Annone

Dans les provinces conquises, Rome percevait un impôt en nature (annona) constitué de blé, d’huile, de vin etc… destiné à alimenter les citoyens pauvres de la ville. Ces produits étaient stockés dans des entrepôts d’Etat, à Rome comme à Ostie, pour etre revendus à très bas prix au peuple en cas de disette ou pour etre distribué gratuitement aux ayants droit. De tout temps, le gouvernement fut chargé d’approvisionner en céréales la population de la ville de Rome. Cette tache fut en charge des édiles et c’est seulement en cas de disette extreme que, du temps de la République, un préfet de l’annone était crée.

---> Annone tenant deux épis de blé.

« Nos malheurs commencèrent par la famine, soit que l'année eût été peu favorable aux biens de la terre, soit que l'attrait des assemblées et de la ville eût fait négliger la culture : on l'attribue à ces deux causes. Tandis que les patriciens accusaient le peuple de paresse, les tribuns reprochaient aux consuls leur mauvaise foi et leur négligence. Enfin, les plébéiens proposèrent, sans que le sénat s'y opposât, que Lucius Minucius fût nommé intendant des vivres; magistrature où il devait mieux réussir à défendre la liberté, qu'à s'acquitter des soins attachés à ses fonctions : néanmoins, il finit par obtenir aussi à bon droit, avec la reconnaissance publique, la gloire d'avoir adouci la disette. Ayant envoyé de nombreux commissaires, par terre et par mer, chez les nations voisines, ceux-ci lui rapportèrent de l'Étrurie seulement une petite quantité de blé qui ne put ramener l'abondance.
Il fallut se contenter de régler les privations; on força les citoyens à déclarer le blé qu'ils avaient, à vendre le surplus de ce qui leur était nécessaire pour un mois; on diminua la ration des esclaves; on accusa et on livra à la fureur du peuple les marchands de grains, et l'on n'obtint de ces rigoureuses mesures d'autres résultats que de constater le mal sans le soulager. Un grand nombre de plébéiens ayant perdu tout espoir, plutôt que de traîner leur vie dans ces tourments, se voilèrent la tete et se précipitèrent dans le Tibre. » 
Tite Live, IV, 12.

L’annone avait pour fonction de collecter, de transporter et de distribuer tous ces produits. Parmi toutes ces céréales, le blé avait une importance vitale, il était à la base de toute alimentation : dilué dans de l’eau, il faisait une bouillie très prisée à l’époque et, bien entendu, on en faisait des galettes de pains.

Sous la République, ces ventes de céréales à prix réduits n’étaient pas systématiques, elles avaient lieu en cas de pénurie ou de disette, chaque, et j’insiste sur chaque, citoyen avait droit d’en bénéficier sauf les sénateurs.

La première loi concernant les distributions faites à prix dérisoires fut promulguée par Caius Gracchus.

Le bien connu, tribun de la plèbe, Saturninus, complice de Marius, alla plus loin encore par une loi très démagogique (lex Appuleia), il voulut abaisser à nouveau le prix du blé, mais on ne sait pas si elle fut appliquée.

En 66  avant J.C., en pleine crise frumentaire, Cicéron, alors édile, en fit diminuer le prix grâce aux apports et au prix pratiqué par les Siciliens qui lui étaient reconnaissants de son action contre Verres.

---> Modius.

Les citoyens avaient droit à 5 modii par mois au prix de 6,5 as le modius ce qui équivalait en poids à peu près 35 kg. Et la différence entre ce que payait le peuple et le prix d’achat était à la charge de l’Etat. Le récipient qui servait à mesurer les rations distribuées au peuple se nommait le « congiaire » (congiarus).

« Les édiles, pour s'acquitter de ce qu'exigeait leur charge, firent célébrer les jeux romains avec beaucoup de magnificence pour le temps, et distribuer une mesure d'huile dans chaque quartier. » « aedilicia largitio haec fuit, ludi Romani pro temporis illius copiis magnifice facti et diem unum instaurati, et congii olei in uicos singulos dati. » Tite Live, XXV, 2.   

Le mot devint synonyme de distribution au peuple.  

« Il (Tibère) fit dresser mille tables pour un festin public, et donna aux citoyens trois cents sesterces par tete. »

« Prandium dehinc populo mille mensis et congiarium trecenos nummos uiritim dedit. » Suétone, Tibère, 20.

« …M. Acilius Glabrion, le vainqueur des Thermopyles. Ce dernier, qui par de nombreuses distributions avait mis dans ses intérets un grand nombre de citoyens, était surtout l'objet de la faveur du peuple. »

« …M- Acilius Glabrio, qui Antiochum ad Thermopylas Aetolosque deuicerat. in hunc maxime, quod multa congiaria distribuerat, quibus magnam partem hominum obligarat, fauor populi se inclinabat. » Tite Live, XXXVII,57.

« Conduit au Forum pour y prendre la toge, il (Néron) fit des distributions au peuple et des présents aux soldats. »

« Deductus in Forum tiro populo congiarium, militi donatiuum proposuit” Suétone, Néron, 7.

 

Le congius était la huitième partie d’une amphore. En 58  avant J.C., le tribun Clodius, avec le consentement de César, par la lex Clodia rendit les distributions gratuites pour 320.000 personnes. Pompée qui, en 57  avant J.C., reçut du Sénat, à l’instigation de Cicéron, la charge de l’approvisionnement de la Ville pour une durée de 5 ans n’y changea rien.

 

« Chargé donc d’organiser et de gérer le ravitaillement, il envoya en bien des endroits différents ses lieutenants et ses amis. Lui-meme se rendit par mer en Sicile, en Sardaigne, et en Afrique, où il ramassa du blé. Au moment de repartir, un grand vent s’éleva sur mer et les pilotes hésitaient à prendre le large. Mais il monta le premier à bord, fit lever l’ancre et se mit à crier : « Partir est indispensable ; vivre ne l’est pas ! » Tant d’audace et d’entrain furent payés d’une bonne fortune ; il remplit les comptoirs de blé et la mer de vaisseaux. Aussi le superflu des approvisionnements suffit-il meme aux peuples du dehors ; ce fut comme une source dont les eaux intarissables coulaient pour tout le monde. » Plutarque, Pompée, 50. 

Il va falloir attendre l’arrivée de César au pouvoir pour qu’il y ait changement. Ce dernier en vit le danger pour le Trésor et il modifia les listes des ayants droit les portant de 320.000 à 150.000, pour aider à gérer tout cela, il créa 2 postes supplémentaires d’édiles : les aediles ceriales.

« Le nombre de ceux à qui l'État fournissait du blé fut réduit, de trois cent vingt mille à cent cinquante mille; et pour que la formation de ces listes ne pût etre à l'avenir l'occasion de nouveaux troubles, il établit qu'avec ceux qui n'y seraient pas encore inscrits, le préteur pourvoirait chaque année, par la voie du sort, au remplacement de ceux qui seraient morts dans l'intervalle. »  Suétone, César, 41.

A la mort de César, Rome connut de graves troubles dont une partie suite à une pénurie de blé, en effet, Sextius Pompée, le plus jeune fils de Pompée le Grand, basé en Sicile, voulant s’opposer au fils adoptif de J. César, Octave, fut à l’origine de cette carence car il contrôlait l’île de Sicile et empechait tout navire chargé de grains d’arriver à Ostie. Il amena le peuple à demander une paix entre Octave, Antoine et lui.

---> Un autre modius.

Ces bénéficiaires repassèrent à 320.000 en 5  avant J.C. avec Auguste puis il les stabilisa à 200.000. Un historien moderne, L. Casson (1980), avança que ces distributions représentaient la moitié des besoins du peuple, l’autre moitié devant etre achetée au marché libre.

Depuis Auguste (22  avant J.C.), la responsabilité de l’approvisionnement  de la ville revint aux empereurs, il garantissait une certaine stabilité dans la vie quotidienne, il empechait la multiplication des émeutes. Le princeps se réserva ce service pour montrer qu’il était un bienfaiteur public ; ses successeurs et lui faisaient montre ainsi d’évergétisme. Auguste prévit une distribution trois fois par an pour une ration de 4 mois mais il revint sur ses décisions.

« Il ordonna le recensement du peuple par quartiers; et, pour que les plébéiens ne fussent pas trop souvent détournés de leurs affaires par les distributions de grains, il fit délivrer des bons sur lesquels on en recevait trois fois l'an pour quatre mois. Mais, voyant que le peuple regrettait l'ancien usage, il permit que les distributions eussent lieu de nouveau pour chaque mois. » Suétone, Auguste, LX.

et c’est en 8 après J.C. ou en 14 après J.C. suivant les historiens qu’il va déléguer ses pouvoirs en créant la préfecture de l’annone. A sa tête va être quelqu’un sorti de la classe équestre, un chevalier (praefectus annonae). C’est un des postes les plus importants de la carrière puisque cette préfecture sera considérée comme la seconde avant celle du prétoire mais se placera aussi après celle d’Egypte et des Vigiles. L’arrivée des Flaviens au pouvoir va inverser cette hiérarchie, cette préfecture ne va plus arriver qu’en quatrième position.

Ce préfet est nommé par l’empereur qui seul a autorité sur lui, généralement, il va rester en poste longtemps (de 14 après J.C. à 60 après J.C.), on ne compte que trois titulaires puis avec les Flaviens et les Antonins, il ne restera en poste qu’entre deux ans et cinq ans. Caius Turranius fut le premier et resta en place plus de 35 ans. Sous Néron, il fut secondé par un affranchi impérial puis ce second sera pris dans la meme classe sociale que lui, c'est-à-dire dans la classe des chevaliers et ce à partir du règne de Marc Aurèle. Ses bureaux (statio annonae) devaient se situer au Forum Boarium.

Quant à la distribution gratuite de grain ou d’huile (frumentatio), elle était assurée par deux sénateurs qui collaboraient étroitement avec le préfet : les praefecti frumenti dandi. Cette charge était purement administrative, en aucun cas, il ne s’agissait d’une magistrature ; ils existeront jusqu’à Claude puis disparaîtront, ils reviendront sous le règne de Trajan mais pour gérer des distributions exceptionnelles ; ils disparaîtrons complètement sous le règne de Gordien III.

En fait l’annone avait la responsabilité de l’approvisionnement des marchés libres, celle d’apporter la matière première à la plebs frumentaria lors des distributions gratuites. Les deux principales conditions pour bénéficier du blé public furent d’etre un homme libre, jouissant de tous ses droits (ingenu) ce qui excluait les affranchis et de résider à Rome (donc personne pouvant voter mais ces bénéficiaires étant de la dernière classe n’étaient pas souvent appeler à s’exprimer par l’intermédiaire des urnes donc interrogation). Ces frumentationes ne constituaient pas forcément un sous-prolétariat au sens où nous l’entendons aujourd’hui. Ils représentaient une classe moyenne qui devait se livrer à une activité rémunératrice pour vivre, manger et se loger, ils ne pouvaient se livrer, comme le reste de la population à l’otium que l’on peut comparer à faire ce que l’on veut, quand on veut. Leurs noms étaient affichés au Porticus Minucia Frumentaria sur des tablettes de bois. Certains ont fait de cet endroit le point de distribution mais, en fait, l’histoire ne sait rien de l’emplacement où elles avaient lieu. Le droit d’en bénéficier était matérialisé par une tessera, sorte de carte d’identité. Dans les derniers temps de l’Empire vint s’ajouter une allocation de pain qui continua lorsque Constantin transféra le siège de l’Empire à Constantinople.

                                                                     Puisque toutes les autres villes de l’Empire s’occupaient elles memes de leur approvisionnement, l’annone va concentrer ses efforts sur la capitale. Avec Ostie, port de Rome, elle va créer une concentration de céréales, stockées à Rome ou sur place dans des horrea ou  entrepôts, venant de toutes les provinces productrices, elle étendra donc son emprise sur le port par l’intermédiaire de son représentant : le procurateur d’Ostie. D’elle va dépendre le travail de nombreuses personnes comme les manutentionnaires ou les gens qui halaient les marchandises d’Ostie à Rome en remontant le fleuve.

---> Scène de halage.   

L’importance de cette ville et de son port vont devenir tels que deux empereurs (Claude et Trajan) vont faire bâtir chacun un nouveau port.

---> Le Tibre à Rome venant d’Ostie, on peut voir les différents entrepôts et en bas de l’image un  monticule «  Testaceus » forme des débris d’amphores.

Image due au site de A. Caron :http://www.maquettes-historiques.net/page4.html

Et l’annone dura aussi longtemps que l’Empire d’Occident et d’Orient existeront. On retrouvera son concept à Rome sous les papes au XVIème siècle.

 

               

           

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