peur que, comme nous l'avons dit, elle ne l'inonde de ses pleurs et ne le fasse tomber quand elle bourgeonnera. Dans le cas où il ne serait pas possible de faire un courson, il faut tâcher de faire naître un furoncle, qui, quoique coupé très court en manière de verrue, poussera, au printemps suivant, un bois propre à être disposé en bras ou en sarment à fruit. Si on n'a pas même cette ressource, la vigne sera entamée avec le fer, et l'on irritera la place au point d'où l'on veut faire jaillir un pampre. Je crois encore qu'il est urgent de débarrasser des vrilles et des rejets les sarments dont on veut obtenir du fruit. Mais, pour les enlever, il ne faut pas opérer de la même manière que pour ceux qui sortent du tronc : en effet, tout ce qui provient du bois dur doit être, sans ménagement, coupé ras, et raclé avec la serpe, afin que la plaie se cicatrise plus promptement. Quant aux pampres qui naissent sur des sarments tendres, comme les simples rejetons, on les rabat avec plus de douceur, parce qu'ils portent presque toujours un bourgeon latéral qu'il faut prendre garde de toucher avec la serpette ; en effet, si on appliquait le fer trop rudement, on enlèverait en totalité, ou du moins on endommagerait ce bourgeon ; d'où il résulterait que le sarment, qui est près de germer, se trouverait affaibli, produirait moins, et serait moins capable de résister aux vents, puisqu'il serait sorti de la cicatrice dépourvu de toute vigueur. Il est difficile de fixer la longueur que doit avoir le sarment conservé. Cependant les vignerons, pour la plupart, la déterminent de manière que, recourbé au sommet du joug et descendant de là, il ne puisse arriver jusqu'au sol. Nous pensons qu'il faut considérer la chose d'une manière moins superficielle. On doit donc avoir égard, d'abord, à la nature de la vigne : car, si elle est vigoureuse, elle peut porter de plus longs bois ; ensuite à la qualité du terrain : car, s'il est maigre, la vigne la plus robuste ne tarderait pas à périr exténuée par des sarments trop étendus. A la vérité, on juge de la longueur des branches bien moins par leur étendue que par le nombre de leurs yeux : aussi, lorsqu'il y a un grand espace entre les noeuds, on peut les laisser filer jusqu'à ce qu'elles touchent presque la terre : car alors elles ne donnent que lieu de pampres ; quand, au contraire, les noeuds sont très rapprochés les uns des autres et que les yeux sont nombreux, le sarment, quoique court, se couvre de beaucoup de bois à fruit et produit des grappes en abondance : aussi est-il nécessaire d'user dans ce cas de beaucoup de mesure, afin de ne pas donner une surcharge de fruits à des branches qui dépasseraient la juste proportion. Le vigneron doit encore considérer si la vendange de l'année précédente a été abondante ou non : car après une ample récolte, on doit épargner la vigne, et dès lors tailler court ; tandis qu'après une vendange chétive, on est en droit d'exiger davantage. Au reste, nous pensons encore que tout cet ouvrage doit être exécuté avec des instruments bien trempés, à lame mince et bien affilée car une serpe émoussée, ébréchée et de mauvaise qualité retarde le vigneron, l'empêche de faire beaucoup d'ouvrage, et le fatigue davantage. En effet, soit que le tranchant se courbe, ce qui arrive quand le fer est trop tendre, soit qu'il pénètre mal, ce qui a lieu quand il est émoussé ou trop épais, il exige de plus grands efforts. Il faut dire aussi que les plaies raboteuses et inégales déchirent les vignes, quand l'amputation a eu lieu, non d'un seul coup, mais de plusieurs coups répétés. Il en résulte que souvent on brise ce qui devait être tranché net, et que la vigne, ainsi déchirée et couverte d'aspérités, pourrit sous l'influence des pluies, et que ses blessures ne se cicatrisent pas. Il faut donc avant tout prévenir le vigneron de bien aiguiser ses outils, et, autant qu'il est possible, de leur donner un fil aussi tranchant que celui d'un rasoir. Il doit savoir aussi de quelle partie de son fer il faut faire usage pour telle ou telle nature de son travail ; car j'ai vu beaucoup d'ouvriers qui, faute de cette connaissance, ruinaient les vignobles.
XXV. Voici la description de la serpe du vigneron, telle qu'elle doit être disposée : la partie la plus rapprochée du manche et dont le tranchant est droit, s'appelle le couteau, à cause de sa ressemblance avec cet instrument ; on appelle courbure, la partie concave ; scalpel, le tranchant qui descend de la courbure ; bec, la pointe recourbée du tranchant ; hache, l'espèce de croissant qui est placé au-dessus du bec ; et glaive, la pointe horizontale qui se trouve à l'extrémité. Pour le vigneron tant soit peu expérimenté, chacune de ces parties a sa destination particulière. En effet, quand il doit couper en avant des branches qu'il contient de la main, il emploie le couteau ; quand il les attire à lui, il se sert de la courbure ; pour polir une plaie, il use du scalpel ; le bec lui sert pour creuser ; la hache, pour couper en frappant ; et le glaive, pour nettoyer les endroits qui présentent une certaine profondeur. La plus grande partie du travail des vignes s'exécute plutôt en ramenant la main vers soi qu'en frappant : car la plaie faite de la première manière se trouve polie du même trait ; et le vigneron appliquant son instrument au point qu'il désire atteindre, le coupe mieux. Au contraire, celui qui frappe, s'il manque la portée de son coup, ce qui arrive souvent, blesse le cep de plusieurs atteintes. L'amputation la plus sûre et la plus avantageuse est celle qui, comme je l'ai dit, s'opère en ramenant la serpe vers soi, et non par le choc de l'instrument.
XXVI. Ces opérations terminées, suit, comme nous l'avons déjà dit, le soin de soutenir la vigne et de la mettre au joug. Pour l'étayer, l'échalas est meilleur que le pieu ; toutefois, il y a encore un choix à faire. Les bons échalas se font d'olivier, de chêne, de liège, et autres variétés de ces dernières essences, lesquels ont été fendus avec des coins. On met au troisième rang en qualité les échalas ronds, dont les meilleurs sont de genièvre, de laurier et de cyprès. On emploie encore fort bien à cet usage le pin sauvage et même le sureau. Au surplus, quels que soient les appuis qu'on adopte, il faut les soigner, retrancher à la doloire les parties pourries, retourner ceux qui sont restés sains, enlever ceux qui seraient cariés ou devenus trop courts, les remplacer par de plus convenables, relever ceux qui seraient abattus, et redresser ceux qui seraient inclinés. Si le joug n'a pas besoin d'être reconstruit, on y mettra de nouveaux liens ; s'il paraît hors de service, on assemblera des perches ou des roseaux pour y attacher la vigne avant de la fixer à son pieu, et enfin, de même que nous l'avons conseillé pour les jeunes plants, nous la lierons à son échalas vers sa tête et au-dessous de ses bras. Il ne faudra pas placer le lien au même point tous les ans, de peur qu'il ne la coupe et n'étrangle son tronc. Nous donnerons ensuite aux bras les quatre directions que présente l'étoile du joug sur lequel nous lierons les jeunes sarments à fruit, sans contrarier la nature, mais en les courbant légèrement, selon qu'ils s'y prêteront, pour ne pas les briser par une inflexion forcée et ne pas faire tomber les bourgeons déjà gros. Lorsque deux branches se dirigent vers un même point du joug, on place entre elles une perche qui les sépare et qui dirige ces sarments à fruit sur la partie supérieure du joug, d'où, plongeant en quelque sorte, ils descendent vers la terre. Pour faire sciemment cette opération, le vigneron qui attache les liens se souviendra de ne pas tordre le sarment en le fixant, mais de se borner à l'incliner, de manière que tout le bois qui peut être conduit en bas paraisse plutôt appuyé sur la perche que suspendu au lien. J'ai souvent remarqué que, par inattention, les paysans attachent au joug leurs sarments à fruit, de manière qu'ainsi liés, ils pendent de leur ligature seule ; ce qui a pour résultat de la rompre aussitôt qu'elle a le poids des pampres et des raisins à supporter.
XXVII. La vigne étant établie d'après nos préceptes, nous nous hâterons de la nettoyer et de la débarrasser de ses sarments et de ses débris d'échalas. Il est bon toutefois qu'alors le sol soit sec pour les recueillir, sans quoi la terre mouillée, étant piétinée, occasionnerait à celui qui doit fouiller la terre une trop grande fatigue dans ce travail qu'on doit faire exécuter sans retard pendant que le cep ne bouge pas encore : car, si l'on mettait l'ouvrier parmi des sarments qui commencent à bourgeonner, il ferait tomber une grande partie de la vendange. Aussi, avant la pousse, entre l'hiver et le printemps, faudra-t-il fouir les vignes profondément, afin que leur végétation soit plus gaie et plus riante ; puis, lorsqu'elles se sont revêtues de feuillages et de grappes, on arrêtera les jets tendres et non encore adultes. Le vigneron qui a précédemment employé le fer, n'aura maintenant à recourir qu'à la main pour ce travail, afin de donner de l'air, au cep et de retrancher les pampres superflus : il importe que cette opération soit faite avec intelligence, puisque l'épamprement est encore plus profitable aux vignes que la taille : la dernière, en effet, quelque utile qu'elle soit, blesse pourtant l'arbrisseau, puisqu'elle exige qu'on le coupe, tandis que le premier procure sans blessure un traitement plus doux, et prépare pour l'année suivante une taille plus facile ; il laisse d'ailleurs moins de cicatrices à la vigne, qui se guérit bien vite de l'enlèvement de branches vertes et tendres. Ajoutons à ces considérations que les sarments qui ont du fruit acquièrent plus de vigueur, et que les raisins exposés aux rayons du soleil arrivent mieux à maturité. Un vigneron habile, et qui surtout entend ses intérêts, doit donc examiner et, juger sur quels points il laissera croître son bois pour l'année suivante, et non seulement enlever les sarments qui n'ont pas de fruit, mais aussi ceux qui en sont pourvus, si leur nombre est trop considérable : si donc il arrive que certains yeux produisent trois jets, il faudra en retrancher deux pour que celui qui restera puisse facilement se nourrir ; car un cultivateur expérimenté doit juger si la vigne est couverte de plus de fruits qu'elle n'en peut porter. C'est pourquoi non seulement il enlèvera les feuilles superflues, ce qu'il faut toujours faire, mais quelquefois aussi une partie du fruit, pour soulager la vigne accablée par sa propre fécondité. Le vigneron habile agira ainsi par plusieurs motifs, quand même l'arbrisseau n'aurait pas plus de fruit qu'il n'en peut conduire à maturité. En effet, si, pendant plusieurs années, la vigne a été fatiguée par des récoltes abondantes, il convient de la laisser reposer et se refaire, et ainsi préparer l'avenir de son bois. Au reste, casser la pointe des jeunes sarments pour arrêter leur essor excessif ; enlever du bois dur ou du tronc tous les pampres qui s'en échappent, à moins qu'on n'en réserve un ou deux pour renouveler la vigne ; extirper à la partie supérieure tout ce qui pousse entre ses bras, et la débarrasser des rejetons qui, stériles sur le vieux bois, occupent inutilement leur mère : c'est l'ouvrage du premier venu, et même d'un enfant.
XXVIII. Le temps le plus avantageux pour l'épamprement de la vigne, est celui qui précède sa floraison ; et il n'est pas inutile, après cette période végétale, de répéter la même opération : mais il ne faut pas entrer dans les vignes durant les jours intermédiaires pendant lesquels les grappes se forment, parce qu'il est nuisible au fruit de l'agiter quand il est encore en fleur. Lorsqu'il sera parvenu à sa puberté, et presque à l'adolescence, on le liera, on le dégarnira de tout le feuillage, et on favorisera son accroissement par de fréquents labours ; car il prend d'autant plus de développement que la terre est mieux ameublie. Je ne nie pas qu'avant moi la plupart des maîtres en agriculture se contentaient de trois binages ; et Grécinus entre autres s'exprime ainsi : «Pour un vignoble en état on peut se contenter de trois labours. » Celse aussi et Atticus s'accordent à dire que la vigne, ou plutôt tout arbre, a trois mouvements naturels : le premier, quand elle commence à bourgeonner ; le second, quand elle fleurit ; le troisième, quand ses fruits mûrissent. Ces deux derniers auteurs pensent qu'ainsi il est conséquent d'exciter ces mouvements par des serfouissages. La nature, en effet, ne parvient à faire ce qu'elle veut, qu'autant qu'elle est secondée par le travail uni à l'étude. Tels sont les soins que réclame la culture de la vigne jusqu'au moment de la vendange.
XXIX. Je reviens maintenant à cette partie de ma discussion qui a pour objet la greffe des vignes et les soins qui doivent suivre cette opération. Jules Atticus fixe pour pratiquer la greffe tout l'intervalle compris entre les calendes de novembre et celles de juin, espace durant lequel il affirme qu'on peut conserver une greffe sans qu'elle pousse. Nous devons en conclure qu'il n'y a d'exception pour aucune partie de l'année, pourvu qu'on puisse empêcher le sarment d'entrer en sève. J'accorderais volontiers qu'on pût agir ainsi à l'égard de toutes les espèces d'arbres dont le liber a plus de consistance et de cambium que la vigne ; pour la vigne, ma bonne foi ne me permet pas de dissimuler qu'il y aurait une témérité excessive à permettre pendant tant de mois cette greffe aux agriculteurs : je n'ignore pas pourtant que quelquefois une greffe opérée au solstice d'hiver a réussi ; mais il ne faut pas se fier au résultat naturellement hasardeux d'une ou de deux expériences, et il ne faut conseiller à ceux qui s'instruisent que ce qui, après de nombreuses observations, a été reconnu arriver le plus souvent. Pourtant, jusqu'à un certain point, je ne m'opposerais pas à cet essai, si on n'en courait les risques que sur un petit nombre de sujets, parce qu'alors on pourrait remédier à cette témérité par un redoublement de soins ; mais du moment où l'immensité du travail absorberait tous les instants du cultivateur le plus diligent, je dois tout faire pour le détourner de cette pratique. Ce que prescrit Atticus est donc contraire à tous les principes ; en effet, lui-même nie qu'on puisse avantageusement tailler la vigne au solstice d'hiver. Cette opération, qui pourtant la blesse moins, doit être à bon droit interdite, parce que toute jeune plante souffre et s'engourdit par l'effet du froid, et que les frimas s'opposent aux efforts que fait l'écorce pour recouvrir et guérir la plaie. Et ce même Atticus ne défend pas de greffer à cette époque, quoique, d'après ses prescriptions mêmes, il faille, pour, le faire, couper en totalité la tête de la vigne, et fendre le cep à l'endroit de l'amputation. Il est plus rationnel de greffer lorsque, après l'hiver, le temps s'est attiédi ; que naturellement l'écorce et les bourgeons entrent en mouvement, et qu'il n'y a plus à redouter de froids assez violents pour brûler ou la greffe insérée, ou la plaie qui résulte de la fente. Je permettrais cependant aux cultivateurs qui craignent de s'attarder, de greffer leurs vignes en automne, parce que la température de cette saison diffère peu de celle du printemps. Au surplus, quelle que soit l'époque qu'on adopte, on n'aura à donner, pour le choix des greffes, d'autres soins que ceux que nous avons prescrits dans le livre précédent, quand nous avons parlé du choix des marcottes. Ainsi, lorsqu'on aura eu coupé ces sarments vigoureux, féconds et bien mûris, on choisira un jour y où la température sera douce et l'air calme. Alors on examine si le sarment est bien rond, si le bois en est ferme, si la moelle a de la consistance, si les yeux sont nombreux, et si les entre-noeuds offrent peu d'intervalle car il importe que le sarment à insérer ne soit pas long, et qu'il soit pourvu de plusieurs yeux par où il puisse germer. Si les entre-noeuds sont fort longs, il faut réduire ce sarment à un oeil ou deux, afin qu'il ne soit pas assez élevé pour être ébranlé et pour avoir à souffrir des tempêtes, des vents et des pluies. On greffe la vigne soit en la coupant, soit en perforant son tronc avec une tarière. La première méthode, la plus répandue, est connue de presque tous les cultivateurs ; la seconde, moins commune, n'est guère usitée. Je parlerai donc d'abord de celle qui est le plus en usage. Ordinairement on coupe la vigne au-dessus du sol, quelquefois pourtant un peu au-dessous : ce qui, dans le dernier cas, offre l'avantage de la solidité et de l'absence de noeuds. Quand on greffe rez terre, on enfouit la greffe, jusqu'au haut ; mais si elle est au-dessus du sol, on enduit soigneusement la fente avec de la boue, sur laquelle on applique de la mousse qu'on assujettit par une ligature ; c'est le moyen de n'avoir rien à redouter ni des chaleurs ni des pluies. On taille le sarment à insérer comme le bec d'une flûte, de manière qu'il remplisse bien la fente, au-dessous de laquelle il est à désirer qu'il se trouve un noeud pour arrêter cette ouverture et l'empêcher de descendre plus bas. Quand bien même ce noeud serait à quatre doigts au-dessous de l'amputation du cep, il faudrait pourtant le serrer encore avec un lien, afin que lorsque l'on fendra le tronc, le scalpel, ouvrant le chemin à la greffe, ne produise pas une plaie trop béante. Cette greffe ne doit pas être aiguisée sur une hauteur de plus de trois doigts, et cette partie doit être ratissée avec assez de soin pour être bien unie. La coupe sera conduite de manière que, d'un côté, elle atteigne la moelle ; que, de l'autre, elle ne dépasse qu'un peu l'écorce, et qu'elle ait la figure d'un coin : ainsi la greffe, aiguisée par le bas, sera plus amincie sur un de ses côtés, et plus pleine sur l'autre. Insérée par ce premier côté, le resserrement s'opérera sur le plein, et la fente sera entièrement remplie : car si l'écorce ne se joint pas à l'écorce sans laisser aucun jour, la reprise n'aura pas lieu. On assujettit la greffe au moyen de plusieurs sortes de liens les uns la serrent avec de l'osier ; d'autres l'entourent d'écorces ; d'autres, et c'est le plus grand nombre, la lient avec du jonc, ce qui est le plus convenable : car l'osier en séchant pénètre et coupe l'écorce de la vigne. C'est pour éviter cet inconvénient, que nous approuvons les ligatures un peu lâches, que l'on peut, après en avoir entouré le tronc, resserrer au moyen de petits coins de roseau. Ce qui importe avant tout, c'est de déchausser la vigne, de couper les racines qui sont à la surface du sol ou les rejetons, et ensuite de recouvrir le tronc de terre. Quand la greffe sera bien prise, il y aura d'autres soins à donner à la vigne ; on l'épamprera souvent, dès qu'elle commencera à bourgeonner, et l'on enlèvera fréquemment les rejetons qui partiront du tronc et des racines. Alors les pousses de la greffe seront assujetties par un lien, de peur qu'agitée par le vent, la greffe elle- même ne soit ébranlée et arrachée, et que le pampre, encore tendre, ne soit brisé. Dès qu'il a poussé suffisamment, on lui enlève ses collatéraux, à moins qu'on ne les destine à des provins en raison du besoin qu'on en a pour garnir une place vide. Ensuite, à l'automne, on coupe à la serpe les sarments dont le bois est mûr. La taille sur les greffes, dans le cas où on n'aura pas besoin de provins, se fera de la manière suivante : on conduira un seul sarment au joug, et on coupera le surplus de manière que la plaie soit faite à ras du tronc, en évitant toutefois de l'écorcer. Le mode de l'épamprement ne diffère pas de celui qu'on emploie pour les jeunes marcottes enracinées ; mais il faut couper court les quatre premières années, jusqu'à ce que la plaie de la fente soit bien cicatrisée. Tels sont les procédés relatifs à la greffe en fente. Quant à la greffe par térébration, il est nécessaire de rechercher le cep le plus fécond dans le voisinage de la vigne à greffer : vous en attirez un sarment sans le séparer de sa mère, et vous introduisez dans le trou que vous aurez pratiqué ce brin qui appartient désormais à deux sujets différents. Cette greffe est la plus sûre et la plus certaine puisque, si elle ne prend pas au printemps prochain, elle sera, au suivant, forcée par l'accroissement qu'elle aura acquis de se joindre à sa mère adoptive, et pourra être, par l'amputation, sevrée de sa mère naturelle. Alors on décapite la vigne greffée au point où elle a admis le sarment. Si on n'a pas à sa proximité un sarment qu'on puisse conduire, on en choisit un ailleurs, aussi jeune qu'il est possible, et, après l'avoir enlevé du cep et l'avoir légèrement ratissé tout autour de manière à n'enlever que l'épiderme ; on l'adapte au trou pratiqué, puis on enduit de boue la vigne après l'avoir coupée, afin que tout le tronc soit employé à nourrir le sarment étranger : ce qui n'est pas nécessaire à l'égard du sarment amené, qui est nourri du sein maternel jusqu'à ce qu'il ait acquis assez d'accroissement. L'instrument dont nos ancêtres se servaient pour perforer les vignes, diffère de celui que j'ai trouvé le plus propre à l'opération que je décris ici. L'ancienne tarière, la seule que les anciens agriculteurs connussent, produirait de la sciure et brûlait la partie qu'elle avait perforée. Or, ce point brûlé se rétablissait fort rarement ou bien il ne croissait pas avec les autres parties, et le sarment qu'on y introduisait ne prenait pas. D'ailleurs, la sciure ne pouvait jamais être assez bien enlevée pour qu'il n'en adhérât pas une portion aux parois du trou : ainsi, par cette interposition, elle empêchait le sarment de s'unir au corps de la vigne. Nous avons découvert que la tarière, que nous appelons gauloise, est pour cette espèce de greffe beaucoup plus avantageuse et plus utile ; car elle perce le tronc sans brûler les parois du trou, puisqu'elle ne produit pas de sciure, mais des copeaux qui, enlevés, laissent une plaie bien nette, à laquelle adhère très facilement et sur toute sa surface le sarment introduit, qui n'est plus en quelque sorte isolé par la bourre que produisait l'ancienne tarière. Que la greffe de vos vignes soit donc terminée vers l'équinoxe du printemps ; et placez la vigne à raisins noirs dans les lieux arides et secs, et celle qui en donne de blancs dans les emplacements humides. Il n'y a aucune nécessite de multiplier les greffes sur un même tronc, quand sa grosseur est tellement médiocre, que la pousse d'un rameau inséré suffit pour recouvrir la plaie, à moins cependant que le sol qui l'avoisine, étant dégarni, ne réclame une vigne pour remplacer un cep mort. Dans ce cas, de deux sarments insérés, l'on enterrerait l'un en forme de sautelle, et l'on ferait monter l'autre au joug pour qu'il y fructifie. Il n'est pas inutile, non plus, d'élever les pampres nés sur l'arc de la sautelle, et l'on pourra bientôt, s'il est utile de le faire, les provigner, ou les conserver pour rapporter du fruit.
XXX. Puisque nous avons traité les objets qui nous ont paru les plus utiles à prescrire sur la création et sur la culture d'un vignoble, il est convenable d'enseigner à bien choisir les échalas, les jougs et les liens. On les prépare à l'avance comme une sorte de dot à donner aux vignes. Si le cultivateur n'est pas pourvu de ces objets, il devra se garder de former des vignobles, puisqu'il lui faudrait aller hors de sa terre chercher toutes ces choses indispensables, et qu'alors, comme le dit Atticus, l'acquisition en serait non seulement onéreuse, et augmenterait d'autant plus les dépenses de ses vignes, mais le transport difficile, puisqu'il ne pourrait avoir lieu que dans la saison si défavorable de l'hiver. C'est pourquoi, avant tout, on doit avoir en sa possession des souches d'osier, des plants de roseaux, des taillis de bois commun ou des plantations de châtaigniers établies pour cet usage. Atticus pense qu'un jugère d'oseraie peut suffire pour lier vingt-cinq jugères de vigne ; que la même étendue de roseaux produit assez pour dresser les jougs de vingt jugères ; et qu'un jugère aussi de châtaigneraie fournira tous les pieux nécessaires à ces vingt jugères. L'osier, quoique venant assez bien en plaine et en terre grasse, préfère un sol arrosé ou naturellement humide. Comme le prescrivent les anciens, le terrain destiné à l'oseraie sera foui avec la houe à la profondeur de deux pieds et demi. Peu importe l'espèce que vous plantiez, pourvu qu'elle soit très flexible. Toutefois on compte trois principales variétés de l'osier : le grec, le gaulois, le sabin, que quelques personnes appellent amérin. Le grec est jaune ; le gaulois, pourpre, sale et à brins très fins ; l'amérin porte des baguettes grêles et rouges. On les plante soit par cimes, soit par boutures. Les perches des cimes de moyenne grosseur, pourvu toutefois qu'elles n'excèdent pas celle d'un poids de deux livres, réussissent fort bien quand on a la précaution de les enfoncer en terre de manière que leur sommet seul paraisse. Les boutures qui n'ont qu'un pied et demi ne seront que légèrement recouvertes de terre après qu'elles y auront été enfoncées. Si le sol est arrosé, il faut laisser entre les plants plus d'intervalle, et on les dispose en quinconce à six pieds de distance ; en terrain sec, on rapproche davantage, mais en laissant toutefois un libre accès aux ouvriers : cinq pieds entre chaque ligne seront suffisants, et les plants de ces lignes ne devront offrir entre eux qu'un espace vide de deux pieds. Le moment de planter les osiers est celui qui précède le développement de leurs bourgeons, tandis que la sève n'anime point les baguettes. Il ne convient d'enlever celle-ci aux arbres que lorsqu'elles sont sèches ; car si elles étaient mouillées, elles ne pousseraient qu'avec peu de vigueur ; c'est pourquoi on évite de tailler les saules les jours où il pleut. Pendant les trois premières années de la plantation, on binera souvent le sol de l'oseraie, comme on le fait pour les nouveaux vignobles ; mais une fois due les plants ont pris de la force, ils se contentent, de trois serfouissages : toute autre manière de les cultiver leur est promptement funeste, puisque, même en suivant scrupuleusement les prescriptions que nous venons de donner, il en périt un grand nombre. Pour les remplacer, il faudra avoir recours aux sautelles, qu'on tirera des cépées les plus voisines, en courbant et enterrant des cimes propres à suppléer tout ce qui a péri. Au bout d'un an, la sautelle est séparée du tronc qui l'a produite, pour qu'elle puisse, comme la vigne, subsister par ses propres racines.
XXXI. Les localités très arides, qui ne peuvent admettre les arbrisseaux dont nous venons de parler, plaisent au genêt. Les liens qu'on en forme sont à la fois assez fermes et très flexibles. On le multiplie de graines : et deux ans après qu'il est sorti de terre, on le transplante, ou bien, si on le laisse en place, on peut, après ce temps, le couper près de terre tous les ans, comme on le fait pour les moissons. Les autres espèces de liens, tels que ceux qu'on tire des ronces, exigent plus de soins ; mais il est des cas où ces soins deviennent nécessaires. Le saule dont on fait des perches demande le même terrain que celui dont on tire des liens : il pousse mieux toutefois dans un lieu arrosé. On le plante par boutures, et lorsqu'elles ont jeté des rameaux, on les réduit à une seule perche, on serfouit souvent, on arrache les herbes, on ébourgeonne comme on épampre la vigne, afin qu'il pousse en hauteur au lieu de s'étendre en largeur. Ainsi cultivé, il est bort à couper quand il est parvenu à sa quatrième année. Quant à l'osier dont on veut faire des liens, on peut le couper dès la première année à deux pieds et demi au-dessus du sol, afin que de ce point du tronc il produise beaucoup de branches, et soit disposé en bras comme les vignes basses ; cependant, si le sol est sec, on ne pourra le couper qu'à l'âge de deux ans.
XXXII. Le roseau exige un moindre défoncement du sol ; toutefois il vient mieux quand il est planté au louchet. Comme cette plante est très vivace, elle s'accommode de tous les terrains ; elle préfère cependant un sol meuble à une terre compacte, un sol humide à une terre sèche, la vallée au coteau. Il convient mieux aussi de le placer sur les bord des fleuves, sur les lisières des sentiers et dans les lieux remplis d'épines, qu'au milieu des champs. On le propage soit au moyen des caïeux, soit par bouture, soit enfin en couchant sa tige entière. Les caïeux recouverts de terre à trois pieds de distance les uns des autres, produisent en moins d'un an une perche bien formée ; la bouture et la tige couchée, la font attendre plus longtemps. Soit qu'on emploie une bouture de deux pieds et demi, soit que l'on couche un roseau tout entier, il faut que leur sommité s'élève un peu au-dessus du sol ; car si cette partie était sous terre, le tout pourrirait infailliblement. Durant les trois premières années, on ne cultive pas le roseau autrement que les autres plants dont nous venons de parler ; plus tard, quand il a vieilli, on le serfouit de nouveau : on reconnaît qu'il est devenu vieux lorsqu'il se dessèche et ne produit rien pendant plusieurs années, ou que la cépée est tellement épaisse que ses jets sont grêles et semblables il la canne. Dans le premier cas, on doit en débarrasser entièrement le terrain ; dans le second, il suffit de retrancher quelques pieds pour éclaircir le plant : opération que les paysans appellent castration. Un tel retranchement toutefois ne peut se faire qu'aveuglément, puisqu'on ne voit pas au- dessus du sol ce qu'il faut enlever on conserver. Au reste, il est plus à propos de châtrer le roseau avant le moment de la coupe, puisque les chalumeaux indiquent alors clairement ce qu'il est convenable d'extirper. Le temps favorable pour biner et planter les roseaux est celui qui précède la sortie des yeux. On les coupe ensuite ; après le solstice d'hiver ; car, jusqu'à cette époque, ils prennent de l'accroissement, puis ils s'arrêtent quand le froid de l'hiver les engourdit. On donne aux roseaux autant de labours qu'aux vignobles. Si le terrain est maigre, on vient, à son secours en y répandant de la cendre oui tout autre amendement : c'est pour cela que la plupart des cultivateurs mettent le feu dans leurs plans de roseaux après les avoir coupés.
XXXIII. Le châtaignier approche beaucoup du chêne rouvre par ses qualités, aussi est-il très propre à fournir des soutiens aux vignes. La châtaigne, plantée dans un terrain défoncé avec la houe à deux dents, lève promptement, et, au bout de cinq ans, le plant, recépé comme le saule, donne des pieux qui durent presque jusqu'à la coupe suivante. Il se plaît en terre légère et meuble ; il s'accommode aussi de sablon humide ou de tuf brisé ; il réussit bien sur les coteaux couverts et inclinés au nord ; il redoute un sol compacte et rougeâtre. Pendant tout l'hiver, à partir du mois de novembre, on sème le châtaignier en terre sèche et défoncée à la profondeur de deux pieds et demi. Les châtaignes sont placées à distance d'un demi-pied, et un intervalle clé cinq pieds est laissé entre les lignes. La châtaigne doit être déposée dans des sillons creusés à neuf pouces de profondeur. Après cette plantation, avant d'aplanir le terrain, on fiche à côté de chaque semence un petit roseau au moyen duquel le cultivateur peut en toute sûreté retourner la terre et sarcler. Dès que la semence a produit des sujets transportables, et ils sont tels à deux ans, on éclaircit en laissant un intervalle de deux pieds entre chacun des sujets, de peur que, trop pressés, ils ne maigrissent. Ce n'est que pour obvier aux éventualités qu'on a semé plus dru qu'il n'est nécessaire : en effet, il peut arriver que, avant de sortir de terre, la châtaigne se dessèche par l'effet des chaleurs arides, ou pourrisse noyée par des pluies surabondantes ; quelquefois aussi elle est dévorée par les animaux souterrains, tels que les mulots et les taupes : aussi voit- on souvent les nouvelles châtaigneraies dégarnies. Quand il faut les repeupler, il vaut mieux, si on le peut, coucher en manière de sautelle une branche de châtaignier voisin, que d'arracher des sujets pour les planter. En effet, cette branche restée en quelque sorte immobile à sa place, pousse vigoureusement, tandis que l'arbre, transplanté après avoir été arraché avec ses racines, souffre pendant deux ans de cette opération. Aussi, d'après cette observation, a-t-on jugé avantageux de former un bois de cette espèce plutôt par le semis que par la plantation enracinée. D'après les intervalles que nous avons déterminés ci-dessus pour l'ensemencement des châtaignes, un jugère en recevra deux mille huit cent quatre-vingts, qui produiront aisément douze mille échalas, ainsi que le dit Atticus. En effet, les branches coupées près du tronc fournissent ordinairement quatre échalas de fente, et les branches secondaires du même arbre, fendues aussi, en donnent deux : ces espèces de soutiens, ainsi fendus, ont plus de durée que les pieux ronds. La culture du châtaignier, en ce qui concerne sa plantation et ses labours, est la même que pour la vigne. On l'émonde à deux airs, même à trois, et, au commencement du printemps, ou y applique deux fois le fer pour l'exciter à prendre de la hauteur. On peut aussi semer le chêne par le même procédé ; mais on le coupe deux ans plus tard que le châtaignier. Aussi est-il raisonnable, pour gagner du temps, de semer de préférence ce dernier, à moins qu'on ne possède des montagnes buissonneuses et graveleuses, et de ces espèces de terre dont irons avons parlé ci-dessus, lesquelles demandent plutôt du gland que de la châtaigne. J'ai jusqu'ici parlé avec développement et non sans quelque utilité, je pense, des vignes d'Italie et des instruments qui leur conviennent ; je vais maintenant traiter de la culture des vignes telle que la pratiquent les agriculteurs des provinces, et en même temps de celle des plants d'arbres mariés aux vignes dans notre pays et en Gaule.
I. Vous m'avez dit, Silvinus, que dans les livres précédents que j'ai écrits pour vous sur la création et la culture des vignobles, il manquait bien des choses que ceux qui s'occupent de l'agriculture désireraient y trouver. Je ne nie pas que j'aie omis quelques détails, quoique j'aie recherché avec soin tout ce qu'ont écrit les anciens agronomes, ainsi que ceux de notre siècle ; toutefois, lorsque j'ai promis de donner les préceptes de l'économie rurale, je n'avais pas, si je ne me trompe, pris l'engagement d'embrasser la totalité, mais de dire le plus important de ce que contient la vaste étendue de cette science : car une telle entreprise serait au-dessus des forces d'un homme, puisqu'aucune science, aucun art n'a été porté à sa perfection par un seul génie. C'est pourquoi, comme dans une grande forêt, un bon chasseur a fait son devoir en prenant le plus de bêtes sauvages qu'il a pu, et qu'on ne saurait lui reprocher d'en avoir laissé échapper quelques-unes ; de même il nous suffit, et c'est beaucoup assurément, d'avoir traité la plus grande partie de la matière immense que nous avons exploitée : d'autant mieux que les objets dont on regrette, comme on dit, l'omission, sont étrangers à notre profession. Récemment notre cher M. Trebellius, me demandant des renseignements sur le mesurage des champs, prétendait qu'après avoir enseigné la manière de travailler la terre avec la houe à deux dents, je devais, comme complément indispensable, dire comment on peut ensuite la mesurer ; mais je lui répondis que c'était le devoir, non d'un agriculteur, mais d'un arpenteur, puisque les architectes eux-mêmes, qui doivent être experts dans l'art des mesures, ne daignent pas fixer celle des édifices achevés dont ils ont ordonné la construction : ils prétendent que l'une de ces opérations concerne leur profession, et que l'autre est du ressort de celui qui mesure les bâtiments terminés, et fait le calcul du travail qu'ils ont fait exécuter : ce qui me confirme dans mon opinion, ce qu'on doit pardonner à notre science, si elle se borne à dire comment on doit faire chaque chose, sans entrer ensuite dans les calculs pour en déterminer l'importance. Toutefois, Silvinus, puisque, vous aussi, vous me demandez à titre d'ami l'explication des mesures dont nous faisons usage, je vais me rendre à ce que vous exigez de moi ; mais vous ne devez plus douter qu'un tel travail appartient plutôt à la géométrie qu'à l'agriculture, et vous me pardonnerez si je commets quelque erreur dans une partie dont je ne m'attribue pas la connaissance. Revenons à notre objet. Quelle que soit la forme des surfaces, elle est soumise à la mesure du pied, qui est de seize doigts, et qui, multiplié, donne le pas, les actes, les climats, les jugères, les stades et les centuries, et des espaces plus étendus encore. Le pas se compose de cinq pieds ; le petit acte, comme dit M. Varron, offre une largeur de quatre pieds sur une longueur de cent vingt. Le climat présente soixante pieds en tout sens. L'acte carré a cent vingt pieds sur tous ses côtés. Le jugère est le double de cette mesure, et tire son nom de la jonction d'un acte carré à un autre. Les paysans de la Bétique, une de nos provinces, appellent cet acte "acnua", et donnent le nom de "porque" à une surface de trente pieds de large sur cent quatre vingts de longueur. Les Gaulois désignent, sous le nom de "candète", un espace de cent pieds dans les villes, et de cent cinquante dans les campagnes : c'est ce que les laboureurs nomment "cadète", comme ils appellent "arépennis" le demi-jugère. Or, comme je l'ai dit, deux actes forment un jugère de deux cent quarante pieds de longueur sur une largeur de cent vingt ; et ces deux sommes multipliées entre elles produisent vingt-huit mille huit cent pieds carrés. Le stade, qui vient ensuite, a cent vingt-cinq pas, c'est-à-dire six cent vingt-cinq pieds, qui, multipliés par huit, donnent mille pas, qui font bien cinq mille pieds. Maintenant nous appelons centurie, comme dit le même Varron, une étendue de deux cents jugères, qui jadis tirait son nom des cent jugères dont elle était alors composée ; doublée plus tard, elle n'en conserva pas moins son nom : c'est ainsi que nos tribus tirèrent d'abord leur nom de la division du peuple en trois sections ; quoique ces sections soient plus nombreuses aujourd'hui, elles n'en gardent pas moins de nos jours leur ancienne dénomination. J'ai cru devoir entrer sommairement dans ces explications préliminaires, qui ne sont pas étrangères à la théorie que je vais exposer, qui même en sont inséparables. Venons à présent au sujet que nous devons traiter. Nous n'avons pas énuméré toutes les parties du jugère : nous nous sommes bornés à indiquer celles qui sont nécessaires pour l'estimation des travaux exécutés ; car il serait inutile de détailler ces subdivisions minimes pour lesquelles on n'alloue aucune somme dans les comptes. Répétons donc que le jugère présente vingt-huit mille huit cents pieds carrés, qui font deux cent quatre-vingt-huit scripules. Pour commencer par la plus faible mesure, je vais parler du demi-scripule : cette portion en est la cinq-cent-soixante-seizième partie et offre cinquante pieds. Le scrupule est la deux-cent-quatre-vingt-huitième partie du jugère : il présente cent pieds. Le cent-quarante-quatrième du jugère a deux cents pieds, et forme le double scrupule. Le soixante-douzième contient quatre cents pieds et s'appelle sextule : ce sont quatre scrupules. Le quarante-huitième renferme six cents pieds : on le nomme sicilique ; il est formé de six scrupules. La semi-once, composée de douze scrupules, est la vingt-quatrième partie du jugère et embrasse douze cents pieds. Quant à l'once, douzième du jugère, elle compte deux mille quatre cents pieds, et renferme vingt-quatre scrupules. Le sixième d'un jugère, ou quatre mille huit cents pieds, a le nom de sextant, et contient quarante-huit scrupules. On appelle quadrant le quart du jugère : il est formé de sept mille deux cents pieds, ou soixante-douze scrupules. Le trient, ou tiers du même jugère, a neuf mille six cents pieds équivalant à quatre-vingt-seize scrupules. La troisième partie et un douzième, embrassant douze mille pieds, ou cent vingt scrupules, est appelée quinconce. Le demi-jugère ou semi-jugère se compose de quatorze mille quatre cents pieds, donnant cent quarante-quatre scrupules. La moitié et un douzième, formés d e seize mille huit cents pieds, contenant cent soixante-huit scrupules, a reçu le nom de septonce. Les deux tiers s'appellent le bès, et se composent de dix-neuf mille deux cents pieds, qui font cent quatre-vingt-douze scrupules. Le dodrant représente les trois quarts du jugère, c'est-à-dire vingt et un mille six cents pieds, formant deux cent seize scrupules. La moitié plus le tiers portent le nom de dextant, qui se compose de vingt-quatre mille pieds, et contient deux cent quarante scrupules. Le déonce, ou deux cent soixante-quatre scrupules, comprend les deux tiers et un quart, qui sont vingt-six mille quatre cents pieds. Le jugère ou l'as est composé de vingt-huit mille huit cents pieds. Si le jugère présentait invariablement un carré parfait, et donnait toujours deux cent quarante pieds de longueur et cent vingt de largeur, le calcul en serait très facile ; mais, comme les formes diverses des champs peuvent occasionner des discussions, nous allons spécifier ces différences en nous servant d'une sorte de formule applicable à toutes.
II. Il n'est pas de champ qui ne présente la forme d'un carré, d'un rectangle, d'un coin, d'un triangle, ou d'un cercle, ou même d'un demi-cercle ou d'un arc, et quelquefois même d'un polygone. La mesure du carré est très facile : car, ses côtés offrant un même nombre de pieds, il suffit de multiplier deux côtés l'un par l'autre, et le produit donné, cette multiplication est le nombre des pieds carrés que renferme ce terrain. Ainsi, soit un terrain qui ait cent pieds sur chaque côté, en multipliant cent par cent on obtient dix mille. Nous dirons que ce champ a dix mille pieds carrés, qui font un trient et un sextule de jugère ; ce sera donc sur cette donnée qu'il faudra établir le compte du travail effectué. Mais si le terrain a plus de longueur que de largeur, de façon, par exemple, qu'ayant la forme d'un jugère, il offre, comme je l'ai dit un peu plus haut, deux cent quarante pieds de longueur sur une largeur de cent vingt, en multipliant les pieds de la largeur par ceux de la longueur, c'est-à-dire deux cent quarante par cent vingt, on obtient vingt-huit mille huit cents : produit qui donne le nombre de pieds carrés contenus dans un arpent de terre. On opérera de même pour tous les terrains dont la longueur excède la largeur. Si ce champ présente la forme d'un coin, et que, par exemple, il soit long de cent pieds d'un côté et de dix de l'autre, il faudra alors ajouter l'une à l'autre les deux largeurs, qui donneront une somme de trente pieds, dont la moitié, quinze, multipliée par la longueur, produira quinze cents, nombre de pieds carrés contenus dans ce coin, c'est-à-dire une demi-once et trois scrupules de jugère. Dans le cas où vous devriez mesurer un triangle à trois côtés égaux, vous opéreriez de la manière suivante : Soit un champ triangulaire offrant sur chaque côté trois cents pieds ; multipliez ce nombre par lui-même, prenez le tiers de quatre-vingt-dix mille, produit de cette multiplication, c'est-à-dire trente mille, puis le dixième qui est de neuf mille ; réunissez ces deux sommes, vous trouverez trente-neuf mille, nombre de pieds carrés que contient ce triangle, et qui équivalent à un jugère un trient et un sicilique. Quand le terrain présente, comme dans la figure que nous allons décrire, un triangle scalène, dont un des angles est droit, le calcul est différent : Soit la ligne d'un côté qui concourt à la formation de cet angle droit, de cinquante pieds, et celle de l'autre côté de cent pieds ; multipliez entre elles ces deux sommes : cinquante fois cent font cinq mille, dont la moitié deux mille cinq cents, fait une once et un scrupule de jugère. Lorsque le champ est rond de manière à présenter la figure d'un cercle, on en calcule ainsi les pieds : Soit une surface ronde qui ait soixante-dix pieds de diamètre ; multipliez cette somme par elle-même : soixante-dix fois soixante-dix font quatre mille neuf cents : multipliez ce produit par le nombre onze, vous obtiendrez cinquante-trois mille neuf cents pieds. Je prends le quatorzième de cette somme, c'est-à-dire trois mille huit cent cinquante pieds ; je dis que c'est le nombre de pieds carrés contenus dans ce cercle : somme égale à six onces deux scrupules et demi de jugère. Si le champ est demi-circulaire, que sa base ait cent quarante pieds, et la ligne qui détermine sa courbure soixante-dix pieds, il faudra multiplier le rayon par la base : ainsi soixante-dix fois cent quarante font neuf mille huit cents. Cette somme, multipliée par onze, donne cent sept mille huit cents, dont le quatorzième sept mille sept cents est le nombre de pieds qui se trouve dans le demi-cercle, c'est-à-dire un quart et cinq scrupules de jugère. Si le terrain est compris dans un arc de cercle moindre que la demi-circonférence, voici comme on le mesurera : Soit un arc dont la base ait seize pieds, et la ligne qui détermine sa courbure, quatre ; je fais la somme de ces deux nombres, et je trouve vingt pieds, qui, multipliés par quatre, donnent quatre-vingts, dont la moitié est quarante. Je prends également la moitié des seize pieds de la base, c'est-à-dire huit pieds : ces huit pieds multipliés par eux-mêmes produisent soixante-quatre. J'en prends le quatorzième, qui est d'un peu plus de quatre pieds, que j'ajoute à quarante : ces deux sommes donnent quarante-quatre pieds, nombre de pieds carrés contenus dans l'arc, ou la moitié moins un vingt-cinquième de scrupule de jugère. Lorsque le terrain est hexagone, on le réduit ainsi en pieds carrés : Soit un hexagone dont chacun des côtés ait trente pieds ; je multiplie un des côtés par lui-même : trente fois trente font neuf cents. Je prends le tiers de cette somme, qui est trois cents ; plus le dixième, qui est quatre-vingt-dix, et je trouve trois cent quatre-vingt-dix. Cette somme, multipliée par six, puisqu'il s'agit de six côtés, produit deux mille trois cent quarante, qui est le nombre de pieds carrés cherché, ou une once de jugère, moins un demi-scrupule et un dixième de scrupule.
III. Bien imbus des principes de ces calculs, nous procéderons sans difficulté à la mesure des terres, dont il serait long et pénible de passer ici en revue toutes les formes. Je vais maintenant ajouter à celles que j'ai données deux formules qu'emploient fréquemment les cultivateurs dans la disposition de leurs plants. Je suppose un terrain long de douze cents pieds et large de cent vingt, dans lequel on dispose des vignes de manière qu'il se trouve un intervalle de cinq pieds entre les lignes. Je demande de combien de plants on a besoin lorsqu'on veut laisser cet espace de cinq pieds entre les rangs de cette plantation. Je prends la cinquième partie de la longueur, qui est deux cent quarante pieds, et la cinquième partie de la largeur, c'est-à-dire vingt-quatre ; j'ajoute toujours à chacune de ces deux sommes un pied qui fixe l'extrémité des lignes, et qu'on appelle angulaire : j'obtiens ainsi une somme de deux cent quarante et un, puis une autre de vingt-cinq. Multipliez-les ainsi : vingt-cinq fois deux cent quarante et un font six tailles vingt-cinq. Vous en conclurez que tel est le nombre de plants dont vous avez besoin. De même, si vous voulez que votre intervalle soit de six pieds, vous prendrez la sixième partie de la longueur de douze cents pieds, qui est deux cents, et le sixième aussi de la largeur de cent vingt, c'est-à-dire vingt ; vous ajouterez à ces sommes le pied que j'ai déjà nominé angulaire : ce qui produit deux cent un et vingt et un. Vous multiplierez ainsi entre elles ces deux sommes : vingt et une fois deux cent un font quatre mille deux cent vingt et un produit qui vous indiquera le nombre de plants qui vous est nécessaire. De même, si vous voulez mettre entre vos lignes sept pieds de distance, vous prendrez la septième partie de la longueur et de la largeur de votre terrain, et vous ajouterez les pieds angulaires, et, en effectuant le calcul dans l'ordre et de la manière que nous venons d'indiquer, vous trouverez le nombre de plants qu'il vous faut. Enfin, quel que soit le nombre de pieds que vous jugiez à propos de mettre entre vos lignes, vous compterez la totalité de la longueur ainsi que de la largeur, et vous y ajouterez les pieds angulaires dont il vient d'être question. Les choses étant ainsi, il faut conclure qu'un jugère de champ, qui est long de deux cent quarante pieds et large de cent vingt, recevra par intervalle de trois pieds (car c'est le plus petit espace qu'on puisse laisser entre les vignes à planter) une quantité de quatre-vingt-un plants pour la longueur, et de vingt-cinq pour la largeur, sur laquelle ils seront établis à cinq pieds l'un de l'autre : ces deux nombres, multipliés entre eux, donneront deux mille vingt-cinq plants. Si la vigne est plantée à quatre pieds d'intervalle en tous sens, la longueur contiendra soixante et un plants et la largeur trente et un : ce qui, pour le jugère, porte à mille huit cent quatre-vingt-onze le nombre des plants de vigne. Mais si on dispose les ceps par quatre pieds sur la longueur et par cinq pieds sur la largeur, la première recevra soixante et un plants, la seconde vingt-cinq. Dans le cas où la distance serait de cinq pieds sur la largeur, cette ligne contiendra quarante-neuf pieds, et la largeur toujours vingt-cinq : ces deux nombres, multipliés l'un par l'autre, font douze cent vingt-cinq ; mais si, sur la même étendue de terrain, il convient de fixer l'espace à six pieds, il n'est pas douteux qu'il ne faille assigner quarante et une vignes à la longueur et vingt et une à la largeur : la multiplication de ces sommes produit le nombre de huit cent soixante et un. Si on admet un intervalle de sept pieds dans l'établissement du vignoble, la ligne recevra sur sa longueur trente-cinq ceps, et dix-huit sur sa largeur : nombres qui, multipliés entre eux, donnent celui de six cent trente ; d'où nous conclurons qu'il faut préparer cette quantité de plants. Si l'on fixe l'intervalle dont il s'agit à huit pieds, la ligne exigera sur sa longueur trente et un ceps et seize sur sa largeur, et par la multiplication de ces nombres on obtient quatre cent quatre-vingt-seize. En admettant neuf pieds de distance, on plantera sur la ligne en longueur vingt-sept vignes et en largeur quatorze, ou trois cent soixante-dix-huit pour tout le terrain. Quand on met un intervalle de dix pieds, la ligne reçoit dans sa longueur vingt-cinq ceps, dans sa largeur treize : nombres qui, multipliés entre eux, font trois cent vingt-cinq. Pour ne pas pousser ce calcul à l'infini, on suivra la même proportion pour les plants, d'après l'étendue qu'il plaira de fixer aux distances. Après avoir suffisamment parlé de la mesure des terrains et du nombre des plants à y établir, je reviens à l'ordre que je m'étais imposé.
IV. J'ai constaté que les provinces cultivent plusieurs variétés de vignes ; mais de celles que j'ai examinées, les meilleures sont celles qui, comme des arbustes, se soutiennent sur une courte tige, d'elles-mêmes et sans échalas ; ensuite celles qui, attachées à cet appui, sont individuellement fixées à leur joug : les vignerons les appellent cantériées ; puis celles qui sont entourées de roseaux fichés en terre, et qui, fixées à ces appuis, s'y contournent en forme de cercle : quelques personnes leur donnent le nom de characates. La moins bonne variété est l'espèce des vignes couchées sur le sol, qui, à la sortie du cep, sont aussitôt comme jetées à terre, où elles restent étendues. Toutes, au reste, sont à peu près soumises au même mode de plantation : car on les dépose ou dans des fosses ou dans des rigoles ; chez les nations étrangères, en effet, les vignerons ne connaissent pas notre labour à la houe à deux dents, instrument qui d'ailleurs serait peu utile dans leurs terrains naturellement légers et meubles, « Qualités que nous imitons par le labour à la charrue. » dit Virgile, et aussi par le travail à la houe à deux dents. C'est pourquoi la Campanie, qui pourrait, vu son voisinage, prendre exemple sur nous, ne fait pas usage de cette manière de cultiver, parce que la légèreté de son sol exige moins de travail ; quant aux provinces dont la terre trop compacte demande des travaux plus dispendieux, tels que notre labourage à la houe, le cultivateur dispose le sol, au moyen de rigoles dont le fond est fortement remué, à recevoir le plant qu'on lui destine.
V. Pour étudier chacune des vignes dont j'ai parlé, je dois les rappeler dans l'ordre où je les ai nommées. La vigne qui, sans support, se soutient par ses propres forces, sera plantée dans une fosse si le terrain est meuble, et dans une rigole s'il est compacte ; mais ces fosses et ces rigoles seront bien plus avantageuses si, dans un climat tempéré où l'été n'est pas trop ardent, elles ont été creusées un an avant la plantation du vignoble. Il faut toutefois préalablement examiner la bonté de la terre ; car si on plante en terrain maigre et friable, il ne faut faire les fosses ou les rigoles qu'au moment où on va y déposer le plant. Si on les fait un an d'avance, il suffira de donner à la fosse trois pieds de longueur et de profondeur, et une largeur de deux pieds. Si nous devons laisser quatre pieds d'espace entre les lignes, il sera plus commode de donner à ces fosses la même mesure en tous sens, en ne dépassant pas toutefois trois pieds. Au reste, on établit les jeunes plants, aux quatre angles, sur de la terre bien ameublie, puis on comble l'excavation. Quant aux intervalles entre les lignes, nous n'avons rien à prescrire, que de faire comprendre aux agriculteurs qu'ils doivent laisser plus d'espace si, dans leur vignoble, ils introduisent la charrue, et moins s'ils y emploient la houe à deux dents ; cet intervalle toutefois ne doit pas dépasser dix pieds, ni être au-dessous de quatre. Cependant plusieurs personnes disposent leur plantation de manière à laisser, entre leurs jeunes vignes, deux pieds ou tout au plus trois, donnant plus d'étendue à l'intervalle de leurs lignes, afin de faciliter le passage du fossoyeur ou du laboureur. Il n'y a pas d'autres soins à prendre pour la plantation que ceux que j'ai indiqués dans le troisième livre de cet ouvrage. Toutefois le Carthaginois Magon ajoute, relativement à cette plantation, que l'on doit placer le jeune plant de manière que toute la fosse ne soit pas aussitôt remplie de terre, mais à peu près à moitié : le reste sera comblé progressivement dans l'espace de deux ans : il pense qu'ainsi la vigne est forcée à pousser ses racines par en bas. Je ne nierai pas que ce procédé ne soit utile dans les fonds secs ; mais là où la terre est naturellement humide ou bien le ciel pluvieux, je ne crois pas qu'il faille agir ainsi. En effet, une trop grande humidité, s'arrêtant dans les fosses à demi comblées, fait périr le plant avant qu'il soit repris. C'est pourquoi je crois plus utile de remplir les fosses aussitôt après la plantation ; mais, le plant une fois pris, il est à propos, dès l'équinoxe d'automne, de déchausser soigneusement et profondément les jeunes vignes, dont on retranche les radicules s'il s'en est élevé vers la surface du sol, et de recombler la fosse au bout de quelques jours. Ainsi on évitera ces deux inconvénients, d'appeler les racines en haut, et d'exposer des jeunes plants peu vigoureux au dommage que leur occasionnent les grandes pluies. Quand ces jeunes vignes auront acquis de la force, il est hors de doute qu'elles seront puissamment aidées par les eaux du ciel ; en conséquence, dans les contrées où la clémence de l'hiver le permet, il est convenable de laisser les vignes à découvert et de les tenir déchaussées durant toute cette saison. Quant à la qualité des plants les auteurs ne sont pas d'accord entre eux. Les uns pensent qu'il vaut mieux planter tout de suite la vigne en marcotte simple, d'autres en marcotte enracinée : sur cette matière, j'ai déjà fait connaître mon sentiment dans les livres précédents. Toutefois j'ajouterai ici qu'il existe certains terrains dans lesquels la vigne transplantée ne prospère pas aussi bien que celle qui est restée en place : ce qui, toutefois, arrive très rarement. Aussi faut-il noter et rechercher avec soin « La culture que comporte chaque pays, et ce qu'il refuse de produire.» Il convient de conduire la tige mise en terre, c'est-à-dire la marcotte ou simple ou enracinée, de manière que, devenue vigne, elle puisse se soutenir sans tuteur. Mais c'est là ce qu'on ne peut pas obtenir tout de suite : car, si vous ne fournissez pas un support à cette vigne tendre et faible, le pampre se traînera en rampant sur le sol. On devra donc attacher la tige qu'on a plantée, et un roseau qui protégera en quelque sorte son enfance, l'élèvera, et la conduira jusqu'au point où le vigneron lui permettra d'atteindre ; or, ce point aura peu de hauteur, car on ne doit pas dépasser un pied et demi. Ensuite, quand elle a pris de la force et qu'elle peut se soutenir sans appui, elle pousse soit de la tête, soit des bras, car ces deux modes d'accroissement sont admis. Les uns aiment mieux les vignes à tête, les autres préfèrent les vignes à bras. Ceux qui ont à coeur de distribuer leur vigne en bras, doivent conserver tout le bois qui a crû autour de la cicatrice qu'ils ont faite en la coupant toute jeune par le haut, et le diviser en quatre bras de la longueur d'un pied, de manière que chacun d'eux prenne la direction d'un des quatre points cardinaux. Toutefois ce n'est pas dès la première année qu'on donne aux bras toute leur étendue, de peur de surcharger la faiblesse de la vigne, mais on ne les y laisse parvenir graduellement qu'à la suite de plusieurs tailles. De plus, il faut laisser à ces bras quelques jets en saillies, comme des cornes, et distribuer en rond les diverses parties de la totalité du cep. Au reste, ces vignes se taillent de la même manière que les vignes fixées au joug, et ne diffèrent qu'en ce point, qu'on laisse aux longs sarments quatre ou cinq bourgeons, tandis qu'on n'en ménage que deux aux sarments de réserve. Quant à la vigne que nous avons appelée à tête, on enlève jusqu'au corps de le plante tous les sarments, en ne laissant subsister qu'un ou deux des bourgeons qui tiennent au tronc même. On pourra agir ainsi avec sécurité dans les terres arrosées ou très grasses, car leur fertilité peut nourrir le fruit et les sarments. Ceux qui cultivent cette sorte de vignes les labourent ordinairement à la charrue, aussi suivent-ils la méthode de leur enlever les bras, parce que, réduites à leur tête sans aucune saillie de côté, elles n'ont rien à redouter de la charrue ni des boeufs ; tandis que dans les vignes à bras il arrive fréquemment que les jeunes pousses sont brisées par le pied du boeuf ou par leurs cornes, souvent même par le manche de la charrue, quand le laboureur s'applique à raser la ligne des vignes, et veut remuer la terre aussi près qu'il est possible de leur pied. Voilà ce qu'il faut observer dans la culture des vignes, tant à bras qu'à tête, avant qu'elles poussent leurs bourgeons. Plus tard, le fossoyeur arrive et remue avec la houe à deux dents la partie que le bouvier n'a pu atteindre. Bientôt après, lorsque la vigne a jeté du bois, l'épampreur survient, détache les rameaux superflus, dresse les sarments à fruit qu'il lie comme en couronne, lorsqu'ils ont pris de la consistance. On procède ainsi pour deux raisons : la première, pour qu'un libre cours laissé à la luxuriance n'entraîne pas les pampres à terre et ne leur fasse pas absorber toute la sève ; la seconde, afin que la vigne, bien attachée, laisse pour sa culture un accès au bouvier et au fossoyeur. Tel sera le mode d'épamprer : dans les lieux couverts, humides et froids, la vigne, pendant l'été, sera mise à nu ; on enlèvera aux sarments à fruit leur feuillage, afin que les raisins puissent parvenir à maturité, et que la nature du sol ne les fasse pas pourrir ; dans les lieux secs, chauds et bien exposés au soleil, il faut, au contraire, abriter la grappe sous les sarments, et si la vigne a peu de pampres, on y transportera des feuillages, quelquefois même de la paille, pour protéger le fruit. M. Columelle, mon oncle paternel, homme versé dans les sciences élevées, agriculteur consommé de la province de Bétique, ombrageait ses vignes avec des nattes de palmier, dès le lever de la canicule, parce que, sous cette constellation, quelques parties de la province ont ordinairement tant à souffrir de l'Eurus, appelé Vulturne par les habitants, que, si l'on ne prend soin de couvrir les vignes, leurs fruits sont brûlés comme par l'effet d'un souffle enflammé. Telle est la culture de la vigne, soit à tête, soit à bras. Quant à celle qu'on fixe à un seul joug ou qui, ayant son bois soutenu par des roseaux, est liée en rond, elle exige à peu près le même soin que la vigne attachée au joug. J'ai remarqué cependant que certains vignerons, pour les vignes characates, et surtout de l'espèce elvénaque, recouvraient de terre, à fleur de sol, en manière de provins, les plus longs rameaux, puis en dressaient l'extrémité contre un roseau pour les mettre à fruit : ce sont ces rameaux que nos cultivateurs appellent des sautelles, et les Gaulois des candosoques. Ils les recouvrent de terre, par la raison toute simple, selon eux, que ces sarments à fruit en recevront plus de nourriture. Après la vendange, ils les coupent comme inutiles, et les séparent de la tige-mère. Pour nous, nous prescrivons, lorsque ces mêmes sarments ont été détachés, de les planter comme marcottes enracinées, pour remplir les places vacantes par la mort de pieds de vignes, ou pour créer un vignoble nouveau. En effet, les parties de sarment qui ont été couchées en terre, ont des racines assez nombreuses pour reprendre aussitôt qu'elles ont été déposées dans les fosses. Il nous reste à parler de la culture des vignes couchées, qu'on ne doit adopter que lorsque la violence habituelle des vents y contraint : car elle est pour les vignerons d'un travail difficile, et ne produit jamais un vin de saveur généreuse. Pourtant lorsque la nature du climat ne permet que cette méthode, on plante les marcottes dans des fosses de deux pieds ; aussitôt qu'elles ont poussé, on réduit le bois à un sarment, et la première année on l'arrête à des bourgeons ; l'année suivante, quand elles ont produit des rameaux à fruit, on en attache un et l'on supprime les autres. Quand celui que l'on a conservé a donné des raisins, on le coupe assez court pour que, couché sur le sol, il n'excède pas l'espace laissé entre les lignes. La taille de la vigne couchée diffère peu de celle de la vigne droite : dans la première, on doit seulement rabattre le bois plus court, et laisser en manière de verrues les coursons fort réduits. Après la taille, que, pour cette espèce de vignoble, il ne faut pas manquer d'exécuter en automne, on couchera toute la vigne dans un sens opposé à celui où elle se trouvait auparavant, de manière que la partie de l'intervalle précédemment occupée puisse être remuée à la houe on labourée : travail après lequel on remet la vigne dans sa première position, pour cultiver à son tour l'autre partie de ce terrain. Les auteurs sont peu d'accord entre eux sur l'épamprement de cette sorte de vignoble : les uns ne veulent pas qu'on dépouille les vignes, afin qu'elles puissent mieux mettre leurs fruits à l'abri des injures des vents et des animaux ; les autres prescrivent un épamprement léger, au moyen duquel la vigne sera déchargée d'un feuillage superflu et pourra pourtant couvrir et protéger ses grappes. Cette dernière méthode me paraît la plus avantageuse.
VI. Mais nous avons suffisamment parlé des vignobles ; occupons-nous maintenant d'exposer les préceptes relatifs aux arbres. L'agriculteur qui voudra avoir un plant d'arbres nombreux, bien disposé par d'égaux intervalles, et productif, aura soin que la mort n'en éclaircisse pas les rangs, qu'ils soient remplacés aussitôt qu'ils ont éprouvé des dommages par la vieillesse ou par les tempêtes, et qu'on leur substitue de nouveaux sujets. C'est ce qu'on peut faire facilement, si on a toute prête une pépinière d'ormeaux. Nous ne négligerons pas d'enseigner ici comment on doit la fourrer et de quelles variétés on doit la composer. Il est reconnu qu'il existe deux espèces d'ormes, le gaulois et l'indigène : le premier s'appelle l'orme d'Atinie, le second l'orme du pays. Tremellius Scrofa croit à tort que l'orme d'Atinie ne produit pas de samère : c'est le nom de la graine de cet arbre. Sans doute il en donne rarement, et c'est pour cela qu'en général il passe pour stérile, ses graines étant cachées parmi les feuilles qu'il développe lorsqu'il commence à pousser : aussi personne ne l'a jamais multiplié de samère, mais de rejetons. Cet orme est beaucoup plus vigoureux et plus élevé que l'indigène ; il produit aussi un feuillage plus agréable aux boeufs ; un troupeau qui en a été constamment nourri éprouve du dégoût lorsque l'on veut lui donner des feuilles de l'autre espèce. C'est pourquoi, si rien ne s'y oppose, on fera bien de ne planter son terrain que de la seule variété d'orme d'Atinie ; ou au moins, on fera en sorte de mettre alternativement en nombre égal, dans la disposition des lignes, les ormes tant indigènes qu'exotiques. Ainsi on mélangera toujours leurs feuilles, et les bestiaux, alléchés par cette sorte d'assaisonnement, consommeront mieux leur ration. L'obier, avant tout, paraît convenir à la vigne, ensuite l'orme, puis le frêne ; mais on rejette généralement l'obier, parce qu'il produit peu de feuilles et qu'elles ne plaisent pas aux troupeaux. Le frêne, qui est très agréable aux chèvres et aux moutons, et n'est pas dédaigné par les boeufs, vient fort bien dans les lieux escarpés et montueux, où l'orme réussit moins bien ; mais la plupart des cultivateurs préfèrent l'orme, parce qu'il supporte parfaitement la vigne, procure aux boeufs un excellent fourrage, et prospère dans les diverses espèces de terrains. C'est pourquoi celui qui désire faire un nouveau plant doit préparer une pépinière d'ormes ou de frênes par le procédé que nous allons décrire. Au reste, pour l'obier, le mieux est de mettre aussitôt en terre des cimes de rameaux coupés sur l'arbre. On remuera donc à la houe à deux dents un terrain gras et légèrement humide, puis, au printemps, on le dressera en planches bien hersées et ameublies. On y jettera ensuite la samère, qui aura déjà une teinte rougeâtre, qu'on aura exposée plusieurs jours au soleil, de manière toutefois à ne pas la priver de tout son suc et de toute sa souplesse ; toute la surface des planches devra en être recouverte, et on jettera par-dessus deux doigts de terre rendue légère en la passant au crible ; enfin on donnera un médiocre arrosement, et on répandra sur ce semis un peu de paille pour que les oiseaux ne dévorent pas les jeunes pousses. Quand ces plantes se seront un peu élevées, on recueillera la paille et on sarclera à la main les mauvaises herbes : c'est une opération qui doit être faite adroitement et avec attention, pour ne pas arracher les racines des ormeaux qui sont encore petites et tendres. Les planches seront assez étroites pour que ceux qui doivent les sarcler en atteignent facilement le milieu avec la main ; car si elles avaient trop de largeur, les plantes exposées à être foulées en seraient endommagées. Ensuite, dans l'été, avant le lever du soleil ou vers le soir, on arrosera la pépinière plutôt que de la baigner par irrigation. Dès que le plant aura acquis trois pieds de hauteur, il faudra le transplanter dans une autre pépinière ; pour que les racines ne s'allongent pas trop (ce qui, par la suite, rendrait l'arrachage plus difficile, lorsque nous voudrions opérer la transplantation), il ne faudra croiser que de petites fosses distantes entre elles d'un pied et demi ; on nouera les racines si elles sont courtes, ou bien, si elles sont trop longues, on les pliera en forme de couronne ; ensuite on les déposera dans la terre après les avoir enduites de bouse de boeuf, et on pressera tout autour le terrain avec beaucoup de soin. Cette méthode, qui peut s'appliquer aux plantations des arbres en tige, doit nécessairement être employée pour l'orme d'Atinie, qu'on ne propage point par ses graines. On plante cette variété avec plus d'avantage pendant l'automne que dans le printemps ; on en tord légèrement à la main les jeunes rameaux, parce que, durant les deux premières années, ils craignent le contact du fer : ce n'est que la troisième année qu'on les taille avec la serpe bien affilée ; et, quand l'arbre est assez fort pour être transplanté, on peut procéder à cette opération depuis le moment de l'automne où la terre est imbibée d'eaux pluviales, jusqu'au printemps avant que dans l'arrachage la racine ne s'écorce. Alors on pratique, en terre légère, des fosses éloignées de trois pieds en tous sens ; en terrain compact, on dispose des tranchées de la même profondeur pour recevoir ces arbres. Les ormes doivent être plantés dans des terrains exposés à la rosée et sujets aux brouillards, en ayant soin d'en diriger les branches tant vers l'orient que vers l'occident, afin que le soleil frappe plus longtemps le milieu de ces arbres, qui est le point où l'on applique et lie la vigne. Si l'on a l'intention de cultiver du froment dans ce terrain, qui doit être fertile, on plantera les ormes à quarante pieds de distance ; mais, en terre maigre, où l'on ne fait pas d'ensemencement, on se bornera à vingt pieds. Dès que les ormes commencent à croître, on les dresse à la serpe et on les dispose en étages. Les cultivateurs donnent le nom d'étages aux rameaux et aux saillies, qu'avec le fer ils raccourcissent ou bien allongent, afin que les vignes trouvent plus de facilité pour s'étendre : opérations dont la première convient aux terrains maigres et la seconde aux terres grasses. Ces étages ne doivent pas présenter entre eux une distance moindre que trois pieds, et être dressés de manière que les rameaux supérieurs ne soient pas perpendiculaires aux inférieurs : car ces derniers frotteraient les bourgeons du sarment tombant et en détacheraient les grappes. Au surplus, quel que soit l'arbre que vous plantiez, il ne faut pas le tailler durant les deux premières années. Ensuite, si l’orme prend peu d'accroissement, il sera bon au printemps, avant que son écorce ne se détache facilement, de l'étêter près du rameau qui paraîtra le plus franc, de manière toutefois que l'on conserve au-dessus de lui, sur le tronc, un jet de neuf pouces, sur lequel on liera le rameau conduit et dressé, qui fournira une cime à l'arbre. Un an après, il faut retrancher ce jet et dégager l'orme. Si cet arbre ne présente aucuns rameaux convenables, il suffira de le rabattre à la hauteur de neuf pieds au-dessus du sol, en coupant la partie supérieure, de sorte que les rejets qu'il produira soient hors de l'atteinte des bestiaux. S'il est possible, cette amputation sera faite d'un seul coup ; sinon, on coupera avec la scie, on ragréera la plaie avec la serpe, et on la couvrira de torchis, afin que le soleil ou la pluie ne l'endommagent pas. Au bout d'un an ou de deux, quand les rameaux poussés ont acquis de la force, il convient de retrancher ceux qui sont superflus et de dresser ceux qui sont propres à l'être. Lorsque l'orme, depuis sa plantation, a bien végété, on taille à la serpe ses jets les plus élevés jusqu'au noeud qui les joint au tronc. Si ses rameaux sont vigoureux, on les taillera de manière à laisser sur le tronc une petite tige proéminente. Quand par la suite l'arbre sera devenu fort, on coupera tout ce que la serpe pourra atteindre, et on le dégagera à propos sans faire de plaie sur la surface du tronc. Voici comment il convient de dresser les jeunes ormes. En terrain gras, on les élague jusqu'à huit pieds au-dessus du sol ; en terrain maigre, jusqu'à sept. Au-dessus de cette hauteur et sur le tour de l'arbre, on divise ses rameaux en trois parts, et les jeunes rameaux, de chacun des trois côtés, formeront le premier étage. Puis, à trois pieds au-dessus, on dresse d'autres rameaux de telle sorte qu'ils ne suivent pas la même direction que les premiers. On suivra le même procédé jusqu'au sommet de l'arbre, et dans la taille on aura soin de ne pas laisser subsister d'ergots trop longs sur les branches amputées, aussi bien que de ne pas rabattre assez près du tronc pour l'offenser ou l'écorcer : car l'orme languit quand son tronc est dépouillé. Il faut aussi éviter de ne faire qu'une plaie de deux amputations, car l'écorce ne recouvrirait pas facilement une telle blessure. L’orme exige une culture continuelle : il ne suffit pas de le disposer avec soin dans le principe, il faut encore bêcher la terre autour du tronc, et, tous les deux ans, retrancher avec le fer ou pincer tout ce qu'il donne de feuillage, afin que son ombre, rivale de celle de la vigne, ne soit pas préjudiciable à cette dernière. Quand l'orme sera vieux, on pratiquera près d'une branche un trou qui devra être creusé jusqu'à la moelle, afin de donner issue à l'humidité qui se sera accumulée dans sa partie supérieure. Il convient encore d'associer la vigne à l'arbre avant qu'il ait acquis tout son accroissement ; mais une condition de réussite, c'est de marier une jeune vigne à un jeune orme, car si la vigne était vieille, il la ferait périr. Il est donc convenable d'unir ensemble des ormes et des vignes de même âge et de forces égales. Pour procéder à ce mariage, on doit, pour la marcotte enracinée, creuser une fosse large et profonde de deux pieds, si la terre est légère ; mais, en terre lourde, la fosse offrira une profondeur de deux pieds neuf pouces et une longueur de six pieds ou de cinq au moins. Cette fosse sera pratiquée à un pied et demi au moins de l'orme : car si on fouillait où sont les racines de forme, la vigne prendrait mal, et, quand elle pousserait, elle n'en aurait pas moins à souffrir des branches de l'arbre. Si l'on a le temps, on fera cette fosse en automne, afin que sa terre se macère sous l'influence des pluies et des gelées. Vers l'équinoxe du printemps, on plantera dans chaque fosse, pour que l'orme soit plus promptement couvert, deux jeunes vignes à la distance d'un pied l'une de l'autre. On aura soin de ne pas les mettre en terre par un vent de septentrion, ni lorsqu'elles sont humides, mais quand elles sont ressuyées. Ce précepte ne s'applique pas simplement à la plantation des vignes, il convient aussi à celle des ormes et des autres arbres ; de même, lorsqu'on les tire de la pépinière, on doit marquer, avec de la sanguine, un point de leur tronc qui nous fasse connaître leur position, afin de ne pas changer leur orient : car il importe beaucoup qu'ils continuent de regarder le point de l'horizon auquel ils étaient accoutumés depuis leur enfance. Dans les lieux exposés au grand soleil, où le ciel n'est ni trop froid ni trop pluvieux on plante en automne, après l'équinoxe, les vignes et les arbres. Nous devons y procéder en étendant sous eux un demi-pied de terre de la surface du sol qui a été remuée par la charrue, en étalant bien toutes les racines, et, comme je le pense, en les fumant ; sinon, on recouvrira avec la terre remuée, et on la pressera avec les pieds tout autour du tronc. Il faut placer les vignes à l'extrémité de la fosse opposée à l'orme, y étendre leur bois, puis le dresser vers l'arbre, et le défendre, au moyen d'une clôture, de l'atteinte des animaux. Dans les terrains très échauffés par le soleil, on place les vignes au nord de leur orme ; dans les lieux froids, au midi ; sous une température moyenne, à l'orient ou à l'occident, afin qu'elles n'aient pas tout le jour à souffrir soit du soleil, soit de l'ombre. Celse pense qu'à l'époque de la première taille il faut s'abstenir d'en approcher le fer, et qu'il vaut mieux conduire autour de l'arbre les pousses qu'on contourne en forme de couronne, afin que leur courbure produise, l'année suivante, un bois propre à fournir une tête robuste. Quant à moi, j'ai appris, par une longue expérience, qu'il est préférable d'employer la serpe sur les vignes dès les premiers temps, et de ne pas souffrir qu'elles se couvrent d'une forêt de sarments superflus. Je pense aussi qu'il faut rabattre avec le fer le premier bois au second ou au troisième bourgeon, afin qu'il donne de plus robustes rameaux à fruit. Quand ils auront atteint le premier étage, on les dressera à la prochaine taille et tous les ans. D'ailleurs on les dirigera vers l'étage supérieur, en laissant toujours un sarment qui, fixé au tronc, tendra vers la cime de l’arbre. La vigne une fois établie, les cultivateurs l'assujettissent à une loi constante : la plupart d'entre eux multiplient les sarments sur les étages inférieurs, afin de se procurer une plus grande abondance de fruits et de rendre la culture plus facile. Mais ceux dont le but principal est la qualité du vin, poussent la vigne vers le sommet des ormes : ainsi, à mesure qu'elle se développe, ils la dirigent vers les branches les plus élevées, de manière que la cime de la vigne suive la cime de l'arbre, c'est-à-dire que la partie supérieure des deux derniers sarments soit attachée au tronc de l'arbre vers le sommet duquel ils tendent à monter, et qu'à mesure qu'une branche de l'orme a acquis assez de force, elle donne appui à la vigne. On fera supporter aux branches les plus fortes un grand nombre de sarments à fruit en les séparant l'un de l'autre, et aux plus faibles une moindre quantité. La jeune vigne sera fixée à l'arbre par trois attaches placées, la première au bas du tronc, à quatre pieds au-dessus du sol ; la seconde, à la tête de la vigne, et la troisième, à son milieu. Il ne faut pas mettre de lien trop bas : il affaiblirait la vigne : toutefois il devient quelquefois nécessaire quand l'arbre émondé est privé de branches, ou quand le cep trop vigoureux jette une végétation luxuriante. Aux préceptes de la taille, il faut ajouter les suivants : les vieux sarments à fruit, où pendaient les grappes de l'année précédente, devront être retranchés en totalité ; les nouveaux seront dressés, après qu'ils auront été débarrassés de toutes leurs vrilles et des gourmands qu'ils ont produits. Si la vigne a beaucoup de force, on fera, de préférence, descendre par la pointe des rameaux les sarments les plus éloignés du cep ; les plus voisins, si elle est faible, et ceux du milieu, si elle est de moyenne vigueur, sur ceux du milieu, parce que les sarments les plus éloignés du cep se chargent de plus de grappes, et que les plus rapprochés affaiblissent et épuisent moins la vigne. Les vignes se trouvent très bien d'être déliées tous les ans : on leur enlève alors plus facilement leurs noeuds ; puis le changement de place des liens les rafraîchit, les blesse moins et facilite leur accroissement. Il convient aussi de dresser les sarments à fruit sur les étages, de manière que, liés au troisième ou quatrième oeil, ils puissent retomber ; on les serrera peu pour qu'ils ne soient pas coupés par les liens. Si l'étage est trop éloigné pour qu'on y conduise le nouveau bois, on liera le sarment à la vigne même, au-dessus du troisième bourgeon. Nous donnons cette prescription, parce que la portion de sarment qui retombe se couvre de fruits, tandis que celle qu'une ligature assujettit s'élève et fournit du bois pour l'année suivante. Au surplus, il y a deux sortes de sarments à fruit : l'un qui sort du bois dur, et qu'on nomme pampinaire, en raison de ce que, la première année, il jette ordinairement des pampres sans grappes ; l'autre, qui vient d'une branche d'un an, et que l'on nomme fructueux, parce qu'il se met à fruit tout de suite. Afin d'avoir toujours de ceux-ci une certaine abondance dans la vigne, on lie à trois yeux les sarments à fruit, afin que ce qui se trouve au-dessous des liens donne du bois. Ensuite quand la vigne s'est fortifiée par les années et par sa vigueur, on conduit sur les arbres voisins des jets que l'on coupe à l'âge de deux ans, et que l'on remplace toujours par de plus jeunes ; car, en vieillissant, ils fatigueraient la vigne. Quelquefois aussi, quand une vigne ne suffit pas pour couvrir la totalité de son orme, on a l'habitude de coucher en terre quelques-uns de ses sarments, puis de faire remonter deux ou trois de ces provins au même arbre, afin que, par ce surcroît de rameaux, il se trouve garni plus promptement. On ne doit pas laisser de pampinaire aux vignes nouvelles, à moins qu'il ne sorte d'un point où il est nécessaire pour le marier à une branche dépourvue. Les pampinaires sont utiles dans les vieilles vignes, quand ils y naissent en lieu convenable, et c'est avec avantage que la plupart des vignerons les rabattent au troisième bourgeon : car l'année suivante ils jettent du bois. Tout pampre bien placé qui aura été brisé soit pendant la taille, soit pendant la ligature, pourvu qu'il ait un oeil, ne doit pas être enlevé, parce que, au bout d'un an, il donnera de cet oeil unique un bois qui n'en sera que plus vigoureux. On appelle précipités les sarments à fruit qui sont nés sur des jets d'un an, et que l'on attache au bois dur. Ils produisent beaucoup de fruit, mais ils sont préjudiciables à la tige mère qui les produit. C'est un motif pour ne pas conserver de ces précipités au bout des branches ou quand la vigne s'élève plus haut que la cime de l'orme. Toutefois, si quelqu'un, dans la vue d'obtenir du fruit, voulait en dresser quelques-uns, il devrait les tordre, puis les lier et les faire retomber : en effet, après le point tordu, il produira un bois excellent, et, quoique riche de grappes, le précipité absorbera moins de sève. Au reste, il ne faut pas conserver plus d'un an les précipités. Il est un autre genre de sarments à fruit, qui sortent d'un nouveau jet, et qu'on attache sur leur bois tendre encore pour les laisser pendre : nous les nommons bois ; ils donnent beaucoup de raisins et de nouveaux pampres. Si d'une tête on tire deux sarments pour les dresser, on donne également le nom de bois à chacun d'eux : j'ai parlé plus haut des ressources qu'on peut tirer du pampinaire. Le focané est le jet qui naît, comme au milieu d'une fourche, entre deux bras. J'ai découvert que cette pousse est très mauvaise, parce qu'elle ne produit pas de fruit et qu'elle affaiblit les deux bras au milieu desquels elle est née ; aussi faut-il l'enlever. C'est à tort que certains cultivateurs ont regardé comme plus productive une vigne vigoureuse et luxuriante, quand elle est chargée de beaucoup de sarments à dresser : de plus de jets, elle produit à la vérité plus de pampres ; mais, quand elle s'est revêtue de sa surabondance de feuillage, elle défleurit mal, elle retient trop longtemps les pluies et la rosée, et ne donne aucune grappe. Je pense donc qu'une vigne vigoureuse doit être répartie sur les branches de l'orme, que ses sarments doivent être dispersés et distribués en rayons, que le surplus des rameaux féconds sera précipité avec avantage, et que, si la luxuriance est excessive, il faut abandonner le bois à lui-même, seul moyen de rendre cette vigne plus féconde. D'ailleurs, comme une vigne bien garnie se recommande par ses fruits et par son bel aspect, de même elle paraît infructueuse et sans agrément quand la vieillesse l'a réduite à quelques chétifs rameaux. Pour éviter un tel inconvénient, un chef de famille soigneux ne néglige pas d'arracher les arbres décrépits, pour leur en substituer de jeunes avec une nouvelle vigne, ni de conduire des provins (ce qui est le meilleur procédé) au lieu de planter des marcottes enracinées, bien qu'il en ait à sa disposition. Quel que soit le parti qu'il prenne, il suivra les préceptes que nous avons donnés. En voilà assez sur la culture de la vigne telle qu'elle se pratique en Italie.
VII. Il y a dans les Gaules une autre espèce de plants d'arbres mariés aux vignes, et qu'on appelle rumpotin : il exige des sujets de petite taille et peu garnis de feuillage. L'obier surtout paraît propre à cet usage : c'est un arbre semblable au cornouiller. Au surplus, la plupart des vignerons ont recours, pour le même service, au cornouiller, au charme, à l'orme, et quelquefois au saule. Quant à ce dernier arbre, il ne faut s'en servir que dans les localités marécageuses, où les autres arbres ne prennent que difficilement, parce qu'il altère la saveur du vin. On peut aussi recourir à l'orme, pourvu qu'on l'étête dans sa jeunesse, afin qu'il ne s'élève pas au delà de quinze pieds. Or, j'ai remarqué que le rumpotin est constitué de manière que ces étages ne vont qu'à huit pieds dans les lieux secs et sur les pentes, et à douze sur les plaines et dans les terrains humides. L'arbre se divise ordinairement en trois branches, à chacune desquelles on conserve de chaque côté plusieurs bras; puis on retranche presque tous les autres rameaux qui donneraient trop d'ombre à l'époque de la taille des vignes. Si on ne sème pas de grains sous les rumpotins, on laisse entre eux une distance de vingt pieds de chaque côté; mais si on y cultive des céréales, on étendra cet intervalle à quarante pieds d'un côté et à vingt de l'autre. Les autres pratiques sont les mêmes que celles qui sont usitées en Italie : ainsi on plante les vignes dans de longues fosses, on leur donne les mêmes soins, on les dispose sur les branches de l'arbre; tous les ans on fait passer aux arbres voisins de nouveaux sarments, et l'on coupe les anciens. Si l'un de ces sarments ne peut atteindre le sarment voisin, on les réunit à l'aide d'une baguette à laquelle on les attache. Lorsqu'ensuite ils fléchissent sous le poids des grappes, on les soutient au moyen d'appuis qu'on a placés au-dessous. Cette espèce de plant et tous les autres arbres fructifient d'autant plus qu'on les laboure plus profondément, et qu'on bêche plus assidûment autour de leur pied. La culture prouve au chef de famille les avantages de ce travail.
VIII. La culture des autres arbres est plus simple que celle des vignobles, et l'olivier est de tous celui qui occasionne le moins de dépense, bien qu'il tienne le premier rang. Quoique, à la vérité, il ne produise pas de fruits tous les ans consécutivement, mais généralement de deux années l'une, il n'en mérite pas moins une grande attention, parce qu'il ne réclame que peu de travail et ne demande presque aucuns frais, lorsqu'il n'est pas chargé de fruits. Il paye, du reste, par une ample récolte la dépense qu'on fait pour lui. Négligé durant plusieurs années, il ne cesse pas, comme la vigne, de donner des productions ; il continue de produire, pendant ce temps même, quelques fruits au chef de famille ; et si l'on recommence à le cultiver, une année suffit pour lui rendre sa fertilité. En raison de ces qualités éminentes, nous avons cru devoir présenter ici avec soin quelques préceptes sur cette espèce d'arbre. Je pense que le nombre des espèces d'olives n'est pas moins grand que celui des espèces de raisins ; mais il n'en est parvenu que dix à ma connaissance : la pausie, l'algienne, la licinienne, la sergie, la névie, la culminie, l'orchis, la royale, la circite et la murtée. L'olive la plus agréable est la pausie ; la plus belle est la royale, qui vaut mieux pour être mangée que pour donner de l'huile. Tant qu'elle est verte encore, l'huile de la pausie est d'une saveur exquise ; mais elle s'altère en vieillissant. L'orchis et la circite sont plutôt recueillies pour la table que pour le pressoir. La licinienne donne la meilleure huile ; la sergie, la plus abondante. Au surplus, les grosses olives sont généralement préférables pour être mangées, et les petites pour être soumises au pressoir. Aucune de ces espèces d'olivier ne s'accommode d'une température très chaude ou très froide : une colline au nord dans les contrées chaudes, et dans les froides une exposition méridionale, est ce qui leur convient le mieux. Elles n'aiment pas, non plus, les lieux bas ou escarpés ; mais les coteaux d'une douce pente, comme nous en avons en Italie dans la Sabine, ou dans la province de Bétique. Quoique la plupart des auteurs soient d'avis que cet arbre ne saurait ni vivre ni produire à une distance de soixante milles de la mer, il réussit pourtant bien dans certaines localités qui en sont éloignées. La pausie supporte bien la chaleur ; la sergie, le froid ; l'espèce de terrain qui convient le mieux aux oliviers est celui dont le sous-sol est de gravier, pourvu que la couche supérieure se compose d'argile mélangée de sable. Un sol gras et sablonneux n'est pas moins bon ; et une terre forte même, pourvu qu'elle soit un peu humide et fertile, leur est encore favorable ; mais ils ne sauraient s'accommoder d'un terrain complètement argileux, et moins encore lorsqu'il est rempli de sources et de nature marécageuse. Les terres qui ne contiennent qu'un sable maigre ou du gravier pur leur sont aussi contraires : car, quoique l'olivier n'y meure pas, il n'y pousse jamais avec vigueur. Il prospère pourtant dans les terres à blé, et dans les lieux où ont végété l'arbousier et l'yeuse. Quant au chêne, il laisse, après qu'il a été coupé, des racines nuisibles aux plants d'oliviers, que leur poison fait périr. Voilà ce qu'en général j'avais à dire sur cet arbre ; je vais à présent exposer sa culture dans tous ses détails.
IX. On dispose la pépinière d'oliviers dans un lieu bien découvert, en terrain médiocrement bon, mais abondant en suc, ni compacte, ni trop léger, et pourtant plutôt léger que compacte. Ce genre de sol est presque toujours noir. Quand vous l'aurez remué à trois pieds de profondeur, et qu'au moyen d'un fossé profond vous en aurez interdit l'accès aux troupeaux, vous le laisserez fermenter. Alors coupez sur des arbres de jeunes branches droites et vigoureuses que la main puisse empoigner, c'est-à-dire qui soient de la grosseur d'un manche d'outil; pendant qu'elles sont fraîches, vous en ferez des boutures, en prenant garde de blesser l'écorce ni aucune autre partie que celle que la scie a tranchée. C'est ce qui se pratique sans difficulté, si préalablement on a disposé un étai, et si on a garni de torsades de foin ou de paille la partie où l'on doit faire l'amputation, de manière à couper la bouture doucement et sans dommage pour son écorce. On scie ensuite les boutures à la longueur d'un pied et demi, on polit la plaie de chacun des bouts avec une serpe, puis on les marque avec de la sanguine, afin de leur donner, en les plantant, la même position qu'ils avaient sur l'arbre, et pour que leur partie inférieure soit enfoncée dans le sol, et que la partie supérieure regarde le ciel: car si l'on plantait la bouture à contre-sens, elle prendrait difficilement, et l'arbre qui en proviendrait serait à jamais stérile. Il faudra enduire de fumier mêlé avec de la cendre, la tête et le pied des boutures, et les enfoncer entièrement de manière qu'elles soient recouvertes de terre légère à la hauteur de quatre doigts. On aura soin de ficher à leur droite et à leur gauche, et à petites distances, deux signaux faits d'un bois quelconque, et qui seront contenus par un lien à leur sommet, pour qu'on ne les renverse pas facilement. Ces précautions sont utiles pour que les fossoyeurs, dans leur ignorance, n'offensent pas les boutures enterrées, lorsqu'on leur fera cultiver la pépinière à la houe à deux dents ou bien au sarcloir. Quelques agriculteurs pensent qu'il vaut mieux planter des bourgeons, et les aligner de la même manière au cordeau. Quoi qu'il en soit, ces deux plantations doivent être faites après l'équinoxe du printemps. La première année, on sarclera le plus souvent qu'il sera possible; et la seconde année et les suivantes, quand les radicules auront acquis de la force, on cultivera avec le râteau; mais, durant deux années, on s'abstiendra de toute taille; puis à la troisième on ne laissera à chaque bouture que deux rameaux, et l'on sarclera fréquemment la pépinière. La quatrième année survenue, on coupera le plus faible des deux rameaux. Ainsi cultivés, les jeunes arbres seront, au bout de cinq ans, propres à la transplantation. On les établit avantageusement dans les terrains secs et peu humides, pendant l'automne; au printemps, dans ceux qui sont fertiles et moites, un peu avant qu'ils n'entrent en végétation. Un an avant de les transplanter, on leur prépare des fosses de quatre pieds; et, si le temps n'a pas été propice, avant de mettre ce plant dans la fosse, on y brûle de la paille pour que le feu en rende la terre plus meuble , ce que le soleil et les gelées auraient dû faire. Le moindre espace entre les lignes doit être, dans les terrains gras et propres aux céréales, de soixante pieds d'un côté, et de quarante de l'autre; dans un sol maigre et impropre à la culture des grains, vingt-cinq pieds d'intervalle sont suffisants. Il convient d'exposer les lignes au souffle du favonius, afin qu'il les rafraîchisse pendant l'été. Voici la manière de transplanter les jeunes oliviers. Avant de les arracher, marquez avec de la sanguine le côté qui regarde le midi, afin de leur donner la même exposition qu'ils avaient dans la pépinière. On a soin de laisser autour de la racine un pied de terre, et on les enlève avec cette motte. Pour empêcher qu'elle ne s'égrène, il est à propos de faire avec de petites baguettes une sorte de tissu qu'on appliquera au pied de l'arbre, et autour duquel on le fixera avec de l'osier, de manière que la terre bien serrée y soit comme emprisonnée. Alors, après avoir détaché le dessous de la motte, on la soulève légèrement, on lie dessous quelques petites branches, et l'on transporte le sujet. Avant de le déposer dans la fosse, il faudra en remuer le fond avec la houe à deux dents; puis, si la surface du terrain est plus grasse, en jeter la terre ameublie sur les racines et y semer de l'orge. S'il se trouvait de l'eau dans les fosses, on l'épuiserait complètement avant d'y mettre les arbres, on y jetterait de petits cailloux ou du gravier mêlé de terre grasse, et après avoir assis les plants, on échancrerait les côtés de la fosse et on mêlerait un peu de fumier à la terre. Si on n'a pas jugé à propos de planter en motte, il sera bon d'enlever tout le feuillage du tronc de l'olivier; puis, après avoir uni les plaies et les avoir enduites de fumier et de cendre, de le déposer dans les fosses ou dans les tranchées. Le sujet le plus propre à la transplantation est celui dont le tronc n'excède pas la grosseur du bras. On peut pourtant en transplanter de beaucoup plus gros et de plus robustes. Alors, si on n'a aucun danger à redouter des bestiaux, on plantera le sujet de sorte qu’il ne s'élève que peu au-dessus de la fosse: il en poussera plus vigoureusement; mais si on ne peut éviter, les incursions de ces animaux, on conservera au tronc assez de hauteur pour qu'ils ne puissent lui nuire. Il ne faut pas négliger d'arroser quand survient la sécheresse. Ce n'est qu'après deux ans qu'on fera usage de la serpe : alors on émondera l'olivier de telle sorte que sa tige dépasse en hauteur la taille du plus grand boeuf, de peur qu'en labourant cet animal ne s'y blesse la cuisse ou toute autre partie du corps. C'est aussi une excellente précaution d'entourer de haies les plants établis; puis de diviser en deux sections le verger d'oliviers bien constitué et au moment du rapport: chacune d'elles donnera alternativement des fruits tous les deux ans : car l'olivier n'est pas fécond deux années de suite. L'année où le terrain sur lequel sont plantés les oliviers n'est pas ensemencé, ces arbres jettent des rejetons; quand il est mis en culture, ils donnent des fruits: ainsi, en divisant le champ en deux portions, on obtient tous les ans un revenu égal. Au surplus, on doit le labourer au moins deux fois par an, et le fouir profondément avec la boue à deux dents. Pendant le solstice d'été, quand la terre s'est gercée, il faut veiller à ce que, par ces crevasses, le soleil ne frappe pas les racines. Après l'équinoxe d'automne, on déchausse les oliviers de manière que, s'ils sont plantés sur un coteau, des rigoles tracées d'en haut conduisent à leur pied l'eau chargée de limon. Ensuite, chaque année, on extirpera tous les rejetons qui naissent à la base de l'arbre, qui devra être fumé tous les trois ans. On se conformera pour la manière de distribuer les engrais dans les plants d'oliviers, aux préceptes que j'ai donnés dans mon second livre, si on se propose d'en faire aussi profiter les céréales; mais si on ne veut s'occuper que des arbres, il faudra en automne, pour que l'engrais réchauffe leurs racines en s'y mêlant pendant l'hiver, jeter au pied de chacun d'eux six livres de crottin de chèvres, ou un modius de fumier sec, ou bien un conge de lie d'huile. Lorsqu'ils sont peu vigoureux, la lie d'huile est préférable, en raison de la propriété qu'elle a de faire périr les vers et les autres insectes qui, pendant l'hiver, s'introduisent au pied des oliviers. Ordinairement aussi, dans les lieux soit secs, soit humides, ces arbres sont infestés par la mousse, qui, si elle n'est pas enlevée au moyen du grattoir, ne laissera venir ni fruits ni même beaucoup de feuilles. Les oliviers doivent être taillés après un certain nombre d'années; car il convient de se rappeler cet ancien proverbe : Qui laboure ses oliviers, les prie de donner du fruit; qui les fume, le demande; qui les taille, l'exige. Il suffit cependant de le faire tous les huit ans pour ne pas trop couper de branches à fruit. Il arrive quelquefois que les oliviers, quoiqu'ayant une belle apparence, ne produisent pas de fruits : il convient alors de les percer avec la tarière gauloise et d'enfoncer dans le trou une cheville verte d'olivier sauvage : ainsi, par cette sorte d'alliance qui le féconde, l'arbre devient plus fertile. On peut encore, sans avoir recours aux déchaussements, l'exciter avec de la lie d'huile non salée, mêlée avec de vieille urine de porc ou d'homme, qui l'une et l'autre ne doivent être employées qu'avec mesure; car pour le plus grand de ces arbres, une urne sera plus que suffisante, si on ne la mêle avec une égale quantité d'eau. Quelquefois, par le vice du sol, les oliviers ne donnent pas de fruits. Voici comment on peut remédier à cet inconvénient. On déchaussera les arbres au moyen de grands trous circulaires; ensuite, suivant la grandeur de l'olivier, on l'entourera d'une plus ou moins grande quantité de chaux; toutefois, le plus petit en demande un modius. Si ce remède ne produit aucun effet, on aura recours à la ressource de la greffe. Nous dirons par la suite comment on greffe l'olivier. Il arrive aussi quelquefois qu'un de ses rameaux est un peu plus vigoureux que les autres; si on ne le coupe pas, tout l'arbre dépérira. Jusqu'ici nous avons assez parlé des plants d'oliviers. Il nous reste à traiter des arbres fruitiers proprement dits; c'est ce qu'à présent nous allons faire.
X. Avant de planter le verger, il faut enclore son terrain soit d'un mur, soit d'une haie vive, soit d'un fossé taillé à pic, afin que ni bestiaux ni hommes n'y puissent pénétrer ; car, si la cime des arbres est trop souvent touchée par la main de l'homme, ou rongée par les animaux, le jeune plant ne pourra jamais prendre d'accroissement. Il est utile de classer ces arbres, surtout pour que les faibles ne soient pas étouffés par les plus forts ; car outre qu'ils diffèrent entre eux de force et de hauteur, ils ne croissent que dans un intervalle de temps inégal. La terre qui est propre aux vignes convient aussi aux arbres fruitiers. Un an avant de les planter, creusez la fosse qui doit les recevoir ; ainsi la terre se macérera par l'effet du soleil et des pluies, et ce qu'on y plantera prendra promptement. Si pourtant vous voulez dans une même année faire les fosses et planter, creusez les fosses au moins deux mois d'avance ; puis réchauffez-en les parois en y brûlant de la paille. Plus vous les ferez spacieuses, plus les fruits que vous obtiendrez seront beaux et abondants. Ces fosses doivent ressembler à un four dont le fond est plus large que l'entrée, afin que les racines aient plus d'espace pour se développer, et qu'une ouverture plus étroite laisse pénétrer moins de froid en hiver, et moins de chaleur en été ; et aussi afin que, sur les terrains en pente, les pluies n'entraînent pas la terre qui a servi à les combler. Plantez à de grands intervalles, afin que les arbres en croissant aient assez d'espace pour étendre leurs branches : si vous les rapprochiez trop, vous ne pourriez rien semer sous leur ombrage, et eux-mêmes ne donneraient du fruit qu'autant que vous les éclairciriez. Aussi convient-il de laisser entre les lignes quarante pieds ou trente au moins. Choisissez votre plant aussi gros que le manche de la houe à deux dents, droit, sans aspérités, haut, sans ulcères, et dont l'écorce soit intacte : alors il prendra bien et promptement. Si vous coupez des boutures sur d'anciens rameaux, préférez ceux qui, tous les ans, produisent des fruits abondants et de bonne qualité, et plutôt ceux qui sont exposés au soleil, que ceux dont l'ombre des branches ou des plantes quelconques arrêtent le développement. Avant d'opérer votre transplantation, remarquez le vent auquel vos jeunes arbres étaient primitivement exposés, arrachez- les ensuite, et transférez-les d'un terrain en pente et sec dans un lieu humide. Prenez de préférence ceux qui présentent trois branches, et qui ont moins de trois pieds de hauteur. Si dans une même fosse vous voulez établir deux ou trois arbres, veillez à ce qu'ils ne se touchent pas : autrement ils pourriraient et les vers les feraient périr. Quand vous plantez vos jeunes arbres, disposez au fond de la fosse, à droite et à gauche, de petites fascines de sarment grosses comme le bras, de manière qu'elles s'élèvent un peu au-dessus du sol : vous pourrez au moyen de celles-ci, avec peu de travail, donner de l'eau aux racines pendant l'été. Mettez en terre, pour la pépinière, vos arbres et vos plants enracinés, dans le courant de l'automne, vers les calendes et les ides d'octobre. Pour planter à demeure, attendez le retour du printemps, avant que la végétation ne commence. Afin que la teigne ne dévore pas vos plants de figuiers, déposez au fond de la fosse une branche de lentisque, la tête en bas. Ne plantez pas le figuier par un temps froid : il aime un terrain exposé au soleil, pierreux, graveleux, et parfois couvert de roches. Ces arbres poussent promptement, quand on les dépose dans une fosse vaste et bien ouverte. Quelles que soient les différences qu'ils présentent dans leur aspect et dans la saveur de leurs fruits, il n'y a qu'une manière de les planter, en consultant toutefois la nature des divers terrains. Plantez en automne, dans les localités froides et aquatiques, le figuier précoce, afin d'en cueillir les fruits avant les pluies. Plantez les tardifs dans les expositions chaudes. Si vous désirez retarder la maturité des figues, quoiqu'elles soient de nature hâtive, cueillez les petites figues, c'est-à-dire ses premiers fruits, dès leur apparition ; il en repoussera d'autres qui ne mûriront qu'à l'approche de l'hiver. Quelquefois aussi il convient de couper les cimes avec la serpe, lorsqu'elles commencent à se couvrir de feuilles : on rend ainsi l'arbre plus fort et plus fécond. Aussitôt que les figuiers ont commencé à pousser des feuilles, il sera toujours bon de délayer de la terre rouge dans de la lie d'huile, et de la répandre avec des excréments humains sur les racines de l'arbre : cette préparation augmente sa fertilité, et rend ses fruits plus charnus et de meilleur goût. On doit préférablement planter les figuiers de Livie, d'Afrique, de Chalcis, les sulques, ceux de Lydie, les callistruthes, les topies, ceux de Rhodes, de Libye, et d'hiver : toutes variétés qui donnent des fruits deux ou trois fois par an. Vers les calendes de février, semez l'amande dont l'arbre est le premier qui bourgeonne : elle demande un terrain ferme, chaud et sec ; car si vous la placez ailleurs, le plus souvent elle pourrit. Avant de la mettre en terre, faites-la macérer dans de l'eau miellée, mais qui ne soit pas trop douce : ainsi l'amandier, quand il aura grandi, fournira un fruit plus agréable au goût, et en attendant se couvrira de feuilles mieux et plus promptement. Placez trois amandes dans une fossette triangulaire, de manière qu'elles soient éloignées l'une de l'autre d'au moins un palme, et que le sommet du triangle regarde le favonius. Chacun de ces fruits ne jette qu'une seule racine et qu'une seule tige. Quand la racine est parvenue au fond de la fosse, arrêtée par la dureté du sol, elle se recourbe, et de son extrémité émet deux racines bifurquées. Vous pourrez obtenir ainsi qu'il suit des amandes et des avelines de Tarente : dans la fosse que vous destinez à recevoir ces fruits, établissez un demi-pied de terre légère sur laquelle vous répandrez de la graine de férule ; lorsque cette plante aura poussé, vous la fendrez, et dans sa moelle vous insérerez une amande ou une aveline, dépouillées de leur coque ; dans cet état, vous les recouvrirez de terre. Cette opération devra être faits avant les calendes de mars, ou entre les nones et les ides de ce mois. On sème à la même époque la noix, le pignon et la châtaigne, et de ce moment jusqu'aux calendes d'avril, les pépins de la grenade, dont le fruit, s'il est acerbe ou peu doux, peut être corrigé par le procédé suivant : arrosez les racines du grenadier avec des excréments de porc et d'homme délayés dans de vieille urine ; cette préparation, outre qu'elle féconde l'arbre, rend pendant les premières années son fruit vineux, puis, au bout de cinq ans, doux et rempli de pepins plus tendres. Quant à nous, nous délayons du laser dans du vin, et nous frottons l'extrémité des cimes de l'arbre : ce liniment corrige l'âcreté du fruit. Pour empêcher que les grenades ne se gercent sur l'arbre, on place trois pierres près des racines du grenadier, au moment où on le plante, et, s'il est vieux planté, on sème de la scille à son pied. On peut encore, quand la grenade est déjà mûre, et avant qu'elle ne se fende, tordre le petit rameau d'où elle pend : grâce à ce procédé, vous en conserverez même d'intactes toute l'année. Plantez le poirier en automne, avant le solstice d'hiver, au moins vingt-cinq jours auparavant. Quand il sera grand, déchaussez-le profondément pour le rendre fécond, fendez son tronc près de ses racines, et enfoncez clans cette ouverture un coin de bois de pin que vous y laisserez ; puis, après avoir comblé la fosse, vous jetterez de la cendre sur la terre. Il est important de ne peupler le verger que d'excellentes espèces de poiriers, telles que les crustumiens, les royaux, les signins, les tarentins, ceux qu'on appelle syriens, les pourprés, les superbes, les hordéacés, les aniciens, les néviens, les favoniens, les latérans, les dolabelliens, les turraniens, les volèmes, les miellés, les précoces, ceux de Vénus, et quelques autres dont il serait trop long de faire ici l'énumération. Il faut, en outre, rechercher, parmi les variétés du pommier, les scanliens, les matiens, les orbiculaires, les sextiens, les pélusiens, les amérins, les syriens, les miellés, les cognassiers, dont il y a trois espèces, qui sont les struthiens, les chrysoméliens, les mustés. Les fruits de tous ces pommiers sont non seulement agréables au goût, mais encore très sains. Les cormiers d'Arménie et de Perse ne donnent pas des fruits moins savoureux. On plante les pommiers, les cormiers et les pruniers, depuis la moitié de l'hiver jusqu'aux ides de février ; les mûriers, depuis ces ides jusqu'à l'équinoxe du printemps ; et dans l'automne, avant le solstice d'hiver, le pécher, et le caroubier que quelques personnes appellent cération. Si l'amandier, est peu fécond, enfoncez une pierre dans un trou que vous pratiquerez dans son tronc, et laissez-la se recouvrir par l'écorce. Vers les calendes de mars, il convient de disposer, dans les jardins, sur des couches, en terre bien ameublie et fumée, les boutures de toute espèce. Il faut avoir soin, pendant que les pousses en sont tendres encore, de leur faire subir une sorte d'épamprement, et, dès la première année, de les réduire à une seule tige. Quand l'automne sera venu, avant que le froid n'en brûle les cimes, il est à propos d'en cueillir toutes les feuilles, et, au moyen de gros roseaux auxquels on conserve entiers les noeuds d'un bout, on couvre le plant de cette espèce de chapeau, qui protège ses jets encore tendres contre le froid et les gelées. Ensuite, au bout de vingt-quatre mois, vous pourrez à votre volonté et en toute sûreté, ou transplanter, ou mettre en lignes, ou greffer ces marcottes.
XI. On peut enter toute espèce d'arbres, pourvu que la greffe ne diffère point par son écorce de l'arbre sur lequel on l'insère ; on peut aussi greffer l'un sur l'autre avec succès et sans scrupule les arbres qui donnent un fruit semblable et mûrissant à la même époque. Les anciens nous ont fait connaître trois espèces de greffes : l'une qui consiste à étêter un arbre, à le fendre, puis à insérer les scions coupés sur un autre arbre ; l'autre à insérer le scion entre l'écorce et le bois : ces deux greffes se font au printemps ; la troisième se pratique en appliquant sur un point dénudé de l'arbre à greffer, un oeil pourvu d'un peu d'écorce : c'est ce que les agriculteurs appellent emplastration ou inoculation. Cette espèce d'insertion réussit très bien en été. Après avoir rapporté ces méthodes, nous enseignerons celle que nous avons découverte. Le moment de greffer tous les arbres est celui où ils commencent à pousser leurs boutons ; quant à l'olivier, il se greffe lorsque la lune est dans son premier quartier, vers l'équinoxe du printemps jusqu'aux ides d'avril. Ayez l'attention de cueillir, pour l'arbre que vous voulez propager, vos greffes sur un sujet bien frais et fécond, et pourvu de beaucoup de noeuds. Aussitôt que les boutons sont gonflés, cueillez des jets gros comme le petit doigt, âgés d'un an, qui regardent le soleil levant, et qui soient bien intacts. Ces jets devront avoir deux ou trois fourches. Coupez soigneusement, avec la scie, l'arbre que vous voulez greffer, sur un point bien lisse et sans cicatrice, et vous éviterez d'en endommager l'écorce. Après cette amputation, polissez la plaie avec un outil parfaitement tranchant. Ensuite, en usant de la précaution de ne pas déchirer ni blesser l'écorce, introduisez entre elle et le bois un petit coin de fer ou d'os qui n'ait pas moins de trois doigts de longueur ; puis, avec une serpette bien tranchante, vous ratisserez la greffe d'un côté, sur, une longueur égale à celle de l'ouverture formée par le coin fiché dans l'arbre, de manière à n'offenser ni la moelle, ni l'écorce du côté opposé. Vos greffes ainsi préparées, enlevez le coin et placez-les aussitôt dans la fente pratiquée par l'introduction du coin entre l'écorce et le bois. Insérez toute la partie ratissée, et ne faites saillir le jet que d'un demi-pied, et pas plus. Vous pouvez, sans inconvénient, introduire deux greffes, et même un plus grand nombre, si le tronc est assez gros, en laissant entre elles un intervalle de quatre doigts : la grandeur de l'arbre et la bonté de son écorce vous guideront d'ailleurs dans cette opération. Quand vous aurez placé toutes les greffes que l'arbre peut admettre, vous le serrerez avec des bandes d'écorce d'orme, ou avec du jonc, ou avec de l'osier ; ensuite vous enduirez la plaie de torchis bien manié, en laissant libre l'espace entre les jets sur une étendue d'au moins quatre doigts. Vous recouvrirez de mousse que vous lierez de manière que la pluie ne la fasse pas tomber. Quoi qu'il en soit, il y a des personnes qui aiment mieux ouvrir avec la scie une aire pour les greffes dans le tronc de l'arbre, polir avec un léger scalpel les points sciés et y adapter ces greffes. Si vous voulez greffer un petit arbre, coupez-le par en bas à un pied et demi au-dessus du sol, puis polissez soigneusement la plaie, et fendez légèrement avec un scalpel bien tranchant le milieu du tronc, de manière que la fente ne pénètre qu'à trois doigts. Faites-y ensuite entrer un coin pour l'entr'ouvrir, enfoncez-y les greffes, ratissées des deux côtés, de telle sorte que leur écorce soit exactement mise en rapport avec celle de l'arbre, puis, ces greffes soigneusement ajustées, enlevez le coin, et liez l'arbre comme j'ai dit ci-dessus. Amoncelez de la terre autour de l'arbre jusqu'à la greffe : par ce moyen vous protégerez efficacement celle-ci contre le vent et contre les ardeurs de l'été. Le troisième mode de greffe étant très délicat ne peut être employé pour toute espèce d'arbres ; mais il convient presque toujours à ceux dont l'écorce est humide, remplie de sève, et épaisse, comme le figuier. Aussi le figuier sauvage qui laisse échapper une grande quantité de lait et a l'écorce très forte, se greffe-t-il très facilement par ce procédé. Sur l'arbre que vous désirez propager, choisissez des rameaux jeunes et bien lisses, qui aient un bouton bien apparent, et vous aurez l'espoir fondé d'une bonne réussite. Tracez autour de cet oeil un carré dont chaque côté soit de deux doigts et dont il occupera le milieu ; puis, avec un scalpel bien affilé, enlevez ce carré, détachez-le soigneusement afin de ne pas blesser le bouton. Ensuite, sur l'arbre que vous voulez greffer, faites choix d'un rameau très franc que vous mettrez à nu, et vous y adapterez l'écusson préparé de manière qu'il occupe exactement tout le point écorcé. Après cela, liez soigneusement cet écusson en haut et en bas, prenez garde d'en blesser l'oeil, et enduisez de boue les lèvres de la plaie et les ligatures, en ménageant un intervalle jusqu'au bouton, afin que celui-ci soit libre, et ne soit pas gêné par la ligature. Au surplus, coupez les branches et les rejets de l'arbre écussonné pour que la sève ne puisse pas être dérivée, et ne profite qu'à la greffe. Au bout de vingt et un jours, dégagez-le. Cette dernière méthode s'applique parfaitement à l'olivier. Nous avons déjà enseigné, en traitant des vignes, la pratique d'une quatrième greffe ; il est donc superflu de répéter ici ce que nous avons dit de la méthode par térébration. Toutefois, comme les anciens ont contesté la possibilité de faire prospérer toutes sortes de greffes sur toute espèce d'arbres, et qu'ils ont sanctionné comme une espèce de loi cette règle que nous avons déterminée un peu plus haut, que la seule greffe qui puisse réussir est celle qui ressemble pour l'écorce, le liber et le fruit, aux arbres qui la reçoivent, nous avons pensé qu'il fallait dissiper l'erreur de cette opinion, et donner à nos descendants la méthode qui rend possible, sur toute espèce d'arbres, toute espèce de greffe. Pour ne pas fatiguer le lecteur par un trop long préambule, nous allons lui donner comme exemple le moyen de pratiquer cette opération sur tous les arbres en général. Creusez une fosse de quatre pieds en tous sens, à distance telle d'un olivier, que les extrémités de ses branches puissent y atteindre. Plantez dans cette fosse un jeune figuier, que vous aurez soin de choisir vigoureux et franc. Après trois ans, quand il aura pris assez d'accroissement, courbez un rameau d'olivier de belle venue, et liez-le au pied du figuier ; retranchez ensuite tous les autres jets, et conservez seulement les pointes que vous destinez à la greffe. Étêtez alors le figuier, polissez la plaie, et, au moyen d'un coin, fendez cet arbre au milieu. Ratissez des deux côtés les cimes d'olivier sans les détacher de la tige mère, et, dans cet état, insérez-les dans la fente du figuier, ôtez le coin et liez avec soin ces rameaux, afin qu'aucune force ne les déplace. Ainsi, pendant trois ans le figuier croîtra avec l'olivier, et enfin, à la quatrième année, quand leur union sera complète, vous séparerez les rameaux d'olivier du tronc maternel, comme on le fait pour les provins. Par ce procédé, vous grefferez toute espèce d'arbre sur quelqu'autre espèce que ce puisse être. Ayant, dans les livres précédents, traité de toutes les variétés d'arbres à fruit, il est à propos de parler du cytise avant de terminer ce livre-ci.
XII. Il importe beaucoup de posséder sur une terre une forte quantité de cytise, puisqu'il est très utile aux poules, aux abeilles, aux chèvres, aux boeufs et à toute espèce de bestiaux : tant parce qu'il les engraisse promptement, et qu'il procure aux brebis une grande abondance de lait, que parce qu'il peut fournir huit mois un fourrage vert, et ensuite un fourrage sec. D'ailleurs le cytise pousse promptement dans toute espèce de champ, quelle que soit sa maigreur. Il ne souffre aucun dommage de ce qui nuit aux autres végétaux. Si les femmes même viennent à manquer de lait, il faut faire macérer dans de l'eau du cytise sec, qu'on devra laisser tremper toute une nuit, et en mêlant le lendemain trois hémines de son suc exprimé avec une petite quantité de vin, on obtiendra un breuvage au moyen duquel la santé des mères sera consolidée en même temps que l'abondance de leur lait sera profitable à leurs enfants. On peut semer le cytise en automne vers les ides d'octobre, ou bien au printemps. Quand la terre a été convenablement labourée, dressez-la en petites planches et, en automne, sentez la graine de cytise, comme on sème la dragée. Au printemps, disposez votre plant, et placez-le à la distance de quatre pieds en tous sens. Si vous n'avez pas de graine, plantez des cimes de cytise à l'époque du printemps, et buttez-les avec de la terre bien fumée. S'il ne survient pas de pluie, arrosez pendant les quinze premiers jours ; dès qu'il commencera à pousser des feuilles, sarclez-le, et au bout de trois ans coupez-le et donnez-le à votre bétail. En vert, quinze livres de cytise suffisent pour le cheval, vingt pour le boeuf, et proportionnellement pour les autres bestiaux. On peut aussi, avant le mois de septembre, planter, avec assez d'avantage des boutures de cytise, parce qu'il prend facilement, et qu'il résiste bien à tous les contretemps. Si vous l'employez sec, vous modérez la ration, parce qu'il est alors plus substantiel ; au reste, vous le ferez d'abord macérer dans l'eau, puis vous le mêlerez avec de la paille. Lorsque vous voudrez faire sécher le cytise, coupez-le vers le mois de septembre, au moment où sa graine commence à grossir, et exposez-le au soleil pendant un petit nombre d'heures, jusqu'à ce qu'il soit fané ; mettez-le ensuite sécher à l'ombre, et serrez-le. J'ai jusqu'ici suffisamment parlé des arbres ; je consacrerai le livre suivant à l'exposition des soins que réclament les troupeaux et à l'étude des remèdes qui leur sont nécessaires.
AVANT-PROPOS. Je sais, Publius Silvinus, que quelques agriculteurs expérimentés ont blâmé l'entretien des bestiaux, ainsi que des gens préposés à leur garde, et qu'ils ont constamment refusé de s'en occuper comme d'une science contraire à l'agronomie. J'avoue qu'ils ont quelques motifs de penser ainsi, puisque l'objet du pâtre est différent de celui du cultivateur : celui-ci, en effet, ne recherche que les terrains bien travaillés et bien nettoyés; celui-là, que les champs incultes et couverts d'herbes ; l'un fonde son espoir sur le produit de ses terres, l'autre le fonde sur ses troupeaux : de sorte que l'abondance des herbes qui cause le désespoir du laboureur, est pour le pâtre l'objet des plus ardents désirs. Il y a toutefois, dans ces vœux si différents, une certaine union et un certain rapport, puisqu'on a l'habitude de livrer les pâtures d'un fonds, plutôt aux bestiaux de la ferme qu'à ceux d'autrui, et que les biens de la terre deviennent plus abondants par les amples fumures que donnent les troupeaux. Il n'y a non plus aucun pays, s'il produit des céréales, qui puisse se passer du concours des bestiaux, pas plus que de celui des hommes. C'est d'ailleurs de l'aide qu'ils nous procurent que nous avons tiré leur nom parce qu'ils nous secondent dans nos travaux, soit en portant des fardeaux, soit en labourant. Aussi, de même que les anciens Romains l'ont prescrit, je pense que l'on ne doit pas être plus étranger aux soins que réclament les bestiaux, qu'à ceux que demandent les champs : car l'entretien des troupeaux était pour les anciens agriculteurs la source la plus féconde de richesses. C'est pourquoi les noms de pecunia et de peculium paraissent venir de pecus; car les anciens ne possédèrent que ce bien, et, encore aujourd'hui, certaines nations n'ont pas d'autre espèce de fortune. Maintenant même nos colons ont-ils d'autres objets d'un produit plus avantageux? M. Caton était aussi de cet avis, quand il répondit à quelqu'un qui lui demandait quelle était la partie de l'économie rurale à laquelle il fallait s'adonner pour s'enrichir promptement : A l'éducation bien entendue des bestiaux. — Et que faut-il faire pour obtenir des profits honnêtes? reprit le questionneur. — Entretenir des bestiaux médiocrement bien. Quant à la dernière réponse que Caton, si l'on en croit quelques auteurs, aurait faite à ce même homme qui lui demandait ce qui après ces deux choses était le plus lucratif: Que c'était encore les bestiaux, fussent-ils mal soignés; je rougirais de l'attribuer à un homme si savant : car un pâtre ignorant et paresseux cause plus de dommage, que ne rapporte te bénéfice celui qui est habile et diligent. Pour la seconde réponse, il n'est pas douteux que les bénéfices qu'on obtient d'un troupeau ne soient encore considérables quand la négligence du maître n'est pas trop grande. <6> C'est pourquoi, Silvinus, nous avons, en suivant les préceptes le nos aïeux, transmis à la postérité, autant que nos connaissances nous le permettent, cette partir de l'économie rurale. En conséquence, puisque nous avons deux classes de quadrupèdes, dont l'une est acquise par nous pour être associée à nos travaux, comme le bœuf, la mule, le cheval et l'âne; et l'autre pour nos plaisirs, notre profit et notre garde, telle que la brebis, la chèvre, le porc et le chien : nous parlerons d'abord de cette classe dont l'emploi est de partager notre travail. Il n'est pas douteux que, comme l'a dit Varron, le bœuf ne doive être honorablement placé avant tous les autres animaux, surtout en Italie, qui semble avoir tiré son nom de ce quadrupède, car les Grecs autrefois appelaient les taureaux g-italoi à Rome même, pour le tracé des murs de laquelle on employa, comme attelage, le bœuf et la vache; à Athènes aussi, où le bœuf fut le ministre de Cérès et de Triptolème ; dans les cieux encore, où il tient sa place parmi les astres les plus brillants; et dans la culture de nos champs, où l'homme n'a pas de compagnon aussi laborieux. Aussi inspira-t-il tant de vénération aux anciens, que tuer un bœuf, chez eux, était un aussi grand crime que d'avoir tué un citoyen. C'est donc par le bœuf que nous commençons le travail que nous avons promis.
De l'acquisition des bœufs, et de leurs formes. I. Dire ce qu'il faut observer et ce qu'il faut éviter dans l'achat des bœufs n'est point chose facile; car, selon l'état de la température et du sol où ils sont nés, leur corps diffère de taille; leur intelligence, de caractère; leur pelage, de couleur. Autres sont les formes des bœufs d'Asie, autres celles des bœufs des Gaules, autres aussi celles des bœufs de l'Epire : cette différence ne se fait pas seulement remarquer de province à province; on la trouve aussi dans les diverses contrées de l'Italie. En général, la Campanie produit des bœufs blancs et petits, qui n'en sont pas moins propres au travail et à la culture du sol sur lequel ils sont nés; l'Ombrie les donne grands et blancs, rouges quelquefois, et non moins remarquables par le courage que par la corpulence ; ceux de l'Etrurie et du Latium sont trapus et vigoureux pour le travail; ceux de l'Apennin sont très-durs à la fatigue et triomphent de tout obstacle; mais ils ? ont pas une belle apparence. Parmi tants de variétés et de différences, le laboureur doit pourtant suivre quelques règles communes et certaines dans l'achat qu'il fait de jeunes bœufs. Le Carthaginois Magon les a fixées ainsi que nous allons les rappeler. Il est à propos d'acheter des bœufs jeunes, carrés, bien membrus, qui aient les cornes bien développées, noirâtres et fortes, le front large et creux, les oreilles velues, les yeux et les lèvres noirs, les naseaux retroussés et larges, le cou long et musculeux, le fanon ample et tombant presque jusqu'aux genoux, le poitrail large, les épaules vastes, le ventre gros et semblable à celui d'une vache pleine, les flancs étendus, les reins larges, le dos droit et plat ou même un peu rentré, les fêles arrondies, les jambes fermes et droites, mais plutôt courtes que longues; les genoux irréprochables, la corne des pieds grande, la queue très-longue, bien garnie de poil et terminée par beaucoup de soies, le corps épais et court, la couleur rousse ou fauve, et la peau douce au toucher.
Des bœufs à dompter. II. Il faut accoutumer les veaux ainsi conformés, et pendant qu'ils sont encore jeunes, à se laisser manier et attacher aux mangeoires, afin qu'on éprouve par la suite moins de peine et de danger à les dompter : ce dont, au reste, il ne faudra pas s'occuper avant leur troisième année, ni après la cinquième, parce qu'avant trois ans les bouvillons sont encore trop délicats, et qu'après cinq leur force les rend difficiles à maîtriser. Quant à ceux qu'on a pris dans un troupeau sauvage, voici comment on les dompte : d'abord on dispose une étable spacieuse, où celui qui en prendra soin puisse tourner facilement, et d'où il puisse sortir sans danger. Les abords de l'étable devront être libres, donner sur la campagne ou sur un, chemin bien large, afin que les bouvillons, à leur sortie, trouvent un libre parcours et ne soient pas exposés, s'ils venaient à s'effrayer, à s'embarrasser dans les arbres ou dans tout autre obstacle, et à s'y blesser. L'étable doit être pourvue de vastes mangeoires au-dessus desquelles seront fixées horizontalement des solives en forme de jougs, élevées de sept pieds au-dessus du sol, afin qu'on y puisse attacher les bouvillons. Ensuite, quand vous voudrez les dompter, choisissez une belle matinée d'un jour non férié, et liez leurs cornes avec une corde de chanvre. Quant aux courroies avec lesquelles on les conduit, elles doivent être recouvertes de peaux de mouton avec leur laine, pour ne pas les blesser à cette partie délicate qui est à la base des cornes. Ces jeunes bœufs étant pris, conduisez-les à l'étable, attachez-les à des poteaux de manière qu'ils aient un peu de liberté, et qu'une certaine distance les sépare assez pour que, dans la lutte qui va avoir lieu, ils ne puissent pas blesser leurs voisins. S'ils sont trop farouches, laissez-les épuiser leur fureur pendant un jour et une nuit, et, quand elle sera calmée, vous les conduirez à la main, en prenant la précaution de faire marcher quelqu'un devant eux, et plusieurs par derrière qui les retiendront avec des cordes, vous vous ferez accompagner en outre d'un individu armé d'un bâton de saule pour les en frapper sans brutalité lorsqu'il deviendra nécessaire de réprimer leur violence. Si, au contraire, vos jeunes bœufs sont doux et tranquilles, vous pourrez, le jour même où vous les aurez attachés, les faire sortir dans la soirée, et les dresser à parcourir d'un pas régulier, et sans s'effrayer, la distance de mille pas. Reconduits à l'étable, vous les lierez à des poteaux d'assez près pour qu'ils ne puissent remuer la tête. Approchez-vous deux alors, non pas par derrière ni de coté, mais en face, doucement, en leur parlant d'une voix caressante, afin qu'ils s'accoutument à voir celui qui les aborde. Frottez-leur ensuite les narines, pour qu'ils apprennent à reconnaître l'homme à l'odorat. Vous n'oublierez pas, non plus, pour les rendre plus familiers avec le bouvier, de leur tâter tout le dos, puis de les asperger de vin, et de leur passer la main sous les cuisses, afin que par la suite, quand on les y touchera, ils ne prennent pas l'épouvante, et qu'on puisse les débarrasser des tiques qui, le plus souvent, s'attachent à cet endroit. Dans ces opérations, le dompteur se tiendra de coté, pour ne pas recevoir de coups de pied. Ensuite, ouvrez-leur la bouche, attirez leur langue, frottez-leur de sel tout le palais, faites-leur avaler, à l'aide d'une spatule, des boules de pâte, du poids d'une livre, trempées dans de la graisse fondue très-salée; puis, au moyen d'une corne, versez-leur dans la gorge, à chacun, un setier de vin. Ces bons traitements, continués trois jours, les rendent à peu près dociles, et le quatrième jour, ils souffrent le joug, auquel on fixe, pour tenir lieu de timon, une branche d'arbre qu'on surchargera même de temps en temps d'un corps pesant, afin de mettre leur docilité à l'épreuve par le surcroît d'efforts qu'on exige d'eux. Après ces essais, on les attelle à une charrette vide, et peu à peu on augmente le trajet et la charge. Ainsi domptés, on ne tarde pas à les mettre à la charrue, mais dans un champ ameubli, pour qu'ils ne se rebutent pas d'abord par la difficulté du travail, et ne meurtrissent pas leurs cous, encore tendres, par un labourage trop pénible. J'ai enseigné dans mon premier volume comment le bouvier doit conduire ses bœufs lorsqu'il laboure. Pendant que l'on dompte le bouvillon, il faut prendre garde qu'il ne frappe quelqu'un de son pied ou de sa corne ; car, si on ne prenait cette précaution, on ne pourrait jamais, même après l'avoir dompté, le corriger de ces défauts. Au surplus, on ne suivra ces préceptes que dans le cas où l'on n'en aurait pas de dressés au travail; si l'on en est pourvu, la méthode la plus prompte et le plus sûre sera celle que nous employons dans nos campagnes. Là, quand on veut dresser un animal, soit pour la voiture, soit pour la charrue, on prend parmi les bœufs domptés le plus vigoureux et le plus tranquille, pour l'atteler avec un bouvillon indompté, qu'il retient quand il s'emporte, et entraîne quand il refuse de marcher. Si on prend la peine de faire un joug à trois bœufs, on obtiendra de cette machine l'avantage de faire exécuter les plus rudes travaux par les bœufs, même les plus récalcitrants : en effet, quand un jeune bœuf paresseux est placé entre deux anciens, et qu'il est forcé d'ouvrir la terre avec la charrue à laquelle il est attaché, il n'a aucun moyen de refuser d'obéir, puisque, s'il saute et s'emporte, il est contenu au gré de ses deux voisins; s'il s'arrête, il est entraîné par les deux qui marchent, et s'il tente de se coucher, il est soulevé et emmené par leur force supérieure à la sienne. Par ce moyen, il est obligé, dans tous ces cas, de renoncer à son opiniâtreté, et il ne faut que très-peu de coups pour l'amener à supporter le travail. Quoique domptés, certains bœufs d'un tempérament mou se couchent sur le sillon; je pense qu'il ne faut pas, pour les corriger, user de moyens violents, mais recourir à un procédé mieux réfléchi : en effet, ceux qui préfèrent, pour combattre ce défaut, employer l'aiguillon, le feu et d'autres tortures, ne connaissent pas le véritable remède : car la cruauté qui s'opiniâtre excède ordinairement l'animal qu'elle rend furieux. C'est pourquoi il est plus utile, au lieu d'user de mauvais traitements, de corriger le bœuf qui se couche, en lui faisant souffrir la faim et la soif : car les coups ont moins d'empire sur lui que les besoins naturels. Quand donc un bœuf se couchera, il sera très à propos alors de lui lier tellement les pieds qu'il ne puisse se tenir debout, ni marcher, ni paître : pressé par la faim et la soif, il renoncera bientôt à sa paresse qui, du reste, est très-rare dans les bœufs du pays, lesquels sont de beaucoup préférables aux étrangers : en effet, les premiers sont habitués à l'eau du lieu, à sa pâture, à son climat; la nature du sol ne les contrarie pas; tandis qu'il n'en est pas de même du bœuf qui est amené d'un pays plat et champêtre dans des lieux montueux et escarpés, ou de ceux-ci dans les plaines. C'est pourquoi, quand nous sommes obligés de faire venir nos bœufs d'une contrée éloignée, il faut avoir soin de les tirer de lieux semblables à ceux où on les conduit. Il est à propos aussi de ne pas accoupler avec un animal vigoureux un autre qui lui soit inférieur en corpulence, en stature et en forces : car ces disproportions ne tardent pas à devenir préjudiciables au plus faible. On regarde comme ayant les meilleures qualités ceux de ces bestiaux qui sont plutôt tranquilles qu'emportés, mais non paresseux; ceux qui sont sensibles aux coups et à la voix du bouvier, et qui, confiants dans leurs forces, ne s'effrayent ni de ce qu'ils entendent ni de ce qu'ils voient, et qui ne redoutent pas d'entrer dans les rivières ou de passer sur les ponts. Ils doivent prendre beaucoup de nourriture, et ruminer lentement : car alors ils digèrent mieux; aussi ceux qui mâchent à leur aise conservent-ils mieux leur vigueur et leur embonpoint, que ceux qui expédient à la hâte leur rumination. Au surplus, on n'a pas moins de tort de rendre ses bœufs gras que de les laisser devenir maigres : le corps des bêtes de travail est dans un état convenable quand elles sont alertes, nerveuses, bien musclées et non surchargées de graisse, afin de n'avoir à souffrir ni du poids de leur masse, ni de la fatigue du travail. Ainsi, après avoir donné les préceptes à suivre pour acheter et: dompter les bœufs, nous allons traiter des soins qu'ils exigent.
Du soin à donner aux bœufs, et de leur nourriture. III. Il faut tenir les bœufs dehors lorsqu'il fait chaud, et pendant le froid les mettre à couvert. En conséquence, on préparera, pour le séjour qu'ils feront à l'étable pendant l'hiver, de la paille qui, coupée à l'époque de la moisson, sera trente jours après, dans le mois d'août, entassée en meule. La coupe de cette paille n'est pas moins avantageuse aux bestiaux qu'aux champs : elle débarrasse les sillons des plantes parasites qui, abattues dans l'été, au lever de la canicule, périssent ordinairement avec leurs racines, et, données en litières, procurent beaucoup de fumier. Ces précautions prises, on préparera toutes les espèces de fourrages, et on veillera à ce que la disette ne fasse pas dépérir les animaux. Or, il y a plusieurs méthodes pour bien nourrir les bœufs : car si la fertilité de la contrée produit du fourrage vert, personne ne doute que ce genre de nourriture ne soit préférable à tout autre; mais c'est ce qui n'arrive que dans les terres arrosées ou naturellement humides. Aussi ces lieux sont-ils fort avantageux, puisqu'une journée d'un seul homme suffit pour deux attelages, qui, dans le même jour, labourent et paissent alternativement Dans les terrains secs, on nourrit les bœufs à la crèche et on subordonne leur alimentation aux fourrages que produit le pays; et personne ne doute que les meilleurs se composent de vesce en bottes, de cicérole, et de foin de pré. Il y a moins d'avantage à entretenir des bestiaux avec de la paille, que l'on peut se procurer partout, et qui est même la seule ressource de certains cantons : la plus estimée toutefois est celle du millet, puis celle de l'orge, et ensuite celle de froment. Outre la paille, il faut donner de l'orge en grain aux animaux qui travaillent. Au surplus, on règle la quantité du fourrage d'après les divers temps de l'année. Au mois de janvier, il convient de livrer à chaque animal quatre setiers d'ers moulu, macéré dans l'eau et mêlé de paille, ou bien un modius de lupins macérés, ou un demi-modius de cicérole aussi macérée, et en outre une large provision de paille. Si l'on manque de ces grains, on mêlera à la paille du marc de raisins séché après l'extraction de la piquette ; il est hors de doute qu'il serait préférable de le donner avec la pellicule des raisins et avant de l'avoir lavé : car alors, plus substantiel, et conservant un peu de la force du vin, il procurerait aux bœufs un poil lisse, de la gaîté et de l'embonpoint. Si on ne leur donne pas de grain, il suffira de distribuer une corbeille fourragère de vingt modius de feuilles sèches, ou trente livres de foin, sinon un modius de feuilles vertes de laurier et d'yeuse. Lorsque les ressources du pays le permettent, on y ajoute du gland, quoiqu'il produise la gale quand on leur en donne à satiété. On peut encore, si la récolte permet de le faire, leur donner un demi-modius de fèves moulues. Ordinairement la même ration suffît au mois de février. En mars et en avril on ajoute à la quantité du foin, parce que le labourage a lieu à cette époque : toutefois, quarante livres de ce fourrage suffisent pour chaque bœuf; mais depuis les ides du mois d'avril jusqu'aux ides de juin, il sera bon de couper du fourrage vert, et on pourra même, dans les contrées froides, en donner jusqu'aux calendes de juillet. De cette époque aux calendes de novembre, pendant tout l'été et ensuite dans l'automne, on nourrit les bestiaux avec des feuilles, qui pourtant ne sont vraiment bonnes que lorsqu'elles ont mûri sous les pluies ou sous de continuelles rosées. On estime surtout les feuilles de l'orme, puis celles du frêne, et ensuite celles du peuplier; les moins bonnes proviennent de l'yeuse, du chêne et du laurier : mais quand l'été est passé, à défaut d'autres, elles deviennent nécessaires. On peut aussi employer les feuilles de figuier, si l'on en a en abondance, ou s'il est devenu nécessaire d'émonder ces arbres. La feuille de l'yeuse est préférable à celle du chêne, pourvu qu'elle provienne d'une espèce qui n'ait pas de piquants; car, comme le genièvre, elle est rebutée par les animaux à cause de ces aiguillons. Aux mois de novembre et de décembre, pendant les semailles, il faut fournir au bœuf autant de nourriture qu'il en désire : toutefois il suffit ordinairement de leur donner un modius de gland, avec de la paille à discrétion, ou bien un modius de lupins macérés, ou sept setiers d'ers arrosé d'eau et mêlé avec de la paille, ou douze setiers de cicérole également arrosée et mélangée de paille, ou un modius de marc de raisins, pourvu que, comme je l'ai dit ci-dessus, on y joigne beaucoup de paille; ou enfin, si on n'a récolté aucun de ces fourrages, quarante livres de foin.
Des maladies des bœufs, et des remèdes à y apporter. IV. Ce n'est rien de pourvoir à la nourriture des bœufs, si on ne fait pas tout ce qui dépend de soi pour leur conserver la santé et entretenir leurs forces ; on parviendra à ce double but en leur administrant, trois jours de suite, une forte médecine composée de lupins broyés et de feuilles de cyprès, à poids égal et infusés dans de l'eau toute une nuit en plein air. On renouvelle ce remède quatre fois par an, à la fin du printemps, de l'été, de l'automne et de l'hiver. Souvent aussi on guérit leur langueur et leur dégoût en leur introduisant à jeun dans le gosier un œuf de poule entier et cru, et en leur versant, le lendemain, dans les naseaux du vin dans lequel on a broyé des têtes d'ulpique ou des gousses d'ail. Ces remèdes toutefois ne suffisent pas pour les tenir en bonne santé : beaucoup de cultivateurs mêlent encore une assez grande quantité de sel aux fourrages ; quelques-uns leur donnent du marrube avec de l'huile et du vin; d'autres des feuilles de poireaux ; ceux-ci quelques grains d'encens ; ceux-là de la sabine et de la rue détrempées dans du vin, et font boire ces préparations à leurs bœufs. Un grand nombre de personnes traitent ces animaux avec de la coulevrée blanche et des gousses d'ers; quelques autres mêlent avec du vin une peau de serpent réduite en poudre. Le serpolet broyé dans du vin doux, et la seule écrasée, macérée dans l'eau, sont encore des remèdes en usage. Toutes ces potions, administrées à la dose de trois hémines pendant trois jours consécutifs, leur purgent le ventre, et les délivrent du mal en rétablissant leurs forces. Au surplus, on regarde surtout comme efficace la lie d'huile mélangée avec une égale quantité d'eau, quand on parvient à accoutumer les bœufs à ce breuvage, qu'on ne peut leur donner tout d'abord, mais dont on commence par arroser le fourrage; puis on verse une petite quantité de la lie d'huile dans leur eau, et bientôt après on l'y mêle par parties égales pour leur en donner à discrétion.
Quels remèdes on doit donner aux troupeaux, quand une épizootie les attaque. V. En aucun temps, et surtout en été, il ne faut exciter les bœufs à courir : car cette fatigue leur occasionne la diarrhée ou la fièvre. Il faut aussi veiller à ce que ni porc ni poule n'approche des mangeoires : car leurs déjections, mêlées au fourrage, font périr les bestiaux. Les excréments de porc malade peuvent occasionner une maladie pestilentielle dans le troupeau. Pour remédier à ce fléau, il faut sans tarder le faire changer d'air, et, le divisant en plusieurs bandes, gagner une contrée éloignée. On séparera, bien entendu, les animaux sains de ceux qui sont malades, de manière que parmi les premiers il n'en pénètre pas qui infectent de la contagion ceux qu'elle n'a pas encore frappés. En conséquence, lorsqu'on aura dû éloigner le troupeau, on le conduira dans des lieux où nul autre bétail n'aille paître, de peur qu'il ne communique à ce dernier le mal dont il est atteint. Au reste, on peut guérir les maladies même pestilentielles, et en triompher par des remèdes bien appropriés. A cet effet, on mêle avec de la graine de fenouil des racines de panax et d'éryngium; on y joint du vin cuit et de la farine de froment ; on trempe le tout d'eau bouillante, et au moyen de cette préparation on excite la salivation du troupeau malade. On peut aussi composer un médicament avec de la cannelle, de la myrrhe, de l'encens, et du sang de tortue marine, à poids égaux et mêlés avec trois setiers de vin vieux qu'on injecte dans les naseaux des bêtes malades; mais il suffira d'administrer avec du vin, pendant trois jours, ce médicament divisé par portions égales de six onces. Nous avons reconnu aussi, comme un bon remède, les petites racines de la plante que les bergers appellent consiligo : elle naît en abondance dans les montagnes des Marses et est très-salutaire à tous les bestiaux. On doit l'arracher de la main gauche avant le lever du soleil : car on croit qu'ainsi cueillie, elle a une plus grande vertu. Voici, suivant la tradition, la manière dont on doit en faire usage : avec une alêne de cuivre, on pique circulairement la partie la plus large de l'oreille de l'animal, de telle sorte qu'en coulant le sang forme un petit cercle semblable à la lettre O. Quand cette opération est terminée intérieurement et à la surface supérieure de l'oreille, on transperce avec la même alêne le centre du cercle décrit, et l'on introduit dans le trou pratiqué la racine dont il s'agit. La plaie, étant récente, contient assez cette racine pour qu elle ne puisse pas s'échapper, et dès lors toute la violence du mal et le virus pestilentiel se portent à cette plaie, jusqu'à ce que la partie circonscrite par l'alêne tombe morte, et la tête se trouve ainsi préservée au prix d'une faible partie d'elle-même. Cornélius Celse prescrit d'injecter dans les naseaux des bœufs du vin dans lequel on aura broyé des feuilles de gui. Voilà ce qu'il convient de faire si tout un troupeau est malade; occupons-nous maintenant des affections qui ne frappent que quelques bêtes en particulier.
Quels remèdes il faut administrer au bœuf souffrant d'indigestion. VI. Les symptômes de l'indigestion sont des éructations fréquentes, des borborygmes, le dégoût pour les aliments, la tension des nerfs, le trouble de la vue. Il en résulte que le bœuf ne rumine plus et cesse de se lécher. Pour remède, on lui donnera deux congés d'eau chaude, et, aussitôt après, trente feuilles de chou médiocrement cuites et assaisonnées de vinaigre. Le malade devra, un jour entier, être privé de toute autre nourriture. Quelques personnes le retiennent enfermé pour qu'il ne puisse pas paître ; après quoi elles prennent quatre livres de sommités de lentisque et d'olivier sauvage, qu'elles broient avec une livre de miel et mêlent avec un conge d'eau; elles laissent le tout macérer une nuit en plein air, et le versent dans le gosier de l'animal. Une heure après, elles lui donnent quatre livres d'ers macéré, et le privent de toute autre boisson. On doit continuer ce traitement pendant trois jours, jusqu'à ce que la cause de la maladie ait disparu : car, si on négligeait une indigestion, l'enflure du ventre surviendrait, ainsi que des coliques violentes qui s'opposeraient à ce que l'animal puisse prendre des aliments; il pousserait des gémissements, ne saurait rester à la même place, se coucherait souvent, agiterait la tête et ne cesserait de remuer la queue. Un remède excellent consiste à lui serrer fortement la queue à sa base avec un lien, à lui faire avaler un setier de vin avec une hémine d'huile, et à le faire courir ensuite un espace de quinze cents pas. Si la douleur persiste, on incisera circulairement la corne du pied; puis, avec la main introduite dans l'anus et frottée d'huile, on extraira les excréments, et l'on fera de nouveau courir l'animal malade. Dans le cas où ce moyen n'a pas non plus de succès, on écrase du figuier sauvage sec qu'on lui administre dans neuf onces d'eau chaude. Lorsque ce remède ne produit pas l'effet désiré, on cueille deux livres de feuilles de myrte sauvage ; on les mêle avec deux setiers d'eau chaude, et, au moyen d'un vase de bois, on verse cette préparation dans la bouche du bœuf souffrant; puis on le saigne sous la queue; et quand le sang a suffisamment coulé, on l'arrête avec une ligature de papyrus. Alors on fait courir la bête jusqu'à ce qu'elle soit essoufflée. Voici encore quelques remèdes dont ou peut faire usage avant d'en venir à la saignée : on mêle trois onces d'ail pilé avec trois hémines de vin ; on les fait avaler, puis on fait courir l'animal; ou bien, on broie ensemble deux onces de sel et dix oignons, on ajoute du miel bouilli, et on introduit ce uniment dans le rectum après quoi on excite aussi le bœuf à une course rapide.
Avec quel remède on apaise la douleur du ventre et les coliques des bœufs. VII La vue des oiseaux nageurs, et surtout du canard, peut aussi calmer la douleur du ventre et des intestins : en effet, si un canard se présente devant un bœuf souffrant de coliques, aussitôt le mal se dissipe. Cette sorte de remède toutefois est encore plus efficace pour les mulets et l'espèce chevaline. Quelquefois pourtant aucun moyen curatif n'a de succès, et la dysenterie survient en s'annonçant par des déjections sanguinolentes et muqueuses : alors on combat la maladie au moyen de quinze cônes de cyprès, autant de noix de galle, et de très-vieux fromage en poids égal aux deux premiers ingrédients ; on triture le tout ensemble, puis on y verse quatre setiers de vin dur. Ce remède doit être divisé en quatre doses égales et administré en quatre jours. On n'oubliera pas de donner en même temps aux animaux malades des sommités vertes de lentisque, de myrte et d'olivier sauvage. Le flux de ventre, en abattant le corps et les forces du bœuf le rend impropre au travail. Alors on lui interdit, pendant trois jours, toute boisson, et même toute nourriture pendant la première de ces journées. Passé ce temps, on lui donne des sommités d'olivier sauvage et de roseau, avec des fruits de lentisque et de myrte ; mais on ne le laissera boire qu'avec beaucoup de réserve. Il y en a qui font avaler une livre de pousses tendres de laurier avec autant d'aurone macérée, le tout dans deux setiers d'eau chaude, en donnant les fourrages que nous avons spécifiés ci-dessus. D'autres personnes torréfient deux livres de marc de raisin, le pulvérisent et administrent ce médicament dans deux setiers de vin dur; tout en interdisant d'autre liquide aux bœufs, ils leur offrent néanmoins les jeunes pousses d'arbres dont nous venons de parler. Si la diarrhée persiste ainsi que la douleur des intestins et du ventre; si l'animal refuse la nourriture; si sa tête est pesante ; si les larmes tombent de ses yeux plus fréquemment qu'à l'ordinaire, et que des mucosités coulent de ses naseaux, on lui brûlera jusqu'à l'os le milieu du front, et on lui fendra les oreilles avec le fer. Pendant que les blessures faites par le feu se cicatriseront, il convient de les fomenter avec de l'urine de bœuf; quant à celles qui ont été faites par le fer, on les traites plus efficacement avec de la poix et de l'huile.
Des excroissances morbifiques de la langue. VIII. Les excroissances morbifiques de la langue, que les vétérinaires appellent grenouillettes, occasionnent aussi le dégoût. On les enlève avec le fer, puis on frotte la plaie avec du sel et de l'ail pilés ensemble, jusqu'à ce que la pituite provoquée prenne son cours. Alors on lave la bouche avec du vin, et, au bout d'une heure, on donne des herbes vertes ou des feuilles, jusqu'à parfaite guérison de la plaie. S'il n'existe point de grenouillette, si le ventre n'est pas dérangé, et que cependant le bœuf éprouve du dégoût pour sa nourriture, il sera bon de lui injecter dans les naseaux de l'huile dans laquelle on aura broyé de l'ail, de lui frotter l'intérieur du gosier avec du sel ou de la sarriette, ou encore avec un aliment composé d'ail écrasé et de saumure. Au surplus, cette médication n'a du succès que dans le cas de simple dégoût.
De la fièvre des bœufs. IX. Lorsqu'un bœuf a la fièvre, il faut le mettre à la diète pendant un jour, lui tirer à jeun, le lendemain, un peu de sang sous la queue, et, une heure après cette incision, lui faire avaler, afin de provoquer la salivation, trente feuilles de chou de moyenne grandeur cuites dans de l'huile avec du garum : on devra lui donner à jeun cette nourriture pendant cinq jours. En outre, on lui présentera des sommités de lentisque ou d'olivier, ou quelques feuillages très-tendres, ou des pampres de vigne; on lui nettoiera les lèvres avec une éponge, et, trois fois par jour, on lui donnera à boire de l'eau froide. Ce traitement doit se faire à l'étable, et le bœuf ne doit sortir qu'après parfaite guérison. Les symptômes de la fièvre sont le larmoiement, la pesanteur de la tête, la contraction des paupières, l'écoulement de la salive, la respiration longue et difficile, accompagnée parfois de gémissements.
De la toux des bœufs. X. La toux récente se guérit parfaitement avec un salivât de farine d'orge. Parfois on réussit mieux avec de l'herbe hachée à laquelle on mêle des fèves moulues. Des lentilles écossées et réduites en poudre très-menue, délayées dans deux setiers d'eau chaude, sont aussi données en potion et ingérées au moyen d'une corne. Deux livres d'hysope, macérée dans trois setiers d'eau, guérissent la toux invétérée : cette plante médicinale doit être 'broyée et administrée, en manière de salivât, avec quatre setiers de lentilles moulues menu, comme je viens de le dire, et c'est après cette opération qu'on verse, avec une corne, l'eau d'hysope dans le gosier du bœuf. Le suc du poireau, mélangé avec de l'huile, ou bien ses fibres broyées avec de la farine d'orge, est encore un bon remède. Ses bulbes, lavés soigneusement et pilés avec la fleur de farine de froment, donnés à jeun, dissipent la toux la plus invétérée. Le même effet est produit par de l'ers écossé moulu avec de l'orge torréfiée, à doses égales, et introduit dans la gorge en manière de salivât.
Traitement des abcès. XI. Les abcès se guérissent mieux par le bistouri que par les médicaments. Après l'ouverture, on presse le foyer du mal ; on lave avec de l'urine de bœuf que l'on a fait chauffer, puis on bande la plaie avec une compresse imbibée de poix liquide et d'huile. Si l'emplacement de l'abcès ne permet pas d'assujettir le bandage, on fera couler sur cette plaie, avec une lame rougie au feu, du suif de chèvre ou de bœuf. Quelques praticiens, après avoir cautérisé la partie malade, la lavent avec de vieille urine, et la frottent de térébenthine incorporée avec du vieux oing, employés à poids égaux.
Quel remède il faut employer pour guérir la claudication du bœuf. XII. Le sang, quand il se porte aux pieds du bœuf, peut déterminer la claudication. Lorsque cela arrive, il faut sans tarder visiter la corne du pied, et s'assurer par le toucher s'il y a de la chaleur; le bœuf, d'ailleurs, ne souffre pas qu'on presse fortement la partie blessée. Si le sang n'est pas encore descendu des jambes dans la corne du pied, on le dissipe par quelques frictions continuées sans interruption, et, si ce traitement ne produit rien d'efficace, on a recours à la scarification. Si, au contraire, le sang est déjà descendu, on fait avec un scalpel une légère incision entre les deux ergots; on y applique une compresse imbibée de sel et de vinaigre; on établit le pied dans une bottine de sparte, et l'on veille surtout à ce que l'animal ne mette pas son pied dans l'eau, mais à ce qu'il se tienne dans l'étable à l'abri de l'humidité. Si on ne donne issue à ce sang, il produira du pus, et la suppuration retardera la guérison. D'abord il faudra inciser tout le contour du dépôt à l'aide d'un bistouri, puis le nettoyer : alors on l'amènera à guérison en y introduisant de la charpie imbibée de vinaigre, de sel fondu et d'huile, et en appliquant un emplâtre de vieux oing et de suif de bœuf bouillis ensemble à poids égaux. Si le sang a envahi la sole du pied, l'extrémité de l'ergot doit être coupée jusqu'au vif : l'écoulement s'opère alors, et le pied, enveloppé de compresses, est maintenu dans une bottine de sparte. Il ne convient pas d'inciser par le milieu le dessous du sabot, à moins que la suppuration ne s'y soit déjà établie. Quand la claudication provient d'une douleur des nerfs, on frottera, jusqu'à guérison, avec du sel fondu et de l'huile, le genou, le jarret et la jambe. S'il est survenu une tumeur au genou, on le bassinera avec du vinaigre chaud et on y appliquera de la graine de lin et du millet arrosés d'eau miellée. On fait aussi avec avantage l'application d'une éponge imbibée d'eau chaude, puis pressée dans la main et enduite de miel ; on la contient sur le genou malade au moyen de bandelettes. Lorsqu'il subsiste quelque humeur sous l'enflure, on met dessus du levain, ou de la farine d'orge cuite dans du vin de raisins secs ou dans de l'eau miellée ; puis, quand l'abcès sera mûr, on ouvrira la tumeur avec le scalpel, et, après avoir donné issue à la suppuration, on pansera avec de la charpie, comme nous l'avons dit ci-dessus. On peut aussi, d'après la prescription de Cornélius Celse, guérir la plaie produite par le fer avec des bulbes de lis, avec de la scille et du sel, ou bien avec la renouée, que les Grecs appellent polygonon, ou avec du marrube. Au surplus, toute douleur du corps qui ne provient pas d'une blessure se dissipe mieux par des fomentations; si elle est ancienne, on y met le feu, et sur la brûlure on fait couler du beurre, ou de la graisse de chèvre.
Remèdes contre la gale, contre la morsure des chiens enragés ou celle des loups, et contre le coriage. XIII. On fait disparaître la gale par des frictions d'ail broyé : ce remède est assez efficace contre les morsures des chiens enragés ou celles des loups; il en est de même de la vieille saumure mise sur la blessure. Quant à la gale, il est un remède plus certain : on broie ensemble de l'origan sauvage et du soufre que l'on fait bouillir dans de la lie d'huile, de l'eau, du vinaigre et de l'huile ; avant que cette préparation soit refroidie, on la saupoudre d'alun de plume réduit en poudre. On obtient d'heureux résultats de ce médicament employé en frictions à l'ardeur du soleil. On guérit les ulcères avec de la noix de galle broyée, et aussi bien avec du marrube et de la suie mélangés. Les troupeaux de bœufs sont sujets à une grave maladie à laquelle les paysans donnent le nom de coriage : la peau de ces animaux adhère alors tellement à leur dos, que la main ne saurait la détacher de ses côtes. Cet accident n'arrive que lorsque le bœuf est devenu maigre à la suite de quelque maladie, ou qu'il s'est refroidi après avoir sué dans le travail, on qu'il a été trempé par la pluie au moment où il était chargé. Ces cas étant pernicieux, il faut avoir soin, lorsque les bœufs reviennent de leur ouvrage, couverts de sueur et essoufflés, de les frotter avec du vin et de leur introduire dans le gosier des boulettes de graisse. Si l'accident dont nous avons parlé a eu lieu, il sera utile de faire une décoction de feuilles de laurier, et, tandis qu'elle sera chaude, d'en bassiner leur dos, d'y verser aussitôt après beaucoup d'huile et de vin, puis de les manier partout et de tirer à soi la peau : c'est en plein air, à l'ardeur du soleil, que doit se faire cette opération pour qu 'elle soit le plus efficace. Quelques personnes font un mélange de marc d'olives, de vin et de graisse, et emploient cette préparation après les fomentations que je viens d'indiquer.
Contre les ulcérations du poumon et du palais, et contre les tumeurs du cou. XIV. L'ulcération du poumon est encore un accident des plus pernicieux : elle produit la toux, l'amaigrissement, et enfin la phtisie. Pour que le cas ne devienne pas mortel, il faut, comme nous l'avons enseigné ci-dessus, placer dans l'oreille percée de l'animal malade une racine de pommelée, et plusieurs jours de suite lui faire prendre une potion composée d'une hémine de jus de poireau, d'une égale mesure d'huile, er d'un setier de vin. Le bœuf quelquefois refuse la nourriture à cause d'une tumeur survenue à son palais; il gémit fréquemment, et présente cette particularité, qu'on le croit près de tomber sur le coté. Il faut alors lui inciser le palais pour en faire couler du sang, et ne lui donner, jusqu'à guérison, que de l'ers écossé et macéré, des feuilles vertes ou tout autre fourrage tendre. Si dans le travail il s'est excorié le cou, le remède le plus efficace est une saignée à l'oreille, ou, si on a négligé de la pratiquer, une application de l'herbe qu'on appelle avia, pilée avec du sel. Si le cou est déjeté à la suite d'une forte secousse, on examinera de quel côté il penche, et on tirera du sang de l'oreille opposée ; mais, auparavant, on frappera avec un sarment la veine la plus saillante de cette oreille, et quand elle se sera gonflée sous les coups, on l'ouvrira avec une flammette; puis le lendemain on l'ouvrira de nouveau, et pendant deux jours on laissera reposer l'animal; le troisième jour, on le fera peu travailler, et ce n'est que peu à peu qu'on le ramènera à ses habitudes. Quand le cou, sans pencher d'aucun côté, est enflé au milieu, on tire du sang des deux oreilles. Si, après l'accident, on laissait passer deux jours sans recourir à la saignée, le cou se tuméfierait, les nerfs se contracteraient, et il en résulterait une tumeur dure qui empêcherait le bœuf de supporter son joug. Dans une telle circonstance, nous avons découvert que la poix liquide, la moelle de bœuf, le suif de bouc, et la vieille huile, à doses égales, et bouillis ensemble, sont un excellent remède. On l'emploie ainsi qu'il suit : quand le bœuf est dételé. on baigne la tumeur de son cou dans la piscine qui lui sert d'abreuvoir, et, lorsqu'elle est presque sèche., on l'oint et on la frictionne avec la préparation indiquée. Dans le cas où, à cause de sa tumeur, l'animal refuserait de se soumettre au joug, on le dispenserait de travail pendant quelques jours, et alors on bassinerait le mal avec de l'eau froide, et on l'oindrait avec de l'écume d'argent. Pour ces tumeurs, Celse prescrit de piler et d'appliquer comme topique l'herbe qu'on nomme auia, et dont j'ai parlé plus haut. Les écorchures dont le cou du bœuf est quelquefois le siège, sont moins fâcheuses; car, sans qu'il cesse de travailler, on les guérit facilement en laissant tomber dessus quelques gouttes de l'huile de la lampe. Toutefois il vaut mieux prévenir leur formation, et empêcher que le cou des bœufs perde son poil, ce qui n'a lieu que lorsque, durant le travail, cette partie du corps a été baignée de sueur ou de pluie. Cependant, si cela arrivait, on frotterait une tuile contre une autre tuile vieille, et de la poudre qui en proviendrait, il faudrait, avant de dételer, saupoudrer le cou des bœufs; puis, quand elle se serait desséchée, baigner le mal avec de l'huile.
Remèdes pour les blessures du talon ou de la corne du pied. XV. Si le soc de la charrue a offensé le talon ou Îa corne du pied d'un bœuf, cautérisez la plaie avec un fer rouge et faites couler dessus de la poix dure et de la graisse enveloppées avec du soufre dans de la laine en suint. Ce même remède pourra être avantageusement employé lorsqu'un bœuf aura marché sur une esquille de bois, pourvu qu'on l'ait d'abord arrachée, ou qu'il aura brisé la corne d'un de ses pieds contre un têt pointu ou une pierre; toutefois, si la blessure est profonde, il faudra largement la dégager tout autour avec un instrument approprié, et y appliquer le feu, comme je l'ai déjà prescrit; puis on fera pendant trois jours des lotions de vinaigre, et on chaussera d'une bottine de sparte le pied de l'animal. Si c'est la jambe qui a été blessée par le soc, on mettra dessus, en y mêlant du sel, de la laitue marine, que les Grecs appellent tithymalon. On lave avec de l'urine de bœuf, que l'on a fait chauffer, les foulures des pieds; puis, après avoir réduit des sarments en cendres, on force l'animal, pendant qu'elles sont encore chaudes, de s'arrêter dessus, et l'on frotte sa corne avec de la poix liquide mêlée avec de l'huile ou de la graisse. Au reste, les bœufs seront moins exposés à boiter si, après les avoir dételés, on leur lave les pieds en pleine eau froide, et qu'ensuite on frotte de vieux oing les jarrets, la couronne du pied et la bifurcation du sabot.
Pour la luxation des épaules et la fracture des cornes. XVI. Souvent un bœuf se luxe les épaules par suite d'un long effort, ou en labourant, ou par l'effet d'un terrain trop dur, ou bien à cause de la résistance que lui oppose une racine. Quand cet accident est arrivé, on doit tirer du sang des jambes de devant, à gauche si le mal est à droite, à droite s'il est à gauche; et si l'animal s'est grièvement blessé les deux épaules, on ouvrira alors les veines des jambes de derrière. Pour la fracture des cornes, on applique une compresse imbibée de sel, de vinaigre et d'huile, qu'on entretient pendant trois jours humectée de ce liquide ; puis, le quatrième jour, on met sur le mal de la graisse mêlée à poids égaux avec de la poix fondue et avec de l'écorce de pin pulvérisée ; et enfin, lorsque la cicatrice s'est formée, on la frotte de suie. On voit souvent les ulcères négligés se couvrir d'une multitude de vers : en y versant le matin de l'eau froide, on les fait tomber crispés par le froid. Si ce moyen ne suffit pas pour les chasser, on applique sur l'ulcère du marrube ou du poireau pilé avec du sel : cette application ne tarde pas à faire périr ces insectes. Quand les ulcères ont été nettoyés, on applique dessus de la charpie enduite de poix, d'huile et de graisse, ingrédients avec lesquels on frottera aussi les bords de la plaie, de peur que les mouches, en s'y arrêtant, ne donnent naissance à des vers.
Contre la morsure du serpent et des animaux nuisibles. XVII. La morsure du serpent est mortelle pour les bœufs ; le venin de quelques animaux plus petits encore leur est aussi nuisible. Souvent il arrive que, lorsque le bœuf s'est par mégarde couché dans le pâturage, sur une vipère ou sur un orvet, ces reptiles, fatigués de son poids, le mordent. La musaraigne, que les Grecs désignent sous le nom de mygalé, est aussi très-dangereuse, quoiqu'elle n'ait que de petites dents. On détruit l'effet du venin de la vipère en appliquant sur la plaie, qu'on a scarifiée avec le scalpel, la plante dite personata pilée avec du sel ; sa racine écrasée est encore plus efficace, ainsi que le trèfle simonien, qu'on trouve dans les lieux pierreux, et dont la vertu est incontestable; son odeur est forte et a quelque rapport avec celle du bitume, aussi les Grecs le nomment asphalte; nous l'appelons nous trèfle pointu, à cause de sa conformation : en effet, il pousse des feuilles allongées et velues, et sa tige est plus robuste que celle du trèfle des prés, On fait avaler le suc de cette plante mêlé avec du vin, et l'on applique sur le point scarifié ses feuilles broyées avec du sel en manière de fomentation résolutive. Si la saison s'oppose à ce qu'on puisse trouver cette plante encore verte, on administre en potion ses semences broyées et infusées dans le vin, et on applique sur la partie scarifiée ses racines pilées avec la tige, et mêlées avec de la farine et du sel délavés dans de l'eau miellée. On regarde aussi comme un puissant remède une potion composée de cinq livres de très jeunes pousses de frêne pilées dans cinq setiers de vin et deux setiers d'huile : on fait avaler aux bœufs le jus résultant de cette trituration, et on applique sur la partie blessée les cimes du même arbre broyées avec du sel. La morsure de l'orvet occasionne de l'enflure et de la suppuration ; il en est de même de celle de la musaraigne. La première se guérit au moyen d'une alêne de cuivre, dont on perce la tumeur, que l'on frotte ensuite d'argile du mont Cimole détrempée dans du vinaigre. La musaraigne paye de son corps le mal qu'elle a fait : on la fait mourir en l'asphyxiant dans l'huile; quand elle est macérée, on l'écrase et on s'en sert pour frotter sa morsure. Si on ne pouvait se procurer cet animal au moment où la suppuration indique l'effet pernicieux des dents, on broierait du cumin auquel on joindrait une petite quantité de poix liquide et de saindoux, pour en former un emplâtre visqueux qui, appliqué sur la plaie, écarte bientôt tout danger. Si, avant d'être ouverte, la tumeur tourne à la suppuration, il est très-bon d'en attaquer le foyer avec un fer rouge, de brûler tout ce qui est vicié, et d'étendre sur le mal un uniment de poix fondue avec de l'huile. On est aussi dans l'usage d'envelopper d'argile à potier la musaraigne toute vivante, et, quand elle est desséchée, de la suspendre au cou des bœufs : avec elle, le bétail n'a plus à craindre sa morsure. La plupart des maux d'yeux cèdent à l'emploi du miel : en effet, s'ils sont gonflés, on applique dessus de la farine de froment délayée dans de l'eau miellée ; s'il y existe une taie blanche, on la combat soit avec du sel gemme, soit avec du sel d'Espagne, du sel ammoniac, et même du sel de Cappadoce, égrugé très-fin et incorporé avec du miel. On obtient le même effet de l'os de la sèche bien broyé et insufflé dans l'œil, à l'aide d'un chalumeau, trois fois par jour. On se trouve bien aussi de la racine nommée par les Grecs silphion, et par nous vulgairement laserpitium : on ajoute à une quantité quelconque dix fois autant de sel ammoniac; on pile le tout, et on l'introduit dans l'œil, par le procédé que nous venons d'indiquer; la racine de cette plante, pilée et saturée d'huile de lentisque, est encore un remède efficace. L'épiphora cède à une application, sur les sourcils et les joues, de polente humectée d'eau miellée. Les semences de panais sauvage et le suc de raifort, unis au miel, donnent un collyre propre à calmer la douleur des yeux. Toutes les fois que l'on emploie du miel ou tout autre suc dans ces remèdes, il faut frotter l'œil tout autour avec de la poix fondue dans de l'huile, pour que les mouches ne l'incommodent point : elles ne sont pas, du reste, les seuls insectes qui soient attirés par la douceur du miel et de quelques autres médicaments, puisque les abeilles sont dans le même cas.
Remèdes à employer quand les bœufs ont avalé une sangsue. XVIII. Une sangsue avalée à l'abreuvoir peut être funeste. Elle s'attache dans l'intérieur de la gorge des bœufs, dont elle suce le sang, et, se gonflant ainsi, elle obstrue l'œsophage. Si elle est placée dans un endroit dont l'accès est trop difficile pour que l'on puisse la détacher avec la main, introduisez un chalumeau ou un roseau au moyen duquel vous ferez couler de l'huile chaude : la sangsue qui en sera touchée se détachera aussitôt. On peut aussi par le moyen du chalumeau faire parvenir l'odeur de la punaise brûlée : dès que, mise sur le feu, elle exhalera de la fumée, le tube en portera la vapeur jusqu'à la sangsue, et cette vapeur lui fera lâcher prise. Mais si elle s'est attachée à l'estomac ou à un intestin, on la fait périr en faisant avaler au bœuf du vinaigre chaud, au moyen d'une corne. Quoique nous ayons prescrit l'usage de ces médicaments pour l'espèce bovine, il n'est pas douteux cependant que la plupart conviennent à toute espèce de gros bétail.
De la construction d'une machine propre à contenir les animaux pendant qu'on les opère. XIX. Il est nécessaire de construire une machine pour contenir les bœufs et les autres bestiaux, afin qu'on puisse les approcher de plus près pour les soigner, et afin d'éviter que, par leur résistance, ils ne s'opposent aux opérations nécessaires à leur guérison. Voici la forme à donner à cette machine. On assemble sur le sol de fortes planches de chêne sur une longueur de neuf pieds, et dont la largeur sur l'avant soit de deux pieds et demi, et de quatre sur l'arrière. Dans ce sol, on enfonce de chaque coté quatre poteaux droits, de sept pieds de hauteur, de telle sorte qu'il y en ait un qui occupe chacun des quatre angles et qu'ils soient tous assujettis entre eux, comme des barrières, par six traverses, ainsi disposées que l'animal puisse être introduit par l'arrière, qui est le bout le plus large, dans cette sorte de cage, d'où il ne peut pas sortir par l'autre bout où il est arrêté par les palissades qu'il y rencontre. Aux deux poteaux antérieurs, on fixe un joug solide où l'on attache les bêtes de somme par le cou, ou les bœufs par les cornes. On peut aussi y pratiquer des carcans dans lesquels on introduit leur tête, que l'on assujettit au moyen de bâtons qui s'engagent, en glissant de haut en bas, dans des trous ; et le reste de leur corps est enlacé de cordes qui le retiennent aux traverses, de telle sorte que l'animal reste, au gré de l'opérateur, dans une immobilité parfaite. Cette machine servira pour tous les grands quadrupèdes.
Des formes du taureau. XX. Après nous être suffisamment étendus sur les bœufs, il convient de parler des taureaux et des vaches. Je regarde comme les meilleurs taureaux ceux qui ont des membres largement développés, un caractère doux, et qui sont d'un âge moyen. Nous observerons pour leurs autres qualités qu'elles sont presque toutes les mêmes que celles qu'on recherche dans les bœufs : en effet, un beau taureau ne diffère de celui qui est châtré que par son air farouche, son aspect plus vigoureux, ses cornes plus courtes, son cou charnu et assez gros pour faire la partie la plus considérable de son corps, et son ventre un peu rentré, afin que l'animal en se dressant soit plus propre à couvrir sa femelle.
Des formes de la vache. XXI. Les meilleures vaches sont celles qui sont les plus hautes et les plus allongées, qui ont le ventre développé, le front très-large, les yeux noirs et bien fendus, les cornes bien faites, unies et noirâtres, les oreilles velues, les mâchoires comprimées, le fanon et la queue très-amples, la corne des pieds et les jambes de moyenne grandeur. Pour les autres qualités, on les désire presque toutes semblables chez les mâles et les femelles. Il faut que les vaches soient jeunes, parce que, passé dix ans, elles ne donnent plus de veaux ; il ne faut pas non plus les faire couvrir avant deux ans. Toutefois, si elles ont conçu avant cet âge, il est bon de les séparer de leur veau, de leur presser les mamelles les trois premiers jours, de peur qu'elles ne soient incommodées de leur lait, et ensuite de cesser de les traire.
Au bout de combien d'années on doit faire le triage des bestiaux. XXII. On doit avoir soin tous les ans de faire un triage des bœufs comme de tous les autres bestiaux. On écarte les animaux épuisés et vieillis, devenus impropres à la propagation, et surtout les jeunes vaches stériles, qui tiennent la place de bêtes fécondes, à moins qu'on ne les dresse pour la charrue : car, en raison de leur stérilité, elles ne conviennent, pas moins que les bouvillons au travail et à la fatigue. Le bétail de cette espèce se plaît l'hiver dans les pâturages maritimes et exposés au soleil, l'été, dans les forêts touffues et sur les montagnes élevées, plutôt que dans les plaines. La corne de leurs pieds s'endurcit mieux aussi dans les bois qui produisent de l'herbe, dans les taillis et dans les lieux remplis de glaïeuls, que dans les terrains pierreux. Les jeunes vaches ne recherchent pas autant les rivières et les ruisseaux que les marcs, parce que l'eau des courants, qui est en général plus froide, les fait avorter, et que les eaux pluviales leur paraissent plus agréables. La vache, au surplus, supporte mieux que le cheval tout froid extérieur, et c'est pour ce motif qu'on peut facilement lui laisser passer l'hiver en plein air.
De la construction des enclos et des étables. XXIII. On doit donner aux enclos une grande étendue, pour que les vaches, trop resserrées dans un petit espace, ne se fassent pas avorter en se heurtant les unes contre les autres, et pour que les plus faibles puissent éviter les coups des plus fortes. Les meilleures étables sont celles dont le sol est pavé ou recouvert de gravier ; le sable peut aussi être employé sans inconvénients: la première méthode a pour but de repousser les eaux pluviales; les autres, de la boire promptement et d'en débarrasser le sol; mais toutes doivent être en pente, afin que l'humidité s'en écoule, et tournées au midi pour qu'elles sèchent aisément et qu'elles n'aient pas à souffrir des vents froids. Il y a peu de soins à prendre des pacages; en effet, pour que l'herbe y croisse en abondance, il suffit d'y mettre le feu sur la fin de l'été : cette opération rajeunit les pâturages, qui en sont plus tendres, outre que la combustion des broussailles arrête l'essor des arbustes parasites qui monteraient trop haut. Il est avantageux pour la conservation de la santé du bétail de répandre du sel sur les pierres et les auges placées auprès des enclos : il y accourt volontiers, rassasié de pâture, quand le cornet des pasteurs sonne, pour ainsi dire, la retraite. C'est ce qui doit se pratiquer toujours au crépuscule, afin qu'au son du cornet le troupeau, dont quelques bêtes ont pu rester dans les bois, prenne l'habitude de regagner son gîte. Par ce moyen il est possible d'en passer la revue, d'en faire le recensement, quand, soumis en quelque sorte à la discipline militaire, il est rentré dans le camp du chef des étables. On n'exerce pas le même empire sur les taureaux, qui, se confiant dans leur force, errent dans les bois, sortent et rentrent librement, et ne sont rappelés que pour la saillie des vaches.
Quel âge convient pour la saillie. XXIV. On interdit la saillie aux taureaux qui ont moins de quatre ans ou plus de douze : ceux-là, parce que leur grande jeunesse les rend peu propres à la propagation des bestiaux; ceux-ci, parce qu'ils sont épuisés par la vieillesse. C'est ordinairement au mois de juillet qu'on conduit les vaches aux mâles, afin qu'elles mettent bas au printemps suivant, quand l'herbe est déjà poussée : car elles portent dix mois, et ce n'est pas à l'ordre du maître, mais bien à leur gré, qu'elles souffrent l'approche du taureau. C'est presque toujours à l'époque que je viens de fixer que leur surviennent des désirs naturels, parce que les bestiaux, égayés par la surabondance du fourrage que fournit le printemps, entrent dans ce moment en rut. Si la femelle refuse le mâle, ou si le taureau ne recherche pas la femelle, on provoque leur ardeur, tomme nous allons bientôt le prescrire pour les chevaux qui éprouvent la même répugnance, en leur faisant respirer l'odeur des parties génitales. Au surplus, vers le temps de la saillie, on diminue la nourriture des femelles pour que l'obésité ne les rende pas stériles; et on l'augmente aux taureaux, afin qu'ils aient plus de vigueur pour la monte. Un taureau suffît pour le service de quinze vaches. Lorsqu'il consomme l'acte sur la génisse, on peut, à de certains signes, connaître quel sera le sexe du veau à naître : en effet, il est indubitable qu'il sera mâle s'il s'est retiré par le côté droit, et femelle si c'est par le côté gauche. Toutefois, il paraît que ce pronostic n'est certain que lorsque la vache, après un seul accouplement, n'a pas reçu de nouveau le taureau, ce qui arrive rarement : car, quoique pleine, elle n'est pas rassasiée de plaisir, tant, chez les animaux mêmes, les doux attraits de la volupté sont puissants encore au delà des limites de la nature. Au reste, il n'est pas douteux que tous les ans on puisse obtenir un veau d'une mère-vache venue dans les endroits où les pâturages sont abondants; dans le cas contraire, on ne devra faire saillir ta vache que tous les deux ans : ce qui convient surtout pour celle qui travaille, afin que son veau puisse téter pendant une année, et qu elle-même ne soit pas excédée à la fois par l'ouvrage et par la gestation. Quand la vache a mis bas, si on ne la soutient par la nourriture« quelque bonne nourrice qu'elle soit, elle ne pourra sustenter son enfant, fatiguée qu'elle est d'ailleurs par le travail. C'est pourquoi on lui donnera, après qu'elle aura vêlé, du cytise vert, de l'orge torréfiée, et de l'ers macéré dans l'eau, ou bien on lui tiendra la bouche fraîche en lui faisant manger des herbages potagers mêlés avec du millet torréfié, moulu et macéré une nuit dans du lait. Pour l'allaitement, on estime, avant toute autre espèce, les vaches d'Altinum, que les gens de ce pays appellent cèves : elles sont de petite taille et bonnes laitières; aussi leur retire-t-on leur veau, pour confier à leurs mamelles un veau de race supérieure. Quand on est privé de cette ressource, on nourrit les veaux avec des fèves pilées, et on y joint avantageusement un peu de vin : ce qui est principalement nécessaire dans les grands troupeaux.
Remède contre les vers des veaux. XXV. Les vers, qui se produisent à la suite des indigestions, incommodent souvent les veaux. On doit donc modérer leurs aliments pour qu'ils les digèrent bien. S'ils souffrent déjà de cette maladie, on écrase des lupins à demi crus, et on leur en fait avaler des boulettes, qui entretiennent leur salivation. On peut aussi broyer de la santoline avec une figue sèche et de l'ers, et leur en faire prendre une boulette pour le même objet. Une partie de saindoux mêlée à trois parties d'hysope produit le même effet. Le suc de marrube et celui de poireau sont efficaces aussi pour faire mourir ces sortes d'insectes.
De la castration des veaux. XXVI. Magon est d'avis qu'on doit châtrer les veaux pendant qu'ils sont encore jeunes, et qu'il ne faut pas se servir de fer, mais comprimer les testicules au moyen d'une branche fendue de férule, et les écraser peu à peu. Il regarde comme excellent ce mode de castration que l'on emploie sans faire de blessure et pendant que l'animal est jeune encore. Si on l'a laissé avancer en âge, il y a plus d'avantage à le châtrer à deux ans qu'à un an. L'auteur carthaginois prescrit de faire cette opération soit au printemps, soit en automne, quand la lune est dans son déclin, et de lier le veau à un travail; ensuite, avant d'employer le fer, on saisit entre deux lattes, comme dans des tenailles, les cordons des testicules, que les Grecs nomment crémastères, parce qu'ils tiennent suspendus ces organes de la génération. Après les avoir contenus, et fait sortir du scrotum avec le bistouri, en coupe les testicules de manière à laisser subsister l'extrémité de la partie adhérente aux cordons : au moyen de ce procédé, le bouvillon n'a pas à redouter une hémorragie, et il n'est pas aussi efféminé que s'il était privé de la totalité des organes générateurs. Tout en conservant quelque apparence masculine, il est privé de la faculté d'engendrer, qu'il n'a pourtant pas perdue immédiatement : car si, dès qu'il est guéri, vous lui laissez couvrir une vache, il est constant qu'il pourra la féconder; c'est, au reste, ce qu'il ne faut pas permettre, de peur qu'une hémorragie ne le fasse périr. On guérit la plaie occasionnée par la castration, en la frottant avec des cendres de sarments mêlées avec de la litharge, en privant d'eau l'animal le jour de l'opération, et en ne lui donnant que peu d'aliments. Pendant les trois jours suivants, on stimulera l'appétit du malade en lui offrant de jeunes pousses d'arbres et du fourrage vert haché, mais il faudra l'empêcher de beaucoup boire. Il convient aussi, après trois jours, d'oindre la plaie de térébenthine avec de la cendre et un peu d'huile, afin de la faire cicatriser plus promptement, et pour empêcher les mouches de s'y porter. En voilà assez pour ce qui concerne les bêtes à cornes.
Des chevaux. XXVII. Ceux qui ont à cœur l'éducation de l'espèce chevaline, doivent avant tout s'assurer d'un agent intelligent et d'une forte provision de fourrage; choses qui sont de médiocre importance pour les autres animaux de la ferme. Le cheval demande beaucoup de soins et une copieuse nourriture. Il y a trois espèces de chevaux : la première, qui est la plus généreuse, en fournit pour le cirque et les combats sacrés; la seconde, dont on tire des mules et qui, en raison des bénéfices qu'elle produit, n'est pas inférieure à la première; la troisième est l'espèce vulgaire, qui ne dorme que des mules et des femelles de médiocre qualité. On réserve les meilleures prairies pour les meilleures races. Pour les troupeaux de chevaux, on choisit des pâturages vastes, marécageux, non montagneux, arrosés, jamais secs, plutôt libres qu'embarrassés d'arbres, et plus abondants en herbes tendres qu'en plantes élevées. Ou laisse paître ensemble les chevaux et les juments d'espèce commune, et l'on ne fixe pas d époque particulière pour leur accouplement. Quant aux chevaux généreux, on fait saillir les étalons vers l'équinoxe du printemps, afin qu'au bout d'un an, au temps correspondant à celui où la cavale a conçu, elle puisse sans peine nourrir son poulain dans des terrains féconds et couverts d'herbes : car elle met bas dans le douzième mois. Il faut surtout veiller à ce qu'à cette époque de l'année les cavales, ainsi que les étalons, aient la liberté de se rapprocher lorsqu'ils le désirent, parce que, si ces animaux ne peuvent pas satisfaire leur passion, ils sont aiguillonnés par la fureur de l'amour : c'est pourquoi on a donné le nom d'hippomane au philtre qui allume, dans l'espèce humaine, une flamme aussi vive que celle de la race chevaline. Il est certain que, dans quelques contrées, les femelles sont embrasées d'une telle chaleur de rut, que, même en l'absence d'un mâle, se figurant, dans la continuelle effervescence de leurs désirs excessifs, éprouver les plaisirs de l'amour, elles conçoivent par l'opération du vent, comme les oiseaux de basse-cour. C'est, au surplus, ce que le poète exprime ainsi en toute liberté (Virgile, Géorgiques, III, v. 266 sqq.) : « La fureur amoureuse des cavales se distingue avant toute autre. Vénus elle-même enflamma leurs sens, lorsque, attelées aux quadriges de Potnies, elles broyèrent dans leurs mâchoires les membres de Glaucus. L'amour les emporte au delà du Gargare, au delà du bruyant Ascanius; elles franchissent les montagnes, elles traversent les fleuves. Continuellement recelant la flamme jusqu'en leurs os avides, au printemps surtout, car c'est au printemps que la chaleur revient nous embraser, tournant toutes leur bouche vers le Zéphyr, elles s'arrêtent sur le sommet des rochers; elles y aspirent ce vent qui les soulage, et souvent, sans autre union, fécondées par lui, grâce à un prodige, elles prennent leur course fugitive à travers les rochers, les écueils, les profonds ravins. Ce n'est pas vers le point de l'Eurus ni vers l'orient qu'elles courent; c'est du côté de Borée et de Caurus, ou vers l'Autan, qui s'élève entouré des nuages les plus noirs, et contriste le ciel de ses pluies glaciales. » Il est notoire qu'en Espagne, sur le mont Sacré, qui s'avance à l'occident jusqu'à l'océan, des cavales ont conçu fréquemment sans l'approche de l'étalon, et ont élevé leur poulain, production toutefois inutile, puisque avant son accroissement parfait ce poulain mourait dans l'espace de trois ans. C'est pourquoi, comme je l'ai dit, nous veillerons à ce que les juments, vers l'équinoxe du printemps, ne soient pas tourmentées de désirs naturels Le reste du temps, il faut séparer des femelles les chevaux de prix, pour qu'ils ne les couvrent pas, lorsqu'elles le demanderaient, ou pour que, dans le cas d'obstacles, leurs désirs provoqués ne les fassent pas souffrir. Pour éviter cet inconvénient, on doit reléguer l'étalon dans un pâturage écarté, ou le retenir dans une écurie. Dans le temps où les juments le réclament, on le fortifie par une large nourriture; à l'approche du printemps, on l'engraisse avec de l'orge et de l'ers, afin qu'il puisse suffire aux saillies : plus il sera vigoureux alors, plus il sera en état, dans l'accouplement, d'engendrer de forts rejetons. Quelques auteurs prescrivent d'engraisser l'étalon comme on le fait pour les mulets, afin que son bon état le dispose bien à suffire à plusieurs femelles. Toutefois on ne doit pas donner à un seul moins de quinze ni plus de vingt cavales; on peut l'employer à la monte dès l'âge de trois ans, et il continue ordinairement d'y être propre jusqu'à celui de vingt. Si l'étalon manque d'ardeur, on frotte avec une éponge les parties sexuelles des femelles, et on la met sous le nez de l'étalon pour lui en faire respirer l'odeur. Si la cavale, de son côté, ne veut pas souffrir le mâle, on lui frotte la vulve avec de la scille, qui allume en elle les désirs de l'amour. Quelquefois on se sert d'un étalon ignoble et sans valeur pour la disposer à l'accouplement, et, dès que par ses approches il l'a rendue soumise, on la retire, et, profitant de sa patience, on la fait couvrir par un cheval de plus belle espèce. Quand les cavales ont conçu, il faut leur donner plus de soins et les fortifier par une nourriture plus abondante. Si la rigueur de l'hiver a détruit l'herbe, on les renfermera à l'écurie; on ne les fera plus ni travailler ni courir; on ne les exposera pas au froid, et on ne les tiendra pas à l'étroit, ni dans un lieu obscur, car elles pourraient se faire avorter en se heurtant les unes contre les autres : on aurait également à craindre la perte du poulain, si l'on négligeait les autres précautions. Quoi qu'il en soit, en cas de part laborieux ou d'avortement, on fera prendre à la jument, au moyen d'une corne, du polypode pilé dans de l'eau. Si, au contraire, la mise bas a bien réussi, il faudra se garder de toucher le poulain : car la main la plus légère peut le blesser. On aura soin seulement de le laisser avec sa mère dans un lieu vaste et chaud, pour que le froid ne soit pas préjudiciable à sa faiblesse, et que la mère trop à l'étroit ne l'écrase pas. Ensuite on le fera sortir de temps en temps, et on prendra garde que le fumier n'altère la corne de ses pieds. Quand il aura pris de la force, on le lâchera dans le même pâturage que sa mère, de peur qu'elle ne se chagrine de son absence : car ces animaux sont plus affligés que tous les autres de la privation de leurs petits. Les cavales communes poulinent ordinairement tous les ans, et celles de noble race seulement de deux années l'une, afin que le poulain, plus longtemps fortifié par le lait maternel, soit mieux préparé à supporter les fatigues de la guerre.
De l'âge de l'étalon; moyen pour obtenir un poulain d'un sexe donné. XXVIII. On est d'avis que le cheval n'est pas avant trois ans propre à la saillie, et qu'il peut jusqu'à vingt ans féconder des juments; que celles-ci peuvent concevoir à deux ans et donner à trois un bon poulain, mais qu'elles ne servent plus à la propagation après la dixième année, parce que les poulains provenant d'une mère âgée sont lents et paresseux. Suivant Démocrite, on peut à volonté faire produire aux cavales une femelle ou un mâle : à cet effet, il prescrit, quand on veut obtenir le dernier, de presser le testicule gauche de l'étalon avec une ficelle de lin ou un lien quelconque, et d'en faire autant au testicule droit, si on désire avoir une femelle. Il pense qu'on obtiendrait le même résultat avec presque tous les autres bestiaux.
Du caractère et des formes du cheval. XXIX. Dès que le poulain est né, on peut apprécier ses qualités : s'il est gai, s'il n'est pas accessible à la peur, s'il ne s'effraye pas en voyant ou en entendant une chose qui ne lui est pas familière, s'il court en avant des bestiaux ; si, luttant de vivacité, de gaîté et de vitesse avec ses camarades, il les surpasse; s'il franchit les fossés sans hésitation et traverse les ponts et les rivières, ce seront les indices d'un naturel distingué. Quant aux formes du corps, il doit avoir la tête petite, les yeux noirs, les naseaux ouverts, les oreilles courtes et droites, l'encolure arrondie, épaisse et peu allongée, la crinière touffue et tombant à droite, le poitrail ample et pourvu de muscles nombreux bien développés, les épaules grandes et droites, les flancs arrondis, l'échine double, le ventre déprimé, les testicules égaux et petits, les reins larges et inclinés, la queue longue, bien fournie et crépue, les jambes égales, longues et droites, le genou rond, petit et non tourné en dedans, les fesses bien rondes, les cuisses musculeuses et charnues, le sabot dur, haut, concave, rond, et surmonté de couronnes moyennes : ainsi, l'ensemble du corps devra être grand, droit, élevé, annoncer l'agilité, et, vu de profil, paraître aussi arrondi que le permet la position de l'animal. On estime beaucoup aussi le caractère des chevaux qui passent du calme à la vivacité, et de l'ardeur à une douceur parfaite: ce sont, en effet, ceux qu'on trouve les plus dociles au commandement et les plus propres aux exigences des combats. Il faut dresser à l'âge de deux ans les chevaux destines au service domestique, et seulement à trois ans accomplis ceux qu'on réserve pour les combats, dont ils ne doivent toutefois supporter les fatigues qu'après leur quatrième année révolue. Les signes auxquels on reconnaît l'âge du cheval changent à mesure que le corps prend des années : car à deux ans et demi, ses dents incisives supérieures et inférieures tombent; dans sa quatrième année, celles que l'on appelle canines sont, après leur chute, remplacées par d'autres; vers l'arrivée de la sixième année, il perd ses molaires supérieures, et, quand elle est accomplie, les remplaçantes se mettent de niveau; à sept ans, elles rasent toutes également; puis, à partir de cette époque, elles se creusent, et désormais on ne peut reconnaître avec certitude quel est l'âge de l'animal. Pourtant à sa dixième année les tempes commencent à se creuser, les sourcils quelquefois blanchissent, et les dents deviennent proéminentes. Je crois en avoir assez dit sur le naturel, le caractère, les formes et l'âge des chevaux. Il me reste à parler des soins qu'ils réclament tant en santé qu'en maladie.
Des soins à donner aux chevaux, et de leur traitement quand ils sont malades. XXX. Si dans l'état de santé le cheval vient à maigrir, on peut lui rendre son embonpoint plus promptement avec du blé torréfié qu'avec de l'orge; mais il faut lui faire boire du vin, et ensuite peu à peu substituer cette alimentation à du son mêlé avec l'orge, jusqu'à ce qu'il ait pris l'habitude de se nourrir de fèves et d'orge pur. il faut que le corps des animaux soit nettoyé tous les jours avec autant de soin que celui de l'homme, et il est souvent plus utile de leur manier le dos fréquemment que de leur donner une copieuse nourriture. Il est très-important de ménager la force du corps et la solidité des pieds : on parvient à ce double but en conduisant en temps convenable les chevaux à l'écurie, à l'abreuvoir, à l'exercice, et en les plaçant dans un lieu sec pour que l'humidité n'amollisse point la corne de leurs pieds; inconvénient qu'on peut d'ailleurs éviter en planchéiant les écuries en bois de chêne, ou en nettoyant avec soin le sol, qu'on couvre ensuite de litière. Le plus souvent ces animaux contractent des maladies par l'effet de la fatigue, de la chaleur, quelquefois du froid, et pour n'avoir pu lâcher leurs urines au moment où ils en éprouvaient le besoin; soit aussi pour avoir bu lorsqu'ils étaient en sueur et aussitôt après un exercice violent; soit encore quand, après un long repos, ils sont tout à coup poussés à la course. Le repos est le remède à la lassitude, mais il est toutefois utile de leur faire avaler de l'huile et de la graisse mêlées avec du vin. Pour le refroidissement, on emploie les fomentations, et on leur frotte la tête et l'épine dorsale avec du vin et de la graisse tièdes. S'il y a rétention d'urine, ce sont à peu près les mêmes remèdes qu'il faut administrer : car on leur verse sur les flancs et les reins de l'huile mêlée avec du vin; si ce remède n'opère pas suffisamment, on introduit dans le méat urinaire une légère décoction de miel et de sel, ou bien dans les parties naturelles une mouche vivante, ou un grain d'encens, ou du bitume en onguent. On emploie ces mêmes remèdes lorsque l'urine leur brûle les parties génitales. Le larmoiement, les oreilles tombantes, le cou et la tête bas et inclinés vers la terre, sont des symptômes de mal de tête. Dans ce cas, on leur ouvre la veine sous l'œil, on leur fomente la bouche avec de l'eau chaude, et le premier jour on les soumet à la diète. Le lendemain, on leur donne à jeun de l'eau tiède et de l'herbe verte, on leur fait une litière de vieux foin ou de paille moelleuse, et le soir on leur administre encore de l'eau avec un peu d'orge et deux livres et demie de vesce; puis on les ramène par de petites rations à leur régime habituel. Lorsque le cheval souffre des mâchoires, on les fomente avec du vinaigre chaud, et on les frotte avec du vieux oing; si elles étaient enflées, on userait du même remède. Lorsqu'un cheval s'est blessé les épaules ou que le sang s'y est porté, on pratique une saignée vers le milieu de chaque jambe, et avec le sang qui en provient et que l'on mêle avec de la poudre d'encens, on frictionne la partie malade, et, pour ne pas trop l'affaiblir, on applique sur la veine ouverte du crottin de l'animal même, qu'on maintient au moyen de bandelettes. Le lendemain, on rouvre la veine, on suit le même traitement que la veille, on retranche l'orge et on ne donne qu'un peu de foin. Le surlendemain et jusqu'au sixième jour, on lui fait avaler, avec une corne, environ trois cyathes de jus de poireau mêlé avec une hémine d'huile. Au bout de six jours, on force le malade à marcher un peu, et après l'avoir promené, il convient de le conduire à la piscine et de l'y faire nager; puis, par degrés, fortifié par de plus fortes rations d'aliments, on le ramène à son régime habituel. Lorsqu'il est incommodé par la bile, son ventre se tend, et il ne rend pas de vents; on lui introduit alors la main graissée dans le rectum; on débarrasse les issues naturelles qui sont obstruées, et, après avoir retiré les excréments, on mêle ensemble de l'origan sauvage, de la staphysaigre et du sel broyés et bouillis avec du miel; on en fait un onguent qui, introduit dans le ventre, le lâche et fait écouler toute la bile. Quelques personnes font avaler au malade trois onces de myrrhe en poudre dans une hémine de vin, et lui frottent l'anus avec de la térébenthine. D'autres lavent le rectum avec de l'eau de mer, d'autres avec de la saumure fraîche. Il arrive souvent que des vers semblables aux lombrics attaquent les intestins du cheval : l'animal alors manifeste ses douleurs en se roulant à terre, en tournant sa tête vers son ventre et en agitant sans cesse la queue. Le remède le plus efficace contre cette affection est, comme nous l'avons prescrit ci-dessus, d'introduire la main dans le rectum, d'en extraire le crottin ; puis de le laver avec de l'eau de mer ou de la saumure forte; enfin de faire avaler des racines de câprier broyées dans un setier de vinaigre. On parvient ainsi a faire périr les vers. On doit étendre une épaisse litière sous tout cheval malade, afin qu'il soit plus mollement couché.
Contre la toux. XXXI. La toux récente se guérit promptement avec des lentilles pilées après avoir été préalablement écossées. Quand elles ont été réduites en farine très-fine, on en mêle un setier dans une égale quantité d'eau chaude, et on fait avaler cette potion. On continue ce breuvage durant trois jours, et l'on excite l'appétit du malade en lui donnant de l'herbe verte et de jeunes pousses d'arbres. Quant à la toux invétérée, on y remédie par une potion composée de trois cyathes de jus de poireau mêlé avec une hémine d'huile, et en donnant la nourriture prescrite ci-dessus. Les dartres et toutes les parties envahies par la gale doivent être frottées avec du vinaigre et de l'alun. Quelquefois, si le mal persiste, on le frotte de nitre, d'alun de plume et de vinaigre mêlés à poids égaux. On gratte avec une étrille les boutons à l'ardeur du soleil, jusqu'à ce que le sang en jaillisse; puis on mélange en quantités égales des racines de chiendent, du soufre et de la térébenthine avec de l'alun, et on panse le mal avec ce médicament.
Contre l'intertrigo et la gale. XXXII. Il faut laver deux fois par jour, avec de l'eau chaude, l'intertrigo; puis la frictionner avec du sel égrugé et bouilli dans de la graisse, jusqu'à ce que le pus soit écoulé. La gale est une maladie mortelle pour les chevaux, si on n'y remédie promptement. Quand elle est légère, on la frotte dès son apparition, à l'ardeur du soleil, avec de la résine de cèdre, ou avec de l'huile de lentisque, ou avec de la graine d'ortie écrasée dans l'huile, ou avec du spermaceti, ou avec le jus que le thon mariné laisse couler dans les plats. La graisse de veau marin est surtout efficace contre cette maladie. Mais si la gale est invétérée, il faut avoir recours à des remèdes plus énergiques. Ainsi on fait bouillir ensemble du bitume, du soufre, de l'ellébore blanc, de la poix et du vieux oing, employés à poids égaux ; on frotte le mal avec ce mélange, après l'avoir gratté avec un instrument de fer et lavé avec de l'urine. Souvent même il est utile de tailler et de couper les boutons jusqu'au vif avec le scalpel, et d'appliquer, sur les plaies qu'on a faites un mélange de térébenthine et d'huile, médicament qui, en déterminant les pustules, remplissent leurs cavités. Ensuite, pour que la cicatrice ne tarde pas à se former et le poil à repousser, il sera très à propos d'étendre sur la partie lésée de la suie qui s'attache aux vases d'airain.
Contre les mouches et les douleurs des yeux. XXXIII. On doit prendre soin aussi d'écarter des plaies les mouches qui les assiègent, et on y parvient en les recouvrant d'un mélange de poix et d'huile ou de graisse : la farine d'ers en complète la guérison. On fait disparaître les taies de l'œil, en les frottant avec du sel fondu dans la salive d'un homme à jeun, ou en employant du sel gemme écrasé avec de l'os de sèche, ou encore de la graine broyée de panais sauvage dont on fait couler le jus sur les yeux à travers un linge. Toute douleur de cet organe se soulage très-vite avec un collyre de jus de plantain et de miel qu'on a recueilli sans enfumer la ruche, ou, à son défaut, de miel de thym. Quelquefois une hémorragie nasale met les chevaux en danger : on l'arrête en injectant dans les naseaux du suc de coriandre verte.
Remèdes contre le dégoût des aliments et la maladie pestilentielle. XXXIV. Il arrive parfois que le dégoût des aliments fait maigrir les chevaux. On les guérit avec cette espèce de semence qu'on appelle git ; deux cyathes de cette graine broyés dans trois cyathes d'huile et un setier de vin, leur seront administrés en potion. On les délivre aussi des nausées en leur faisant avaler fréquemment une gousse d'ail écrasée dans une hémine de vin. Il vaut mieux ouvrir les tumeurs purulentes avec une lame rougie au feu qu'avec un instrument froid; après en avoir fait sortir la matière, on les panse avec de la charpie. Il y a encore une maladie pestilentielle qui, en peu de jours, fait maigrir les juments et les fait succomber. Quand le mal s'est déclaré, il est utile de verser dans les naseaux de chaque bête qui en est atteinte, quatre setiers de garum, si elle est de petite taille, et jusqu'à plusieurs conges, si elle est de forte stature. Ce remède fait écouler l'humeur par les naseaux et purge l'animal.
De la rage des juments. XXXV. Quoique les exemples en soient rares, la rage des juments est une maladie bien connue : elle provient de ce que, ayant vu leur image dans l'eau, elles s'éprennent d'une vaine passion, qui leur fait oublier toute nourriture et les fait périr de consomption. On reconnaît quelles sont sous l'influence de ce délire, quand elles courent à travers les pâturages, comme si elles étaient excitées, et quand, jetant les regards de tous côtés, elles paraissent chercher et désirer quelque chose. On dissipe cet écart de leur imagination en les conduisant à l'eau : là, à l'aspect de leur difformité, elles perdent le souvenir de l'image dont elles étaient frappées. Nous avons suffisamment parlé des cavales en général · nous allons donner des préceptes spéciaux pour les cul ' tivateurs qui veulent se livrer à l'éducation des troupeaux de mules.
Des mules. XXXVl. Il faut, avant tout, pour obtenir une bone race de mules, chercher et examiner avec soin les auteurs de la race nouvelle, tant la femelle que le mâle · car, si l'un d'eux n'a pas les qualités convenables, le sujet qui en proviendra sera de mauvaise nature. La cavale doit avoir environ dix ans, époque de son plus grand développement et de la beauté la plus parfaite de ses formes : elle doit avoir les membres forts, supporter parfaitement le travail, afin qu'elle puisse sans peine recevoir et porter dans son sein un fruit de nature étrangère, et lui communiquer non-seulement les avantages de son corps, mais encore les qualités de son caractère : car la semence trouvant de la difficulté à s'animer dans les organes générateurs, le produit de la conception met plus de temps à se développer et à parvenir à la maturité nécessaire pour être mis au jour, puisqu'il ne naît qu'après une année révolue et dans le cours du treizième mois, et que sa nature tient plus de la lenteur du père que de la vigueur de la mère. Mais si les cavales propres à cet accouplement se trouvent assez facilement, le choix du mâle est plus difficile, puisque souvent, mis à l'épreuve, il ne justifie pas la bonne opinion qu'on avait de lui. Beaucoup d'étalons de belle apparence produisent des races détestables sous le rapport des formes ou du sexe, et donnent peu de bénéfices au père de famille, soit parce qu'ils n'engendrent que des femelles chétives, soit parce que, s'ils en procréent de belles, ils en donnent moins que de mâles. Au contraire, des étalons, méprisables au premier coup d'œil, donnent grand nombre des produits précieux. Il y en a quelquefois qui transmettent à leurs enfants les qualités qu'ils tiennent de leur noblesse ; mais, émoussés par le plaisir, ils sont très-rarement disposés à l'accouplement. De cette sorte d'étalons, le propriétaire doit approcher peu à peu une femelle de son espèce, parce que la nature a mis plus d'intimité entre des êtres semblables. La présence de celle-ci fait naître chez le mâle le désir de la saillir; alors, enflammé et comme aveuglé par sa passion, il n'hésite pas, dès que l'ânesse est retirée, à s'accoupler avec la jument pour laquelle il avait de la répugnance.
Pour calmer la fougue de l'étalon que la passion rend furieux. XXXVII. Il est un autre genre d'étalons : ce sont ceux que la passion rend furieux, et qui causent du dommage dans le troupeau si on n'use pas de ruse à leur égard. Souvent, après avoir rompu ses liens, l'animal tourmente les femelles qui sont pleines, et, quand il parvient à les couvrir, il imprime ses dents sur leur cou et leur dos. Pour l'en empêcher, on l'attache quelques moments à la meule : ce travail tempère la violence de sa passion, et alors, plus modéré dans son ardeur? il peut être employé à la monte. Il ne faut pourtant pas prendre pour étalon un âne peu ardent : il est fort important d'animer et d'exciter par un exercice modéré les esprits naturellement endormis de cet animal, et de ne l'approcher de la jument que lorsque sa vigueur est manifeste, afin que, par une certaine puissance occulte, la semence se pénètre de principes plus vifs. La mule n'est pas seulement engendrée par une jument et un âne, mais aussi par une ânesse et un cheval, et encore par l'âne sauvage et la cavale. Quelques auteurs même dont on doit faire connaître les noms, tels que Marcus Varron, et avant lui Denys et Magon, ont avancé que la portée des mules n'était pas chose prodigieuse dans les contrées de l'Afrique, puisque les habitants sont habitués à les voir mettre bas aussi fréquemment que le font chez nous les juments. Au surplus, dans cette espèce d'animaux, il n'y a rien de supérieur pour le caractère et les formes à la mule qui a pour père un âne. Pourtant on pourrait lui comparer celle qui a été engendrée par l'âne sauvage, si elle n'était pas difficile à dompter; si, comme les bêtes sauvages en général, elle n'était pas rebelle à la servitude, et si elle n'avait pas les proportions grêles de son père. C'est pourquoi un étalon de cette sorte conviendra mieux pour ses petits-fils que pour ses enfants. Si l'on fait couvrir la jument par le fils d'une ânesse et d'un âne qui n'est pas domestique, leur produit, privé du naturel sauvage, qui, par degrés, s'est affaibli, réunira la forme et la douceur de son père à la force et à la vitesse de son aïeul. Les mulets issus d'un cheval et d'une ânesse ressemblent en tout plus à leur mère qu'à leur père, quoiqu'ils tirent de lui leur nom, puisqu'on les appelle hinni. Il est donc très-avantageux, comme je l'ai dit, de n'employer à la propagation des mulets que des ânes qu'on sait par expérience provenir de belle espèce; et encore ne faut-il les admettre que s'ils ont le corps ample, l'encolure forte, les lianes robustes et développés, le poitrail musculeux et large, les cuisses nerveuses, les jambes bien proportionnées et la robe noire ou mouchetée. De même que le gris de souris est une couleur vulgaire chez les ânes, elle n'est pas chez les mâles un indice favorable. Au reste, il ne faut pas nous laisser séduire par les apparences dans ces quadrupèdes, quoique nous ayons reconnu en eux les qualités requises : car, comme les taches qui sont sur la langue et au palais des béliers se trouvent ordinairement dans la toison de leurs agneaux, de même, si l'âne porte aux paupières ou aux oreilles des poils d'une couleur différente de celle de son corps, il donne fréquemment aussi des enfants dont la robe diffère de la sienne : ce qui trompe souvent le propriétaire, quoiqu'il ait mis le plus grand soin à choisir son étalon; quelquefois même, sans avoir les signes dont je viens de parler, il produit des mules qui ne lui ressemblent pas. Je pense que ceci n'arrive que parce que la couleur du grand-père revient, par le mélange de la primitive semence, à ses petits-enfants. Dès que l'ânon, tel que je l'ai décrit, est venu au monde, on doit l'enlever à sa mère et le placer sous une jument sans qu'elle s'en aperçoive. C'est pendant la nuit qu'on la trompe le mieux : en effet, si dans l'obscurité on lui a retiré son poulain, elle nourrira l'anon substitué comme s'il était né d'elle-même. Ensuite, quand elle en aura eu pris l'habitude durant une dizaine de jours, elle donnera par la suite ses mamelles à son élève toutes les fois qu'il les recherchera. Ainsi élevé, l'étalon apprend à aimer les juments. Quelquefois aussi, quoique nourri du lait maternel, il peut se familiariser avec les juments, si, dès sa jeunesse, on le fait vivre avec elles. On ne le laissera pas les saillir avant qu'il ait trois ans; et lorsqu'on l'emploiera, il sera convenable que ce soit au printemps, quand on peut lui donner du fourrage vert haché, auquel on ajoutera de fortes rations d'orge pour augmenter ses forces, et parfois même on le fera saliver. Quoi qu'il en soit, on ne lui livrera pas une femelle trop jeune : car, si la cavale n'avait pas encore reçu de mâle, elle repousserait à coups de pieds l'étalon qui voudrait la saillir, et, rebuté par cet accueil, celui-ci concevrait de la haine pour les autres juments. Pour éviter cet accident, on amènera près d'elle un âne vulgaire et sans valeur, qui sollicitera sa complaisance, mais auquel on ne permettra pas la consommation de la saillie; quand la jument sera bien disposée, on retirera le mauvais âne, et on la fera couvrir par un âne de prix. Les paysans appellent machine une construction propre à cet usage : deux murs parallèles sont bâtis le long d'une petite éminence, distants entre eux d'un léger intervalle, dans lequel la jument ne peut se débattre ni se retourner au moment ou l'étalon la monte. Il s'y trouve une issue à chaque bout, mais celle de la partie la plus basse est garnie de barreaux, auxquels on attache la cavale par le licou : elle se trouve ainsi placée au bas de l'éminence, de manière qu'inclinée en avant, elle puisse mieux recevoir la semence, et que l'approche de l'âne, qui est moins grand qu'elle, mais qui se trouve sur un point plus élevé, soit rendue plus facile. Quand la jument a mis bas le produit de l'âne, elle le nourrira pendant toute l'année suivante sans qu'on la laisse couvrir : ce qui vaut mieux que de la faire saillir par un cheval dans cette même année, comme le pratiquent quelques personnes. A l'âge d'un an accompli, la jeune mule peut, sans inconvénient, être éloignée de sa mère : après cette séparation, on la conduit dans des lieux montueux et sauvages, pour que son sabot s'y durcisse et qu'elle devienne propre par la suite à faire de longs voyages. Le mulet supporte mieux le bât que la mule, qui, de son côté, l'emporte sur lui par la légèreté : l'un et l'autre, toutefois, marchent bien et conviennent parfaitement au labourage, à moins que les cultivateurs ne puissent pas faire la dépense de leur achat en raison de leur prix élevé, ou que le sol trop dur réclame la force des bœufs.
Du traitement des mulets malades. XXXVIII. J'ai déjà, en m'occupant d'autres bestiaux, prescrit la plupart des remèdes qui conviennent aux mulets : toutefois je ne passerai pas sous silence quelques maladies qui leur sont particulières et dont je vais indiquer le traitement. Quand la mule a la fièvre, on lui donne des choux crus; lorsqu'elle est poussive, on la saigne et on lui fait avaler du suc de marrube â la dose d'une hémine, mêlé avec un setier de vin et une demi-once d'huile d'encens. Si on lui trouve des éparvins, on y applique de la farine d'orge; puis, ouvrant l'apostume avec le scalpel, on panse la plaie avec de la charpie, ou bien on lui injecte dans le naseau gauche un setier d'excellent garum avec une livre d'huile, et l'on joint à cette préparation les blancs de trois ou quatre œufs dont les jaunes ont été ôtés. On est aussi dans l'usage de leur pratiquer des incisions aux cuisses, et même quelquefois d'y appliquer le feu. Comme, pour les chevaux, si le sang leur tombe dans les pieds, on a recours à la saignée; ou bien . si on a de l'herbe que les paysans appellent veratrum, on leur en donne à manger. La graine de jusquiame broyée avec du vin est aussi un remède efficace pour cette maladie. Le plus souvent on fait disparaître la maigreur et la langueur au moyen d'une potion qui se compose d'une demi-once de soufre broyé, d'un œuf cru et d'un denier pesant de myrrhe écrasée. Ces trois substances devront être mêlées avec du vin, et dans cet état être administrées en breuvage. Ce remède convient également à la toux el aux tranchées. Pour la maigreur, il n'est rien de comparable à la luzerne : cette plante, donnée en vert ou du moins peu de temps après sa coupe, supplée au foin et engraisse bien les bêtes de travail; mais il faut en donner modérément, de peur que l'animal ne soit suffoqué par l'excès du sang qu'elle produit. Quand les mules sont fatiguées et écumantes de sueur, on leur verse de la graisse fondue dans la gorge et on leur fait avaler du vin pur. Pour les autres maladies des mules, on les traitera comme nous l'avons prescrit dans les premières parties de ce livre, en parlant des soins à donner aux bœufs et aux chevaux.
I De l'ânon. Devant parler du menu bétail, je commencerai, Publius Silvinus, par ce vil et vulgaire ânon d'Arcadie, dont la plupart des écrivains qui ont traité de l'économie rurale veulent que l'on s'occupe principalement dans l'achat et l'entretien des bêtes de somme; et c'est avec raison : car on peut, même dans un terrain sans pâturage, avoir cet animal, qui n'est difficile ni sur la qualité ni sur la nature du fourrage: puisqu'il se nourrit de feuilles, de plantes épineuses, de branches de saule, et des bottes de sarments qu'on lui offre. On l'engraisse même avec de la paille, qui se trouve en abondance dans presque tous les pays. Il supporte résolument la négligence d'un gardien ignorant; il endure patiemment les coups et la privation de nourriture. Aussi en tire-t-on plus longtemps des services que de toute autre bête de travail : car, supportant très bien la fatigue et la faim, il est rarement attaqué par les maladies. Les services nombreux et importants que rend cet animal, qui exige si peu de soins, dépassent ce qu'on en devrait attendre, puisqu'il peut, avec une charrue légère, labourer les champs dont la terre est facile à travailler, comme dans la Bétique et toute la Libye, et qu'il traîne les charrettes dont la charge n'est pas excessive. Souvent même, comme dit le plus célèbre de nos poètes : « Le villageois, pressant les flancs de son âne au pas tardif, le charge de fruits communs, et rapporte, à son retour de la ville, une meule ou une masse de poix noire. » Au reste, tourner la meule et moudre le grain est presque toujours la tâche principale des ânes. C'est pourquoi toute exploitation rurale en réclame un comme animal indispensable, qui, ainsi que je l'ai dit, transporte avec avantage à la ville ou en rapporte, soit sur une voiture, soit sur son dos, la plupart des objets qui sont à notre usage. Au surplus, dans le livre précédent, en traitant de l'âne de prix, nous avons assez expliqué quelle espèce il faut choisir et quels soins lui sont nécessaires.
II De l'achat et de l'entretien des bêtes à laine. Après les grands quadrupèdes se présentent naturellement les troupeaux de bêtes à laine, qui prendraient le premier rang, si on considérait leur grande utilité. En effet, elles nous protégent contre la rigueur du froid, et fournissent à nos corps leurs vêtements les plus importants. Non seulement elles nourrissent les gens de la campagne par l'abondance de leur lait et de leur fromage, mais elles parent les tables du riche de mets agréables et nombreux. Elles servent même à la subsistance de certaines nations dépourvues de blé; aussi la plupart des Nomades et des Gètes sont-ils appelés buveurs de lait. Ces animaux, quoique très délicats, comme Celse le dit fort sagement, jouissent généralement d'une bonne santé et craignent peu les épizooties. Toutefois la nature du sol doit en diriger le choix : c'est ce que Virgile prescrit d'observer toujours, non pas seulement pour ce bétail, mais pour ce qui regarde toute l'économie des champs, quand il dit « Toute terre ne peut pas donner toute production. » Les terrains gras et les pays de plaine nourrissent bien les brebis de haute stature; les terrains maigres et en coteaux conviennent à celles qui sont de taille bien prise; les petites races s'accommodent des bois et des montagnes; les prés et les plaines en jachère sont très convenables pour les brebis enveloppées de peaux. Il n'importe pas moins d'avoir égard à leur couleur qu'à leur espèce. Nos cultivateurs estimaient comme races excellentes la milésienne, la calabraise, l'apulienne, et avant toutes la tarentine. Aujourd'hui les gauloises passent pour les meilleures, et surtout les altinates, ainsi que celles qu'on élève dans les terres maigres des environs de Parme et de Modène. Les brebis blanches sont les plus avantageuses et les plus utiles, parce qu'on peut donner à leur laine une infinité de couleurs, et qu'on ne saurait rendre blanches les toisons qui ne le sont pas naturellement. Toutefois les brebis grises ou bien brunes ont aussi leur mérite : telles sont celles que fournit Pollentia en Italie et Cordoue dans la Bétique. Il en est de même des moutons rouges de l'Asie, qu'on appelle érythrés. L'expérience a d'ailleurs fait connaître le moyen d'obtenir plusieurs autres variétés de couleur. En effet, des hommes qui offraient des bêtes étrangères en spectacle, ayant conduit d'Afrique dans la ville municipale de Gadès, entre autres animaux, des béliers sauvages et farouches dont la couleur était extraordinaire, M. Columelle, mon oncle paternel, homme d'une grande pénétration d'esprit et agriculteur distingué, en acheta plusieurs qu'il fit conduire dans ses champs, et, après les avoir apprivoisés, leur fit saillir des brebis couvertes. Elles produisirent d'abord des agneaux à laine grossière, mais qui offraient la couleur du père. Unis ensuite à des brebis tarentines, les béliers donnèrent des agneaux dont la laine était plus fine. Depuis ce moment, tous les produits conservèrent, avec la toison moelleuse de la mère, la couleur du père et de l'aïeul. Columelle en concluait qu'ainsi la qualité primitive de la bête, quelle qu'elle fût, après que son caractère farouche s'était adouci, se retrouvait de degrés en degrés dans ses descendants. Je reviens à mon sujet. Il y a donc deux espèces de brebis : celles dont la laine est fine, et celles qui l'ont grossière. Au reste, quoiqu'il y ait plusieurs pratiques qui sont communes pour l'entretien comme pour l'achat de l'une et de l'autre, quelques-unes cependant sont particulières à la race distinguée. Voici à peu près ce qu'il faut généralement observer dans l'achat d'un troupeau. Si la blancheur est ce qui vous plaît davantage dans la laine, vous choisirez toujours les béliers du blanc le plus pur; car d'un bélier blanc il peut quelquefois sortir un agneau brun, mais jamais il n'en sortira un blanc d'un bélier rouge ou gris.
III. Du choix des béliers. La blancheur de la toison chez un bélier n'est pas un caractère suffisant pour en déterminer le choix : le palais et la langue doivent aussi offrir cette couleur. En effet, quand ces parties sont noires ou tachetées, il donne des agneaux gris ou bigarrés; et c'est là ce qu'entre autres choses le poète que j'ai cité ci-dessus a parfaitement exprimé dans ces vers : « Quand même ton bélier serait blanc, si son palais humide cache une langue noire, rejette-le, pour qu'il ne transmette pas de taches noirâtres à la toison de ses enfants. » Par la même raison, les béliers, soit rouges, soit noirs, ne doivent, comme je l'ai dit, offrir sur aucune partie du corps de laine d'une couleur différente; il est important surtout que toute la surface du dos ne soit pas bigarrée de taches. Ainsi on ne doit acheter de brebis que quand elles sont couvertes de leur laine, afin qu'on puisse mieux juger de l'uniformité de leur couleur, qui, si elle n'existait pas complètement dans les béliers, déterminerait le plus souvent la transmission de leurs taches aux agneaux qui en proviendraient. On estime surtout le bélier, quand il est grand et se tient droit, quand son ventre est déprimé et bien fourni de laine, quand sa queue est très longue, sa toison épaisse, son front large, ses testicules gros, ses cornes recourbées ce n'est pas qu'alors il soit plus utile, car il est préférable qu'un bélier soit privé de cornes; mais il est moins dangereux lorsqu'elles sont torses que lorsqu'elles sont droites et écartées. Pourtant dans certaines contrées, où le climat est humide et venteux, nous préférerions des boucs et des béliers coiffés de cornes très amples, parce que, grâce à leur surface et à leur hauteur, elles protégent contre la tempête la plus grande partie de leur tête. Nous choisirons donc cette espèce pour les lieux où l'hiver est très rigoureux ; mais sous les climats plus doux nous prendrons de préférence des mâles sans cornes : car dans l'animal pourvu de cornes, il existe cet inconvénient, que, se sentant la tête naturellement armée de cette espèce de dard, il est toujours prêt au combat et se montre aussi plus lascif; et quoiqu'il ne suffise pas pour saillir tout le troupeau, il poursuit cruellement tout rival, et ne permet pas, à moins qu'il soit excédé de jouissances, qu'un autre mâle couvre les brebis en chaleur. Au contraire, celui qui n'a pas de cornes, comprenant qu'il est en quelque sorte désarmé, est moins disposé à la lutte et plus modéré pour la saillie. Aussi les pasteurs se servent-ils de la ruse suivante pour réprimer la turbulence des boucs ou des béliers pétulants : ils fichent des pointes dans une planche de chêne d'un pied carré qu'ils attachent aux cornes de l'animal de manière que les pointes soient tournées du côté du front; les blessures qu'il se fait à lui-même lorsqu'il se bat, le guérissent infailliblement de son caractère hargneux.Le Syracusain Épicharme, qui a écrit avec beaucoup de discernement sur la médecine vétérinaire, assure qu'on dompte le bélier provocateur en perçant avec une tarière ses cornes près des oreilles, au point où elles prennent leur courbure. C'est à trois ans que ce quadrupède est parvenu à l'âge convenable à la propagation : il y est propre encore à sa huitième année. A deux ans accomplis la brebis peut recevoir le mâle; elle est encore jeune à cinq, mais après sept elle commence à vieillir. Ainsi que je l'ai dit, vous achèterez les brebis avant qu'elles ne soient tondues, et vous repousserez celles dont la laine est mêlée de brun et de blanc, en raison de leur bigarrure. Vous répudierez comme stériles celles dont, à trois ans, les dents feront saillie hors de la bouche; mais vous choisirez des brebis de deux ans dont le corps soit ample, le cou long, la toison longue et sans rudesse, le ventre bien développé et couvert de laine : car il faut éviter que cette partie soit nue et petite. Voilà à peu près les conditions sur lesquelles il faut se baser pour l'achat des brebis en général. Voici maintenant ce qu'il convient de faire pour le bon entretien du troupeau. On construit des bergeries de peu d'élévation, mais plus longues que larges, afin qu'elles soient chaudes en hiver, et de manière qu'elles soient assez larges pour que les mères ne blessent pas leurs agneaux. Ces constructions feront face au midi; car ce bétail, quoique le mieux vêtu de tous, souffre beaucoup du froid aussi bien que des grandes chaleurs. C'est pourquoi on devra établir devant la bergerie une cour entourée de murailles élevées, afin que le troupeau puisse en sûreté y prendre le soleil. On aura soin que le sol des bergeries ne soit pas humide, mais recouvert de fougère bien sèche ou de chaume, afin que les brebis qui viennent de mettre bas ne salissent pas leur laine et soient couchées mollement. Leurs râteliers seront tenus très proprement, de peur que l'humidité ne nuise à leur santé, qui doit être le premier objet de nos soins. Il faut donner aux bestiaux, quels qu'ils soient, une nourriture abondante : car un troupeau peu nombreux, lorsqu'il est bien nourri, rend plus au propriétaire que le plus considérable qui souffrirait de la faim. Vous le conduirez dams les jachères, non seulement parce que l'herbe y abonde, mais aussi parce qu'ordinairement il ne s'y trouve pas de végétaux épineux : car, pour nous appuyer souvent de l'autorité du poète divin, « Si le lainage est l'objet de vos soins, il faut, avant tout, écarter vos brebis des forêts buissonneuses, de la bardane et du chardon,» parce que, comme dit le même poète, ces plantes rendent les brebis galeuses, « Lorsque, après la tonte, on a négligé de les laver, et que la sueur s'est encroûtée sur leur peau, ou que les épines hérissées ont déchiré leur corps. » Outre que la quantité de la laine est diminuée chaque jour, parce que plus elle a acquis de longueur, plus elle est exposée aux ronces, sorte d'hameçons qui accrochent et dépouillent le dos de l'animal qui les touche en paissant. Il y perd aussi quelquefois le vêtement moelleux dont on le couvre pour le protéger, et ce n'est qu'à grands frais qu'on répare ce dommage. Les auteurs sont presque tous d'accord sur ce point, qu'on doit faire couvrir les brebis d'abord dans le printemps, à l'époque des fêtes de Palès, si l'animal n'a pas encore porté, ou dans le mois de juillet s'il a déjà mis bas. Toutefois il est hors de doute que la première époque est préférable; parce que, comme la vendange suit la moisson, l'agnèlement viendra après la récolte des vignes, et parce que l'agneau bien nourri pendant tout l'automne aura pris de la force avant la rigueur du froid et les privations de l'hiver. En effet, l'automne vaut mieux que le printemps, comme Celse le dit avec beaucoup de raison, par le motif qu'il est plus avantageux que l'agneau se soit fortifié plutôt avant le solstice d'été qu'avant celui de l'hiver, puisqu'il est le seul de nos animaux qui naisse sans inconvénient durant cette dernière saison. Dans le cas où on aurait besoin d'obtenir plus de mâles que de femelles, Aristote, dont l'expérience des choses naturelles est si profonde, prescrit d'avoir égard, lors de la monte, au vent du nord par un temps sec, et de conduire le troupeau en face de ce vent pour que les brebis l'aient en face, pendant le moment de l'accouplement. Si, au contraire, on désire des femelles, il faut rechercher le souffle du midi, et faire couvrir les brebis dans des conditions analogues. Cette méthode est préférable à celle que nous avons enseignée dans le livre précédent, et qui consiste à serrer d'un lien soit le testicule droit, soit le testicule gauche : opération difficile dans les troupeaux nombreux. > Quand les brebis auront mis bas, le berger, avant de reconduire ses troupeaux dans des pâturages lointains, laissera presque tous les jeunes agneaux pour qu'on les nourrisse dans les environs de la ville; puis le fermier les livrera au boucher avant qu'ils aient connu l'herbe, parce que le transport en est peu coûteux, et qu'après leur séparation d'avec les mères, celles-ci lui donneront du lait dont il pourra tirer un grand profit. Dans certains cas, on en élèvera quelques-uns dans le voisinage de la ville; car les moutons du pays donnent plus de bénéfices que ceux que l'on tire de contrées éloignées; on ne doit pas, non plus, s'exposer à ce que le troupeau, épuisé de vieillesse, manque tout entier à la fois. Aussi un berger expérimenté a-t-il soin avant tout de remplacer chaque année les bêtes mortes ou défectueuses par autant ou même plus de nouvelles têtes : sans cette précaution, la rigueur du froid et de l'hiver peut tromper le pasteur et faire périr quelques moutons qu'il n'avait pas réformés en automne, persuadé qu'ils pourraient passer encore un hiver. C'est en raison de ces accidents qu'il doit compléter le nombre de ses animaux avec des agneaux de l'année, très forts et capables de supporter la mauvaise saison. Il devra joindre à ces précautions celle de conserver seulement des agneaux sortis d'une brebis de quatre ans au moins et de huit au plus. Tout autre âge ne donne pas une bonne production : l'agneau issu d'une vieille mère apporte avec lui les inconvénients de sa vieillesse, la stérilité ou la faiblesse. Les brebis pleines n'exigent pas moins de soins que les femmes enceintes : l'agnèlement ne diffère pas non plus de l'accouchement, et, souvent même, le travail est plus grand chez la brebis, parce qu'elle est privée de raison. Aussi est-il nécessaire que le maître du troupeau soit instruit dans la médecine vétérinaire, afin que, selon l'exigence des cas, il puisse, si l'agneau se présente en travers, l'extraire en entier, ou bien le tirer après l'avoir coupé par morceaux, sans compromettre la vie de la mère : c'est ce que les Grecs appellent g-embryoulkein. L'agneau, aussitôt après sa naissance, doit être tenu debout et approché de la mamelle; on lui ouvre même la bouche pour l'humecter du lait qu'on exprime du pis, afin qu'il s'habitue à cet aliment maternel; mais auparavant on fait couler à terre une petite quantité de lait que les bergers appellent "colostre", parce que, s'il n'était pas jeté, il serait nuisible à l'agneau. Deux jours après sa naissance, on le renferme avec sa mère, afin qu'elle en prenne soin, et qu'il apprenne à la connaître; et, jusqu'à ce qu'il bondisse, on le garde dans un enclos obscur et chaud. Quand il commencera à folâtrer, on l'enfermera avec d'autres du même âge dans une aire entourée de rameaux d'osier tressés, pour l'empêcher de se livrer, comme les enfants, à un excès d'exercice qui le ferait maigrir. On veillera à ce que les plus jeunes soient séparés des plus âgés, parce que le faible a toujours à souffrir du plus fort. Il suffira, le matin, avant que le troupeau se mette en route pour le pâturage, et le soir, à son retour, quand les brebis sont bien rassasiées, de leur rendre leurs agneaux. Lorsqu'ils commenceront à prendre de la vigueur, on les nourrira à l'étable avec du cytise ou de la luzerne, ou même avec du son, et, si on en a en quantité suffisante, avec de la farine d'orge ou d'ers. Ensuite, quand ils seront forts, on conduira les mères, vers midi, dans des prairies ou des guérets voisins de la ferme, et on fera sortir les agneaux de leur enclos, afin qu'avec elles ils apprennent à paître dehors. Pour ce qui concerne l'espèce de fourrage à leur donner, nous rappellerons ce que nous avons déjà dit, et nous ajouterons ce que nous pouvons avoir omis : les herbes les plus agréables sont celles qui croissent dans les champs labourés, ensuite celles des prés non humides, tandis que les plantes des marais et des forêts ne leur conviennent pas du tout. Cependant il n'est ni fourrage ni nourriture, quelqu'agréables qu'ils puissent être, qui ne finissent à la longue par cesser de plaire aux brebis, si le berger ne prévient le dégoût en leur donnant du sel. Pendant l'été, on met le sel dans des auges de bois, où, à leur retour du pâturage, les brebis vont le lécher comme assaisonnement de leur nourriture : par sa saveur, il les excite à boire et à paître. En hiver, on remédie aux privations de la saison en leur donnant, à couvert, leur subsistance dans les crèches. On les nourrit très avantageusement avec des feuilles d'orme ou de frêne mises en réserve, ou avec du foin d'automne qu'on appelle regain, foin plus mollet, et par cela même plus agréable que celui d'été : c'est une excellente nourriture, aussi bien que le cytise et la vesce cultivée. Faute de mieux, on tire encore parti des fanes de légumes : car l'orge ou les fèves écrasées avec leurs cosses, ou la cicérole, coûtent trop cher pour qu'on puisse les employer avec avantage dans le voisinage des villes; toutefois, si la modicité de leur prix le permet, on ne saurait leur donner rien qui leur soit préférable. Quant à ce qui regarde le temps convenable pour mener paître les brebis, et pour les conduire à l'abreuvoir, je suis du même avis que Virgile, qui dit : « Quand l'astre de Vénus vient de se lever, quand l'aube paraît, quand les gazons sont blancs d'humidité, et que la rosée, si agréable au troupeau, brille sur l'herbe tendre, allons chercher les champs dans leur fraîcheur. Ensuite, dès que la quatrième heure du jour fera sentir la soif aux brebis, dirigeons-les vers des puits ou des mares profondes; » et vers le milieu de la journée, gagnons la vallée, comme ajoute le même poète, « Là où l'antique tronc du vaste chêne de Jupiter étend ses immenses rameaux, ou bien là où l'ombre sacrée, que répand sur le sol une sombre forêt d'yeuses, invite à goûter le repos. » Puis, quand la grande chaleur sera tombée, menons une seconde fois le troupeau à l'eau (c'est une précaution nécessaire pendant l'été), et reconduisons-le ensuite au pâturage : « Au moment où le soleil se couche, quand l'étoile du berger, qui porte avec elle la fraîcheur, calme les airs, et que la lune amenant la rosée rend la vie aux bocages. » Au surplus, il faut observer, au lever de la constellation estivale de la canicule, de diriger les pas du troupeau de manière qu'avant midi il regarde l'occident, et après midi l'orient : car il importe au plus haut degré qu'en paissant il ait la tête opposée au soleil, qui, au lever de cette constellation, est ordinairement nuisible aux animaux. Durant l'hiver et au printemps, on retient toute la matinée les brebis dans leur bergerie, jusqu'à ce que la chaleur du jour ait fait disparaître la gelée blanche des champs : car à cette époque l'herbe qui en est couverte les enrhume et leur lèche le ventre. C'est aussi pour éviter ces accidents, que, dans les temps froids et humides de l'année, on ne leur permet de boire qu'une fois par jour. Celui qui suit le troupeau doit être prudent et vigilant, et le gouverner avec une grande douceur; cette prescription, du reste, s'adresse aux gardiens de toute espèce de bestiaux. Il doit avoir l'air plutôt d'un guide que d'un maître, et menacer seulement de la voix et de la houlette ses brebis, lorsqu'il veut les rassembler et les reconduire à l'étable; il ne leur lancera jamais de projectiles; il ne s'en éloignera jamais ; il ne se couchera pas sur l'herbe, il ne s'y assoira pas, et, quand il n'a point à marcher, il doit se tenir debout, parce que le troupeau a besoin que le berger le garde sans cesse, et que, comme une sentinelle, il dirige de haut ses regards sur lui, de manière à ne pas laisser se séparer des autres brebis celles qui, lentes et pleines, viennent à s'arrêter, et celles qui, agiles et ayant mis bas, cherchent à divaguer. Les voleurs ou les bêtes féroces pourraient d'ailleurs profiter des rêveries du berger pour tromper sa confiance. Au surplus, ces préceptes sont communs à presque toutes les espèces de brebis. Nous allons maintenant en donner de particuliers aux brebis de race distinguée.
IV. Des brebis enveloppées de peaux. A moins d'attentions de tous les instants de la part du propriétaire, il n'y a guère d'avantage à posséder des brebis grecques, communément appelées tarentines : elles exigent de grands soins et une nourriture copieuse. En effet, si toutes les bêtes à laine sont plus délicates que les autres bestiaux, celles de Tarente sont les plus délicates de toutes, car elles souffrent de la moindre négligence du maître et des gardiens, et principalement de la parcimonie ; elles redoutent également la chaleur et le froid. Comme on peut rarement les nourrir dehors, elles consomment beaucoup de fourrage à la bergerie, et, si le fermier leur en dérobe une partie, la maladie ne tarde pas à les attaquer. En hiver, la ration à mettre dans les crèches, consiste, par tête, en trois sextiers d'orge ou de fèves broyées avec leurs cosses, ou quatre sextiers de cicérole, auxquels on ajoute des feuilles sèches, de la luzerne soit en sec, soit en vert, ou du cytise, ou même sept livres de regain, et des fanes de légumes à discrétion. Dans cette race, la vente des agneaux procure très peu de bénéfices, et on ne retire aucun profit du lait des mères : car les agneaux que l'on ne conserve pas sont, très peu de jours après leur naissance et avant que leur chair soit faite, livrés à la boucherie; et les mères, privées de leurs petits, concourent à élever ceux des autres : en effet, on donne à chaque agneau deux nourrices et on lui en abandonne tout le lait, afin que, mieux nourri, il grandisse plus vite, et que la mère, secondée par une nourrice, ait plus de facilité à élever son petit. C'est pour cela qu'il faut avoir grand soin que tous les jours les agneaux soient allaités par leur mère et par l'autre brebis, qui n'a point pour eux la même affection. Dans l'espèce de Tarente on conserve plus de mâles que dans la race à laine grossière : car on les châtre avant qu'ils puissent saillir les femelles, pour les tuer lorsqu'ils ont deux ans accomplis et livrer au commerce leurs peaux, qui, à cause de la beauté de leur laine, se vendent plus cher que les autres toisons. Nous n'oublierons pas de faire paître les moutons grecs dans des champs découverts, libres de tout arbuste et d'épines, pour que, comme je l'ai dit plus haut, la laine et même la peau qui la couvre ne s'y accroche pas. Dans la campagne, où à la vérité on ne les mène pas tous les jours, ils ne demandent guère moins de soins qu'il ne leur en faut dans la bergerie, où l'on doit les découvrir et les rafraîchir souvent, leur tirer souvent la laine, et l'arroser de vin et d'huile; quelquefois même on les lave, si le temps est assez beau pour le permettre, mais il ne faut le faire que trois fois par an. On doit balayer fréquemment les bergeries, en enlever, le fumier et n'y laisser croupir aucune urine qui les rendrait humides. Pour les tenir sèches, on trouve beaucoup d'avantage à les recouvrir de planches percées sur lesquelles les animaux puissent se coucher. Ces étables ne doivent pas seulement être purgées de fange et de fumier, mais aussi du fléau des serpents. Pour y parvenir, « Sachez qu'il faut brûler dans la bergerie le cèdre odorant, et par l'odeur du galbanum mettre en fuite les serpents dangereux. Souvent la vipère à la morsure funeste s'est enfuie effrayée en voyant la lumière, aussi bien que la couleuvre, qui se plaît particulièrement sous nos toits.» Alors, comme prescrit le même poète, « Saisis une pierre dans ta main, berger; saisis un bâton de chêne, et frappe à mort le reptile qui dresse en sifflant son cou gonflé et menaçant. » On peut aussi, pour éviter le danger que présente cette prescription, brûler souvent des cheveux de femme ou de la ramure de cerf : cette odeur ne permet jamais à ces animaux nuisibles de s'établir dans les étables. On ne saurait fixer pour la tonte une époque fixe qui soit la même pour toutes les contrées, parce que l'été n'y est pas également tardif ou précoce; le mieux est de consulter la température sous laquelle les moutons n'ont pas à souffrir du froid si on les tond, ni de la chaleur si on leur laisse encore leur laine. Au surplus, quelle que soit l'époque de la tonte, on doit les frotter avec un mélange à doses égales de jus de lupins cuits, de lie de vieux vin et de lie d'huile; on verse de cette composition sur la brebis tondue, et quand le dos frotté en aura été bien imbibé durant trois jours, on la conduira le quatrième, si on est à proximité, sur le bord de la mer pour l'y plonger; sinon, on la lavera avec de l'eau de pluie que l'on a salée et fait bouillir, et que l'on garde en plein air pour cet usage. Celse assure que le troupeau, ainsi traité, sera pour toute une année à l'abri de la gale; et il est certain que sa laine repoussera plus moelleuse et plus longue.
V. Du traitement des maladies de l'espèce ovine. Après nous être successivement occupé de l'éducation des brebis et des soins qu'elles exigent en état de santé, parlons maintenant des moyens de remédier aux incommodités et aux maladies qui peuvent survenir, quoique cette partie de notre travail ait été presque entièrement traitée clans le livre précédent, quand nous avons donné nos prescriptions sur la médication des grands bestiaux, La disposition des corps des petits et des grands quadrupèdes étant à peu près la même, on ne doit trouver que de faibles différences, et en petit nombre, dans leurs maladies et dans les remèdes propres à les combattre. Cependant, quelque peu considérables qu'elles soient, nous ne les passerons point sous silence. Si le troupeau entier est malade, il faut, comme nous l'avons prescrit ci-dessus, et nous le répétons ici parce que nous croyons la précaution éminemment salutaire, et que ce remède est des plus efficaces, le changer de pâturage, lui interdire les eaux du pays, le conduire sous un autre climat, et avoir soin de chercher des champs couverts, si l'épizootie provient de la chaleur et de l'ardeur du soleil, ou bien des pâturages bien exposés à ses rayons, si le froid a causé le mal. Il faudra conduire le troupeau tranquillement et sans le presser, de peur que la longueur du voyage n'augmente sa faiblesse; on devra cependant éviter de le mener avec trop de lenteur et de nonchalance : car, de même qu'il ne convient pas d'émouvoir plus que de raison et de fatiguer des bêtes déjà fatiguées par le mal, il ne faut pas, non plus, leur donner trop peu d'exercice, les laisser plongées dans leur engourdissement, souffrir qu'elles tombent comme décrépites dans une apathie qui amènerait infailliblement la mort. Lorsque le troupeau sera parvenu à sa destination, on le distribuera par petites bandes aux colons : car il se guérira plus facilement étant divisé qu'en restant assemblé, soit parce que les émanations morbides sont moindres dans un petit nombre, soit parce que les soins sont d'autant plus efficaces qu'ils sont partagés par moins d'animaux. Telles sont les instructions qu'il faut joindre à celles que nous avons données dans le livre précédent (et que nous ne répèterons pas ici) dans le cas où le troupeau entier est frappé. Voici maintenant ce qu'il conviendra de faire si quelques bêtes seulement sont malades. Les moutons sont, plus qu'aucun autre animal, sujets à la gale : elle se déclare presque toujours, comme le dit notre poète, « Lorsqu'une pluie froide les a pénétrés jusqu'au vif, et qu'ils ont été atteints par le froid glacial d'un hiver rigoureux; » ou bien lorsque après la tonte on n'a pas eu recours aux frictions que j'ai indiquées; lorsqu'on a négligé d'enlever, au moyen d'ablutions dans la mer ou dans un courant d'eau, la crasse formée par la transpiration pendant l'été. La même affection peut également se développer si on laisse les animaux récemment tondus s'écorcher dans les buissons et les épines des bois, et si on les loge dans une étable où ont séjourné des mules, des chevaux ou des ânes. Au reste, le plus souvent, le défaut de nourriture produit la maigreur, et la maigreur la gale. Quand la gale commence à se manifester, on s'en aperçoit ainsi : les animaux mordent la partie malade, la grattent avec les cornes ou le pied, ou bien la frottent contre un arbre, ou contre un mur. Dès que vous remarquerez une brebis dans cette action, il faudra la saisir et écarter sa laine pour examiner la peau qu'elle recouvre, qui doit être rude et couverte d'une sorte de crasse. Sans plus attendre, il faut prendre toutes les précautions pour qu'elle n'infecte pas tout le troupeau, et agir avec une grande promptitude, car la contagion gagnerait tous les bestiaux et surtout l'espèce ovine. Il existe plusieurs remèdes que nous allons faire connaître, non pas qu'il soit nécessaire de les employer tous, mais parce que plusieurs ne se trouvent point dans certains pays, et que, sur le nombre, on en rencontrera quelqu'un à propos. D'abord, on peut faire usage avec succès de la composition que nous avons donnée un peu plus haut, qui consiste à mêler des lies de vin et d'huile avec une quantité égale de jus de lupins cuits et de l'ellébore blanc écrasé. Le suc de la ciguë verte peut aussi faire disparaître la gale : à cet effet, on écrase cette plante, coupée au printemps, quand elle a poussé ses tiges et qu'elle n'est pas encore montée en graine; on conserve dans un vase de terre le jus qu'on en a exprimé, en y mêlant, pour deux urnes de liquide, un demi-modius de sel grillé. Ensuite, on enfouit dans le fumier le vase bien luté; quand la préparation s'est élaborée durant toute une année par la chaleur de ce fumier, on la retire pour l'usage. On commence par déterger la partie malade en la frottant avec une brique rude ou une pierre ponce, puis on fait des lotions avec le médicament que l'on a fait tiédir. On remédie aussi à la même maladie, soit avec de la lie d'huile réduite de deux tiers par l'ébullition, soit avec de la vieille urine d'homme dans laquelle on plonge des tuiles chauffées jusqu'au rouge blanc. Toutefois, certaines personnes font réduire d'un cinquième, sur le feu, cette urine, qu'elles mélangent avec une égale quantité de suc de ciguë verte; ensuite elles y mêlent de la brique pilée, de la térébenthine et du sel égrugé, de chacun un setier.On peut user aussi de soufre pulvérisé et de térébenthine, à doses égales, que l'on combine à l'aide d'un feu doux. Au surplus, le poème des Géorgiques affirme qu'il n'y a pas de remède plus efficace que de « Couper avec le fer la surface de l'ulcère, qui, s'il reste couvert, subsiste et fait des progrès. » Il faut donc l'ouvrir et user des mêmes médicaments que pour les autres plaies; puis, ajoute non moins sagement ce poème, il faut tirer du sang du talon ou d'entre les deux cornes du pied aux brebis atteintes de la fièvre : car le plus souvent, « On a obtenu d'heureux résultats en écartant le feu qui les consume, et en faisant jaillir le sang qui gonfle la veine placée sous le pied et dans sa bifurcation. » On peut aussi leur tirer du sang sous les yeux et des oreilles. Les moutons sont aussi attaqués de deux espèces de clavelées qui s'annoncent, l'une lorsque du pus et l'intertrigo se manifestent dans l'entre-deux du pied; l'autre, quand ce même point présente une tumeur vers le milieu de laquelle se trouve un poil semblable à ceux des chiens, sous lequel se nourrit un petit ver. Le pus et l'intertrigo disparaîtront par l'application de la térébenthine, ou d'un mélange d'alun, de soufre et de vinaigre, ou par le moyen d'une jeune grenade dont les grains ne sont pas encore formés, pilée avec de l'alun et arrosée de vinaigre; ou bien en les saupoudrant de vert-de-gris, ou encore en les recouvrant de noix de galle torréfiée, pilée et unie à du vin âpre. Quant à la tumeur qui recèle un petit ver, il faut la cerner avec le bistouri, en usant de la plus grande précaution, afin de ne pas blesser, pendant l'opération, l'insecte qui se trouve au fond du mal : car s'il se trouvait attaqué par le fer, il répandrait une sanie venimeuse qui, étendue dans la plaie, la rendrait tellement incurable qu'il faudrait procéder à l'amputation de la totalité du pied. Après l'incision circulaire de la tumeur opérée avec le soin convenable, on fera, au moyen d'une torché enflammée, dégoutter sur la plaie du suif brûlant. Il convient de traiter, comme le porc, la brebis malade du poumon, en lui insérant dans l'oreille une racine de la plante que les vétérinaires appellent "consiligo", et dont nous avons déjà parlé quand nous avons traité du traitement des maladies du grand bétail. Ordinairement c'est en été que les moutons contractent cette maladie, par le manque d'eau; aussi faut-il veiller à ce que, pendant les chaleurs, tous les quadrupèdes puissent s'abreuver largement. Celse pense que, si les poumons sont attaqués, on doit donner à la brebis autant de fort vinaigre qu'elle en peut avaler, ou lui verser avec une petite corne, dans la narine gauche, environ trois hémines de vieille urine d'homme chaude, et lui faire avaler deux onces d'axonge. Le feu sacré, que les bergers appellent érésipèle, est aussi une maladie incurable. Si on ne l'arrête pas au premier animal attaqué, il se répand contagieusement sur tout le troupeau, qui ne souffre, dans ce cas, ni les médicaments ni le secours du fer, car le plus léger attouchement l'irrite. Toutefois, les fomentations de lait de chèvre ne sont pas inutiles, quoique sa vertu se borne à calmer la violence des ardeurs de la peau et à différer plutôt qu'à empêcher la perte du troupeau. Mais Bolus de Mendès, célèbre auteur égyptien, dont les écrits, appelés g-cheirokmeta par les Grecs, ont paru sous le pseudonyme de Démocrite, est d'avis, pour cette maladie, de visiter souvent et soigneusement le dos des brebis, et, dans le cas où l'on y reconnaîtrait l'existence du mal, de creuser sans délai à la porte de la bergerie une fosse pour y enterrer vive, et placée sur le clos, la brebis malade, et, quand cette fosse est comblée, d'y laisser passer tout le troupeau : cette pratique arrête incontinent l'épizootie. La bile, qui n'est pas moins pernicieuse aux brebis en été, s'expulse en leur faisant boire de l'urine d'homme vieille, laquelle est aussi un remède pour la jaunisse. Si un mouton souffre de la pituite, on lui introduit dans les narines des tiges d'origan ou de pouliot sauvages, enveloppées de laine, et on les y remue jusqu'à ce que l'animal éternue. Les fractures des jambes, chez les bêtes à laine, se traitent de la même manière que celles des hommes : on les enveloppe de laine imbibée d'huile et de vin, et le tout est entouré et contenu par des éclisses. La renouée produit encore de graves accidents quand un mouton en mange : tout son ventre se distend, se contracte, et il rejette par la bouche une espèce d'écume légère d'une odeur fétide. Alors il faut s'empresser de pratiquer une saignée sous la queue, au point le plus voisin des fesses, et d'ouvrir aussi la veine de la lèvre supérieure. Quand les brebis éprouvent de la peine à respirer, on doit leur faire une incision à l'oreille et les changer de pays : précaution que, d'ailleurs, nous croyons utile dans toutes les maladies et les épizooties. On ne négligera pas de secourir les agneaux lorsqu'ils ont la fièvre ou toute autre maladie. Lorsqu'ils en seront affectés, on les éloignera de leurs mères pour qu'ils ne leur transmettent pas leur mal. On traira alors les brebis à part, et on mêlera à leur lait une égale quantité d'eau de pluie, pour le donner à boire aux agneaux fiévreux. Beaucoup de personnes les traitent aussi en leur faisant avaler, au moyen d'une petite corne, du lait de chèvre. Le tac, que les bergers appellent "ostigo", est aussi une affection mortelle pour les agneaux qui tètent, il provient communément de ce que, par le défaut d'attention du pasteur, les agneaux ou les chevreaux ont mangé des herbes couvertes de rosée : ce qu'il ne doit jamais permettre. Cependant, le cas échéant, il leur survient, comme dans le feu sacré, des ulcères dégoûtants à la bouche et aux lèvres. On traite cette maladie en leur frottant le palais, la langue et toute la bouche avec de l'hysope écrasée avec poids égal de sel; puis on lave les plaies avec du vinaigre, et on les enduit d'un mélange de térébenthine et de graisse de porc. Quelques personnes croient préférable de mélanger un tiers de vert-de-gris avec deux tiers de vieux oing, et d'employer ce remède après l'avoir fait chauffer. D'autres écrasent des feuilles de cyprès dans l'eau, et s'en servent pour laver les ulcères et le palais. La méthode de castration que nous avons donnée plus haut s'applique aux agneaux aussi bien qu'aux grands quadrupèdes.
VI. Des troupeaux de chèvres. Comme je me suis assez étendu sur les moutons, je vais maintenant m'occuper des troupeaux de chèvres. Ce genre de bétail prospère mieux au milieu des broussailles que dans les champs découverts, et trouve très bien sa nourriture sur les rochers et dans les lieux sauvages : car ni les ronces ni les épines ne le blessent, et il se plaît au milieu des arbustes et des taillis : l'arbousier, l'alaterne, le cytise sauvage, les rejets de l'yeuse et du chêne qui n'ont pas encore pris beaucoup de hauteur, lui sont particulièrement agréables. On préfère à tout autre le bouc qui a sous les mâchoires deux petites verrues pendantes sur son cou, qui a le corps très développé, les jambes fortes, le cou plein et court, les oreilles tombantes et lourdes, la tête petite, le poil noir, épais, luisant et très long : car on le tond «Pour l'usage des camps et pour faire des vêtements aux pauvres matelots.» Dès l'âge de sept mois, le bouc est propre à la monte; il est tellement impétueux dans ses désirs, que, pendant qu'il tète encore, il viole sa propre mère; aussi est-il vieux promptement, et avant qu'il n'ait atteint sa sixième année, épuisé qu'il est par les jouissances prématurées des premiers temps de sa jeunesse. C'est pourquoi, dès cinq ans, on le regarde comme peu propre à féconder les femelles. En général, la meilleure chèvre est celle qui ressemble le plus au bouc, tel que nous l'avons dépeint, pourvu qu'elle ait d'amples mamelles et qu'elle donne beaucoup de lait. On doit acheter les chèvres sans cornes, quand elles sont destinées à vivre dans un climat tempéré; dans les contrées sujettes aux orages et aux pluies, elles devront toujours en être munies. Quant aux boucs, il faut les choisir sans cornes pour tous les pays, car ceux qui en ont sont presque tous dangereux à cause de leur pétulance. Il ne convient pas de réunir dans un même enclos un nombre de plus de cent têtes de ce bétail, là où l'on rassemblerait aussi commodément mille bêtes à laine. Quand on veut faire l'acquisition de chèvres, il vaut mieux acheter un troupeau entier que de le former de bêtes provenant de plusieurs maîtres, afin qu'à la pâture elles ne s'isolent point par petites bandes, et qu'à l'étable leur bon accord leur assure du repos. Les fortes chaleurs nuisent aux chèvres, et plus encore le froid, surtout à celles qui sont pleines lorsqu'elles ont été couvertes pendant les gelées de l'hiver. Ce ne sont pas là, au surplus, les seules causes qui les font avorter le gland, donné en quantité insuffisante pour qu'elles puissent s'en rassasier, produit le même effet. Il ne faut donc pas leur en laisser manger si on ne peut leur en fournir abondamment. Notre avis est que le temps à préférer pour les conduire au bouc est l'automne, un peu avant le mois de décembre, afin que les chevreaux naissent à l'approche du printemps, quand les taillis se couvrent de bourgeons, et que les bois commencent à se couvrir d'un tendre feuillage. La meilleure étable à chèvres aura pour fond un roc naturel ou bien sera pavée de pierres, parce qu'on ne leur donne pas de litière. Un chevrier diligent doit balayer cette étable tous les jours, n'y laisser séjourner ni crottin ni humidité, et ne pas souffrir qu'il s'y forme de la houe, toutes choses pernicieuses à ces animaux. Quand la chèvre est de bonne race, elle donne souvent deux chevreaux, quelquefois trois; mais la portée est très mauvaise quand deux mères ne produisent à elles deux que trois petits. Dès leur naissance, on les élève comme les agneaux, si ce n'est qu'il faut plus de soins pour réprimer leur pétulance, et la contenir dans des limites plus resserrées. Pour procurer plus de lait aux mères, on leur donnera de la graine d'orme, ou du cytise, ou du lierre, ou même des sommités de lentisque et autres jeunes feuillages. De deux chevreaux, on réserve celui qui paraît le plus robuste, pour recruter le troupeau ; les autres sont livrés aux marchands. Il ne faut pas laisser de chevreau aux chèvres qui n'ont qu'un ou deux ans (car à ces âges elles peuvent être mères); ce n'est qu'à trois ans qu'on leur permettra de faire des élèves. Le petit de la chèvre d'un an doit lui être enlevé sans retard; celui dont la mère a deux ans sera seulement conservé jusqu'à ce qu'il soit vendable. On ne gardera pas de mères au delà de huit ans, parce que, fatiguées par des portées continuelles, elles deviennent alors stériles. Le chevrier doit être actif, robuste, alerte, très propre à la fatigue, agile et courageux, afin qu'il puisse traverser facilement les rochers, les déserts et les buissons, et, au contraire des autres pasteurs, ne pas se borner à suivre son troupeau, mais le plus souvent le précéder. Il est donc surtout nécessaire qu'il soit alerte. Les chèvres, en broutant les arbustes, laissent les boucs derrière elles; il faut retenir celle qui s'avance trop, pour l'empêcher de divaguer et pour qu'elle paisse tranquillement et lentement : ce qui lui donne plus de lait et la préserve d'une excessive maigreur.
II. Du traitemeut des chèvres malades. Quand les autres espèces de bestiaux sont attaquées de maladies contagieuses, le mal et la langueur les font d'abord maigrir; les chèvres seules, quoique grasses et gaies, tombent tout à coup comme si le troupeau succombait sous quelque ruine. Cet accident provient surtout de l'abondance de la nourriture. C'est pourquoi, dès qu'une ou deux chèvres sont atteintes de maladie contagieuse, il faut les saigner toutes, les priver de nourriture tout le jour, et pendant les quatre heures du milieu de la journée les tenir renfermées dans un enclos. Si elles souffrent d'un autre mal, on les traitera avec du roseau et des racines d'aubépine soigneusement écrasés avec des pilons de fer, et mêlés avec de l'eau de pluie, la seule qu'alors on devra leur permettre de boire. Si ce remède est impuissant contre la maladie, il faut vendre le troupeau, ou, si cela ne peut se faire, l'abattre pour le saler. Plus tard, on se procurera un autre troupeau; mais on laissera passer l'époque insalubre de l'année, de manière à attendre l'été si on se trouve en hiver, et le printemps si on est en automne. S'il n'y avait que quelques bêtes malades, on leur donnerait à l'étable les mêmes remèdes qu'aux brebis. En effet, si leur peau était distendue par la lymphe, maladie que les Grecs nomment g-hydropa (hydropisie), on pratiquerait une légère incision à la peau, sous l'épaule, pour faire écouler le liquide vicié, et l'on mettrait sur la plaie un emplâtre de térébenthine. Si, après le part, les organes de la génération restaient enflés, ou si le délivre n'était pas complètement expulsé, on administrerait à la chèvre un setier de vin cuit, ou, à défaut de cette liqueur, une pareille mesure de bon vin, et on remplirait de cérat liquide l'intérieur de la vulve. Mais, pour ne pas parler ici de chaque maladie en particulier, qu'il suffise de dire que les chèvres doivent être traitées de la manière que nous avons prescrite pour les brebis.
VIII. Manière de faire le fromage.On ne doit pas négliger de faire des fromages, surtout dans les cantons isolés, d'où il n'y aurait pas d'avantage à porter au loin le lait en nature. Si le fromage est fait avec du lait maigre, il faut le vendre au plus tôt, pendant que frais encore il n'est pas desséché; mais si le lait qui entre dans sa confection est gras et riche en principes excellents, on peut le conserver fort longtemps. Au surplus, il doit être fait de lait pur et très nouveau; car le lait ancien ou mélangé ne tarde pas à contracter de l'âcreté. Ordinairement, c'est avec de la présure d'agneau ou de chevreau qu'on le fait cailler, quoiqu'on puisse parvenir au même but avec la fleur du chardon sauvage, ou avec les semences du cnicus, ou encore avec la sève laiteuse que rend le figuier, quand on, pratique une incision à l'écorce d'un de ses rameaux verts. Au reste, le meilleur fromage est celui qui est fait le plus simplement. Le moins de présure qu'on puisse mettre dans un sinus de lait est du poids d'un denier d'argent. Il n'est pas douteux que de jeunes pousses de figuier, mises dans le fromage au moment où il se coagule, ne lui communiquent une saveur très agréable. Le vase à traire, lorsqu'il a reçu le lait, doit être maintenu tiède à un certain degré: il ne faut pourtant pas le mettre sur le feu, comme le pratiquent quelques personnes; mais nu doit l'y placer à distance convenable, et, aussitôt que le lait est coagulé, le distribuer dans des corbeilles de jonc, dans des paniers ou dans des formes. Il est surtout important de faire promptement écouler le petit lait, et de le séparer du caillé. C'est pourquoi les paysans ne lui laissent pas le temps de s'égoutter de lui-même, ce qui n'a lieu que lentement; mais, dès que le fromage a pris quelque consistance, ils le chargent de poids, qui, par leur pression, font sortir le sérum. Ensuite, dès que le fromage est tiré des formes ou des corbeilles, on le place dans un lieu sombre et frais pour qu'il ne se gâte pas, sur des tablettes bien propres, où on le saupoudre de sel égrugé pour faire sortir toute la liqueur qu'il contient. Lorsqu'il est devenu ferme, on le presse plus fortement pour le rendre compacte, puis on le saupoudre de nouveau avec du sel grillé, et on le charge de nouveaux poids pour le condenser davantage. Après cette opération continuée neuf jours, on lave les fromages à l'eau douce, et on les dispose à l'ombre sur des claies faites exprès, de manière qu'ils ne se touchent pas entre eux, et qu'ils puissent un peu sécher ; ensuite, pour qu'ils se conservent plus tendres, on les entasse sur des tablettes dans un lieu clos et qui ne soit pas exposé au vent. Moyennant ces précautions, le fromage n'est ni spongieux, ni trop salé, ni desséché. Le premier de ces défauts arrive ordinairement quand il n'a pas été suffisamment pressé; le second, quand il a été couvert de trop de sel; le troisième, quand il a été brûlé par l'ardeur du soleil. Cette espèce de fromage peut être transporté au delà des mers. Quant à celui qui doit être consommé frais dans l'espace de peu de jours, il se prépare avec moins de soin : on se borne à le tirer des formes, à le tremper dans du sel fondu ou dans de la saumure, et on le fait un peu sécher au soleil. Quelques personnes, avant d'assujettir les animaux dans des carcans pour les traire, mettent dans le vase des cônes verts de pin, font tomber le lait dessus, et ne les retirent que lorsqu'ils mettent dans les formes le lait coagulé. D'autres écrasent les pignons verts, les mêlent avec le lait, qui se coagule avec eux. Il y en a aussi qui le font prendre avec le suc du thym pilé et passé à la chausse. On peut par le même moyen donner au fromage la saveur que l'on veut, en y ajoutant le condiment qu'on préfère. On connaît partout la manière de faire le fromage que nous appelons pressé à la main. Quand le lait commence à se coaguler dans le vase à traire, et qu'il est tiède encore, on le divise par tranches, on le plonge dans l'eau bouillante, et on lui donne à la main une figure quelconque, ou bien on le presse dans des moules de buis. Rendu ferme par la saumure, il n'est pas d'une saveur désagréable quand on l'a coloré à la fumée, soit du bois de pommier, soit du chaume. Mais revenons à notre sujet principal.
IX. Soins à donner aux porcs dans leur bon état de santé. Dans toute espèce de quadrupèdes, on doit choisir avec soin un mâle de bonne qualité, parce que la progéniture ressemble plus souvent au père qu'à la mère. Ainsi, parmi les porcs, on préférera ceux dont tout le corps est très ample et ceux de taille moyenne à ceux qui sont allongés ou ronds; ils doivent avoir le ventre bien développé, les fesses larges, les jambes et les pieds petits, le cou charnu et glanduleux, le groin court et retroussé. Ce qui importe surtout, c'est que les verrats soient très lubriques. Quoiqu'ils puissent dès l'âge de six mois couvrir les femelles, on ne les emploiera convenablement à la génération que lorsqu'ils auront atteint un an, et jusqu'à ce qu'ils en aient quatre. On doit faire choix de truies dont le corps soit très long, et qui, pour les autres qualités, ressemblent aux verrats tels que nous les avons décrits. Si le pays est froid et exposé aux frimas, on composera son troupeau de porcs qui aient les soies très dures, épaisses et noires. Dans les contrées tempérées et chaudes, on peut en nourrir qui n'aient point de poil ou qui soient aussi blancs que de la farine. On regarde la truie comme pouvant produire jusqu'à sept ans environ; mais plus elle est féconde, plus tôt elle est vieille. Il n'y a pas d'inconvénient à la laisser concevoir à un an, mais on doit la faire couvrir en février. Après avoir porté quatre mois, elle met bas dans le cours du cinquième : alors les herbes sont assez fortes pour que les petits trouvent un lait de bonne qualité. Lorsqu'ils seront sevrés, on les nourrira avec de la paille et des déchets de légumes sans valeur. Telle est la méthode en usage dans les lieux éloignés des villes, où l'on ne s'occupe que de l'accroissement du troupeau; car dans les endroits qui en sont proches on trouve de l'avantage à vendre les cochons de lait : alors la truie, débarrassée du soin d'élever ses petits, est plus tôt disposée à donner une seconde portée, et peut en donner deux par an. Les mâles qui ont commencé à saillir dès l'âge de six mois, ou qui ont été très souvent employés à la monte, doivent être châtrés à trois ou quatre ans pour qu'on puisse les engraisser. Pour que les femelles ne puissent engendrer, on fait à la vulve des incisions qui, en se cicatrisant, ferment l'entrée du vagin. Je ne comprends pas ce qui peut déterminer à pratiquer cette opération, à moins que ce ne soit la disette de nourriture : car lorsqu'on en a en abondance, il y a toujours bénéfice à multiplier les portées. Ces animaux s'arrangent de la situation de toute espèce de terrains, et prospèrent bien sur les montagnes et dans les plaines, mieux pourtant dans les fonds marécageux que dans les lieux arides. Les forêts sont ce qui leur convient le mieux quand elles sont couvertes de chênes, de liéges, de hêtres, de cerres, d'yeuses, d'oliviers sauvages, de tamarix, de coudriers et d'arbres portant des fruits sauvages, tels que les aubépines, les caroubiers, les genévriers, les lotus, les pins, les cornouillers, les arbousiers, les pruniers, les paliures et les poiriers sauvages, parce que leurs fruits mûrissent à diverses époques et peuvent nourrir les porcs presque toute l'année. A défaut d'arbres, on recherchera les terres à pâture, et aux lieux secs on préfèrera les endroits marécageux, parce que les porcs fouilleront dans la fange, en tireront des vers, se vautreront dans la boue, ce qui leur est particulièrement agréable, et auront à discrétion l'eau qui leur est si utile, surtout en été, outre qu'ils en tireront les racines tendres des plantes aquatiques, comme les glaïeuls, les joncs et le roseau commun que l'on appelle vulgairement canne. Les porcs s'engraissent fort bien aussi dans les terres cultivées quand elles sont gazonnées de bons herbages, plantées de plusieurs espèces d'arbres fruitiers qui puissent, à diverses époques de l'année, leur fournir des pommes, des prunes, des poires, des figues et les différents fruits à coque. On n'en aura pas moins recours aux greniers : car, lorsque la nourriture manque au dehors, il faut souvent en donner à la main. C'est pourquoi on conservera beaucoup de gland, soit sous l'eau dans les citernes, soit sur des planchers, ou on le dessèche à la fumée. Il faut aussi faire provision de fèves et d'autres légumes semblables, quand le bas prix le permet, pour les donner aux truies dans le printemps, lorsque les plantes sont encore en sève et pourraient nuire à ces animaux. Alors, dès le matin, avant qu'elles partent pour la pâture, on leur donnera des denrées de la provision, pour éviter que, se jetant sur des herbes non mûres, elles ne contractent la diarrhée, maladie qui les ferait maigrir. On ne doit pas les enfermer en troupe comme les autres bestiaux, mais construire des loges en galeries pour y répartir les truies après le part et lorsqu'elles sont pleines : car si elles étaient réunies pêle-mêle, elles se coucheraient les unes sur les autres et elles écraseraient leurs petits. C'est pourquoi, comme je l'ai dit, on bâtira le long des murs des loges de quatre pieds de hauteur pour que les truies ne puissent pas franchir les séparations : on ne couvrira pas ces clôtures, afin que, par-dessus, le porcher puisse vérifier le nombre de ses animaux, et retirer de dessous la mère le petit qu'elle aurait étouffé en se couchant. Cet homme doit être vigilant, actif, industrieux et courageux. Il doit avoir présentes à sa mémoire toutes les truies qu'il garde, tant celles qui sont jeunes que celles qui ont déjà mis bas, pour bien juger de l'époque du part. Il surveillera celle qui est pleine, et la renfermera pour qu'elle mette bas dans une loge. Dès qu'elle aura donné sa portée, il notera le nombre et le sexe des petits, et veillera surtout à ce qu'ils ne soient nourris que par leur propre mère : car lorsque les porcs sortent de leur loge, ils se mêlent très facilement entre eux, et quand la truie s'est couchée, elle donne indifféremment ses mamelles aux premiers venus. Aussi le porcher aura le plus grand soin de renfermer chaque mère avec ses propres petits : dans le cas où il manquerait de mémoire, pour éviter la confusion, il marquera d'un même signe, avec de la térébenthine, la truie et ses jeunes pourceaux, de manière à les distinguer soit par des lettres, soit par toute autre figure : car lorsque le nombre est considérable, le gardien doit employer différentes marques pour éviter toute erreur. Cependant, comme une telle opération est longue pour un troupeau nombreux, il est plus commode de construire des loges dont la porte soit à une hauteur telle que les mères puissent y passer sans que les petits puissent la franchir. Par ce moyen, les cochons de lait étrangers à cette loge ne sauraient s'y introduire, et chaque portée, qui ne doit pas excéder le nombre de huit têtes, attend sa mère dans son toit. Ce n'est pas que j'ignore que la truie est assez féconde pour en produire davantage, mais c'est parce que celle qui en nourrit un plus grand nombre est épuisée en peu de temps. Quand elle allaite, on doit la réconforter avec de l'orge cuite, pour qu'elle ne soit pas réduite à une extrême maigreur, et qu'il n'en résulte pas quelque accident fâcheux. Un porcher soigneux balaye fréquemment l'étable à cochons et plus souvent encore les loges : car quoique ces animaux, pendant qu'ils sont à la pâture, se vautrent dans l'ordure, ils n'en exigent pas moins un toit très propre. Voilà à peu près les soins qu'il faut prendre des porcs dans leur bon état de santé.
X. Du traitement des porcs malades. Pour ne point déroger à l'ordre que nous avons suivi, nous parlerons ici des soins à donner aux porcs malades. On reconnaît que les truies ont la fièvre, quand, penchant la tête, elles la portent de côté; quand, après avoir un peu couru, elles s'arrêtent tout à coup au milieu des pâturages, et qu'elles tombent frappées de vertige. Il faut observer de quel côté elles tiennent la tête penchée, pour leur pratiquer une saignée à l'oreille du côté opposé. On devra aussi leur ouvrir, à la distance de deux doigts des fesses, endroit où elle est assez considérable, la veine qu'elles ont sous la queue, après l'avoir frappée avec un sarment. Quand la veine est suffisamment gonflée par les coups qu'elle a reçus, le fer ouvre un passage au sang, qu'on arrête ensuite au moyen d'une bandelette d'écorce de saule, ou même d'orme. A la suite de cette opération, on retient la bête un ou deux jours dans l'étable, et on lui donne, à discrétion, de l'eau tiède dans laquelle on a délayé un setier de farine d'orge. On tire du sang sous la langue aux porcs scrofuleux; et quand il en a suffisamment jailli, il convient de frotter tout l'intérieur de la bouche avec du sel égrugé et de la farine de blé. Certaines personnes pensent les traiter plus efficacement, en faisant boire avec une corne, à chaque bête malade, trois cyathes de garum; puis en leur liant au cou, avec une ficelle de lin, des tiges fendues de férule suspendues, de manière qu'elles soient en contact avec les écrouelles. Lorsqu'ils éprouvent des nausées, la râpure d'ivoire mêlée avec du sel grillé et de la farine fine de fèves, et donnée à jeun avant de les conduire au pâturage, est regardée comme un remède salutaire. Il arrive quelquefois que tout le troupeau est tellement malade, qu'il maigrit, refuse les aliments, s'abat au milieu du champ dans lequel on l'a conduit, et, sous le soleil ardent de l'été, succombe au sommeil comme s'il était frappé de léthargie.Il faut alors renfermer tout le troupeau dans une étable couverte, et durant un jour le priver de boire et de manger. Le lendemain, on le désaltèrera avec de l'eau dans laquelle seront écrasées des racines de concombre sauvage. Quand les malades en ont bu, ils sont pris de nausées, et se purgent par le vomissement. Toute la bile étant ainsi rejetée, on leur permet, comme aux hommes, de boire de l'eau chaude après leur avoir donné des cicéroles ou des fèves sèches arrosées de saumure. Si tous les quadrupèdes sont, en été, souffrants quand leur soif se prolonge, les porcs la supportent moins que tous les autres : aussi ne prescrivons-nous pas de les conduire à l'abreuvoir deux fois par jour, ainsi qu'on le fait pour les chevaux et les brebis; mais il faut, vers le lever de la canicule, s'il est possible, les tenir sur les bords d'une rivière ou d'un étang : car le porc, étant naturellement très échauffé, ne se contente pas de boire, il aime à plonger et à rafraîchir dans l'eau son embonpoint que recouvre la fange, et son ventre gonflé par ce qu'il a mangé; et rien ne lui est plus agréable que de se vautrer dans les ruisseaux et les mares bourbeuses. Si la situation des lieux s'oppose à ces arrangements, on lui donnera à boire, en abondance, de l'eau tirée des puits et versée dans des auges, car s'il n'en a pas à discrétion, il est bientôt attaqué de pulmonie. Cette maladie se guérit parfaitement en lui insérant du consiligo dans une ouverture faite à ses oreilles : nous avons déjà parlé avec soin, et plusieurs fois, de la racine de cette plante. Les porcs sont sujets aussi à des douleurs de la rate, viscère qui contracte des affections par l'effet des grandes sécheresses, et lorsque, comme le disent les Bucoliques, « Les fruits abattus sont çà et là dispersés à terre sous les arbres qui les ont produits ; » car ces animaux sont insatiables. En effet, ils souffrent en été du gonflement de la rate, parce que l'attrait qu'ils trouvent dans certains aliments leur en fait prendre outre mesure. On prévient ce mal en faisant des auges de tamarisc et de houx, que l'on remplit d'eau, et dans lesquelles ils vont se désaltérer. En effet, le suc de ces bois, qui est médicamenteux, en se mêlant à la boisson, la rend propre à faire disparaître toute tumeur interne.
XI. De la castration des porcs. Pour la castration de ces animaux, il y a deux saisons à observer : ce sont le printemps et l'automne; il y a aussi deux méthodes d'opérer : la première, que nous avons fait connaître, consiste à pratiquer deux incisions dont chacune donne le moyen d'extraire chaque testicule ; l'autre est plus belle, mais plus dangereuse : cependant je ne la passerai pas sous silence. Après avoir tiré un des testicules retranché avec le fer, on introduit le scalpel par l'ouverture déjà pratiquée, puis on coupe au milieu l'espèce de peau qui sépare ces deux organes de la génération, et avec les doigts recourbés, on extrait l'autre testicule. Ainsi, on ne fera qu'une blessure pour laquelle on emploiera les moyens curatifs que nous avons prescrits précédemment. Je crois encore devoir parler d'une chose qui intéresse la religion du père de famille : il y a quelques truies qui mangent leurs portées. Un tel événement ne doit pas être considéré comme un prodige : car de tous les bestiaux, les truies supportent le moins la faim, à tel point que, lorsqu'elles manquent de nourriture, elles dévorent quelquefois, si on ne les en empêche, non seulement les petits des autres truies, mais même les leurs propres.
XII. Des chiens. Si je ne me trompe, j'ai traité avec assez d'exactitude du gros et du menu bétail, ainsi que des gardiens, qui, tant dans la ferme qu'au dehors, doivent consacrer tous leurs instants aux soins et à la surveillance que réclament les troupeaux et les quadrupèdes. Ainsi que je l'ai promis dans le livre précédent, je vais maintenant parler des gardiens muets, quoique ce soit à tort que l'on qualifie ainsi le chien : car quel est l'homme qui annonce plus clairement et d'une voix plus forte les bêtes féroces et les voleurs, que ne le fait le chien par son aboiement? quel domestique aime plus san maître? quel compagnon est plus fidèle? quel gardien plus incorruptible? Peut-on trouver une sentinelle plus vigilante? enfin, y a-t-il un défenseur et un vengeur plus courageux? C'est pourquoi un des premiers soins du cultivateur est de se pourvoir d'un chien, et de le bien entretenir, puisqu'on lui confie la garde de la métairie, des produits de la terre, de la famille et des troupeaux. ll y a trois choses à considérer dans son acquisition et dans son entretien. En effet, une espèce de chiens a pour mission d'éventer les embuscades dressées par des hommes, et de garder la métairie et ses dépendances; une autre espèce, celle de repousser les attaques des malfaiteurs et des bêtes féroces, et de veiller dans l'intérieur de la ferme sur les étables, au dehors sur les bestiaux qui paissent ; quant à la troisième espèce, on ne l'achète que pour la chasse, et, loin d'être utile à l'agriculteur, elle le détourne de ses travaux et les lui fait prendre en dégoût. Nous ne parlons donc que du chien de garde et du chien de berger : le chien de chasse n'appartient pas à notre profession. On choisira pour garder la métairie un chien qui ait le corps très ample, l'aboiement fort et sonore, afin qu'il épouvante le malfaiteur d'abord par sa voix et ensuite par son aspect ; ses hurlements même devront inspirer assez de terreur pour mettre souvent en fuite, sans qu'il en soit aperçu, ceux qui tendraient quelqu'embûche. Il faut qu'il soit d'une seule couleur : on préférera la blanche dans le chien de berger, et la noire pour celui de ferme : pour l'un et l'autre emploi, on ne fait aucun cas de ceux qui sont bigarrés. Le berger choisit le blanc, parce que cette couleur diffère de celle des bêtes féroces, et que, pour repousser les loups, soit par les matinées sombres, soit au moment du crépuscule, il est souvent utile que la couleur diffère beaucoup de celle de ces animaux : en effet, si la couleur blanche ne le faisait reconnaître, on serait exposé à diriger sur le chien les coups destinés aux loups. Quant au chien de garde que l'on oppose aux mauvaises entreprises des hommes, il doit être noir, parce qu'il paraîtra plus terrible au voleur s'il fait jour, et que la nuit, il ne sera pas aperçu à cause de l'analogie de sa couleur avec celle des ténèbres, sous la protection desquelles il parviendra avec plus de sûreté à surprendre le malfaiteur en embuscade. On estime plus un chien de taille moyenne qu'un chien long ou court; il doit avoir la tête si forte qu'elle paraisse la principale partie de son corps, les oreilles renversées et pendantes, les yeux noirs ou verdâtres, et d'une lumière éclatante, la poitrine ample et velue, les épaules larges, les jambes épaisses et couvertes d'un poil hérissé, la queue courte, les doigts des pattes et les ongles très développés : ce que les Grecs appellent g-drakes. Telles sont les qualités que l'on prise le plus dans le chien de ferme. Il ne sera pas d'un caractère trop doux ; mais, toutefois, ni farouche ni cruel ; parce que, dans le premier cas, il pourrait aller caresser même les voleurs, et dans le second attaquer jusqu'aux gens même de la maison. Il suffit qu'il soit sévère, et non caressant, qu'il regarde quelquefois d'un oeil irrité ses compagnons de servitude, et toujours avec fureur les étrangers. Surtout il doit se montrer vigilant dans sa garde, sédentaire et non vagabond, et plutôt prudent que téméraire : car le prudent n'annonce rien dont il ne soit sûr, tandis que le téméraire crie sur un vain bruit et d'après des soupçons mal fondés. J'ai cru devoir entrer dans ces détails, afin que, le caractère n'étant pas seulement l'ouvrage de la nature, mais encore celui de l'éducation, on puisse, si on se trouve dans le cas d'en acheter, les choisir tels que nous venons de les dépeindre, ou, si on en élève qui soient nés à la maison, les dresser d'après ces principes. Il importe peu que le chien de garde soit pesant et peu alerte, puisque c'est plutôt de près et sur place, qu'au loin et par de longues courses, qu'il doit servir. En effet, il doit toujours se tenir dans l'enclos et près des bâtiments, surtout ne pas s'écarter, et il lui suffit, pour bien remplir ses fonctions, de flairer avec sagacité les survenants; de les effrayer par ses aboiements, de ne pas souffrir qu'on l'approche de trop près, et de se jeter violemment sur quiconque persiste à avancer : car le premier devoir du chien est de ne pas se laisser surprendre, et le second de se venger des attaques avec vigueur et persévérance. Voilà ce qui concerne le chien qui garde la maison; occupons-nous maintenant du chien de berger. Ce dernier ne sera ni aussi maigre ni aussi vif à la course que celui qu'on lance à la poursuite des daims, des cerfs et des autres animaux de grande vitesse; il ne sera, non plus, ni aussi gras ni aussi lourd que le chien dont l'emploi est de garder la ferme et les greniers; toutefois il doit être robuste et, jusqu'à un certain point, alerte et courageux, puisqu'il est destiné à l'attaque, au combat et aussi à la course : car il doit éventer les embuscades des loups, poursuivre dans sa fuite l'animal ravisseur, lui disputer. et lui enlever sa proie. En conséquence, pour être propre aux services qu'on attend de lui, sa taille devra être plutôt allongée et svelte que courte ou même moyenne, parce que, comme je l'ai dit, il est quelquefois obligé de forcer les bêtes à la course. Les autres qualités requises pour cette sorte de chien sont les mêmes qu'on exige pour le chien de garde. On donne aussi à l'un et à l'autre une nourriture à peu près semblable. En conséquence, si les champs ont assez d'étendue pour comporter plusieurs troupeaux de bestiaux, on nourrira très bien les chiens, sans distinction, avec de la farine d'orge détrempée dans du petit-lait. Si, au contraire, le terrain est couvert d'arbres et sans pâturages, on composera leur nourriture de pain soit de far, soit de froment, que l'on trempera toutefois de bouillon de fèves qu'on aura soin de n'employer que tiède : car, s'il était très chaud, il leur donnerait la rage. On ne permet l'accouplement à la femelle, comme au mâle, que lorsqu'ils ont un an accompli : si on le souffrait plus tôt, il leur énerverait le corps et les forces, et affaiblirait leur courage. La première portée de la chienne doit lui être enlevée, parce que, novice encore, elle allaiterait mal, et que la fatigue occasionnée par ce travail ne permettrait pas à son corps de prendre tout son développement. Les mâles conservent jusqu'à dix ans assez de jeunesse par engendrer; après ce temps, ils ne paraissent plus propres à couvrir les femelles, parce que les jeunes chiens qui sortent de vieux auteurs sont toujours lâches. Les chiennes conçoivent jusqu'à leur neuvième année, et ne propagent plus après dix ans. Dans les six premiers mois, pendant leur accroissement, il ne faut pas laisser courir les jeunes chiens, à moins que ce ne soit pour jouer et folâtrer avec leur mère; passé ce temps, il faut les tenir enchaînés tout le jour, et les lâcher pendant la nuit. On ne doit jamais permettre qu'une nourrice étrangère allaite les chiens dont on veut conserver la bonne espèce dans toute sa pureté : en effet, le lait et le caractère de la mère produisent toujours un meilleur effet sur le caractère et les forces du corps de son petit. Si, après avoir mis bas, une chienne vient à manquer de lait, il conviendra de donner, préférablement à tout autre, du lait de chèvre aux jeunes chiens jusqu'à ce qu'ils aient quatre mois. Il ne faut pas leur donner des noms trop longs, afin qu'ils les entendent plus promptement lorsqu'on les appelle, ni de plus courts que ceux que l'on énonce en deux syllabes : tels que g-skylax (Jeune chien) en grec, Ferox (Fier) en latin; g-lakon (Chien de Laconie) en grec, Celer (Léger à la course) en latin; ou, s'il s'agit d'une femelle, g-spoude, g-alke, g-rome, (Zèle, Vaillance, Force) en grec, Lupa, Cerva, Tigris (Louve, Biche, Tigresse) en latin. Quarante jours après leur naissance, on coupe la queue aux chiens. Il existe un nerf qui s'étend à travers les vertèbres de l'échine jusqu'à la dernière articulation de leur queue : on le saisit avec les dents, et, après l'avoir un peu tiré à soi, on le rompt. Moyennant cette précaution, la queue ne se prolonge pas désagréablement, et, comme l'affirment plusieurs bergers, les chiens sont préservés de la rage, qui, pour eux, est une maladie mortelle.
XIII. Des maladies des chiens et de leur traitement. Pendant presque tout l'été les mouches ulcèrent les oreilles des chiens, au point que souvent ils finissent par les perdre en totalité. Pour prévenir cet accident, il faut les leur frotter avec des amandes amères pilées; si le mal existe déjà, on fera couler avec avantage sur les blessures de la térébenthine bouillie avec du saindoux. Appliqué sur les tiques, cet onguent les fait tomber : car il ne faut pas les arracher avec la main, de peur, comme je l'ai dit plus haut, d'occasionner des ulcères. On débarrasse les chiens des puces, en les frottant avec de l'eau mixtionnée de cumin et d'ellébore blanc écrasés ensemble à poids égaux, ou bien avec du suc de concombre sauvage, ou si on n'a pas ces plantes, avec de vieille lie d'huile qu'on leur verse sur tout le corps. S'ils étaient affectés de gale, broyez parties égales de cytise et de sésame, mêlez-les avec de la térébenthine et frottez-en la partie malade. On regarde ce médicament comme étant propre aussi pour les hommes. Dans le cas où cette maladie serait opiniâtre, on la guérirait au moyen de frictions d'huile de cèdre. Quant aux autres affections, on les traitera comme nous avons prescrit de faire pour les autres animaux. Ici finit ce que nous avions à dire sur le menu bétail; le livre suivant renfermera les préceptes à suivre pour élever dans les métairies les animaux, tels que les volailles, les poissons et les quadrupèdes sauvages.
De l'art d'élever les animaux dans la métairie.
I. Si aux sept livres qui précèdent, et qui contiennent à peu près tout ce que comporte la science des exploitations et de la culture des champs, ainsi que de l'entretien des bestiaux, nous ajoutons un huitième livre, Publius Silvinus, ce n'est pas que les objets dont il sera question demandent de la part du cultivateur lui-même des soins assidus et indispensables, mais parce que ces objets ne peuvent être administrés ailleurs que dans les champs ou les métairies, et ne sont pas moins utiles aux villageois qu'aux citadins. En effet, l'éducation des petits animaux, de la ferme, comme celle des grands troupeaux, ne rapporte pas un mince bénéfice au fermier, puisque le fumier des oiseaux est un bon remède pour les vignes épuisées, ainsi que pour tous les plants et les terres labourables; et que les produits de la basse-cour enrichissent de mets excellents le foyer et la table domestiques, et parce qu'enfin le prix des animaux vendus accroît le revenu de la métairie. C'est pourquoi j'ai cru devoir parler de ce genre d'élèves. Or, on les fait presque toujours, ou dans la ferme ou dans ses environs. Ce que les Grecs appellent g-ornithohnes (volières), g-peristerohnes (colombiers) à g-ornithohnas g-kai g-peristerohnas, s'établit dans l'intérieur de la ferme; et même, lorsque l'eau est à proximité, g-ichthyotrophaia (viviers) y sont l'objet de soins particuliers. Toutes ces choses, pour parler latin, sont comme les "stabula" (gîtes) des oiseaux de basse-cour et de ceux qu'on engraisse dans des volières, ou bien sont les "receptacula" (retraites) des animaux aquatiques.On place à la portée de la ferme les g-melissohnes (ruches) et les g-chenotrophaia (Basse-cour où l'on élève des oies) ; on y entretient aussi soigneusement les g-lagotrophaia (garennes pour les lièvres); nous appelons encore araria les lieux qui servent de retraite aux abeilles; aviaria, ceux ou l'on place les oiseaux nageurs qui se plaisent dans les étangs et les piscines; et vivaria, les parcs où sont nourris les animaux sauvages. Des diverses espèces de poules, de l'acquisition et de la nourriture des oiseaux de basse-cour.
II. Je parlerai d'abord des animaux que l'on élève dans l'intérieur de la métairie. Il n'est pas généralement reçu que toutes les espèces dont nous venons de parler doivent y être entretenues par des villageois; quant aux poules, c'est ce dont personne ne doute. On en distingue trois espèces : les poules de basse-cour, les sauvages et les africaines. On nomme poule de basse-cour, celle que l'on voit ordinairement dans toutes les fermes; poule sauvage, celle qui, ressemblant à la première, est prise par les oiseleurs, et qui abonde dans cette île de la mer Ligurienne que les matelots ont appelée Gallinaire, du nom de ce volatile ; et africaine, celle que presque tout le monde désigne sous le nom de poule numidique, qui ressemble à la pintade, si ce n'est que sa huppe et sa crête sont rouges, au lieu d'être bleues, comme celles de cet oiseau. Toutefois, dans la basse-cour, les femelles de ces trois espèces s'appellent proprement poules; les mâles, coqs ; et les coqs châtrés, chapons : on pratique la castration sur les coqs pour éteindre en eux les désirs érotiques. An reste, on ne se borne pas à leur enlever les organes de la génération, on leur brûle aussi les éperons avec un fer chaud, et, après leur destruction, on enduit d'argile à potier, jusqu'à parfaite guérison, la plaie faite par le feu. Le revenu qui provient de ces oiseaux de basse-cour n'est pas a dédaigner, si on les soigne convenablement, comme faisaient la plupart des Grecs, et surtout les Déliens, qui ont acquis de la célébrité à cet égard. Ces peuples recherchaient surtout, en raison de leur grande espèce et de leur courage dans les combats, les races de Tanagra et de Rhodes ; ils ne prisaient pas moins les poules de Chalcidie, et celles de Médie, que, par le changement d'une lettre, le vulgaire sans instruction appelle poules de Mélie. Quant à nous, nous préférons l'espèce indigène, parce que nous ne partageons pas le goût des Grecs, qui élevaient le coq, ce fier oiseau, pour les joutes et le combat; nous pensons, nous, que les poules doivent constituer un revenu pour le père de famille industrieux, et non pas pour un instructeur d'oiseaux batailleurs, dont souvent tout le patrimoine, gage de la joute, lui est ravi par la victoire d'un athlète emplumé. D'après ces considérations, celui à qui il conviendra de suivre nos préceptes doit d'abord examiner quelle quantité et quelle espèce de poules il doit acquérir; ensuite comment il doit les soigner et les nourrir ; dans quel temps de l'année il doit retirer leurs oeufs, les laisser couver et les voir éclore ; puis enfin veiller à ce que les poussins soient convenablement élevés : car c'est par ces soins et par ces attentions, qui constituent ce que les Grecs appellent g-ornithotrophian (action d'élever les poules), qu'on obtient des produits de la basse-cour. Le nombre de poules à se procurer est de deux cents : une seule personne suffira pour les soigner, pourvu qu'on lui associe soit une vieille femme, soit un enfant, qui veillent à ce qu'elles ne s'écartent pas, afin qu'elles ne deviennent pas la proie, ou des voleurs qui leur tendent des piéges, ou des animaux ravisseurs. Il ne faut, au surplus, acheter que des poules très fécondes. Leur plumage doit être ou rouge ou brun, et leurs ailes noires : s'il est possible, on les choisira toutes de cette même couleur, ou du moins d'une nuance qui en approche. Il est surtout important d'éviter d'en prendre de blanches : car elles sont presque toujours sans vigueur, peu vivaces et rarement fécondes. D'ailleurs, cette couleur, étant très apparente, les expose davantage à être enlevées par les éperviers et par les aigles. Les pondeuses seront donc d'une bonne couleur, fortes de corps, de taille moyenne, larges de poitrine; elles devront avoir la tête grosse, de petites aigrettes droites et rousses, les oreilles blanches, les ongles inégaux, et, dans leur espèce, être très grosses. On regarde comme excellentes celles qui ont cinq doigts, mais dont les pattes ne sont point armées d'éperons saillants : car la poule qui porte cette distinction masculine, insensible à l'amour, dédaigne les approches du coq, et, outre qu'elle est rarement féconde, elle casse avec la pointe de ses éperons les oeufs qu'on lui donne à couver. Il ne faut choisir parmi les coqs que ceux qui sont très ardents au coït. Leur couleur et le nombre de leurs ongles doivent être tels que nous les avons indiqués pour les femelles; mais leur taille doit être plus haute. Ils auront la crête élevée, rouge comme du sang, et parfaitement droite; les yeux roux ou noirâtres; le bec court et recourbé; les oreilles très grandes et très blanches, la cravate rousse et tirant sur le blanc, pendant comme la barbe d'un vieillard; les plumes du cou bigarrées ou d'un jaune d'or, recouvrant le chignon et le cou jusqu'aux ailes; la poitrine large et musculeuse; les ailes fortes et semblables à des bras ; la queue très élevée, se recourbant sur deux lignes formées chacune de longues plumes proéminentes ; les cuisses grosses et hérissées d'un plumage rude et épais ; les pattes robustes, peu longues, mais redoutablement armées d'espèces d'épieux menaçants.) Quoiqu'on ne le destine point aux combats et à la gloire des triomphes, on estime toutefois dans un coq le courage, la fierté, la vivacité, l'air éveillé; il doit toujours être prêt à chanter, et difficile à intimider : car il faut quelquefois qu'il se défende, qu'il protége la troupe de ses femmes, et qu'il tue le serpent qui se dresse menaçant, ou tout autre animal nuisible. On donne cinq femelles à chacun de ces mâles. Quant à l'espèce de Rhodes ou de Médie, comme elle est pesante, que les coqs sont peu portés à l'amour et les poules peu fécondes, on ne donne à chaque mâle que trois femelles. Celles-ci produisent peu d'oeufs, demandent rarement à couver, et plus rarement encore font éclore les petits, que le plus souvent elles n'élèvent pas. C'est pourquoi ceux qui désirent en posséder pour leur beauté, soumettent à l'incubation de poules communes les oeufs de l'espèce distinguée, et leur laissent à élever les poussins éclos par leurs soins. Les poules de Tanagra, ordinairement semblables à celles de Rhodes et de Médie, ainsi que celles de Chalcidie, diffèrent peu pour le caractère de celles de notre pays. Au reste, les métis de toutes ces races, issus de coqs étrangers et de mères du pays, sont d'excellents poulets, parce qu'ils ont la beauté de leur père, et tiennent, pour la lubricité et la fécondité, de la poule de nos contrées. Je ne fais pas un grand cas des volailles naines, qui ne peuvent plaire qu'en raison de leur petitesse, car elles ne sont recommandables ni pour la fécondité, ni pour les bénéfices qu'on doit en attendre. Je n'estime pas davantage le coq querelleur et toujours prêt à se battre: car, le plus souvent, il harcèle les autres coqs, et ne leur permet pas de cocher les poules, quoiqu'il ne puisse en féconder un trop grand nombre. Aussi faut-il mettre un frein à sa pétulance, en lui introduisant la patte dans un morceau de cuir arrondi en flacon, que l'on perce par le milieu pour le rendre propre à sa destination : cette sorte d'entrave réprime la violence de son caractère. Mais, comme je me le suis proposé, je vais donner des préceptes sur les soins que réclament toutes ces espèces de volailles.
De la construction des poulaillers.
III. Les poulaillers doivent être établis dans la partie de la ferme qui est tournée vers l'orient d'hiver : ils seront attenants au four ou à la cuisine, afin que la fumée, qui est très salutaire aux volailles, puisse parvenir jusqu'à elles. On divise le lieu où on les nourrit, c'est-à-dire le poulailler, en trois compartiments contigus, dont, ainsi que je l'ai dit, toute la façade regarde l'orient. Sur cette façade, on pratique un seul petit accès à la pièce du milieu, qui doit être la moins élevée des trois, et présenter en tout sens une étendue de sept pieds. On y ménage à droite et à gauche une communication avec les deux autres pièces, dans chacun des murs attenant à celui où se trouve l'entrée principale. On adosse à cette même muraille un foyer d'une proportion qui ne gêne point les passages indiqués, et duquel la fumée puisse parvenir dans l'une et l'autre pièce, qui ont douze pieds tant en longueur qu'en hauteur, et dont la largeur sera la même que celle de la première pièce. On en divise l'élévation par un plancher qui laisse libre un intervalle de quatre pieds au-dessus et de sept au-dessous, le plancher absorbant un pied. Ces étages sont destinés aux poules, et éclairés, au levant, chacun par une petite fenêtre par laquelle les volailles sortent le matin pour gagner la basse-cour, et rentrent dans la soirée. Il faut avoir soin, pour la sûreté du poulailler, que ces ouvertures soient toujours fermées la nuit. Entre les planchers, on ouvre des fenêtres plus grandes que les premières, et on les munit de barreaux pour que les animaux nuisibles ne puissent pas s'y introduire, de manière toutefois que ce lieu soit bien éclairé pour qu'il soit plus agréable aux poules. C'est par ces ouvertures que le gardien du poulailler surveille les couveuses et les pondeuses. Il convient, en outre, de donner aux murs assez d'épaisseur pour qu'on y ménage une rangée de nids où les poules puissent pondre leurs oeufs et faire éclore leurs poussins. Cette disposition est plus saine et plus élégante que celle qui est adoptée par certaines personnes, et qui consiste à établir des paniers d'osier sur des pieux solidement fixés dans la muraille. Soit donc que les nids soient pratiqués dans l'épaisseur des murs, comme je l'ai dit, soit qu'on les forme de paniers d'osier, ils doivent être précédés d'un vestibule par lequel les poules puissent y parvenir, tant pour pondre que pour couver : car il ne faut pas qu'elles y arrivent en volant, de peur qu'en se jetant ainsi sur les oeufs, elles ne les cassent avec leurs pattes. Ces oiseaux pourront monter au-dessus des planchers par les deux pièces désignées, au moyen de petits chevrons fixés à la muraille, qui offriront quelques légères aspérités en forme de marches, pour que les poules ne glissent point en venant se poser dessus. Au dehors, du côté de la cour, on fixera aussi, au-dessous des fenêtres dont nous avons parlé, de petites échelles par lesquelles les volailles iront chercher le repos de la nuit. Au surplus, nous aurons grand soin que ces poulaillers et les autres retraites dont nous allons parler bientôt, soient, à l'intérieur comme à l'extérieur, revêtus d'un enduit bien poli, afin que les fouines ou les couleuvres n'y puissent gravir, et qu'ils n'aient rien à redouter d'aucuns animaux nuisibles. Il ne faut pas que les volailles, pendant leur sommeil, posent sur les planchers, de peur que leurs excréments ne les incommodent, et ne leur occasionnent la goutte en s'attachant à leurs pattes. Pour prévenir cet accident, on équarrit des perches, parce que, si elles restaient rondes et polies, l'oiseau qui vient se poser dessus ne pourrait s'y soutenir. On les fixe, ainsi taillées, dans les deux murs opposés, que l'on a percés à cet effet, de manière qu'elles soient élevées à un pied au-dessus du plancher, et distantes de deux pieds entre elles. Telle sera la disposition du poulailler. Quant à la cour, dans laquelle les poules se promènent, il importe plutôt qu'elle soit exempte d'humidité que débarrassée des ordures. En effet, il est fort important qu'il n'y ait d'eau que dans le lieu où elles boivent, et que cette eau soit très propre : car l'eau sale leur donne la pépie. On ne peut pourtant la conserver pure qu'en la renfermant dans des vases faits exprès. Il existe aussi des augets de plomb que l'on remplit ou d'eau ou de nourriture ; l'expérience a fait préférer, pour cet usage, le bois ou la terre cuite. On les ferme avec un couvercle, et, sur les côtés, au-dessus de la moitié de leur hauteur, on pratique de petites ouvertures distantes entre elles d'un palme, par lesquelles la tête de l'animal peut s'introduire : car, si ces augets n'étaient pas recouverts, tout ce qu'ils contiennent, soit d'eau, soit de nourriture, serait éparpillé par ses pattes. Il y a des personnes qui pratiquent ces ouvertures à la partie supérieure, sur les couvercles mêmes, c'est une mauvaise méthode : car l'oiseau, en se posant dessus, salit de ses fientes l'eau et les aliments.
De la nourriture des poules.
IV. La meilleure nourriture que l'on puisse donner aux poules, est de l'orge écrasée et de la vesce; la cicérole n'est pas moins bonne, non plus que le millet et le panis : mais la cherté de ces graines s'oppose souvent à leur emploi. Quand il en est ainsi, on les remplace avec avantage par de menues criblures de blé; mais, même dans les localités où cette céréale est à vil prix, il ne faut pas la donner pure à la volaille, parce qu'elle lui est nuisible. On peut encore lui donner de l'ivraie cuite, et du son qui n'est pas trop dépouillé de sa farine ; car, s'il n'en conserve pas un peu, il ne vaut rien, et les poules le dédaignent. Les feuilles et les graines de cytise sont très convenables pour les volailles maigres, qui les aiment beaucoup ; et il n'y a pas de pays où cet arbrisseau ne soit très commun. Quoique le marc de raisin les nourrisse assez bien, on ne doit pas leur en donner, à moins que ce ne soit dans les temps de l'année où elles ne pondent pas, car il diminuerait le nombre et le volume de leurs oeufs; mais quand, après l'automne, elles cessent tout à fait de pondre, on peut les sustenter avec cette nourriture. Toutefois, quelle que soit la denrée qu'on donne aux volailles de la basse-cour, on doit la diviser en deux rations, dont l'une leur sera offerte au point du jour, et l'autre vers la fin de la journée : le matin, afin qu'elles ne s'écartent pas trop loin des poulaillers; le soir, pour que, dans l'espoir de leur souper, elles rentrent à temps dans leur retraite, et que l'on puisse plus souvent s'assurer de leur nombre : car elles mettent facilement la vigilance de leur gardien en défaut.Il faut déposer de la poussière sèche et de la cendre le long des murs, dans tous les lieux où, soit une galerie, soit un toit recouvre une partie de la cour, afin que les poules puissent s'y rouler : car c'est ainsi qu'elles nettoient leur plumage et leurs ailes, si toutefois nous croyons à ce que dit Héraclite d'Éphèse, que la fange sert de bain aux porcs, comme la poussière ou la cendre aux oiseaux de la basse-cour. On doit ouvrir le poulailler aux poules après la première heure du jour, et les y renfermer avant la onzième. Tels sont les soins qu'on doit prendre des volailles vivant en liberté : ils sont les mêmes pour celles qui sont enfermées, à cela près qu'on ne les laisse pas sortir, et que, dans le poulailler, ou leur distribue trois fois dans la journée de plus fortes rations. Ainsi on leur donnera chaque jour quatre cyathes de nourriture par tête, tandis que trois et même deux suffisent pour les poules en liberté. Il est nécessaire que les volailles enfermées aient à leur disposition un vestibule assez étendu, pour qu'elles puissent s'y promener et s'y chauffer au soleil : ce vestibule sera pourvu d'un filet pour empêcher l'aigle ou tout autre oiseau de proie de s'y abattre. On ne doit faire ces dépenses et prendre ces soins, que dans les lieux où l'on peut tirer un bon prix de ces oiseaux. La probité de celui qui veille sur ces animaux est indispensable aussi bien que celle des gardiens de n'importe quels troupeaux : s'il en manque à l'égard du maître, les bénéfices de la basse-cour n'en couvriront jamais la dépense. Nous avons assez parlé du soin proprement dit que réclament les volailles; occupons-nous maintenant de ce qui reste d'important à connaître sur ces animaux.
De la conservation des oeufs, et de la couvaison. V. Presque toujours les poules commencent à pondre quand le solstice d'hiver est passé; mais celles qui sont très fécondes donnent leurs premiers oeufs vers les calendes de janvier, dans les localités tempérées, et dans les contrées froides, après les ides du même mois. Au surplus, on peut, par une nourriture convenable, provoquer leur fécondité, afin d'obtenir plus tôt leurs oeufs. Pour arriver à ce but, on leur donne avec beaucoup d'avantage, à discrétion, de l'orge demi-cuite : cette céréale augmente le volume des oeufs et en rend la production plus fréquente; mais il faut l'assaisonner, pour ainsi dire, de feuilles et de graines de cytise, qui, les unes et les autres, passent pour augmenter la fécondité des oiseaux. La ration, pour les poules en liberté, sera, comme je l'ai dit, de deux cyathes d'orge, auxquels on mêlera toutefois un peu de cytise, ou bien, à défaut, de la vesce et du millet. Le gardien aura soin que les pondeuses aient des nids garnis de paille très propre; il les nettoiera de temps en temps, et il remettra de nouvelle litière très fraîche : car ces nids se remplissent de poux et d'autre vermine, que l'oiseau y apporte avec lui chaque fois qu'il s'y rend. Le gardien doit être assidu, et surveiller les pondeuses qui annoncent leur ponte par un certain nombre de cris rauques entrecoupés de cris aigus. Il observera ce moment, et aussitôt visitera les nids, afin d'y recueillir les oeufs à mesure qu'ils seront pondus, et il les notera jour par jour, afin de ne donner que les plus récents aux glousseuses : c'est ainsi que les paysans appellent les poules quand elles veulent couver. On serrera les autres oeufs, ou bien on les vendra. Quoique les meilleurs pour l'incubation soient les plus récents, on peut pourtant en faire couver de moins frais, pourvu qu'ils n'aient pas plus de dix jours. Presque toujours, après leur première ponte, les poules demandent à couver dès les ides de janvier : ce qu'on ne permet pas à toutes, parce que les jeunes sont avantageusement réservées pour la ponte que pour l'incubation, dont on leur ôte le désir en leur passant une petite plume à travers les narines.Il faudra donc choisir pour cette fonction les vieilles poules qui y sont accoutumées, et surtout connaître leurs habitudes, parce que les unes couvent très bien, tandis que les autres valent mieux pour élever les poussins qui viennent d'éclore; il y en a, au contraire, qui brisent et mangent leurs oeufs et ceux des autres poules : il faut alors les leur enlever dès qu'ils sont pondus. Les petits de deux ou trois mères, pendant qu'ils sont encore jeunes, doivent être réunis sous la meilleure nourrice; mais il faut faire cette substitution dès les premiers jours, afin que, trompée par la ressemblance, elle ne puisse pas distinguer les poussins étrangers d'avec les siens. Il y a toutefois une mesure à garder : en effet, on ne doit pas confier à une seule poule plus de trente petits, car on prétend qu'elle ne peut pas en élever une plus grande quantité. On observe de ne donner à couver qu'un nombre d'oeufs qui soit impair et variable selon les époques : ainsi dans le premier temps, c'est-à-dire au mois de janvier, on en mettra quinze sous la poule et jamais plus; au mois de mars, dix-neuf et jamais moins; vingt et un au mois d'avril, et autant pendant tout l'été, jusqu'aux calendes d'octobre. Plus tard, il n'y a plus à s'occuper de ce soin, parce que les poussins qui éclosent pendant le froid meurent ordinairement. Il y a même beaucoup de personnes qui pensent qu'à dater du solstice d'été il n'y a plus de bonne couvée, parce que, depuis cette époque, quoiqu'on puisse sans difficulté élever les poulets, ils n'acquièrent jamais une grosseur suffisante. Mais, dans les lieux voisins des villes, où l'on vend à bon prix des poulets dès qu'ils quittent leur mère, lesquels alors ne sont pas exposés à mourir, on ne peut qu'approuver les couvées d'été. Au surplus, on doit toujours, quand on met des oeufs sous les poules, avoir égard à ne le faire que lorsque la lune est dans son croissant, du dixième au quinzième jour : en effet, cette opération réussit presque toujours mieux pendant ce temps, et ou s'arrange ainsi de manière que la lune soit encore dans son croissant quand les poussins éclosent. Il faut vingt et un jours pour que les oeufs de ces gallinacées aient pris vie, et que le foetus ait reçu la conformation d'un oiseau; mais pour les paons et les oies, le ternie est d'un peu plus de vingt-sept jours. Si l'on veut donner à la poule des oeufs de ces derniers oiseaux à couver, on les placera sous elle dix jours avant les siens propres; ce laps de temps expiré, on lui confie ceux-ci au nombre de quatre ou de cinq tout au plus, et des plus gros, car des petits oeufs il ne provient que de petits oiseaux. Ensuite, si l'on veut avoir beaucoup de mâles, on fera couver les oeufs les plus longs et les plus pointus; tandis qu'on choisira les plus ronds, si l'on veut obtenir des femelles. Ceux qui s'occupent de l'incubation avec une attention scrupuleuse, y procèdent ainsi qu'il suit : ils font choix d'abord d'un gîte à l'écart, pour que les couveuses ne soient pas troublées par les autres volailles; ensuite, avant d'y établir le nid, ils nettoient ce lieu avec soin, ils parfument la paille qu'ils lui destinent avec du soufre et du bitume brûlant sur une torche; cette paille, ainsi purifiée, garnit les nids de manière à les rendre assez concaves pour qu'en y volant ou en les quittant, les couveuses ne fassent pas rouler les oeufs à terre. Quelques personnes étendent, sous la litière des nids, des tiges de chiendent et de petites branches de laurier, des gousses d'ail et des clous de fer, croyant que ces objets préservent des mauvais effets du tonnerre, qui altère les oeufs et tue les poulets à demi formés avant le développement de tous les organes. Celui qui surveille les incubations ne placera pas à la main les oeufs un à un; il les apportera tous dans une jatte de bois, et les versera ensemble et doucement dans le nid qu'il a préparé. On dispose auprès des couveuses leur nourriture, afin que, pouvant ainsi se rassasier, elles demeurent plus assidûment sur leurs oeufs, et ne les exposent pas au refroidissement en s'éloignant trop. Quoiqu'elles aient soin de les retourner avec leurs pattes, le gardien ne doit pas moins les visiter pendant que les mères les quittent, et les tourner à la main, afin que, tenus également chauds, ils prennent vie également; il retirera en même temps ceux qui se trouveraient endommagés ou cassés par les ongles de la poule. Après ces soins, il examinera, le dix-neuvième jour, si les poussins n'ont pas percé les oeufs avec leurs petits becs, et il écoutera s'ils crient, parce qu'il arrive souvent qu'ils ne peuvent briser les coquilles qui sont trop épaisses. Dans ce cas, il faudra tirer à la main ces jeunes oiseaux, et les mettre sous la mère, qui les tiendra chaudement : c'est un travail que l'on ne continuera pas au delà de trois jours; car les oeufs dans lesquels on n'entend aucun cri après vingt et un jours, ne renferment pas d'animaux vivants. On retire ces oeufs pour que la couveuse ne s'épuise pas, retenue trop longtemps par un vain espoir de les voir éclore. On ne doit pas enlever chaque poussin dès qu'il est né, mais le laisser durant un jour dans le nid, sous sa mère, et ne lui donner ni à boire ni à manger jusqu'à ce que tous soient éclos. Le lendemain du jour où la couvée sera éclose, voici comment on la retire du nid. On place les poussins sur un crible à vesce ou même à ivraie, qui ait déjà servi; puis on les expose à une fumigation de tiges de pouliot. Il paraît que cette fumée les préserve de la pépie, qui les fait promptement périr tant qu'ils sont jeunes. Après cela, on les renferme avec leur mère dans une cage, et on les nourrit avec de la farine d'orge cuite dans de l'eau, ou bien avec de la farine d'adoréum détrempée avec du vin, données en petite quantité : car il faut surtout éviter les indigestions. C'est pourquoi on les retiendra trois jours dans la cage avec leur mère ; puis, avant de les en laisser sortir pour qu'ils prennent d'autre nourriture, on les tâtera tous pour voir s'il ne leur est rien resté de la veille dans le jabot : s'il n'était pas vide, c'est qu'il y aurait indigestion, et il ne faudrait pas les laisser manger avant que la digestion soit parfaite. On ne permettra pas que ces jeunes poulets s'écartent : ils seront retenus près de la cage, et nourris de farine d'orge jusqu'à ce qu'ils aient pris de la force. Il faut les préserver du souffle des serpents, dont l'odeur est si pestilentielle qu'elle les fait tous périr. On obvie à cet accident, en brûlant à de courts intervalles de la corne de cerf, ou du galbanum, ou des cheveux de femme : toutes substances dont les émanations détruisent l'effet de cette odeur pestilentielle. On veillera à ce que les poulets soient tenus dans une température tiède, car ils ne peuvent supporter ni la grande chaleur, ni le froid; le mieux est de les retenir renfermés dans le poulailler avec leur mère, et d'attendre quarante jours pour les laisser courir en liberté. Au surplus, dans les premiers jours de leur existence, qui sont comme leur enfance, il faut les prendre pour les visiter, leur arracher les petites plumes de dessous la queue, pour qu'elles ne se souillent pas d'excréments qui s'y durciraient et boucheraient leur anus. Toutefois, quelque soin qu'on prenne à cet égard, il arrive souvent que ce conduit s'obstrue : on y remédie alors en y introduisant une plume d'aile qui ouvre le passage aux aliments digérés. On tâchera de préserver ces poulets, devenus forts, de la pépie, qui peut les attaquer ainsi que leur mère : à cet effet on ne leur donnera que de l'eau très pure dans des vases très propres; on fera en même temps de fréquentes fumigations dans les poulaillers, et on les débarrassera de la fiente qui les souille. Quand, malgré ces précautions, la pépie se manifeste, quelques personnes font avaler aux malades des gousses d'ail trempées dans de l'huile tiède; d'autres leur font couler dans l'intérieur du bec de l'urine d'homme que l'on a fait tiédir, puis leur tiennent le bec fermé jusqu'à ce que l'amertume de ce liquide leur fasse évacuer par les narines le produit des nausées occasionnées par la pépie. Le raisin que les Grecs appellent g-agria g-staphyleh est aussi un bon remède quand ou le mêle avec leur nourriture, ou bien quand on l'écrase et qu'on le leur donne à boire avec de l'eau. Au reste, ces médicaments ne sont bons que quand la maladie a fait peu de progrès : car si la pépie attaque le tour des yeux, si l'oiseau refuse de manger, on lui fait aux joues des incisions par lesquelles on fait écouler tout le pus qui s'est amassé sous l'oeil, puis on saupoudre la plaie avec un peu de sel égrugé. Cette maladie se déclare surtout lorsque ces volailles ont souffert du froid et de la faim, ou bien quand elles ont bu pendant l'été de l'eau croupie dans les cours, ou encore quand on leur a laissé manger, même en petite quantité, des figues ou des raisins avant maturité, nourriture dont elles doivent s'abstenir. Pour les dégoûter de ces derniers fruits, on leur présente, quand elles ont faim, des raisins de vigne sauvage cueillis verts dans des buissons, et cuits avec de la farine de froment : offensées par cette saveur, les volailles dédaignent ensuite toute espèce de raisins. Il en est de même des figues sauvages, qui, données cuites avec leur nourriture, les dégoûtent de la figue cultivée. Comme pour tous les autres animaux de la ferme, on est dans l'usage de choisir les meilleures poules et de vendre les moins bonnes; on observe aussi d'en diminuer le nombre tous les ans en automne, temps où elles cessent de produire. On se défera donc des vieilles, c'est-à-dire de celles qui auront plus de trois ans, et de celles qui sont ou peu fécondes ou mauvaises nourrices, et surtout de celles qui mangent leurs oeufs ou ceux des autres poules : on vendra aussi celles qui auront commencé à chanter comme les mâles ou à gratter la terre comme eux; on ne gardera pas, non plus, les poulets tardifs qui, nés après le solstice d'été, ne peuvent pas acquérir un accroissement suffisant. On n'en usera pas de même à l'égard des coqs : on conservera ceux qui sont courageux tant qu'ils pourront féconder leurs femelles : car, dans cette espèce d'oiseaux, un bon mâle est difficile à trouver. A l'époque où les poules cessent de pondre, c'est-à-dire après les ides de novembre, on leur supprime les aliments coûteux; on leur donne du marc de raisin, qui les nourrit assez bien quand on y joint de temps en temps des criblures de froment.
Des oeufs. VI. La conservation des oeufs pendant un long espace de temps n'est pas, non plus, étrangère à nos soins. On les conservera très bien durant l'hiver, en les recouvrant de balles de céréales, et, durant l'été, en les enfonçant dans du son. Avant de les placer ainsi, quelques personnes les couvrent, pendant six heures, de sel égrugé, puis les essuient et les enfouissent dans les balles ou dans le son; d'autres entassent dessus des fèves entières, et un plus grand nombre des fèves moulues; d'autres les recouvrent de sel en grain; d'autres enfin les font durcir dans de la saumure chaude. Mais si l'emploi du sel empêche les oeufs de se gâter, il a l'inconvénient de les casser et de ne pas les conserver pleins : ce qui éloigne l'acheteur. Ceux même qui ne font que les plonger dans la saumure, ne parviennent pas même à les garder dans leur intégrité.
De l'engraissement des poules. VII. Quoique l'engraissement des poules soit plutôt l'affaire de l'engraisseur que celle du fermier, cependant, comme c'est une chose facile, j'ai cru devoir dire ici comment il faut opérer. Pour obtenir de bons résultats, il est surtout important d'avoir un emplacement chaud, peu éclairé, et dans lequel chaque volaille soit tenue renfermée, soit dans une petite cage, soit dans un panier suspendu, où elle est tellement resserrée qu'elle ne peut se retourner. Les poules y trouveront toutefois une ouverture à chaque bout, de manière qu'elles puissent passer la tête par l'une d'elles, et la queue ainsi que le derrière par l'autre, afin de pouvoir prendre leur nourriture, et rendre leurs excréments sans en être salies. On leur fait une litière de paille très propre ou de foin très moelleux, c'est-à-dire de regain : car, si elles sont couchées durement, elles ont de la peine à s'engraisser. Il faut leur arracher toutes les plumes de la tête, du derrière et du dessous des ailes : les premières pour qu'il ne s'y engendre pas de poux, les dernières de peur que les excréments en s'y attachant n'y fassent naître des ulcères. Leur nourriture consiste en farine d'orge pétrie dans de l'eau, dont on fait des boulettes, qui servent à les engraisser. Les premiers jours, la ration sera peu considérable, afin qu'elles puissent s'accoutumer à en digérer une plus forte : car il faut surtout prévenir les indigestions, et ne donner que ce qui peut être élaboré par leur estomac, et seulement lorsqu'on se sera assuré, en leur tâtant le jabot, qu'il n'y reste rien du repas précédent. Ensuite, quand l'oiseau est rassasié, on descend sa cage pour le laisser un peu sortir, non pour qu'il courre au dehors, mais pour qu'il puisse s'éplucher avec son bec et se débarrasser des insectes qui le piquent ou le mordent. Telle est à peu près la méthode commune aux engraisseurs. Quant aux personnes qui veulent non seulement engraisser leurs volailles, mais encore les vendre tendres, elles détrempent la farine d'orge, dont nous avons parlé, avec de l'eau fraîchement miellée, et les gorgent avec ces substances. Il y a des gens qui engraissent leurs poules en leur donnant du pain de froment détrempé dans un mélange de trois parties d'eau et d'une partie de bon vin. Soumises au régime le premier jour de la lune (ce qu'il faut aussi observer), elles seront parfaitement grasses vingt jours après. Si elles viennent à prendre en dégoût cette nourriture, il faudra en diminuer la ration pendant autant de jours qu'il s'en sera écoulé depuis qu'elles sont en mue; de manière toutefois que la durée de l'engraissement ne dépasse pas le vingt-cinquième jour de la lune. Il est, du reste, de principe que les plus fortes volailles doivent être destinées aux tables somptueuses : par ce moyen, le prix qu'on en retirera sera en rapport avec la peine et la dépense qu'elles auront occasionnées. De l'éducation des ramiers et des pigeons, et de la construction des colombiers.
VIII. On réussit très bien par la même méthode à rendre très gras les ramiers et les pigeons de colombier, quoiqu'il n'y ait pas autant de bénéfice à les engraisser qu'à les élever. Au reste, les soins qu'on en prend ne sont pas étrangers au travail d'un bon cultivateur. Dans les endroits où on les laisse en liberté ils coûtent peu : on leur assigne pour séjour des tours élevées ou le point le plus haut des édifices, d'où, par des fenêtres ouvertes, ils prennent leur volée pour aller chercher leur nourriture. Pendant deux à trois mois cependant, on leur donne des grains mis en réserve; le reste de l'année ils cherchent leur vie dans la campagne. Mais on ne peut jouir de ces avantages dans les environs des villes, où ils sont exposés à tomber dans les différents piéges que tendent les oiseleurs. Là on doit les nourrir renfermés chez soi, non pas toutefois au rez-de-chaussée ni dans une pièce froide, mais dans une construction élevée au haut de la maison et qui soit exposée au midi d'hiver.On pratiquera dans les murs, de la manière que nous avons prescrite pour les poulaillers, et que nous ne répéterons point ici, des rangées de trous, ou, si cette distribution ne convient pas, on posera sur des pièces de bois enchâssées dans la muraille, quelques tablettes qui supporteront ou des logettes ou des boulins en terre cuite, pour que ces oiseaux y fassent leur nid, et l'on ménagera des vestibules afin qu'ils puissent y parvenir. Au surplus, tout le colombier et les boulins mêmes seront ragréés d'un enduit blanc, parce que cette espèce d'oiseaux aime beaucoup cette couleur. On enduira aussi ces murs à l'extérieur, surtout autour de la fenêtre, qui sera ouverte de manière qu'elle reçoive le soleil pendant la plus grande partie des journées d'hiver, et qu'on puisse y établir une cage suffisamment vaste, sur laquelle on étendra un filet qui empêchera les oiseaux de proie d'y entrer, et dans laquelle les pigeons qui sortiront du colombier viendront se chauffer au soleil. Les mères qui couvent leurs oeufs ou soignent leurs petits, devront sortir quelquefois, de peur que le regret d'être continuellement retenues dans un esclavage pénible ne les fasse périr. En effet, quand elles ont un peu voltigé autour des bâtiments, récréées par cette distraction, elles reprennent de la gaîté, et retournent avec plus de plaisir vers leurs petits, desquels elles n'essayeront pas de s'écarter, et qu'elles ne sauraient abandonner. Les vases où on leur mettra l'eau seront semblables à ceux des poules : les pigeons qui veulent boire y introduiront facilement la tête, mais l'ouverture sera trop étroite pour qu'ils puissent y passer tout entiers quand ils veulent se baigner ; ce qui serait préjudiciable aux oeufs et aux petits, qu'ils sont presque toujours occupés à couver. Au reste, il est à propos de leur jeter à manger au pied des murs, parce qu'ordinairement cette partie du colombier n'est pas souillée par les excréments. On regarde, comme ce qu'il y a de mieux pour les nourrir, la vesce, l'ers, aussi bien que la petite lentille, le millet et l'ivraie, et encore les criblures du blé, ou n'importe quelle espèce des légumes qu'on donne aussi aux poules. Le colombier doit être fréquemment balayé et nettoyé car plus il est propre, plus il plaît au pigeon, qui d'ailleurs se dégoûte facilement de son habitation, et qui, l'ayant prise en aversion, l'abandonne, s'il est libre de s'envoler. C'est ce qui arrive fréquemment dans les pays où on lui permet de sortir librement. Il existe un ancien précepte de Démocrite qui permet d'obvier à cet inconvénient. Les paysans donnent le nom de tinunculus (crécerelle) à une sorte d'oiseau de proie, qui presque toujours fait son nid dans les murs des édifices. On enferme séparément, tout vivants, les petits de cet oiseau dans des pots de terre sur lesquels on fixe leurs couvercles, et l'on suspend ces vases, enduits de plâtre, dans les angles du colombier. Au moyen de cette pratique, les pigeons prennent de l'affection pour leur demeure et ne l'abandonnent pas. On doit choisir, pour élever des pigeonneaux, des femelles qui ne soient ni vieilles, ni trop jeunes, mais bien grosses. On aura soin, si on le peut, de ne jamais séparer les petits, et de les unir tels qu'ils sont éclos, parce qu'ainsi mariés ensemble ils élèvent un plus grand nombre de petits; sinon on n'appariera pas des pigeons d'espèces différentes, comme ceux d'Alexandrie et ceux de la Campanie, parce que ces oiseaux, s'attachant moins à ceux qui ne leur ressemblent point, s'approchent plus rarement et produisent, en conséquence, moins de pigeonneaux. En tout temps, la couleur du plumage a été l'objet de contestations : aussi est-il difficile de dire quelle est celle qu'on doit préférer.Le blanc, que l'on voit ordinairement partout, ne plaît pas trop à quelques personnes; cependant il ne présente aucun inconvénient pour les pigeons que l'on tient enfermés: pour les pigeons libres, il doit être rigoureusement rejeté, parce qu'il les fait plus facilement remarquer par l'oiseau de proie. Quoique leur fécondité soit beaucoup moins grande que celle des poules, ils produisent pourtant plus de bénéfice; car, si la mère est bonne, elle donne des petits huit fois par an, et le prix qui en revient remplit le coffre du maître, comme nous l'affirme l'excellent auteur M. Varron, qui a avancé que, même de son temps, où l'on s'occupait moins de frivolités que de nos jours, on payait ordinairement mille sesterces chaque couple de pigeons ; tandis que, à la honte de notre siècle, si nous voulons ajouter foi à ce qu'on dit, on rencontre des gens qui payent aujourd'hui la paire quatre fois plus cher. Toutefois, je trouve plus excusables ceux qui dépensent beaucoup d'argent pour jouir de l'attrait de ces délices, que ceux qui épuisent le Phase du Pont, et les Palus-Méotides de la Scythie. Maintenant on se gorge, dans les orgies, des oiseaux du Gange et de l'Égypte. Le colombier peut aussi, comme nous l'avons dit, fournir à celui qui s'occupe de l'engraissement le moyen d'exercer son industrie. En effet, s'il se trouve des pigeons stériles ou de vilaine couleur, on les engraisse comme les poules. Toutefois les pigeonneaux deviennent plus facilement gras sous leurs mères; mais il faut, lorsqu'ils sont déjà forts, pas cependant assez pour voler, leur arracher quelques plumes des ailes, et leur casser les pattes pour qu'ils restent toujours à la même place ; il faut aussi donner aux mères une ample nourriture, pour qu'elles puissent en prendre et en donner largement à leurs petits. Quelques personnes leur lient légèrement les pattes, dans la persuasion qu'en les cassant on occasionne aux oiseaux des souffrances qui les font maigrir; mais ce procédé n'est point favorable à l'engraissement, parce que les efforts qu'ils font alors pour se débarrasser de leurs liens, les fatigue, et que cette sorte d'exercice les empêche de profiter. La fracture des pattes ne leur occasionne de vive douleur que pendant deux ou trois jours, et leur ôte tout espoir de courir.
De la nourriture des tourterelles. IX. Il n'est pas nécessaire d'élever des tourterelles, puisque ces oiseaux ne pondent pas et ne couvent point dans les volières. On ne destine à l'engraissement que celles que l'on prend au vol; et elles demandent, pour cela, beaucoup moins de soins que les autres oiseaux. Toutes les saisons pourtant ne sont pas également favorables : dans l'hiver, quelque peine qu'on se donne, on ne parvient que difficilement à les engraisser; et pourtant c'est l'époque où elles sont à plus bas prix, parce qu'alors les grives sont en grande abondance. Dans l'été, au contraire, les tourterelles s'engraissent d'elles-mêmes, pourvu qu'elles ne manquent pas de nourriture, et surtout de millet : non pas que le froment et les autres céréales les engraissent moins bien, mais parce que le millet est plus de leur goût. Au reste, en hiver, on arrive plus facilement à ce résultat, comme aussi pour les ramiers, en leur donnant des boulettes de pain trempé dans le vin, préférablement à toute autre nourriture. On ne leur fait pas, comme aux pigeons, des boulins qui leur servent de retraite, ni des cellules creusées dans le mur, mais on dispose pour elles, sur une rangée de corbeaux fixés dans la muraille, de petites nattes de chanvre, sur lesquelles on tend un filet pour les empêcher de voler; ce qu'elles ne feraient qu'aux dépens de leur embonpoint. Là on les nourrit continuellement de millet ou de froment, qu'il ne faut leur donner que secs. Un demi-modius de ces grains suffit par jour, pour rassasier cent vingt tourterelles. On leur donne toujours de l'eau fraîche et très propre dans de petits vases, semblables à ceux dont on se sert pour les pigeons et les poules. On nettoie leurs petites nattes, pour que leurs pattes ne s'échauffent pas dans la fiente, qu'on doit, du reste, conserver avec soin pour la culture des champs et des arbres, ainsi que celle de tous les autres oiseaux, si on en excepte ceux qui vivent habituellement dans l'eau. Les vieilles tourterelles s'engraissent moins bien que les jeunes. C'est pourquoi on les prend à l'époque de la moisson, quand les nouvelles couvées ont déjà acquis de la force.
De l'éducation des grives. X. Les grives exigent plus de soins et de dépenses que la tourterelle. On peut les nourrir dans toutes les campagnes, mais plus avantageusement dans le lieu où elles ont été prises : car elles souffrent difficilement qu'on les transporte dans un autre pays, parce que la plupart de celles qu'on renferme alors dans des cages y dépérissent; c'est aussi ce qui arrive à celles qu'on fait passer instantanément du filet dans la volière. Pour éviter cet inconvénient, on mettra parmi elles quelques anciennes qui ont été élevées par les oiseleurs, à l'effet de servir, comme d'appeaux, aux nouvelles captives, et d'adoucir leur tristesse en voltigeant au milieu d'elles. Ainsi, à l'imitation des grives apprivoisées, les grives sauvages s'accoutumeront insensiblement à rechercher l'eau et la nourriture.Ces oiseaux, comme les pigeons, désirent un lieu sûr et exposé au soleil; là, on adaptera dans les parois opposées des murs, que l'on perce à cet effet, des perches transversales, sur lesquelles elles se jucheront quand, rassasiées de nourriture, elles voudront se reposer. Ces perches ne doivent pas être élevées, au-dessus du sol, à une hauteur plus grande que celle à laquelle un homme debout peut atteindre. (3) On place leur nourriture vers les parties de la volière qui ne se trouvent pas sous les perchoirs, afin qu'elle se maintienne plus propre. Toujours on doit leur donner des figues sèches, soigneusement écrasées et mêlées de farine de blé, et en assez grande quantité pour qu'il en reste. Quelques personnes mâchent ces figues, et les leur présentent en cet état; mais cette méthode n'est guère praticable quand on a beaucoup de grives, parce que le loyer des gens qu'on emploie à mâcher n'est pas à bon marché, et qu'ils mangent une partie de ces fruits, qui sont d'une saveur agréable. Beaucoup de personnes pensent que, pour prévenir le dégoût chez les grives, il est bon de varier leur nourriture. Ainsi, on leur offre des graines de myrte et de lentisque, des fruits d'olivier sauvage, des baies de lierre, et aussi des arbouses. En effet, ces oiseaux recherchent dans les champs ces aliments, bien propres aussi dans les oiselleries à vaincre leurs dégoûts et même à exciter leur appétit : ce qui est très convenable; car plus ils mangent, plus ils s'engraissent promptement. En même temps on tient toujours, près d'eux, des augets remplis de millet, qui est leur aliment le plus confortable; car on ne leur donne les fruits dont nous avons parlé que comme un mets délicat. Les vases dans lesquels on leur fournit une eau fraîche et propre, ne diffèrent pas de ceux du poulailler. M. Terentius Varron assure que, du temps de nos aïeux, chacun de ces oiseaux nourris comme nous venons de le prescrire, fut souvent vendu trois deniers, quand les triomphateurs voulaient donner un repas au peuple. Maintenant, le luxe de notre époque a rendu ce prix fort commun : aussi est-ce un revenu que les paysans eux-mêmes ne doivent pas dédaigner. Nous avons parlé sans interruption de presque tous les animaux que l'on nourrit dans l'intérieur de la ferme; nous allons maintenant traiter de ceux qu'on laisse sortir pour qu'ils cherchent leur nourriture dans les champs.
De l'éducation des paons. XI. L'éducation des paons réclame plutôt les soins d'un père de famille citadin, que d'un villageois grossier. Ce n'est pourtant pas qu'elle ne convienne point à un agriculteur qui cherche à se procurer toutes les jouissances qui peuvent charmer la solitude de la campagne. La beauté de cet oiseau flatte autant les étrangers que ses propres maîtres. On le retient très aisément dans les petites îles parsemées de bois, qui se trouvent sur les côtes de l'Italie : car, comme il ne peut s'élever fort haut, ni voler à de grandes distances, et qu'on n'a à redouter pour lui la rapacité ni des voleurs ni des animaux nuisibles, il peut sans inconvénient courir loin de la surveillance, et se procurer la plus grande partie de sa nourriture. Les femelles, abandonnées à elles-mêmes, et en quelque sorte affranchies, élèvent leurs petits avec plus de soin; et le gardien n'a autre chose à faire que d'appeler le troupeau auprès de la ferme, à certaine heure du jour, par un signal donné, et de jeter un peu d'orge à ces oiseaux qui accourent avec empressement : ainsi, les paons ne sont pas exposés à souffrir de la faim, et on peut s'assurer de leur nombre à mesure qu'ils arrivent.Comme il est rare qu'on possède une île dans ses propriétés, il faut, dans l'intérieur des terres, leur donner plus de soins, et voici ce en quoi ils consistent. On clora d'une muraille élevée un terrain uni couvert d'herbes et de broussailles; sur trois des côtés du mur on bâtira des galeries, et sur le quatrième deux logements, dont l'un servira d'habitation au gardien, l'autre de gîte aux paons. Ensuite, sous les galeries, on construira, à la suite les uns des autres, des enclos de roseau en forme de cages, semblables à ceux qui sont au-dessus des colombiers. Ces enclos seront partagés par une sorte de grille de roseaux entrelacés, et de manière que de chaque côté il se trouve un accès. La retraite des paons doit être exempte de toute humidité : c'est pourquoi on fichera dans le sol des rangées de petits poteaux qui présenteront à leur sommet des pointes amincies au moyen de la doloire, pour qu'on puisse y ajuster des perches transversales percées à cet effet. Ces perches, posées sur les poteaux, devront être carrées, pour mieux recevoir l'oiseau qui viendra s'y abattre ; et aussi s'enlever facilement, afin que, soulevées de dessus leurs supports, elles donnent un libre accès aux balayeurs. Les paons sont très propres à la propagation lorsqu'ils ont trois ans accomplis; plus jeunes, ils sont stériles ou peu féconds. Comme le mâle a toute l'ardeur du coq, il lui faut cinq femelles : s'il, n'en avait qu'une ou deux, il les cocherait trop souvent, altérerait leurs oeufs à peine formés dans leur ventre, et ne les laisserait pas venir à ternie, en les faisant tomber prématurément de l'oviducte. A la fin de l'hiver, on excite à l'accouplement les paons et leurs femelles, en leur donnant une nourriture convenable. On obtient surtout ce résultat, en torréfiant, à petit feu, des fèves qu'on leur donnera toutes chaudes, à jeun, tous les cinq jours, en n'excédant pourtant pas la mesure de six cyathes par oiseau. Cette nourriture ne doit pas être jetée au troupeau assemblé, mais bien distribuée dans chaque enclos que j'ai proposé de construire en roseaux, à raison de cinq rations pour tout autant de femelles et d'une pour leur mâle. Il en sera de même de l'eau qui doit leur servir de boisson. Après ces dispositions, on conduira chaque mâle avec ses femelles dans l'enceinte qui lui est réservée : par ce moyen tout le troupeau se repaîtra également, et on évitera les rixes : car on trouve parmi les paons des coqs hargneux, qui, si on ne les tenait à part, empêcheraient les plus faibles de manger, et de cocher les femelles. Dans les lieux exposés au soleil, les mâles recherchent ordinairement les femelles quand le Favonius commence à souffler, c'est-à-dire depuis les ides de février jusqu'à l'arrivée du mois de mars. On reconnaît que ces coqs sont en amour quand ils se couvrent, comme s'ils s'admiraient eux-mêmes, des plumes étincelantes de leur queue, c'est-à-dire quand ils font ce qu'on appelle la roue. Après le temps de l'accouplement, il faut surveiller les paonnes, de peur qu'elles n'aillent déposer leurs oeufs ailleurs que dans leurs retraites; on les tâtera souvent avec le doigt : car quand leur oeuf est près de venir, il se trouve à portée d'être touché. Alors on les enfermera pour qu'elles ne pondent pas hors de l'enclos. C'est surtout à l'époque de la ponte qu'il faut garnir le poulailler d'une grande quantité de paille, afin que les oeufs ne soient point brisés : car c'est ordinairement lorsque les paonnes viennent prendre le repos de la nuit, que, juchées sur les perches dont nous avons parlé, elles font leurs oeufs qu'on ne peut conserver intacts que s'ils tombent d'une petite hauteur et mollement. Il faut donc tous les matins, tant que durera le temps de la ponte, visiter soigneusement le poulailler et y recueillir les oeufs qui s'y trouveront. Plus ils seront donnés frais aux poules qui doivent les couver, plus facilement ils écloront. Ce mode d'incubation est très avantageux pour le père de famille; car les femelles du paon qui ne couvent pas, pondent généralement trois fois par an, tandis que les couveuses de cette espèce passent tout le temps de leur fécondité à faire éclore et à élever leurs petits. La première ponte est communément de cinq oeufs; la seconde, de quatre; la troisième, de trois ou de deux. On ne devra pas confier des oeufs de paonne à couver aux poules de Rhodes, qui n'élèvent pas bien même leurs petits; mais on choisira de vieilles poules de la grande espèce du pays. Pendant les neuf premiers jours de la lune, elles couveront neuf oeufs, dont cinq de paonne et les autres de poule; au dixième jour, on enlèvera tous ces derniers pour les remplacer par un égal nombre de la même espèce, afin que le trentième jour de la lune, qui est ordinairement celui de la nouvelle, ils puissent éclore avec les paonneaux. Le gardien, au surplus, doit avoir l'attention de surveiller la couveuse quand elle quitte son nid, qu'il doit visiter souvent, et de retourner avec la main les oeufs de paonne que la poule, à cause de leur grosseur, a de la peine à remuer. Pour s'acquitter de ce soin avec plus de facilité, le gardien marquera d'encre un côté de ces oeufs, pour reconnaître si la couveuse les a retournés. Au reste, il ne faut pas oublier, comme je l'ai dit, qu'on doit pour cet objet choisir les plus grandes poules de la basse-cour. Si on n'en avait que de médiocre taille, on ne leur donnerait à couver que trois oeufs de paonne et six oeufs de poule. Quand les poussins seront éclos, on les portera à une autre couveuse, et on réunira ensemble les paonneaux pour les confier à une seule poule jusqu'à ce qu'on en ait formé un troupeau de vingt-cinq. On ne déplacera, le premier jour, ni les paonneaux ni les poussins; mais le lendemain on les transfèrera, avec la poule qui doit les élever, dans une cage où, les premiers jours, on les nourrira de farine d'orge détrempée dans du vin, ou aussi bien avec un peu de bouillie cuite de n'importe quelle espèce de blé qu'on aura soin de laisser refroidir. Peu de jours après, on ajoutera à cette nourriture du poireau de Tarente haché menu, et du fromage mou soigneusement égoutté; car il est reconnu que le petit-lait est nuisible à ces jeunes volatiles.Les sauterelles aussi, auxquelles on a enlevé les pattes, sont aussi, dit-on, une bonne nourriture pour les paonneaux, et on doit les en repaître jusqu'au sixième mois; ensuite il suffit de leur jeter de l'orge. Trente-cinq jours après leur naissance, on peut sans danger les conduire aux champs; car le troupeau suit la poule à son gloussement, comme si elle était sa véritable mère. Le gardien portera dans le champ leur cage fermée; puis, après avoir attaché à une des pattes de la poule une longue ficelle, il la mettra en liberté, et les paonneaux voltigeront autour d'elle. Quand ils seront bien repus, on les ramènera à la ferme, suivant, comme je l'ai dit, la poule qu'ils entendent glousser. Les auteurs sont assez d'accord sur ce point, qu'on ne doit pas mener paître, dans le même lieu, d'autres poules qui élèveraient des poussins : car, à la vue des paonneaux, elles cesseraient d'aimer leurs petits et les abandonneraient prématurément, les prenant en aversion parce qu'ils ne seraient ni aussi grands ni aussi beaux que les jeunes paons. Ces oiseaux sont sujets aux mêmes maladies que les poules ; aussi les traite-t-on en tout comme ces dernières, et on les guérit de la pépie, de l'indigestion et des autres maladies qui peuvent les frapper, avec les mêmes remèdes que nous avons indiqués. A l'âge de sept mois on renfermera, la nuit, les jeunes paons dans la retraite commune; mais on aura soin qu'ils ne restent pas à terre : ceux qui se coucheront ainsi devront être relevés et posés sur le perchoir, pour qu'ils n'aient pas à souffrir du froid.
De l'éducation des poules de Numidie et des poules sauvages. XII. L'éducation des poules de Numidie est à peu près la même que celle des paons. Quant aux poules sauvages, qu'on appelle rustiques, elles ne produisent pas en esclavage : c'est pourquoi nous n'avons rien à en dire, si ce n'est qu'on doit les nourrir à satiété pour les rendre plus propres à figurer dans les repas somptueux.
Des oiseaux que les Grecs nomment amphibies et les Latins oiseaux de double vie. XIII. Je passe maintenant à ces oiseaux que les Grecs appellent amphibies, parce qu'ils ne cherchent pas seulement leur nourriture sur la terre, mais aussi dans les eaux, et qu'ils ne sont pas plus habitués à la terre qu'aux étangs. Parmi ces oiseaux, l'oie est surtout agréable aux gens de la campagne, parce qu'elle ne demande pas de grands soins, et qu'elle est plus vigilante que le chien même; car son cri trahit ceux qui méditent quelque embûche, comme la tradition en a conservé la mémoire pour le siège du Capitole, quand cet oiseau fit entendre ses cris aigus, tandis que les chiens gardaient le silence. Toutefois on ne saurait élever des oies partout, comme le pense avec beaucoup de raison Celse, qui s'exprime ainsi : « On n'élève pas bien l'oie sans eau et sans beaucoup de pâture, outre qu'elle est nuisible aux plantations, parce qu'elle dévore toutes les jeunes pousses qu'elle peut attraper. Mais, partout où se trouvent une rivière ou un étang, beaucoup d'herbe, et peu de terres ensemencées, on peut nourrir cette espèce de volatile. » C'est ce que nous pensons aussi qu'on doit faire, non pas que les oies soient d'un grand produit, mais parce qu'elles ne sont pas d'un grand embarras : toutefois elles donnent des oisons, et aussi de la plume qu'on peut recueillir, non pas, comme la laine des moutons, une fois dans l'année, mais bien deux fois par an, au printemps et en automne. En raison de ces avantages, il faut partout où l'état des lieux ne s'y oppose pas, élever des oies, ne fût-ce qu'un petit nombre, et donner à chaque mâle trois femelles : car le jars, à cause de sa pesanteur, ne peut en couvrir davantage. Pour les mettre à l'abri, il faut en outre construire, dans quelque coin de la basse-cour, des loges où ces volatiles se coucheront et feront leur ponte.
De l'éducation des oies et de la formation des oisonneries. XIV. Ceux qui veulent posséder des troupes d'oiseaux nageurs, doivent former des oisonneries qui, pour prospérer, devront être établies de la manière suivante. On formera une cour, au moyen de murailles de neuf pieds d'élévation, destinée à empêcher que tout autre bétail n'y pénètre; le long de ces murailles on pratiquera des galeries, où l'on ménagera dans quelque coin le logement du gardien. On construira, sous ces galeries, des loges carrées, soit en moellon, soit en briques de petite dimension : il suffira que chaque loge ait trois pieds en tout sens, et que l'accès soit pourvu de petites portes bien solides, parce qu'elles doivent être pendant la ponte tenues fermées exactement. Si en dehors de la ferme, mais à peu de distance des bâtiments, il se trouve un étang ou une rivière, on n'aura pas besoin de chercher d'autres eaux; sinon on creusera une mare ou une piscine pour que les oies puissent s'y plonger : car elles ne peuvent vivre convenablement sans ce secours, pas plus que sans la terre. On mettra à leur disposition un terrain marécageux et bien couvert d'herbes, et l'on sèmera d'autres fourrages, tels que de la vesce, du trèfle, du fenugrec, et principalement cette espèce de chicorée que les Grecs désignent sous le nom de g-seris. On sèmera en outre, pour le même usage et en grande quantité, des laitues, parce que ce légume est très tendre, que ces oiseaux en sont très friands, et qu'il est une nourriture excellente pour leurs petits. Lorsque ces dispositions seront faites, on aura soin de choisir des jars et des femelles de forte taille et de couleur blanche: car il existe une autre espèce à plumage bigarré, que l'on a apprivoisée en la faisant passer de l'état sauvage à l'état domestique; mais elle n'est ni aussi féconde, ni d'un aussi grand prix que la blanche : c'est pourquoi on n'en doit pas élever. Le temps le plus favorable à l'accouplement des oies est le solstice d'hiver; puis, pour la ponte et l'incubation, depuis les calendes de février ou de mars jusqu'au solstice qui arrive dans la dernière partie du mois de juin. Elles ne s'accouplent pas à la manière des oiseaux dont nous avons parlé, en se tenant sur la terre, mais presque toujours dans les rivières ou les piscines. Si on les empêche de se livrer à l'incubation, elles font trois pontes par an : ce qui est plus avantageux que de leur laisser couver leurs oeufs. En effet, les poules élèvent mieux les jeunes oisons, et par ce moyen on en peut former un troupeau beaucoup plus nombreux. Les oies donnent cinq oeufs de la première ponte; quatre à la suivante et trois à la dernière. Quelques personnes les laissent alors couver, parce qu'elles ne doivent plus pondre le reste de l'année. Il ne faut pas laisser les femelles pondre hors de l'enclos ; mais, lorsqu'elles paraîtront chercher un nid, il faut leur presser le ventre et les tâter : si l'oeuf est près de venir, le doigt peut le toucher, parce qu'il est descendu à l'entrée de l'oviducte. Alors on les conduit à la loge et on les y enferme pour qu'elles pondent. Il suffira de suivre une seule fois cette pratique avec chacune d'elles, pour qu'elles retournent ensuite au lieu où elles ont déposé leur premier oeuf. Si l'on veut faire couver ces oiseaux après leur dernière ponte, il faut marquer les oeufs, afin de ne donner à chaque mère que les siens propres, parce que l'oie refuse de faire éclore ceux qui ne viennent point d'elle, à moins qu'ils ne soient mêlés avec ceux qu'elle a pondus. On confie à des poules l'incubation des oeufs de l'oie, comme ceux de la paonne, au nombre de cinq au plus et de trois au moins. Quant aux oies, elles en peuvent recevoir au moins sept, au plus quinze. On doit avoir soin de mettre sous les oeufs quelques racines d'ortie, qui sont pour eux une sorte de préservatif contre cette plante, dont la piqûre est mortelle aux oisons nouvellement éclos. Dans un temps froid, il faut trente jours aux oisons pour se former et éclore; mais par la chaleur, vingt-cinq sont suffisants : toutefois c'est presque toujours le trentième jour qu'ils naissent. Quand ils sont petits, on les retient les dix premiers jours avec leur mère dans la loge, pour les y nourrir; ensuite, si le temps est assez beau pour le permettre, on les conduit dans la prairie et aux piscines. Il faut prendre garde qu'ils ne soient piqués par les aiguillons de l'ortie, et qu'ils n'aillent à jeun au pâturage : mais on devra les rassasier auparavant avec des feuilles hachées de chicorée ou de laitue. En effet, si, dans cet état de faiblesse, les oisons arrivent ayant faim dans la prairie, ils attaquent les arbrisseaux et les plantes, qui tiennent en terre avec tant d'opiniâtreté, qu'ils se rompent le cou. On les nourrit convenablement avec du millet et du blé détrempés dans de l'eau. Lorsqu'ils ont pris un peu de force, on les réunit en troupeau avec d'autres de même âge, et on leur donne de l'orge pour nourriture : les mères se trouvent également bien de ce régime. Les loges ne doivent pas renfermer chacune plus de vingt oisons; et on aura soin de ne pas mettre ensemble des forts et des faibles, car ces derniers seraient tués par les premiers. Il faut que le nid dans lequel l'oie couve soit très sec et garni d'une litière de paille; à défaut de paille, le foin lui sera aussi très agréable. On prendra pour ces volailles les mêmes précautions que pour les autres espèces : ainsi on prendra garde que ni la couleuvre, ni la vipère, ni les putois, ni les belettes, n'éventent les petits, parce que ces animaux destructeurs sont un véritable fléau pour les jeunes oisons. Il y a des personnes qui nourrissent les couveuses avec de l'orge macérée, et ne leur permettent pas de quitter souvent leur nid; ensuite, quand les petits sont éclos, elles leur donnent à manger, comme aux paons, pendant les cinq premiers jours, de la bouillie ou de la farine de blé détrempée. D'autres les nourrissent avec du cresson alénois, vert et haché très menu avec de l'eau, régime qui leur plaît beaucoup. Lorsqu'ils sont âgés de quatre mois, on destine les plus gros à l'engraissement, qui réussit mieux, à ce qu'on croit, quand les sujets sont jeunes.L'engraissement de ces oiseaux est très facile, puisqu'il suffit de leur fournir de la bouillie et de la farine de blé trois fois par jour, pourvu qu'ils aient de l'eau à discrétion, qu'on les empêche de courir, et qu'on les tienne dans une loge chaude et obscure : toutes choses qui contribuent puissamment à produire la graisse. Par ce moyen ils deviennent gras en deux mois, et souvent même il suffit de quarante jours pour engraisser une jeune couvée.
Des canards, des sarcelles et autres oiseaux semblables. XV.La canarderie réclame des soins semblables, mais la dépense est plus grande : car on y renferme pour les nourrir les canards, les sarcelles, les boscides, les phalérides et autres oiseaux qui vivent dans les étangs et les marais. On fait choix pour former l'enclos d'un terrain uni, qu'on entoure d'un mur en maçonnerie de quinze pieds d'élévation; ensuite on couvre cette cour avec un treillage ou un filet à larges mailles, pour que les oiseaux captifs ne puissent s'envoler, et que les aigles et autres oiseaux de proie ne puissent fondre sur eux. La muraille sera recouverte tant au dehors qu'au dedans d'un enduit bien lisse, afin que ni les putois, ni les furets ne puissent s'y introduire. Au milieu de la canarderie, on creusera une mare de deux pieds de profondeur, que l'on étendra en longueur et en largeur autant que l'emplacement le permettra.Pour que le mouvement de l'eau, qui doit toujours couler à travers le bassin, ne dégrade pas les bords, on les pavera avec du mortier de Signia, et de manière à ne pas faire de degrés, mais une pente douce, pour qu'on descende à l'eau comme d'un rivage maritime. Quant au sol de la mare, il doit être pavé et cimenté dans tout son contour aux deux tiers de son étendue, afin qu'il n'y puisse pas pousser d'herbes et qu'il offre aux oiseaux nageurs une nappe d'eau bien pure. On ménagera au milieu un petit espace de terrain que l'on ensemencera de fèves d'Égypte et autres plantes aquatiques qui puissent ombrager les retraites de ces oiseaux. Quelques-uns aiment, il est vrai, à s'abriter sous des massifs de tamarix ou des touffes de jonc; mais ce n'est pourtant pas un motif pour que toute la pièce d'eau soit envahie par des végétaux : il faut, au contraire, comme je l'ai dit, que le pourtour soit libre, afin que les oiseaux dont il s'agit puissent, sans que rien les entrave, lutter de célérité en nageant quand le beau temps les dispose à ces ébats. En effet, comme ils désirent une retraite pour se reposer, et d'où ils puissent guetter les animaux aquatiques qui se cachent dams les herbes, de même ils sont contrariés quand ils sont privés d'un espace qu'ils puissent parcourir librement. Au dehors de la mare on revêtira les bords de gazon dans une étendue de vingt pieds. Puis au delà de cette verdure, au pied des murs, ou établira, pour que les oiseaux y fassent leurs nids, des logettes carrées, d'un pied en tout sens, construites de pierre et revêtues d'un enduit. Ces logettes seront séparées entre elles par des buissons de myrte ou de buis, qu'on ne laissera pas s'élever plus haut que les murailles. Ensuite on pratiquera dans le sol un petit canal continu dans lequel coulera tous les jours la nourriture mêlée à l'eau : car c'est ainsi qu'on donne la pâture à ces oiseaux. Parmi les productions terrestres, ils aiment surtout le panis et le millet ; l'orge ne leur est pas moins agréable; mais, quand on en a abondamment, on peut aussi leur donner du gland et du marc de raisin. Quant aux aliments que l'eau fournit, on peut, si l'on est à portée de s'en procurer, leur donner des écrevisses, des petits poissons de ruisseau, et toutes sortes d'autres poissons de petite taille qui se trouvent dans les rivières. Comme les autres canards sauvages, les canards privés s'accouplent dans le mois de mars et le suivant : c'est le moment de jeter çà et là dans la canarderie des brins de paille et des ramilles, afin qu'ils puissent les ramasser pour construire leurs nids. Au surplus, il y a un grand avantage, quand on veut établir une canarderie, à recueillir, dans les marais où ils ont l'habitude de pondre, les oeufs des oiseaux dont nous venons de parler, et de les faire couver par des poules privées. Ainsi éclos et élevés, les petits qui en proviennent perdent leur caractère sauvage, et, renfermés ensuite dans la basse-cour, ils multiplient sans difficulté; tandis que si l'on veut tout de suite priver de leur liberté des oiseaux qui en ont toujours joui, l'esclavage retarde leur fécondité. Mais c'est assez parler de l'éducation des oiseaux nageurs.
Des piscines et de la nourriture des poissons. XVI. Après avoir fait mention des oiseaux aquatiques, nous nous occuperons naturellement des soins que l'on doit prendre des poissons. Quoique je regarde le revenu qu'on peut tirer du poisson comme tout à fait étranger aux agriculteurs (car quelles choses peut-on imaginer de plus dissemblables entre elles que la terre et l'eau ?), je ne passerai pourtant pas sous silence cet objet qu'ont illustré le goût de nos ancêtres : en effet, ils allaient jusqu'à renfermer les poissons de mer dans des viviers d'eau douce, et ils nourrissaient avec autant de soi, le muge et le scare qu'on en met aujourd'hui à nourrir la murène et le loup de mer : car cette antique race de Romulus et de Numa, quelque rustique qu'elle fût, tenait beaucoup à se procurer abondamment tous les mets dont on peut jouir dans les villes. C'est pourquoi non seulement ils s'occupaient beaucoup des piscines qu'ils avaient formées eux-mêmes, mais encore ils remplissaient les lacs naturels du frai des poissons de mer qu'ils y transportaient. Il en résulta que les lacs de Velino, de Sabate, aussi bien que le Vulsinum et le Ciminus, virent naître des loups de mer et des dorades, et tous les autres poissons qui peuvent supporter l'eau douce.Cet usage tomba en désuétude dans les âges postérieurs, et le luxe des riches alla jusqu'à renfermer dans une enceinte les mers mêmes et Neptune; et déjà nos aïeux gardaient la mémoire de cette action et de ce mot de Marcius Philippe, témoignage de sa grande élégance et de son luxe effréné. Ce Romain soupait un jour à Cassino; ayant goûté d'un loup pris dans une rivière voisine, et l'ayant craché, il mit le comble à l'impertinence de son action en disant à son hôte «Que je meure, si je n'ai cru que c'était un poisson! ». Ce parjure contribua à rendre, chez beaucoup de personnes, la gourmandise plus recherchée, et apprit aux palais exercés et délicats à dédaigner le loup des rivières, s'il ne s'était fatigué à remonter le cours du Tibre. C'est pourquoi Térence Varron a dit, « qu'il n'y avait de son temps un beau fils, un Rhinthon, qui ne pensât qu'il n'existait aucune différence entre la possession d'un vivier peuplé de tels poissons et celle d'un étang de grenouilles. » Toutefois, dans ces mêmes temps dont Varron cite ce trait de luxe, on donnait les plus grands éloges à l'austérité de Caton, qui, au reste, en sa qualité de tuteur de Lucullus, vendait les piscines de son pupille la somme énorme de quatre cent mille sesterces. Déjà étaient fameuses les délices de la cuisine, lorsque l'on faisait apporter de la mer l'eau de ces piscines dont Sergius Orata et Licinius Muréna étaient si fiers, ainsi que des poissons dont ils faisaient la capture, et dont ils empruntaient leurs surnoms, comme avant eux les vainqueurs de Numance et de l'Isaurie avaient adopté les noms de ces lieux. Au surplus, puisque ces habitudes ont prévalu et qu'on les regarde, non comme passées en usage, mais comme très louables et honnêtes, nous aussi, pour ne point paraître le tardif censeur de tant de siècles écoulés, nous allons enseigner au père de famille à tirer bénéfice de cette sorte de produit de la métairie. Celui qui, ayant fait l'acquisition de quelques îlots ou bien de terres situées sur un rivage maritime, n'en pourrait, à cause de la stérilité du sol, qui y est ordinairement maigre, tirer d'utiles productions, doit se procurer un revenu de la mer elle-même. Avant tout, il devra s'assurer de la nature des lieux où il veut établir ses piscines : car tous les lieux ne conviennent pas à tous les poissons. Sur un fond de vase, il nourrira les poissons plats, tels que la sole, le turbot, la plie; là aussi prospèreront très bien les conchyles, les murex et les huîtres, et les coquillages que nous nommons pétoncles, balanes et sphondyles. Les bassins sablonneux peuvent à la rigueur recevoir des poissons plats, mais ils conviennent mieux aux poissons de la haute mer, comme les dorades, les dentices, les ombres soit de Carthage, soit indigènes; mais ils sont moins propres aux conchyles. Quant aux rivages couverts de rochers, on y entretient les poissons qui leur ont emprunté leur nom, et qu'on appelle saxatiles, parce qu'ils se retirent dans les roches, tels que les merles, les grives et les mélanures. De même qu'il est indispensable de connaître les différences qui existent entre les rivages, ainsi il ne faut pas ignorer celles des détroits, afin de ne pas commettre d'erreur dans le choix des poissons étrangers. En effet, tout poisson ne réussit pas bien dans toutes les mers : tel est l'hélops, qui vit dans celles de la Pamphylie et non ailleurs; tel le faber, qu'on trouve dans la mer Atlantique, qui est mis au nombre des poissons les plus délicats dans Gades, mon pays natal, et que nous avons continué à nommer zées, comme on le faisait anciennement; tel aussi le scare, qui fréquente par troupes nombreuses les rivages de toute l'Asie et de la Grèce jusqu'en Sicile, mais ne gagne pas la mer de Ligurie, et n'est jamais arrivé par les Gaules jusqu'à la mer d'Ibérie. Ainsi, lors même qu'après en avoir pris, on les transporterait dans nos viviers, on ne pourrait pas les y conserver longtemps. Seule entre les poissons de prix, la murène, quoique originaire de la mer de Tarse et de la mer Carpathienne qui y touche, s'est naturalisée chez nous, et, devenue l'hôtesse de tous les détroits, subsiste dans toutes les mers étrangères. Maintenant, nous allons parler de la position des viviers.
De la position du vivier. XVIl. Nous regardons comme excellent tout étang qui est situé de manière que le flot, arrivant de la mer, y ramène celui qui l'a précédé, et ne le laisse pas séjourner dans l'intérieur de cette pièce d'eau. En effet, l'étang ressemble parfaitement à la mer que l'agitation des vents renouvelle sans cesse et ne laisse jamais s'échauffer, parce qu'elle roule, de son fond à sa surface, des flots qui sont frais. Ou ce réservoir sera taillé dans le roc, ce qui n'a lieu que très rarement, ou il sera construit sur le rivage avec du mortier de Signia. Au surplus, de quelque manière qu'on le fasse, il doit être renouvelé par le flux qui toujours y pénètre, et on y ménagera quelques grottes du côté de la terre, dont les unes seront unies et droites pour servir de retraite aux poissons à écailles, et les autres, sinuant en limaçon et moins grandes, pour donner asile aux murènes. Quelques personnes, toutefois, ne trouvent pas bon de mêler les murènes avec des poissons d'une autre espèce, parce que, si elles étaient tourmentées de la rage, à laquelle elles sont sujettes comme les chiens, elles s'acharneraient sur les poissons à écailles, dont elles dévoreraient un grand nombre. Si la nature du lieu le permet, il convient de pratiquer des issues sur tous les côtés de la piscine : l'eau sortira ainsi par là plus facilement pour se renouveler, puisque, de quelque point que le flot arrive, il se trouvera vis-à-vis une sortie. Nous pensons qu'il faut pratiquer ces ouvertures au bas de la muraille de clôture, si la situation du lieu le comporte, afin que, posant un niveau sur le sol de la piscine, on y trouve la preuve que l'eau de la mer s'y élève au-dessus de sept pieds, car cette profondeur du réservoir est suffisante pour les poissons qui s'y trouvent. Il est évident aussi que plus l'eau de mer vient du fond, plus elle est fraîche et, par conséquent, convenable aux poissons. Si le lieu où nous jugeons à propos d'établir la piscine est de niveau avec la mer, on fera une excavation de neuf pieds de profondeur, et à deux pieds au-dessous de la partie supérieure du bassin on pratiquera un conduit pour servir de passage au flot. Ou aura soin que cette ouverture soit très large, parce que l'eau stagnante au-dessous du niveau de la mer ne saurait être expulsée que par le volume, supérieur en force, de ce flot d'eau nouvelle qui se précipite dans le réservoir. Beaucoup de personnes sont d'avis qu'il faut pratiquer, dans ces sortes d'étangs, de longues retraites pour les poissons, et, sur les côtés, des grottes tortueuses qui puissent les mettre à couvert pendant les grandes chaleurs; mais, à moins qu'on ne puisse continuellement renouveler l'eau, cette méthode ne peut qu'être préjudiciable; car ces sortes de retraites ne reçoivent pas facilement les nouvelles eaux, et ne se débarrassent des anciennes qu'avec peine: l'eau croupie nuit plus au poisson que ne lui serviraient des abris. Il faut toutefois creuser dans les murs des espèces de loges, faites de manière à protéger le poisson qui cherche à éviter l'ardeur du soleil, et à laisser écouler l'eau qu'elles auront reçue. Il faudra bien se souvenir de fixer, dans les canaux qui donnent passage aux eaux de la piscine, des grilles de cuivre à petites ouvertures, afin que le poisson ne puisse pas s'échapper. Si l'espace le permet, il ne sera pas sans utilité de disposer, dans l'intérieur du réservoir, quelques rochers du rivage, surtout de ceux qui sont revêtus d'algues, et de figurer une mer véritable autant que le génie de l'homme peut parvenir à cette imitation, afin que les captifs s'aperçoivent le moins qu'il est possible, de la privation de leur liberté.Ces réservoirs étant ainsi préparés, on y introduira le troupeau aquatique. Un point très important et qu'il ne faut pas perdre de vue, c'est, dans cette affaire qui a l'eau pour objet, et comme on l'a dit en parlant des productions terrestres, d'étudier « Ce que comporte chaque contrée. » En effet, quand même nous le voudrions, nous ne pourrions nourrir dans ces viviers une aussi grande quantité de mulets qu'on en voit quelquefois dans la mer, parce que cette espèce de poisson est très délicate et aime surtout la liberté. Aussi, sur plusieurs milliers, trouve-t-on à peine un ou cieux mulets qui supportent la captivité, tandis qu'on voit fréquemment, dans ces mêmes viviers, les troupeaux marins des muges indolents et des loups rapaces. C'est pourquoi, comme je l'ai dit, on doit consulter la nature du rivage où l'on se trouve, pour savoir s'il est à propos d'admettre des rochers ou de les éviter. On jettera dans la piscine, non seulement des grives, des merles, d'avides mustelles et des loups sans tache (car il y en a qui sont bigarrés), mais aussi des lamproies que l'on prise beaucoup, des murènes et quelques espèces saxatiles dont le prix est fort élevé : car le poisson commun ne vaut pas la peine d'être nourri, ni même d'être pêché. Toutes ces espèces peuvent être renfermées dans des étangs à sol sablonneux; mais ceux qui reposent sur la vase et le limon conviennent mieux, comme je l'ai dit, aux conchyles et aux poissons qui restent immobiles au fond des eaux. La position de l'étang destiné à recevoir ces derniers, ainsi que leur nourriture, diffèrent de celles qu'exigent les autres poissons qui sont toujours en mouvement. Ainsi, pour les soles, les turbots et autres animaux semblables, on creuse à deux pieds de profondeur une piscine, sur un point du rivage, qui ne reste jamais à sec pendant le reflux. Sur ses bords on fixe des barres serrées qui, en tout temps, s'élèvent au-dessus du niveau des eaux, lors même que la mer se gonfle de flots orageux. Ensuite on construit circulairement en avant une digue de manière à renfermer dans son enceinte toute la pièce d'eau, et à présenter plus d'élévation que sa surface. Au moyen de ce parapet qu'on lui oppose, la fureur de la mer est réprimée, le poisson, vivant tranquillement dans sa demeure, n'éprouve aucun trouble, et le vivier ne peut se remplir d'un amas d'algues que la violence des flots y vomirait pendant les tempêtes.) Au surplus, il faudra que la digue, sur quelques points, soit entrecoupée, à la manière du Méandre, de passages petits et étroits par lesquels la mer, quelle que soit sa fureur, même en hiver, puisse pénétrer sans impétuosité. La nourriture des poissons plats doit être plus molle que celle des saxatiles, parce qu'étant privés de dents, ils ne peuvent mâcher leurs aliments, qu'ils sont réduits à lécher ou bien à avaler dans l'état où ils les trouvent.C'est pourquoi il est convenable de leur jeter de petits anchois gâtés, des aloses dont le sel a dévoré la substance, des sardines pourries, des branchies de scare, des intestins de thon et d'aiguille, de scombre, de carchare, d'élacate, et, pour ne pas entrer dans des détails sans fin, les vidanges de tous les poissons salés que l'on jette hors des boutiques des vendeurs de marée. Au reste, si j'ai nommé un aussi grand nombre d'espèces de nourritures, ce n'est pas qu'on les trouve toutes sur tous les rivages, mais c'est afin que l'on puisse donner celles d'entre elles dont on peut disposer. Parmi les fruits qui n'ont pas bien mûri, on peut leur jeter des figues pelées, des noix cassées avec les doigts, des cormes bouillies dans de l'eau, aussi bien que tous les aliments que leur peu de consistance rend propres à la déglutition, comme du fromage frais, si la localité et l'abondance du lait le permettent. Toutefois, nulle autre nourriture n'est aussi avantageuse que les salaisons dont nous venons de parler, parce qu'elles exhalent beaucoup d'odeur, et que les poissons plats reconnaissent mieux leur pâture par l'odorat que par la vue : car, comme ils reposent toujours sur le ventre, et que leurs yeux sont dirigés en haut, ils ne voient pas facilement à droite et à gauche les objets qui sont à terre; tandis que, suivant à l'odeur les salaisons qu'on leur offre, ils parviennent bientôt à l'endroit où se trouve cette nourriture. Quant aux poissons saxatiles ou de la haute mer, bien qu'on puisse les nourrir des salaisons ci-dessus énumérées, ils préfèrent cependant ces mêmes aliments frais : aussi l'anchois nouvellement pris, l'écrevisse, le petit goujon, et tout le menu poisson sont fort bons pour le gros. Cependant si, durant les intempéries de l'hiver, on ne peut se procurer ce genre de nourriture, on distribue des boulettes de pain noir et, si la saison le permet, des pommes coupées par morceaux. En tout temps on peut donner des figues sèches, si, comme en Rétique et en Numidie, l'on en a en abondance. Au reste, on ne doit pas suivre l'exemple d'un grand nombre de personnes qui ne donnent rien à leurs poissons, persuadés qu'ils peuvent se suffire à eux-mêmes, bien qu'étant renfermés; car, s'ils ne sont pas engraissés par la nourriture que leur aura livrée le maître, leur maigreur indiquera, quand on les exposera à la poissonnerie, qu'ils n'ont pas été pêchés en pleine mer, mais qu'ils sortent d'un étang où ils étaient tenus en captivité : ce qui leur ôte beaucoup de leur prix. Pour ne pas fatiguer mon lecteur par un livre qui pourrait avoir une trop grande étendue, je finirai ici cette discussion sur les élèves à faire dans les métairies, me réservant de parler dans le livre suivant des soins que réclament les bêtes fauves et l'éducation des abeilles.
AVANT-PROPOS. Je passe maintenant à l'entretien des bêtes fauves et à l'éducation des abeilles, que j'appellerais avec raison, Publius Silvinus, les élèves des métairies, puisque anciennement c'était la coutume de placer près de la ferme, et souvent attenant au logis des maîtres, des parcs pour les lièvres, les chevreuils et autres bêtes semblables, afin que la vue de la chasse qu'on faisait dans ces enclos récréât l'oeil du propriétaire, et afin qu'il pût, quand il en avait besoin pour sa table, y puiser comme dans un garde-manger. De notre temps encore, les abeilles trouvaient une retraite soit dans des loges taillées en plein mur, soit sous des galeries couvertes, soit dans des vergers. Ainsi, après avoir rendu raison du titre que nous donnons à ce traité, nous allons entrer dans des détails sur chacun des objets que nous nous sommes proposé de traiter.
De l'établissement des parcs, et des bêtes fauves qu'on doit y renfermer.I. Les bêtes fauves, telles que les chevreuils, les daims, les oryx, les cerfs et les sangliers, n'ajoutent pas moins à la magnificence et aux plaisirs du maître qu'aux produits et aux revenus. Ceux qui désirent se donner la récréation de la chasse dans un enclos, se bornent à un terrain voisin de leur habitation; ils en font un parc qu'ils protégent par une clôture, et ils donnent régulièrement à la main de la nourriture et de l'eau; mais ceux qui ont en vue le produit et le revenu, n'hésitent pas, s'ils ont des bois à proximité de leur maison (car il importe qu'ils ne soient pas éloignés de l'oeil du maître, à les destiner aux animaux dont nous venons de parler. Là, s'il ne s'y trouve pas d'eau naturellement, ils dirigent un ruisseau, ou bien ils forment des mares, dont le fond est recouvert de mortier de Signia, destinées à recevoir les eaux pluviales. Chacun, selon ses moyens, réserve un bois plus ou moins grand pour cet objet, et, si les prix de la pierre et de la main d'oeuvre le permettent, il l'entoure d'une muraille à ciment et à chaux, sinon de brique crue liée par un mortier d'argile. Quand le père de famille ne peut faire ni l'une ni l'autre de ces dépenses, il se contente d'une clôture de vacerres : c'est ainsi qu'on appelle une espèce de barrière qui se fait de chêne rouvre, de chêne commun ou de bois de liége : car on a rarement de l'olivier pour cet objet. Enfin on choisit pour cet usage, d'après les ressources du pays, l'espèce de bois la plus capable de résister à l'injure des pluies. Soit qu'on emploie des troncs entiers, soit qu'on les fende en autant de parties que leur grosseur l'exige, on y pratique plusieurs trous sur le côté, et on fiche en terre perpendiculairement ces pièces de bois à des intervalles égaux tout autour du parc; puis, dans les mortaises de côté, on fait entrer des traverses qui barrent le passage aux bêtes fauves. Il suffit de licher les vacerres à huit pieds de distance les unes des autres, en ayant soin de tenir le treillage transversal assez serré pour ne pas offrir d'espace assez grand pour laisser aux animaux le moyen de fuir. De cette manière on peut enclore même de très grandes étendues de terrain et des chaînes de montagnes, comme on le fait dans les Gaules, et dans quelques autres provinces où de vastes lieux incultes le permettent : ce qui est d'autant plus facile, que là se trouvent en abondance des matériaux pour construire des vacerres, et que toutes les autres conditions nécessaires à ces sortes d'établissements s'y rencontrent à souhait : en effet, outre que les fontaines y sont nombreuses, ce qui est très salutaire aux animaux, le sol leur fournit spontanément une copieuse pâture. On choisit surtout des bocages dont la terre est couverte de gazon et les chênes de fruits : car, s'ils ont besoin d'herbes, le gland ne leur est pas moins nécessaire. Aussi prise-t-on au plus haut degré les bois abondamment fertiles en glands de chêne, d'yeuse et de cerrus, en arbouses et autres fruits sauvages que nous avons énumérés avec soin quand nous avons parlé des hôtes de la basse-cour. En effet, pour les animaux sauvages, comme pour les animaux domestiques, la nourriture est à peu près la même. Toutefois un père de famille diligent ne doit pas se contenter des aliments que la terre produit naturellement : dans les temps de l'année où les bois ne fournissent rien à manger, il viendra au secours de ses prisonniers au moyen de provisions mises en réserve, et leur donnera de l'orge, de la farine d'adoréum, des fèves, souvent du marc de raisin, et tout ce qu'on peut se procurer au plus bas prix. Pour que les bêtes fauves comprennent que ces aliments leur sont destinés, il sera bon de lâcher dans le parc un ou deux de ces animaux qui auront été apprivoisés à la ferme, et qui, parcourant avec elles tout l'enclos, conduiront celles qui hésiteraient vers la nourriture qui leur est offerte. Non seulement il est utile de suivre cette méthode pendant la disette de l'hiver, mais encore au moment du part, afin que les femelles puissent mieux nourrir leurs petits. C'est pourquoi le garde du parc doit fréquemment s'assurer s'il s'y trouve des femelles qui viennent de mettre bas, afin de les sustenter au moyen de grains qu'il leur distribuera. On ne laissera vieillir au delà de quatre ans ni l'oryx, ni le sanglier, ni les autres bêtes fauves : car, si elles grossissent jusqu'à cette époque, elles maigrissent ensuite en prenant de l'âge. C'est pourquoi il faut les vendre tandis que la jeunesse conserve à leur corps toute sa beauté. Quant au cerf, il peut être gardé un plus grand nombre d'années : car, doué d'une longévité considérable, il reste longtemps jeune. Pour les animaux de moindre taille, tels que le lièvre, nous conseillons de semer pour eux, de distance en distance, dans les parcs murés, de petites planches de dragée et de légumes, tels que de la chicorée sauvage et de la laitue. On tirera en outre du grenier le pois chiche de Carthage, ou celui du pays, de l'orge et de la cicérole, et on les leur donnera macérés dans de l'eau de pluie: car à sec ils auraient peu d'attrait pour les levrauts. Je n'ai pas besoin de le dire, on comprendra sans peine que ce n'est pas de ces animaux ou d'autres semblables qu'on peut peupler les parcs qui ne sont clos que de vacerres, parce que, grâce à la petitesse de leur corps, ils peuvent facilement se glisser à travers le treillage, et qu'y trouvant des issues libres, ils ne tardent pas à s'enfuir.
Des abeilles.II. Je passe maintenant aux soins qu'exigent les ruches à miel; mais sur ce sujet on ne saurait être plus exact qu'Hygin, plus gracieux que Virgile, plus élégant que Celse. En effet, Hygin a réuni avec art les préceptes des anciens auteurs dispersés dans des monuments peu connus; Virgile les a embellis des fleurs de la poésie; Celse a tenu un juste milieu entre l'un et l'autre. Aussi n'aurais-je pas même essayé de traiter cette matière, si, pour être complet, le travail que j'ai entrepris n'eût réclamé cette partie aussi, et si je n'eusse craint que l'ensemble de mon ouvrage ne parût, en quelque sorte, par l'effet de ce retranchement, semblable à un corps privé de l'un de ses membres, et par conséquent imparfait. Au surplus, je serais disposé, plutôt que de les croire, à considérer comme des licences poétiques les traditions fabuleuses sur l'origine des abeilles, qu'Hygin a cru devoir répéter. En effet, il est indigne d'un homme des champs de rechercher s'il a existé une femme de la plus grande beauté, Mélisse, que Jupiter métamorphosa en abeille, ou bien si, comme le dit le poète Evhémère, les abeilles, filles des frelons et du soleil, élevées par les nymphes Phryxonides, devinrent, dans une grotte de la Crète, les nourrices de Jupiter, qui, pour les récompenser, leur attribua pour aliment le miel dont elles avaient nourri son enfance. Quoique ces fictions ne soient pas déplacées chez un poète, Virgile n'a fait que les effleurer, et seulement dans un vers, quand il a dit : "Dans une grotte de Crète, elles nourrirent le roi du ciel". Il n'appartient pas plus aux agriculteurs de savoir quand et où sont nées les abeilles : soit en Thessalie, sous Aristée; soit dans l'île de Zéa, comme le dit Evhémère; soit sur le mont Hymette, du temps d'Erichthon, suivant Euthronius; soit en Crète, à l'époque de Saturne, ainsi que le rapporte Nicandre : non plus que de savoir si ces insectes se propagent par l'accouplement, comme nous le voyons chez les autres animaux, ou si c'est sur les fleurs qu'elles recrutent leur postérité, comme l'assure notre Virgile; ni si elles dégorgent la liqueur du miel, ou si elles la rendent autrement. La recherche de ces secrets, et d'autres semblables, intéresse plus particulièrement les naturalistes que les gens de la campagne; ils plaisent aussi plus à ceux qui cultivent les lettres et qui ont du loisir à donner à la lecture, qu'aux agriculteurs, qui sont fort occupés, et auxquels ils ne seraient d'aucune utilité ni dans leur travail, ni dans leurs affaires domestiques.
Combien il y a d'espèces d'abeilles, et quelle est la meilleure. III. Revenons donc à ce qui convient le mieux à ceux qui élèvent des abeilles. Aristote, le fondateur de la secte des péripatéticiens, démontre, dans les livres qu'il a écrits sur les animaux, qu'il existe plusieurs espèces d'abeilles ou d'essaims : les unes, grosses et ramassées, noires et velues; les autres, plus petites, uniformément arrondies, de couleur brune, et couvertes d'un poil hérissé; d'autres, plus petites que les précédentes et moins rondes, mais grasses et larges, et présentant la teinte du miel; d'autres enfin très petites, grêles, ayant le ventre pointu, à peu près dorées et sveltes. C'est d'après cette autorité que Virgile donne la préférence aux abeilles qui sont petites, oblongues, sveltes, dépourvues de poil, « Brillantes d'or, présentant un corps diapré de taches uniformes, » et douées d'un caractère paisible. En effet, plus l'abeille est grande et ronde, plus elle est méchante; et dès qu'elle est cruelle, elle l'est à l'excès. Cependant l'irascibilité de celles de bonne espèce se calme facilement par les visites fréquentes de ceux qui prennent soin des ruches. En effet, plus on s'occupe d'elles souvent, plus vite elles s'adoucissent. Si elles sont gouvernées sans négligence, on peut les conserver dix années; mais, quelqu'attention qu'on prenne à remplacer, tous les ans, par de jeunes abeilles celles qui ont péri, aucun essaim ne saurait être conservé au delà de ce terme : car vers la dixième année toute la peuplade d'une ruche se trouve entièrement éteinte. Pour que cet accident n'arrive pas dans la totalité du nicher, il faut toujours propager les abeilles, et ne pas négliger de recueillir les nouveaux essaims qui ont quitté la ruche, et d'augmenter ainsi le nombre des colonies : car souvent il en meurt par des maladies, dont nous indiquerons les remèdes en leur lieu.
Quels pâturages conviennent aux abeilles; situation de ces pâturages. IV. Après avoir choisi les abeilles conformément aux indices que nous avons fait connaître, on doit leur assigner des pâturages, en lieu solitaire, et, comme le prescrit notre Virgile, loin des bestiaux, dans une belle exposition au soleil, et à l'abri des tempêtes, « Où les vents n'aient nul accès : car les vents les empêchent de transporter leur butin jusqu'à la ruche; où les moutons et les chevreaux pétulants ne sautent pas sur les fleurs; où la génisse vagabonde ne disperse pas la rosée du champ et ne foule point aux pieds les herbes naissantes. » La contrée doit en outre produire un grand nombre de petites plantes, surtout du thym, de l'origan, de la sarriette ou de notre cunile (sarriette du pays), que les paysans nomment satureia. Elle doit aussi offrir quantité de plantes plus élevées, telles que le romarin, les deux espèces de cytise, c'est-à-dire la cultivée et celle qui vient spontanément, le pin toujours vert et la petite yeuse : car la grande s'étend trop pour avoir l'approbation de personne. Le lierre, non plus, n'est pas à dédaigner, non en raison de sa bonté, mais parce qu'il fournit beaucoup de miel. Quant aux arbres, les plus recommandés sont le jujubier, tant le rouge que le blanc, l'amarantus, les amandiers, les pêchers, les poiriers, enfin, pour ne pas les nommer tous en particulier, la plupart des arbres fruitiers. Parmi les arbres sauvages se distinguent avec avantage le chêne rouvre qui produit le gland, le térébinthe, le lentisque qui n'en diffère guère, et le cèdre odorant. Entre tous, les tilleuls seuls sont nuisibles; les ifs doivent être rejetés. En outre il existe mille plantes qui, croissant ou sur le gazon sans culture, ou sur les champs labourés, produisent les fleurs les plus agréables aux abeilles : telles sont, dans les terrains, arrosés les rameaux de Pantelle, les tiges de l'acanthe, celles de l'asphodèle, et le narcisse dont les feuilles figurent un petit glaive. Les plates-bandes du jardin doivent voir fleurir les lis blancs, les giroflées qui ne leur cèdent point en beauté, les rosiers de Carthage, les violettes jaunes et pourpres et la jacinthe chère au dieu du jour ; et la terre doit y recevoir les bulbes du safran, soit de Coryce, soit de Sicile, lequel donne au miel de la couleur et de l'odeur. Il naît aussi dans les champs cultivés ainsi que dans les pâturages une innombrable quantité de plantes moins estimées, qui fournissent en abondance la cire propre à construire les rayons : tels sont le chou sauvage qu'on trouve partout, le grand raifort qui n'est pas plus précieux, et quelques herbes potagères, comme le rapistrum, les fleurs de la chicorée sauvage, du pavot noir, le panais sauvage, ainsi que celui que l'on cultive et que les Grecs appellent g-staphylinon. Mais, parmi toutes les plantes que j'ai proposées et celles que j'ai omises pour ménager le temps (car on n'en saurait compter le nombre), le thym est celle qui produit le miel le plus savoureux. Après le thym viennent immédiatement la sarriette, le serpolet et l'origan. Au troisième rang, mais distingués encore, se placent le romarin, la cunile indigène, qui, comme je l'ai dit, porte le nom de satureia. Le miel aura une médiocre saveur, s'il est recueilli sur les fleurs de l'amarantus, du jujubier et des autres plantes dont nous avons parlé. On regarde comme de la plus mauvaise qualité le miel des bois, parce qu'il provient du genêt et de l'arbousier; puis celui des fermes, qui est recueilli sur les plantes potagères et les herbes pourries de fumier. Après avoir fait connaître l'emplacement des pâturages propres aux abeilles et les plantes où elles peuvent butiner, je vais traiter de leur asile et de l'habitation des essaims.
De l'emplacement à donner aux ruches. V Les ruches doivent être placées de manière à recevoir le soleil durant l'hiver seulement, loin du tumulte et des lieux fréquentés par les hommes et les bestiaux, sur un point qui ne soit ni chaud ni froid : car ces deux températures sont contraires à l'abeille. On choisira le fond d'une vallée, afin que l'insecte, lorsqu'il sort à vide pour aller à la pâture, vole facilement vers les lieux élevés, et qu'il en descende sans peine avec la charge quand il y a pris les matériaux de son travail. Si ces convenances se rencontrent dans la ferme, il n'y a pas à hésiter pour y placer attenant aux bâtiments mêmes le rucher entouré de maçonnerie, mais dans un endroit qui ne soit point infecté par la mauvaise odeur qu'exhalent les latrines, les fumiers et les bains. Toutefois s'il n'est pas possible de trouver une meilleure position, il faudra bien, pourvu qu'il n'y ait pas de plus graves inconvénients, s'en contenter, parce qu'il importe surtout que le rucher soit sous l'oeil du maître. Si pourtant tout s'oppose à ce que cette dernière disposition puisse être observée, il faut au moins établir les ruchers dans une vallée voisine, où sans fatigue le propriétaire puisse descendre fréquemment : comme l'entretien des abeilles demande une très grande fidélité, et que cette qualité est infiniment rare, l'intervention du maître fera qu'elles seront moins négligées. Si les abeilles souffrent beaucoup de l'improbité du gardien, la malpropreté qui résulte de sa négligence ne leur est pas moins nuisible : on doit, en effet, détester autant la saleté que la fraude. Au reste, en quelque lieu que le rucher soit établi, il ne doit pas être entouré d'un mur trop élevé. Si la crainte des voleurs engage à lui donner une grande hauteur, on ouvrira, à trois pieds au-dessus du sol, un rang de petites fenêtres par lesquelles les abeilles puissent passer. Dans une chaumière qui y sera attenante, demeurera le gardien et sera déposé le matériel nécessaire à ce genre d'exploitation, qui devra surtout comprendre une grande quantité de ruches toutes prêtes à recevoir les nouveaux essaims, des herbes médicinales et tout ce dont on peut avoir besoin lorsque les abeilles sont malades. « Qu'un palmier on un vaste olivier sauvage protége de son ombre l'entrée de leur demeure, afin que, au retour du printemps, saison qui leur est particulièrement favorable, quand les nouveaux rois sortiront à la tête de leurs essaims, et que cette vive jeunesse s'ébattra hors de la ruche, la rive voisine leur offre un abri contre l'ardeur du soleil et l'arbre un repos sous son feuillage hospitalier. » On y conduira, s'il est possible, une source qui donne un cours d'eau qui ne tarisse jamais, si non, on construira un canal artificiel, parce que l'on ne saurait sans eau obtenir ni rayons, ni miel, ni essaims. Soit donc qu'on fournisse aux abeilles un ruisseau, comme je viens de le dire, soit de l'eau de puits dans un canal, on y disposera des amas de branchages ou des pierres, « Pour qu'elles puissent se réfugier sur ces sortes de ponts multipliés, et y étendre leurs ailes aux rayons d'un soleil d'été, si la pluie les a surprises ou dispersées, ou si le vent les a précipitées dans l'onde. » On doit planter autour du rucher des arbustes susceptibles d'un faible accroissement, mais propres surtout à entretenir la santé des abeilles : tels sont le cytise, la casse, le pin et le romarin, qui leur servent de remèdes dans leurs maladies; aussi bien que des buissons de sarriette et de thym, de la violette, et tout ce que la nature du sol permettra d'y joindre d'utile. Non seulement on écartera d'elles tout végétal à odeur forte et rebutante, mais on les préservera encore de certaines exhalaisons, telles que celles qui résultent des écrevisses brûlées et de la fange des marais. On n'évitera pas avec moins de soin les rochers creux, et ces vallées sonores que les Grecs appellent échos.
Des ruches qui méritent la préférence. VI. Après avoir convenablement disposé l'endroit où l'on peut placer des abeilles, il faut construire les ruches d'après les ressources du pays. S'il produit beaucoup de liéges, leur écorce nous fournira, sans nul doute, les ruches les plus convenables, parce qu'elle laisse moins pénétrer le froid de l'hiver et la chaleur de l'été. Si la férule est abondante, comme elle est d'une nature semblable à celle des écorces, on l'emploiera aussi avantageusement pour l'objet qui nous occupe. Dans le cas où l'on n'aurait ni l'une ni l'autre de ces matières, on ferait les ruches d'osier entrelacé. A défaut de tous ces végétaux, on emploiera des pièces de bois creusées ou des planches. Les ruches de terre cuite sont, de toutes, celles qu'on doit le moins employer, parce que les chaleurs de l'été les rendent brûlantes, et les froids de l'hiver glacées. Il y a encore deux espèces de ruches, qui sont faites ou de bouse ou de briques. C'est avec raison que Celse blâme les premières parce qu'elles sont trop sujettes au feu; et, bien qu'il approuve les secondes, il n'en dissimule pas le principal inconvénient, qui est de ne pouvoir supporter le transport quand le cas l'exige : aussi je ne pense pas comme lui que, malgré cet inconvénient, on doive faire usage de ces dernières. En effet, il n'est pas seulement contre l'intérêt du maître de posséder des ruches immobiles, quand il veut les vendre ou les transporter (considérations, il est vrai, qui n'intéressent que le père de famille); mais, ce qui doit être fait pour l'utilité des abeilles mêmes, si elles sont malades, si elles ne produisent pas, si elles ne trouvent point de pâture, c'est de pouvoir les envoyer dans une autre contrée : ce qu'oit ne peut faire quand elles sont établies dans des ruches immobiles. Il faut donc surtout éviter cet inconvénient. Aussi, malgré le respect que m'inspire l'autorité d'un homme aussi savant, n'ai-je pas caché mon opinion, toute vanité mise de côté. Effectivement, le principal motif qui touche Celse, le danger du feu et des voleurs, peut être évité en entourant les ruches d'un ouvrage en briques, propre à les protéger contre la rapine du voleur et la violence des flammes; ce qui n'empêche pas le déplacement, s'il devient nécessaire, puisque, dans ce cas, il suffit de démolir cette sorte d'enceinte.
Comment on doit placer les ruches. VII.Mais comme un grand nombre de personnes trouvent de la difficulté dans l'établissement d'un rucher, quelles que soient les ruches qu'on choisira, il sera indispensable de construire, sur toute la longueur de cette enceinte, un petit mur en pierres haut et large de trois pieds, et revêtu d'un enduit uni, afin que les lézards, les serpents ou autres animaux nuisibles ne puissent y monter. C'est sur cet appui qu'on placera, soit les ruches en briques recommandées par Celse, soit, comme nous le préférons, les ruches entourées d'une maçonnerie, excepté par derrière; soit, comme le font presque tous ceux qui s'occupent des abeilles avec quelque soin, un rang de ruches assujetties entre elles par de petites briques ou par du ciment, de façon que chacune d'elles soit renfermée entre deux cloisons étroites, et que leur face et leur derrière soient libres. En effet, il faut pouvoir ouvrir quelquefois par devant, où est l'entrée des abeilles, et plus souvent par derrière, puisque c'est par là qu'on soigne les essaims. Si les ruches ne sont point séparées entre elles par des cloisons, on les établira de manière à laisser un léger intervalle de l'une à l'autre, afin que, lors des visites qu'on en fait, celle que l'on touche n'ébranle pas celle qui lui serait adhérente, et n'écrase pas les abeilles voisines, qui redoutent toute secousse comme devant causer la ruine de leurs fragiles ouvrages de cire. Il ne faut pas établir plus de trois étages de ruches, car, ainsi superposées, le gardien ne peut déjà visiter commodément celles du dessus. Les ouvertures qui servent de portes d'entrée aux abeilles seront inclinées d'arrière en avant, afin que l'eau des pluies n'y entre pas, et que, si elle y a pénétré, elle n'y séjourne pas et trouve une pente pour s'écouler. C'est pourquoi il est à propos de placer le rucher dans des galeries couvertes, ou du moins de le couvrir de branchages enduits de mortier carthaginois : ce qui le garantit du froid, de la pluie et des grandes chaleurs. Toutefois les abeilles souffrent plus de la froidure que de l'ardeur du soleil : aussi est-il toujours bon qu'il y ait derrière les ruches quelque bâtiment qui réprime la violence de l'aquilon et leur procure une température modérée. Quoique protégé ainsi, le domicile des abeilles doit être exposé à l'orient d'hiver, afin qu'elles jouissent du soleil dès le matin à leur sortie, et soient plus disposées à s'éveiller, car le froid les rend paresseuses. Aussi les ouvertures par lesquelles elles sortent et rentrent doivent-elles être très étroites, pour qu'il y pénètre le moins de froid qu'il est possible : il suffit de leur donner une dimension convenable pour qu'elles n'admettent qu'une seule abeille à la fois. Par ce moyen, le stellion venimeux, ni l'impure famille des scarabées et des papillons, ni les cloportes ennemis de la lumière, comme dit Virgile, ne pourront, à la faveur du large passage de la porte, aller dévaster les rayons. Il est très utile aussi de pratiquer à la ruche deux ou trois ouvertures, selon sa population, et de les placer à quelque distance entre elles, pour tromper le lézard, qui, placé comme une sentinelle à la porte, avale et détruit les abeilles à mesure qu'elles se présentent. Il en périra moins quand une autre issue offrira à celles qui vont et viennent un moyen d'échapper aux embûches de l'ennemi.
De l'acquisition des abeilles, et comment on s'empare des essaims sauvages. VIII. Nous avons parlé avec assez de détails des pâturages des abeilles, de leur logement et de l'endroit où l'on doit les placer. Après avoir pourvu à ces nécessités, il faudra se procurer des essaims : or, on en obtient avec de l'argent, ou sans bourse délier. Dans le premier cas, on les examinera soigneusement d'après les renseignements que nous avons donnés, et avant de les marchander, on s'assurera en ouvrant les ruches si elles sont bien peuplées. Dans le cas où on ne pourrait pas en faire l'inspection, il faudrait considérer attentivement ce qu'on peut voir : comme l'affluence des abeilles aux portes de la ruche, et à l'intérieur un grand bruit produit par leur murmure. Au surplus, si par hasard il arrive qu'elles restent toutes silencieuses dans leur asile, on appliquera les lèvres à l'ouverture de leur porte, on soufflera dedans, et, par le frémissement qui suivra aussitôt, on pourra juger si elles sont nombreuses ou non. Il faut avoir soin de les tirer d'un pays voisin plutôt que d'une contrée éloignée, parce que communément elles souffrent du changement de climat. Si on n'est pas à portée de le faire, et qu'il faille nécessairement leur faire parcourir un long trajet, on prendra garde qu'elles ne soient troublées par les mauvais chemins : et pour leur éviter des secousses on les portera sur la tête pendant la nuit; le jour sera consacré à leur donner du repos, et on leur versera quelque liquide qui leur soit agréable et dont elles puissent se nourrir pendant leur captivité. Arrivées à destination, il ne faudra pas, s'il fait jour, ouvrir les ruches ni les mettre en place; on ne le fera que le soir, afin que ces insectes, ayant eu toute une nuit pour se reposer, puissent sortir tranquillement le lendemain au matin. Il faudra examiner, pendant trois jours environ, si elles ne sortent pas toutes ensemble : quand elles agissent ainsi, c'est qu'elles se disposent à prendre la fuite. Nous enseignerons bientôt ce qu'il faut faire pour les retenir. Quant aux abeilles que l'on a reçues en présent, ou dont on a fait la capture, il ne faut pas y regarder d'aussi près. Ce n'est pourtant pas que j'en veuille posséder qui ne soient pas de première qualité, car bonnes ou mauvaises exigent la même dépense, et les mêmes soins de la part du gardien. Ce qui est surtout très important, c'est de ne pas mêler avec des abeilles de qualité supérieure celles qui ne valent rien, parce qu'elles gâteraient les premières. On obtient une moindre récolte de miel quand l'essaim renferme une certaine quantité d'abeilles paresseuses. Cependant, comme, en raison de la nature des lieux, on peut être obligé de se contenter d'abeilles médiocres (car on ne doit jamais en conserver de mauvaises), nous ferons connaître à cet égard quel soin on doit apporter à la recherche des essaims. Là où se trouvent des bois convenables et propres à la production du miel, les abeilles s'empressent de choisir dans leur voisinage des sources d'eau pour leur usage. Vers la seconde heure du jour il convient de s'établir en cet endroit et d'examiner quelle est la quantité de celles qui viennent y boire : car si un petit nombre seulement vient y voltiger, on jugera (à moins pourtant que plusieurs courants ne les divisent et les fassent paraître moins nombreuses) que l'essaim est chétif, et l'on conclura que ce lieu n'est pas propre à produire du miel. Si, au contraire, elles s'y réunissent en grand nombre, on conçoit l'espoir le mieux fondé de découvrir des essaims. Voici comment on parvient à s'en emparer. D'abord il faut s'assurer si ces essaims sont éloignés, et pour cela on prépare un liquide rouge, et avec des brins de pailles enduits de cette couleur on touche le dos des abeilles pendant qu'elles se désaltèrent, et, restant dans le même lieu, on peut facilement reconnaître celles qui reviennent boire : si elles ne tardent pas, vous saurez que leur retraite est voisine; si, au contraire, elles ne reparaissent qu'après un certain temps, vous apprécierez par l'intervalle écoulé à quelle distance elles habitent. Si vous avez remarqué qu'elles reviennent promptement, et si vous pouvez sans peine les suivre dans le trajet de leur vol, elles vous conduiront à leur asile. Quant à celles qui vous paraîtront avoir un long chemin à parcourir, il faudra user de moyens plus ingénieux, et agir ainsi : on coupera un bout de roseau à chacune des extrémités duquel on laissera subsister un noeud, on percera ce roseau par le côté, on y introduira un peu de miel ou du vin cuit, et on le placera près de la fontaine. Ensuite, quand, attirées par l'odeur de cette douce liqueur, plusieurs abeilles seront entrées dans l'ouverture, on enlèvera le roseau, on appliquera le pouce sur le trou, et on ne laissera fuir qu'une des prisonnières. En s'échappant, celle-ci indiquera à l'observateur la direction qu'il doit prendre, et tant qu'il le pourra il la suivra dans son vol. Lorsqu'il cessera de la voir, il en laissera partir une autre, et, si elle suit la même route que la précédente, il continuera sa recherche. Dans le cas contraire, il découvrira le trou du roseau et rendra la liberté à une troisième, puis à une quatrième; il remarquera alors vers quel lieu le plus grand nombre de ces abeilles s'est dirigée, et il les suivra jusqu'à ce qu'elles l'aient conduit au lieu où sera caché l'essaim. Si c'est une caverne qui lui sert de retraite, on l'en chasse au moyen de la fumée, et, quand il en est dehors, on l'arrête en frappant sur des vases d'airain : effrayé par ce son, il va aussitôt se grouper soit sur un arbuste, soit sur la partie la plus élevée des arbres : là, dans une ruche préparée à cet effet, il est recueilli par celui qui l'a atteint, Si l'essaim est établi dans un creux d'arbre, soit dans le tronc, soit dans une de ses branches, on coupera, s'ils ne sont pas trop gros, avec une scie bien aiguisée, et pour plus de célérité, d'abord la partie supérieure à la retraite, puis la partie inférieure jusqu'à l'endroit où il paraît habité. La portion de bois coupée par en haut et par en bas doit être enveloppée dans un linge propre, car c'est encore un point fort important : on en bouche les crevasses, s'il s'y en trouve, et on l'emporte au lieu où on doit l'installer. On la place comme les ruches ordinaires, en y laissant quelques petites ouvertures, comme nous l'avons prescrit plus haut. Au reste, il faut que le chercheur d'abeilles s'y prenne de grand matin, afin qu'il puisse disposer de toute la durée du jour pour examiner leur route. En effet, il arrive fréquemment que, quand il se rend trop tard pour les observer, les abeilles, quoique voisines, ne reparaissent plus à la fontaine, parce qu'elles ont terminé leur travail : ce qui fait que le chasseur ne peut savoir à quelle distance se trouve leur retraite. Quelques personnes, au commencement du printemps, font des bottes de plantes agréables aux abeilles, et, comme dit le poète « Écrasent de la mélisse, et cueillent la tige si commune du mélinet, » et d'autres herbes du même genre, dont elles frottent assez les ruches pour que le jus de ces plantes et leur odeur s'y attachent. Après avoir essuyé ces ruches, elles y répandent un peu de miel, puis elles les placent dans les bois près d'une fontaine, et, quand un essaim s'y est établi, elles les transportent chez elles. C'est toutefois ce qu'on ne saurait faire que dans les lieux où il se trouve une grande multitude d'abeilles : car souvent les passants, trouvant ces ruches vides, les emportent, et cette perte de plusieurs ruches vides, ne peut être compensée par la prise d'un ou de deux essaims. Mais quand les abeilles sont nombreuses, on est bien dédommagé du vol, même de plusieurs ruches, par les abeilles qu'on s'est procurées. Tel est le procédé pour prendre des essaims sauvages.
Comment on surveille les essaims nés chez soi, et comment on les introduit dans les ruches. IX. Faisons maintenant connaître le moyen de retenir les essaims nés chez soi. Le gardien doit toujours soigneusement visiter le rucher. Il n'y a pas de temps où cette visite ne soit utile; mais elle doit être plus minutieuse quand les abeilles ressentent les effets du printemps et qu'elles sont gênées par l'accroissement de leur famille, qui prendra la fuite, si elle n'est pas arrêtée à temps par la surveillance de celui qui est chargé d'en prendre soin. Tel est, en effet, la nature des abeilles, que rois et peuple tout naît en même temps. Quand ils ont acquis assez de forces pour prendre leur volée, ils se dégoûtent de la cohabitation avec les vieilles abeilles et plus encore de leur commandement : car, de même que dans l'espèce raisonnable des humains, chez les animaux muets et dépourvus de raison, l'empire ne souffre point de partage. C'est pourquoi les nouveaux chefs s'avancent avec la jeunesse qui leur est dévouée et qui, s'arrêtant agglomérée à l'entrée même de sa demeure, pendant un ou deux jours, manifeste par cette sortie son désir d'occuper une habitation qui lui soit propre. Si le gardien n'a pas tardé à lui en assigner une, elle s'en contente comme si c'était son patrimoine; mais s'il a négligé de le faire, cette jeunesse, comme injustement chassée, se dirige vers une contrée qui lui est étrangère. Afin d'éviter un tel inconvénient, un bon gardien observe au printemps l'état des ruches jusqu'à la huitième heure du jour à peu près, après laquelle les nouveaux bataillons n'ont pas la témérité de se mettre en marche; il surveille aussi avec soin leurs sorties et leurs rentrées : car il y en a qui, sortant subitement, s'élancent sans nul retard au sein des airs. Il pourra connaître à l'avance si les abeilles se disposent à fuir, en approchant chaque soir son oreille de chacune des ruches; parce que, trois jours environ avant que les jeunes abeilles exécutent leur départ, il s'élève parmi elles un tumulte et un bourdonnement comparables à ceux que font entendre des soldats qui vont lever le camp. D'après ce tumulte, comme le dit très bien Virgile, « On peut prévoir les dispositions de leurs coeurs, puisqu'il semble que le retentissement belliqueux de l'airain aux sons rauques gourmande leur retard, et que l'on entend comme une voix imitant les sons saccadés des clairons. » On doit donc observer attentivement si les abeilles font entendre ces bruits, afin que, si elles marchent au combat (car elles se battent, soit entre elles comme dans les guerres civiles, soit avec d'autres ruches comme dans les guerres étrangères), ou bien si elles se précipitent pour prendre la fuite, le gardien se trouve tout prêt à prévenir l'un ou l'autre accident. On arrête les hostilités avec facilité, tant celles qui divisent un même essaim, que celles qui se sont élevées entre deux essaims ennemis; car, comme dit le même poète, « Le jet d'un peu de poussière les contient et les calme. » On calme encore la fureur dont elles sont transportées, en les aspergeant soit avec du vin miellé, soit avec du vin de raisins séchés au soleil, ou avec toute autre liqueur semblable, car elles aiment naturellement tout ce qui est doux; et on réconcilie merveilleusement ainsi deux rois divisés : car il se trouve souvent plusieurs chefs dans une même peuplade, et, comme il arrive dans les séditions suscitées par les grands, la nation se partage en factions. Il faut veiller à ce que cette calamité ne se présente pas fréquemment, parce que la guerre intestine cause la ruine de tous les États. Ainsi, quand l'accord règne entre les princes, la paix se maintient sans effusion de sang; mais, si l'on remarque de trop fréquentes batailles, on aura soin de mettre à mort les chefs des séditions. Quant aux combats engagés, on y mettra fin en usant des moyens que je viens d'indiquer. Quand l'essaim aggloméré se sera établi à peu de distance sur le rameau d'un arbrisseau en feuilles, examinez si cette troupe réunie pend en forme d'une seule grappe : ce sera le signe qu'elle n'a qu'un roi, ou que, s'il y en avait plusieurs, ils se sont réconciliés de bonne foi; vous les laisserez ainsi jusqu'à ce qu'ils volent à leur domicile. Si, au contraire, l'essaim est divisé en deux ou trois pelotes ressemblant à des mamelles, ne doutez pas qu'il y ait plusieurs chefs et qu'ils sont encore irrités. C'est dans le tas où vous verrez que les abeilles s'agglomèrent principalement, que vous devrez faire la recherche des chefs. A cet effet, frottez-vous la main avec le suc des herbes dont j'ai parlé, c'est-à-dire la mélisse ou la citronnelle, pour qu'elles se laissent toucher sans fuir, puis introduisez légèrement les doigts en écartant les abeilles, et cherchez dans ce groupe, jusqu'à ce que vous ayez découvert l'auteur de la guerre, que vous devez écraser.
Quelle est la conformation du roi des abeilles. X. Ces rois sont un peu plus gros et plus longs que les autres abeilles, leurs jambes sont plus droites, mais leurs ailes sont moins amples; ils sont d'une belle couleur, propres, sveltes, sans poils, sans aiguillon, à moins que par hasard ou ne prenne pour un dard une espèce de gros cheveu qu'ils portent à leur ventre, et dont toutefois ils ne se servent pas pour nuire. On trouve aussi quelques rois qui sont bruns et velus; mais leur extérieur doit être pour vous l'indice d'un mauvais caractère. « Car il y a deux sortes de rois comme il y a deux sortes d'abeilles... L'un se reconnaît aux taches d'or dont il est couvert, aux écailles brillantes de sa cuirasse.... et à l'éclat de sa tête; » comme il est le meilleur, c'est celui qu'on estime le plus. L'autre, c'est-à-dire le plus mauvais, semblable à un crachat dégoûtant, est hideux « Comme la poussière que chasse de son gosier desséché le voyageur qui vient de marcher dans un chemin poudreux. » Ce dernier roi, comme dit le même poète, « Traîne sans gloire un ventre dont la paresse a grossi l'obésité.» Tous les chefs qui offriront cette ignoble conformation, « Livrez-les à la mort, et ne laissez régner que le plus beau dans la cour que vous aurez ainsi purgée. » Toutefois, vous dépouillerez celui-ci de ses ailes, s'il tente trop souvent de prendre la fuite à la tête de son essaim : par ce moyen vous retiendrez dans des entraves ce chef vagabond, qui, ayant perdu les moyens de fuir, n'ose dépasser les bornes de son royaume, ni même permettre au peuple soumis à son pouvoir d'aller butiner dans des endroits trop éloignés.
Comment on remédie au défaut de population des ruches. XI. Quelquefois il devient nécessaire de tuer un chef unique lorsqu'on veut repeupler, avec un nouvel essaim, une ruche trop vieille qui ne contient pas un nombre suffisant d'abeilles. Lors donc qu'au commencement du printemps la nouvelle génération y aura pris naissance, on en tuera le nouveau roi, pour qu'elle continue d'habiter avec ses parents sans que la discorde survienne. S'il ne sort des alvéoles de cette ruche aucune progéniture, il sera bon de réunir en un seul deux ou trois essaims, qu'on aspergera d'abord de quelque douce liqueur, puis qu'on tiendra enfermés, après leur avoir procuré de la nourriture, jusqu'à ce qu'ils aient contracté l'habitude de vivre ensemble : on les gardera ainsi pendant trois jours environ, en laissant à la ruche quelques petites ouvertures pour leur donner de l'air. Quelques personnes préfèrent détruire le vieux roi, c'est un mauvais procédé : car, dans ce cas, la troupe des anciennes abeilles, qui forme une espèce de sénat, est obligée d'obéir aux jeunes, qui, se trouvant les plus fortes, punissent et mettent à mort celles qui s'obstinent à méconnaître leur commandement. Il peut cependant survenir un inconvénient de laisser au jeune essaim le roi des vieilles abeilles : car, s'il vient à mourir de vieillesse on voit naître la discorde comme à la mort d'un chef de famille. Il est facile d'y remédier ; dans les ruches qui ont plusieurs princes, on choisit un chef, et on le transporte pour le constituer roi des abeilles qui en sont dépourvues. Il n'est pas difficile, non plus, de repeupler la ruche qui a souffert de quelque épidémie : <4> car, dès que l'on a reconnu le fléau qui a causé la dépopulation, il faut examiner l'état des rayons, et couper dans la cire qui renferme les oeufs la partie où prend vie la postérité royale. Cette partie est aisée à reconnaître au premier coup d'oeil, parce qu'elle surmonte, comme le bout d'un sein, l'extrémité du rayon, et que l'ouverture de l'alvéole est plus large que celle des autres où sont déposés les enfants du peuple. Celse assure qu'il existe à l'extrémité des rayons des cavités transversales qui contiennent les embryons royaux. Hygin aussi, d'après l'autorité des Grecs, prétend que le roi ne provient pas d'un petit ver comme le commun des abeilles; mais que, dans le pourtour des rayons, on découvre des alvéoles plus grands que ceux où prend vie la race plébéienne, et qu'ils sont remplis d'une sorte d'humeur visqueuse de couleur rouge, de laquelle se forme le roi, qui est pourvu d'ailes dès sa naissance.
De la composition de l'essaim, et de la manière de prévenir sa fuite. XII. On doit gouverner ainsi qu'il suit les essaims du pays, lorsque, dans le temps dont nous avons parlé, prenant leur patrie en dégoût, et faisant une sortie, ils annoncent qu'ils vont fuir pour aller chercher une résidence lointaine. On juge qu'il en est ainsi quand on ne voit que des abeilles qui s'éloignent de leurs portes, sans qu'aucune rentre, et qu'elles s'élèvent aussitôt dans les airs. Au moyen de sonnettes d'airain ou par le bruit de têtes de poterie ramassés à terre, alors épouvantez cette jeunesse fugitive : quand dans son effroi elle aura regagné le séjour maternel, et qu'à l'entrée de la ruche elle se sera groupée en pelotons, ou qu'elle se sera portée sur des branches voisines, le gardien s'empressera de frotter avec les plantes dont j'ai parlé l'intérieur d'une nouvelle ruche qu'il aura préparée à cet effet ; il l'aspergera de quelques gouttes de miel, l'approchera; puis avec les mains ou avec une cuiller il y déposera les abeilles rassemblées; et, après avoir pris tous les autres soins nécessaires, il laissera sur la place même, jusqu'à ce que le soir survienne, la ruche disposée et frottée convenablement. Aux premières ombres du crépuscule, il la transportera et la placera parmi les autres ruches. Il faut toujours tenir prêtes des ruches vides dans le lieu où l'on élève des abeilles : car il y a des essaims qui, au moment même de leur fuite, cherchent à s'établir dans le voisinage, et prennent possession de la ruche qu'ils trouvent disponible. Voici à peu près les soins qu'il faut prendre tant pour se procurer des abeilles que pour les retenir chez soi.
Remèdes pour les maladies des abeilles. XIII Nous allons maintenant indiquer les remèdes nécessaires aux abeilles malades ou frappées par la contagion. Celle-ci est rare parmi ces insectes, et je ne trouve, en cas que cette calamité survienne, rien d'autre chose à faire que ce que j'ai prescrit pour les autres animaux de la ferme : c'est-à-dire qu'il faut transporter les ruches dans un canton éloigné. On découvre plus facilement les causes des maladies chez les abeilles que chez les autres animaux et on en trouve plus aisément le remède. Leur plus grande maladie est celle dont elles sont frappées chaque année au commencement du printemps, quand les tithymales sont en fleur et que les ormes poussent leurs graines : alors, alléchées par ces fleurs de primeur comme on l'est par du fruit nouveau, elles s'en repaissent avec l'avidité qui résulte de la disette qu'elles ont supportée pendant l'hiver, et abusent de cette nourriture, dont l'usage modéré n'est nullement nuisible. Lorsqu'elles s'en sont gorgées, elles meurent de la dysenterie, si on ne vient promptement à leur secours : en effet, la tithymale lâche le ventre, même des grands animaux; et l'orme produit particulièrement cet effet sur les abeilles. Telle est la cause de la courte existence de ces insectes en Italie, dans les contrées de laquelle l'orme est très commun. Il faut donc au commencement du printemps donner à l'abeille des aliments médicamenteux : ce régime pourra prévenir le mal, ou, s'il a paru, le guérir. Quant au remède que conseille Hygin, d'après les plus grands auteurs, comme je n'en ai pas fait l'expérience, je n'ose en garantir l'efficacité. Toutefois il sera loisible à ceux qui le voudront d'en faire l'essai. Quoi qu'il en soit, il prescrit de recueillir les corps des abeilles que l'épidémie a fait périr et que l'on trouve amoncelés sous les rayons, de les conserver pendant l'hiver dans un lieu sec, jusqu'à l'équinoxe du printemps à peu près, et, lorsque la douceur de la température le permet, de les exposer au soleil après la troisième heure et de les couvrir de cendre de figuier. Cela fait, il assure qu'en deux heures de temps, grâce à l'effet vivifiant de la chaleur, elles s'animent, reprennent leurs esprits, et gagnent la ruche préparée qu'on a mise auprès d'elles. Nous pensons qu'il est préférable de les empêcher de mourir, en administrant aux essaims malades les remèdes dont nous allons présenter la recette. On leur donnera soit des pépins de grenade écrasés et arrosés de vin Aminéen, soit des raisins secs broyés avec une égale quantité d'essence de nard et détrempés dams du vin dur. Dans le cas où chacun de ces remèdes ne produirait pas d'effet par lui-même, il faudrait les broyer tous ensemble à poids égaux, les faire bouillir dans un vase de terre avec du vin Aminéen, et quand la préparation serait refroidie, la verser dans des jattes de bois. Quelques personnes offrent aux abeilles, sur des tuiles creuses, du romarin cuit dans de l'eau miellée, après l'avoir laissé refroidir. D'autres, ainsi qu'Hygin l'affirme, mettent sous les ruches de l'urine de boeuf ou d'homme. Les abeilles sont encore sujettes à une maladie qui a des caractères non équivoques : celles qui en sont affectées deviennent ridées et dégoûtantes. Alors, tandis que les unes ne cessent de traîner hors de la ruche les corps de celles qui sont mortes, les autres, comme dans un deuil public, se tiennent chez elles, engourdies dans le silence de l'affliction. Quand cela arrive, on leur offre à manger, dans des augets de roseau, du miel cuit avec de la noix de galle ou des roses sèches pulvérisées. Il convient aussi de brûler du galbanum, dont l'odeur leur sert de médicament, et de les soutenir, dans leur état de faiblesse, avec du vin de raisins séchés au soleil ou avec du vin cuit jusqu'à réduction de moitié. Toutefois on emploie avantageusement la racine d'amelle dont la tige est jaune et la fleur pourpre : on la fait cuire dans de vieux vin Aminéen, et on en exprime le jus, que l'on donne alors aux malades. Dans le livre qu'il a écrit sur les abeilles, Hygin dit qu'Aristomaque pense qu'il faut ainsi les traiter dans leurs maladies : d'abord enlever tous les rayons altérés, renouveler en entier les aliments, et ensuite faire des fumigations. Il est aussi d'avis qu'il convient, quand les abeilles sont très vieilles, d'introduire parmi elles un jeune essaim : quoiqu'il y ait à craindre que de cette union il ne résulte des dissensions, la recrue doit pourtant amener la gaîté dans la ruche. Au reste, pour y maintenir la concorde, on détruira les rois des abeilles transférées, comme étant une population étrangère. Il est certain cependant qu'on doit introduire dans la ruche dépeuplée les rayons des essaims populeux qui sont remplis des enfants déjà grands, nouvelle famille qui, par une sorte d'adoption, fortifiera la cité. Quand on aura recours à ce moyen, on observera de ne transporter que les rayons où le couvain entrouvre sa cellule, et, dégageant sa tête, ronge la cire étendue comme un couvercle sur les alvéoles. En effet, si on déplaçait les rayons avant que le couvain fût près d'éclore, il mourrait farte de soins. Les abeilles périssent aussi d'une maladie appelée g-phagedainan(ulcère rongeur) par les Grecs. Elle est le résultat de l'habitude qu'elles ont de construire autant de rayons de cire qu'elles présument pouvoir en remplir de miel : il arrive quelquefois que, après avoir terminé ce premier travail, l'essaim s'étant répandu trop loin dans les bois pour y chercher le miel, il survient tout à coup des pluies ou des tempêtes qui font périr la majeure partie des ouvrières. Lorsque ce malheur est arrivé, le peu d'abeilles qui restent ne suffisent plus pour remplir les rayons. Alors les parties vides viennent à pourrir, et, le mal gagnant de proche en proche, le miel se corrompt et les abeilles mêmes périssent. Pour obvier à cette calamité, on doit réunir deux peuples qui puissent encore remplir la totalité des alvéoles; ou bien, si l'on ne pouvait pas se procurer un autre essaim, on enlèverait, avec un instrument bien affilé, les parties vides des rayons avant qu'elles ne soient corrompues. Il importe beaucoup de ne pas faire usage pour cette opération d'un outil émoussé, parce que, s'ouvrant difficilement passage, il dérangerait trop violemment les rayons de leur place; d'où il résulterait que les abeilles abandonneraient leur demeure. Il existe encore pour elles une cause de mortalité : c'est quand il survient trop de fleurs pendant plusieurs années consécutives, et qu'alors elles s'occupent plus de la récolte du miel que du soin de leur progéniture. Aussi quelques personnes, peu versées dans cette partie de l'économie rurale, témoignent leur joie de l'abondance de la production, ignorant que cette abondance même menace les abeilles de leur destruction, puisqu'elles périssent, pour la plus grande partie, exténuées par l'excès du travail, et que celles qui survivent ne tardent pas à mourir, faute d'être recrutées par de jeunes compagnes. Si donc, au retour du printemps, les prés et les champs se couvrent de fleurs surabondantes, il est très utile de clore les issues des ruches un jour sur trois, en ne laissant que de petites ouvertures par lesquelles les abeilles ne puissent sortir : alors, ne pouvant pas se livrer au travail du miel, puisqu'elles n'ont plus l'espoir de remplir de cette liqueur la totalité de leurs rayons, elles déposeront du couvain. Voilà à peu près les remèdes propres à la guérison des essaims frappés de maladies.
Ce que font en divers temps les abeilles, et ce que doit faire leur gardien.XIV. Voici maintenant quels sont les soins à donner aux abeilles pendant tout le cours de l'année, suivant la méthode excellente que nous a laissée le même Hygin. Depuis l'équinoxe du printemps, qui a lieu au mois de mars, vers le huit des calendes d'avril, au huitième degré du Bélier, jusqu'au lever des Pléiades, il s'écoule quarante-huit jours de printemps. Pendant ces jours, dit Hygin, les premiers soins à donner aux abeilles consistent à ouvrir les ruches pour enlever toutes les ordures qui s'y sont amassées durant l'hiver, ainsi que les araignées, qui gâtent les rayons; après quoi on enfume cet asile avec de la bouse de boeuf que l'on fait brûler : cette fumée convient parfaitement aux abeilles, en raison de la sorte de parenté qui les lie à ce quadrupède. En outre, il faut tuer ces petits vers qu'on appelle teignes, et aussi les papillons : ces insectes funestes, qui s'attachent aux rayons, tombent ordinairement si, à la bouse, on mêle de la moelle de boeuf, et qu'en la brûlant on en introduise la fumée dans la ruche. Par ce moyen, on donnera de la force aux essaims pour la durée du temps dont nous avons parlé, et ils auront plus d'ardeur pour se livrer au travail. Ce que doit surtout observer le gardien qui soigne les abeilles, c'est, s'il faut qu'il touche aux rayons, de s'abstenir la veille de tout acte vénérien, de ne pas approcher de la ruche étant ivre et sans s'être lavé, et de rejeter presque tous les aliments à odeur forte, tels que les salaisons et les jus qui en proviennent, et de ne pas exhaler l'odeur âcre et fétide de l'ail, des oignons et des autres substances de ce genre. Quarante-huit jours après l'équinoxe du printemps, au lever des Pléiades, vers le cinq des ides de mai, les essaims commencent à augmenter en force et en population ; mais à cette époque ceux qui sont peu nombreux, et qui ont des malades, sont frappés de mortalité. Dans ce même temps, il naît à l'extrémité des rayons des nymphes d'une taille très supérieure à celle des autres abeilles : quelques personnes les regardent comme les rois des ruches. Certains auteurs grecs les appellent g-oistrous(taons), parce que ces insectes tourmentent les essaims et ne leur laissent aucun repos : aussi prescrivent-ils de les mettre à mort. Depuis le lever des Pléiades jusqu'au solstice qui a lieu à la fin de juin, quand le soleil est parvenu au huitième degré de l'Écrevisse, presque toutes les ruches essaiment on doit alors les surveiller avec plus de soin, pour que la nouvelle progéniture ne prenne pas la fuite. Puis, du solstice au lever de la Canicule, période d'environ trente jours, on récolte à la fois les blés et les miels. Nous allons bientôt, lorsque nous parlerons de la préparation du miel, prescrire comment on doit procéder à son enlèvement. Au reste, c'est à cette époque, comme l'affirment Démocrite et Magon, aussi bien que Virgile, que l'on peut faire naître un essaim d'un jeune boeuf mis à mort. Magon prétend même qu'on obtient le même résultat avec les entrailles de l'animal. Je pense qu'il est superflu de se livrer à un examen approfondi de cette allégation, m'en rapportant à Celse, qui dit fort sagement que, pour parvenir à ce but, il ne faut pas faire le sacrifice d'un bétail de grand prix. Au reste, à cette époque et jusqu'à l'équinoxe d'automne, on doit tous les dix jours ouvrir les ruches et les soumettre à une fumigation, qui, bien que désagréable pour les abeilles, leur est pourtant très salutaire. Après les avoir ainsi enfumées et échauffées, il faut les rafraîchir en arrosant d'eau fraîchement tirée les parties vides de la ruche; puis, s'il est des points qu'on n'ait pu laver, les nettoyer avec des pennes d'aigle ou de tout autre oiseau de grande envergure, qui aient beaucoup de roideur. En outre, on enlèvera les teignes si on en voit, on tuera les papillons qui se fixent ordinairement dans les rayons et nuisent beaucoup aux abeilles : car ils rongent la cire, et de leurs excréments naissent ces vers que nous appelons les teignes des ruches. C'est pourquoi, s'il s'en trouve un grand nombre, quand les mauves fleurissent, on place le soir dans le rucher un vase d'airain semblable au miliaire, au fond duquel on dépose une lumière quelconque : les papillons y accourent de toutes parts et se brûlent en voltigeant autour de la flamme, parce que, le vase étant étroit d'ouverture, il ne leur est pas facile d'en sortir en volant, ni de fuir le feu, retenus qu'ils sont par les parois du vase : aussi sont-ils consumés par la vive chaleur dont ne peuvent s'éloigner. Environ cinquante jours après la Canicule, l'Arcture se lève : alors les abeilles confectionnent leur miel avec les fleurs, couvertes de rosée, du thym, de la cunile et de la sarriette. Le meilleur miel paraît être celui qu'elles font à l'équinoxe d'automne, qui a lieu avant les calendes d'octobre, lorsque le soleil touche au huitième degré de la Balance. Mais entre le lever de la Canicule et celui de l'Arcture, il faudra prendre garde que les abeilles ne soient les victimes de la fureur des frelons, qui se placent ordinairement en embuscade devant la ruche, pour se jeter sur celles qui en sortent. C'est après le lever de l'Arcture, vers l'équinoxe de la Balance, ainsi que je l'ai dit, qu'a lieu la seconde récolte des rayons. Ensuite, à partir de l'équinoxe, qui a lieu vers le huit des calendes d'octobre jusqu'au coucher des Pléiades, les abeilles recueillent, durant quarante jours, sur les fleurs du tamarix et des plantes sauvages, les miels qui doivent les sustenter pendant l'hiver. Il n'en faut rien enlever, de peur qu'affligées du tort qu'on leur fait trop souvent, elles ne se décident, dans l'état désespéré de leur position, à prendre la fuite. Depuis le coucher des Pléiades jusqu'au solstice d'hiver, qui ordinairement a lieu vers le huit des calendes de janvier, lorsque le soleil est entré au huitième degré du Capricorne, les abeilles commencent à faire usage du miel qu'elles ont amassé, et elles s'en nourrissent jusqu'au lever de l'Arcture. Je n'ignore point le sentiment d'Hipparque, qui affirme que les solstices et les équinoxes ont lieu quand le soleil arrive, non pas au huitième degré des signes du zodiaque, mais bien au premier : toutefois je préfère, dans cette Économie rurale, me conformer au système d'Eudoxe, de Méton et des anciens astronomes, qui est d'accord avec les fêtes publiques ; parce que cette ancienne computation est plus familière aux cultivateurs, et que le perfectionnement d'Hipparque n'est pas nécessaire aux paysans, dont l'instruction est, comme on dit, bornée. D'après ces observations, il conviendra, dès le premier coucher des Pléiades, de visiter les rayons, d'enlever toutes les ordures, et de redoubler de soins, parce que, durant l'hiver, il ne convient ni de remuer ni d'ouvrir les ruches. C'est pourquoi, tandis qu'il reste encore quelques jours d'automne, il faut, après les avoir nettoyés par une très belle journée; descendre les couvercles jusque sur les rayons, sans laisser aucun vide, afin que les alvéoles ainsi garantis conservent une certaine chaleur en hiver : c'est, du reste, ce que l'on doit toujours faire, même lorsque les ruches ne renferment qu'une population fort limitée. Puis on bouchera à l'extérieur toutes les fentes et les trous, au moyen de boue pétrie avec de la bouse de boeuf, et on ne laissera que les ouvertures par lesquelles passent les abeilles. Quoique les ruchers soient abrités par un avant-toit, il faudra toutefois les couvrir de chaume et de feuilles, et, autant qu'il sera possible, nous les protégerons contre le froid et les tempêtes. Certaines personnes renferment dans les ruches des oiseaux morts dont on a retiré les entrailles, et qui, pendant la rigueur de l'hiver, fournissent de la chaleur aux abeilles qui s'abritent sous la plume. A cette époque, si elles ont consommé leurs provisions, elles apaisent volontiers leur faim avec ces oiseaux, dont elles ne laissent que les os; mais, si le miel ne leur manque pas, elles laissent ces chairs intactes, et, quelqu'amies qu'elles soient de la propreté, elles ne souffrent pas de la mauvaise odeur qui s'en exhale. Nous pensons cependant qu'il est préférable, lorsque les abeilles sont affamées pendant l'hiver, de placer dans des augets, à l'entrée des ruches, soit des figues sèches écrasées et humectées, soit du vin cuit jusqu'à réduction de moitié, soit du vin de raisins séchés au soleil : on imbibera de ces liqueurs de la laine propre, afin qu'en se posant dessus, elles les sucent comme avec un siphon. On leur donnera aussi avec avantage des raisins secs que l'on humectera d'un peu d'eau après les avoir écrasés. On les sustentera avec ces aliments, non seulement pendant l'hiver, mais encore, comme je l'ai dit, dans le temps où fleurissent les tithymales et les ormes. Dans les quarante jours environ qui suivent le solstice d'hiver, les abeilles consomment toute leur provision de miel, à moins que leur gardien ne leur ait fait une part trop large. Souvent même, les alvéoles étant épuisés, elles se tiennent, affamées qu'elles sont et couchées près des rayons, engourdies à la manière des serpents, et dans cet état de repos, conservent leur existence jusqu'au lever de l'Arcture, qui a lieu aux ides de février. Toutefois, pour les empêcher de mourir, il est à propos, si la famine se prolonge, de placer à l'entrée de la ruche des liqueurs douces, et de leur faire ainsi supporter la disette de la saison jusqu'à ce que le lever de l'Arcture et le retour des hirondelles annoncent une saison plus favorable. En effet, à cette époque, quand la sérénité du jour le permet, elles s'enhardissent à sortir pour se procurer des subsistances; et depuis l'équinoxe du printemps, elles se répandent au loin sans perdre de temps, butinent sur les fleurs ce qui convient au couvain, et le transportent dans l'intérieur de leur domicile. Voilà ce qu'Hygin invite à observer avec le plus grand soin dans les diverses périodes de l'année. Au reste, Celse ajoute qu'il y a peu de localités assez heureusement situées pour offrir aux abeilles des pâturages d'hiver différents de ceux d'été. Aussi, dans les contrées où, le printemps passé, on ne trouve plus de fleurs convenables, il s'oppose à ce qu'on laisse les essaims oisifs : il veut que, dès que les pâturages de cette saison sont épuisés, on les transporte dans les lieux plus favorables, où elles puissent se nourrir de la fleur tardive du thym, de l'origan et de la sarriette. Il assure que c'est ainsi qu'on en use soit dans les cantons de l'Achaïe, d'où on transfère les abeilles, pour les y faire butiner, dans l'Attique; soit dans l'Eubée, soit dans les îles Cyclades, soit dans d'autres pays d'où on les conduit à Scyros, soit en Sicile, des divers points de laquelle on va les établir sur l'Hybla. Celse dit encore que l'abeille compose sa cire avec les fleurs, et son miel avec la rosée du matin, et que le miel acquiert une qualité d'autant plus parfaite que la cire qui le renferme a été faite d'une matière plus agréable. Au surplus, il conseille de visiter avec soin les ruches avant de les déplacer, de supprimer les rayons ou vieux, ou attaqués par les teignes, ou peu solides; de n'en réserver qu'un petit nombre des meilleurs : ainsi la plus grande partie se trouve faite avec les fleurs qui conviennent le mieux. Il prescrit aussi de ne transporter les ruches qu'on veut déplacer que durant les nuits et sans secousse.
Préparation du miel, et de la taille des rayons. XV. Le printemps passé, on fait, comme je l'ai dit, la récolte du miel, objet du travail de toute une année. On reconnaît qu'il est temps d'y procéder, quand on remarque que les bourdons sont expulsés et mis en fuite par les abeilles. Les bourdons sont d'un plus gros volume que les abeilles avec lesquelles pourtant ils ont la plus grande ressemblance; mais, comme dit Virgile, " C'est une troupe lâche, et occupant les rayons sans y faire aucun travail" ; car ils ne recueillent pas de nourriture et subsistent de celle que les ouvrières apportent. Toutefois, étendus sur les oeufs qui recèlent les jeunes abeilles, ils semblent être de quelque utilité pour la propagation de la famille. C'est pourquoi on les y admet pour couver et élever la nouvelle génération. Dès que les nymphes sont sorties des alvéoles, ils sont chassés de la ruche, et, comme dit encore Virgile, « expulsés du logis. » Quelques auteurs conseillent de les exterminer en totalité; cependant, d'accord avec Magon, je ne pense pas qu'il faille en user ainsi, mais qu'il faut mettre un terme au carnage. En effet, on ne tuera pas la race entière, de peur que les abeilles ne deviennent paresseuses : car, si les bourdons dépensent une partie de la provision, elles sont forcées de redoubler d'activité pour réparer cette perte. Il ne faut pas toutefois laisser cette multitude de parasites vivre aux dépens de la famille, dont ils dilapideraient tous les trésors qu'ils n'ont pas contribué à amasser. Ainsi, quand on verra s'élever des rixes fréquentes entre les bourdons et les abeilles, on visitera l'intérieur des ruches, afin de différer la récolte si les rayons ne sont pleins qu'à demi, ou bien pour recueillir le miel si les alvéoles, comblés de liqueur, sont fermés comme d'un couvercle de cire superposé. C'est le matin qu'il faut choisir pour tailler les rayons : il ne serait pas sans danger de troubler, dans le milieu de la chaleur du jour, les abeilles qui sont alors naturellement irritées. Pour cette opération, on a besoin de deux instruments de fer de la longueur d'un pied et demi ou un peu plus : l'un d'eux est un couteau long, à double tranchant, se terminant en forme de serpe ; l'autre ne tranche que d'un côté, qui est bien affilé : celui-ci coupera parfaitement les gâteaux; avec celui-là on ratissera et attirera toutes les ordures qui se seront détachées. Si les ruches n'ont par derrière aucune porte qu'on puisse ouvrir, on les enfumera en brûlant du galbanurn ou du fumier sec. On mettra ces substances sur des charbons ardents dans un vase de terre cuite : ce vase, pourvu d'anses, ressemble à une petite marmite; il offre un côté pointu où un trou donne passage à la fumée; l'autre côté est plus large, et présente une ouverture plus grande par laquelle on peut souffler. Quand on aura approché cette espèce de marmite de la porte de la ruche, on poussera, en soufflant dedans, la fumée vers les abeilles, qui n'en pouvant supporter l'odeur, se retireront aussitôt sur le devant de leur demeure, quelquefois même hors du vestibule; de sorte qu'on pourra facilement visiter l'intérieur de la ruche, où parfois, si elle renferme deux essaims, on trouve deux formes particulières de rayons : car, malgré la bonne intelligence où vivent les deux colonies, chacune a sa manière de façonner les gâteaux et de leur donner telle ou telle figure. Toutefois la totalité de ces gâteaux, attachés au haut des ruches et légèrement à leurs parois, est tellement suspendue qu'elle ne touche pas au parquet de leur asile, parce qu'il sert de passage aux abeilles. Au reste, la figure des gâteaux est modelée sur celle de l'emplacement qu'ils occupent. En effet, carré, arrondi ou oblong, il détermine, comme un moule, la forme des rayons : aussi n'en trouve-t-on jamais qui aient tout à fait la même figure. Quels qu'ils soient cependant, on ne les enlèvera pas tous : on en laissera la cinquième partie lors de la première récolte, pendant que les campagnes abondent encore en fleurs; et le tiers, lors de la deuxième récolte, qui se fait aux approches de l'hiver. Ces proportions ne sont pas exactement les mêmes dans les diverses contrées : elles doivent se déterminer d'après la quantité de fleurs et l'abondance du butin que trouvent les abeilles. Si les gâteaux suspendus dans la ruelle s'étendent perpendiculairement, on les taillera avec l'instrument qui ressemble au couteau, et on les recevra par dessous entre les deux bras pour les sortir; si, au contraire, ils sont disposés horizontalement, on aura recours à l'autre instrument en forme de serpe, pour opérer de face la section. Au reste, on doit enlever tous les rayons vieux ou gâtés, et n'en laisser que de bonne qualité, et qui soient remplis de miel; et si quelques-uns renfermaient du couvain, on les réserverait pour la propagation des essaims. On rassemblera toute la récolte de rayons dans le lieu où l'on voudra préparer le miel, et l'on bouchera soigneusement tous les trous des murs et des fenêtres, afin de ne laisser aucun accès aux abeilles, qui recherchent opiniâtrement la sorte de trésor qu'elles ont perdu, et qu'elles consomment quand elles viennent à le découvrir. C'est pourquoi on produira de la fumée à l'entrée de cet endroit pour repousser celles qui tenteraient d'y pénétrer. Après la taille des ruches, s'il se trouve quelques rayons qui obstruent l'entrée, on les retournera de telle sorte, que leur partie postérieure devienne à son tour la porte de l'édifice. Par ce moyen, lors de la prochaine taille, les vieux rayons seront enlevés de préférence aux nouveaux, et on renouvelle ainsi les gâteaux, qui sont d'autant moins bons qu'ils sont plus anciens. Si les ruches étaient entourées d'un mur et fixées à demeure, on aurait soin de les tailler tantôt par derrière, tantôt par devant. Ce travail doit être terminé avant la cinquième heure du jour; sinon, on le reprendra après la neuvième, ou bien le lendemain au matin. Quel que soit le nombre des rayons taillés, il importe d'extraire le jour même le miel pendant qu'il est chaud. On suspend, dans un lieu obscur, un panier de saule ou une chausse d'osier mince lâchement tissu, ayant la forme d'une borne renversée et semblable à celles qui servent à filtrer le vin. On y entasse les rayons brisés, en prenant la précaution d'enlever les parties qui contiennent du convain ou une liqueur rougeâtre : car elles ont mauvais goût et la liqueur qui en provient gâte le miel. Ensuite, lorsque le miel encore liquide aura coulé dans le vaisseau placé pour le recevoir, on le versera dans des vases de terre cuite qu'on ne laissera découverts que peu de jours, et seulement jusqu'à ce que, comme le moût, la liqueur ait jeté son écume, que l'on devra souvent enlever avec une cuiller. On soumet à la presse, après les avoir maniés, les fragments de rayons qui sont restés dans la chausse : il en découle un miel de seconde qualité, que les personnes soigneuses mettent à part, pour que par son mélange il ne détériore pas le premier dont la saveur est exquise.
Préparation de la cire. XVI. Quoique la cire soit une substance de peu de valeur, il ne faut pourtant pas la négliger, puisqu'elle sert à beaucoup d'usages. Après avoir exprimé ce qui restait dans les gâteaux, on les lave avec soin dans de l'eau douce, et on les jette dans un vase d'airain : on ajoute de l'eau pour qu'ils fondent sur le feu. Après cette opération, on verse la cire en fusion sur un tablier de paille ou de jonc ; ensuite on lui fait subir de même une seconde cuisson, et l'on fait couler le tout dans des moules de la forme qu'on désire, contenant de l'eau et d'où l'on peut facilement retirer la cire figée, parce que l'eau qui se trouve sous celle-ci ne la laisse pas adhérer aux parois. Nous avons terminé notre travail sur les animaux de la ferme et sur la nourriture qui leur convient; nous allons maintenant, Publius Silvinus, passer à ce qui nous reste à dire sur l'économie rurale, et je vais donner des préceptes en vers sur la culture des jardins, afin de satisfaire à vos désirs comme à ceux de notre cher Gallion.
AVANT-PROPOS. Recevez, Silvinus, les arrérages de la petite rente que je vous devais d'après nos stipulations ; car, par les neuf livres précédents, j'avais acquitté ma dette, à cette partie près que je remets maintenant en vos mains. Il me reste désormais à parler de l'horticulture, qui, jadis notablement négligée par les anciens agriculteurs, paraît intéresser au plus haut point ceux de notre époque. Quand, chez nos aïeux, la frugalité était poussée jusqu'à la parcimonie, les pauvres gens semblaient vivre plus à l'aise : en effet, l'abondance du laitage, la chair des bêtes fauves et des bestiaux élevés à la ferme, étaient, pour les sommités sociales comme pour les plus humbles conditions, un aliment commun, ainsi que l'eau et le froment. Mais dès que les siècles suivants, et surtout le nôtre, eurent élevé le prix des mets de luxe, et que les repas furent estimés, non d'après la satisfaction des appétits naturels, mais d'après le taux de leur dépense, la pauvreté plébéienne, ne pouvant aborder ces mets vendus au poids de l'or, fut réduite aux aliments les plus communs. C'est pourquoi je vais donner, avec plus de soin que ne l'ont fait nos devanciers, des préceptes sur la culture des jardins, parce que les fruits qu'ils produisent sont devenus de nos jours d'un usage plus général qu'ils ne l'étaient autrefois. Comme je me l'étais proposé, j'aurais écrit en prose ce livre pour le joindre aux livres précédents, si vos instances réitérées n'eussent triomphé de ma résolution, en me déterminant à mettre en vers les parties omises dans le poème des Géorgiques, travail que Virgile avait expressément déclaré laisser aux âges futurs. Certes, pour m'inspirer tant d'audace, il ne fallait rien moins que ces paroles d'un poète digne d'une si profonde vénération. Ainsi inspiré par cette sorte de divinité, tout en hésitant certainement à cause de la difficulté de l'entreprise, mais ne renonçant pas à l'espoir d'un heureux succès, j'ai abordé une matière fort légère et presque privée de corps, qui est si mince qu'elle ne pourra être comptée que comme une parcelle de notre travail dans l'accomplissement de notre oeuvre, parcelle pourtant achevée en soi et contenue dans ses justes limites, mais à laquelle, en aucune manière, on ne saurait donner une certaine consistance. En effet, quoiqu'il soit composé, pour ainsi dire, de plusieurs membres sur lesquels je pourrais parler, ils n'en sont pas moins assez exigus pour qu'on puisse leur appliquer ce proverbe grec : « On ne saurait faire une corde avec les impalpables atomes du sable. » Aussi, quel que soit ce fruit de mes veilles, je ne pousse point la prétention jusqu'à réclamer pour moi seul toute la gloire : mon seul désir est qu'il puisse figurer, sans les déparer, à côté des ouvrages des auteurs que j'ai précédemment cités. Mais il est temps de terminer cette préface.
I. Je vous enseignerai aussi, Silvinus, la culture des jardins, et ces détails que Virgile nous a laissé le soin de traiter, quand, restreint jadis dans des limites trop resserrées, il chantait la fécondité des moissons, les présents de Bacchus, et vous, grande Palès, et le miel, cet aliment digne des habitants des cieux. D'abord, qu'un champ fertile recouvert d'une couche féconde d'humus et dont la surface profondément ameublie imite la ténuité du sable, soit affecté au jardin dont on attend d'abondantes productions. Il est propre à cette destination, le terrain qui produit des herbes vigoureuses et qui, dans sa fraîcheur, donne naissance aux haies rougeâtres de l'hièble; mais on doit rejeter tout emplacement aride, aussi bien que celui qui, recouvert d'eaux stagnantes, retentit continuellement du coassement plaintif de la grenouille. Faites choix d'un sol qui produise spontanément l'orme au feuillage touffu, qui se couvre de palmiers sauvages, qui se hérisse de forêts de poiriers non cultivés, qui donne à foison les fruits pierreux du prunellier, et qui voie le pommier s'élever de son sein fécond, sans y avoir été planté ; mais ne vous fiez pas à cette terre qui produit l'ellébore et le galbanum au suc funeste, non plus qu'à celle qui voit croître l'if et qui laisse échapper des exhalaisons pernicieuses. Il n'y a rien à redouter de celle où fleurit la mandragore, cette plante dont la racine, funeste à la raison, présente une forme analogue à celle du scrotum de l'homme; où s'élèvent la triste ciguë, la férule si dure à la main qu'elle frappe, les buissons, les ronces qui déchirent les jambes, et le paliure aux épines acérées. Que des eaux courantes soient voisines de ce lieu, afin que le cultivateur endurci au travail puisse les conduire au secours de ses jardins toujours altérés; ou bien qu'une source distille son onde dans un puits peu profond, pour que la fatigue n'essouffle pas ceux qui doivent y puiser. Ce terrain sera clos, soit de murailles, soit de haies épineuses, pour le rendre inaccessible aux bestiaux et aux voleurs. Il n'est pas nécessaire de recourir aux chefs-d'oeuvre de la main de Dédale, ni à l'art de Polyclète, de Phradmon ou d'Agélade; mais que le tronc façonné d'un vieux arbre expose à la vénération le dieu Priape au membre formidable, lequel du milieu du jardin ne cessera de menacer les enfants de son phallus et les voleurs de sa faux. Allons, courage, Muses de Piérie! exposez maintenant en vers légers les principes de la culture, dans quels temps on doit confier les semences à la terre, les soins qu'elles réclament ensuite, sous quel astre commencent à éclore les fleurs, et se couvrent de boutons les rosiers de Pæstum, quand mûrissent les dons de Bacchus, et quand, enrichi d'une greffe étrangère, l'arbre perfectionné se courbe sous des fruits adoptifs. Lorsque le Chien se désaltèrera dans les ondes de l'Océan, et que le soleil rendra les jours égaux aux nuits; lorsque l'automne rassasié de fruits, secouant ses tempes, et, barbouillé de vin doux, l'exprimera des grappes écumantes, il est temps de retourner, avec une bêche au manche de chêne, la terre devenue meuble par le soin qu'on a pris de la défoncer pour qu'elle soit imbibée par les pluies. Mais si, sans avoir été travaillée, elle est endurcie par la continuation d'un ciel serein, il faut, par une pente déclive, y conduire des ruisseaux qui puissent la désaltérer et remplir ses gerçures béantes. Pourtant, si le ciel et les terrains voisins ne fournissent pas d'eau, et que la nature de la localité ou Jupiter vous refusent ce bienfait, il faut attendre l'hiver, jusqu'à ce que l'éclat dont la fille de Gnosos fut dotée par Bacchus ait disparu sous les flots azurés du pôle, et que les Atlantides redoutent le soleil se levant devant elles. Alors que, ne se croyant plus en sûreté dans l'Olympe, Phébus évite tremblant les pinces du Scorpion et son dard redoutable, et s'approche à la hâte de la croupe du cheval du Sagittaire; peuples, qui ne connaissez pas votre origine, n'épargnez pas la terre, qu'à tort vous regardez comme votre mère. Celle qui fournit l'argile de Prométhée diffère de celle qui nous engendra, dans le temps où l'inexorable Neptune engloutit le monde sous les flots, et, par l'ébranlement des gouffres profonds, porta la terre jusqu'aux rivages du Léthé. C'est alors que le Tartare vit une fois trembler le monarque du Styx, lorsque, sous le poids des eaux de la mer, les Mânes jetèrent des cris d'effroi. Une main féconde nous donna le jour sur ce globe veuf de mortels; les pierres arrachées des hautes montagnes par Deucalion nous engendrèrent; aussi êtes-vous appelés au travail le plus dur, et qui doit n'avoir de terme que l'instant où vous cesserez de vivre. Allons! repoussez le sommeil qui vous paralyse, et avec le soc à la dent recourbée, arrachez la verte chevelure de la terre, mettez en pièces ses vêtements. Que l'un avec de lourds râteaux sillonne sa surface nonchalante à produire; que l'autre, sans retard, lui arrache les entrailles à l'aide des larges hoyaux, et les mêle en abondance avec le gazon qui la recouvre : là, ces viscères resteront exposés aux blancs frimas qui les brûleront aux coups de vents glacés, au courroux de Caurus; le cruel Borée les resserrera, puis l'Eurus en opérera la dissolution. Ensuite, lorsque le doux Zéphire aura, des feux de son souffle, dissipé l'engourdissement des froids qu'avaient amenés les brouillards du Riphée, que la Lyre descendra du pôle céleste dans la profondeur des mers, et que posée sur son nid l'hirondelle chantera l'arrivée du printemps : rassasiez alors la terre, après son jeûne, avec de la marne grasse, avec le crottin frais de l'âne, avec le fumier du gros bétail. Que le jardinier, chargé de paniers qui se rompent sous le poids, n'ait pas honte de donner pour aliment au sol fatigué les ordures que les latrines vomissent de leurs immondes cloaques. Qu'armé de la double dent de la houe, il retourne de nouveau la terre précédemment ameublie, mais dont la surface s'est depuis condensée par les pluies et durcie par les gelées; et qu'ensuite, sans tarder, il broie avec la marre ou les dents du hoyau la glèbe et les plantes vivaces qu'elle recèle, afin que le sol mûri ouvre un sein plus moelleux. Qu'il saisisse aussi les sarcloirs que le frottement de la terre a rendus luisants, et qu'après avoir tracé des sillons rapprochés perpendiculaires aux allées, il sépare encore ces sillons par des sentiers étroits. Mais, dès que la terre, embellie par cette distribution et brillant d'une parure nouvelle, demande à être ensemencée, confiez-lui, comme autant d'astres terrestres, diverses espèces de fleurs, telles que la blanche giroflée, le souci au jaune éclatant, la narcisse aux feuilles effilées, le muflier offrant la gueule ente ouverte du lion féroce, le lis dont la blanche corolle fait ressortir le vert feuillage, et les jacinthes tant blanches que bleues.
101. Semez aussi la violette pâlissant sur le sol, le violier dont les rameaux s'empourprent d'or, et la rose qu'embellit l'excès de sa pudeur. N'oubliez pas le panax au suc médicinal, le glaucium dont le jus est salutaire, et les pavots qui enchaînent le sommeil fugitif; non plus que les semences aphrodisiaques du bulbe de Mégare, qui enflamme les hommes et anime les jeunes filles, et ces plantes que le Gétule cueille sèches sous ses gazons, la roquette que l'on sème près de la statue du fécond Priape, pour exciter au culte de Vénus les maris indolents. Semez alors le cerfeuil au léger feuillage, la chicorée agréable aux palais émoussés, la jeune laitue aux tendres feuilles, l'ail aux gousses divisées, l'ulpique exhalant au loin son odeur, et ces fournitures dont un habile cuisinier assaisonne ses fèves. Semez le chervis, et cette racine provenant d'une graine d'Assyrie, et qui, coupée par tranches, s'unit aux lupins bouillis pour exciter à boire la bière de Péluse. C'est dans le même temps que l'on plante le câprier dont ou confit les boutons à peu de frais, la triste année, et les menaçantes férules; la menthe aux rameaux diffus, l'aneth dont les fleurs répandent au loin leur agréable odeur, la rue qui triomphe de la saveur du fruit de Pallas, la moutarde qui fait couler les pleurs de ceux qui en usera sans discernement, la racine brune du macéron, l'oignon qui provoque les larmes, le passerage qu'on emploie à relever la saveur du lait, et dont le nom grec annonce sa propriété de faire disparaître la flétrissure imprimée sur le front des esclaves fugitifs. Alors on sème aussi les choux qui, abondant sur toute la surface du globe, n'y verdissent pas moins pour le monarque superbe que pour le plébéien, et donnent leurs tiges en hiver et leurs tendrons au printemps : tant celui que l'antique Cumes voit naître au milieu de ses plants d'oignons, que ceux qui sont cultivés par les Marrucins, et par Signia sur le mont Lepin, et par la fertile Capoue, et dans les jardins des gorges de Caudium, et près de Stabies, célèbre par ses fontaines, et dans les champs du Vésuve, et sur les bords des ondes dont le Sebetus arrose la savante Parthénope, et sur les marais de Pornpéia, dans le voisinage des salines d'Hercule, et aux lieux où le Siler roule ses eaux limpides comme le verre; et par les durs Sabelliens qui en recueillent les tiges couvertes de plusieurs rejetons, et sur le lac de Turnus, el dans les champs où Tibur se couvre d'arbres fruitiers, et dans le territoire des Brutiens, et par Aricie d'où nous est venu le poireau. Aussitôt que nous aurons confié ces semences à la terre ameublie, nous lui prodiguerons pendant sa gestation tous les soins de la culture, afin que ses productions nous payent largement les intérêts de nos dépenses. Je recommande avant tout de s'assurer de larges sources d'eau, pour que les jeunes plantes, quand elles lèvent, ne périssent pas desséchées par la soif. Lorsque la terre, près d'enfanter, se dilatera en relâchant les liens qui la resserrent, lorsqu'une lignée florissante pullulera dans le sein maternel, le jardinier soigneux procurera par l'arrosement une légère pluie aux primeurs de la jeune plante; il la serfouira avec un instrument de fer à deux dents, et exterminera dans les sillons l'herbe qui les étouffe. Si votre jardin occupe des coteaux buissonneux, et qu'il n'y arrive pas de ruisseaux des bois qui le dominent, élevez vos planches par l'amoncellement des mottes de terre en forme de rempart, afin que vos plantes s'accoutument à vivre dans un sol poudreux et sec, et que, lorsqu'on les déplacera, elles n'éprouvent pas d'aversion pour l'aridité des chaleurs. Bientôt après, lorsque ce prince des constellations et des troupeaux qui fit traverser les mers à Phryxus, protégé par une nue, et qui ne put les faire passer à Hellé, élèvera la tête au-dessus des ondes, la terre propice ouvrira son sein, réclamera de productives semences, témoignera le désir de se marier aux plantes qu'on lui aura confiées. Veillez alors, jardiniers! car le temps fuit d'un pas tacite, et l'année passe sans bruit. La mère la plus tendre appelle ses enfants, demande à nourrir les fruits de ses entrailles, et prie qu'on lui donne aussi des enfants étrangers. Alors livrez à la mère les gages de sa tendresse, il en est temps; couronnez-la de sa verte progéniture, disposez l'ornement de sa tête, mettez en ordre sa chevelure. Qu'alors le sol florissant se hérisse de l'ache verdoyante; qu'il se réjouisse en contemplant les longs cheveux de la cime du poireau; que le panais ombrage son tendre sein. Que dès lors les plantes odoriférantes, présent de l'étranger, descendent des sommets siciliens de l'IHybla où croît le safran; que du joyeux Canope arrivent les marjolaines qu'il produit; que l'on plante cette myrrhe qui imite vos larmes, ô fille de Cinyre, et celle de l'arbuste de l'Achaïe, d'où découle une substance préférable à la myrrhe elle-même. Que le jardinier dispose les semis qu'il a faits, tels que ces fleurs qui doivent leur naissance au sang déplorable du fils d'Émus après son injuste condamnation, et les immortelles amarantes, et ces végétaux que la riche nature décore de mille couleurs. Qu'alors arrive le coramble, quoiqu'il soit ennemi des yeux. Qu'on s'empresse d'admettre les laitues qui nous calment par un sommeil salutaire, propre à guérir les affligeants dégoûts qui suivent les longues maladies : l'une touffue est verte, l'autre se distingue par sa brune chevelure; toutes deux portent le nom de Cécilius Metellus; une troisième, dont la tête pâlit, épaisse et pure, conserve le nom de la Cappadoce; et la mienne, que Gadès engendre sur le rivage de Tartessus, blanche dans ses feuilles frisées, l'est aussi dans son thyrse. N'oublions pas celle que Chypre nourrit dans les grasses campagnes de Paphos : sa chevelure rouge est bien disposée, et sa tige a la couleur du lait. Les temps propices à l'ensemencement de la laitue sont aussi nombreux que les variétés de cette plante : le Verseau plante la cécilienne au commencement de l'année ; la cappadocienne est mise en terre par le luperque dans le mois où l'on sacrifie aux morts. Toi, Mars, cultive, lors de tes calendes, la laitue de Tartessus; et toi, Vénus, c'est aux tiennes que tu t'occuperas de celle de Paphos : alors elle aspire à s'unir à sa mère qui est pressée du même désir; alors cette tendre mère laisse facilement pénétrer la surface qui la recouvre. Multipliez! voici pour l'univers les temps propices à la génération! voici l'Amour qui redouble l'ardeur de ses feux ! voici l'âme du monde qui se précipite dans les voluptés de Vénus, et qui, enflammée sous les traits de Cupidon, brûle pour toutes ses parties et les remplit de ses enfants.
200. Alors le dieu des mers, alors le roi des ondes s'unissent, l'un à Téthys, l'autre à Amphitrite. Déjà les deux déesses, donnant à leurs époux des enfants azurés, couvrent les mers de ces familles nageantes. Déjà le plus grand des dieux, l'artificieux Jupiter, déposant son foudre, se rappelle ses anciennes amours avec la fille d'Acrise, et, dans le sein de sa mère, verse de larges pluies. Cette mère, non plus, ne dédaigne pas l'ardeur de son fils, et, bien loin de là, la terre, enflammée de désirs, se livre à ses caresses. Aussi, et les mers et les monts, et l'univers entier ressentent l'influence du printemps. Aussi les désirs et l'amour brûlent au coeur des mortels, des quadrupèdes et des oiseaux : ils embrasent la moelle même de leurs os, jusqu'à ce que Vénus, rassasiée de bonheur, ait fécondé leurs flancs, engendré de nouvelles familles, et repeuplé sans cesse d'une lignée renaissante ce monde qui, bientôt vide, périrait dans l'engourdissement des âges. Mais pourquoi ai-je l'audace de souffrir que mes coursiers, dans leur essor effréné, prennent leur vol à travers l'air, enlevés dans des sentiers sublimes? Que celui-là qu'inspire un dieu plus puissant que le mien, et qu'encourage le laurier de Delphes, chante l'origine des choses, la main qui donne le mouvement aux oeuvres sacrées de la nature, et les lois secrètes des cieux ! Que Cybèle excite un poète dans les champs de Dindyme; qu'il s'élance à travers le Cythéron, sur les monts de Nysa consacrés à Bacchus, qu'il gravisse son Parnasse chéri, qu'il se complaise dans le silence favorable des forêts du Piérius, et que, d'une voix semblable à celle du dieu du vin, il répète en frémissant : Dieu de Délos, salut! Salut aussi, Bacchus! Ma Calliope me rappelle vers une entreprise plus simple; elle me prescrit de parcourir un cercle plus étroit et de faire sous son inspiration des vers dont le léger tissu, embelli par Euterpe, soit chanté pendant le travail par le vigneron suspendu aux arbres pour tailler les vignes qu'ils supportent, et le jardinier qui cultive les légumes de ses jardins verdoyants. Passons donc maintenant à de nouveaux enseignements. Que l'on distribue, sur les aires que sépare un étroit intervalle, le cresson alénois, funeste aux vers qui séjournent dans les intestins des personnes dont l'estomac élabore mal les aliments, et la sarriette qui rappelle la saveur du thym et de la thymbra, et le tendre concombre, et le potiron fragile. Que l'on plante l'artichaut hérissé de pointes qui plaît à Bacchus lorsqu'il boit, et qui déplaît à Phébus quand il chante : tantôt il s'élève disposé en corymbe pourpré, tantôt sa chevelure verdoie comme le myrte; tantôt son front s'incline sous ses écailles entr'ouvertes; tantôt, comme le pin, il offre une tête piquante; tantôt il présente la forme d'une corbeille, et se montre hérissé d'aiguillons menaçants ; quelquefois il est pâle et imite les courbures des feuilles d'acanthe, Lorsque le grenadier dont la capsule, en devenant vermeille, annonce que ses grains s'adoucissent, se couvre de fleurs rouges comme le sang, il est temps de semer la serpentaire : alors naissent les coriandres fameuses, les nielles qui se plaisent près du léger cumin, le turion de l'asperge sortant de ses tiges épineuses, la malache dont la fleur qui penche se tourne vers le soleil, la plante audacieuse qui imite la vigne de Bacchus et brave les buissons: car la bryone s'élève audacieusement au milieu des épines du poirier sauvage, et s'enlace aux aunes superbes. Comme la seconde lettre de l'alphabet grec est tracée sur les tablettes enduites de cire par le stylet d'un maître savant, de même on enfonce dans un sol gras, à l'aide du plantoir ferré, la bette au vert feuillage, à la tige blanche. La récolte des fleurs odorantes approche; déjà le printemps revêt sa robe de pourpre; déjà la terre féconde se couronne avec joie des productions de diverses couleurs que fait naître l'année. Déjà le lotier phrygien développe ses fleurs brillantes, les violiers ouvrent leurs yeux clignotants, le lion offre sa gueule béante, et, modeste en sa rougeur ingénue, la rose, découvrant ses joues virginales, rend honneur aux dieux et s'unit dans leurs temples aux parfums de la Sabée. Maintenant je vous implore, Achéloïdes compagnes des Muses, Dryades qui dansez sur le Ménale, Nymphes Napées, vous qui habitez les forêts d'Amphryse, la vallée du Tempé thessalien, les sommets du Cyllène, les champs ombragés du Lycée, les grottes toujours humides des infiltrations de la fontaine Castalie ; et vous, qui dans la Sicile cueilliez les fleurs qui naissent sur les bords du fleuve Halesus, quand la fille de Cérès, occupée de vos danses, mettait en bouquets les lis printaniers des campagnes d'Enna, puis, victime d'un rapt, et bientôt devenue l'épouse du monarque du Léthé, préféra les tristes ombres à l'aspect des astres, et le tartare aux cieux, Pluton à Jupiter, la mort à la vie, et, sous le nom de Proserpine, monta au trône des enfers ! Vous aussi, écartez le deuil, la crainte et l'abattement : tournez vers ces lieux vos pieds délicats et légers, et déposez dans les corbeilles sacrées les fruits dont la terre s'est couronnée. Ici, les Nymphes n'ont à redouter aucune embûche, nul enlèvement ne les menace : nous honorons la chaste bonne foi et vénérons nos saints pénates. Tout ici respire les jeux : on y rit sans contrainte, le vin y coule à flots, et les banquets s'y célèbrent sur les tapis verdoyants des joyeuses prairies. Déjà le printemps dissipe les frimas; l'année se développe dans toute sa douceur: c'est maintenant que Phébus, dans sa jeunesse, nous invite à nous étendre sur l'herbe moelleuse, et que l'on peut goûter le plaisir de se désaltérer dans l'onde qui n'est plus glacée, qui n'est pas chaude encore, et qui murmure en fuyant à travers les gazons. Déjà le jardin se couronne des fleurs chères à Vénus; déjà la rose s'entrouvre, plus éclatante que la pourpre de Sarra. Oui, les jardins, grâce aux productions éclatantes qui les embellissent, brillent plus que la fille de Latone, Phébé, montrant la pourpre de son visage radieux, quand Borée a dispersé Ies nuages, plus que Sirius enflammé, plus que le rouge Pyroïs, plus qu'Hespérus à la face resplendissante, quand Lucifer reparaît au lever de l'aurore; plus qu'Iris déployant son arc dans les cieux. Allons! soit que la nuit à son déclin fuie devant la lumière naissante, soit que Phébus plonge ses coursiers dans la mer d'Ibérie, cueillez la marjolaine qui couvre le sol de son ombrage odorant, le narcisse aux feuilles effilées, et le stérile balauste. Et toi, pour qu'Alexis ne méprise pas les présents de Corydon, toi, Naïade plus belle que ce bel enfant, comble de violettes ta corbeille, lie en bouquets les noirs ligustres, et le baume, et la cannelle, arrose les fleurs du crocus avec la liqueur pure de Bacchus, car Bacchus conserve les parfums.
303. Et vous, villageois, qui avec votre pouce endurci cueillez les tendres fleurs, entassez les jacinthes bleuâtres dans le blanc tissu de vos corbeilles d'osier; que les roses distendent le tissu du jonc entortillé, et que les soucis brillants comme la flamme fassent rompre les corbeilles comblées, afin que Vertumne regorge de ces productions printanières qui font sa richesse, et que, d'un pas que ses nombreuses libations ont rendu chancelant, le jardinier revienne de la ville, ses poches gonflées d'argent. Mais lorsque les épis jaunissants annonceront que la moisson est mûre; lorsque le soleil, dans le signe des Gémeaux, aura reculé les limites du jour et aura absorbé dans ses rayons les pattes de l'Écrevisse de Lerne, unissez l'ail à l'oignon, le pavot comestible à l'aneth, et, pendant qu'ils sont verts encore, formez-en des bottes pour les emporter; puis, quand vous aurez vendu ces marchandises, chantez les louanges de la Fortune, et retournez en hâte vers vos jardins joyeux. Foulez alors et comprimez sous le poids de lourds cylindres le basilic que vous aurez semé dans une jachère bien ameublie, puis soigneusement arrosée, pour empêcher que la chaleur de ce sol poudreux ne brûle les grailles, ou pour les préserver de la dent des pucerons, qui ne manqueraient pas de s'y glisser, et de la dévastation que pourraient exercer les fourmis rapaces. Non seulement le limaçon enveloppé dans sa coque, et la chenille velue osent ronger les jeunes pousses des plantes; mais il arrive encore, lorsque le chou jaunissant gonfle sa tête vigoureuse, que les pâles tiges de la bette ont acquis tout leur développement, qu'au moment où le jardinier se croyait en sûreté devant ses productions parvenues à leur accroissement, et que, les trouvant mûres, il va les recueillir, le cruel Jupiter darde la grêle, qui détruit sous ses coups le travail de l'homme et des boeufs; souvent même le dieu lance la peste dans des averses énormes qui donnent naissance à des insectes ailés funestes à la vigne et aux verdâtres saussaies : alors les jardins sont envahis par les chenilles rampant à leur surface et brûlant de leur morsure les jeunes semis qui, privés de leur chevelure et la tête dépouillée de tout feuillage, gisent mutilés et consumés par un poison funeste. C'est par des expériences nombreuses jointes au travail que les malheureux cultivateurs parviennent à se soustraire à de semblables fléaux, et l'usage, ce grand maître, leur apprit à calmer la fureur des vents et à détourner les tempêtes par des sacrifices toscans. De là vient que pour fléchir la malfaisante Rubigo et l'empêcher de brûler les blés en herbe, on lui offre le sang et les entrailles d'un jeune chien tétant encore sa mère. De là vient que le Tyrrhénien Tagès attacha sur la limite de son champ la tête écorchée d'un ânon d'Arcadie, et que Tarchon, pour se mettre à l'abri des foudres du grand Jupiter, entoura souvent son habitation de blanches couleuvrées. De là vient que Mélampe, à qui Chiron enseigna tant de secrets, suspendit à des croix de nocturnes oiseaux, pour que le faite de son toit ne retentît plus de leurs cris funèbres. Pour empêcher que des animaux nuisibles ne dévastent les nouveaux ensemencements, on s'est parfois bien trouvé de tremper les graines dans la lie grasse des fruits de l'arbre de Pallas, extraite sans sel, ou de les saturer de la suie qui noircit le foyer domestique. Il a encore été utile de verser sur les plantes le jus amer du marrube, ou de les enduire du suc dont abonde le sédum. Mais si aucun de ces préservatifs ne peut garantir de ce fléau, on aura recours à l'art de Dardanus, et l'on conduira trois fois autour des planches du jardin et de la haie qui l'entoure, une femme, les pieds nus, le sein découvert, les cheveux épars en signe de tristesse, dans le temps que, soumise aux lois ordinaires de la jeunesse, elle perdra avec pudeur un sang impur. Lorsqu'elle aura en marchant parcouru cet espace, spectacle étonnant ! alors, comme on voit tomber des arbres qu'on secoue une grêle de pommes arrondies ou de glands recouverts de leur enveloppe, la chenille se tortillant le corps roule à terre. Ainsi jadis Iolcos vit tomber de la toison de Phryxus le dragon endormi par des chants magiques. Mais le temps est venu de couper les primeurs, d'arracher les thyrses de la laitue de Tartessus et de Paphos, de lier en bottes le persil et le poireau aux feuilles effilées. Déjà se montre dans les jardins féconds la roquette aphrodisiaque; déjà la patience diurétique, déjà les nerpruns verdissent spontanément; déjà paraît la scille, la haie se hérisse des aiguillons du houx; l'asperge sauvage, qui ressemble parfaitement à l'asperge cultivée, sort de terre; le pourpier humide protège les bordures contre la sécheresse, et le haricot à la longue cosse s'élance funeste à l'arroche. Alors, tantôt pendant aux treilles, tantôt semblable au reptile qui, durant l'ardeur du soleil, se glisse sous l'ombre fraîche des herbes, le concombre tortueux et la courge au ventre arrondi rampent sur le sol. Ces plantes se présentent sous un seul aspect : si vous désirez des courges allongées et qui soient suspendues par le sommet grêle de leur tête, recueillez-en la graine à l'endroit du col le plus resserré; si vous les voulez rondes et présentant un ventre développé, prenez les pépins du centre : ils vous produiront des fruits très amples propres à conserver ou la poix de Narycium, ou le miel que l'Attique tire du mont Hymette, propres aussi à faire des petits seaux pour l'eau ou des vases pour le vin. Les enfants pourront aussi s'en servir pour apprendre à nager dans les fleuves. Quant au concombre livide, naissant avec un gros ventre, couvert d'aspérités, et comme le serpent se cachant sous son noueux feuillage, il gît sur son ventre courbé, toujours ramassé en rond, et pernicieux, il rend plus aiguës les maladies produites par les chaleurs excessives de l'été. En effet, son suc est fétide, et il recèle des semences visqueuses. Pour celui qui de la treille se traîne vers l'eau courante, et, la suivant dans son cours, semble exténué par l'excès de son amour pour elle, blanc et plus tremblant que le pis d'une truie qui vient de mettre bas, souvent plus mou que le lait coagulé au moment où on le verse dans les formes, il deviendra doux, prendra la couleur du safran sur un sol arrosé, et pourra un jour venir au secours des mortels malades.
400. Lorsque le chien d'Erigone, embrasé des feux d'Hypérion, montre les fruits des arbres, que la blanche corbeille comblée de mûres se rougit de leur sang, et que la figue précoce tombe du figuier qui produit deux fois dans l'année, on entasse dans les paniers les abricots, les prunes couleur de cire, celle de Damas, et ces fruits que la Perse barbare nous avait envoyés, dit-on, armés du venin natal, mais qui, devenus inoffensifs, donnent aujourd'hui leur suc d'ambroisie qui ne fait plus redouter la crainte de la mort. Les persiques, ainsi nominées du nom de la contrée qui les produit et dont le volume est peu considérable, sont précoces, tandis que les fruits qu'envoie la Gaule, beaucoup plus gros, mûrissent dans leur saison ; pour ceux qui nous viennent d'Asie, ils sont tardifs et ne peuvent être mangés qu'à l'époque des froids. Sous la constellation de l'Arcture funeste, l'arbre de Livie donne ses figues, émules de celles de Chalcis, de Caunus et de Chio; alors paraissent aussi les chélidonies pourprées, les grasses marisques, la callistruthe fière de ses graines de couleur de roses, la blanche qui garde le nom de la cire jaunissante, la libyque gercée, et la lydienne à la peau nuancée. Au surplus, après la solennisation des fêtes de Vulcain, quand les nuages commencent à reparaître et que les eaux du ciel sont encore suspendues, on sème la rave que Nurcia nous envoie de ses champs fameux, et les navets apportés des plaines d'Amiterne. Mais déjà Bacchus inquiet nous appelle pour cueillir ses grappes mûries, et nous ordonne de fermer les jardins cultivés. Fermons-les donc, et, villageois dociles à tes ordres, bienfaisant Iacchus, nous allons avec joie recueillir tes présents, au milieu des Satyres pétulants et des Pans à la double forme, agitant leurs bras que le vin vieux a rendus languissants. Ensuite nous te chanterons en invoquant ta paternité sous nos toits, et comme Ménalien, et comme Bacchus, et comme Lycé, et comme Lénée, afin que les cuves fermentent, et que, remplis d'une grande abondance de falerne, les tonneaux écumants épurent le moût encore épais. Jusqu'ici, Silvinus, j'ai enseigné la culture des champs, rappelant les préceptes de Virgile, ce poète divin, qui le premier osant ouvrir les sources antiques, chanta dans les cités romaines les vers du vieillard d'Ascra.
Ce qui doit être fait dans la ferme par l'homme préposé à son exploitation.
I. CLAUDIUS AUGUSTALIS, jeune homme aussi modeste que savant, formé par la fréquentation des gens d'étude et surtout des agriculteurs, m'a déterminé à traiter en prose la culture des jardins. A la vérité, je ne me dissimulais pas, lorsque j'assujettissais cette matière aux lois de la poésie, que je serais obligé d'en venir là;mais je n'avais pas la force, Publius Silvinus, de vous refuser quand vous me demandiez avec tant d'instance cet échantillon de ma muse, prêt à entreprendre bientôt, si je trouvais la chose convenable, la tâche que je m'impose aujourd'hui, et qui consiste à joindre les devoirs du jardinier à ceux du fermier. Quoique, dans le premier livre de mon Économie rurale, je parusse avoir jusqu'à un certain point traité le premier de ces objets, notre cher Augustalis m'ayant souvent témoigné le désir de me voir parler du jardinage, j'ai dû dépasser le nombre de volumes que semblait devoir renfermer cet ouvrage, et j'ai publié ce onzième livre d'agriculture. Il convient de préposer à l'exploitation et à son personnel un métayer d'un âge moyen : car les esclaves ne méprisent pas moins un jeune apprenti qu'un vieillard, parce que l'un ne connaît pas encore les travaux des champs, et que l'autre est dans l'impuissance de les exécuter; et que la jeunesse rend celui-là négligent, comme la vieillesse rend celui-ci nonchalant. C'est donc l'âge moyen qui convient le mieux pour cet emploi : les agriculteurs seront assez robustes pour leurs travaux, s'ils ont de trente à soixante ans, pourvu qu'ils ne soient pas affectés d'infirmités prématurées. Quel que soit l'homme auquel sera destiné ce service, il doit être à la fois très instruit et très robuste, afin de pouvoir faire part de ses connaissances à ses subordonnés, et sans difficulté exécuter par lui- même ce qu'il prescrit. En effet, rien sans l'exemple ne peut être convenablement enseigné ou appris, et il vaut mieux que le métayer soit le maître que le disciple de ses ouvriers, puisque Caton, le modèle des moeurs antiques, a dit, en parlant du père de famille : « Le maître qui reçoit ses instructions de son fermier ne saurait prospérer. » C'est pourquoi, dans l'Économique de Xénophon, que M. Cicéron a traduit en latin, on lit que Socrate, ayant demandé à l'Athénien Ischomaque, homme distingué, si, dans le cas où ses affaires domestiques l'exigeaient, il avait l'habitude d'acheter pour fermier un ouvrier tout formé ou de l'instruire lui-même, celui-ci répondit : « Je le forme moi-même. Effectivement celui qui, dans mon absence, doit me remplacer et se trouve substitué à la surveillance que j'exerce, doit savoir les mêmes choses que moi. » Cette doctrine est bien ancienne à la vérité; elle appartient au temps même où cet Ischomaque disait que personne ne devait ignorer l'agriculture. Quant à nous, qui ne pouvons nous dissimuler notre ignorance, nous devons placer des jeunes gens doués de capacité et robustes de corps sous la conduite d'agriculteurs éclairés, dont les enseignements inculqueront à un au moins entre plusieurs (car instruire les autres est chose difficile) non seulement l'art de la culture, mais encore celui de commander : en effet, ou voit des gens qui, très habiles ouvriers, nuisent cependant aux intérêts du propriétaire en raison de leur impéritie pour donner des ordres : ce qu'ils font avec trop de rigueur ou trop de mollesse. C'est pourquoi, comme je l'ai dit, l'homme dont on veut faire un métayer doit avoir reçu l'instruction convenable, avoir été dès l'enfance endurci aux travaux de la campagne, et avoir été soumis d'abord à des épreuves multipliées, afin qu'on puisse s'assurer si non seulement il connaît l'agriculture, mais encore s'il a de la probité et s'il prend à coeur les intérêts du maître : qualités sans lesquelles l'instruction du fermier, si éminente qu'elle soit, serait sans utilité. Son principal devoir dans son emploi est de bien apprécier quelles sont les obligations et les travaux à imposer à chaque ouvrier : car le plus robuste ne peut pas exécuter ce qu'on lui ordonne s'il ne connaît la besogne dont on le charge, ni le plus habile, s'il n'a pas la force nécessaire au travail qu'on lui prescrit. En effet, quelques opérations n'exigent que de la force, comme le déplacement et le transport des fardeaux; d'autres demandent l'association de la force et de l'art, comme lorsqu'il s'agit de bêcher, de labourer, de scier les céréales et de faucher les herbes; quelques autres requièrent moins de force que d'art, telles sont la taille et la greffe des vignobles; certaines même réclament la science avant tout, comme l'éducation des bestiaux et la médecine vétérinaire. Ainsi que je l'ai déjà dit, le métayer ne saurait être bon appréciateur de ces choses, s'il n'est assez instruit pour remédier en chaque partie à ce qui a été mal exécuté; et il ne suffit même pas qu'il reprenne celui qui est en faute, il doit enseigner la manière de bien faire. Aussi je n'hésite pas à me répéter : le futur métayer doit recevoir autant d'instruction que celui qui se destine à être potier ou artisan. J'ai peine à le dire, chacun de ces métiers est d'autant plus facile à apprendre qu'il se subdivise en moins de branches ; tandis que les parties de l'agriculture sont si étendues et si multipliées, que nous pourrions à peine les énumérer, si nous voulions en faire le recensement. C'est pourquoi je ne saurais assez témoigner mon étonnement à propos de ce dont je me suis plaint avec raison dans le premier livre de mon ouvrage. Il se trouve des professeurs excellents pour les arts les moins nécessaires à la vie, et l'on ne voit pour l'agriculture ni maîtres ni élèves. L'étendue de la matière épouvanterait-elle ceux qui voudraient professer ou étudier cette science presque universelle? Cependant une honteuse défiance de soi-même n'est pas un motif suffisant pour la négliger : car on n'abandonne pas l'art oratoire, parce qu'on n'a nulle part rencontré d'orateur parfait, ni les cours de philosophie, parce que nul homme ne possède une sagesse consommée; puisqu'au contraire plusieurs personnes s'encouragent elles-mêmes à se borner à quelques parties de ces sciences, ne pouvant les posséder dans leur entier. Est-il raisonnable de se taire, parce qu'on ne peut devenir un orateur parfait, ou de s'engourdir dans l'abnégation de soi-même, parce qu'on ne peut espérer d'arriver à la sagesse? Dans une grande entreprise, ce n'est pas une faible gloire que d'en acquérir une portion même peu considérable. Mais, direz-vous, qui formera un métayer, s'il n'y a point de professeurs ? Je comprends fort bien qu'il est très difficile d'apprendre d'une seule personne la totalité des préceptes de l'agriculture; néanmoins, s'il se trouve à peine un homme qui possède cet art en son entier, les maîtres instruits dans quelques-unes de ses parties se rencontrent en grand nombre, et ils peuvent former un excellent métayer. Il y a, en effet, de bons laboureurs, d'excellents cultivateurs ou faucheurs, aussi bien que des personnes qui savent soigner les arbres et la vigne, des vétérinaires et des pâtres accomplis, dont aucun ne refuse de donner sur sa profession tous les renseignements désirables. Ainsi formé aux différents métiers des gens de la campagne, celui qui embrassera la profession de métayer doit éviter surtout une familiarité trop intime avec les esclaves de la ferme et beaucoup plus encore avec ceux du dehors. Il s'abstiendra, le plus qu'il pourra, de sommeil et de vin, qui sont l'un et l'autre les plus grands ennemis de l'activité : car l'ivrogne perd, avec la mémoire, la conscience de ses obligations, et le dormeur en néglige le plus grand nombre. En effet, que peut faire ou prescrire celui qui dort sans cesse? Il faut aussi que le métayer ne soit pas enclin aux plaisirs de Vénus : s'il s'y abandonne, il ne pourra songer à autre chose qu'à l'objet de sa prédilection; car l'esprit, séduit par une passion, ne voit pas de récompense plus agréable que la satisfaction de ses désirs, ni de supplice plus pénible que la privation de ses voluptés. Ainsi le métayer doit être le premier éveillé de tous, et conduire au travail aussitôt que le permet la saison, en marchant diligemment à leur tête, les ouvriers qui sont toujours en retard : car il importe beaucoup que les cultivateurs commencent leur travail de grand matin et ne s'y livrent pas avec la lenteur de la paresse. Aussi Ischomaque, que nous avons cité, dit-il :« Je préfère le travail d'un seul homme actif et zélé à celui de dix ouvriers négligents et paresseux.» Au surplus, il résulte beaucoup d'inconvénients de la faculté qu'on laisse aux ouvriers de s'amuser à des frivolités : en effet, de même que de deux voyageurs partis en même temps, celui qui marche avec ardeur et sans s'arrêter devance souvent de la moitié du chemin celui qui se laisse séduire par l'ombrage des arbres, l'agrément des fontaines, et la fraîcheur du zéphyr; de même dans les travaux champêtres on se figure à peine combien un ouvrier actif l'emporte sur un ouvrier paresseux et fainéant. Le métayer doit donc veiller à ce que, dès le point du jour, ses gens ne marchent pas au travail avec hésitation et nonchalance, mais le suivent avec ardeur, comme un capitaine qui vole courageusement et de gaîté de coeur au combat; il réjouira ses ouvriers par diverses exhortations durant leurs travaux, et parfois, comme pour venir au secours de celui qui faiblirait, il prendra un moment ses outils, fera sa besogne et l'invitera de la faire avec autant de courage qu'il l'aura faite lui-même. Le crépuscule venu, il ne laissera personne après lui, mais il suivra tout son monde, comme un excellent pâtre qui ne souffre pas qu'il reste dans le champ aucun animal de son troupeau. Arrivé à la maison, il se comportera encore comme ce berger diligent : il ne se retirera pas aussitôt dans sa chambre, mais il prendra le plus grand soin de chacun. Ainsi il pansera ceux qui se seront blessés pendant le travail (ce qui arrive souvent); il conduira sans retard à l'infirmerie ceux qui seront souffrants, et prescrira de leur appliquer le traitement convenable. Les ouvriers bien portants n'en réclameront pas moins ses soins : il veillera à ce que les dépositaires des provisions leur fournissent fidèlement les aliments et les boissons. Le métayer doit aussi accoutumer ses ouvriers à prendre toujours leur repas auprès des lares du maître et du foyer domestique, et lui-même y manger en leur présence et leur servir de modèle de frugalité : il ne se couchera pas pour dîner, excepté aux jours de fête, dont il mettra à profit la solennité pour accorder quelque récompense au plus laborieux et au plus sobre, qu'il admettra même parfois à sa table, et fera participer, s'il le peut, à quelques autres distinctions. Ce sera aussi dans les jours fériés qu'il s'assurera de l'état du matériel de la ferme, sans lequel on ne saurait faire aucun travail. Il visitera plus souvent les instruments de fer, dont il aura soin d'avoir toujours des doubles; il ne les serrera qu'après les avoir fait réparer, afin de n'être pas obligé, s'il s'en trouve d'endommagés dans le travail, d'en emprunter à ses voisins : car on dépense plus par la perte du temps des esclaves qu'on détourne ainsi de leurs occupations, que par les frais de ces réparations. Les gens de la maison seront tenus proprement, et vêtus plutôt commodément qu'avec élégance, c'est-à-dire qu'ils seront soigneusement protégés contre le froid et la pluie; on atteindra ce but en leur donnant des habits de peau à manches et des saies à capuchon : moyennant ces précautions, ils pourront supporter, en travaillant, tous les jours d'hiver. Le métayer devra donc deux fois par mois visiter tous les vêtements des esclaves, ainsi que leurs outils, comme je viens de le dire; car une fréquente revue ne laisse pas l'espoir de l'impunité, ni l'occasion de commettre des fautes. Il devra en outre tous les jours faire l'appel nominal et la visite des esclaves à la chaîne qui sont en prison, afin de s'assurer que leurs fers sont en bon état; il vérifiera en même temps si leur lieu de détention est sûr et bien solide; et il ne mettra pas en liberté, sans l'ordre du père de famille, ceux qui auront été enchaînés par l'ordre du maître ou par lui-même. Il ne souffrira pas que l'on fasse de sacrifices, à moins que le maître ne les ait ordonnés; il ne devra pas de sa propre autorité fréquenter des aruspices et des sorcières, deux sortes de gens qui infectent de vaines superstitions les esprits ignorants. A moins que ce ne soit pour vendre ou pour acheter les objets nécessaires, il ne fréquentera ni la ville ni les marchés; car il ne doit pas franchir les limites de sa ferme ni fournir aux esclaves, par son absence, l'occasion d'être négligents ou de commettre des fautes. Il ne permettra pas que dans la ferme on pratique des sentiers ou qu'on y place de nouvelles bornes. Ce ne sera que très rarement qu'il recevra des hôtes, à moins que ce ne soit des amis de son maître; il n'emploiera aux opérations de son ministère aucun de ses compagnons d'esclavage, et ne leur permettra de sortir de la terre que dans les cas de nécessité absolue. Il n'emploiera pas l'argent du maître à des achats de bestiaux ou d'autres marchandises : cette occupation le détournerait de ses véritables fonctions et ferait de lui plutôt un marchand qu'un agriculteur, outre qu'elle ne lui permettrait jamais de régler les comptes des revenus du maître; et quand celui-ci demanderait de l'argent, il ne lui présenterait que des billets au lieu de numéraire. Si le métayer doit éviter ces inconvénients, certes il ne doit pas moins fuir la passion de la chasse de tout gibier soit à poil, soit à plume, laquelle absorberait la plus grande partie de ses journées. Le métayer doit avoir égard à une chose qu'il est difficile d'observer même dans un grand gouvernement, c'est de se comporter avec ses subordonnés sans dureté comme sans faiblesse. Toujours il encouragera les ouvriers habiles et zélés, il n'usera pas de trop de rigueur avec ceux qui le sont moins, et il gouvernera de telle sorte que l'on craigne sa sévérité, mais non que l'on déteste sa cruauté. C'est ce à quoi il parviendra s'il préfère prévenir les fautes de ses ouvriers à leur infliger la punition qu'il leur aurait laissé le temps d'encourir. Il n'y a pas de meilleur moyen de contenir l'homme, même le plus pervers, que d'exiger de lui une tâche tous les jours : (26) tant est vrai cet oracle de M. Caton : « En ne faisant rien, les hommes apprennent à mal faire. » C'est pourquoi le métayer aura soin que le travail soit fait régulièrement. Ce sera chose peu difficile à obtenir, s'il se trouve toujours présent. Ainsi les maîtres des divers ouvriers s'acquitteront avec zèle de leurs devoirs, et les gens, fatigués des travaux qu'ils auront exécutés, préféreront leur repas, et se livrer au sommeil et au repos, à commettre de mauvaises actions. Au surplus, dans toute exploitation rurale, comme dans les autres positions de la vie, il est de la plus grande importance que chacun sache bien qu'il ne doit pas comprendre ce qu'il ne sait pas, et qu'il désire toujours apprendre ce qu'il ignore. En effet, quoique le savoir soit d'une fort grande utilité, l'étourderie ou la négligence nuit encore plus qu'il ne sert, surtout en agriculture, dont le point le plus important est de faire à temps tout ce qu'exige l'ordre de la culture : car, quoique parfois on puisse porter remède aux fautes de l'étourderie et de la négligence, les intérêts du maître n'en sont pas moins déjà compromis, et les choses ne peuvent assez prospérer pour lui faire recouvrer ce qu'il a perdu et lui rendre les bénéfices qu'il devait obtenir. Mais qui ne sait pas combien la perte du temps est irréparable? Celui donc qui est convaincu de cette vérité doit surtout éviter de se laisser surprendre par un travail au-dessus de ses forces. La culture des champs tend de grands piéges au paresseux; c'est ce qu'a parfaitement exprimé dans ce vers le vieux poète Hésiode : « Toujours le temporiseur doit lutter contre les pertes qu'il s'occasionne. » C'est pourquoi le métayer doit être assez judicieux pour appliquer à toute l'agriculture cet axiome, employé par nos paysans, sur la plantation des arbres : « N'hésitez point à planter, » et il doit se persuader que, s'il n'a pas exécuté chaque jour le travail qui presse, il a non pas seulement perdu les douze heures qu'il n'a pas mises à profit, mais l'année tout entière. Effectivement chaque opération devant être exécutée à une époque à peu près déterminée, si l'une d'elles est plus retardée qu'il ne convient, les autres aussi seront faites plus tard qu'il n'est à propos, et tout l'ordre du travail se trouvant dérangé, fera évanouir l'espoir de toute l'année. C'est pourquoi il est nécessaire de donner des préceptes sur les travaux propres à chaque mois, préceptes qui reposent sur l'influence qu'exercent les astres : car, comme dit Virgile, "Nous devons aussi exactement observer la constellation de l'Arcture, et les jours où brillent les Chevreaux et l'éclatant Dragon, que le font ces navigateurs qui, regagnant leur patrie à travers les mers orageuses, vont affronter le Pont-Euxin et le détroit d'Abydos où les huîtres abondent." Je ne disconviens pas que j'ai réfuté longuement ces observations dans les livres que j'ai composés contre les astrologues; mais je m'y proposais de rejeter les fausses pronostications des Chaldéens, qui prétendent que les changements de temps répondent à des jours fixes comme à des termes certains. Quant à la science agricole, ou ne doit pas montrer tant de scrupule; mais, comme on dit, avec son intelligence bornée, le métayer aura acquis ce qui peut lui être utile des présages du temps à venir, s'il se persuade bien que l'influence d'une constellation agit un peu auparavant, ou un peu après, ou même à certains jours de son lever ou de son coucher : car il ne manquera pas de prévoyance si, quelques jours à l'avance, il peut se mettre en garde contre les époques suspectes.
Ce qu'il faut faire dans chaque mois, en réglant le travail sur le temps.
II. Nous prescrirons donc ce que l'on doit exécuter chaque mois en réglant ainsi les travaux de la campagne sur le temps, autant que le permettra l'état de l'atmosphère : averti de ses variations et de ses vicissitudes par ce traité, le métayer ou ne sera jamais trompé, ou certes ne le sera pas fréquemment. Ne nous écartons pas du poète excellent qui dit que le cultivateur «doit, au retour du printemps, commencer par labourer sa terre. » Le villageois ne devra pourtant pas observer l'arrivée du printemps, comme ferait un astrologue, de manière à attendre le jour précis auquel on dit que cette saison commence; mais il prendra quelque chose sur la fin de l'hiver, puisque dès après le solstice la température devient plus douce et que les jours plus favorables permettent d'entreprendre les travaux.L'agriculteur peut donc, à partir des ides de janvier (pour nous régler sur le premier mois de l'année romaine), se livrer aux travaux des cultures, dont il terminera ceux qui restaient à faire précédemment et commencera ceux qui appartiennent au temps à venir. Au surplus, il suffira de distribuer les travaux par demi-mois, parce qu'on ne saurait considérer comme fait prématurément un ouvrage achevé quinze jours avant l'époque, ni comme en retard celui qui l'a été quinze jours après. Le jour des ides de janvier, temps venteux, ciel incertain. Le 18 des calendes de février, temps incertain. Le 17 des calendes de février, le soleil passe dans le Verseau; le matin le Lion commence à se coucher; l'africus souffle, et parfois le vent du midi avec pluie. Le 16 des calendes de février, l'Écrevisse achève de se coucher; froid. Le 15 des calendes de février, le Verseau commence à se lever; l'africus annonce la tempête. Le 11 des calendes de février, la Lyre se couche le soir; jour pluvieux. Le 9 des calendes de février, le coucher de la Baleine annonce la tempête; quelquefois même elle l'accompagne. Le 6 des calendes de février, l'étoile brillante qu'on remarque sur la poitrine du Lion, se couche, et présage quelquefois que l'hiver est parvenu à la moitié de son cours. Le 5 des calendes de février, souffle de l'auster ou de l'africus; temps froid, journée pluvieuse. Le 3 des calendes de février, le Dauphin commence à se coucher; la Lyre se couche aussi. La veille des calendes de février, le coucher des constellations que nous venons de nommer amène la tempête; quelquefois il se borne à l'annoncer.Nous indiquerons pour les autres demi-mois, comme nous l'avons fait pour celui-ci, les variations de l'atmosphère, afin que le métayer, se tenant sur ses gardes, comme je l'ai dit, puisse au besoin ajourner certains travaux ou bien les avancer. En conséquence, à partir des ides de janvier, pendant le temps qui s'écoule entre le solstice d'hiver et l'arrivée du favonius, si l'on possède une grande étendue de vignobles ou d'arbres mariés à des vignes, on reprend la suite de la taille d'automne, en observant toutefois de ne pas toucher la vigne pendant la matinée, parce que les rameaux, engourdis encore par les frimas et les gelées de la nuit, redoutent le fer. C'est pourquoi, afin de leur laisser le temps de se dégeler, on pourra, jusqu'à la seconde ou la troisième heure du jour, essarter les buissons pour que leur nouvelles pousses n'envahissent pas le champ, nettoyer les sillons, faire provision de gaulettes, enfin fendre du bois, jusqu'à ce que la température attiédie permette la taille. C'est le moment, dans les lieux exposés au soleil et maigres ou arides, de nettoyer les prés, et de les protéger contre les bestiaux, afin d'obtenir du foin en abondance.Il est temps aussi de donner le premier labour aux terrains secs et gras : car on ne peut retourner qu'en été ceux qui sont humides et de médiocre qualité; quant aux champs très maigres et arides, il faut attendre jusqu'après l'été, au commencement de l'automne, pour les labourer, et les ensemencer ensuite. Au reste, à cette époque, on donne aisément en deux journées le premier labour à un jugère de terrain gras, parce que, humectée encore par les pluies d'hiver, la terre se prête volontiers à la culture. Dans ce même mois, avant les calendes de février, il est à propos de sarcler les semailles d'automne, soit l'adoréum que quelques personnes appellent far du pays, soit le blé froment. Il est temps de procéder à leur sarclage quand ils commencent à donner quatre feuilles. S'il reste du temps disponible, on peut aussi opérer le sarclage de l'orge hâtive. On en fait autant pour les fèves quand leur tige s'est élevée à une hauteur de quatre doigts; car, plus tôt, elles seraient trop tendres pour qu'il convînt de les soumettre à cette opération. Mieux vaut semer l'ers dans le mois précédent; cependant on peut le faire pendant ce mois-ci, et même le suivant sans inconvénient; mais les paysans se gardent bien de le mettre en terre pendant le mois de mars. On serfouit déjà avec avantage les vignes qui sont échalassées et liées. Vers les ides, on s'empresse de greffer les arbres fruitiers qui les premiers produisent leurs fleurs, tels que les cerisiers, les jujubiers, les amandiers et les pêchers. Ce temps est convenable pour faire des échalas et aussi des pieux; il est propice encore pour la coupe des bois de construction; mais ces deux opérations se font avec plus de succès au décours de la lune, depuis le vingtième jour jusqu'au trentième, parce qu'on pense que tout bois ainsi coupé n'a point à redouter la pourriture. Dans une journée de travail on peut couper cent pieux et les aiguiser ensuite; quant aux échalas de chêne ou d'olivier, on en peut fendre et aiguiser soixante, bien parés des deux côtés. On peut encore faire dix pieux ou cinq échalas, le soir, pendant la veillée, et autant le matin en attendant le jour. Si le bois est de chêne rouvre, un ouvrier suffit pour en équarrir parfaitement vingt pieds : ce qui formera une voie. Si c'est du pin, un ouvrier en expédiera aisément vingt-cinq pieds, que l'on appellera aussi une voie. Trente pieds d'orme et de frêne, quarante de cyprès, soixante de sapin et de peuplier pourront être chacun bien équarris dans un jour, et chacune de ces quantités porte pareillement le nom de voie. Durant ces jours on doit marquer les agneaux sevrés, aussi bien que les petits des autres bestiaux et ceux des grands quadrupèdes. Le jour des calendes de février, la Lyre commence à se coucher; l'eurus souffle, et quelquefois l'auster est accompagné de grêle. Le 3 des nones de février, la Lyre achève de se coucher, et le Lion ne se montre plus qu'à moitié; le corus ou le septentrion souffle, et quelquefois le favonius. Le jour des nones de février, la moitié du Verseau se montre à nos regards; temps venteux. Le 7 des ides de février, la constellation de Callisto se couche; le favonius commence à souffler. Le 6 des ides de février, temps venteux. Le 3 des ides de février, l'eurus souffle. Pendant ces jours, dans les lieux voisins de la met, chauds et secs, on sarcle les prés et les champs, et on dispose les herbes à croître pour produire du foin. C'est aussi le moment d'achever l'échalassement et la ligature des vignes, que l'hiver ou les froids ont fait suspendre, parce que plus tard on s'exposerait à endommager les boutons déjà gonflés et à froisser les yeux. Dans les mêmes localités il faut encore fouir les vignes, et finir de tailler ou de lier les ceps mariés aux arbres : travaux qu'on ne saurait rigoureusement apprécier. Entre les nones et les ides on fait des pépinières d'arbres fruitiers, et on transplante de la pépinière dans des fosses les jeunes plants. Le travail de la houe à deux dents, qui a été commencé en décembre et en janvier, se termine maintenant, et on plante les vignes. On travaille ainsi un jugère de terrain en quatre-vingts journées, si on défonce le sol à la profondeur de trois pieds; ou en cinquante, si le défoncement n'est profond que de deux pieds et demi; quarante jours de travail suffisent, s'il n'est que de deux pieds. Cette dernière excavation est la moindre que l'on doive pratiquer avec la houe à deux dents dans une terre sèche pour la transplantation des arbres fruitiers : toutefois pour les légumes une profondeur d'un pied et demi peut remplir le but, et alors trente jours de travail suffiront ordinairement pour le labour de chaque jugère. A cette même époque on répand une partie des fumiers sur les prés, et une partie au pied des oliviers et des autres arbres. En outre, on doit s'empresser de faire des pépinières de vignes, en plantant avec beaucoup d'attention des crossettes récemment séparées du cep. Alors il est à propos de planter, avant leur feuillaison, des peupliers, des saules, des frênes et de jeunes ormeaux, de retailler et de serfouir ceux qui ont été mis en terre l'année précédente, et de couper les radicules montantes qui se sont développées pendant l'été. Dans les vignobles dont la terre n'a pas encore été retournée, il faut enlever et ranger le long des haies les sarments, les branches coupées aux arbres qui soutiennent les vignes, les ronces, et tout ce qui, se trouvant sur le sol, peut embarrasser les ouvriers qui fouissent ou travaillent la terre de quelque manière que ce soit. On fait de nouveaux plants de rosiers ou on donne des soins aux anciens; on met en terre des roseaux ou bien on cultive les vieilles cépées; on forme des saussaies ou on entaille les arbres; on sarcle et on serfouit; on répand sur terre bien travaillée à la houe la graine de genêt, ou on dispose les jeunes plants dans des fosses. Il n'est pas hors de propos de procéder en ce temps à l'ensemencement des tremois, quoique dans les contrées chaudes il soit plus avantageux de le faire pendant le mois de janvier. Le jour des ides de février, le Sagittaire se couche le soir; il fait grand froid. Le 16 des calendes de mars, la Coupe se lève le soir ; changement de vent. Le 15 des calendes de mars, le soleil fait son entrée dans les Poissons; quelquefois temps venteux. Le 13 et le 12 des calendes de mars, le favonius et l'auster soufflent avec grêle et orages. Le 10 des calendes de mars, le Lion finit de se coucher; les vents du septentrion, que l'on appelle ornithies, règnent ordinairement pendant trente jours. Arrivée des hirondelles. Le 9 des calendes de mars, au commencement de la nuit, l'Arcture se lève; l'aquilon ou le corus produisent du froid; quelquefois il pleut. Le 8 des calendes de mars, le Sagittaire commence à se lever au crépuscule; temps variable. Ces jours s'appellent Alcyonés. On remarque un grand calme, même dans la mer Atlantique. Le 7 des calendes de mars, temps venteux. On voit déjà des hirondelles. Pendant ces jours, il est temps dans les localités froides de se livrer aux opérations dont nous avons fait mention; comme il est un peu tard pour les localités chaudes, ces opérations n'y sont que plus urgentes. Au reste, le moment paraît être excellent pour la plantation des crossettes et des marcottes enracinées, quoique cette plantation puisse se faire avec non moins d'avantage entre les calendes et les ides du mois suivant, surtout si le pays n'est pas très chaud; même s'il est froid, elle n'en réussira que mieux. On procède avec succès en ce temps, dans les climats tempérés, à la greffe des arbres fruitiers et des vignes. Le jour des calendes de mars, l'africus souffle; quelquefois l'auster est accompagné de grêle. Le 6 des nones de mars, le Vendangeur, que les Grecs désignent sous le nom de g-Trugehtehra, paraît; vent du septentrion. Le 4 des nones de mars, souffle du favonius et quelquefois de l'auster; il fait froid. Le jour des nones de mars, le Cheval se lève le matin; souffle de l'aquilon. Le 3 des ides des mars, le Poisson septentrional achève de se lever; vent du septentrion. La veille des ides de mars, le vaisseau Argo se lève; souffle du favonius ou de l'auster, et quelquefois de l'aquilon. Durant ces jours, il est avantageux de disposer les jardins, dont je parlerai avec plus de détail en leur lieu, de peur qu'ici je ne paraisse m'occuper trop négligemment, parmi tant d'opérations, des devoirs du jardinier, ou bien interrompre l'ordre que j'ai suivi pour les autres cultures. Ainsi, à dater des calendes de mars, le temps est très propice pour la taille des vignes, jusqu'au dixième jour des calendes d'avril, pourvu toutefois que les boutons ne soient pas en végétation. C'est le moment favorable de recueillir pour la greffe les jeunes branches qui ne végètent pas encore : à cette époque aussi la greffe réussit parfaitement sur les vignes et sur les arbres. Dans les lieux froids et humides, on plante alors généralement les vignes, et on met en terre avec succès les cimes des figuiers qui sont déjà en végétation. On sarcle aussi avantageusement pour a seconde fois les froments : on en peut très bien sarcler trois modius par journée de travail. Il est déjà temps de nettoyer les prés et d'en interdire l'entrée aux troupeaux : ce qui doit se faire dans les terrains chauds et secs, à partir du mois de janvier, comme nous l'avons dit ci dessus : car, dans les terres froides, on attend très bien jusqu'aux Quinquatries. Il faudra à cette époque préparer les fosses de toute espèce dans lesquelles on voudra mettre des plants en automne. Si le sol est favorable un seul ouvrier en fera par jour quatorze de celles que l'on nomme quaternaires, c'est-à-dire qui ont quatre pieds en tout sens, et dix-huit si elles ne sont que ternaire . Au reste, pour la plantation des vignes ou des arbre de peu d'élévation, on pratiquera une tranchée de cep de vingt pieds de longueur sur deux de largeur et deux et demi de profondeur : une seule journée suffira également pour ce travail. Déjà il est temps de serfouir et de cultiver le plant des rosiers tardifs. Alors il convient de répandre autour des racines des oliviers souffrant de la lie d'huile qui ne contienne pas de sel : six conge suffisent pour les plus grands, une urne pour les médiocres; pour les autres on proportionnera la quantité. Au surplus, les oliviers qui se portent bien deviendront plus vigoureux encore si on les arrose de cette lie non salée. Quelques praticiens ont prétendu que ce moment est excellent pour former des pépinières; aussi ils ont prescrit de semer sur des planches des baies de laurier et de myrte et des graines d'autres arbres verts. Ces mêmes personnes ont pensé qu'il fallait planter les orthocisses et les lierres à partir des ides de février ou même dès les calendes de mars. Le jour des ides de mars, le Scorpion commence à se coucher; il annonce la tempête. Le 17 des calendes d'avril, le Scorpion se couche ; il fait froid. Le 16 des calendes d'avril, le soleil entre dans le Bélier; souffle du favonius ou du corus. Le 12 des calendes d'avril, le Cheval se couche le matin; vent du septentrion. Le 10 des calendes d'avril, le Bélier commence à se lever jour pluvieux; quelquefois il neige. Le 9 et le 8 des calendes d'avril, l'équinoxe du printemps annonce la tempête. Depuis les ides, on termine les travaux dont nous avons parlé plus haut. On donne aussi pour lors avec avantage les premiers tours de labourage aux terrains humides et gras, et, dans la dernière moitié de mars, on laboure pour la seconde fois les guérets que l'on a retournés au mois de janvier. Si, à l'époque de la taille, on a laissé quelques treilles de vignes d'élite ou quelques-unes de celles qui sont mariées dans les champs ou dans les broussailles à des arbres particuliers, elles doivent toutes être taillées avant les calendes d'avril; après ce jour, cette culture serait tardive et infructueuse. On commence le premier ensemencement du millet et du panis, lequel doit être terminé vers les ides d'avril : chaque jugère exige cinq setiers de l'une ou de l'autre semence. Le moment est favorable aussi pour la castration des bêtes à laine et des autres quadrupèdes. On fait avec succès cette opération à tous les bestiaux dans les contrées chaudes, depuis les id s de février jusqu'à celles d'avril, et, dans les localité. froides, depuis les ides de mars jusqu'à celles de mai. Le jour des calendes d'avril, le Scorpion se couche le matin ; il annonce la tempête. Le jour des nones d'avril, souffle du favonius ou de l'auster avec de la grêle; quelquefois même ces météores se montrent dès la veille. Le 8 des ides d'avril, les Pléiades se voilent le soir; quelquefois il fait froid. Le 7, le 6 et le 5 des ides d'avril, l'auster et l'africus qui soufflent présagent la tempête. Le 4 des ides d'avril, au soleil levant, la Balance commence à se coucher; quelquefois elle annonce la tempête. La veille des ides d'avril, les Hyades se cachent; il fait froid. Pendant ces jours, dans les contrées froides, il faut se hâter de donner une première façon aux vignes avant les ides. Il faut aussi au plus tôt achever les travaux qui auraient dû être exécutés dans le mois de mars après l'équinoxe. On greffe encore avec avantage les figuiers et les vignes. On peut encore très bien sarcler et serfouir les pépinières que l'on a faites précédemment. On doit laver dans de l'eau de saponaire les moutons de Tarente, pour les préparer à la tonte. Le jour des ides d'avril, la Balance se couche, comme je l'ai dit ci-dessus; temps froid. Le 18 des calendes de mai, temps venteux et pluies ; ce qui n'a pas lieu constamment. Le 15 des calendes de mai, le soleil entre dans le Taureau; il annonce de la pluie. Le 14 des calendes de mai, les Hyades se cachent le soir ; elles présagent de la pluie. Le 11 des calendes de mai, le printemps est à moitié de son cours; il pleut et quelquefois il tombe de la grêle. Le 10 des calendes de mai, les Pléiades se lèvent en même temps que le soleil; souffle de l'africus ou de l'auster; temps humide. Le 9 des calendes de mai, la Lyre paraît au commencement de la nuit; elle annonce la tempête. Le 4 des calendes de mai, l'auster souffle presque toujours en même temps qu'il pleut. Le 3 des calendes de mai, la Chèvre se lève le matin ; l'auster souffle, quelquefois il tombe de la pluie. La veille des calendes de mai, la Canicule se cache le soir; elle présage de la pluie. Pendant ces jours nous continuerons les travaux dont nous avons parlé plus haut. Pourvu que le liber se détache bien, on peut greffer les oliviers, ou les écussonner, ainsi que les autres arbres fruitiers. On procède aussi fort bien au premier épamprement, pourvu que les yeux naissants sur les sarments puissent être détachés avec le doigt. En outre, si en bêchant les vignes l'ouvrier y a causé quelque dommage, ou, par négligence, a omis une partie du travail, le vigneron diligent doit y pourvoir, visiter les jougs qui pourraient être brisés, les réparer, rétablir les pieux renversés, de manière à ne pas déraciner les jeunes pampres. A cette époque il faut marquer les animaux de la seconde portée. Le jour des calendes de mai, on dit que le soleil occupe durant deux jours le même point du zodiaque. Le 6 des nones de mai, l'Hyade se lève avec le soleil; vents du septentrion. Le 5 des nones de mai, le Centaure paraît tout entier; il annonce la tempête. Le 3 des nones de mai, la même constellation présage la pluie. La veille des nones de mai, le Scorpion se couche à demi il dénote la tempête. Le jour des nones de mai, le matin, les Pléiades se lèvent ; le favonius souffle. Le 7 des ides de mai, commencement de l'été; souffle du favonius ou du corus; quelquefois aussi il pleut. Le 6 des ides de mai, les Pléiades se montrent tout entières ; souffle du favonius ou du corus, et quelquefois pluie. Le 3 des ides de mai, la Lyre se lève le matin ; elle annonce la tempête. Durant ces jours, on sarcle les terres ensemencées, on commence la fauchaison. Un bon ouvrier fauche un jugère de pré, et seul il peut lier facilement douze cents bottes de quatre livres chacune. Il est temps aussi d'entourer les arbres d'un fossé après les avoir dechaussés, puis de les recouvrir de terre. Une seule journée de travail suffit pour tracer le fossé autour de quatre-vingts jeune arbres, ou de soixante-cinq de médiocre grosseur, ou de cinquante grands. Dans ce mois, il faudra labourer fréquemment toutes les pépinières; mais à partir des calendes de mars jusqu'aux ides de septembre, chaque mois on retournera la terre non seulement des pépinières, mais encore des jeunes vignes. Pendant les jours dont nous venons de parler, dans les climats froids et pluvieux, on taille et on émousse les oliviers. Au reste, dans les pays tempérés, il faudra faire cette opération à deux époques : d'abord entre les ides d'octobre et celles de décembre, puis entre les ides de février et celles de mars, pourvu toutefois que l'arbre ne se détache pas de son liber. Dans ce même mois, on commence à planter les boutures d'olivier en pépinière bien remuée à la houe; il faut quand elles sont mises en place, les enduire d'un mélange de cendres et de fumier, et les couvrir de mousse, afin soleil ne les fasse pas fendre : mais ce travail se fait avec plus d'avantage dans la dernière partie du mois de mars, au commencement d'avril, et aux autres époques, pendant lesquelles nous avons prescrit de garnir les pépinières de plants ou de boutures. Le jour des ides de mai, la Lyre se lève le matin; souffle l'auster ou de l'euronotus; quelquefois la journée est humide. Le 17 des calendes de juin, continuation du même temps. Le 16 et le 15 des calendes de juin, souffle de l'euronotus ou de l'auster avec pluie. Le 14 des calendes de juin, le soleil entre dans les Gémeaux. Le 12 des calendes de juin, les Hyades se lèvent; les vent du septentrion règnent, et quelquefois celui du sud avec pluie. Le 11 et le 10 des calendes de juin, l'Arcture se lève le matin; il présage la pluie. Le 8, le 7 et le 6 des calendes de juin, la Chèvre opère son lever le matin; vents du septentrion. Depuis les ides jusqu'aux calendes de juin, il faut donner un second labour aux vieilles vignes, avant qu'elles ne commencent à fleurir, et, en outre, les épamprer, ainsi que toutes les autres. Si on fait souvent ce travail la journée d'un enfant suffira pour en épamprer tout un jugère. En ce moment, dans certaines contrée, on tond les moutons, et on reçoit le compte des bêtes nouvellement nées et de celles que l'on a perdues. Alors enfin on retourne aussi à la charrue les lupins que l'on a semés pour engrais. ) Le jour des calendes de juin et le 4 des nones, l'Aigle se lève; temps venteux, et quelquefois pluie. Le 7 des ides de juin, l'Arcture se couche; souffle du favonius ou du corus. Le 4 des ides de juin, le Dauphin se lève le soir ; le favonius souffle ; quelquefois il tombe une légère pluie. Dans le cours de ces jours, si l'on en a le loisir, on fera les mêmes travaux qu'on effectue à la fin du mois de mai. En outre, on doit ramener la terre au pied de tous les arbres fruitiers que l'on a entourés d'un fossé, de manière que l'opération soit terminée avant le solstice d'été. Au surplus, d'après la nature du sol et du climat, on donne à la terre le premier ou le second tour de labourage : si elle est dure, il faut deux journées pour la première façon d'un jugère, deux pour la seconde, et une pour la troisième. Une journée suffit pour recouvrir la semence jetée dans deux jugères. Mais si la terre est facile à travailler, on exécute le premier labour d'un jugère en deux journées, et le second en une; une journée également, pour recouvrir la semence de quatre jugères, lorsqu'on trace de larges sillons dans un terrain déjà préparé. Il résulte de ce calcul que l'on peut facilement, dans le cours de l'automne, au moyen d'un seul joug, semer cent cinquante modius de froment, et cent de n'importe quelle espèce de légume. Durant les mêmes jours, il faut préparer l'aire pour le battage des grains et pour recevoir les récoltes à mesure qu'elles seront coupées. Quand on possède beaucoup de vignobles, on doit alors en reprendre la culture. Il est à propos, si on le peut, de donner du fourrage aux troupeaux avant la solstice d'été, ou dans ce temps-ci, ou même pendant les quinze jours qui précèdent les calendes de juin. A dater de ces calendes, si l'on manque d'herbe verte, on donnera, jusqu'à la fin de l'automne, des feuilles que l'on aura recueillies pour cet usage. Le jour des ides de juin, la chaleur commence. Le 13 des calendes de juillet, le soleil entre dans le Cancer; il présage la tempête. Le 11 des calendes de juillet, le Serpentaire, que les Grecs appellent g-Ophiouchos, se couche le matin; il annonce la tempête. Le 8, le 7 et le 6 des calendes de juillet, époque du solstice d'été; souffle du favonius, et chaleur. Le 3 des calendes de juillet, temps venteux. Dans le cours de ces jours, on continue les travaux dont il est question ci-dessus. En outre, il faut couper de la vesce pour fourrage avant que ses gousses aient pris de la consistance; moissonner l'orge; récolter les fève tardives; battre les précoces, et serrer avec soin les fanes qu'elles produisent; battre l'orge, et empiler toutes les pailles. Il. faut aussi tailler les ruches, que l'on a dû surveiller et soigner tous les neuf ou dix jours depuis les calendes de mai environ; toutefois, ce n'est que dans le cas où les alvéoles sont pleins et recouverts, qu'il faut les récolter ; si la plupart sont vides ou ne sont point fermés, c'est une marque qu'ils ne sont point encore mûrs, et il faut dès lors différer la récolte du miel. Dans les provinces d'outre-mer, quelques cultivateurs sèment le sésame pendant ce mois ou le suivant. Le jour des calendes de juillet, souffle du favonius ou de l'auster, et chaleur. Le 4 des nones de juillet, la Couronne se couche le matin. La veille des nones de juillet, le Cancer se couche à moitié; temps chaud. Le 8 des ides de juillet, le Capricorne est à moitié couché. Le 7 des ides de juillet, Céphée se couche le soir; il annonce la tempête. Le 6 des ides de juillet, les prodromes commencent à souffler. Pendant ces jours on se livre aux mêmes travaux que nous avons indiqués plus haut. En outre, le moment est très favorable pour donner le second tour de labourage aux guérets. On essarte aussi fort à propos les broussailles des champs, lorsque la lune est dans son décours. Le jour des ides de juillet, Procyon se lève le matin; il présage la tempête. Le 13 des calendes d'août, le soleil entre dans le Lion; le favonius souffle. Le 9 des calendes d'août, une des étoiles brillantes qu'on remarque sur la poitrine du Lion se lève; elle annonce quelquefois la tempête. Le 8 des calendes d'août, le Verseau commence à se coucher sensiblement; souffle du favonius ou de l'auster. Le 7 des calendes d'août, la Canicule paraît; brouillard chaud. Le 6 des calendes d'août, l'Aigle se lève. Le 4 des calendes d'août, les étoiles brillantes qu'on remarque sur la poitrine du Lion se lèvent; elles annoncent quelquefois la tempête. Le 3 des calendes d'août, l'Aigle se couche ; il annonce la tempête. Durant ces jours on fait la moisson dans les contrées tempérées et sur le bord de la mer, et, dans les trente jours qui suivent la récolte, on met en meule les pailles qui en proviennent. Une seule journée de travail suffit pour couper la paille d'un jugère, après l'enlèvement de laquelle, et avant que le soleil trop ardent ait brûlé le sol, il faut entourer d'un fossé les arbres qui se trouvent dans le champ, et couvrir leur pied de terre. En outre, c'est le moment de biner les terres pour ceux qui se disposent à faire des semailles considérables. Quant au serfouissage et à la culture des vignobles nouveaux, j'ai dit déjà plusieurs fois qu'il fallait s'en occuper tous les mois sans en laisser passer aucun, jusqu'après l'expiration de l'équinoxe d'automne. Il faudra se souvenir de recueillir des feuilles pour les troupeaux, à cette époque et pendant le mois d'août, avant le lever et après le coucher du soleil. Quelles que soient les vignes que l'on veut cultiver, il faut éviter d'en remuer la terre pendant l'ardeur du jour, ce qui ne doit être fait que le matin jusqu'à la troisième heure, et depuis la dixième jusqu'au crépuscule. Dans certaines provinces, telles que la Cilicie et la Pamphylie, c'est pendant ce mois que l'on sème le sésame; mais dans les contrées humides de l'Italie, on peut le semer à la fin du mois de juin. Il est temps, en outre, de suspendre des figues sauvages aux figuiers : ce qui a pour but, comme le pensent quelques personnes, et d'empêcher le fruit de tomber, et de le faire parvenir plus tôt à maturité. Le jour des calendes d'août, les vents étésiens soufflent. La veille des nones d'août, le Lion se lève à moitié; il annonce la tempête. Le 7 des ides d'août, le Verseau se couche à moitié; le temps est couvert et chaud. La veille des ides d'août, la Lyre se couche le matin, et l'automne commence. Pendant ces jours, on continue les mêmes travaux que ci-dessus. Dans certains lieux on recueille les rayons; mais s'ils ne sont pas remplis de miel, et si les alvéoles ne sont pas fermés, il faut en différer la récolte jusqu'au mois d'octobre. Le jour des ides d'août, le coucher du Dauphin présage la tempête. Le 19 des calendes de septembre, le coucher de cette même constellation, qui a lieu le matin, annonce la tempête. Le 13 des calendes de septembre, le soleil passe dans le signe de la Vierge. Ce jour et le suivant annoncent la tempête; quelquefois aussi il tonne. Ce même jour la Lyre se couche. Le 10 des calendes de septembre, la même constellation amène ordinairement la tempête et la pluie. Le 7 des calendes de septembre, le Vendangeur se lève le matin, et l'Arcture commence à se coucher; quelquefois il pleut. Le 3 des calendes de septembre, les épaules de la Vierge se lèvent; les vents étésiens cessent de souffler; parfois il fait froid. La veille des calendes de septembre, Andromède se lève le soir; quelquefois le froid se fait sentir. C'est dans ces jours qu'on écussonne les figuiers : ce genre de greffe s'appelle emplastration. On peut, même avec plus d'avantage, faire cette opération dans le mois précédent, après les ides de juillet. Quelques personnes font aussi à cette dernière époque l'écussonnage des autres arbres. Dans certains pays, comme dans la Bétique, les contrées maritimes et l'Afrique, on fait la vendange; mais dans les pays plus froids on pulvérise la terre, opération que les paysans appellent occation, et qui consiste à briser dans les vignes toutes les mottes de terre pour les réduire en poussière. A cette même époque, avant la pulvérisation des vignes, si les ceps sont grêles ou clairsemés, on répand sur chaque jugère trois ou quatre modius de lupins, après quoi on les herse, et, lorsqu'ils auront poussé, on les enterre au premier labour que l'on donne aux vignes, auxquelles ils procurent un assez bon amendement.) Si le climat est pluvieux, comme cela a lieu dans les terroirs de l'Italie voisins des villes, beaucoup de vignerons épamprent leurs vignes afin que les raisins puissent mûrir et pour empêcher que les pluies ne les pourrissent. Au contraire, dans les lieux plus chauds, tels que les provinces que nous avons citées, on ombrage les grappes, à l'approche de la vendange, avec de la paille ou d'autres abris, afin que les vents ou les chaleurs ne les dessèchent pas. Ce même temps est propre à la dessiccation des raisins et des figues, dont nous enseignerons la préparation en lieu convenable, lorsque nous passerons en revue les travaux de la métayère. On extirpe avec avantage, dans le courant du mois d'août, la fougère et le carex, partout où ils croissent, quoiqu'il vaille mieux le faire vers les ides de juillet, avant le lever de la Canicule. Le jour des calendes de septembre, chaleur. Le 4 des nones de septembre, le Poisson méridional achève de se coucher; chaleur. Le jour des nones de septembre, l'Arcture se lève; souffle du favonius ou du corus. Le 7 des ides de septembre, le Poisson septentrional achève de se coucher, et la Chèvre se lève; signe de tempête. Le 3 des ides de septembre, souffle du favonius ou de l'africus; la Vierge se lève à moitié.C'est durant ces jours que, dans les contrées maritimes et chaudes, l'on procède avantageusement à la vendange et aux autres opérations que nous avons détaillées ci-dessus. Le second tour de labour doit être terminé, dans le cas oh le premier aurait été fait tardivement; car, s'il a été donné de bonne heure, il convient de procéder à un troisième tour. A cette époque, ceux qui ont l'habitude d'aromatiser des vins préparent l'eau de mer qu'ils ont fait transporter chez eux, et la font réduire sur le feu : je donnerai le détail de cette opération lorsque je passerai en revue les travaux de la métayère. Le jour des ides de septembre, la constellation de la Baleine présage quelquefois la tempête. Le 15 des calendes d'octobre, l'Arcture se lève; souffle du favonius, ou de l'africus, et quelquefois de l'eurus, que certaines personnes appellent vulturne. Le i4 des calendes d'octobre, l'épi de la Vierge se lève ; souffle du favonius ou du corus. Le 13 des calendes d'octobre, le soleil entre dans la Balance; la Coupe paraît le matin. Le 11 des calendes d'octobre, les Poissons se couchent le matin; le Bélier commence aussi à se coucher; souffle du favonius ou du corus, et quelquefois de l'auster avec pluies. Le 10 des calendes d'octobre, le vaisseau Argo se couche; il annonce la tempête, quelquefois même la pluie. Le 9 des calendes d'octobre, le matin, le Centaure commence à se lever; il présage la tempête, et quelquefois la pluie. Le 8, le 7 et le 6 des calendes d'octobre, l'équinoxe d'automne annonce la pluie. Le 5 des calendes d'octobre, les Chevreaux se lèvent; souffle du favonius, et quelquefois de l'auster avec pluie. Le 4 des calendes d'octobre, la Vierge achève de se lever ; elle présage la tempête. Pendant ces jours, on vendange dans plusieurs contrées. Les avis se partagent sur l'époque de la maturité des raisins : quelques personnes, en voyant qu'une partie seulement des grappes est encore verte, ont pensé qu'il était temps de faire la vendange; d'autres ont cru qu'il fallait attendre que le raisin fût coloré et transparent; et quelques- unes même, que les pampres se dégarnissent et que les feuilles tombassent. Toutes ces indications sont trompeuses, puisque toutes elles peuvent se présenter avant la maturité des raisins, en raison de la grande chaleur du soleil ou de l'année. Aussi, plusieurs personnes se sont-elles avisées, pour s'assurer de la maturité de ce fruit, de le goûter afin de juger si la saveur en est douce ou acide. Mais ce moyen lui-même peut induire parfois en erreur : car certaines espèces de raisins n'acquièrent jamais de douceur, par l'effet de leur trop grande âpreté. Aussi convient-il, et c'est ce que nous faisons, d'observer la maturité naturelle en elle-même. Or, cette maturité existe, quand, pressant les grains qui recèlent les pepins, on voit ces derniers déjà bruns et quelques-uns même presque noirs. En effet, rien ne peut donner de la couleur aux pepins, excepté la maturité naturelle, surtout si on considère qu'ils sont tellement placés au centre des grains, qu'ils sont protégés contre l'ardeur du soleil et les vents, et que le suc qui les baigne les empêche de cuire et de se tacher, à moins que ce ne soit naturellement.) En conséquence, lorsque le métayer a procédé à cet examen, il doit savoir s'il est à propos de vendanger. Mais, avant de commencer à cueillir les raisins, il faut, pendant le mois précédent, s'il est possible, qu'il dispose tout ce qui lui sera nécessaire ; sinon, ses futailles seront, au moins quinze jours d'avance, en partie enduites de poix, en partie grattées, et soigneusement lavées avec de l'eau de mer ou de l'eau salée, puis séchées convenablement.) Il en sera de même des couvercles, des tamis et des autres ustensiles sans lesquels on ne saurait bien faire le moût ; les pressoirs et les cuviers aussi seront diligemment nettoyés, lavés et, si le cas l'exige, enduits de poix; le bois sera tout prêt pour cuire le moût et le réduire soit à moitié, soit au tiers. Longtemps d'avance il faut tenir en réserve le sel et les parfums avec lesquels on a coutume d'aromatiser les vins. Il ne faut pourtant pas que ce soin détourne entièrement le métayer de la culture de la terre. En effet, c'est pendant ces jours que, dans les terrains secs, on doit ensemencer les navets et les raves. On sème aussi à cette époque la dragée, qui doit être d'un grand secours pour les bestiaux pendant l'hiver, et cette plante que les paysans appellent fénugrec, et, enfin, la vesce destinée à servir de fourrage. En outre, c'est le moment de l'ensemencement principal du lupin, que quelques cultivateurs trouvent à propos de mettre sans retard en terre au sortir de l'aire. C'est alors qu'on récolte le millet et le panic, et que l'on sème les haricots pour la table : car, pour les recueillir comme semence, il vaut mieux les semer à la fin d'octobre, vers les calendes de novembre. En conséquence, quand toutes ces choses ont dû être faites dans les champs, le métayer peut remettre à sa femme le soin de ce qui concerne l'intérieur de la ferme, de manière toutefois à s'assurer si le tout est exécuté comme il convient. Le jour des calendes d'octobre et le 6 des nones annoncent quelquefois la tempête. Le 4 des nones d'octobre, le Cocher se couche le matin, et la Vierge finit de se coucher; ils présagent quelquefois la tempête. Le 3 des nones d'octobre, la Couronne commence son lever; elle annonce la tempête. La veille des nones d'octobre, le Chevreaux se lèvent le soir; le Bélier se couche à moitié; l'aquilon souffle. Le 8 des ides d'octobre, l'étoile brillante de la Couronne se lève. Le 6 des ides d'octobre, les Pléiades se lèvent le soir; souffle du favonius, et quelquefois de l'africus avec pluie. Le 3 et la veille des ides d'octobre, la Couronne se lève entière le matin; l'auster d'hiver souffle, et quelquefois il pleut. Durant ces jours, dans les contrées froides, on a coutume de procéder à la vendange et aux autres travaux que nous avons désignés ci- dessus. Dans ces mêmes contrées, on sème les froments précoces et surtout le far adoréum. En terrains couverts, il est aussi à propos de semer le froment. Et, puisque nous parlons des semailles, il convient de déterminer la quantité nécessaire de chaque semence pour un jugère. Un jugère de terre demande quatre ou cinq modius de triticum, neuf ou dix de far adoréum, cinq ou six d'orge, quatre ou cinq setiers de millet ou de panic, huit ou dix modius de lupins, quatre modius de haricots, trois ou quatre modius de pois, six modius de fèves, un peu plus d'un modius de lentilles, neuf ou dix modius de graines de lin, trois ou quatre modius de cicéroles, deux ou trois modius de pois chiches, quatre ou cinq setiers de sésame, sept ou huit modius de vesce pour fourrage, cinq ou six modius de vesce, quand elle doit être récoltée en grain, quatre ou cinq modius d'ers, sept ou huit modius d'orge pour dragée, six modius de fenugrec; quant à la luzerne, il en faut jeter un cyathe par chaque petite planche longue de dix pieds et large de cinq. (in sème six grains des chenevis par pied carré. Le jour des ides d'octobre et les deux journées suivantes, il fait parfois de la tempête, et quelquefois il tombe une pluie fine. Le 13 des calendes de novembre, le soleil entre dans le Scorpion. Le 13 et le 12 des calendes de novembre, au lever du soleil, les Pléiades commencent à se coucher; elles annoncent la tempête. Le 11 des calendes de novembre, la queue du Taureau se couche ; l'auster souffle, quelquefois il pleut. Le 8 des calendes de novembre, le Centaure achève de se lever le matin ; il présage la tempête. Le 7 des calendes de novembre, le front du Scorpion se lève ; il annonce la tempête. Le 5 des calendes de novembre, les Pléiades se couchent; l'hiver s'annonce par le froid et la gelée. Le 4 des calendes de novembre, l'Arcture se couche le soir; jour venteux. Le 3 et la veille des calendes de novembre, Cassiope commence son coucher; elle annonce la tempête. Pendant ces jours-là, on doit faire toute espèce d'ensemencements. On met très bien en terre toute espèce de plant. On marie aussi avec succès les vignes aux ormes, et on réussit également bien à propager les ceps des plants mariés à des arbres que ceux des vignobles. Il est temps de sarcler et de serfouir les pépinières, de déchausser les arbres et les vignes et de les tailler, enfin de tailler les ceps mariés à des arbres. On rabat aussi les arbres des pépinières qui n'ont pas été élagués en leur temps, et les jeunes plants de figuiers qu'on doit réduire à un seul jet, quoiqu'il eût mieux valu enlever leurs jets pendant qu'ils étaient jeunes, dans le temps de la pousse. Au surplus, s'il importe en agriculture que chaque opération soit faite en son temps, c'est surtout pour les semailles qu'il faut agir ainsi. Il y a, chez les cultivateurs, un ancien proverbe qui dit que les ensemencements précoces peuvent tromper souvent, mais que les tardifs ne trompent jamais, par la raison qu'ils produisent toujours de faibles récoltes. C'est pourquoi, en général, nous conseillons de semer d'abord tout terrain qui, de sa nature, est froid, et plus tard celui qui est chaud. On dit que la vesce et la fève sont un engrais pour les terres. Quant au lupin, si vous ne le retournez pas en fleur, il n'engraissera pas le champ; il n'est aucune graine que les ouvriers puissent semer ou récolter avec plus de facilité dans le loisir que leur laissent leurs travaux : car on peut la confier à la terre de très bonne heure et avant toute autre semaille, et la recueillir seulement après que toutes les autres productions de la terre auront été rentrées. L'ensemencement étant terminé, il faut passer la herse sur le grain répandu. On peut facilement herser deux jugères en trois journées de travail, et en même temps déchausser les arbres qui se trouveront dans le champ. Quoique les anciens voulussent qu'on sarclât et hersât un jugère par jour, je n'oserais affirmer qu'il soit possible de le faire convenablement. Dans le même temps, il est à propos de curer les fossés et les ruisseaux, et de creuser les rigoles et les tranchées pour l'écoulement des eaux. A la même époque, on donne avec avantage aux boeufs la feuille de frêne, si on en a, sinon celle d'orne, ou encore, celle d'yeuse. Il n'est pas inutile, non plus, de leur offrir un modius de gland par paire, mais pendant un espace de temps qui ne doit pas dépasser trente jours, afin que leur santé n'ait point à en souffrir; ni qui soit moindre que ce même nombre de jours, car alors, comme l'assure Hygin, ils seraient attaqués de la gale au printemps. Au surplus, on doit mêler le gland avec de la paille, quand on veut le donner à manger aux boeufs. C'est alors aussi qu'il convient de mettre en terre les glands et les autres graines d'arbres, si l'on veut établir un bois barbarique, c'est-à- dire composé de diverses essences. Le moment est arrivé de cueillir les olives, dont on veut faire l'huile verte, qui est excellente si on l'exprime de l'olive bigarrée, quand elle commence à devenir noire; car on ne tire l'huile acerbe que des olives blanches. Le jour des calendes de novembre et le lendemain, la tête du Taureau se couche; présage de pluie. Le 3 des nones de novembre, la Lyre se lève le matin; le temps est froid et pluvieux. Le 8 des ides de novembre, la même constellation se lève en totalité; l'auster ou le favonius souffle; temps froid. Le 7 des ides de novembre, l'étoile brillante du Scorpion se lève ; elle présage la tempête ; le temps est froid, ou le vulturne souffle; quelquefois, pluie fine. Le 6 des ides de novembre, les Pléiades se lèvent le matin; elles annoncent la tempête; temps froid. Le 5 des ides de novembre, commencement de l'hiver; l'auster ou l'eurus souffle; quelquefois, pluie. Pendant ces jours jusqu'aux ides, vous pouvez encore exécuter à temps les travaux que vous n'avez pu faire dans le cours du mois précédent; mais vous aurez soin d'observer de jeter sur terre en un seul jour, la veille de la pleine lune, sinon ce même jour, la quantité de fèves que vous avez à semer; pourvu que vous les protégiez contre les oiseaux et les bestiaux, vous pourrez les recouvrir plus tard. Vous herserez aussi, si le cours de la lune ne s'y oppose pas, avant les ides de novembre, leur sol qui doit être très gras et neuf, ou du moins bien fumé. Il suffira d'employer dix-huit voies de fumier par chaque jugère : or, la voie de fumier contient quatre-vingts modius; c'est donc cinq rnodius de fumier à répandre par chaque étendue de dix pieds en tout sens. On voit par ce calcul que quatorze cent quarante modius sont suffisants pour un jugère entier. Il convient alors aussi de déchausser les oliviers; et s'ils sont peu féconds, ou si leurs cimes n'offrent que des feuilles grillées par le soleil, il faut répandre autour d'eux, quatre modius de fumier de chèvres pour les grands arbres, et pour les autres une quantité proportionnée à leur grandeur. Dans ce même temps, on doit déchausser les vignes et verser au pied de chaque cep la valeur d'un setier de fiente de pigeon, ou bien quatre conges d'urine humaine, ou quatre setiers de tout autre fumier. En deux journées de travail on déchausse un jugère de vignes, lorsqu'elles sont plantées à six pieds de distance. Le jour des ides de novembre, temps incertain, mais calme le plus souvent. Le 17 des calendes de décembre, l'aquilon souffle, et quelquefois l'auster avec pluie. Le 16 des calendes de décembre, la Lyre se lève le matin; souffle de l'auster, et parfois vent violent du nord. Le 15 des calendes de décembre, souffle de l'aquilon, et quelquefois de l'auster avec de la pluie. Le 14 des calendes de décembre, le soleil passe dans le signe du Sagittaire; les Hyades se lèvent le matin; signe de tempête. Le 12 des calendes de décembre, les cornes du Taureau se couchent le soir; vent glacial du nord, et pluie. Le 11 des calendes de décembre, l'Hyade se couche le matin ; temps froid. Le 10 des calendes de décembre, le Lièvre se couche le matin; il présage la tempête. Le 7 des calendes de décembre, la Canicule se couche au lever du soleil ; temps froid. La veille des calendes de décembre, les Hyades se couchent en entier; souffle du favonius ou de l'auster; quelquefois, pluie. Pendant ces jours, il faut continuer les travaux qu'on n'a pu faire précédemment. Si l'on n'a pas beaucoup d'ensemencements faire, il sera très bon de les avoir terminés pour les calendes de décembre. Il faut emprunter aux nuits, alors fort longues, quelque temps pour l'ajouter au jour, d'autant mieux qu'il est beaucoup de choses que l'on peut très bien faire pendant la veillée. En effet, si nous possédons des vignes, on peut tailler et aiguiser les pieux et les échalas; si le pays produit beaucoup de férule et d'écorces, on doit faire des ruches pour les abeilles; si le palmier ou le sparte est commun, on tressera des cabas et des paniers; si l'on possède des arbustes, on fera des corbeilles avec leurs scions. Enfin, pour ne pas entrer dans un détail inutile, il n'y a pas de contrée qui ne fournisse la matière de quelques ouvrages qui puissent se faire pendant les veillées. Effectivement il n'y a qu'un agriculteur paresseux qui borne ses occupations à la brièveté du jour, surtout dans les contrées où les jours d'hiver ne sont que de neuf heures et les nuits de quinze. On peut aussi émonder le saule que l'on a coupé la veille pour le travail de la veillée, et en préparer des liens pour la vigne; s'il est d'une nature peu flexible, il faut le couper quinze jours d'avance, et quand il est émondé l'enfouir dans le fumier, afin qu'il s'y assouplisse. Si au contraire, coupé depuis longtemps, il s'est desséché, on le fera macérer dans une mare. On peut encore, durant la veillée, aiguiser les instruments de fer, leur faire de, manches ou les leur adapter : l'yeuse, puis le charrue, et enfin le frêne sont les bois qui conviennent le mieux pour cet objet. Le jour des calendes de décembre, le temps est incertain; le plus souvent cependant il est calme. Le 8 des ides de décembre, le Sagittaire se couche à moitié; il annonce la tempête. Le 7 des ides de décembre, l'Aigle se lève, au matin ; l'africus souffle, quelquefois l'auster ; pluie légère. Le 3 des ides de décembre, souffle du corus ou du septentrion, et quelquefois de l'auster avec pluie. Durant ces jours, on doit achever les opérations que l'on n'a pu exécuter pendant le mois précédent, c'est-à-dire dans les contrées tempérées ou chaudes : car en pays froid on ne pourrait plus les faire avantageusement. Le jour des ides de décembre, le Scorpion se lève entièrement le matin; temps froid. Le 16 des calendes de janvier, le soleil effectue son passage dans le signe du Capricorne. C'est l'époque du solstice d'hiver, comme le prétend Hipparque : aussi il annonce souvent la tempête. Le 15 des calendes de janvier présage de changement de vent. Le 10 des calendes de janvier, la Chèvre se lève le matin; elle annonce la tempête. Le 9 des calendes de janvier annonce le solstice d'hiver, comme l'ont observé les Chaldéens. Le 6 des calendes de janvier, le Dauphin commence à se lever le matin; il présage la tempête. Le 4 des calendes de janvier, l'Aigle se couche le soir; temps froid. Le 3 des calendes de janvier la Canicule se couche le soir; signe de tempête. La veille des calendes de janvier, temps venteux. Tant que durent ces jours, ceux qui s'occupent sérieusement d'agronomie prétendent qu'on ne doit pas ouvrir la terre avec le fer, à moins que l'on ne soit obligé de serfouir les vignes avec la boue à deux dents. C'est pourquoi, à ce genre de travail près, ils entreprennent tout ce qui peut être fait, comme la récolte des olives, la confection de l'huile, l'échalassement de la vigne et sa ligature jusqu'à la naissance des bras, le placement des jougs et le dressement des sarments sur ce support. Au surplus, en ce temps, il ne convient pas de palmer, c'est-à-dire de lier les branches des vignes, parce que la roideur que leur donne le froid en causerait la rupture. On peut aussi, pendant ces jours, greffer avec succès les cerisiers, les jujubiers, les abricotiers, les amandiers, et les autres arbres qui fleurissent les premiers. Quelques cultivateurs sèment aussi des légumes. Le jour des calendes de janvier, le temps est incertain. Le 3 des nones de janvier, l'Écrevisse se couche; temps variable. La veille des nones de janvier, on est arrivé à la moitié de l'hiver; l'auster souffle fortement; quelquefois il pleut. Le jour des nones de janvier, la Lyre se lève le matin; temps variable. Le 6 des ides de janvier, souffle de l'auster, et quelquefois du favonius. Le 5 des ides de janvier, l'auster souffle, et parfois il tombe de la pluie. La veille des ides de janvier, l'état du ciel est incertain. Pendant ces journées, les agriculteurs scrupuleux s'abstiennent des travaux de la terre, de manière pourtant que, le jour même des calendes de janvier, ils recommencent chaque espèce d'opérations pour prendre à ce sujet les augures. Au reste ils diffèrent le labourage jusqu'aux ides prochaines. Le métayer ne doit pas ignorer quelles sont les rations qu'il faut livrer tous les jours de chaque mois à une paire de boeufs : aussi nous allons l'initier à cette partie de son administration.Durant le mois de janvier, il leur donnera de la paille soit avec six setiers d'ers macéré, soit avec un demi-modius de cicérole moulue, ou bien des feuilles ce que peut en contenir une corbeille à fourrage de vingt modius, ou de la paille à discrétion et vingt livres de foin, ou une ample quantité de feuilles vertes d'yeuse ou de laurier, ou bien encore (ce qui est préférable à tout cela) de la dragée d'orge sèche. La nourriture des boeufs sera la même en février. En mars on leur fera suivre le même régime, ou s'ils ont du travail à faire, on leur donnera cinquante livres de foin. Durant le mois d'avril, leur nourriture se composera de feuilles de chêne et de peuplier, et, depuis les calendes de ce mois jusqu'aux ides, de paille ou de quarante livres de foin. Au mois de mai, on leur donne du fourrage en abondance. A partir des calendes de juin, on leur fournira une large provision de feuillage; en juillet et en août de même, ou bien cinquante livres de paille d'ers. ) En septembre on leur offrira du feuillage en abondance; en octobre, du feuillage et des feuilles de figuier. Au mois de novembre jusqu'aux ides, on leur donnera une corbeille de feuillage ou de feuilles de figuier; puis, à partir des ides, un modius de gland mêlé avec de la paille et un modius de lupins macérés également mêlé de paille, ou de la dragée mûre. En décembre, on les nourrira de feuilles sèches, ou de paille avec un demi-modius soit d'ers macéré, soit de lupins macérés aussi, ou bien on leur donnera un modius de gland, comme nous avons dit ci-dessus, ou bien encore de la dragée.
Détails en prose sur la culture des jardins et sur les herbes potagères.
Après avoir développé les travaux que le métayer doit exécuter aux diverses époques de l'année, nous n'oublierons pas la promesse que nous avons faite de parler de la culture des jardins, dont il doit aussi prendre soin, afin de diminuer d'autant la dépense journalière de sa nourriture, et de pouvoir offrir à son maître, lorsqu'il survient, les produits non achetés de sa terre, comme dit le poète.Dans son livre qu'il appelle les Géorgiques, Démocrite est d'avis que c'est agir avec peu de sagesse, que d'entourer leurs jardins de murailles : car celles qui sont faites de briques ne peuvent durer longtemps en raison de l'altération que leur causent d'ordinaire les pluies et les tempêtes; et celles qui sont construites en pierre occasionnent une dépense au-dessus de l'importance de son objet : en effet, il faut être riche pour entreprendre une clôture de quelque étendue. Je vais donc donner le moyen de mettre, sans des frais énormes, un jardin à l'abri des incursions des hommes et des animaux. Les plus anciens auteurs ont donné la préférence, sur les treillages, à une haie vive, parce que non seulement elle exigeait une moindre dépense, mais qu'elle durait pendant fort longtemps : c'est pourquoi ils ont indiqué le moyen suivant pour former des buissons en semant des épines. Après l'équinoxe d'automne et dès que les pluies auront humecté la terre, vous entourerez de deux tranchées distantes entre elles d'un espace de trois pieds, le lieu que vous destinez à être enclos. Il suffira de donner à ces excavations deux pieds de largeur et de profondeur. Du reste on les laissera passer l'hiver en cet état, se bornant à préparer les semences qu'on se propose d'y déposer. Ces graines seront celles des arbustes les plus épineux, surtout de la ronce, du paliure et de cet arbrisseau que les Grecs nomment g-kunosbaton, et que nous appelons buisson de chien. Il faut choisir des graines très mûres de ces arbrisseaux épineux et les mêler avec de la farine d'ers moulu, détrempée dans de l'eau, puis en enduire de vieux câbles ou tout autre cordage. Quand ces cordes seront séchées, on les déposera sur des planches; puis, quarante jours après le solstice d'hiver, vers l'arrivée des hirondelles, quand le favonius commence à s'élever, à l'expiration des ides de février, on tarit l'eau qui, pendant l'hiver, a pu se fixer dans les tranchées, et on les remplit, jusqu'à moitié de leur profondeur, avec la terre ameublie qu'on en avait extraite dans l'automne. On ôte alors de dessus les planches les cordes, dont nous venons de parler, on les déroule, puis on les étend dans les deux tranchées en les recouvrant de terre, de manière toutefois qu'une trop grande épaisseur n'empêche pas de pousser les semences qui sont restées attachées aux brins de ces cordages. Ces graines lèvent au bout de trente jours environ. Dès qu'elles commenceront à prendre quelque accroissement, on les accoutumera à s'incliner vers l'espace qui sépare les tranchées. Au surplus, il faudra planter au milieu de cet intervalle une haie de gaulettes, afin que les plants de chaque rigole puissent y grimper, et qu'elle leur serve comme d'appui, pour se soutenir jusqu'à ce qu'ils aient acquis de la force. Il est évident qu'une telle haie ne peut périr, à moins qu'on ne veuille la déraciner entièrement : car il n'est douteux pour personne que même après y avoir mis le feu, elle ne repousse qu'avec plus de vigueur. Ce mode d'enclore un jardin a été le plus approuvé par les anciens. D'abord on doit choisir l'emplacement du jardin, si la position du terrain le permet, à peu de distance des bâtiments, dans un fond gras, qu'un ruisseau permette d'arroser, ou, à défaut de cours d'eau, un puits. Mais, pour que ce puits donne une garantie certaine qu'il ne tarira pas, il faut le creuser, quand le soleil est près de sortir du signe de la Vierge, c'est-à-dire dans le mois de septembre, avant l'équinoxe d'automne : alors surtout on apprécie la force des sources, quand, par suite de la longue sécheresse de l'été, la terre est privée d'eaux pluviales. Au surplus, il faut avoir soin que le jardin ne se trouve pas placé au- dessous de l'aire, afin que les vents, à l'époque du battage des grains, n'y puissent apporter de la paille ou de la poussière : car l'une et l'autre sont préjudiciables aux herbes potagères. Il y a deux époques pour la disposition et le défoncement du terrain, parce qu'il y en a deux aussi pour l'ensemencement des légumes. En effet, la plupart se sèment tant en automne qu'au printemps; toutefois, dans un sol humide, les semailles du printemps sont préférables, parce que les graines, en sortant de terre, sont favorisées par la douce température du commencement de l'année, et que les sources sont là pour remédier à la sécheresse de l'été.Mais lorsque la nature des lieux ne permet pas de se procurer de l'eau spontanément ou d'en transporter, on n'a d'autre ressource que dans les pluies de l'hiver. On peut pourtant, même dans les endroits très secs, obtenir de bons résultats en défonçant le sol plus profondément : à cet effet il suffit de remuer avec la houe à deux dents jusqu'à la profondeur de trois pieds, le sol que ce labeur fait renfler à une hauteur de quatre. Quand, au contraire, il est facile d'arroser, on peut se contenter de la petite houe, c'est-à-dire de celle dont le fer a moins de deux pieds, pour retourner le sol qu'on veut mettre en culture. On aura soin toutefois que le terrain qu'il faut ensemencer au printemps, soit défoncé avec la houe à deux dents vers les calendes de novembre; et que celui qui doit recevoir les semences en automne, soit tourné au mois de niai, afin que soit les froids de l'hiver, soit les chaleurs de l'été, mûrissent les glèbes et fassent périr les racines des herbes. On ne devra pas fumer cette terre longtemps d'avance ; et, lorsque le temps de semer approchera, il faudra cinq jours auparavant sarcler les herbes parasites, répandre le fumier, et biner assez soigneusement pour qu'il soit bien mélangé avec la terre. Pour cet usage, le meilleur fumier est celui de l'âne, parce qu'il fait pousser moins d'herbes : celui qui en approche le plus est. celui des grands bestiaux ou des moutons, quand il s'est mûri toute une année; quant aux excréments humains, quoique procurant un engrais excellent, ils ne doivent pas être employés, à moins que ce ne soit dans un terrain de pur gravier ou de sable friable et privé de toute force végétative, car il réclame des aliments très substantiels. En conséquence, le terrain que nous destinons à l'ensemencement du printemps devra rester, à la suite de l'automne, après avoir été bien remué, exposé à l'action des gelées et des frimas de l'hiver : car, par un effet contraire, la force du froid, comme la chaleur de l'été, recuit la terre et l'ameublit par la fermentation. Ainsi, l'hiver étant passé, on répandra le fumier, et vers les ides de janvier le jardin, bien remué, sera divisé en planches. Elles seront disposées de manière que la main du sarcleur parvienne sans difficulté au milieu de leur largeur, afin que celui qui arrache les herbes parasites ne soit pas forcé de marcher sur les semis; mais qu'au contraire il puisse, en parcourant les sentiers, nettoyer alternativement chaque moitié des planches. Nous avons assez parlé de ce qu'il faut faire avant l'ensemencement; maintenant nous allons prescrire en quel temps il faut ou cultiver ou semer. Il est d'abord à propos de parler des espèces de graines qu'on peut confier à la terre à deux époques, c'est-à-dire en automne et au printemps. Les graines de chou, de laitue, d'artichaut, de roquette, de cresson alénois, de coriandre, de cerfeuil, d'aneth, de panais, de chervi et de pavot se sèment vers les calendes de septembre ou, mieux encore, en février, avant les calendes de mars; mais dans les lieux secs ou tempérés, comme sont les contrées maritimes de la Calabre et de l'Apulie, on peut les semer vers les ides de janvier. Quant aux végétaux qu'on ne doit planter qu'en automne (en supposant toutefois que nous habitions un sol maritime ou bien exposé au soleil), ce sont, entre autres, l'ail, les têtes d'oignon, l'ulpique, le sénevé. Nous allons, au surplus, classer par mois les plantes qu'il convient ordinairement de confier à la terre à des époques déterminées. Ainsi, aussitôt après les calendes de janvier, on peut semer le cresson alénois; au mois de février, on repique ou on sème la rue et l'asperge; on fait un nouveau semis d'oignon et de poireau; et si l'on veut avoir des productions de printemps et d'été, on jette en terre les graines de raiforts, de raves et de navets. C'est, eu outre, le dernier temps pour semer l'ail et l'ulpique; toutefois, vers les calendes de mars, on peut, en terrain bien exposé au soleil, repiquer le poireau, s'il est assez fort, et de même le panais dans la dernière quinzaine de mars; puis, vers les calendes d'avril, le poireau, l'année et le plant de rue qui a été semée tard. Pour obtenir des primeurs, on sème à cette époque le concombre, la courge, le câprier. Quant à la graine de bette, on la sèvrera convenablement lors de la floraison du grenadier; il est encore a propos de transplanter les têtes de poireau vers les ides de mai. Après ces opérations, on ne peut plus rien confier à la terre en raison de l'été qui s'approche, si ce n'est la graine de céleri, pourvu toutefois qu'on puisse l'arroser : à cette condition, il pousse bien en été. Au reste, dans le mois d'août, vers les fêtes de Vulcain, on procède au troisième ensemencement. C'est le temps le plus favorable pour semer les racines, les raves, les navets, le chervi, et aussi le marum. Je vais présentement parler de chacune des plantes qui réclament quelque soin; quant à celles dont je ne dirai rien, on doit comprendre qu'elles n'ont besoin que d'être sarclées : ainsi je n'ai rien à en dire, sinon qu'en tout temps on doit les débarrasser des herbes parasites. L'ulpique, que quelques personnes appellent ail de Carthage, et les Grecs g-aphroskorodon (ail africain), devient plus gros que l'ail commun. Vers les calendes d'octobre, avant de le planter, on divise sa tête en plusieurs bulbes; car il a, comme l'ail ordinaire, plusieurs gousses réunies; quand ces gousses sont séparées, on doit les piquer en lignes de manière que, placées sur la crête des rayons, ils aient moins à souffrir des pluies d'hiver. Ces rayons sont semblables aux porques que les paysans pratiquent dans les champs labourés pour préserver leurs semailles de l'humidité; mais ceux des jardins ont moins de hauteur, et c'est sur leur sommet, c'est-à-dire sur leur dos que, à un palme de distance, on dispose les caïeux de l'ulpique ou de l'ail (car leur mode de plantation est le même). Les sillons de ces rayons seront séparés entre eux par une distance d'un demi-pied. Puis, lorsque ces caïeux auront produit trois jets, on sarclera : car plus souvent on le fait, plus ces semences prennent d'accroissement; et,avant qu'ils aient produit une tige, il conviendra de tordre toute la partie verte et de la recourber en terre, afin que les gousses acquièrent plus de grosseur. Mais, dans les contrées sujettes aux frimas, il ne faut semer ni l'une ni l'autre de ces plantes pendant l'automne, car elles pourriraient durant l'hiver; et comme cette dernière saison ne perd de sa rigueur qu'à l'approche du mois de janvier, le temps le plus favorable, dans les contrées froides, pour planter l'ail ou l'ulpique, arrive vers les ides de ce mois. Au surplus, en quelque temps qu'on les plante, ou qu'on les dépose sur des planchers quand ils sont mûrs, il faut observer, soit de ne les mettre en terre, soit de les en tirer, que dans l'interlune : car on prétend que, plantés ainsi et ainsi recueillis, leur saveur est moins âcre, et qu'ils rendent moins fétide l'haleine des personnes qui en mangent. Beaucoup de jardiniers cependant plantent ces bulbes dans le mois de décembre, au milieu du jour, avant les calendes de janvier, si la douceur du temps et la nature du sol le permettent. Quand le chou a six feuilles, on doit le transplanter, en observant toutefois d'enduire d'abord sa racine de fumier liquide, puis de l'envelopper de trois petites bandes d'algue : cette pratique rend ce légume plus tendre à la cuisson, et lui conserve sa couleur verte sans le secours du nitre. Dans les pays froids et pluvieux, le meilleur moment de le planter est le temps qui suit les ides d'avril. Lorsque ce plant aura repris, il poussera d'autant mieux que le jardinier se trouvera en position de le sarcler souvent et de le fumer : il développera plus amplement ses feuilles et sa cime. Quelques personnes, dans les lieux plus exposés au soleil, plantent le chou à partir des calendes de mars; mais sa plus forte végétation se projette en cime, et, quand une fois elle a été coupée, il ne pousse plus par la suite de larges feuilles pour l'hiver. Au reste, on peut transplanter deux fois les choux même très grands; et en agissant ainsi, on assure qu'on en obtient plus de graine, et que cette graine acquiert plus de développement.On doit transplanter la laitue quand elle a autant de feuilles que le chou. Dans les localités bien exposées au soleil, et sur les bords de la mer, on la plante avec avantage en automne : il n'en est pas de même de l'intérieur des terres et des pays froids; il n'est pas bon, non plus, de l'y repiquer en hiver. Ses racines doivent aussi être enduites de fumier. Elle réclame plus d'eau que le chou, et cette eau rend ses feuilles plus tendres. Il existe plusieurs espèces de laitues qui ont aussi chacune leur époque pour être semées. On sème à propos au mois de janvier celles qui sont de couleur brune et comme pourprée, ou même la verte, dont la feuille est crépue, comme la cécilienne; au mois de février, la cappadocienne dont la feuille est d'un vert pâle, bien dressée et épaisse ; et au mois de mars, la laitue blanche, à feuille très crépue, comme celle de la province Bétique et des confins de la cité de Gadès. On plante aussi avantageusement jusqu'aux ides, d'avril la laitue de Gypre, qui est d'un blanc rosé, et dont la feuille est lisse et très tendre. Toutefois, dans les lieux bien exposés au soleil et où l'eau se trouve en abondance, on peut presque toute l'année semer des laitues. Pour retarder le développement de leur tige, quand elles ont pris quelque accroissement, on place sur leur centre un petit tesson qui par son poids les refoule en quelque sorte et les force à s'étendre en largeur. On en use de même à l'égard de la chicorée, mais elle supporte mieux l'hiver : aussi peut-on la semer au commencement de l'automne, même dans les régions froides.Le meilleur temps pour la plantation en lignes des oeilletons de l'artichaut est l'équinoxe d'automne ; sa graine se sème plus avantageusement vers les calendes de mars. Les pieds qu'on repique vers les calendes de novembre doivent être amendés avec beaucoup de cendre : car c'est le genre d'amendement qui paraît convenir le mieux à ce légume. On laisse en place, au lieu où ils ont été semés, le sénevé, la coriandre, la roquette et le basilic : pour toute culture ils ne veulent qu'être fumés et sarclés. On peut d'ailleurs les semer non seulement en automne, mais encore au printemps. Quand les pieds de sénevé sont transplantés au commencement de l'hiver, ils produisent au printemps une cime plus développée. Dans l'une et l'autre de ces deux saisons, le panais doit être semé en terre légère et bien remuée, aussi peu dru qu'il est possible, afin qu'il puisse prendre plus d'accroissement : il vaut mieux toutefois le semer pendant le printemps. Pour obtenir des poireaux sectiles, nos anciens ont prescrit de les semer très dru, et, quand ils auront pris de l'accroissement, de les mettre en coupe; mais l'expérience nous a appris qu'il y avait beaucoup plus d'avantage à les transplanter, à les disposer à un léger intervalle, c'est-à-dire à quatre doigts de distance, comme le poireau à tête; puis on les coupe, quand ils ont pris de la force. Au reste, il faut observer, avant de Ies transplanter, si vous voulez leur procurer une grosse tête, de leur couper toutes les petites racines, de tondre l'extrémité des feuilles, et d'enfouir sous la bulbe un tesson ou une coquille pour leur servir comme de siége, afin que cette tête prenne un plus grand volume. Au reste, toute la culture du poireau à tête se borne à le sarcler souvent et à le fumer; celle du poireau sectile n'en diffère qu'en ce point, que toutes les fois que l'on en fait une coupe, il faut arroser, fumer et sarcler. On le sème au mois de janvier dans les lieux chauds, en février dans les cantons froids. Afin qu'il pousse plus vite, on lie plusieurs semences dans une toile claire, et on les met ainsi en terre. Lorsqu'elles sont levées, on doit différer la transplantation jusque vers l'équinoxe d'automne, dans les lieux où l'arrosement est impossible; mais clans ceux où l'on peut leur donner de l'eau, on les transplante avec avantage au mois de mai. On peut aussi obtenir l'ache, soit par la transplantation, soit par le semis. Elle se plaît surtout dans l'humidité : aussi la place-t-on avec avantage auprès des fontaines. Si l'on veut qu'elle donne de larges feuilles, ou nouera dans un linge à large tissu autant de graines que trois doigts peuvent en saisir, et ainsi disposées on les mettra à distance sur les planches du jardin; ou, si on la préfère à feuilles frisées, on mettra la graine dans un mortier, on l'y écrasera avec un pilon de bois de saule, et après l'avoir mondée et liée dans un linge, on la recouvrira de terre. Sans prendre cette peine, on peut, quelle que soit la manière dont on l'ait semée, obtenir de l'ache frisée : on arrête son essor, dès quelle est levée, eu roulant dessus un cylindre. Le temps le plus favorable pour la semer est celui qui est compris entre les ides de mai et le solstice d'été; car cette plante aime une douce chaleur. A peu près dans le même temps, on sème le basilic. Quand ses graines sont mises en terre, on la foule soigneusement avec une hie ou un cylindre : car en laissant la terre suspendue, elles se pourrissent presque toujours. Le panais, le chervi et l'année prospèrent dans un sol profondément défoncé avec la houe à deux dents et bien fumé; mais il faut avoir soin de laisser entre elles une grande distance, afin qu'elles puissent prendre plus d'accroissement. Quant à l'année, il convient d'en semer la graine à trois pieds d'intervalle, parce qu'elle développe de grandes liges, et que ses racines tracent comme les oeilletons du roseau. Tous ces végétaux n'ont besoin pour toute culture que d'être débarrassés des herbes par le sarclage. On les plante très convenablement dans la première moitié de septembre ou dans la dernière d'août. Le marum, que quelques Grecs appellent g-hipposelinon, et d'autres g-smurnion, doit être semé en terre défoncée à la houe à deux dents, surtout près d'un mur, parce qu'il aime l'ombre; il pousse bien en toute espèce de terrain. Une fois semé, il durera toujours, si on ne le déracine pas entièrement, et qu'on laisse successivement monter les tiges en graine; il n'exige que la faible culture du sarclage. On le sème à partir des fêtes de Vulcain jusqu'aux calendes de septembre, et même au mois de janvier. La menthe se plaît dans une douce moiteur; c'est pourquoi il convient de la semer au mois de mars près d'une source. Si par hasard vous n'avez pas de graine à votre disposition, vous pouvez arracher de la menthe sauvage dans des jachères, et la planter la tête en bas :c'est le moyen de lui faire perdre l'âcreté de sa saveur et d'en faire de la menthe cultivée. La rue, semée en automne, doit, au mois de mars, être transplantée au soleil, entourée de cendre, et, jusqu'à ce qu'elle ait pris de la force, être débarrassée des herbes qui la feraient périr. Pour la sarcler, on s'enveloppera les mains; car si l'on omettait cette précaution, elles se couvriraient d'ulcérations pernicieuses. Pourtant si, faute de connaître le danger, vous avez fait le sarclage ayant la main nue, et qu'il vous soit survenu des démangeaisons et des pustules, frottez aussitôt d'huile la partie malade. Ses branches se conservent sans altération plusieurs années, à moins qu'une femme, dans le moment de ses menstrues, ne vienne à la toucher : car alors la plante se dessèche. Ainsi que je l'ai dit dans un des livres précédents, ceux qui élèvent des abeilles, plutôt que les jardiniers, s'adonnent à la culture du thym, de l'origan d'outre-mer et du serpolet; toutefois nous pensons qu'il n'est pas indifférent d'en avoir dans les jardins pour s'en servir comme de condiments : car ils conviennent beaucoup dans certains mets. Ils désirent un terrain qui ne soit ni gras ni fumé, mais bien exposé au soleil, vu qu'ils naissent ordinairement dans le voisinage de la mer, sur des fonds très maigres. On les propage de graine ou de plant vers l'équinoxe du printemps ; cependant il vaut mieux planter de jeunes pieds de thym, et, pour qu'ils ne tardent pas à reprendre, après avoir été repiqués dans un terrain bien remué, on broiera des rameaux secs de cet arbuste, qu'on fera ensuite infuser dans de l'eau la veille du jour où l'on veut s'en servir, et quand le liquide se sera bien saturé du suc de la plante, on en arrosera les pieds nouvellement mis en terre, jusqu'à ce qu'ils se soient convenablement fortifiés. Quant à l'origan, il est trop vivace pour avoir besoin de grands soins. Lorsqu'on sème le passerage avant les calendes de mars, on peut le mettre en coupe, comme le porreau sectile, mais plus rarement, et il faudra cesser de le tondre après les calendes de novembre, parce qu'offensé par le froid, il mourrait. Toutefois il produira pendant deux ans, s'il est sarclé et fumé avec soin; dans beaucoup de lieux même il prolonge sa vie jusqu'à dix ans. On met en terre la graine de bette à l'époque de la floraison du grenadier : dès qu'elle a donné cinq feuilles, comme le chou, on la transplante pendant l'été, si le jardin est facile à arroser; mais si le terrain est sec, on ne doit effectuer cette transplantation qu'en automne, lors des premières pluies. Le cerfeuil et l'arroche potagère, que les Grecs appellent g-atraphasun, doivent être semés vers les calendes d'octobre, dans un terrain qui ne soit pas très froid; si le pays était sujet à des hivers rigoureux, on diffèrerait de semer ces plantes jusqu'après les ides de février, pour les transférer ensuite de l'endroit où elles se trouvent en masse. Le pavot et l'aneth sont soumis aux mêmes conditions d'ensemencement que le cerfeuil et l'arroche. On prépare, près de deux ans d'avance, les griffes de l'asperge cultivée et celles de l'asperge que les paysans appellent corrude : après les ides de février, on en sème la graine en terrain gras et bien fumé, de manière que chaque fossette en reçoive autant que trois doigts peuvent en saisir : au bout de quarante jours environ, les racines s'enchevêtrent et forment comme une seule masse. Les jardiniers appellent éponges ces petites racines ainsi attachées et réunies. Il est convenable de les transporter, vingt-quatre mois après, dans un lieu exposé au soleil, bien humide et fumé. Les sillons seront entre eux distants d'un pied, et n'auront pas plus de neuf pouces de profondeur : on y place les griffes de manière qu'elles puissent facilement percer la terre qui les couvre. Quant aux terrains secs, on dispose les graines au fond des sillons pour qu'elles y restent comme dans de petites auges; mais, dans les fonds humides, on les place, au contraire, sur le dos des rayons pour que l'excès de l'eau ire les incommode pas. Un an après que les asperges ont été ainsi plantées, on casse le turion qu'elles ont produit car si on voulait l'arracher entièrement, toute la griffe suivrait les racines tendres et faibles encore. Les années suivantes, on ne les cassera plus; mais on les arrachera entièrement : si on agissait autrement, les tiges rompues éteindraient les yeux des griffes, les aveugleraient, eu quelque sorte, et ne leur permettraient plus de produire de turions. Au reste, les derniers jets qui naissent dans l'automne ne doivent pas être totalement enlevés : il faut en réserver une partie pour graille. Puis, quand ils auront monté, et qu'on aura recueilli les semences, il n'y aura autre chose à faire aux tiges que de les brûler, puis de sarcler tous les sillons, et d'arracher les mauvaises herbes; peu de temps après, on jettera sur le plant du fumier ou de la cendre, afin que, pendant la durée de l'hiver, leur suc, délayé par les pluies, parvienne jusqu'aux racines. Le printemps venu, avant que l'asperge ait commencé à germer, on serfouira la terre avec le chevreau, qui est une espèce d'instrument de fer à deux dents, afin que le turion se fasse jour plus facilement, et que, la terre étant meuble, il acquière plus de grosseur. On peut fort bien semer deux fois dans l'année la graine du raifort : dans le mois de février, si on veut. avoir de ces racines au printemps, et au mois d'août, vers les fêtes de Vulcain, si l'on désire des primeurs : cette dernière plantation est incontestablement la meilleure. Tout le soin qu'exige cette racine consiste à être mise dans une terre fumée et ameublie; puis, lorsque le raifort a pris quelque accroissement, on le recharge de terre : car s'il voyait le jour il deviendrait dur et fongueux. Le concombre et la courge demandent peu de soin, lorsqu'on a de l'eau en abondance : car ils ont besoin de beaucoup d'humidité. Si, au contraire, on est obligé de les semer en terrain sec, où l'on ne puisse pas les arroser convenablement, on fera, dans le mois de février, des sillons d'un pied et demi de profondeur; après les ides de mars, on remplira de paille pressée le tiers environ de cette cavité, puis on étendra dessus, jusqu'à la moitié du sillon, de la terre futée dans laquelle on enfoncera les pépins, auxquels on donnera de l'eau jusqu'à ce qu'ils soient levés. Lorsque la plante commencera à prendre de la force, on les rechaussera, à mesure de sa crue, avec la terre du sillon, jusqu'à ce qu'il en soit rempli. Ainsi traités, les jeunes plants viendront assez bien pendant tout l'été sans être arrosés, et donneront un fruit de meilleur goût que ceux auxquels on aura donné de l'eau. Dans les lieux humides, au contraire, on sème de bonne heure les cucurbitacées (toutefois pas avant les calendes de mars), afin de pouvoir les transplanter immédiatement après l'équinoxe du printemps. Il faut planter, la cime en bas, les graines de courge recueillies dans son centre, afin que le fruit devienne plus volumineux : car il y a des courges, telles que celles d'Alexandrie, qui sont assez propres à faire des vases. Si l'on destine ces fruits à la table, il faudra placer leur cime droite en terre, et prendre les pépins prés du pédoncule : ce qui, les faisant pousser plus longs et plus effilés, leur donne plus de prix qu'aux autres. Au surplus, il faudra bien prendre garde de laisser entrer aucune femme dans le lieu où l'on a semé des concombres ou des courges : car il suffirait qu'elle touchât les pousses les plus vigoureuses pour les faire languir; si même elle se trouvait à l'époque de ses règles, son seul regard ferait périr les jeunes fruits.Le concombre sera tendre et très agréable au goût, si, avant de le semer, on en fait macérer les pépins dans du lait; quelques personnes même, pour le rendre plus doux encore, les font tremper dans de l'eau miellée. Ceux qui veulent obtenir des concombres très précoces doivent les semer après le solstice d'hiver dans de petites corbeilles remplies de terre fumée que l'on arrose légèrement; ensuite, quand les pépins sont levés, on place ces corbeilles en plein air au soleil près des bâtiments pour les mettre à l'abri des vents, et on les rentre à la maison pendant le froid et les tempêtes. On continue à prendre ces précautions jusqu'à l'arrivée de l'équinoxe du printemps : alors on enterre entièrement les corbeilles. Par ce moyen, on obtient des fruits précoces. On peut même, si le produit dédommage de la peine, adapter des roulettes sous des vases de grande dimension, afin de les faire sortir et de les rentrer ensuite à la maison avec moins de peine. En outre on devra les couvrir de vitraux pour qu'on puisse les exposer au soleil, même pendant le froid, lorsque le temps est serein. Au moyen de tels procédés on offrait, presque toute l'année, des concombres à l'empereur Tibère. Nous avons lu dans Bolus de Mendès, auteur égyptien, que, avec moins de peine, on obtient le même résultat : il prescrit d'établir, en un lieu du jardin qui soit exposé au soleil et bien fumé, des lignes alternatives de férules et de ronces; puis, après l'équinoxe, de les couper un peu au-dessous du niveau du sol, d'enfoncer, au moyen d'un stylet de bois, un peu de fumier dans la moelle de la férule et de la ronce, et d'y introduire les pépins de concombre pour qu'en poussant ils fassent corps avec ces plantes; de sorte qu'ils se nourrissent, non pas de leur racine propre, mais de celle de la plante qu'on pourrait appeler leur mère : la tige ainsi greffée donne du fruit, même pendant le froid. On observera de faire le second ensemencement vers les Quinquatries. Le câprier pousse spontanément sur les jachères dans plusieurs provinces. Mais, si on le sème dans les lieux où il ne se trouve point, il préférera un terrain sec. On devra, avant tout, entourer ce terrain d'un petit fossé, que l'on remplira de pierres et de chaux, ou de mortier carthaginois, pour former comme une espèce de bouclier qui s'oppose au passage des tiges de cet arbrisseau, qui s'étendrait presque partout le champ, si on ne l'arrêtait par quelque obstacle fortifié. Cet inconvénient, toutefois, n'est pas si grand (car on peut de temps en temps extirper ces tiges) que celui qui résulte du virus pernicieux qu'elles renferment, et dont le poison rend le sol stérile. Le câprier n'a pas besoin de culture, ou du moins se contente de peu de soins, puisqu'il prospère dans les lieux déserts sans que les cultivateurs s'en occupent. On le sème à l'époque des deux équinoxes. Le plant d'oignon demande une terre plutôt fréquemment remuée que profondément labourée. C'est pourquoi on doit, après les calendes de novembre, lui donner un premier labour, afin que les froids et les frimas de l'hiver la mûrissent; après un intervalle de quarante jours, on la binera; puis vingt et un jours après on lui donnera un troisième tour et aussitôt on la fumera; peu après on la fouira bien également avec la binette, et après en avoir arraché les racines, on la disposera en planches. Ensuite, vers les calendes de février, on choisira un jour serein pour y répandre la graine, à laquelle on mêlera un peu de semence de sarriette pour en avoir au besoin : car verte elle est agréable à manger, et sèche elle n'est pas inutile dans l'assaisonnement des mets. On doit sarcler les oignons très fréquemment, au moins quatre fois. Si l'on veut en recueillir la graine, on plantera en lignes, au mois de février, quelques grosses têtes de l'espèce d'Ascalon, qui est la meilleure, en les espaçant de quatre ou cinq doigts; quand elles commenceront à pousser, on les sarclera trois fois au moins;quand ensuite elles auront produit une tige, on la maintiendra au moyen de petits cantères placés dans les intervalles qui les séparent : car, si l'on ne disposait pas des roseaux transversalement rapprochés, à la manière du joug des vignes, les tiges des oignons seraient renversées par les vents, et toute la graine serait dispersée. Au surplus, il ne faut pas la recueillir avant qu'elle ait commencé à mûrir et pris la couleur noire ; il faut toutefois éviter qu'elle ne sèche trop ou ne tombe entièrement, il vaut mieux cueillir les tiges entières et les faire sécher au soleil. Il y a deux époques d'ensemencement pour le navet et pour la rave; leur culture est la même que celle du raifort. Toutefois le meilleur semis se fait au mois d'août. Un jugère de champ demande quatre setiers de graine, mais on doit ajouter à cette mesure un peu plus d'une hémine de graine de raifort. Celui qui sèmera ces racines en été veillera à ce que, pendant la sécheresse, les insectes n'en dévorent pas les jeunes feuilles à mesure qu'elles sortent de terre. Pour éviter que cela n'arrive, on recueillera de la poussière qui recouvre le plancher ou même de la suie qui s'attache aux parois du foyer, et la veille du jour où l'on doit faire l'ensemencement, on la mêlera avec les graines, et on l'imbibera d'eau, afin que celles-ci puissent se saturer du suc de ces matières pendant une nuit. La semence ainsi trempée sera très bonne à mettre en terre le lendemain. Certains auteurs anciens, comme Démocrite, prescrivent de mettre tremper toutes les semences dans le suc de la plante qu'ils appellent sédum, et d'employer ce même remède contre les petits insectes : notre expérience nous,a confirmé l'efficacité de ce procédé. Cependant nous nous servons plus fréquemment de suie et de la poussière dont nous avons parlé, parce qu'on trouve peu de sédum, et que ce moyen suffit pour conserver les plantes en bon état. Hygin pense qu'après le battage des grains, pendant que la paille recouvre encore l'aire, il faut y semer des raves, parce qu'ainsi elles acquièrent plus de développement en raison de la dureté du sol qui ne leur permet pas de s'enfoncer profondément. J'ai souvent fait l'essai de cette pratique sans avoir réussi; c'est pourquoi j'estime qu'il vaut mieux mettre en terre ameublie la rave, le raifort et le navet. Les agriculteurs les plus religieux conservent encore la coutume des anciens : en semant ces racines, ils prient qu'il en croisse pour eux et leurs voisins. Dans les contrées froides, où l'on craint que le semis d'automne ne soit brûlé par les gelées de l'hiver, on dresse au moyen de roseaux des cautères peu élevés, et on y étend de petites branches sur lesquelles on jette de la paille : par ce moyen on protége les semis contre les frimas. Lorsque dans les lieux exposés au soleil il survient, après les pluies, de ces animaux nuisibles que nous appelons chenilles, et que les Grecs nomment g-kampai, on doit les enlever à la main, ou, dès le matin, les faire tomber en secouant les tiges : car, quand elles tombent ainsi pendant qu'elles sont engourdies par le froid de la nuit, elles ne peuvent plus remonter à la partie supérieure de ces tiges. Cette opération, toutefois, devient inutile si, avant l'ensemencement, on a, comme je l'ai dit, mis macérer la graine dans le suc du sédum. En effet les chenilles ne nuisent pas aux semences ainsi traitées. Au reste, Démocrite affirme, dans le livre grec intitulé sur !'Antipathie, que tous ces insectes meurent si une femme, ayant ses règles, fait trois fois le tour de chacune des planches ensemencées ayant les cheveux épars et les pieds nus; car on voit aussitôt après cette pratique toutes les espèces de petits vers tomber et périr. Voilà ce que. jusqu'ici j'ai cru devoir prescrire pour la culture des jardins et les devoirs du métayer. Quoique dans la première partie de ce traité j'aie dit qu'il devait être au fait de tous les travaux champêtres, et comme il arrive le plus ordinairement que nous perdons le souvenir des choses que nous avons apprises, et que nous sommes souvent obligés de recourir aux ouvrages sur la matière pour retremper nos connaissances, j'ai placé ci-dessous les arguments de tous mes livres, afin que, au besoin, on puisse trouver facilement ce qu'on désire dans chacun d'eux, et comment on doit faire chaque chose.
AVANT-PROPOS L'Athénien Xénophon, P. Silvinus, a dit, dans son livre qui a pour titre l'économique, que l'union conjugale a été instituée par la nature pour former la société non seulement de la vie la plus agréable, mais encore la plus utile. Cicéron aussi a dit autrefois que cette union assemble l'homme avec la femme pour que le genre humain ne pérît pas à la longue, ensuite pour assurer aux mortels par cette association des secours et une protection dans leur vieillesse.En outre, la nourriture et les autres besoins de la vie de l'homme ne se préparant pas dehors et dans les lieux sauvages comme ceux des animaux, mais bien à l'abri et dans la maison, il était nécessaire que des deux époux l'un sortît et s'exposât aux intempéries de l'air pour se procurer ses provisions par le travail et l'industrie, et, que l'autre restât à la maison pour les y serrer et les conserver. Ainsi, si d'un côté, pour nous procurer quelques ressources, il était nécessaire de travailler la terre, ou de nous livrer à la navigation, ou même de faire divers genres de commerce; de l'autre, il était indispensable, nos provisions une fois entassées dans notre maison, qu'une autre personne se trouvât là pour veiller à leur garde et s'occuper des autres travaux qui doivent être exécutés dans l'intérieur. En effet, les productions du sol et les autres aliments que fournit la terre manquaient d'un abri sous lequel on peut les mettre à couvert aussi bien que les petits des brebis et des autres animaux, les fruits et les diverses choses qui servent à l'espèce humaine pour sa nourriture et ses vêtements. C'est pourquoi, les objets dont nous avons parlé demandant du travail et de la diligence, et ne pouvant être conservés à la maison qu'après avoir au dehors exigé beaucoup de peine, il était juste que la nature réservât, comme je l'ai dit, les travaux de la maison à la femme, et les fatigues du dehors ainsi que les excursions lointaines au mari : aussi a-t-elle départi à l'homme les chaleurs et le froid à supporter, les voyages, les travaux de la paix et de la guerre, c'est-à-dire l'agriculture et les services militaires; et a-t-elle confié à la femme, qu'elle a faite impropre à ces occupations, la gestion des affaires domestiques. Comme elle avait disposé le sexe féminin à la conservation et à la vigilance, elle l'a rendu plus timide que le sexe masculin, parce que la crainte de perdre détermine puissamment à la vigilance pour garder ce qu'on possède. Mais l'homme étant quelquefois obligé de repousser les attaques au dehors, quand il est en plein champ occupé à chercher sa subsistance, la nature le fit plus hardi que la femme. Et comme, d'un autre côté, après avoir rassemblé les provisions, la mémoire et l'attention n'étaient pas moins nécessaires à l'homme qu'à la femme, elle a également doué l'un et l'autre de ces facultés. De plus, la simple nature, pour que tous les avantages ne fussent pas le partage d'un même individu, a voulu que les deux sexes eussent réciproquement besoin de l'autre : aussi ce qui manque à l'un se trouve ordinairement chez l'autre. Ce n'est pas en vain que Xénophon dans son Economique, et ensuite Cicéron, qui a traduit cet ouvrage en latin, se sont occupés de cette matière. Chez les Grecs, et bientôt après chez les Romains jusqu'au temps de nos pères, toutes les occupations de l'intérieur de la maison étaient confiées aux femmes, parce que les pères de famille abandonnaient toute espèce de soins de ce genre lorsque, cherchant un délassement après les exercices extérieurs, ils revenaient auprès de leurs pénates domestiques. Aussi voyait-on régner dans le ménage le plus grand respect joint à la concorde et au zèle, et les épouses, même les plus belles, étaient animées d'émulation pour s'appliquer, à force de soins, à accroître et à améliorer les biens de leurs maris. On ne voyait rien de partagé dans le ménage, rien que le mari ou la femme pût justement révendiquer comme lui appartenant en particulier : mais l'un et l'autre coopéraient à la chose commune; de sorte que le zèle de la femme pour l'intérieur rivalisât avec l'activité du mari pour les affaires du dehors. Ainsi le métayer et la métayère n'avaient pas de grandes occupations dans ces temps où les maîtres surveillaient et administraient eux-mêmes leurs propriétés. Aujourd'hui, au contraire, la plupart des femmes sont tellement énervées par le luxe et la paresse, qu'elles ne daignent pas même s'occuper du travail de la laine ; et, dans leur oisiveté, elles sont dégoûtées des vêtements faits à la maison, et poussées par leurs désirs pervertis elles obtiennent de leurs maris, à force de cajoleries, des vêtements plus précieux qu'on achète à des prix énormes, et qui absorbent pour ainsi dire leur revenu presque entier. Aussi il n'est pas étonnant que ces dames se trouvent excédées du soin de la campagne et des instruments d'agriculture, et regardent comme une chose ignoble de passer quelques jours dans leurs métairies. C'est pourquoi les anciennes habitudes des familles sabines et romaines étant non seulement passées de mode, mais même complétement anéanties, les métayères se sont trouvées nécessairement saisies du soin qui faisait partie des devoirs des dames; et les métayers ont aussi pris la place des maîtres, qui précédemment, se conformant aux anciens usages, non seulement se livraient à la culture des champs, mais même les habitaient. Mais, pour ne pas paraître mal à propos entreprendre un ouvrage de critique en blâmant les moeurs de mes contemporains, je vais maintenant m'occuper des devoirs de la métayère.
LA MÉTAYÈRE.
Soins des affaires de la maison, et préceptes sur les choses que la métayère doit exécuter. 1. Pour suivre l'ordre que nous avons commencé d'observer dans le volume précédent, nous dirons que cette femme doit être jeune, sans être pourtant à la fleur de l'âge, pour les raisons que nous avons données en parlant de l'âge du métayer. Elle doit avoir aussi une santé florissante, et n'être ni trop laide ni trop belle : car sa force doit lui permettre de supporter les veilles et les autres fatigues, et sa difformité ne point être pour son mari un sujet de dégoût, pas plus que sa beauté un motif de paresse. C'est pourquoi il faut veiller à ce que nous n'ayons pas plus un métayer coureur et qui prenne en aversion son ménage, qu'un nonchalant qui reste toujours à la maison et qui soit toujours dans les bras de sa femme. Ce que nous venons de dire n'est pas tout ce qu'on doit observer à l'égard de la métayère : car il faudra principalement considérer si elle n'est pas adonnée au vin, à la gourmandise, à la superstition, au sommeil, au libertinage, et si elle est assez soigneuse pour se souvenir de ce qu'elle a fait et pour songer à ce qu'elle doit faire, de manière à pouvoir suivre à peu près les règles que nous avons prescrites pour le métayer. En effet, la plupart des obligations s'appliquent également au mari et à la femme : ils devront donc aussi bien l'un que l'autre éviter le mal qu'espérer la récompense de leur bonne conduite. Au surplus la métayère s'occupera assez pour que le métayer n'ait à faire dans la maison que le moins de besogne qu'il sera possible; car dès le point du jour il doit sortir avec ses gens et ne rentrer qu'au crépuscule, alors qu'il est fatigué du travail des champs. Toutefois, en traçant les devoirs de la métayère, nous ne dispensons pas son mari des soins de l'intérieur, mais nous voulons seulement lui en alléger le fardeau en lui donnant une aide. Au reste le service de la maison ne doit pas être tout entier abandonné à la gestion de la femme, mais lui être remis de telle sorte que le métayer le surveille de temps en temps. Par ce moyen la métayère sera plus diligente en se souvenant qu'il y a près d'elle quelqu'un à qui elle devra rendre compte fréquemment. Elle sera bien persuadée aussi qu'elle doit, sinon toujours, du moins le plus souvent, rester à la maison, afin de pouvoir envoyer au dehors les esclaves qui ont quelque travail à faire dans les champs, et de retenir près d'elle ceux dont elle a besoin, et de surveiller si, par leur inaction prolongée, ils ne portent pas préjudice aux opérations. Elle examinera avec attention les choses qu'on lui apportera à la maison, pour s'assurer qu'elles sont en bon état, et elle ne les recevra qu'après cette inspection et avoir reconnu qu'elles sont de bonne qualité; elle séparera ce qui doit être aussitôt consommé de ce qui, étant propre à être gardé, doit être mis en réserve, de manière à ne pas dépenser dans un mois ce qui peut faire la provision de l'année. Si quelque esclave est affecté d'un commencement de maladie, elle s'appliquera à lui administrer les soins les plus convenables : car ces bons soins ne contribuent pas moins à lui concilier l'affection qu'à rendre l'obéissance plus facile ; outre que, lorsqu'ils sont guéris, grâce à l'assistance qu'ils ont reçue dans leurs maladies, ces gens s'appliquent à servir plus fidèlement encore qu'ils ne l'avaient fait auparavant.
II Ensuite la métayère n'oubliera pas que les objets qu'on lui apporte doivent être déposés en bon état dans des lieux convenables et sains : car il n'y a rien de plus important que de bien préparer les endroits où l'on doit serrer chaque chose, pour pouvoir l'en tirer au besoin. Nous avons déjà dit comment ces celliers doivent être établis, et dans notre premier volume, lorsque nous nous occupions de la construction de la ferme, et dans le onzième livre, lorsque nous avons discouru sur les obligations du métayer. Toutefois je ne serai pas fâché d'y revenir ici en peu de mots. La chambre la plus élevée doit être affectée aux vases les plus précieux et aux vêtements; les greniers, pourvu qu'ils soient sains et secs, sont les lieux qui semblent le plus convenables pour les grains; les lieux frais contribuent puissamment à la garde du vin; les pièces bien éclairées doivent être destinées aux meubles fragiles, et aux travaux qui exigent beaucoup de lumière. Les dépôts étant préparés, il faudra disposer rationnellement chaque chose en son lieu, et même placer certains objets dans un endroit spécial : c'est le moyen de pouvoir trouver facilement ce dont on peut avoir besoin. En effet, un vieux proverbe dit qu'on n'est jamais plus pauvre que lorsqu'on ne peut se servir des choses dont on a besoin, parce qu'on ignore où on les a jetées au hasard. Aussi, dans l'économie d'une maison, la négligence donne plus de travail que n'en demande l'exactitude elle-même. Et qui doute, en effet, qu'il n'y a rien de plus beau dans toutes les positions de la vie que l'ordre et l'arrangement? C'est ce qu'on est à même de reconnaître souvent, jusque dans les spectacles les plus frivoles. En effet, si le choeur des chanteurs ne s'accorde pas sur des modes exacts, et n'observe pas la mesure donnée par le maître qui dirige, on ne paraît faire entendre aux auditeurs que des sons discordants et désordonnés; tandis que, si le choeur observe une mesure déterminée, qu'il la marque et batte du pied, en conspirant en quelque sorte à s'accorder, cette harmonie des voix non seulement produit quelque chose de flatteur et de doux pour les chanteurs, mais charme aussi du plaisir le plus vif les spectateurs et les auditeurs. Il en est de même dans une armée : ni le soldat ni le général ne sauraient faire leurs évolutions, sans ordre et sans une bonne disposition, et si les hommes armés étaient confondus avec ceux qui ne portent point d'armes, les cavaliers avec les fantassins, et la cavalerie mêlée avec les chariots. La même nécessité de préparatifs et d'ordre est aussi de la plus grande importance sur les navires : car, s'il survient une tempête, et que tout dans le vaisseau se trouve à sa place, l'homme de service présente sans embarras chaque agrès qui se trouve en son lieu, lorsque le chef en fait la demande. Si le bon ordre a tant de pouvoir, soit sur les théâtres, soit dans l'armée, soit dans un vaisseau, il n'est pas moins évident que les soins de la métayère doivent se porter sur l'arrangement et la bonne disposition des objets qu'elle doit serrer. On voit effectivement avec plus de facilité chaque chose, quand elle est placée au lieu qui lui est assigné; et quand par hasard quelque objet ne s'y trouve pas, la place vide avertit elle-même de faire la recherche de ce qui manque. D'ailleurs, si quelque objet a besoin d'être soigné ou réparé, on a moins de peine à s'en apercevoir, s'il occupe sa place ordinaire. M. Cicéron, qui sur ce point asuivi l'autorité de Xénophon, introduit à ce propos dans son Économique Ischomaque donnant ainsi les détails de cette matière à Socrate qui s'en informe.
III. Après avoir préparé les emplacements convenables, le premier soin est d'y distribuer les ustensiles et les meubles. D'abord on met à part les effets dont on a coutume de se servir pour le culte divin, ensuite les objets de toilette dont se parent les femmes aux jours de fête, et les habillements nécessaires aux hommes pour ces jours solennels, puis les chaussures propres aux deux sexes; puis on sépare les armes et les traits, et on dépose dans un autre quartier les instruments qui servent pour les ouvrages de laine. Ensuite, comme c'est l'usage, on place les vases destinés à la préparation des aliments, puis ceux que l'on emploie pour se laver, pour la toilette, pour les repas journaliers, pour les festins d'apparat. En outre, parmi les objets d'un usage journalier, on sépare ce qui doit être consommé dans le mois, de ce qui ne doit l'être que dans l'année : à ce moyen on se trompe moins sur le temps que doivent durer les provisions. Après cette distribution, nous donnons encore une place à chaque objet; ensuite nous remettons aux esclaves subalternes les choses qui servent tous les jours, soit pour les travaux de lainage, soit pour cuire et préparer les aliments, et chaque objet à celui qui doit en faire usage, en lui enseignant où il doit être mis, et lui prescrivant ce qu'il faut faire pour le tenir en bon état. Quant à ce qui n'est de service que les jours de fêtes, ou quand il survient des hôtes et dans des circonstances rares, nous le confions à l'économe en lui montrant la place assignée à chaque chose, en lui délivrant les effets par nombre : nous devons prendre ce compte par écrit. Après avoir informé l'économe, de manière qu'il puisse s'en souvenir, de l'endroit où il pourra prendre tout ce qu'on pourrait lui demander quand le besoin se fera sentir, on lui recommande de prendre note des objets qu'il délivrera, de la date de la remise, du nom de celui à qui il la fera, et de remettre chaque objet à sa place dès qu'il aura été rendu. Ainsi, par l'organe d'Ischomaque, les anciens nous ont transmis les préceptes d'économie et de vigilance que nous donnons en ce moment à la métayère. Toutefois ses soins ne doivent pas avoir pour unique objet de garder sous la clef les choses qu'elle a reçues pour les mettre en sûreté à la maison; elle doit encore de temps en temps en faire la revue et les examiner avec soin, pour éviter que les meubles et les vêtements ne se détériorent dans leur dépôt, et que les provisions ou les ustensiles n'aient à souffrir de son inattention et de sa paresse. Dans les journées pluvieuses ou pendant les froids et les frimas, lorsqu'une femme ne peut se livrer en plein air aux travaux champêtres, la métayère doit s'occuper des ouvrages de laine, et en avoir d'avance de peignée, pour qu'elle puisse plus facilement faire par elle-même ce travail ou le donner à exécuter : car il ne sera pas niais que l'on confectionne à la maison ses propres vêtements, ceux des gens qu'on y emploie et des esclaves les plus considérés, afin que les comptes à rendre au père de famille soient moins chargés. En outre, elle devra toujours s'assurer, après le départ des travailleurs, si, des esclaves qui doivent aller aux champs, quelques-uns, comme il arrive quelquefois, se cachant dans la maison, n'ont pas trompé la vigilance du maître : dans ce cas, elle s'informera de la cause de leur oisiveté, et s'assurera si c'est pour cause de maladie qu'il sont restés, ou s'ils se sont cachés par paresse. Quand bien même elle aurait découvert qu'ils feignent d'être malades, elle les conduira à l'infirmerie sans retard : car il y a plus d'avantage à laisser reposer un ou deux jours, en le surveillant, un homme fatigué, que de l'exposer à contracter une véritable maladie, accablé qu'il serait par un excès de travail. Enfin cette femme restera le moins qu'elle pourra dans la même place, car sa charge n'est pas sédentaire; au contraire, tantôt elle devra se mettre au métier à toile, et, si elle est la plus habile, y donner des leçons, sinon en recevoir de l'ouvrier qui a plus de savoir; tantôt elle surveillera ceux qui préparent la nourriture des gens, et veillera à ce qu'on tienne propres la cuisine, les bouveries et les crèches, ainsi que les infirmeries, lors même qu'elles ne renferment pas de malades : ces infirmeries seront de temps en temps aérées et nettoyées, afin que, lorsque le cas l'exigera, les gens qu'on y dépose les trouvent bien tenues, bien propres et salubres. Elle sera présente lorsque les écènomes et ceux qui ont la garde des celliers auront quelque chose à peser ou à mesurer ; et aussi quand les pâtres trairont le lait dans les étables ou feront teter les agneaux ou les autres jeunes bêtes; elle assistera à la tonte des laines, qu'elle recueillera avec soin, et comptera les toisons pour s'assurer que le nombre en est égal à celui des moutons; elle veillera à ce que les gens qui ont soin de l'intérieur exposent les meubles à l'air, enlèvent la rouille des instruments qu'ils doivent tenir propres et brillants, et donnent aux ouvriers, pour qu'ils les mettent en état, ceux des outils qui ont besoin de réparation. Enfin, toutes ces choses étant ainsi réglées, je pense que ces dispositions ne seront profitables qu'autant que, comme je l'ai dit, le métayer très souvent, et le maître ou la maîtresse quelquefois, jetteront un coup d'oeil et veilleront à ce que l'ordre établi soit conservé. C'est ce qu'on a aussi observé toujours dans les villes bien policées, dont les chefs et les notables ne croyaient pas avoir fait assez en ayant de bonnes lois, tant qu'ils n'avaient pas pour leur exécution établi des citoyens très diligents, que les Grecs appellent nomophylaques, et dont l'office est de donner des louanges, même de décerner des honneurs à ceux qui obéissent à la loi, et de frapper de punitions ceux qui l'enfreignent. C'est justement ce que font encore maintenant les magistrats, qui maintiennent la force des lois par un exercice assidu de leurs fonctions. En voilà assez pour ce qui concerne l'administration générale de la ferme.
IV. Maintenant nous allons donner des préceptes sur les autres choses dont nous ne nous sommes pas occupés dans les livres précédents, parce que nous nous réservions d'en parler en traitant des fonctions de la métayère. Afin de garder un certain ordre, nous commencerons par le printemps, parce qu'alors les cultures étant en état et l'ensemencement des trémois terminé, le temps qui reste inoccupé s'offre pour exécuter ce que désormais nous allons enseigner. Il est de tradition que les auteurs carthaginois et grecs, et même les romains, n'ont pas négligé le soin des petites choses : car Magon le Carthaginois et Amilcar (que Mnaséas et Paxamus, écrivains grecs qui ne sont pas sans réputation, paraissent avoir suivis, comme l'ont fait aussi ceux de notre nation, tels que M. Ambivius, Ménas Licinius et même C. Matius, quand après les guerres ils ont eu quelque loisir) n'ont pas dédaigné de payer une sorte de tribut à ce qui concerne la nourriture des hommes : ils ont pris soin de former par leurs préceptes d'habiles boulangers, des cuisiniers et même des économes. Tous ces auteurs ont trouvé convenable que tous ceux qui s'adonnent à ces emplois soient chastes et continents, parce qu'il importe surtout que les boissons et les aliments ne soient touchés que par des impubères, ou au moins par des personnes qui s'abstiennent tout à fait de l'acte vénérien; et que, si un homme ou une femme mariés s'occupent des provisions, ils doivent se laver, avant d'y porter la main, dans une rivière ou toute autre eau courante. C'est pourquoi il leur semble nécessaire d'employer soit un jeune garcon, soit une jeune fille, pour tirer du magasin les provisions dont on a besoin pour l'usage.Après cette prescription, ils ordonnent de préparer le lieu et les vases destinés aux conserves. Ce lieu sera opposé au soleil, très frais et très sec, afin que les provisions n'y contractent pas un goût de moisi. Quant aux vases, soit en terre cuite, soit en verre, ils seront plutôt nombreux que grands, et parmi eux quelques-uns seront enduits de poix, d'autres seront dans leur état de pureté, selon que la nature de la conserve l'exigera. On aura soin que ces vases aient une large ouverture, que leur diamètre soit le même du haut jusqu'au bas, et qu'ils ne soient pas faits en manière de tonneaux, afin que, lorsqu'on a extrait de la conserve pour l'usage, ce qui reste descende également jusqu'au fond, entraîné par son propre poids : à ce moyen la provision se conserve sans altération, lorsqu'il n'en surnage rien et que le tout est toujours recouvert par la saumure. On n'obtiendrait pas cet avantage d'un tonneau, à cause de l'inégalité de sa forme vers son ventre. Pour ces opérations, l'usage du vinaigre et de forte saumure est très nécessaire. Voici comment on obtient l'un et l'autre.
V. Pour faire tourner du vin éventé à l'acidité, mettez dans quarante-huit setiers de ce liquide, une livre de levain, un quarteron de figues sèches, un setier de sel, broyés ensemble, après avoir préalablement délayé le quart d'un setier de miel dans la mesure que j'ai indiquée. Quelques personnes ajoutent dans la quantité de vin ci-dessus déterminée quatre setiers d'orge torréfiée, quarante noix enflammées, et une demi-livre de menthe verte; d'autres font chauffer des barres de fer jusqu'à ce qu'elles aient la couleur du feu, et les plongent dans la même quantité de vin; il y en a même qui allument cinq ou six pommes de pin vides de leurs amandes, et les y jettent tout enflammées; d'autres font la même chose avec des cônes de sapin.
VI. Faites ainsi la saumure forte : Établissez un tonneau, dont l'ouverture soit très grande, dans la partie de la ferme qui est le plus exposée au soleil. Remplissez ce tonneau d'eau pluviale, car elle est la meilleure pour cette préparation; ou bien, si vous n'avez pas d'eau de pluie, employez de l'eau de fontaine dont la saveur soit très douce. Alors suspendez dans le vase une corbeille de jonc ou de sparte, qui devra être remplie de sel blanc, afin que la saumure ait plus de blancheur. Tant que vous verrez (ce qui a lieu pendant quelques jours) le sel se fondre, vous en tirerez la conséquence que la saumure n'est pas encore faite. C'est pourquoi vous ajouterez de temps en temps de nouveau sel, jusqu'à ce qu'il reste entier dans le panier et qu'il n'y éprouve pas de diminution. Quand vous serez assuré qu'il en est ainsi, vous saurez que votre saumure est parfaite; et, si vous désirez en préparer d'autre dans le même vaisseau, versez dans un vase bien enduit de poix celle que vous venez de faire, et placez-la au soleil, après l'avoir couverte : car la force du soleil n'y laisse pas de moisissure se former et lui procure une bonne odeur. Il existe une autre manière d'éprouver si la saumure est parfaite : si, après y avoir mis du fromage frais, il s'y enfonce, c'est la preuve qu'elle n'est pas assez saturée; elle sera à son point, s'il surnage.
VII. Quelles sont les herbes dont on fait usage dans les quatre saisons de l'année, et comment on les confit. Il faudra, vers l'équinoxe du printemps, recueillir pour l'usage et jeter, dans cette saumure ainsi préparée, diverses herbes, telles que des brocolis et des feuilles de chou, des câpres, de jeunes pousses d'ache, de la rue, du maceron avec sa tige avant qu'elle s'élance de son enveloppe, des jets de férule qui ne soient pas encore entrés en végétation, des ombelles à peine épanouies de panais sauvage, ou de panais cultivé, avec ses petites feuilles, la fleur encore en bouton de la vigne blanche, de l'asperge, du houx fragon, du thamnus, de la digitale, du pouliot, de la cataire, du lapsana, de la criste marine avec sa tige que nous appelons pied de milan, et en outre de jeunes tiges de fenouil. Toutes ces plantes se conserveront facilement dans une même préparation, c'est-à-dire dans un mélange de deux parties de vinaigre et d'une troisième de saumure forte. Quant à la vigne blanche, au houx fragon, au thamnus, à l'asperge, au lapsana, au panais, à la cataire, à la criste marine, on les dépose dans des vases séparément, on les saupoudre de sel, et on les place à l'ombre pendant deux jours jusqu'à ce qu'ils aient ressué ; ensuite, s'ils ont rendu assez de liquide, on les lave dans ce jus, sinon, dans la saumure forte, et on exprime leur eau sous une masse pesante; puis on les dépose dans leur vase particulier, on verse dessus la sauce qui, comme je l'ai dit, est un mélange de deux parties de vinaigre et d'une de saumure. On étend sur le tout une couche de fenouil desséché, qu'on a cueilli l'année précédente à l'époque de la vendange, de façon qu'il comprime les herbes et fasse monter la sauce jusqu'aux bords de la cruche. Après avoir cueilli le maceron, la férule et le fenouil, vous les étendrez à l'abri jusqu'à ce qu'ils se flétrissent, et vous détacherez les feuilles et toute l'écorce de ces jeunes végétaux. Si les tiges sont plus grosses que le pouce, coupez-les avec une lame de roseau, et fendez- les en deux; les fleurs mêmes, si elles sont trop grandes, doivent être divisées et jetées ainsi dans les vases. On verse ensuite la sauce dont nous venons de parler, et on ajoute une petite quantité de racines de laser, que les Grecs appellent g-silphion, puis on étend la couche de fenouil sec de manière que le liquide la recouvre. On laissera se flétrir, durant plusieurs jours, à l'abri, les brocolis, les choux, les câpres, le pied de milan, le pouliot et la digitale, que l'on confit de la même manière que la férule, la rue, la sarriette et l'origan. II y a des personnes qui confisent la rue seulement avec de la saumure forte sans vinaigre, et, avant d'en faire usage, la trempent dans de l'eau ou dans du vin, puis la man-gent après l'avoir arrosée d'huile. On pourrait, au moyen de cette préparation, conserver avantageusement de la sarriette et également de l'origan vert.
VIII. Comment on fait l'oxygale. Préparez l'oxygale ainsi qu'il suit : Prenez un pot neuf; percez-le à son fond; bouchez avec une cheville le trou que vous aurez pratiqué; remplissez ce vase de lait de brebis très frais, et ajoutez-y des bouquets de fournitures vertes, telles que de l'origan, de la menthe, de l'oignon et de la coriandre; en cet état, plongez vos herbes dans le lait, de manière que leurs liens sortent au-dessus. Au bout de cinq jours, tirez la cheville avec laquelle vous aviez bouché le trou du vase, et faites écouler le petit-lait. Dès que le caillé commencera à paraître, vous reboucherez le vase avec la même cheville, et, trois jours après, vous ferez écouler le sérum, comme je l'ai dit ci-dessus, puis vous enleverez et jetterez les bouquets de fournitures, et froisserez sur le lait un peu de thym sec et de sarriette sèche; enfin vous y ajouterez et y mêlerez ce que vous voudrez de poireaux sectiles, hachés bien menu. Bientôt après, quand deux jours se seront écoulés, donnez de nouveau issue au sérum; bouchez le vase; ajoutez quantité suffisante de sel égrugé et opérez le mélange; mettez un couvercle et lutez. Vous n'ouvrirez ce vase que lorsque le besoin l'exigera. Certaines personnes cueillent des plantes de passerage soit cultivé, soit sauvage, et les font sécher à l'ombre; après en avoir rejeté les tiges et fait macérer les feuilles dans la saumure un jour et une nuit, puis les avoir fortement pressées, elles mettent ces feuilles dans du lait non assaisonné et y ajoutent du sel en quantité suffisante à leur gré. Au surplus, elles feront ce que nous avons prescrit ci-dessus. Quelques autres personnes jettent dans une cruche des feuilles fraîches de passerage avec du lait doux, et, trois jours après, comme nous l'avons enseigné, elles font écouler le sérum. Ensuite elles mettent dans le vase de la sarriette verte, des graines sèches de coriandre et d'aneth, du thym et de l'ache, fortement broyés ensemble; elles y mêlent du sel bien grillé et tamisé, et terminent la préparation comme ci-dessus.
IX. Conserve de laitues. On salera dans un vase des tiges de laitue bien nettoyées depuis le pied jusqu'aux feuilles tendres, on les y laissera un jour et une nuit, jusqu'à ce qu'elles puissent rendre la saumure; ensuite il faudra les laver avec d'autre saumure, les étendre en les exprimant sur des claies, jusqu'à ce qu'elles s'y soient desséchées. Alors on fera une couche d'aneth sec, de fenouil, sur lesquels on étendra et mêlera une petite quantité de rue et de poireau ; puis on disposera les tiges de laitue de manière qu'on puisse y interposer des haricots verts entiers, qu'on devra faire préalablement macérer dans de la saumure forte un jour et une nuit. Ces haricots, également égouttés, seront confits avec les hottes de laitues, et sur le tout on versera la sauce, qui consistera en deux parties de vinaigre et une de saumure; ensuite on pressera avec un bouchon de fenouil sec, de sorte que le liquide surnage. Pour obtenir ce résultat, celui qui préside à cette opération devra de temps en temps verser de nouvelle sauce, ne pas laisser dessécher les plantes confites, essuyer même l'extérieur des vases au moyen d'une éponge, et les rafraîchir avec de l'eau de fontaine très fraîche. Par ce procédé employé pour la conservation de la laitue, on confit la chicorée, les sommités de la ronce, ainsi que les cimes du thym, de la sarriette, de l'origan et même des raiforts. Les préparations que je viens de décrire se font au printemps.
X. Enseignons maintenant ce qui doit être cueilli et conservé pendant l'été, vers la moisson ou même après cette époque. Choisissez l'oignon de Pompéi ou d'Ascalon, ou même le simple oignon des Marses, que les paysans appellent union : c'est celui qui n'a pas poussé de jets et qui ne se divise pas en caïeux. Mettez-le d'abord sécher au soleil, puis, après l'avoir fait rafraîchir à l'ombre, dressez-le dans un vase de terre sur une couche de thym ou de sarriette; versez sur le tout une sauce composée de deux tiers de vinaigre et d'un de saumure; placez dessus une botte de sarriette de manière à contenir l'oignon ; et. quand il aura absorbé le liquide, vous remplirez le vase du même mélange. C'est dans le même temps que l'on confit les cormes, les prunes d'onyx, les prunes sauvages et diverses espèces de poires et de pommes. Les cormes, dont nous usons en guise d'olives, les prunes sauvages et les prunes d'onyx doivent être cueillies fermes encore, avant leur maturité complète, mais non trop vertes. On les laisse sécher à l'ombre pendant un jour, et l'on verse dessus un mélange, à parties égales, de vinaigre et de vin plus ou moins réduit par la cuisson. Il faudra, en outre, ajouter un peu de sel, de crainte qu'il ne s'y engendre des vers ou d'autres insectes. Au surplus, on conserve mieux cette préparation si on mêle ensemble deux parties de vin cuit avec une partie de vinaigre. Cueillez avant leur maturité, mais non pas vertes, les poires de Dolabella, les crustumines, les royales, les poires de Vénus, les volèmes, les néviennes, les latéritiennes, les décumanes, les laurées, les myrappies, et les prunes pourprées; visitez-les avec soin, afin de n'employer que celles qui sont parfaitement saines et non atteintes des vers. Mettez-les dans un vase de terre cuite, enduit de poix, et remplissez-le avec du vin de raisins desséchés au soleil, ou avec du vin cuit, de manière que tous les fruits en soient recouverts, puis posez le couvercle et lutez avec du plâtre.Je crois devoir dire qu'il n'y a aucune sorte de fruit proprement dit qu'on ne puisse conserver dans le miel. C'est pourquoi, comme ces dernières conserves sont quelquefois salutaires aux malades, je pense qu'il faut en préparer, ne fût-ce qu'une petite quantité; mais il faut mettre les fruits de chaque espèce séparément : car, s'ils étaient mélangés, une espèce pourrait altérer l'autre.Puisque l'occasion s'est présentée de faire mention du miel, nous ajouterons que la préparation dont il s'agit doit être faite dans le même temps où l'on châtre les rayons, recueille le miel et presse la cire : opérations dont nous avons parlé déjà dans notre neuvième livre; aussi nous ne demandons ici d'autres soins au métayer que d'assister à ces travaux et de bien conserver ses fruits.
XI. Composition de l'hydromel que l'on emploie pour les confitures. Au reste, comme on serre le miel en même temps qu'on doit mettre en réserve l'hydromel pour le laisser vieillir, il importe de se souvenir qu'après avoir recueilli des rayons le miel secondaire, on doit aussitôt diviser la cire en petits morceaux, la faire macérer dans de l'eau de fontaine ou de pluie, qu'on fera couler ensuite en pressant fortement la cire, puis recuire dans un vase de plomb où on l'aura recueillie : on la débarrassera de ses ordures en l'écumant. Quand la cuisson en sera parfaite et que le liquide aura acquis la consistance du vin cuit, on le laissera refroidir, et on le renfermera dans des cruches bien enduites de poix. Quelques personnes se servent, au lieu d'hydromel, de l'eau dans laquelle les rayons ont trempé; d'autres l'emploient en place de vin cuit pour confire les olives, et je suis d'avis qu'elle y est plus convenable, parce qu'elle a une saveur appétissante ; on ne doit pas toutefois la donner aux malades au lieu d'hydromel, parce que, si on la boit, elle occasionne le gonflement de l'estomac et produit des flatuosités.
XII. Manière de faire l'hydromel. Ainsi ce lavage étant mis à part et destiné à des conserves, on fera de l'hydromel avec le meilleur miel. Il y a plus d'une manière de le préparer. En effet, quelques personnes renferment, plusieurs années d'avance, de l'eau de pluie dans des vases qu'ils tiennent en plein air au soleil ; ensuite elles la décantent fréquemment dans d'autres vases et la tirent au clair (car toutes les fois qu'on tarde quelque temps à la transvaser, on trouve au fond un sédiment semblable à de la lie; puis on mêle un setier de cette vieille eau avec une livre de miel. D'autres personnes, pour donner un goût plus ferme à l'hydromel, délayent le setier d'eau avec le miel à la dose de neuf onces, et placent au soleil, durant quarante jours, à l'époque du lever de la canicule, la cruche qu'on a remplie de cette préparation et lutée avec du plâtre; dans cet état, ils la déposent sur une tablette où elle puisse recevoir la fumée. D'autres, qui n'ont pas eu soin de faire vieillir de l'eau de pluie, en prennent de fraîche et la font bouillir jusqu'à réduction des trois quarts; puis, quand elle est refroidie, mélangent un setier de miel avec deux setiers d'eau, s'ils désirent faire un hydromel très doux; ou bien, s'ils le veulent plus fort, ils ajoutent à un setier d'eau neuf onces de miel, et, ces proportions observées, versent dans la cruche leur préparation. Ensuite, comme je l'ai dit ci-dessus, ils l'exposent quarante jours au soleil, et la déposent sur des tablettes où elle soit exposée à l'action de la fumée.
XIII. De la conservation du fromage, et de certaines herbes à confire. Le temps le plus éminemment favorable pour la confection du fromage destiné aux usages domestiques, est celui où il s'en écoule le moins de petit-lait, ainsi que le temps de l'arrière-saison où l'on ne recueille que peu de lait : car il n'y a pas alors d'avantage à consumer des journées pour porter au marché ces denrées qui, même par l'effet de la chaleur, sont exposées à s'aigrir. Aussi est-ce le moment le plus convenable de faire des fromages pour l'usage de la maison. Au reste, pour qu'ils soient bien faits, on doit en confier le soin au berger, auquel nous avons, dans notre septième livre, donné à ce sujet les préceptes qu'il doit suivre. Il existe aussi certaines herbes qu'à l'approche des vendanges on peut confire, telles que le pourpier, et ce légume tardif que quelques personnes appellent la perce-pierre cultivée. On nettoie avec soin ces herbes, on les étend à l'ombre ; puis, quatre jours après, on fait au fond des cruches un lit de sel, sur lequel on place chaque plante séparément; après avoir versé un bain de vinaigre, on jette par-dessus une couche de sel ; car la saumure ne convient pas à ces herbes.
XIV. Des pommes et des poires à faire sécher au soleil. Dans ce même temps, ou même dès le commencement d'août, on fait choix, avant qu'elles soient parfaitement mûres, de pommes et de poires d'une saveur très douce; on les expose au soleil jusqu'à leur dessiccation, après les avoir coupées en deux ou trois morceaux avec une lame de roseau ou avec un couteau d'os. Quand la récolte de ces fruits est abondante, les paysans en réservent une bonne quantité pour leur hiver : car ils leur tiennent lieu de mets, comme les figues, qui, serrées bien sèches, font dans la mauvaise saison partie de la nourriture des gens de campagne.
XV. Des figues sèches. Les figues ne seront cueillies ni trop mûres ni trop vertes; elles doivent être étendues en un lieu qui reçoive le soleil toute la journée. On fiche en terre quatre pieux distants entre eux de quatre pieds, et que l'on assujettit l'un à l'autre par des perches. On pose sur ces jougs des roseaux taillés exprès, de manière qu'ils soient élevés de deux pieds au-dessus du sol, pour qu'ils ne puissent pas attirer l'humidité que la terre rend presque toutes les nuits. Alors on jette sur ce joug les figues, et l'on dispose à plat sur la terre, de chaque côté, des claies de berger tissues de chaume, de laîche ou de fougère, afin que, dès le coucher du soleil, on puisse, en les dressant et les inclinant en forme de toit voûté comme les chaumières, protéger contre la rosée, et quelquefois la pluie, les figues qui se dessèchent : car ces deux météores font gâter ces fruits. Quand ils seront bien secs, il faudra, sur le midi, les entasser toutes chaudes dans des vaisseaux bien enduits de poix, et les y fouler fortement, après avoir toutefois mis du fenouil sec au fond des vases, et en avoir aussi étendu dessus quand ils sont remplis. Il importe de boucher immédiatement ces vases, de les luter et de les déposer dans un grenier très sec, afin que les figues se conservent longtemps. Quelques personnes enlèvent la queue des figues qu'elles ont cueillies, et les étendent au soleil; puis, quand elles sont un peu desséchées, avant qu'elles soient fermes, elles les entassent dans des vases de terre cuite ou de pierre, et, après s'être lavé les pieds, elles les foulent comme on fait pour la farine, et y mêlent du sésame torréfié avec de l'anis d'Égypte et des graines de fenouil et de cumin. Quand cette pression est terminée et que ces ingrédients sont incorporés avec toute la masse des figues pétries, elles font du tout des pains de moyenne grosseur, qu'elles roulent dans des feuilles de figuier, lient avec du jonc ou toute autre plante, établissent sur des claies et laissent sécher. Ensuite, quand la dessiccation s'est opérée, elles les renferment dans des vases enduits de poix. D'autres personnes renferment ces pains de figues dans des vases non poissés, et leur font subir la cuisson de la tourtière ou du four, afin de dissiper au plus vite toute leur humidité; puis elles placent sur des tablettes cette préparation bien desséchée, et, quand le besoin l'exige, elles cassent le vase : car la masse de figue est tellement dure qu'on ne peut l'en tirer autrement. Quelques autres font choix des plus grosses figues vertes, les ouvrent avec un roseau ou avec les doigts, et, dans cet état, les font sécher au soleil; puis, quand la chaleur du midi les a bien desséchées et que l'ardeur du soleil les a amollies, elles les relèvent, et, comme il est d'usage en Afrique et en Espagne, elles leur donnent, en les rangeant symétriquement, la figure soit d'étoiles, soit de fleurs, ou bien la forme d'un pain et les pressent dans cet état; alors elles font de nouveau sécher ces fruits au soleil, et les enferment dans des vases.
XVI. De la préparation des raisins secs et de la conservation des cormes. Les raisins réclament le même soin. Ceux qui sont de saveur très douce, dont les grains sont très gros et non serrés, doivent être cueillis au décours de la lune, par un temps sec et serein, après la cinquième heure; on les étend alors sur des planches pendant quelques temps, afin qu'ils ne soient pas comprimés par leur propre poids. Il convient ensuite de faire chauffer, dans un vase d'airain ou dans un pot neuf de terre cuite de grande capacité, une lessive préparée avec des cendres de sarments; quand elle bouillira, on y versera et on y mélangera un peu d'huile de la meilleure qualité; puis dans le vase bouillant on mettra les grappes liées ensemble deux à deux ou trois à trois, suivant leur volume; on les y laissera quelques instants, jusqu'à ce qu'elles aient perdu leur couleur; toutefois elles n'y resteront pas assez de temps pour cuire il faut adopter une juste proportion, un certain tempérament. Quand vous les tirerez de la lessive, vous les disposerez clairsemées sur une claie, de manière que l'une ne touche pas l'autre. Trois heures après, vous retournerez chaque grappe, en évitant de les remettre à la même place, de peur qu'elles ne se gâtent par l'effet de l'humidité qui s'en sera écoulée. Pendant les nuits, on doit les couvrir, comme les figues, pour les mettre à l'abri de la rosée ou de la pluie. Quand ces raisins sont un peu desséchés, on les dépose en lieu sec, dans des vases neufs non enduits de poix, mais couverts et plâtrés.Certaines personnes enveloppent de feuilles de figuier leurs raisins et les font sécher; d'autres les couvrent à demi flétris avec des feuilles soit de vigne, soit de platane, et les déposent ainsi dans des amphores. Il y en a qui brûlent des tiges sèches de fèves et font leur lessive avec la cendre qui en provient; ils ajoutent trois cyathes de sel et un cyathe d'huile à dix setiers de lessive qu'ils font chauffer sur un bon feu, et terminent l'opération comme ci-dessus. Si l'on voit qu'il n'y ait pas assez d'huile dans le vase, on y en verse de temps en temps jusqu'à ce qu'il y en ait suffisamment, afin que les grappes soient plus grasses et plus luisantes. A la même époque, placez dans de petites cruches enduites de poix des cormes cueillies avec soin à la main; mettez sur ces cruches des couvercles enduits aussi de poix, et couvrez-les de plâtre. Alors, dans des fosses de deux pieds creusées dans la maison en terrain sec, placez vos cruches de manière que leur ouverture bien fermée soit en dessous; puis tassez de la terre par dessus, et foulez. la un peu avec les pieds. Le mieux est de déposer le moins de vases possible dans un grand nombre de fosses, et de laisser un certain intervalle entre eux : car, si en fouillant pour en ôter un, on agitait les autres, les cormes se gâteraient promptement. Quelques personnes conservent parfaitement les cormes dans du vin réduit à moitié par la cuisson, et mettent dessus un lit de fenouil sec avec lequel elles compriment ce fruit, de façon que le liquide surnage toujours, et toutefois lutent soigneusement avec du plâtre les couvercles enduits de poix, afin que l'air ne puisse s'y introduire.
XVII. Manière de faire le vinaigre de figues. Il existe de certaines contrées dans lesquelles on manque de vin et, par conséquent, de vinaigre. Là il faut, à l'époque que nous venons de fixer, cueillir des figues vertes très mûres, et même, si la pluie a commencé, celles qu'elle a fait tomber à terre. Après les avoir réunies, on les jette dans un tonneau ou dans des amphores, où on les laisse fermenter; ensuite, lorsque l'acidité s'est développée et qu'elles ont rendu leur jus, on tire au clair avec soin le vinaigre obtenu, et on le versera dans des vaisseaux enduits de poix bien odorante. Cette préparation remplace avantageusement le vinaigre fort de première qualité, et elle ne prend jamais le goût de relent ni de moisi, si on ne le dépose pas dans un lieu humide. Il y a des personnes qui, visant à la quantité, versent de l'eau sur leurs figues, et de temps en temps en ajoutent de nouvelles très mûres, qu'on laisse macérer dans le même jus que les autres, jusqu'à ce qu'il ait contracté une saveur de vinaigre assez fort; ensuite elles le coulent dans des corbeilles de jonc ou dans des cabas de sparte, et font bouillir ce vinaigre tiré au clair jusqu'à ce qu'il ne jette plus d'écume ni aucune ordure. Alors elles y ajoutent un peu de sel torréfié, qui empêche qu'il ne s'y engendre des vers ou d'autres insectes.
XVIII. Préparation des vendanges. Quoique dans le livre précédent, qui est intitulé le Métayer, nous ayons déjà dit ce qu'il faut disposer pour la vendange, il n'est pas toutefois hors de propos de donner à la métayère des préceptes sur les mêmes choses, afin qu'elle sache que tout ce qui se fait à la maison vers l'époque de la vendange réclame ses soins. Si les champs ont une grande étendue, si les vignobles et les vergers sont considérables, il faut sans cesse fabriquer des vaisseaux de dix et de trois modius, tresser des paniers et les enduire de poix; il n'est pas moins utile de préparer et d'aiguiser un très grand nombre de faucilles et de serpettes, afin que le vendangeur n'arrache pas les grappes avec la main, et n'occasionne pas ainsi la chute d'une partie des grains du raisin.On adaptera aussi des ficelles aux corbeilles et des courroies aux vaisseaux de trois modius. On lavera aussi les cuves, les pressoirs, les barriques et tous les vases, avec de l'eau de mer, si l'on est à proximité, sinon, avec de l'eau douce; on les nettoiera avec soin et on les séchera parfaitement, pour qu'ils ne conservent pas d'humidité. Les celliers au vin seront aussi purgés de toute espèce d'ordures; on y brûlera des parfums agréables, afin qu'on n'y sente ni mauvaise odeur ni acidité. Alors, pieusement et dans un état de chasteté, on sacrifie à Bacchus, à Proserpine et aux ustensiles du pressurage. Pendant la durée de la vendange, on ne perdra de vue ni les pressoirs ni les celliers au vin, afin que ceux qui préparent le moût le travaillent avec pureté et propreté, et pour que les voleurs ne trouvent pas l'occasion de dérober les raisins cueillis. Quarante jours avant la vendange, on enduira de poix les tonneaux, les barils et les autres vases; le procédé variera suivant que les vases doivent rester sur le sol ou être mis en terre : ceux que l'on doit enfouir seront chauffés avec des lampes de fer ardentes; après avoir fait couler la poix au fond, on enlèvera la lampe, et, avec un râble de bois et une ratissoire de fer recourbée, on étend la poix qu'on y a fait distiller et celle qui s'est attachée aux parois du vaisseau. Ensuite, on nettoiera avec une brosse; puis, versant de la poix brûlante, on enduira avec un autre râble et un petit balai. Quant aux vaisseaux qui doivent rester sur le sol, on les exposera plusieurs jours au soleil avant de les nettoyer; ensuite, quand ils auront été suffisamment soumis à l'action de cet astre, on les renversera sur leur ouverture, et on les y maintiendra soulevés au moyen de trois petites pierres; en cet état, on mettra dessous du feu qu'on laissera brûler jusqu'à ce que leur fond ait acquis une chaleur tellement forte que la main ne puisse la supporter. Alors, le vaisseau étant posé à terre et mis sur le côté, on y versera de la poix bouillante, puis on le roule afin qu'elle s'étende sur toutes les parties du tonneau. Cette opération doit être faite pendant un jour calme, pour que, lorsqu'on allume le feu, le vent qui soufflerait ne fasse pas briser les vaisseaux. Au surplus, il suffit de vingt-cinq livres de poix dure pour les vases de la contenance d'un culléus et demi; et il n'est pas douteux que, si on ajoute dans la totalité de la préparation un cinquième de poix du Brutium, cette résine ne soit très profitable au vin qu'on déposera dans le vase.
XIX. De plusieurs espèces de condiments propres à faciliter la conservation du vin. Une chose qu'on ne doit pas non plus négliger, c'est le soin qu'on doit apporter à la conservation du moût qu'aura rendu le raisin : il doit au moins se garder jusqu'à la vente. Nous allons dire ci-après ce qu'il faut faire pour parvenir et quels condiments sont propres à faciliter sa conservation. Certaines personnes font réduire le moût dans des vases de plomb, les uns d'un quart, les autres d'un tiers ; il est certain que, si la réduction est de moitié, on obtiendra un meilleur vin cuit, plus propre aux usages auxquels on le destine, à tel point que ce vin, au lieu de celui qui a subi une réduction des deux tiers, peut assaisonner le moût, surtout celui qui provient de vieilles vignes.Nous croyons que le vin de la meilleure qualité est celui qui peut se conserver longtemps sans avoir besoin de condiments, et qu'il n'y faut mettre aucune mixtion qui altérerait sa saveur naturelle : le plus parfait effectivement est celui qui peut plaire par sa propre nature. Au reste, lorsque le moût aura quelque défaut, soit par le vice du terroir, soit par la jeunesse des vignes, on choisira, si on le peut, un cepage d'Aminée, sinon de plant très vieux qui ne soit pas en terre humide, et produisant un vin très agréable. Ensuite on observera le temps du déclin de la lune où elle est au-dessous de la terre, et, par un jour serein et sec, on cueillera les grappes les plus mûres, desquelles, après les avoir foulées avec les pieds, on retirera le moût qui s'en sera écoulé ; puis on en portera une quantité suffisante du cuvier dans les chaudrons, et on allumera dans le fourneau un feu d'abord modéré, avec des brindilles et ces menus bois que les paysans appellent crémies, afin que le liquide bouille sans précipitation. Celui qui présidera à cette cuisson doit avoir tout prêts des couloirs de jonc ou de sparte brut, c'est-à-dire faits de sparte qui n'ait point été amolli sous le maillet, et, en outre, des bottes de fenouil liées à des bâtons, qu'il puisse introduire au fond des vases pour y agiter la lie qui s'y est précipitée et la faire remonter à la surface ; puis on enlèvera, au moyen des couloirs, toutes les ordures que forme l'écume. Il ne doit pas négliger ces soins, jusqu'à ce qu'il s'aperçoive que le moût, en s'éclaircissant, est débarrassé de toute sa lie. Alors il doit ajouter soit des coings qu'il retirera dès qu'ils seront cuits, soit toute autre substance odorante qu'il voudra, sans discontinuer toutefois d'agiter le bâton garni de fenouil, afin qu'il ne se précipite rien qui puisse déterminer la perforation du vase de plomb.Lorsque ensuite ce vaisseau pourra supporter un feu plus vif, c'est-à-dire quand le moût cuit en partie éprouvera un mouvement intestin, il mettra dans le fourneau des bûches et du gros bois, mais de manière qu'ils ne touchent pas le fond du vase. Si on n'évitait pas cet inconvénient, le chaudron se percerait, comme il arrive quelquefois; ou bien, dans le cas où cet accident n'arriverait pas, le moût brûlerait, et parle goût d'amertume qu'il aurait contracté il deviendrait impropre aux usages pour lesquels on le réserve. Il faudra, au surplus, avant de verser le moût dans les vases de plomb qui doivent être employés pour le faire cuire, les humecter avec de bonne huile, les en frotter convenablement, et, dans cet état, y mettre le moût : cette précaution préservera de la brûlure le vin cuit.
XX. Quoique préparé avec soin, le vin cuit a coutume de tourner à l'acidité, comme le vin naturel. Comme cet accident peut avoir lieu, n'oublions pas qu'il faut préparer le vin avec du vin cuit d'un an dont la bonté est éprouvée : car un mauvais remède gâterait le produit qu'on a recueilli. Quant aux vases dont on se sert pour faire cuire le vin soit à deux tiers d'évaporation, soit à moitié, ils doivent être de plomb plutôt que d'airain : car pendant la cuisson ces derniers produisent du vert-de-gris et altèrent la saveur de la préparation. Au reste, les substances odoriférantes, propres au vin que l'on veut faire réduire à moitié, se bornent à peu près à l'iris, au fenugrec et au schoenum. On jette une livre de chaque espèce dans un chaudron contenant quatre-vingt-dix amphores de moût, lorsqu'il sera en pleine ébullition et bien écumé. Ensuite, si le moût est naturellement faible, il faudra, dès qu'il sera réduit de deux tiers, éteindre le feu, et, sans perdre de temps, rafraîchir le fourneau avec de l'eau. En opérant ainsi, le vin cuit ne s'élèvera pas au-dessus du tiers du vase; mais, quoiqu'il y ait quelque perte apparente, l'avantage est cependant incontestable : car, pourvu que ce vin ne soit pas brûlé, plus il est cuit, meilleur il est et plus il a de consistance. D'un tel vin, réduit à ce point, il suffit d'un setier par amphore. Quand vous aurez fait cuire dans la chaudière quatre-vingt-dix amphores de moût de manière qu'après la cuisson il n'en reste que peu, c'est-à-dire un tiers, ajoutez-y les ingrédients, qui sont ou liquides ou résineux, c'est-à-dire dix setiers de térébenthine néméturique, préalablement délayée dans de l'eau de mer qui aura bouilli, et en outre une livre et demie de térébenthine. En faisant ce mélange de substances, vous agiterez le vase de plomb pour qu'elles ne brûlent pas. Lorsque ensuite la préparation sera réduite au tiers, retirez le feu, et agitez de temps en temps le vase de plomb pour que le vin cuit et les ingrédients forment un tout homogène; puis, dès que cette liqueur sera devenue tiède, jetez-y peu à peu le reste des aromates bien pilés et tamisés, et faites remuer le tout avec un râble de bois jusqu'au refroidissement de la mixtion. Si vous ne procédez pas au mélange ainsi que nous l'avons prescrit, les ingrédients se précipiteront au fond du vase et y brûleront. A cette sorte de moût on doit ajouter ces substances odorantes : nard, iris d'Illyrie, nard gaulois, costus, palmier, souchet, schoenum, de chacun une demi-livre; puis cinq onces de myrrhe, une livre de canne, une demi-livre de cannelle, un quarteron d'amome, cinq onces de safran et une livre de tripe pampinacée. Toutes ces substances doivent, comme je l'ai dit, être employées pilées et tamisées, et mêlées de rasis, qui est une sorte de poix crue, et qui passe pour être d'autant meilleure qu'elle est plus vieille : car par la longueur du temps elle se durcit beaucoup, et quand on la pile, elle se pulvérise : dans cet état, on la mêle aux ingrédients que je viens de nommer. Il suffit d'en mêler six livres aux quantités susénoncées. On ne saurait spécifier combien il faut mettre de cette composition dans quarante-huit setiers de moût, puisqu'on ne peut faire l'évaluation de la dose suffisante que d'après la nature du vin. Il faut prendre garde qu'on ne puisse reconnaître la saveur du condiment; car ce serait le moyen d'écarter l'acheteur.Toutefois j'ai l'habitude, si la vendange a été humide, d'employer quatre onces de cette mixtion ; mais si elle a été sèche, seulement trois, pour une double amphore; c'est-à-dire pour quatre urnes de vin doux, en évaluant l'urne à vingt-quatre setiers. Je sais que quelques agriculteurs mettent trois onces de cette composition par chaque amphore, mais qu'ils y sont forcés par la trop grande faiblesse de leur vin, qui se conserverait trente jours à peine sans altération. Au surplus, il vaut mieux, si l'abondance du bois le permet, faire bouillir le moût et le débarrasser de son écume et de sa lie : par ce procédé on en sacrifie un dixième, mais le reste se conserve parfaitement. Si on manque de bois, il faudra mêler à chaque amphore de vin une once de ce qu'on appelle fleur de marbre ou de gypse, ou bien deux setiers de vin cuit jusqu'à réduction de deux tiers. Quoique ces substances ne donnent pas au vin une durée illimitée, elles lui conservent pourtant une bonne saveur jusqu'à la prochaine vendange.
XXI. Le moût, quand il est de saveur très douce, doit être cuit jusqu'à ce qu'il soit réduit à un tiers : ainsi réduit, il prend, comme nous l'avons dit, le none de vin cuit. Lorsqu'il est refroidi, on le transvase dans d'autres vaisseaux et on le met en réserve pour l'employer au bout d'un an. Cependant on peut le mêler avec le vin, neuf jours après qu'il a été refroidi; mais il est meilleur après une année de repos. On mélange un setier de ce vin cuit dans deux urnes de moût, s'il provient de vignes de coteaux; on ajoute trois hémines, s'il provient de vignes plantées en plaine. Au surplus, on laisse pendant deux jours fermenter, et se purger de lie le moût qui a été tiré de la cuve; le troisième jour, on y ajoute le vin cuit; puis, au bout de deux autres jours, pendant lesquels ces liqueurs ont fermenté ensemble, elles sont purifiées; dans cet état, on y joint, pour deux urnes, une ligule comblée ou la mesure d'une demi-once bien pleine de sel grillé et égrugé. Ce sel, le plus blanc qu'on puisse se procurer, est jeté dans un pot de terre non poissé, qui, dès qu'il a reçu le sel, doit être soigneusement enduit tout entier de terre mêlée de paille hachée, et placé sur le feu : on torréfiera tant qu'on entendra des pétillements. Quand le crépitement commencera à ne plus se faire entendre, la cuisson sera complète. On fait en outre macérer du fenugrec dans du vin vieux pendant trois jours ; ensuite on l'en retire, et on le fait sécher au four ou au soleil; dès qu'il est sec, on le broie, et on en jette, dans deux urnes de vin après la salaison, plein une cuiller ou autre vase semblable qui soit le quart d'un cyathe. Après cette opération, lorsque le moût a terminé sa fermentation et s'est reposé, on y mêle une quantité de fleur de gypse, égale à celle du sel employé; puis, le lendemain, on nettoie le tonneau, on couvre le vin ainsi accommodé, et on lute le vaisseau. C'est de cette préparation que Columelle, mon oncle paternel, agriculteur distingué, se servait habituellement sur ses terres, dans lesquelles il avait des vignobles en terres humides; mais, lorsqu'il opérait sur des vins de coteaux, il employait, au lieu de sel, de l'eau de mer réduite à un tiers. Cette eau, sans nul doute, ajoute à la quantité et au bouquet; mais il y a à craindre, si l'eau salée n'est pas assez cuite, que le vin n'en soit taré. Comme je l'ai dit, on doit puiser cette eau le plus loin du rivage qu'il est possible : elle sera plus limpide et plus pure, si elle est prise en haute mer. Si, comme le faisait Columelle, on la conserve quelque temps, il faut, après l'avoir épurée, la décanter au bout de trois ans dans d'autres vaisseaux ; puis, trois autres années après, la faire bouillir jusqu'à réduction au tiers. Ainsi on obtient un meilleur condiment pour le vin, et on n'a point à craindre qu'il se gâte. Il suffit d'un setier de cette eau salée pour deux urnes de moût, quoiqu'il y ait beaucoup de cultivateurs qui en versent deux setiers, et quelques-uns même jusqu'à trois, ce que je ne désapprouve pas, si le vin a une force suffisante pour qu'on n'y sente pas la saveur de l'eau salée. C'est pourquoi un père de famille intelligent, qui a fait l'acquisition d'une terre, doit, aussitôt après la première vendange, faire l'expérience des trois ou quatre espèces de préparations sur autant d'amphores, afin de bien connaître combien le vin qu'il a obtenu peut supporter d'eau salée au plus sans que le goût en souffre.
XXII. Mettez une métrète de térébenthine néméturique dans une cuvette ou un autre vaisseau, versez-y deux canges de lessive de cendres, et mêlez le tout avec une spatule de bois. Quand ce mélange sera reposé, tirez au clair le liquide, puis remplacez-le par de nouvelle lessive, mêlez de même et tirez au clair; puis répétez cette opération pour la troisième fois : or, la cendre fait disparaître l'odeur de la poix et enlève les ordures.Ajoutez ensuite cinq livres de poix du Brutium, ou, à son défaut, de toute autre, pourvu qu'elle soit très pure. Concassez-la très-menu, et mélangez-la avec la poix néméturique; versez dessus deux conges de très vieille eau de mer, si vous en avez, ou du moins de l'eau marine récente réduite au tiers par l'ébullition. Pendant le lever de la canicule, laissez au soleil votre cuvette découverte, et avec la spatule de bois mêlez le plus fréquemment que vous pourrez, jusqu'à ce que les substances ajoutées soient bien fondues dans la poix et forment un tout homogène. Il sera convenable de couvrir ce vase pendant la nuit, pour que l'humidité n'y pénètre pas. Ensuite, lorsque l'eau marine que vous y aurez versée vous paraîtra évaporée par l'effet du soleil, ayez soin de faire porter à la maison le vase dans l'état où il se trouve. Quelques personnes ont l'habitude de mêler trois onces de cette préparation avec quarante-huit setiers de vin, et se trouvent bien de cette proportion : d'autres mettent. trois cyathes de ce condiment sur le nombre de setiers que nous venons de déterminer.
XXIII. De la poix dont se servent les Allobroges pour assaisonner le vin poissé. On appelle poix cortiquée celle que les Allobroges emploient en condiment. On la prépare de manière qu'elle se durcisse, et plus elle est faite depuis longtemps, meilleur elle est pour l'usage : car ayant perdu son principe visqueux, elle est alors plus facile à réduire en poudre et à passer au tamis. Il faut donc la pulvériser et la tamiser; ensuite, quand le moût a jeté deux bouillons, ce qui arrive ordinairement le quatrième jour après qu'on l'a tiré de la cuve, on enlève ses ordures avec la main; après quoi on y jette deux onces et demie de la poix dont nous venons de parler, pour cinquante-cinq setiers de vin; on opère alors le mélange avec le râble de bois, puis on s'abstient de toucher au liquide tant qu'il bout. Toutefois le terme de l'ébullition ne doit pas s'étendre au-delà de quatorze jours, à partir du moment de l'opération : car après ce laps de temps il faut sans plus tarder purifier le vin, et gratter ou essuyer la lie qui se sera attachée aux bords ou aux parois des vases, et placer immédiatement les couvercles qui devront être lutés. Si vous voulez vous servir de la même poix pour toute votre vendange, de manière qu'on ne puisse reconnaître au goût du vin s'il est poissé, il suffira, lorsque le moût aura bouilli et qu'il aura été purgé de ses lies, d'y mêler six scrupules de poix par quarante-cinq setiers de liqueur. Au reste, il faudra ajouter dans cette quantité de moût une demi-once de sel grillé et égrugé. Ce n'est pas seulement dans le vin de ce genre qu'il faut mettre du sel, mais, si on le peut, on salera au même degré toute espèce de vin, et en tout pays, parce que cette pratique l'empêche de contracter le goût de moisi.
XXIV. De la poix néméturique pour les condiments. La poix néméturique se prépare en Ligurie. Pour la rendre propre aux condiments, on prend de l'eau de mer le plus loin qu'il est possible du rivage, et on la fait réduire à la moitié par l'ébullition. Quand elle est refroidie au point de ne pas brûler la partie du corps qu'on y plonge, on mêle une quantité suffisante avec la poix dont nous venons de parler, et on l'agite soit avec une spatule de bois, soit même avec la main, pour on retirer les ordures qui pourraient s'y trouver. Ensuite on laisse la poix se précipiter, et, quand elle est tombée au fond, on décante l'eau; puis, avec le reste de l'eau réduite, on la lave quelque temps, et on la manie jusqu'à ce qu'elle soit devenue rougeâtre. Alors, après l'avoir tirée au clair, on la laisse quatorze jours exposée au soleil, afin qu'elle se débarrasse de l'humidité que l'eau y a laissée; mais on doit couvrir le vase pendant la nuit, afin qu'il ne reçoive pas de rosée. Après avoir préparé la poix de cette manière, si l'on voulait assaisonner son vin, on y mettrait, après l'avoir fait bouillir deux fois, deux cyathes de cette poix sur quarante-huit setiers de moût. De cette quantité que l'on doit travailler, il faut prendre deux setiers et les verser peu à peu sur deux onces de poix, que l'on doit pétrir à la main, comme on le fait pour le vin miellé, afin qu'elle s'incorpore plus facilement. Lorsque les deux setiers de vin seront totalement mêlés avec la poix, et ne feront pour ainsi dire qu'une seule substance, il conviendra de les verser dans le vaisseau d'où on les avait tirés, et d'agiter le tout avec un râble de bois, afin de bien mélanger la préparation.
XXV. De l'eau salée ou saumure pour assaisonner les vins. Quelques Grecs, je dirai même presque tous, préparant leur moût avec de l'eau salée ou avec de la saumure, j'ai cru devoir ne pas omettre cette partie de l'économie rurale. Dans l'intérieur des terres où il n'est pas facile de transporter de l'eau de la mer, voici comment on préparera la saumure pour les condiments. L'eau de pluie est la plus propre à cette composition, sinon celle qui coule d'une fontaine très limpide. Vous aurez soin, cinq ans d'avance, d'exposer au soleil une forte quantité de l'une ou de l'autre de ces eaux dans des vases bien choisis; puis, lorsqu'elle se sera corrompue, vous lui donnerez le temps de revenir à son premier état. Quand cette dépuration se sera opérée, prenez d'autres vases, et décantez-y peu à peu cette eau jusqu'à ce que vous soyez arrivé au sédiment : car on trouve toujours quelque crasse au fond des vases où l'eau s'est reposée. Traitée ainsi, on la réduit au tiers par l'ébullition, comme on le fait pour le vin cuit. Alors on mêle, dans cinquante setiers de cette eau douce, un setier de sel et autant d'excellent miel; puis on fait bouillir encore le mélange et on en retire toutes les ordures. Quand cette composition est refroidie, on verse ce qui en reste dans une amphore de moût. Si le vignoble est situé sur une côte maritime, il faudra, quand les vents ne souffleront pas et que la mer sera calme, puiser loin du rivage de l'eau qu'on fera réduire au tiers par l'ébullition, en y ajoutant, si on le juge à propos, et pour que la préparation de ce vin ait plus de bouquet, quelques-uns des aromates dont j'ai parlé plus haut. Avant de tirer le moût des cuviers, vous parfumerez les vases avec du romarin, du laurier et du myrte, et vous les remplirez entièrement, afin que le vin se purge parfaitement dans l'ébullition ; puis vous frotterez ces vases avec des pignons de pin. Il faut assaisonner le vin le lendemain du jour où on l'aura tiré de la cuve, si on veut qu'il ait de la douceur, et le cinquième jour après, s'il convient de l'avoir plus âpre. On remplit les vases à mesure qu'ils se réduisent, et on les bouche. Quelques personnes aussi mettent le condiment dans les vases qu'ils ont parfumés, et y versent le moût.
XXVI. Remèdes pour le vin qui tourne à l'aigre. Dans les vignobles où le vin a coutume de tourner à l'aigre, il faut avoir soin, quand on a cueilli et foulé le raisin, avant de soumettre le marc à l'action du pressoir, de passer le moût dans une corbeille, et d'y verser un dixième d'eau douce d'un puits, creusé sur le terrain même, et de le faire bouillir jusqu'à évaporation d'une quantité égale à celle de l'eau ajoutée. Ensuite, quand la liqueur sera refroidie, on la versera dans des vases, que l'on couvrira et qu'on lutera. Par ce moyen le vin se conserve longtemps et n'éprouve pas d'altération. Il vaut mieux employer de vieille eau conservée depuis plusieurs années, et il est préférable encore de ne pas se servir d'eau, de faire bouillir le moût jusqu'à réduction d'un dixième, de le verser dans un vaisseau, et de jeter une hémine de gypse sur sept setiers de moût, quand il est refroidi. Quant au reste du moût que l'on aura exprimé du marc, il faut le consommer sans retard, ou le vendre.
XXVII. De la manière de faire du vin doux. II faut faire ainsi le vin doux : Cueillez des raisins; exposez-les durant trois jours au soleil; le quatrième jour, à l'heure de midi, foulez vos grappes toutes chaudes; enlevez, de la cuve où il a coulé, le vin de mère goutte, c'est-à-dire celui que l'on obtient avant que le raisin ait été soumis au pressoir. Quand il aura cessé de bouillir, mêlez-y pour cinquante setiers une once au plus d'iris bien pilé, et entonnez-le après l'avoir bien dégagé de sa lie. Ce vin sera agréable, fort et salutaire pour le corps.
XXVIII. Autres espèces de condiments bons pour la santé. Faites comme il suit les autres espèces de condiments pour assaisonner et fortifier le vin : Pilez de l'iris le plus blanc; faites macérer, dans du vin vieux, du fenugrec, que vous exposez ensuite au soleil ou au four pour qu'il se dessèche; alors broyez-le bien menu. Après cette opération vous mêlerez ensemble des aromates pulvérisés, tels que de l'iris passé au tamis à la dose de neuf onces, autant de fenugrec et cinq onces de schoenum. Alors ajoutez, par chaque cruche de sept amphores, une once et huit scrupules de cette mixtion et trois hémines de gypse, si le moût provient de terres humides; un setier, s'il est tiré de jeunes vignes, et seulement une hémine, s'il a été donné par de vieilles vignes plantées eu terrain sec. Trois jours après avoir foulé le raisin, versez le condiment; mais, avant de l'employer, tirez un peu de moût du vaisseau dans lequel vous opérez, pour le déposer dans un autre, afin qu'il ne s'en répande pas quand il bouillira avec la mixtion. Ainsi mélangez dans un bassin du gypse broyé et des autres ingrédients, autant qu'il en faudra pour chaque vaisseau; puis délayez- les dans le moût; versez-les dans des cruches, et opérez-en le mélange. Quand le tout sera en ébullition, remplissez-en vos vaisseaux, et bouchez-les. Lorsque vous assaisonnerez du vin, ne le versez pas aussitôt dans vos vaisseaux, mais laissez-1e reposer dans les premiers vases; lorsque ensuite vous voudrez le décanter des tonneaux ou des cruches, à l'époque du printemps, lors de la floraison des roses, transvasez-le parfaitement purgé de lies et très clair dans des vaisseaux bien poissés et bien nets. Si vous désirez le conserver longtemps, ajoutez-y, dans une futaille de deux urnes, un setier d'excellent vin, ou trois setiers de lie d'un vin généreux et nouveau, ou bien, si vous avez des vaisseaux qui soient vides depuis peu de temps, versez-y votre liqueur. Quelle que soit celle de ces méthodes que vous emploirez, votre vin y gagnera de la bonté et de la durée. Si d'ailleurs vous y mêlez des aromates agréables, vous en chasserez toutes les mauvaises odeurs et la saveur fâcheuse; car aucune substance ne se pénètre plus promptement des odeurs étrangères que ne le fait le vin.
XXIX. Par quel procédé le mout peut se maintenir toujours aussi doux que lorsqu'il est nouveau. Pour que le moût reste toujours aussi doux que dans sa nouveauté, usez du procédé suivant : Avant de soumettre le marc à l'action du pressoir, tirez de la cuve, dans une amphore neuve, le moût le dernier écoulé; bouchez-la, enduisez-la de poix avec beaucoup de soin, pour qu'il ne puisse pas s'y introduire d'humidité. Alors plongez-la en son entier dans une piscine d'eau froide et douce, de manière qu'aucune portion du vase ne soit à découvert; ensuite, au bout de quarante jours, retirez l'amphore. Par ce moyen la liqueur se maintiendra douce toute une année.
XXX. Bons soins à donner au vin, et remèdes pour ses maladies. Du moment où vous aurez bouché vos vaisseaux, il suffit de visiter le vin une fois tous les trente-six jours, jusqu'à l'équinoxe du printemps, et deux fois après cette époque. Mais, si le vin commence à se couvrir d'efflorescences, il est nécessaire de lui donner des soins plus fréquemment, de peur que cette maladie n'aille en empirant, et n'altère le goût de la liqueur. Plus l'été sera chaud, plus souvent il convient de rafraîchir le vin, de le nourrir et de lui procurer de l'air : car, tant qu'il se maintiendra bien frais, il offrira des gages de durée. Toutes les fois qu'on soignera le vin, il faudra avec des pignons de pommes de pin frotter l'ouverture ou les rebords du vaisseau. Dans le cas où quelques vins seraient durs, ou de qualité inférieure, soit par l'effet d'un terrain ingrat, soit en raison des mauvais temps, prenez de la lie d'un bon vin, composez-en des houlettes, sèchez-les au soleil, et faites-les cuire au feu ; puis broyez-les, frottez l'intérieur de chaque amphore avec trois onces de cette substance, et boucliez hermétiquement : votre vin s'améliorera.
XXXI. Remèdes pour le cas où un petit animal serait tombé dans le moût et y serait mort. Si quelque animal, tel qu'un serpent, un rat ou une souris, est tombé et a péri dans le moût, il faudra, pour qu'il ne donne pas mauvaise odeur au vin, brûler au foyer son corps dans l'état où vous l'aurez trouvé, et en jeter la cendre refroidie dans la vase où il s'est noyé, et l'y mélanger avec un râble de bois. Cette opération servira de remède.
XXXII. Vin de marrube. Beaucoup de personnes considèrent le vin de marrube comme utile à la guérison de toutes les maladies internes, et principalement de la toux. Quand vous ferez la vendange, cueillez des tiges tendres de marrube, surtout dans les lieux incultes et maigres, et faites-les sécher au soleil; mettez-les en bottes que vous lierez avec une corde de palmier ou de jonc; placez-les dans un vaisseau de manière que le lien surnage; jetez dans deux cents se-tiers de moût très-doux huit livres de marrube, pour les faire bouillir ensemble; ensuite retirez le marrube, et, après avoir tiré le vin au clair, bouchez-le soigneusement.
XXXIII. Comment il faut préparer le vin de scille. On doit préparer ainsi qu'il suit le vin de scille qui sert à faciliter la digestion, à rétablir les forces, à guérir la toux et à fortifier l'estomac D'abord, quarante jours avant de procéder à la vendange, cueillez la scille, coupez-la par tranches très menues, comme on fait pour les racines de raifort; suspendez ces rouelles à l'ombre, afin qu'elles s'y dessèchent ; ensuite, quand leur dessiccation sera complète, jetez dans quarante-huit setiers de vin doux d'Aminée une livre de scille sèche; laissez-l'y séjourner trente jours, ensuite retirez-la et versez votre vin, tiré au clair, clans deux amphores. D'autres cultivateurs prescrivent de mettre une livre et un quart de scille sèche dans les quarante-huit setiers de moût; dose que j'approuve volontiers.
XXXIV. Du vinaigre scillitique. Ceux qui veulent faire du vinaigre de scille, en mettent une livre et un quart, comme je l'ai dit, dans deux urnes de vinaigre, et l'y laissent infuser pendant quarante jours. Pour obtenir une sauce forte, vous mettrez sur trois amphores de moût un conge de fort vinaigre, ou le double, s'il n'a pas beaucoup d'acidité; vous ferez bouillir le tout dans une marmite de la contenance de trois amphores, jusqu'à l'abaissement d'un palme, c'est-à-dire jusqu'à réduction d'un quart ou d'un tiers, si le moût n'est pas très doux. Vous écumerez. Au surplus, le moût doit être du premier tiré et être bien limpide.
XXXV. Comment il faut préparer l'absinthite, l'hysopite, l'abrotonite et les autres vins de cette espèce. Voici la recette des vins soit d'absinthe, soit d'hysope, soit d'aurone, soit de thym, soit de fenouil, soit de pouliot : Faites bouillir jusqu'à réduction d'un quart une livre d'absinthe du Pont avec quatre setiers de moût ; puis versez les trois quarts restants, quand ils seront refroidis, dans une urne de moût d'Aminée. Opérez de même pour les autres plantes que j'ai désignées ci-dessus. On peut aussi faire une décoction, que l'on réduira d'un tiers, de trois livres de pouliot sec dans un conge de moût; et, quand la liqueur est refroidie, on la verse dans une urne de vin doux, après avoir retiré le pouliot. On peut donner de suite cette préparation avec succès pendant l'hiver aux personnes affectées de toux. Cette espèce de vin se nomme gléchonite.
XXXVI. Du vin de taille. On appelle vin de taille, celui qu'on exprime, après la première pression du marc, de sa motte retaillée sur toutes ses faces. Remplissez jusqu'au bord avec ce moût une amphore neuve; jetez-y des rameaux de romarin desséchés et liés en bottes avec du fil de lin, et laissez-les fermenter ensemble pendant sept jours. Ensuite retirez ces bottes, et lutez avec du plâtre votre vin tiré au clair. Il suffira de mettre une demi-livre de romarin dans deux urnes de moût. Au bout de deux mois vous pouvez employer ce vin comme remède.
XXXVII. Composition d'on vin semblable au vin grec. Cueillez des raisins précoces, les plus mûrs que vous trouverez; laissez-les sécher au soleil pendant trois jours; foulez-les le quatrième; versez dans une cruche le moût non mélangé de vin de taille, et ayez grand soin, dès qu'il cessera de bouillir, de le purger de sa lie; ensuite, le cinquième jour, vous ajouterez à ce moût bien clarifié deux setiers, ou au moins un, de sel torréfié et tamisé, pour quarante- neuf setiers de ce vin. Quelques personnes y mêlent un setier de vin cuit; d'autres en versent même deux, si elles doutent que leur vin puisse se conserver.
XXXVIII. Comment on fait le vin myrtite. Préparez ainsi qu'il suit le vin de myrte pour guérir les coliques, la diarrhée et les faiblesses d'estomac. Il y a deux espèces de myrte, dont l'un est noir et l'autre blanc. On cueille les baies de l'espèce noire lorsqu'elles sont mûres; on en retire les semences, et quand elles en sont dépouillées, on les fait sécher au soleil; puis on les dépose en lieu sec dans une cruche de terre cuite. Ensuite, à l'époque des vendanges, on cueille à la plus grande ardeur du soleil des grappes bien mûres de raisin d'Aminée sur un vieux cépage de vignes mariées à l'ormeau, ou, si l'on n'en a pas, sur les plus anciennes vignes que l'on ait; on verse le moût qui en provient dans une cruche, et aussitôt, dès le premier jour, avant toute fermentation, on écrase avec soin les baies de myrte qu'on avait conservées : on en pèse dans cet état autant de livres qu'on doit assaisonner d'amphores de vin ; alors on prend dans la cruche où l'on doit faire la mixtion, une petite quantité de moût, et de ces baies pulvérisées et pesées on saupoudre la liqueur comme avec de la farine. Ensuite on en fait plusieurs boulettes, et on les fait glisser dans le moût le long des parois de la cruche, afin qu'elles ne s'entassent pas les unes sur les autres. Après cette opération, dès que le moût aura jeté deux bouillons de fermentation, et que deux fois on l'a soigné, on recommence de la même manière à pulvériser le même poids de haies que j'ai indiqué ci-dessus; mais on n'en forme plus de boulettes : on prend seulement dans un bassin du moût de la même cruche; on le mélange avec la quantité prescrite plus haut de manière à en faire une sorte de bouillon épais. Quand cette mixtion est faite, on le reverse dans la cruche en l'agitant avec un râble de bois. Neuf jours après cette opération, on purge le vin de toute ordure; on frotte les vases avec des balais de myrte sec; puis on y place les couvercles, pour que rien ne tombe dans le liquide. Cela étant fait, on purge encore le vin sept jours après, et on le verse dans des amphores bien enduites de poix et bien parfumées; mais il faut avoir soin en transvasant de ne laisser couler que la liqueur claire et sans lie. On obtient un autre vin de myrte par le procédé suivant : Faites jeter trois bouillons à du miel de l'Attique, et écumez-le autant de fois; ou, à défaut de ce dernier, choisissez du miel d'excellente qualité, dont vous enlèverez les écumes à quatre ou cinq reprises : car, moins il est bon, plus il produit d'ordure. Quand le miel sera refroidi, prenez les baies de myrte de l'espèce blanche, les plus mûres que vous trouverez, et écrasez-les de manière à ne pas broyer les semences qu'elles renferment. Après avoir placé ces baies dans une corbeille de bois, vous en exprimerez le suc, dont vous mélangerez six setiers avec un setier de miel cuit; puis vous verserez le tout dans une fiole que vous luterez, C'est dans le mois de décembre qu'on doit faire cette préparation, parce qu'alors presque toujours les semences de myrte ont atteint leur maturité. Il faudra veiller à ce qu'avant la récolte de ces baies, il se soit écoulé sept jours, s'il est possible, ou tout au moins trois d'un temps serein, et surtout à ce qu'il n'ait pas plu, et à ce qu'elles ne soient pas même couvertes de rosée. Beaucoup de personnes récoltent les fruits du myrte, soit blanc, soit noir, lorsqu'ils sont mûrs, puis les font un peu sécher à l'ombre pendant deux heures, et les broient de manière à laisser entières, autant que faire se peut, les semences qui y sont contenues. Alors à travers un tamis de lin. elles expriment le suc de ce qu'elles ont broyé, et, après l'avoir épuré dans un couloir de jonc, elles le conservent dans des fioles bien poissées, sans y joindre ni miel ni autres ingrédients. Cette liqueur se conserve peu ; mais, tant qu'elle se maintient sans altération, elle est meilleure, pour la santé que la composition de toute autre espèce de myrtit.e. Il y a des cultivateurs qui, lorsqu'ils en ont en abondance, font réduire ce suc à un tiers, en le soumettant à l'ébullition, et, lorsqu'il est refroidi, le mettent dans des fioles poissées. Ainsi préparé, il est de longue garde; quant à celui qui n'a pas subi de cuisson, il pourra se conserver deux ans sans s'altérer, pourvu qu'il ait été fait proprement et avec soin.
XXXIX. Comment on confectionne le vin de raisins séchés au soleil. Magon conseille de faire, comme il suit, le vin de raisins séchés au soleil, et c'est ainsi que j'en ai fait moi-même. Cueillir bien mûres les grappes de raisins précoces; rejeter les grains secs ou altérés; ficher en terre, à la distance de quatre pieds, pour supporter des roseaux, des fourches ou des pieux qu'on unira en forme de joug avec des perches : les roseaux posés dessus, y étendre au soleil les raisins, les couvrir la nuit pour que la rosée ne les humecte pas. Quand ils seront desséchés, détacher les grains et les jeter dans un tonneau ou dans une cruche, ajouter d'excellent moût jusqu'à ce qu'il recouvre les raisins : au bout de six jours, lorsqu'ils auront bu le liquide et s'en seront gonflés, les mettre dans un cabas, les soumettre à l'action du pressoir et recueillir le vin; ensuite fouler le marc, en y ajoutant du moût tout frais, qu'on aura obtenu d'autres raisins restés au soléil durant trois jours; alors mêler et mettre sous la presse ce marc, et sans retard renfermer dans des vaisseaux lutés ce second vin pour qu'il ne prenne pas trop d'âpreté; puis, vingt ou trente jours après, quand il aura cessé de bouillir, le tirer au clair dans d'autres vases; aussitôt plâtrer les couvercles et les recouvrir d'une peau. Si on se propose de faire du vin avec du raisin muscat séché au soleil, cueillez-en bien saine la grappe que vous dégagez des grains gâtés; mettez-la à part, puis suspendez-la sur les perches. Ayez soin que ces perches soient sans cesse exposées au soleil. Dès que les grains seront suffisamment flétris, détachez-les; jetez-les sans la rafle dans un tonneau, et foulez-les fortement. Quand vous aurez fait votre première assise de marc, vous l'arroserez de vin vieux ; puis vous foulerez de quoi en dresser une autre, que vous arroserez comme la première; vous foulerez de même une troisième assise, et vous l'étendrez sur les autres et verserez dessus du vin, jusqu'à ce qu'il la recouvre : après quoi vous laisserez le tout reposer cinq jours, espace de temps après lequel vous foulerez de nouveau et vous presserez dans un cabas neuf. Quelques personnes laissent vieillir pour cet usage l'eau de pluie, et la font bouillir jusqu'à réduction de moitié. Quand ils ont eu desséché leur raisin comme je l'ai expliqué, ils emploient cette eau au lieu de vin, et terminent l'opération comme ci-dessus. Ce procédé, quand on a beaucoup de bois, coûte fort peu, et ce vin est même, pour l'usage, plus doux au goût que ceux qu'on prépare d'après les précédentes méthodes.
XL. On fait ainsi d'excellente piquette : Voyez combien de vin vous aurez fait en un jour, et combien la dixième partie forme de métrètes; versez ce même nombre de métrètes d'eau douce sur le marc dont en cette journée vous aurez exprimé le vin; mettez dans cette eau les écumes du vin cuit jusqu'à réduction soit de moitié, soit des deux tiers, et la lie déposée dans les cuves : mêlez le tout ensemble, et laissez toute une nuit macérer cette espèce de bouillie; le lendemain vous la foulerez, et après cette opération soumettez-la à l'action du pressoir. Lorsque le liquide se sera écoulé, versez-le dans des tonneaux ou des amphores, et, après qu'il aura bouilli, bouchez vos vases. C'est surtout dans les amphores que la piquette se conserve le mieux. M. Columelle faisait sa piquette avec de l'eau vieillie, et souvent il la conservait potable plus de deux ans.
XLI. Faites ainsi de très bon vin miellé : Tirez sans délai de la cuve du moût de mère goutte, c'est-à-dire de celui qui aura coulé des raisins avant qu'ils n'aient été fortement foulés. Faites ce moût avec du raisin de vignes mariées aux arbres, et que vous aurez cueilli par un temps sec. Jetez dix livres de miel d'excellente qualité dans une urne de moût, et, après l'avoir soigneusement mêlé, emplissez-en une bouteille, enduisez-là de plâtre sans retard, et faites-la déposer sur une tablette. Si vous désirez en confectionner une plus grande quantité, vous ajouterez du miel d'après la proportion que nous venons de fixer. Trente et un jours après, il faudra ouvrir la bouteille, décanter le moût dans un autre vase qu'on lutera, et que l'on conservera sur le four. Voici comment on prépare la confiture de coings: Dans une marmite neuve de terre cuite ou dans une marmite d'étain, on fait cuire une urne de moût de raisin d'Aminée marié aux arbres, vingt gros coings bien nettoyés, et environ trois setiers de grenades douces entières connues sous le nom de puniques, et de cormes non encore mûres, séparées de leurs semences: On fait cuire le tout jusqu'à ce que tous les fruits se fondent dans le moût : on charge un jeune valet de remuer les fruits avec une spatule de bois ou un roseau, pour qu'ils ne puissent pas brûler. Quand la cuisson en est arrivée au point qu'il ne reste qu'une petite quantité de jus, on laisse refroidir, et on coule. Ce qui restera dans le couloir devra être soigneusement écrasé, et, afin qu'il ne brûle pas, mis à cuire dans son propre jus sur un feu doux de braise, jusqu'à ce qu'il ait pris la consistance de lie. Avant de retirer du feu cette préparation, on ajoutera à tous les ingrédients trois hémines de romarin de Syrie, pulvérisé et passé au tamis; on les incorporera au moyen d'une spatule, afin que tout soit bien homogène. Ensuite, quand cette confiture est refroidie, on la verse dans un vase de terre cuite neuf et poissé, qu'on lute avec du plâtre, et qu'on suspend à une certaine hauteur pour qu'il ne contracte pas de moisissure.
XLII. Voici comment nous confisons le fromage : coupez en gros morceaux des fromages de brebis, secs et faits de l'année précédente; disposez-les dans un vase poissé, puis remplissez ce vase de moût de la meilleure qualité, de manière à recouvrir les fromages, et que le liquide surnage : car le fromage s'abreuve de ce moût, et se gâterait si ce liquide ne le couvrait pas toujours. Dès due votre vase sera rempli, vous le plâtrerez; plus, vingt jours après, vous pourrez l'ouvrir et employer cette conserve dans tel assaisonnement que vous voudrez. Mangé seul, il n'est même pas désagréable.
XLIII. Comment on prépare et conserve les raisins de barrique. Après avoir coupé sur la vigne des raisins soit bumastes, soit à chair ferme, soit pourprés, enduisez-en de suite la queue avec de la poix dure. Ensuite remplissez, de baies de blé bien sèches et criblées de manière qu'il n'y reste point de poussière, un bassin de terre cuite, dans lequel vous disposerez vos grappes les unes sur les autres. Recouvrez ce vase d'un autre, et enduisez-en les joints avec un lut mêlé de paille; puis, sur un plancher très sec, recouvrez de baies sèches vos vases jusqu'au-dessus de la réunion de leurs bords. Tout raisin peut se conserver sans altération, s'il a été détaché de la vigne au décours de la lune, par un temps serein, après la quatrième heure, quand il a été séché par le soleil et qu'il n'est plus humide de rosée. Au surplus, on doit tenir du feu dans le sentier le plus voisin pour y faire fondre la poix, dans laquelle on doit, sans retard, plonger la queue des grappes. Jetez dans un vaisseau bien poissé une amphore de vin cuit jusqu'à réduction de moitié. Ensuite fixez-y des gaulettes transversales, de manière qu'elles ne touchent pas à la liqueur. Vous poserez sur ces gaulettes des plats neufs; vous dresserez dessus les raisins assez espacés les uns des autres pour qu'ils ne se touchent pas; puis vous mettrez et luterez les couvercles sur les plats. Vous établirez de même une seconde assise, une troisième, et autant que la capacité du vaisseau en peut admettre, en disposant toujours les grappes de la même manière. Enfin vous imprégnerez largement de vin cuit le couvercle poissé du vaisseau, et après l'avoir fixé, vous en fermerez les ouvertures avec de la cendre.Quelques personnes se bornent à établir sur leur vin cuit de petites perches transversales, et y suspendent les raisins assez haut pour qu'ils ne touchent pas à la liqueur; puis elles lutent le couvercle superposé. D'autres, après avoir cueilli les grappes, comme je l'ai dit plus haut, font sécher au soleil de petits vaisseaux neufs et non poissés; puis les mettant rafraîchir à l'ombre, elles y jettent du son d'orge, et y dressent leurs raisins de sorte que l'un ne touche pas l'autre; alors ils répandent dessus du son de la même nature, et font derrière un autre lit de grappes; elles continuent ainsi jusqu'à ce que le vaisseau soit rempli de couches alternatives de raisins et de son. Alors elles lutent les couvercles, et déposent cette provision sur des tablettes très sèches et très froides. Certaines personnes conservent ces fruits dans leur état de fraîcheur par un procédé analogue, en les couvrant de sciure de peuplier ou d'érable. Il y en a d'autres qui recouvrent de plâtre pulvérisé bien sec leurs raisins détachés des vignes avant leur entière maturité. D'autres encore, après les avoir cueillis, coupent avec des ciseaux les grains gâtés, et suspendent les grappes en cet état dans le grenier au-dessus du froment; mais ce procédé rend les raisins ridés et presque aussi doux que ceux qu'on a fait sécher au soleil. Marc Columelle, mon oncle paternel, faisait confectionner, avec cette argile dont on fait les amphores, de larges vaisseaux en forme de plats; il les faisait enduire copieusement de poix en dedans et à l'extérieur. Après les avoir ainsi préparés, il ordonnait de cueillir des raisins pourprés, des bumastes, des numides et des raisins à chair ferme; sans retard il en faisait plonger la queue dans de la poix bouillante, et les dressait séparément d'après leur espèce sur les plats dont il est question, de manière que les grappes ne se touchassent pas; ensuite on adaptait les couvercles, et on les lutait avec une couche épaisse de plâtre. Enfin, avec de la poix dure fondue au feu, on les enduisait de manière à ne laisser filtrer aucune humidité. Après ces opérations, on immergeait les vases dans de l'eau de fontaine ou de citerne, où on les maintenait au moyen d'objets pesants, en ne laissant aucun point à découvert. C'est ainsi que l'on conserve parfaitement le raisin; mais lorsqu'il est sorti de l'eau, il devient acide, si on ne le consomme pas le jour même. Au surplus, il n'y a pas de procédé plus certain que d'employer des vases de terre cuite, dans chacun desquels on puisse placer une grappe à l'aise. Ils doivent avoir quatre anses, par lesquelles on les attache pour les suspendre aux vignes. Leurs couvercles doivent être faits de manière à pouvoir se partager en deux, afin que lorsqu'on aura suspendu ces vases et introduit dans chacun une grappe de raisin, on puisse rapprocher les deux parties du couvercle superposé et couvrir ce raisin. Ces vases et leurs couvercles devront être soigneusement poissés en dedans et en dehors, et après y avoir renfermé la grappe, on les recouvre avec un mortier épais et mêlé de paille. Il importe que les raisins, pendants de la vigne, soient assez bien disposés dans les vases pour qu'aucune de leurs parties ne soit en contact avec les parois. Le temps propice à cette opération est à peu près celui où les grains de raisin sont gros et changent de couleur sons l'influence de la chaleur et d'un ciel serein. Nous devons principalement prescrire de ne pas placer des raisins et des pommes dans le même endroit, ni même dans des endroits voisins, d'où l'odeur des dernières parviendrait jusqu'aux premiers : l'exhalaison des pommes corromprait en peu de temps les grains de raisin. Quant aux moyens de conservation des fruits, que nous avons indiqués, tous ne sont pas applicables à toutes les contrées : les circonstances, les lieux, et la nature des raisins doivent déterminer le choix des procédés.
XLIV. Anciennement on conservait de préférence dans des vases les sircitules, les vénucules, les grands aminées, les gaulois et les espèces à grains durs, gros et écartés ; maintenant, dans le voisinage de la ville, on préfère pour cette opération les numides. On choisit soigneusement pour les cueillir des raisins médiocrement mûrs; la récolte doit s'en faire par un temps serein, quand le sol n'est plus couvert de rosée, à la quatrième ou à la cinquième heure du jour, la lune étant dans son décours et sous notre hémisphère; puis on les dresse sur des claies de manière qu'ils ne se touchent pas les uns les autres ; enfin on les porte à la maison, où l'on enlève avec les ciseaux les grains secs ou gâtés. Quand ces raisins se sont un peu rafraîchis à l'ombre, on les dispose par trois ou quatre dans des pots, selon la contenance de ces vases; et, pour que l'humidité n'y pénètre pas, on enduit soigneusement les couvercles avec de la poix. Ensuite on divise une motte de marc de raisin que l'action du pressoir ait fortement desséchée, et après en avoir un peu séparé les rafles et dégagé les pellicules des grains, on en fait une couche dans un tonneau. Les pots doivent être renversés sens dessus dessous, et assez peu rapprochés pour qu'on puisse fouler le marc qui les sépare. Ce premier étage soigneusement pressé, on établit dessus un second étage en disposant d'autres pots comme les premiers. On remplit ainsi le tonneau de diverses assises de pots qu'on y intercale de marc bien foulé; puis on entasse du marc jusqu'aux bords, et, aussitôt après, on en lute dessus le couvercle avec de la cendre employée en manière de plâtre. Toutefois celui qui achètera ces pots doit être averti qu'il ne doit pas faire emplette de ceux dont la terre serait poreuse ou mal cuite : car il résulterait de l'un ou de l'autre de ces défauts que l'humidité en s'y introduisant ferait gâter les grappes. Au surplus, lorsque l'on retirera des pots pour l'usage, il faudra en enlever une couche entière : cal' le marc foulé, pour peu qu'il soit remué, s'aigrit promptement et corrompt les raisins.
XLV. Comment on conserve les grenades. C'est après la vendange qu'on fait les confitures d'automne, qui sont de la compétence de la métayère. Je n'ignore pas que je n'ai point mentionné dans ce livre beaucoup de choses que C. Matius a traitées avec un très grand soin : car il avait pour but de pourvoir les tables des villes et les festins splendides. II mit au jour trois ouvrages qu'il intitula : le Cuisinier, le Poissonnier et le Confiseur de saumures. Quant à nous, il nous suffit de parler de choses qui, en raison de leur facile exécution et du peu de dépense qu'elles occasionnent, peuvent convenir à la simplicité des champs : or, les fruits de toutes les espèces se présentent tout d'abord. Pour commencer par les grenades, quelques cultivateurs tordent sur l'arbre la queue de ces fruits sans les déplacer, pour empêcher que la pluie ne les fasse gercer, et qu'en se crevassant ainsi ils ne se gâtent. Ils les fixent aux rameaux les plus forts, afin qu'ils ne soient pas agités; ensuite ils enveloppent l'arbre avec des filets de sparte pour préserver les fruits de l'atteinte des corbeaux, des corneilles et des autres oiseaux. Quelques personnes adaptent de petits vases de terre cuite au fruit qui pend à l'arbre, et les laissent ainsi en les enduisant d'un mortier mêlé de paille; d'autres enveloppent ces fruits avec du foin ou du chaume, les recouvrent ensuite d'un enduit épais de mortier paillé, et, dans cet état, les attachent aux grands rameaux, pour que, comme je l'ai dit, le vent ne les agite pas. Ainsi que je l'ai prescrit, toutes ces choses doivent être faites par un temps serein, après la disparition de la rosée. Au reste, il est bon de se dispenser de cette opération, parce qu'elle est nuisible aux arbrisseaux ; ou du moins on doit s'abstenir de la pratiquer plusieurs années consécutives, par cette considération déterminante qu'on a la facilité de conserver les fruits, même après les avoir détachés des arbres. En effet, on peut creuser à la maison de petites fosses de trois pieds dans un terrain très sec. Après y avoir déposé un peu de terre bien divisée, on y enfonce de jeunes branches de sureau; ensuite, par un beau temps, on cueille les grenades avec leurs queues que l'on insère dans le sureau, parce que cet arbre est pourvu d'une moelle accessible et d'une substance assez lâche pour admettre facilement la queue des fruits. Toutefois, il faudra veiller à ce que ces fruits soient éloignés de la terre d'un intervalle de quatre doigts, et qu'ils ne se touchent pas entre eux. Alors on place sur la fosse que l'on a faite un couvercle que l'on enduit tout autour avec du mortier paillé, et on amoncèle par-dessus la terre provenant de l'excavation. On peut faire la même chose dans un tonneau que l'on remplit à moitié, soit de terre bien divisée, soit, comme quelques personnes le préfèrent, de sable de rivière, en terminant l'opération ainsi que nous l'avons enseigné.Le Carthaginois Magon conseille de faire bouillir fortement de l'eau de mer, d'y plonger un moment les grenades liées avec du lin ou avec du sparte, jusqu'à ce qu'elles aient perdu leur couleur, et de les retirer pour les faire sécher au soleil pendant trois jours; puis de les sus- pendre dans un lieu frais, et, lorsqu'on en aura besoin, de les laisser macérer dans de l'eau froide sans sel une nuit, et le lendemain jusqu'à l'heure où l'on en doit faire usage. En outre, ce même auteur prescrit d'enduire d'une couche épaisse d'argile à potier bien maniée,. les grenades récemment cueillies, et, quand cette terre est desséchée, de les suspendre dans un lieu frais; plus tard, lorsqu'on en aura besoin, on les plongera dans l'eau, et on en détachera l'argile. Ce procédé conserve le fruit comme s'il venait d'être cueilli. Magon ordonne encore de mettre au fond d'un pot de terre neuf de la sciure de peuplier ou d'yeuse, et d'y établir les fruits de manière qu'on puisse fouler cette sciure entre eux; de faire suivre ce premier étage d'un nouveau lit de sciure, d'y placer de même les fruits jusqu'à ce que le pot soit rempli; et quand il le sera, de lui appliquer son couvercle et de le luter soigneusement avec une couche épaisse de mortier. Tout fruit que l'on serre pour le garder longtemps, doit être cueilli avec sa queue et même avec une partie de rameau, quand on le peut sans nuire à l'arbre : car cette précaution contribue beaucoup à une longue conservation. Beaucoup de personnes détachent les fruits de l'arbre avec les petites branches auxquelles ils adhèrent, et, lorsqu'elles les ont soigneusement couverts d'argile, elles les font sécher au soleil; si par la suite cet enduit vient à se gercer, elles bouchent la crevasse avec du mortier, et, dès qu'il est sec, les suspendent dans un lieu frais.
XLVI. Comment on conserve les pommes orbiculaires les sestiennes, les miellées et les autres espèces. Un grand nombre de personnes conservent les coings dans des fosses ou dans des tonneaux, de la même manière que les grenades; quelques autres les enveloppent de feuilles de figuier, puis pétrissent de l'argile à potier avec de la lie d'huile et en enduisent leurs fruits, et, quand cette croûte est sèche, elles les déposent sur des tablettes dans un lieu frais et sec : il en est aussi qui rangent ces fruits dans des plats neufs, où elles les couvrent de plâtre, en observant qu'ils ne se touchent pas l'un l'autre.Pour nous, l'expérience ne nous a pas révélé de procédé plus sûr et meilleur que de cueillir en décours de lune, par un ciel serein, les coings très mûrs, bien entiers et sans taches; d'enlever le duvet qui les couvre, et, dans un flacon neuf à très large ouverture, de les arranger avec précaution, de manière qu'ils soient à l'aise pour qu'ils ne puissent pas se heurter. Quand le vase en sera rempli jusqu'à son ouverture, on contiendra les coings avec des baguettes d'osier posées transversalement de manière à les comprimer un peu, pour qu'ils ne se soulèvent pas lorsqu'on aura versé le liquide; alors on emplira complétement le vase du meilleur miel fondu, de manière que le fruit en soit tout à fait recouvert. Cette méthode est non seulement propre à conserver les coings, mais elle procure aussi une liqueur de saveur mielleuse, que l'on peut sans inconvénient administrer aux fiévreux, et que l'on appelle miel de fruit. Il faut éviter d'employer des coings peu mûrs pour les conserver dans le miel, parce que, cueillis verts, ils s'endurcissent au point de ne pouvoir pas servir. Au surplus, il est inutile de les fendre avec un couteau d'os, comme font beaucoup de personnes, et d'en extraire les pepins, qu'elles regardent comme propres à gâter les fruits. Quant au procédé que je viens d'enseigner ici, il est tellement infaillible, que, lors même que le fruit recèlerait des vers, il ne se conserverait pas moins bien, une fois recouvert du liquide prescrit : car telle est la propriété du miel, qu'il arrête la corruption, et qu'il ne lui laisse pas accès : même il empêche un cadavre humain de se corrompre pendant plusieurs années. On peut donc conserver dans cette liqueur toutes les autres espèces de pommes, telles que les orbiculaires, les sestiennes, les miellées, les matiennes; mais, comme il paraît que ces fruits ainsi préparés deviennent trop doux par le contact du miel, et perdent la saveur qui leur est propre, on doit disposer des coffres de hêtre ou même de tilleul semblables à ceux dans lesquels on serre les habits de ville, mais un peu plus grands, et les établir sur un plancher très frais dans un lieu très sec, où ne pénètrent ni la fumée ni aucune mauvaise odeur. On y dresse les fruits dont il est question de manière que leur ombilic soit tourné en haut et leur queue en bas, comme ils vivent sur l'arbre, et l'on prend garde qu'ils ne se touchent entre eux.On observera d'ailleurs de mettre séparément chaque espèce de fruit dans des coffres distincts : car si diverses variétés y étaient mêlées ensemble, elles ne s'accorderaient pas entre elles et se corrompraient plus promptement. C'est par ce motif que le vin tiré de vignes d'espèces différentes, ne se maintient pas aussi bien que celui qui provient soit d'aminées, soit de plants de muscat, ou bien de féciniennes sans mélange. Au surplus, quand les fruits auront été dressés avec soin, comme je l'ai dit ci-dessus, on les recouvrira au moyen des couvercles des coffres, qu'on lutera avec du mortier paillé, afin que l'air ne puisse pas s'y introduire. Certaines personnes, pour conserver ces mêmes fruits, usent du procédé que nous avons indiqué plus haut pour d'autres espèces, et qui consistent à mettre entre eux de la sciure de peuplier; quelques autres y emploient aussi de la sciure de sapin. Les fruits qu'on destine à être conservés par cette méthode, doivent être cueillis avant leur maturité et lorsqu'ils sont encore très verts.
XLVII. Conserve d'aunée. On fait ainsi la conserve d'aunée : Après avoir tiré de terre les racines de cette plante dans le courant d'octobre (c'est l'époque de leur maturité), vous enleverez avec un linge rude ou même avec une brosse de crin tout le gravier dont elles seront couvertes; ensuite vous en graterez la superficie avec un couteau bien affilé, et vous couperez en deux ou trois tranches de la longueur du doigt, selon leur grosseur, celles qui seront les plus fortes. Faites-les cuire modérément dans une marmite d'airain avec du vinaigre, en prenant garde qu'elles ne brûlent. Cette opération terminée, faites-les sécher à l'ombre pendant trois jours; puis, mettez-les dans une cruche poissée, en y ajoutant soit du vin de raisins séchés au soleil, soit du vin réduit à moitié par la cuisson, dans lequel les racines seront submergées; ensuite, après avoir étendu dessus une couche d'origan, couvrez le vase et l'enveloppez d'une peau. Voici une autre manière de confire l'aunée : Après avoir ratissé les racines, taillez-les en tranches comme ci-dessus; laissez-les sécher à l'ombre pendant trois ou rnêrne quatre jours, et, quand elles seront bien sèches, mettez-les dans un vase non poissé, avec des couches alternatives d'origan : l'origan étant placé, mêlez une partie de vin cuit jusqu'à réduction des deux tiers, avec six parties de vinaigre et une hémine de sel torréfié : faites macérer, dans ce liquide, les tranches d'aunée jusqu'à ce qu'il ne leur reste que le moins d'amertume qu'il sera possible. Retirées ensuite, vous les ferez sécher une seconde fois à l'ombre pendant cinq jours; alors mélangez dans une marmite de la lie d'un vin épais avec autant de lie de vin miellé, si vous en possédez, et joignez- y, pour un quart, de bon vin cuit jusqu'à réduction de moitié. Quand le tout aura bouilli, jetez-y les tranches d'aunée, et aussitôt retirez la marmite du feu ; puis remuez avec une spatule de bois, jusqu'à refroidissement complet. Transvasez ensuite dans une cruche poissée, placez-y un couvercle et recouvrez avec une peau. Troisième procédé pour confire l'aunée : Après avoir ratissé soigneusement les racines, faites-en macérer, dans une saumure forte, les tronçons coupés menu, et tenez-les-y jusqu'à ce qu'ils aient perdu leur amertume. En-suite, jettez la saumure; pilez, après en avoir retiré les pepins, des cormes très bonnes et très mûres, et mêlez-en la pulpe avec l'aunée. Alors ajoutez soit du vin de raisins cuits au soleil, soit du vin cuit jusqu'à réduction de moitié et de qualité supérieure; puis bouchez le vase. Quelques personnes, après avoir préparé l'aunée et l'avoir fait macérer dans la saumure, la font sécher, et y mêlent des coings pilés, qu'elles ont fait cuire dans du vin cuit jusqu'à réduction de moité, ou bien dans le miel; puis, elles versent par-dessus soit du vin de raisins secs, soit du vin cuit jusqu'à réduction de moitié, et recouvrent d'une peau le vase bien bouché.
XLVIII. Manières de confire les olives. Pendant la vendange, en septembre ou en octobre, meurtrissez l'olive pausée, cueillie encore acerbe; pressez-la après l'avoir fait un peu macérer dans de l'eau chaude; mettez-la dans des cruches, en y mêlant des graines de fenouil et de lentisque avec un peu de sel torréfié, et versez par-dessus du moût tout nouveau. Alors plongez dans le vase et placez sur les olives, de manière qu'elles en soient comprimées et que le jus surnage, une botte de fenouil vert. Ainsi traitées, les olives sont bonnes à manger dès le troisième jour. A mesure que vous meurtrissez la pausée blanche, ou l'orchite, ou la radiole, ou la royale, vous la jetterez dans de la saumure froide, afin qu'elle ne se décolore pas. Quand vous en aurez préparé assez pour remplir une amphore, placez au fond une botte de fenouil sec. Vous vous prémunirez d'un petit pot de graines de fenouil vert et de lentisque détachées et Inondées; et après avoir exprimé la saumure des olives retirées de ce liquide, vous les mélangerez dans un vase avec les graines; quand il sera rempli jusqu'à son col, vous recouvrirez avec de petites bottes de fenouil sec, et ajouterez deux parties de moût nouveau et une partie de saumure forte. Vous pouvez pendant toute l'année user avantageusement des olives ainsi confites. Quelques personnes ne meurtrissent pas leurs olives, mais les ouvrent avec une pointe, de roseau. Ce procédé exige plus de travail, mais il est le meilleur, parce que les olives ainsi traitées sont plus blanches que celles que les meurtrissures rendent livides. Quelques autres personnes, après avoir soit meurtri, soit ouvert les olives, y mêlent un peu de sel torréfié et les graines que nous avons mentionnées; ensuite elles versent dessus, ou du vin cuit jusqu'à réduction des deux tiers, ou du vin de raisins séchés au soleil, ou bien, si elles en ont, de l'eau dans laquelle ont séjourné des rayons de miel. Nous venons dans ce livre même d'enseigner comment on fait cette eau. Elles procèdent pour tout le reste comme nous l'avons indiqué. Choisissez les olives pausées ou les royales, les plus blanches parmi celles qui sont sans taches, et cueillez-les à la main; puis jetez- les, après y avoir mêlé quelques graines de lentisque et de fenouil, dans une amphore au fond de laquelle vous aurez mis du fenouil sec. Quand le vase sera rempli jusqu'au col, versez-y de la saumure forte. Alors, avec une couche de feuilles de roseau, pressez les olives, afin qu'elles plongent entièrement dans le liquide; puis achevez de remplir avec de la saumure forte jusqu'au bord de l'amphore. Par elle-même, il est vrai, cette olive est peu agréable; mais elle est très propre aux assaisonnements pour les tables de luxe : lorsqu'on en a besoin, on la tire de l'amphore, et, après l'avoir pilée, on l'emploie aux sauces que l'on veut. Toutefois, le plus ordinairement, on hache menu du poireau sectile, de la rue, de l'ache tendre et de la menthe, qu'on mêle avec les olives écrasées; puis on ajoute un peu de vinaigre poivré et un peu plus de miel ou d'hydromel; et on arrose le tout d'huile verte, et on recouvre avec une petite botte d'ache fraîche. Quelques personnes mettent dans chaque modius d'olives ainsi cueillies trois hémines de sel, et après y avoir joint les semences de lentisque, jettent ces olives dans une amphore au fond de laquelle est un lit de fenouil, et jusqu'à ce qu'elle soit remplie jusqu'au col; après cela, elles versent du vinaigre qui ne soit pas très fort; et, lorsque l'amphore est à peu près pleine, elles compriment les olives au moyen d'une botte de fenouil, et ajoutent encore du vinaigre jusqu'à ce que le vase soit entièrement plein. Quarante jours après, elles retirent tout le liquide, puis mêlent ensemble trois parties de vin de raisins secs ou de vin cuit jusqu'à réduction de moitié, et une partie de vinaigre, dont elles remplissent l'amphore. Voici un autre procédé excellent : quand la pansée blanche a été macérée dans de la saumure forte, on jette toute cette saumure, on fait un mélange de deux parties de vin cuit jusqu'à réduction de moitié, avec une partie de vinaigre, et l'on en remplit l'amphore. On peut aussi confire de la même manière la royale ou l'orchite. On mêle encore ensemble une partie de saumure et deux parties de vinaigre, pour y faire confire les olives pausées. Celui qui jugera à propos de les employer telles qu'elles sont, les trouvera assez agréables, quoique pour-tant, à la sortie de la saumure, elles puissent recevoir tel assaisonnement qu'on jugera convenable. On récolte avec leurs queues les olives pansées, quand elles commencent à changer de couleur, et avant qu'elles deviennent douces, pour les conserver clans de l'huile de première qualité. Par ce procédé, elles offrent encore au bout d'un an toute la saveur des olives vertes. Il y a même des personnes qui servent comme fraîches, au sortir de l'huile, ces olives saupoudrées d'un peu de sel égrugé. Voici une autre manière de les confire, presque exclusivement employée dans les villes grecques, et on l'appelle épityre. Quand l'olive pausée ou l'orchite commence à perdre sa blancheur et à jaunir, on la cueille à la main, par un temps serein; on l'étend pendant un jour à l'ombre, et si quelques queues, des feuilles ou des rameaux y sont restés adhérents, on les en détache. Le lendemain, on passe ces olives au crible, et, après les avoir enfermées dans un cabas neuf, on les soumet à l'action du pressoir; on les presse fortement, afin d'en extraire jusqu'à la dernière goutte de la lie. Quelquefois on les laisse se dessécher ainsi toute une nuit et le lendemain sous le poids du pressoir. Alors on les retire dégagées de leur peau, et on ajoute à chaque modius d'olives un setier de sel torréfié et égrugé. On y joint aussi de la graine de lentisque, des feuilles de rue et de fenouil séchées à l'ombre, le tout haché aussi menu qu'il paraît nécessaire. On laisse reposer trois heures cette préparation, temps nécessaire pour que le fruit se soit assez pénétré de sel ; alors on verse dessus de l'huile d'un goût exquis, de manière qu'elle recouvre les olives que l'on maintient assez pressées, avec une botte de fenouil sec, pour que le liquide surnage. Au surplus, pour cette préparation, on dispose à l'avance des vases de terre neufs et non enduits de poix, mais qui, pour ne pas laisser transsuder l'huile, doivent être abreuvés de la liqueur dont on imbibe les métrètes qui servent à mesurer l'huile d'olive; enfin on les fait sécher.
XLIX. Comment on confit les olives noires. La froidure de l'hiver arrive, pendant laquelle la récolte des olives réclame, comme la vendange, les soins de la métayère. Puisque nous avons commencé à traiter ce sujet, nous parlerons d'abord des procédés à suivre pour confire les olives; puis nous nous occuperons aussitôt après de la fabrication de l'huile. On prépare pour les bonnes tables les olives pansées ou les orchites, et même dans quelques pays les néviennes. Il est donc à propos de les cueillir à la main par un temps serein, lorsqu'elles sont déjà noirâtres, sans être encore tout à fait mûres; on les crible ensuite et on écarte toutes celles qui paraîtraient ou tachées ou gâtées, ou qui n'auraient pas acquis leur accroissement ordinaire. Ensuite il faut jeter sur chaque modius d'olives trois hémines de gros sel, et les agiter dans des corbeilles d'osier, puis étendre sur elles une couche copieuse de sel de manière à les recouvrir entièrement. Dans cet état, on les laisse ressuer durant trente jours et évacuer entièrement leur lie. Alors on les verse dans un bassin, et avec une éponge propre on enlève le sel jusqu'à ce qu'il n'en reste plus; puis on les met dans un vase que l'on remplit de vin cuit jusqu'à réduction soit des deux tiers, soit de moitié, et sur lequel on étend un lit de fenouil sec pour comprimer les olives. Toutefois, le plus souvent, on mélange trois parties, soit de vin cuit jusqu'à réduction de moitié, soit de miel, et une partie de vinaigre, et on les fait confire dans ce jus. Certaines personnes, après avoir cueilli l'olive noire, la salent dans la proportion que nous avons indiquée ci-dessus, la déposent dans des paniers, en y entremêlant des graines de lentisque, de manière à faire des couches alternatives de fruit et de sel, jusqu'à ce que les paniers soient remplis. Au bout de quarante jours, quand les olives ont rendu tout ce qu'elles contenaient de lie, elles les versent dans un bassin; elles les séparent, au moyen du crible, des semences de lentisque; elles les nettoient avec l'éponge, pour qu'il n'y reste pas de sel attaché : alors elles les mettent dans une amphore, et versent dessus soit du vin cuit jusqu'à réduction des deux tiers ou de moitié, soit même du miel, si elles en ont une quantité suffisante, et continuent l'opération comme à l'ordinaire. Par chaque modius d'olives, il faut employer un setier de graines d'anis, de lentisque, et trois cyathes de semences de fenouil; et à défaut de semences de fenouil, se servir, dans une proportion suffisante, de la plante même après l'avoir pilée; mêler ensuite, dans chaque modius de fruits, trois hérnines de sel torréfié, mais non égrugé; en cet état, déposer les olives dans l'amphore, la boucher avec de petites bottes de fenouil, et la rouler à terre tous les jours, et, lo troisième ou le quatrième, répandre la lie qui se sera dégagée. Au bout de quarante jours on devra verser les olives dans un bassin, se borner à les séparer de leur sel sans les essuyer avec l'éponge, les laisser dans l'état oh elles se trouvent unies à quelques grumeaux de sel, les déposer dans une amphore, et, après les avoir recouvertes d'une couche de fenouil, les placer à la cave pour l'usage. Tirez de la saumure l'olive cueillie mûre que vous y avez fait macérer; essuyez-la avec une éponge; ouvrez-la avec une pointe de roseau vert, en deux ou trois en-droits.; déposez-la trois jours dans le vinaigre; épongez-la le lendemain; mettez-la dans une cruche ou une marmite neuve, sur un lit d'ache, avec un peu de rue. Versez ensuite le vin cuit sur vos olives fendues, de manière à remplir le vase jusqu'à l'orifice. Employez de jeunes pousses de laurier pour comprimer ces fruits. Vous pourrez au bout de vingt jours en faire usage.
L. Comment on fait la sirape. Par un temps serein, on cueille l'olive noire très-mûre; on l'étend à l'ombre sur des roseaux pendant un jour, et on rejette tous les fruits gâtés. S'il est resté quelques queues, on les enlève ainsi que les feuilles et les petites branches qui s'y trouveraient mêlées. Le lendemain, on crible soigneusement afin de faire disparaître ce qu'il y a d'ordures. Puis on met les olives broyées dans un cabas neuf que l'on soumet à l'action du pressoir pour que l'huile s'écoule pendant la nuit. On jette cette pâte sous les meules bien nettoyées, et assez suspendues pour ne pas briser les noyaux ; quand elle est réduite en bouillie, on y mêle avec la main du sel torréfié et égrugé, et d'autres assaisonnements secs, c'est-à-dire du fenugrec, du cumin, de la graine de fenouil, de l'anis d'Égypte. Il suffira, au surplus, d'employer autant d'héinines de sel que l'on a de modius d'olives, et de verser dessus de l'huile pour que la composition ne se dessèche pas : ce qu'on devra faire, du reste, toutes les fois qu'on remarquera qu'elle commence à se sécher. Il est hors de doute qu'elle sera d'un goût exquis si elle provient des pausées. Mais ce bon goût n'a pas plus de deux mois de durée. Les autres variétés d'olives les plus propres à ce condiment sont les licinies et les culminées. Cependant on préfère pour cet emploi les olives de Calabre, que quelques personnes appellent oléastelles, en raison de leur ressemblance avec le fruit de l'olivier sauvage.
LI. Comment on confectionne l'huile. Le commencement de décembre est ordinairement l'époque où la récolte des olives est en pleine activité : en effet, avant ce temps, on fait l'huile acerbe, à laquelle on donne le nom d'huile d'été; vers le mois de décembre, on exprime l'huile verte, et plus tard l'huile mûre. Il n'est pas de l'intérêt du père de famille de faire de l'huile acerbe, parce qu'on en obtient peu : il ne destinera donc à ce produit que les olives abattues par les tempêtes, et qu'il ne faut pas négliger de ramasser pour qu'elles ne soient pas dévorées par les bêtes et par les animaux domestiques. Il est au contraire très avantageux de faire de l'huile verte, d'autant plus qu'elle coule assez abondamment des olives et que son prix double à peu près le revenu du maître. Toutefois, si l'on possède un vaste plant d'oliviers, il est nécessaire d'en réserver une partie pour y laisser le fruit arriver à complète maturité. Quoique nous ayons, dans notre premier livre, décrit le lieu où l'on doit faire l'huile ; nous croyons devoir consigner ici diverses choses relatives à cette opération, et dont nous ne nous étions pas d'abord occupés. Il est nécessaire d'avoir à sa disposition un plancher sur lequel on porte les olives, quoique nous ayons pour principe qu'on doive soumettre sans retard à l'action de la meule et du pressoir les récoltes de chaque jour. Cependant, comme il peut arriver que le travail des pressureurs soit insuffisant pour la grande abondance du fruit, il faut, s'il y a lieu, avoir un grenier pour recevoir les olives : il doit être planché comme celui où l'on placera les grains, mais offrir des cases aussi multipliées que l'exigera la quantité des olives, afin de mettre à part dans une case particulière la cueillette de chaque jour. Le sol de ces loges sera pavé de pierres ou de briques, et présentera une pente suffisante pour que tout liquide s'écoule promptement par des canaux ou des tuyaux : car la lie est tout à fait ennemie de l'huile, dont elle gâte le goût, si elle séjourne dans le fruit. C'est pourquoi, lorsque vous construirez les compartiments comme nous l'avons dit, établissez au-dessus d'eux des solives distantes entre elles d'un demi-pied, sur lesquelles vous jetterez des claies de roseaux soigneusement rapprochés, de manière que le fruit ne puisse passer au travers, et qu'elles ne cèdent pas sous le poids des olives. Près de tous les compartiments, au point où la lie devra couler, formez sous les canaux mêmes un pavage concave en manière de fossette, ou bien une auge de pierre dans laquelle le liquide écoulé s'arrêtera et pourra être puisé. Il faudra, en outre, avoir à la maison des cuves ou des tonneaux disponibles pour recevoir séparément chaque sorte de lie, soit celle qui est naturelle, soit celle que l'on a salée; car l'une et l'autre sont propres à plusieurs usages. Pour la fabrication de l'huile, les meules offrent plus d'avantages que le trapet, et le trapet plus que le canal et la solde. Les meules sont d'un emploi très facile, parce que, suivant la quantité des olives, on peut les abaisser ou les élever, de manière à ne pas écraser les noyaux, qui altèrent le goût de l'huile. Toutefois le trapet fait plus de besogne, et la fait plus facilement que la solée et le canal. Il y a encore une autre machine qui est semblable à la tribule dressée debout, et que l'on appelle une tudicule. On s'en servirait avec assez d'avantage, si elle n'était sujette à se déranger souvent, et même à s'arrêter quand on soumet à son action une quantité un peu trop grande d'olives. Au reste, on fait usage de ces machines suivant les circonstances et les pays; mais la meilleure de toutes est la meule, et ensuite le trapet. J'ai pensé qu'avant de parler de la fabrication de l'huile, il était nécessaire de traiter de ces objets. Maintenant venons à notre sujet, quoique nous ayons omis de parler de beaucoup de choses que, comme avant la vendange, il faut préparer pour la récolte des olives, telles que du bois en quantité qu'on doit apporter longtemps d'avance, afin que les ouvriers ne soient pas obligés, lorsqu'ils en auront besoin, d'interrompre leur travail; telles que des échelles, des corbeilles, des mesures de dix modius, des paniers de trois modius, pour contenir les olives que l'on a cueillies, des cabas, des cordes de chanvre et de sparte, des cuillers de fer pour puiser l'huile, des couvercles pour placer sur les vases destinés à la recevoir, des éponges tant grandes que petites, des cruches pour la transporter, des claies de roseaux pour y établir les olives, et d'autres ustensiles dont je ne me souviens pas en ce moment. On doit être pourvu de toutes ces choses et de beaucoup d'autres de rechange, parce que l'usage en met quelques-unes hors de service, et en diminue, par conséquent, le nombre; et parce que, s'il venait à en manquer quelqu'une, le travail se trouverait interrompu. Mais je vais poursuivre le sujet que j'ai promis de traiter. Lorsque les olives commencent à changer de couleur, que quelques- unes sont déjà noires et que le plus grand nombre toutefois en est encore blanc, il faut commencer la cueillette à la main par un temps serein, et cribler et nettoyer les olives sur des claies ou des roseaux. Alors on s'empresse de les porter au pressoir, bien mondées, de les déposer sans les meurtrir dans des cabas neufs, de les pressurer de manière à n'obtenir leur liqueur que peu à peu. Quand leur écorce sera brisée, on devra les ramollir en répandant dessus deux setiers de gros sel par chaque modius de fruit, et, si c'est l'usage du pays, en exprimer le marc à l'aide de claies, sinon à l'aide de cabas neufs. La première huile doit être reçue dans une cuvette ronde (ce qui vaut mieux que d'employer des vases carrés de plomb et des vaisseaux de plusieurs pièces), et l'ouvrier chargé de survider doit la verser dans les cruches de terre cuite préparées pour cet usage.Il faut avoir dans le cellier à l'huile trois rangs de bassins : le premier sera destiné à recevoir l'huile de qualité supérieure, c'est-à- dire de première expression; le second celle du deuxième pressurage, et le dernier celle du troisième : car il est bien important de ne pas mêler la mère-goutte avec la seconde huile, et surtout avec la troisième; puisque l'huile qui, comme une lessive, s'écoule par l'effet d'une faible pression, est d'un goût bien meilleur que les autres. Quand l'huile a un peu séjourné dans les premiers bassins, le pressureur doit la tirer au clair dans d'autres vaisseaux, et de vase en vase jusqu'au dernier : car, plus souvent on lui procurera de l'air en la décantant, plus dans cette espèce d'exercice elle acquerra de limpidité, et mieux elle se dépouillera de sa lie. Il suffira, au reste, que chaque rang soit composé de trente vases, à moins que l'on ne possède de vastes plants d'oliviers qui en exigent davantage. Si le temps froid fait congeler l'huile avec sa lie, il est évident qu'il faudra augmenter un peu la dose de sel torréfié, parce qu'il rend l'huile plus fluide et qu'il sépare tout ce qui peut l'altérer. Au surplus, il n'y a pas à craindre que l'huile devienne salée : car, quelle que soit la dose de sel qu'on y mette, l'huile n'en prend jamais le goût. Ordinairement ce procédé ne suffit pas pour la rendre liquide, lorsqu'il survient de grands froids; alors on torréfie du nitre, et, après l'avoir pulvérisé, on en jette dans l'huile et on l'y mêle : cette substance en fait déposer la lie. Quelques personnes, dont l'expérience d'ailleurs n'est pas douteuse, pensent qu'en soumettant le fruit entier à l'action du pressoir, on perd une petite quantité d'huile : car quand les olives ont reçu le poids de la presse, ce n'est pas seulement la lie qui s'écoule, mais elle entraîne avec elle un peu de liquide onctueux. Voici, au reste, ce que je crois devoir prescrire en général : il faut éviter que la fumée ne pénètre ou que de la suie ne séjourne dans le pressoir ou dans le cellier où se trouve l'huile. Ce sont, en effet, deux choses préjudiciables à ce liquide, et les plus habiles faiseurs d'huile permettent à peine d'employer une lampe quand on la fabrique. C'est pourquoi on doit orienter le pressoir et le cellier de sorte qu'ils ne soient point exposés aux vents froids, car on ne doit y introduire la chaleur du feu que le moins qu'il est possible. Quant aux tonneaux et aux cruches dans lesquels on dépose l'huile, il ne faut pas, pour les disposer, attendre le temps où la maturité du fruit y force, mais s'en occuper dès qu'ils auront été vidés par les acheteurs : la métayère doit, sans plus tarder, enlever le sédiment ou la lie qui auraient pu se déposer au fond des vaisseaux, et les laver à plusieurs reprises, non avec de la lessive très chaude, de peur qu'elle ne fasse couler la cire dont ils sont induits, mais avec de l'eau tiède, en les frottant légèrement avec la main, puis les rincer à plusieurs reprises, et au moyen d'une éponge enlever toute l'humidité. Il y a des personnes qui délayent dans de l'eau, en manière de vase claire, de l'argile à potier, et, après avoir lavé les vaisseaux, les enduisent de cette espèce de liquide, et les font sécher. Ensuite, lorsqu'elles veulent s'en servir, elles les rincent avec de l'eau pure. Quelques-unes commencent par laver ces vases avec de la lie d'huile, puis avec l'eau, et les laissent sécher; en même temps elles examinent si leurs vaisseaux n'ont pas besoin de nouvelle cire : car les anciens prétendaient qu'il fallait les enduire de cette substance, après six récoltes environ. Je ne comprends pas la possibilité de cette opération : car, si les vases neufs étant chauffés peuvent facilement admettre la cire fondue, je ne crois pas que les vieux puissent être enduits de cette substance en raison de l'huile dont ils sont imprégnés. Au surplus, les agriculteurs de notre temps rejettent même le premier enduit de cire, pensant qu'il est préférable de laver les vases neufs avec de la gomme fondue, et, dès qu'ils sont secs, d'y introduire des fumigations de cire blanche, afin de les préserver de la moisissure : ils sont d'avis qu'il ne faut pas omettre de faire cette fumigation toutes les fois qu'on dispose les vaisseaux soit neufs, soit vieux, et qu'on les prépare pour recevoir de nouvelle huile. Beaucoup de personnes se contentent d'un seul enduit de gomme pour toujours, lorsqu'ils l'ont appliqué assez épais à leurs tonneaux neufs et à leurs cruches neuves. Assurément, une fois qu'un vase est imbibé d'huile, il n'admet plus de nouvelles couches de gomme : car la graisse de l'huile repousse toute substance de nature gommeuse. A la fin de décembre, vers les calendes de janvier, il faut, par la raison que nous en avons donnée, cueillir les olives et les pressurer sans retard : car, si on les dépose sur le plancher, elles s'échauffent promptement. D'ailleurs, pendant les pluies d'hiver, elles produisent plus de lie : ce qui est un inconvénient pour cette opération.C'est pourquoi il faut prendre garde d'être réduit à n'en tirer que de l'huile à manger commune. Il n'y a qu'une manière d'écarter cet inconvénient : c'est de traiter le fruit comme nous l'avons prescrit, puis de l'écraser au moyen de la meule et de le pressurer, aussitôt après l'avoir apporté des champs. La plupart des agriculteurs ont cru qu'en déposant les olives sur le plancher, on leur faisait produire une plus grande quantité d'huile : assertion aussi fausse que si l'on prétendait que les grains croissent sur l'aire. C'est ainsi que notre vieux Porcius Caton réfute cette erreur : « Sur le plancher, dit-il, l'olive se ride et s'amoindrit. En effet, quand le paysan a transporté à la maison la mesure d'un pressurage, et que, plusieurs jours après, il veut la soumettre à l'action de la meule, oubliant la quantité qu'il a d'abord apportée, il tire d'un autre tas, également mis à part, ce qui manque à chaque mesure : c'est ce qui lui fait croire que les olives reposées rendent plus d'huile que celles. qui sont plus récemment recueillies, tandis qu'il en a réellement employé un plus grand nombre de mesures. Quand bien même l'assertion serait vraie, on retirerait toutefois plus d'argent du prix de l'huile verte que d'une augmentation de fruit. » Caton ajoute : « Vinssiez-vous à accroître le poids ou la mesure de l'huile, si vous voulez calculer ce que vous avez ajouté d'olives à votre pressurée, vous verrez qu'il y a, non pas du bénéfice, mais de la perte. Aussi ne devons-nous pas balancer à écraser l'olive dès les premiers moments de sa récolte et à la soumettre au pressoir. » Je n'ignore pas qu'il faut aussi fabriquer de l'huile à manger commune. Quand les olives véreuses viennent à tomber, ou que les vents et les pluies en ont jeté dans la boue, on a recours à l'eau chaude; on fait chauffer un vase d'airain pour laver ces fruits malpropres. Il ne faut pas toutefois que cette eau soit bouillante, ruais simplement tiède, afin que le goût de l'huile soit meilleur; car, si les olives étaient cuites, elles contracteraient le mauvais goût des vers et des autres impuretés. Lorsque l'olive est bien lavée, on la traite, pour le reste, comme nous avons indiqué ci-dessus. Il ne faudra pas presser dans les mêmes cabas l'huile de première qualité et l'huile commune : en effet, tandis qu'on réserve les cabas neufs pour l'huile ordinaire, les vieux cabas doivent servir pour les olives tombées; et, toutes les fois qu'ils auront servi, on les lavera sans retard deux ou trois fois dans de l'eau bouillante : si l'on a un cours d'eau à sa proximité, on les y plongera en les assujettissant sous des pierres dont le poids les retiendra au fond; si l'on manquait d'eau courante, on les ferait tremper dans une mare ou dans une piscine d'eau très pure, puis on les battrait avec des verges, afin d'en faire sortir les ordures et les lies; on les laverait de nouveau, et on les ferait sécher.
LII. De l'huile douce. Quoique la composition de l'huile douce n'appartienne pas à cette époque, je l'ai réservée pour cette partie de mon livre, craignant qu'elle ne parût déplacée dans les recettes pour les vins. Au reste, elle se fait de la manière suivante. Il faut disposer un grand vaisseau à huile, neuf ou au moins bien solide; ensuite, pendant la vendange, on y verse soixante setiers du moût de la meilleure qualité, et du plus nouveau, avec quatre-vingts livres d'huile; on y ajoute dans un réseau de jonc ou de lin des aromates non tamisés, pas même pulvérisés, mais seulement légèrement concassés, et on maintient ce réseau, sous le poids d'une pierre, dans le mélange d'huile et de moût. Les substances contenues dans le réseau doivent y être introduites dans les proportions suivantes : calamus, jonc odorant, cardamome, baume de Judée, écorce de palmier, fenugrec macéré dans du vin vieux et séché ensuite, et même torréfié, raciFaites ainsi l'huile destinée à la préparation des parfums. Avant que les olives soient devenues noires, quand elles commencent à changer de couleur, et qu'elles ne sont pas encore bigarrées, cueillez à la main les liciniennes surtout, si vous en avez, sinon les royales, ou à leur défaut les culminées. Après les avoir nettoyées, soumettez-les à l'action du pressoir telles qu'elles sont, et exprimez-en la lie; ensuite broyez-les sous la meule peu serrée; disposez-les sur des claies ou dans un cabas neuf; pressez sous le bélier du pressoir de manière qu'il ne déforme pas le cabas ou les claies, mais fasse par son propre poids écouler quelque liquide. A mesure qu'il se dégagera ainsi, l'ouvrier le séparera de sa lie et le transvasera promptement dans des vases neufs, et décantera le reste de l'huile. Ce qui sera ensuite exprimé des olives pourra servir pour les aliments, soit en le mélangeant avec de l'huile d'une autre qualité, soit en l'employant seul. ne de jonc, même iris grec et aussi anis d'Égypte, à poids égal, c'est-à-dire de chacun une livre et un quart; après quoi on lutera la métrète. Au bout de sept ou de neuf jours, on enlèvera à la main l'écume et les ordures qui se seraient attachées au col de ce vase, et on l'essuyera ; ensuite on tirera l'huile au clair et on la versera dans des vases neufs. Après quoi on tirera le réseau, on pilera les aromates avec la plus grande propreté, on les mettra bien pulvérisés dans la même métrète, on y versera autant d'huile que la première fois, on bouchera le vaisseau et on le placera au soleil. Sept jours après, on décantera l'huile, et on mettra le moût restant dans un vaisseau bien poissé. Si on ne le transvasait pas, on s'en servirait comme de potion médicamenteuse pour les boeufs malades et pour les autres bestiaux. Quant à la seconde huile, qui n'est pas d'une odeur désagréable, elle pourra servir, pour frictions journalières, aux personnes affectées de maladies nerveuses.
LIII. Faites ainsi l'huile destinée à la préparation des parfums. Avant que les olives soient devenues noires, quand elles commencent à changer de couleur, et qu'elles ne sont pas encore bigarrées, cueillez à la main les liciniennes surtout, si vous en avez, sinon les royales, ou à leur défaut les culminées. Après les avoir nettoyées, soumettez-les à l'action du pressoir telles qu'elles sont, et exprimez-en la lie; ensuite broyez-les sous la meule peu serrée; disposez-les sur des claies ou dans un cabas neuf; pressez sous le bélier du pressoir de manière qu'il ne déforme pas le cabas ou les claies, mais fasse par son propre poids écouler quelque liquide. A mesure qu'il se dégagera ainsi, l'ouvrier le séparera de sa lie et le transvasera promptement dans des vases neufs, et décantera le reste de l'huile. Ce qui sera ensuite exprimé des olives pourra servir pour les aliments, soit en le mélangeant avec de l'huile d'une autre qualité, soit en l'employant seul.
LIV. Jusqu'ici nous avons suffisamment parlé de l'huile; passons maintenant à des choses moins importantes. On doit interdire la boisson à tout animal et surtout au porc, la veille du jour où on doit le tuer, afin que sa chair soit plus sèche; car, s'il avait bu, la salaison en serait plus humide. Après avoir tué l'animal sans lui avoir permis d'étancher sa soif, désossez-le avec soin : c'est le moyen de conserver la salaison mieux et plus longtemps. Quand il sera désossé, salez-le sans tarder avec du sel torréfié, peu égrugé, mais concassé sous la meule desserrée; saupoudrez largement les morceaux, surtout ceux auxquels vous aurez laissé les os. Après avoir disposé les quartiers ou les morceaux sur un plancher, chargez-les de poids très lourds pour faciliter l'écoulement de l'humidité qu'ils recéleraient. Retirez les poids le troisième jour, frottez avec soin à la main cette salaison, et, lorsque vous voudrez la mettre en place, saupoudrez-la de sel fin bien égrugé; dressez-la en cet état, et vous ne cesserez de la frotter tous les jours jusqu'à ce qu'elle soit à son point convenable. Si le temps est serein durant les jours où vous ferez cette opération, laissez votre viande neuf jours sous le sel; mais si le temps est couvert, ou s'il pleut, il faudra, le onzième ou le douzième jour, porter la salaison au saloir, secouer d'abord le sel, laver soigneusement les morceaux avec de l'eau douce, n'y laisser de sel nulle part, et, dès qu'ils seront un peu desséchés, les suspendre dans le garde-manger, où on fera pénétrer un peu de fumée pour dessécher ce qui peut rester d'humidité. Il y a de l'avantage à faire cette salaison au décours de la lune, surtout pendant le solstice d'hiver, ou même dans le mois de février avant les ides. Il existe une autre manière de saler le porc, applicable même dans les lieux chauds, et dans toutes les époques de l'année. La voici : l'animal ayant été privé d'eau la veille de sa mort, on l'égorge le lendemain; puis on l'épile soit à l'eau bouillante, soit à une flamme légère de menu bois (car de l'une et de l'autre façon on peut le dépouiller de ses soies) ; on le coupe par morceaux d'une livre; ensuite on fait au fond d'un vase un lit de sel torréfié, mais (comme nous l'avons dit ci-dessus) grossièrement égrugé ; puis on dresse bien pressés et par couches les morceaux, qu'on alterne de couches de sel. Quand on est arrivé au col du vase, on achève de le remplir de sel, et l'on y comprime le tout au moyen de poids. Cette chair se conserve indéfiniment, et doit rester dans sa saumure comme toute autre salaison.
LV. Comment on confit les raves et les navets. Prenez des raves très rondes; nettoyez-les si elles sont terreuses, et enlevez-en légèrement la pelure avec un couteau; après cela (comme ont coutume de faire les confiseurs), coupez-les en sautoir avec une lame faite en forme de croissant; mais évitez de les fendre tout à fait. Dans ces ouvertures, introduisez du sel qui ne soit pas trop égrugé, dressez les raves dans un bassin ou dans une cruche; laissez-les trois jours saupoudrées d'un peu de sel jusqu'à ce qu'elles aient rejeté leur eau. Au bout de ces trois jours, goûtez les fibres intérieures de ce légume pour vous assurer si elle a pris assez de sel; puis, quand vous croirez qu'elle s'en est suffisamment imprégnée, tirez du vase vos raves, lavez chacune d'elles dans son propre jus, et, s'il y en a trop peu, ajoutez de la saumure forte, et procédez à votre lavage. Après cette opération, dressez les raves dans une corbeille d'osier carrée, dont le tissu ne soit pas trop serré, mais solide et formé de verges un peu grosses; puis posez une planche de manière à pouvoir, s'il le faut, refouler ces légumes jusqu'au fond du panier. Après avoir ainsi adapté la planche, chargez-la de poids fort lourds, et laissez tout un jour et toute une nuit la préparation se dessécher; puis mettez-la dans un vaisseau de terre poissé, ou dans un vase de verre, et versez dessus assez de moutarde et de vinaigre pour qu'elle soit recouverte par le jus. On peut dans une saumure pareille confire des navets, entiers s'ils sont petits, mais coupés par tranches s'ils sont gros; mais il faut avoir soin d'employer ces divers légumes, avant qu'ils aient poussé leur tige et qu'ils montent à graine, tandis qu'ils sont tendres. Jetez dans un vase les navets en leur entier, s'ils ne sont pas gros, sinon coupés en trois ou quatre morceaux, s'ils ont acquis une certaine grosseur; versez dessus du vinaigre, et ajoutez pour chaque conge de ce liquide un setier de sel torréfié. Vous pourrez au bout de trente jours faire usage de cette préparation.
LVI. Comment on fait la moutarde. Nettoyez avec soin de la graine de sénevé et criblez-la; lavez-la ensuite à l'eau froide, et quand elle sera bien lavée, laissez-la tremper dans l'eau pendant deux heures. Retirez-la ensuite, et, après l'avoir pressée dans les mains, jetez-la dans un mortier neuf ou très propre, et broyez-la sous le pilon. Lorsqu'elle sera bien moulue, ramenez cette pâte vers le milieu du mortier et aplatissez-la avec la main. Après l'avoir ainsi comprimée, ouvrez-y des sillons, où vous répandrez de l'eau nitrée sur quelques charbons ardents que vous y aurez placés, afin de faire rejeter à cette graine toute son amertume, et la préserver de la moisissure. Relevez ensuite le mortier, afin que l'humidité disparaisse entièrement. Versez sur cette moutarde de fort vinaigre blanc, opérez le mélange au moyen du pilon, et passez au tamis. Ce jus convient parfaitement pour confire les raves. Au reste, si vous voulez préparer de la moutarde pour l'usage de la table, après avoir exprimé le suc du sénevé, joignez-y des pignons très frais, ainsi que des amandes, et broyez le tout soigneusement après l'avoir arrosé de vinaigre. Faites, pour le surplus, comme je l'ai dit ci-dessus. Vous emploierez cette moutarde qui sera non seulement bonne pour les assaisonnements, mais qui offrira en outre un coup d'oeil agréable : car, lorsqu'elle est bien préparée, elle est du plus beau blanc.
LVII. Comment ou peut confire les racines du maceron et du chervi. Avant que le maceron ait poussé sa tige, déterrez sa racine dans le mois de janvier ou même de février; frottez-la soigneusement, afin qu'il n'y reste pas de terre, et mettez-la tremper dans du vinaigre avec du sel. Vous l'en retirez au bout de trente jours, et vous en jetterez la pelure après l'avoir enlevée. Quant à la partie charnue, vous la placerez dans un vase de verre ou dans une cruche neuve, et y ajouterez un jus dont je vais ci-dessous donner la composition. Prenez de ma menthe, des raisins séchés au soleil et de petits oignons desséchés; broyez le tout avec du froment torréfié et un peu de miel. Quand le broiement sera par-fait, mêlez-y deux parties de vin cuit, jusqu'à réduction soit des deux tiers,'soit de moitié, et une partie de vinaigre. Versez le tout dans la même cruche, dont vous envelopperez d'une peau le goulot bien bouché. Lorsque vous voudrez vous en servir, vous tirerez des tranches de racines avec leur jus, et vous y ajouterez de l'huile. A la même époque, vous pouvez, par le procédé qui vient d'être indiqué, confire des racines de chervi; mais quand vous voudrez en faire usage, il faudra, en les tirant de la cruche, verser dessus de l'oxymel avec un peu d'huile.
LVIII. Comment on compose le moret oxypore, ou, comme disent d'autres personnes, l'oxygarum. Mettez ensemble, dans un mortier, de la sarriette, de la menthe, de la rue, de la coriandre, de l'ache, du poireau sectile, ou bien, si vous n'en avez pas, de l'oignon vert, des feuilles de laitues, des feuilles de roquette, du thym vert ou de la cataire, et aussi du pouliot vert, du fromage frais et du fromage salé; broyez toutes ces substances ensemble, en y mêlant un peu de vinaigre poivré. Puis mettez cette mixtion dans un plat, et arrosez-la d'huile. Après avoir pilé les plantes vertes dont il vient d'être question, vous y joindrez la quantité qui vous paraîtra suffisante de noix bien nettoyées, ainsi qu'un peu de vinaigre poivré, et vous verserez de l'huile sur le tout. Pilez, avec ces mêmes plantes vertes, du sésame légèrement torréfié; puis ajoutez un peu de vinaigre poivré et de l'huile par-dessus.) Coupez par petits morceaux et écrasez du fromage gaulois ou de toute autre espèce, et, eu outre, des pignons, si vous en avez en abondance; sinon, mêlez à ces mêmes assaisonnements, et de la même manière, des avelines torréfiées et préalablement pelées, ou bien des amandes; puis ajoutez une petite quantité de vinaigre poivré, mélangez, et versez de l'huile sur cette composition. Si l'on n'a pas d'assaisonnements verts, pilez avec le fromage du pouliot sec, ou du thym, ou de l'origan, ou de la sarriette sèche, et arrosez la préparation avec du vinaigre poivré et de l'huile. De toutes ces plantes sèches une seule peut même être mêlée au fromage, lorsqu'on ne peut se procurer les autres. Broyez ensemble trois onces de poivre blanc, ou, à son défaut, si l'on en a, de poivre noir, deux onces de graine d'ache, une once et demie de racine de laser, que les Grecs appellent silphion, et deux onces de fromage; passez au tamis, puis mélangez avec du miel et conservez dans un pot neuf. Ensuite, lorsqu'on voudra en faire usage, on en délayera ce que l'on voudra avec du vinaigre et du garum. Si vous voulez éviter une trop grande dépense, mêlez avec du miel une once de livèche, deux onces de raisins séchés au soleil purgés de leurs pepins, et quatre onces de poivre blanc ou noir ; et conservez cette mixtion. Mais si vous voulez faire un oxypore plus délicat, vous réunirez cette dernière composition avec la précédente, et vous le réserverez pour l'usage. Si vous n'aviez pas de laser, autrement dit silphium, vous ajouteriez une demi-once de miel. Je crois à propos, P. Silvinus, en terminant mon ouvrage, de déclarer aux personnes qui me liront s'il s'en trouve qui ne dédaignent pas de prendre connaissance de ces matières, que je n'ai nullement douté qu'il y a une infinité de choses qui auraient pu trouver place dans mon livre; mais j'ai cru ne devoir transmettre à la postérité que les objets les plus nécessaires. La nature n'a pas même donné à ceux qui ont blanchi dans l'étude la connaissance de toutes les sciences. En effet, on convient que ceux même qui ont été considérés comme les plus sages des mortels, s'ils ont su beaucoup de choses, ne les connaissaient cependant pas toutes.
FIN DE L'OUVRAGE