LE PORT DES ANNEAUX DANS L'ANTIQUITE ROMAINE
par
M. DELOCHE
1896
TABLE ANALYTIQUE.
DISPOSITIONS ET COUTUMES RELATIVES AU PORT DES ANNEAUX EN GENERAL DANS L'ANTIQUITE ROMAINE
§ 1. PREMIÈRE PÉRIODE: DES ANNÉES 714-671 A LA FIN DU VI° SIECLE OU AU COMMENCEMENT
DU V° SIECLE AVANTJ.- C.
L'anneau de fer, seul mité, est une distinction INDIVIDUELLE conférée par
l'autorité souveraine pour faits de guerre.
§ 2. DEUXIÈME PÉRIODE DE LA FIN DU VI° SIÈCLE A L'AN 304 AVANT J.-C.
Les sénateurs envoyés en ambassade reçoivent, à ce titre, un anneau d'or.
Les autres sénateurs portent la bague en fer.
§3. TROISIÈME PÉRIODE DE L'AN 304 À 217 AVANT J-C.
La noblesse sénatoriale, puis tous les sénateurs et ceux qui leur sont assimilés,
portent l'anneau d'or.
§ 4. QUATRIÈME PÉRIODE DE L'AN 217 À 59 AVANT J.-C.
Les chevaliers equo publico ont l'anneau d'or comme les sénateurs et ceux
qui leur sont assimilés (flamines Diales et tribuns des légions). Les chevaliers
equo privato, même après la loi Roscia (an 67 avant J.-C.). se servent
de la bague en fer. — Il en est de même des plébéiens, des affranchis et des
esclaves.
§ 5. CINQUIÈME PÉRIODE: DE L'AN 59 AVANT J.-C. À L'AN 23 DE L'ÈRE CHRÉTIENNE.
Nouveaux ayants droits à l'anneau d'or: les tribuns des cohortes et les
préfets de la cavalerie; les centurions de primipile; les médecins. — L'ordre
équestre et le port des anneaux sous Auguste. — Concessions individuelles
de l'anneau d'or. — Premières concessions à des affranchis.
§ 6. SIXIÈME PÉRIODE: DE L'AN 23 DE L'ÈRE CHRÉTIENNE AU PREMIER TIERS DU
III SIÈCLE.
Loi de l'an 23 sur l'ordre équestre et l'anneau d'or: une seule disposition
est nouvelle. — La milice tout entière reçoit l'anneau d'or. — Les plébéiens ont-ils pris l'anneau d'argent? — Non: ils continuent de porter la bague en
fer, comme les affranchis et les esclaves.— Les chevaliers, en cas de dégradation,
prennent-ils l'anneau d'argent?
§7. SEPTIÈME ET DERNIÈRE PÉRIODE : DU PREMIER TIERS DU Ille SIÈCLE À L'AN 312.
La distinction des classes étant effacée, la naissance seule détermine la
différence de métal des anneaux: tous les hommes nés libres ont le droit de
porter l'anneau d'or. — Quid des affranchis? Examen critique d'un passage
de Tertullien: les gens de cette condition n'ont point le même droit que les
libres de naissance; ils se servent d'anneaux d'argent. — Les esclaves sont
toujours réduits à la bague en fer.
§ 8. Des cas de privation absolue ou d'interdiction temporaire des anneaux d'or. —
Effigie des empereurs sur les anneaux. — Les anneaux des mourants, etc.
§ 9. Des modes de décoration des anneaux à différentes époques. — Du meuble
affecté à leur conservation (dactyliotheca).
DISPOSITIONS ET COUTUMES CONCERNANT LE PORT DES ANNEAUX EN GÉNÉRAL, SUR LE TERRITOIRE DE LA GAULE, DANS LES PREMIERS SIÈCLES DU MOYEN ÂGE.
§ 1. Du droit de porter des anneaux de tel ou tel métal. — Condition des affranchis
chez les Gallo-Romains et chez les peuples d'origine germanique. —
Égalisation rapide entre eux
§ 2. Des modes de décoration des anneaux dans les premiers siècles du moyen âge.
DISPOSITIONTS ET COUTUMES SPÉCIALES TOUCHANT LE PORT DES ANNEAUX PAR LES FEMMES ET EN PARTICULIER DES ANNEAUX DE FIANÇAILLES ET DE MARIAGE.
§ 1. De l'usage des anneaux ordinaires par les femmes.
§ 2. Des anneaux de fiançailles et de mariage.
DISPOSITIONS ET COUTUMES SPÉCIALES CONCERNANT LES ANNEAUX DE PRÊTRES PAÏENS,
DES ÉVÊQUES CHRÉTIENS, D'ABBÉS, D'ABBESSES, DES SIMPLES RELIGIEUSES.
§ 1. Les anneaux de prêtres païens.
§ 2. Les anneaux des évêques chrétiens.
§ 3. Anneaux d'abbés et d'abbesses.
§ 4. Anneaux remis aux simples religieuses au moment de leur consécration.
DES ANNEAUX SIGILLAIRES.
§ 1. DANS L'ANTIQUITÉ ROMAINE.
Origine et importance des anneaux sigillaires chez les Romains. - Deux
espèces d'anneaux sigillaires : les uns destinés à revètir de leur
empreinte
les actes et la correspondance; les autres servant à marquer les objets de
toute sorte appartenant a la maison. Mode de décoration de ces
bijoux.
§ 2.DANS LES PREMIERS SIECLES DU MOYEN AGE (312- 752)
Les matrones ont, comme les chefs de famille des anneaux sigillaires.-
Anneaux sigillaires de rois, de reine, et de
différents personnages. - Deux
espèces d'anneaux sigillaires: les uns destinés à sceller
les
actes et la correspondance; les autres servant notamment aux médecins pharmacopoles pour
signer les remèdes par eux préparés.
- Signes distinctifs des anneaux sigillaires
: inscriptions, cmblèmcs, ornements.
À QUELLE MAIN ET A QUELS DOIGTS ON PORTAIT LES ANNEAUX.
§ 1. Dans l' antiquité romaine.
§ 2. Dans les premiers siècles du moyen age.
I. Note sur un cimetière particulier d'esclaves ou de colons.
II. Note sur deux questions concernant le port des anneaux par les femmes dans l'antiquité romaine
III. Exemples de signacula d'empereun et de personnages célèbres dans l'antiquite
romaine.
IV. Note sur sept anneaux des premiers siècles du moyen age, dont six sont des
anneaux de fiançailles ou de mariage.
V. Relevé des mentions de l'anneau royal au bas de diplômes mérovingiens.
Le sujet qu'annonce le titre de ce mémoire peut sembler
tout d'abord n'offrir d'intérêt qu'au point de vue archéologique;
il n'en est pourtant pas ainsi. Le droit de porter un anneau en
public, et plus tard de porter un anneau de tel ou tel métal,
dans les temps de Rome classique, du Bas-Empire et à l'époque
barbare, présente au contraire un intérêt essentiellement historique.
L'usage de l'anneau eut, surtout dans l'antiquité, une grande
importance et même une valeur légale, admise en justice
comme un témoignage et un symbole des actes les plus graves,
tels que la promesse de mariage ou l'institution d'héritier. Il se lie, en outre, étroitement à la distinction des classes
et, plus tard, à la condition originelle des personnes, dont
chaque catégorie fut soumise à des règles différentes.
La concession individuelle du droit d'exhiber l'anneau d'or
en public fut même une des formes sous lesquelles des plébéiens
et, durant le régime impérial, des affranchis eux-mêmes étaient élevés à la dignité équestre, et obtenaient les prérogatives
de l'homme libre de naissance, jura ingenuitatis.
La législation et les coutumes qui régissaient le port de ces
bijoux à l'époque de la conversion de Constantin le Grand au
christianisme (an 312), c'est-à-dire au seuil du haut moyen
âge, étaient encore en vigueur au moment de la chute de l'empire
d'Occident (an 476), et continuèrent d'être observées en
Gaule sous les dynasties barbares, au moins pendant les règnes
de leurs premiers représentants.
La publication d'anneaux de cette dernière période, que je
poursuis depuis nombre d'années, m'a naturellement conduit
à étudier, en même temps que les faits qui s'y rapportent, les
origines et les phases diverses du régime légué par l'antiquité
au monde chrétien.
J'ai le dessein de traiter dans le présent mémoire
1° Des dispositions édictées et des coutumes pratiquées relativement
au port des anneaux en général dans la société romaine
antérieurement à la conversion de Constantin, et puis,
sur le territoire de la Gaule, à partir de cette date jusqu'à l'avènement
des Carolingiens, c'est-à-dire au couronnement de
Pépin le Bref en 752.
2° Des dispositions et coutumes concernant spécialement:
d'une part, les anneaux des femmes et, en particulier, les anneaux
de fiançailles et de mariage; d'autre part, ceux dont se
servaient, aux temps du paganisme, les prêtres de Jupiter, et
ceux que les évêques chrétiens recevaient au moment de leur
consécration, ou que portaient les abbés et abbesses de certains
monastères privilégiés, voire même de simples religieus 3° Des anneaux sigillaires durant les deux périodes ci-dessus
indiquées;
4° Enfin, de la main et des doigts auxquels, en différentes
époques, on plaçait les anneaux de diverses sortes.
Dans ce programme ne figurent point, on le voit, les anneaux
magiques, ceux au moyen desquels des esprits égarés,
et plus souvent des charlatans, prétendaient prédire l'avenir,
rendre les gens invisibles, les préserver des maladies ou les
guérir, conjurer tout danger de mort violente, faire périr à
distance des ennemis, inspirer l'amour ou la crainte, etc.
Cette omission est volontaire.
Les talismans de ce genre, n'ayant nul rapport avec la condition
ou la qualité des personnes, ne sont que des objets de
pure curiosité, et leur histoire ne rentre point dans le cadre de
la présente étude.
DISPOSITIONS ET COUTUMES RELATIVES AU PORT DES ANNEAUX, EN GÉNÉRAL, DANS L'ANTIQUITÉ ROMAINE. DIVISION DU CHAPITRE. DISTINCTION DE SEPT PERIODES HISTORIQUES.
Les auteurs de l'époque classique dont les ouvrages contiennent
des renseignements sur ce sujet, et les écrivains modernes
qui s'en sont occupés, ont négligé de faire une distinction
à défaut de laquelle leurs exposés sont confus et semblent
même, en certains endroits, contradictoires. Cette distinction est celle des phases successives par lesquelles
a passé l'usage des anneaux, et que nous allons indiquer
sommairement.
L'anneau de fer, le seul employé à l'origine, fut d'abord une
marque d'honneur individuelle, décernée par l'autorité souveraine
ou en son nom. Dès les premiers temps de la République, les sénateurs envoyés
en ambassade reçurent un anneau d'or; les autres sénateurs
se servaient de bagues en fer.
Mais bientôt la noblesse sénatoriale et puis tous les sénateurs
prirent aussi l'anneau d'or.
Au IIIe siècle avant J.-C., les chevaliers romains equo publico possédaient cette décoration, comme les sénateurs et ceux qui
leur étaient assimilés ou auxquels les magistrats en avaient fait
individuellement la concession. Le reste de la population se
servai t de la bague en fer.
Dans les derniers temps de la République et sous le régime
impérial, de nouvelles catégories de citoyens furent pourvues
de cette distinction. Les concessions se multiplièrent et eurent
lieu souvent en faveur d'affranchis et de gens exerçant les plus
vils métiers.
Dans le premier tiers du Ille siècle de l'ère chrétienne, la
milice romaine tout entière et, bientôt après, tous les hommes
libres de naissance purent porter l'anneau d'or. Le sénat et
l'ordre équestre n'ayant plus de part effective à la puissance
publique, désormais concentrée dans les mains de l'empereur,
ne furent plus que des corps d'apparat, sans force et sans prestige
au regard des populations.
Aussi, la distinction des classes s'étant graduellement effacée,
la condition originelle détermina seule la différence du métal
des anneaux. Tout homme né libre, ingenuus, eut l'anneau d'or, et l'affranchi, l'anneau d'argent; l'esclave fut toujours réduit à
la bague en fer.
Aux périodes successives par lesquelles a ainsi passé le port
des anneaux, correspondent les sept premiers paragraphes du
présent chapitre.
Les 8e et 9e paragraphes contiennent l'exposé : 1° des cas de
privation absolue ou d'abstention temporaire de l'usage de l'anneau
d'or, et de certaines particularités concernant l'emploi de
ces bijoux chez les Romains; 2° des modes de décoration des
anneaux aux diverses époques de la République et de l'Empire.
§ 1.
PREMIÈRE PÉRIODE : DES ANNEES 714-671 À LA FIN DU VIe SIECLE
OU AU COMMENCEMENT DU Ve SIECLE AVANT J.-C.
L'anneau de fer, le seul usité, est une distinction individuelle, conférée par l'autorité souveraine pour faits de guerre.
L'anneau de fer, qui fut le premier et resta longtemps le seul usité chez les Romains, leur était venu de la Grèce, où les Lacédémoniens le portaient encore au temps de Pline (mort 79 de l'ère chrétienne). Il paraît avoir été employé pour la première fois, à Rome, sous le règne de Numa Pompilius (an 714-671 avant J.-C.). C'était, avant tout, un signe de vertu guerrière. Le général, au retour d'une campagne victorieuse, avait, sur son char de triomphe, un anneau de fer. Et il en était ainsi depuis bien des siècles lorsque Marius portait un anneau de ce genre, quand il triompha de Jugurtha, qui lui avait été livré par trahison (an 100 avant J.-C.). A cette époque pourtant, les sénateurs et les chevaliers avaient, depuis longtemps, l'anneau d'or; aussi faut-il voir dans ce fait la pratique persistante d'un de ces vieux rites qui, grâce à l'esprit formaliste des Romains, se perpétuaient à travers les âge. Dès l'instant que l'anneau de fer était une marque d'honneur purement personnelle, conférée au nom de l'autorité souveraine (par les censeurs sous la République), il est bien évident que les citoyens qui l'avaient obtenu, avaient seuls le droit de le porter, sans quoi cette distinction aurait été dénuée de toute valeur.
§ 2.
DEUXIÈME PÉRIODE DE LA FIN DU VIe SIECLE À L'AN 304 AVANT J.-C.
Les sénateurs envoyés en ambassade reçoivent, à ce titre, un anneau d'or; les autres sénateurs se servent de l'anneau de fer.
Pendant un long espace de temps, les sénateurs eux-mêmes, dit Pline, n'eurent point d'anneaux d'or, si ce n'est ceux qui étaient envoyés en qualité d'ambassadeurs auprès des nations étrangères, et recevaient, à ce titre, un anneau d'or des mains des magistrats, « sans doute, ajoute l'historien, parce que, chez ces peuples, c'était ainsi que se distinguaient les personnages les plus autorisés, honoratissimi». La « coutume », d'après Pline, n'admettait pas que d'autres que ces ambassadeurs eussent un anneau d'or; et ceux-ci ne s'en servaient d'ailleurs qu'en public, et portaient dans leurs demeures des anneaux de fer. Il résulte de là qu'à l'époque visée par Pline, non seulement les sénateurs dans leur ensemble, mais même la noblesse sénatoriale, n'étaient pas admis à porter l'anneau d'or, et qu'ils se servaient couramment d'anneaux en fer. Or, si toute une catégorie de personnes avait le libre usage de ces anneaux, ceux-ci avaient manifestement cessé d'être une marque d'honneur individuelle comme ils l'étaient dans la première période. Quelle date peut-on assigner à l'état de choses signalé par Pline ? Il est à présumer que Rome n'eut à envoyer des ambassadeurs chez des peuples étrangers qu'après qu'elle eut acquis un territoire d'une certaine étendue; or, cette étendue était déjà considérable quand survint la chute de la royauté (509 avant J.-C. ), puisque une partie du Latium, de la Sabine et de l'Étrurie était alors soumise aux Romains. Ce développement fut interrompu pendant presque tout le v" siècle avant l'ère chrétienne. On peut donc placer approximativement les faits qui nous occupent à la fin du VIe ou au commencement du v" siècle. D'un autre côté, si la généralité des sénateurs s'abstenait encore de porter des anneaux d'or comme les ambassadeurs, ce n'était sans doute pas seulement par respect pour la coutume, mais aussi à raison de la pénurie du précieux métal: il fut longtemps, en effet, très rare à Rome, puisqu'en 390, pour le payement de la rançon exigée par les envahisseurs gaulois, on ne put en recueillir que 1,000 livres. Rappelons que la couronne d'or qui, suivant l'antique tradition , était tenue par un esclave au-dessus de la tête du général triomphateur, était une oeuvre étrusque, "corona ex auro Etrusca" ; expression significative, qui semble indiquer que ce cérémonial avait été réglé après la soumission, au moins partielle, de l'Étrurie, et avant que la pratique de l'art de l'orfèvre se fût introduite à Rome. Une dernière remarque à faire sur les énonciations de Pline, c'est qu'on n'y trouve aucune trace de disposition légale, mais seulement la mention d'une « coutume », mos fuit, interdisant l'emploi de l'anneau d'or à tout autre qu'aux ambassadeurs. Il n'y avait donc alors aucune règle formelle, et cela fait mieux comprendre comment l'usage des anneaux en général se répandit dans toute les classes de la population et comment l'emploi de l'anneau d'or en particulier devint commun, sinon à tous les sénateurs, du moins, ainsi qu'on va le voir, à un grand nombre d'entre eux.
§ 3.
TROISIÈME PÉRIODE DE L'AN 304 À L'AN 217 AVANT J.-C.
La noblesse sénatoriale et puis tous les sénateurs et ceux qui leur sont assimilés portent l'anneau d'or.
I
La noblesse sénatoriale.
Pline rapporte, « d'après, dit-il, de très anciennes annales » antiquissimis annalibus, que, sous le consulat de P. Sempronius et P. Sulpicius (an 304 av. J.-C.) , la noblesse sénatoriale (et non, suivant la remarque de l'historien, le sénat tout entier) manifesta son indignation à la suite de l'élévation, par l'assemblée du peuple, d'un fils d'affranchi à la charge curule, en déposant ses anneaux, c'est-à-dire des anneaux d'or (1).
(1) Le mot anuli, dans ce passage de Pline, comme dans ceux qui le précèdent et le suivent, employé seul sans qualificatif a incontestablement le sens d'anneaux d'or.
Il est clair que, dans l'intervalle écoulé depuis l'époque où, seuls, les patriciens ambassadeurs portaient l'anneau d'or, la noblesse sénatoriale avait acquis ou usurpé l'usage courant de cet ornement. Ce que nous avons dit plus haut de la rareté de l'or à Rome, en 390, donne à penser que la noblesse ne se servait pas alors communément d'anneaux de ce métal. Aussi, le fait qui nous occupe n'a-t-il dû se produire qu'après les victoires remportées par les Romains sur les Gaulois, au cours desquelles ils s'emparèrent du riche butin que ceux-ci avaient fait dans l'Italie septentrionale, ou bien, et plus vraisemblablement encore, à la suite de leurs longues luttes contre la ligue samnite et les peuples latins (343-312 ), et lorsqu'ils se trouvèrent en possession d'une grande quantité de métaux précieux et qu'ils eurent assuré définitivement leur domination sur la plus grande partie de la péninsule. C'est alors sans doute que s'introduisirent à Rome le luxe et le goût des objets d'art et de toilette, et particulièrement des bijoux et des anneaux d'or. L'exhibition publique de cette dernière décoration par les patriciens ambassadeurs devait, en outre, exciter chez les autres sénateurs le désir de l'avoir à leur tour; et ainsi s'explique l'emploi que la noblesse en faisait en 304. Ici commence cette série d'évolutions que nous avons à exposer et qui firent successivement passer l'anneau d'or de la noblesse à tout l'ordre sénatorial, de celui-ci aux chevaliers, des chevaliers à des officiers de l'armée et à des corporations privilégiées, puis aux simples soldats, et finalement à tous les hommes libres de naissance; évolutions d'autant plus dignes d'attention qu'elles correspondent au travail de nivellement des diverses classes sociales dans le monde romain.
II
Tous les sénateurs sans exception et ceux qui leur sont assimilés
portent l'anneau d'or.
Nous ferons connaître plus loin que, dès l'an 217 au plus tard, les chevaliers romains avaient, au moins en partie, l'anneau d'or; cet état de choses existait depuis une époque indéterminée, et comme l'ordre sénatorial dut nécessairement jouir de cette prérogative bien avant l'ordre équestre, il faut le faire logiquement remonter à une date de beaucoup antérieure à l'an 217. Il en fut assurément de même pour les hauts dignitaires, tels que les prêtres de Jupiter, qui, à raison de leur charge, étaient assimilés aux sénateurs. Nous renvoyons au paragraphe suivant les renseignements qui les concernent.
III
Les chevaliers ne se servaient encore que de bagues en fer.
A la suite du récit reproduit plus haut, Pline dit que c'est à tort qu'on a cru généralement qu'en 304 l'ordre équestre avait, à l'instar des sénateurs, déposé ses anneaux d'or en signe de protestation. Il est assez probable que, dans la pensée de notre auteur, si les chevaliers ne participèrent pas de cette façon à la démonstration de la noblesse sénatoriale, c'est qu'ils n'avaient pas encore l'anneau d'or, dont nous allons les trouver en possession dans la phase suivante.
§ 4.
QUATRIÈME PERIODE: DE L'AN 217 À L'AN 59 AVANT J.-C.
Les chevaliers equo publico ont l'anneau d'or comme les sénateurs et ceux qui leursont assimilés (flamines Diales et tribuns des légions). — Les chevaliers equo privato,méme, après la loi Roscia (an 67 av. J.- C.), se servent de la bague en fer. Il en est de même des plébéiens, des affranchis et des esclaves.
1
Les chevaliers equo publico ont l'anneau d'or
Tite Live rapporte qu'à la suite de la victoire de Cannes, Annibal envoya à Carthage « trois muids suivant quelques-uns, un seul muid d'après un récit plus vraisemblable, remplis d'anneaux d'or. Il accompagnait son envoi de cette observation que, chez les Romains, nul autre que les chevaliers et même seulelement les principaux d'entre eux, ne portait cet insigne». Les expressions rapportées par l'historien impliquent qu'une partie seulement des chevaliers romains, et même la moindre, avait, à cette époque, l'anneau d'or. Tite Live a supposé que ce langage du général carthaginois avait pour but de rehausser aux yeux de sa nation la grandeur de sa victoire. Cette supposition serait admissible s'il n'y avait pas des raisons de penser qu'une portion des chevaliers était, en effet, privée de l'anneau d'or. Jusqu'à la fin du v" siècle avant notre ère, l'ordre équestre était composé exclusivement des dix-huit centuries de chevaliers equo publico, c'est-à-dire de ceux qui recevaient un cheval de l'Etat, et qui, lors des guerres, constituaient le véritable equester ordo(1), institution essentiellement militaire et politique à son origine. Les chevaliers equo privato, qui s'y joignirent en l'an 400, ne se distinguaient du reste du peuple que par la possession du cens le plus élevé. Ce n'est même que dans le dernier quart du IIe siècle qu'ils obtinrent, par la loi Sempronia, le droit de judicature. Ils étaient donc, en 217, lors de la défaite de Cannes, de condition sensiblement inférieure à celle des chevaliers equo publico. C'est pourquoi, à la différence de ceux-ci, qui avaient l'anneau d'or comme les sénateurs (1), ils ne portaient assurément que la bague en fer. Leur situation, sous ce rapport, ne fut point changée par la loi votée en 67, sur la proposition du tribun du peuple Roscius Othon.
(1) Et même les chevaliers des douze premières centuries furent longtemps seuls autorisés à porter cet insigne; ce n'est que beaucoup plus tard après eux que les six dernières centuries de chevaliers equo publico y furent admises. (Sueton., Div. August., XL.)
Cette loi, qui fut confirmée par la loi Julia De repetundis, édictée, en l'an 55, sous l'influence de Jules César consul, prescrivit qu'au théâtre les quatorze premiers gradins derrière l'orchestre (lequel était occupé par les sénateurs) seraient réservés aux chevaliers; mais, pour jouir de ce privilège, il fallait remplir deux conditions : être libre de naissance et posséder du bien à concurrence d'une valeur de 400,000 sesterces (86,000 francs de notre monnaie) au moins.
II
Les flamines Diales et les tribuns des légions.
Les flamines Diales.
Je ne dirai ici que peu de mots de ces flamines, consacrés
au culte de Jupiter.
Ils avaient le droit de siéger au sénat, et étaient assimilés
aux sénateurs. Ils portaient l'anneau d'or, mais sous certaines
réserves que je ferai connaître plus loin, quand je traiterai des
dispositions concernant spécialement les ministres des cultes
religieux.
2° Les tribuns des légions.
Un passage d'Appien nous fait connaître que, au plus tard
dès l'année 152 avant notre ère, les tribuns des légions, qui
occupaient, sous le commandement des consuls, le premier
rang dans l'armée romaine, portaient l'anneau d'or, à la différence
des autres officiers de tout rang, qui ne se servaient que
de la bague en fer.
Ce n'est qu'au milieu du siècle suivant que nous allons voir
les tribuns des cohortes et les préfets de la cavalerie en possession
de cet insigne.
§ 5.
CINQUIÈME PÉRIODE DE L'AN 59 AVANT J.-C. À L'AN 23 DE L'ÈRE CHRETIENNE.
Nouveaux ayants droit à l'anneau d'or: les tribuns des cohortes et les préfets de la cavalerie; les centurions de primipile; les médecins. — L'ordre équestre et le port des anneaux sous Auguste. Concessions individuelles de l'anneau d'or. Premièresconcessions à des affranchis,
1
Nouveaux ayants droit à l'anneau d'or.
1° Tribuns des cohortes et préfets de la cavalerie.
Le premier cousulat de Jules César et son triumvirat avec Pompée et Crassus ouvrent une ère de luttes et de crises intestines, qui devait se clore par la chute de la République, et durant laquelle les dignités, comme les dons en argent, furent prodigués par les compétiteurs au pouvoir, principalement à l'armée, devenue un instrument de domination. Nous avons dit plus haut que, depuis le milieu du 11e siècle au plus tard, les tribuns des légions avaient l'anneau d'or, tandis que les autres officiers, même ceux d'un ordre élevé, portaient la bague en fer. Au milieu du 1er siècle avant J.-C., les tribuns des cohortes et des préfets des ailes de cavalerie furent assimilés aux tribuns des légions. Aussi, les voyons-nous, en l'année 56, qualifiés par César de chevaliers romains (1) ; d'où il résulte que, dès cette époque, au plus tard, ils avaient cette décoration.
(1) Dans le récit de sa campagne contre les cités armoricaines (an 56), César, parlant de praefecti et de tribuni militum retenus prisonniers chez les Vénètes, leur donne le titre d'équités. (De bell. Gallic., III, 7 et 8; collect. Teubner, t. I, p. 49.) Plus tard, dans le récit de sa guerre contre Pompée, il qualifie encore de même les tribuni militum. (De bell. civ., I, 77; t. II, p. 36-37
Il faut d'ailleurs noter ici que ces officiers supérieurs étaient
choisis de préférence parmi les sénateurs et les membres de
l'ordre équestre, et que déjà, en cette qualité, ils avaient droit
à cet insigne.
Toutefois, en ce qui regarde les tribuns des cohortes, qui
ne conservaient leur commandement que durant six mois, ils
devaient déposer l'anneau à l'expiration de ce terme, quand
ils n'y avaient pas droit à un autre titre.
Et c'est pourquoi, de même que leur fonction était appelée
semestris tribunatus, leur anneau avait le nom particulier de
aurum semestre.
2° Les centurions de primipile
C'est en l'an 48, pour la première fois, que nous voyons les centurions de primipile en possession de l'anneau d'or. Pendant sa première dictature, au cours de sa guerre contre Pompée, César, pour récompenser le centurion Scaeva de sa vaillante conduite à la défense d'un castellum, lui donna, à la fois, 200,000 sesterces (43,000 francs de notre monnaie), et l'éleva du huitième rang au grade de primipilaire. Par cette double récompense, suivant l'observation de M. Belot, Scæva acquit, avec le cens équestre de 400,000 sesterces, le rang de chevalier et le droit à l'anneau d'or. Cette façon d'interpréter l'acte de munificence du dictateur est juste. Mais le savant écrivain me paraît moins exact quand il dit : 1° que c'est grâce à César que les primipilaires, quand ils possédaient le cens nécessaire, furent de droit chevaliers; 2° que, « par un abus qui flattait la vanité militaire, ils acquirent le droit de porter l'anneau d'or ». Sur le premier point, on remarquera que le fait concernant Scaeva suppose qu'antérieurement, et depuis une date indéterminée, le grade de primipilaire, accompagné de la possession du cens, emportait l'élévation à la dignité équestre. Il est fort possible, je le reconnais, qu'au temps de César, et même en vertu d'une décision émanée de lui, cette catégorie d'officiers ait obtenu une telle prérogative; mais rien ne le prouve et n'autorise à l'affirmer. Sur le deuxième point, je ferai observer que l'élévation d'un officier de l'armée au rang de chevalier le rapprochait autant que possible du type primitif, qui était, comme je l'ai déjà dit, essentiellement militaire, et qu'elle devait avoir pour conséquence naturelle et légitime la décoration de l'anneau. Quand, un peu plus tard, sous le règne d'Auguste, Ovide fait allusion à l'anneau d'or du centurion primipilaire, il exprime la contrariété causée à un homme de vieille famille équestre par la concession de cet insigne à un soldat parvenu, mais il ne manifeste point d'étonnement et, encore moins, l'idée d'une pratique abusive.
3° Les médecins.
Sous le principat d'Auguste, il se produisit deux faits importants.
Jusque-là, l'anneau d'or n'avait jamais été concédé par les
magistrats de la République qu'à des hommes libres de naissance. Il fut décerné par le fondateur de l'Empire à deux affranchis
: à l'un, nommé Ménas, pour le récompenser d'avoir,
dans la guerre contre Sextus Pompée (an 37 av. J.-C.), abannonné
le parti de ce dernier et livré sa flotte à Octave; à
l'autre, nommé Musa, pour prix de soins médicaux auxquels il
devait d'avoir échappé aux dangers d'une grave maladie. Le sénat fit présent à Musa d'une forte somme, produit d'une collecte
parmi ses membres; mais, en outre, il décida qu'à l'avenir
tous ceux qui exerceraient la médecine auraient droit à l'anneau
d'or.
II
L'ordre équestre et le port des anneaux sous Auguste. Les chevaliers equo publico continuent de porter l'anneau d'or, à l'exclusion des chevaliers equo privato,
qui portent la bague en fer.
Lorsque Auguste parvint au pouvoir, il n'y avait à Rome que deux décuries de juges pour les causes publiques. Elles se composaient, l'une de sénateurs, l'autre : 1° de chevaliers equo publico, lesquels étaient les vrais chevaliers romains et constituaient le véritable equester ordo ; 2° de chevaliers equo privato, qui, je l'ai déjà dit, s'étaient joints aux premiers dans la dernière année du V° siècle, mais n'avaient été investis du droit de judicature qu'à la fin du IIC siècle. Ces deux décuries étant devenues insuffisantes, par suite de l'accroissement de la population et du nombre des procès, Octave en créa, pour le jugement des causes privées, une troisième, composée de tribuni aerarii, classe des citoyens possesseurs d'une fortune inférieure au cens le plus élevé (400,000 sesterces), mais dépassant 300,000 sesterces. Devenu empereur et proclamé Auguste (an 29 av. J.-C.), le fils adoptif de César établit, pour statuer sur les litiges de mince valeur, une quatrième décurie, formée de juges pris parmi les citoyens dont le cens était moindre que celui des tribuni aerarii, et variait de 280,000 à 290,000 sesterces. Quelle était la situation respective des membres de ces décuries au point de vue des anneaux ? Nous avons, dans deux passages de Pline, des éléments suffisants pour la définir. Comparant au régime de son temps celui du temps d'Auguste après la réorganisation des décuries de juges, il dit que « la majeure partie de leurs membres», major pars judicum, portait l'anneau de fer, in ferreo anulo fuit; et il ajoute, comme explication, que ceux-ci n'avaient point le titre d'équités, mais seulement celui de judices Plus loin, parlant encore des judices de la même époque, il répète que ces personnages étaient rangés parmi ceux qui se servaient de la bague en fer. Il ressort de là clairement que telle était la condition des membres des deux dernières décuries. Mais il est à remarquer que, les décuries contenant chacune un nombre égal ou à peu près égal de membres (mille d'après Pline), les deux dernières décuries ne représentaient qu'une moitié et non la major pars, que l'historien dit être réduite à la bague en fer. D'un autre côté, il parle, dans le second passage précité, d'equites qui étaient dans les mêmes conditions que les judices. Or, des equites equo publico et des equites equo privato qui formaient la deuxième décurie, ces derniers seuls devaient être réduits à la bague en fer, les premiers étant incontestablement et de toute ancienneté en possession de l'anneau d'or. Vers l'an 8 de J.-C., les causes publiques cessèrent d'être soumises aux juges des décuries, et furent attribuées, savoir, les procès criminels au tribunal des centurions, et les procès politiques au sénat, quand l'empereur ne se les réservait pas (1). La présence des sénateurs dans les décuries de juges n'avait plus de raison d'être, et il est à présumer qu'à la fin du règne d'Auguste les décuries ne comprenaient plus que des chevaliers et de simples judices.
(1) Malgré cela, les quatre décuries de
juges restaient encore surchargées d'affaires,
car, sous Caligula (37-41), il fut
créé une cinquième décurie pour le jugement
des causes privées. (Sueton., Calig.,
XVI)
Quant au port des anneaux, il ne paraît pas que la situation
eût été modifiée, et il y a tout lieu de croire que, l'anneau d'or
étant réservé aux chevaliers equo publico, les chevaliers equo privato
et les judices se servirent de la bague en fer comme les
autres plébéiens, jusqu'à la promulgation de la loi de l'an 23,
dont nous nous occuperons dans le paragraphe suivant.
III
Concessions individuelles de l'anneau d'or par les censeurs, puis par ceux-ci
concurremment avec l'empereur. Premières concessions à des affranchis.
A côté des catégories de personnes qui, de plein droit,
avaient l'anneau d'or, il y avait des citoyens auxquels les magistrats
de la République conféraient cette distinction à raison de services éminents ou de prétendus services rendus à la
chose publique.
Mais, ce n'était plus, comme aux siècles des austères vertus de
la Rome primitive, le simple anneau de fer que l'on décernait
ainsi : il était, depuis déjà longtemps, dédaigné et abandonné
par les deux classes supérieures; et, si le triomphateur le mettait
à son doigt sur son char de triomphe, il accomplissait,
dans cette circonstance et pour de courts instants seulement,
une formalité traditionnelle.
Désormais, c'était l'anneau d'or que recherchaient les plébéiens,
et dont le magistrat ou les magistrats décoraient un
ci toyen.
Quel était ce magistrat ou quels étaient ces magistrats? Horace
et Pline le désignent ou les désignent par le titre de judex
ou judices; et, comme le préteur et, plus tard, les préteurs
étaient, chez les Romains, les judices par excellence, quelques
auteurs ont cru que c'était à eux qu'appartenait le pouvoir de
concéder l'anneau d'or.
Mais c'est à tort : ce pouvoir appartenait aux censeurs.
Ceux-ci, en effet, dressaient, chaque année, la liste du sénat;
ils tenaient à jour les tables du cens et la liste des chevaliers;
ils rayaient de cette dernière liste ceux qui ne possédaient plus
le cens exigé pour l'admission ou le maintien dans l'ordre
équestre; ils avaient pour mission de rechercher les cas d'indignité
et d'exclusion des deux ordres supérieurs; c'était à eux qu'on dénonçait les intrusions illégales parmi les chevaliers;
les sentences qu'ils rendaient avaient un caractère définitif, et
n'étaient susceptibles d'aucun recours. Le titre de judices,
qui d'ailleurs avait, à Rome, le sens très large de magistrats,
s'appliquait ainsi aux censeurs, aussi exactement qu'aux préteurs.
D'après cela, il ne me paraît pas douteux que la collation et
le retrait de l'anneau fussent de leur ressort.
Dans les derniers temps de la République, les concessions
de cet insigne furent faites souvent par tous ceux qui furent
investis ou s'emparèrent, sous le titre de triumvirs ou de dictateurs,
d'une autorité absolue ou presque absolue à Rome ou
dans les provinces.
Mais ce furent surtout les chefs militaires qui le donnèrent
fréquemment à ceux qui s'étaient distingués, soit à la guerre,
soit dans l'administration, et bien des fois sans doute par des
services purement personnels.
César, durant sa dictature, ne se borna pas à faire de nombreuses
concessions de ce genre : il consacra, en une sorte de
nobiliaire de l'ordre équestre, les droits de tous les décorés de
l'anneau d'or.
Dès l'établissement de l'Empire, les attributions qu'avaient,
à cet égard, les censeurs, furent exercées par eux concurremment avec le prince, et le plus souvent par celui-ci, qui disposait
sans contrôle de toutes les faveurs.
Nous avons signalé l'usage qu'en fit Auguste au profit de
simples affranchis, qui jusque-là n'avaient jamais obtenu une
telle distinction, ouvrant ainsi la porte aux plus graves et aux
plus scandaleux abus, contre lesquels, quelques-uns de ses
successeurs tentèrent, mais vainement, de réagir (1).
(1) Certains empereurs refusèrent même systématiquement l'anneau d'or aux affranchis. Alexandre Sévère notamment ne voulut jamais admettre des affranchis dans l'ordre équestre. Voir Lamprid., Alex.Sever., XIX, dans Scriptores histor., August.; collect. Teubner, t. I, p. 240.
IV
Les plébéiens, les affranchis et les esclaves se servent de la bague en fer.
On a vu plus haut que, vers les premiers temps de la République,
les sénateurs revêtus des fonctions d'ambassadeurs
auprès de peuples étrangers n'exhibaient qu'en public l'anneau
d'or qu'ils avaient reçu en cette qualité, et gardaient dans leur
logis la bague en fer.
De là ressortent deux conséquences importantes : d'abord,
qu'abstraction faite de leur titre temporaire d'ambassadeurs
ces personnages portaient ordinairement la bague en fer; ensuite,
que le port de cette bague avait déjà cessé, à une époque
reculée, d'être une marque d'honneur individuelle, conférée
par l'autorité publique, puisque tout au moins une catégorié de
citoyens le pratiquait librement, et que, par suite, toute concession
personnelle eût été vaine et sans valeur aucune. Dès ce moment, la bague en fer, ayant perdu sa signification
et son prestige d'autrefois, dut être dédaignée par la généralité
des patriciens, plus soucieux sans doute de s'attribuer l'anneau
d'or, encore réservé à ceux d'entre eux qui appartenaient à la
noblesse.
Déjà, à la suite de leurs conquêtes en Italie, les Romains,
entrés en possession de métaux précieux et d'objets d'art, avaient
contracté le goût du luxe et particulièrement des bijoux et des
gemmes, et la bague en fer des temps anciens fut peu à peu
abandonnée par la classe supérieure aux autres parties de la population, qui, naturellement, s'en emparèrent et s'en servirent
couramment.
Il y a, au reste, de ce dernier fait une preuve bien frappante.
Si l'anneau de fer, quand il ne fut plus l'objet de concessions
personnelles, était resté le privilège exclusif d'une classe de citoyens
(notamment des simples sénateurs, qui, de toute certitude,
s'en servaient librement) , on devrait trouver le témoignage
d'efforts des autres classes pour le conquérir à leur tour légalement,
ou pour l'usurper.
Or, il n'en existe pas une seule trace dans toute l'histoire de
Rome.
J'estime donc qu'à une date que je ne puis préciser, mais qui
me semble ne devoir guère être postérieure à l'an 304, la faculté
et l'usage de porter cet ornement devinrent communs à toutes
les classes de la population, y compris les esclaves eux-mêmes,
puisque, d'après une coutume rapportée par Pline et remontant
aux époques les plus lointaines de la République, l'esclave
qui tenait sur la tête du triomphateur une couronne d'or avait
à son doigt une bague en fer. A plus forte raison en était-il ainsi :
1° Des chevaliers equo publico, qui, à la fin du IIIe siècle au
plus tard, étaient en possession de l'anneau d'or, et des chevaliers
equo privato, qui formaient, dès la fin du Ve siècle, la première
classe des plébéiens;
2° Des tribuns militaires et des préfets des cohortes, dotés
de la même décoration, les uns dès le IIe siècle, les autres dès
le Ier siècle avant notre ère;
3° Enfin, des centurions et autres officiers de l'armée, et de
la généralité des plébéiens et des affranchis, qui ne pouvaient
être traités moins favorablement que les esclaves.
§ 6.
SIXIÈME PÉRIODE DE L'AN 23 DE L'ÈRE CHRÉTIENNE
AU PREMIER TIERS DU IIIe SIECLE
Loi de l'an 23 sur l'ordre équestre et l'anneau d'or: une seule des ses dispositionsest nouvelle. — La milice tout entière reçoit l'anneau d'or. — Les plébéiens ont-ils pris l'anneau d'argent ? Non: ils continuent de porter la bague enfer, comme les affranchis et les esclaves. - Les chevaliers, en cas de dégradation,prenaient-ils l'anneaud'argent ?
1
L'ordre équestre et l'anneau d'or sous le régime de la loi de l'an 23
de l'ère chrétienne. Les simples soldats reçoivent l'anneau d'or.
Bien qu'elle ne contienne, à vrai dire, qu'une seule disposition
nouvelle, la loi de l'an 23 marque une date importante
dans l'histoire du port des anneaux, en ce que l'on y trouve
réunies les conditions prescrites pour l'admission dans l'ordre équestre et pour l'obtention de l'anneau d'or, que la coutume,
plutôt que la législation, avait régie jusque-là.
C'est dans la neuvième année du principat de Tibère, l'an 775
de la fondation de Rome, que fut édictée cette loi, qui donna
à l'ordre équestre une constitution unitaire et réglementa le
port de l'anneau d'o. Les conditions qui y sont exigées, et
que Pline a reproduites, sont les suivantes :
1° Être issu d'un père et d'un aïeul libres de naissance ;
2° Posséder du bien à concurrence de 400,000 sesterces
(86,000 francs de notre monnaie);
3° Siéger, en vertu de la loi Julia, dans les quatorze premiers
rangs derrière l'orchestre, aux représentations théâtrales.
La deuxième de ces conditions était déjà, je l'ai dit, écrite
dans la loi Roscia de l'an 67; la troisième l'était également dans
cette loi, confirmée par la loi Julia sur le théâtre. Quant à la
première, elle n'était qu'une aggravation de celle de la même loi
disposant qu'il fallait être libre de naissance pour être admis
parmi les chevaliers auxquels les quatorze premiers gradins
étaient réservés au théâtre.
Mais, contrairement à ces prescriptions et à la tradition constante,
Auguste avait le premier, comme on l'a vu, décoré des
affranchis; et, depuis lors, les gens de cette condition qui possédaient
une fortune de 400,000 sesterces se crurent autorisés à
solliciter l'anneau, d'or, et mirent en jeu, pour l'obtenir, les influences
dont ils disposaient auprès des magistrats et plus souvent auprès de la Chancellerie impériale, qui en devint progressivement
la dispensatrice ordinaire.
C'est indubitablement pour opposer une digue à ces sollicitations
importunes, et se donner un motif de refus, que l'on
édicta, dans la nouvelle loi, la condition de la libre naissance à
la troisième génération. Mais celle-ci fut aussi impuissante que
la loi Roscia à arrêter l'intrusion des affranchis. Moins d'un
demi-siècle après, Pline se plaignait que l'anneau d'or, autrefois
réservé aux chevaliers equo publico, fût donné à la richesse;
et, plus loin, il signale ces esclaves d'hier, qui, à peine arrivés
à la liberté, obtiennent les insignes des chevaliers.
Nous avons vu que la faculté de concéder l'anneau, réservée,
dans le principe, aux censeurs, fut, après l'établissement de
l'Empire, exercée par le prince concurremment avec eux.
En fait, la plupart de ces actes émanaient de la Chancellerie
impériale, et, dès les premières années du IIe siècle, c'est l'empereur
qui conférait les distinctions de cette sorte.
En outre, l'anneau d'or, qui d'ailleurs avait été porté par
d'autres catégories de citoyens que les chevaliers (par les sénateurs,
les flamines Diales, les tribuns militaires, etc.), cessa
bientôt d'avoir un lien avec l'ordre équestre, qui perdit lui-même
toute importance et devint graduellement un corps d'apparat.
Aussi, l'anneau fut-il donné, par la Chancellerie impériale,
comme une simple décoration et, en même temps, comme la
collation de la qualité et des droits de l'homme libre de naissance,
jura ingenuitatis. C'est ce qui ressort jusqu'à l'évidence
de plusieurs lois du titre De jure aureorum anulorum au Digeste dont l'une rappelle un rescrit d'Hadrien (117-138), et sur lesquelles
nous reviendrons un peu plus bas.
Vers la fin de la période qui nous occupe, par un rescrit
de Septime Sévère (192-211), l'anneau d'or fut accordé aux
simples soldats, à la milice romaine tout entière. Il résulte de
là que les plébéiens, hommes libres de naissance, ne l'avaient
point encore à cette époque ; car il n'est pas admissible que la
plèbe fût plus favorablement traitée que les légionnaires.
A plus forte raison, en était-il de même des affranchis, dont
la condition était inférieure à celle des hommes nés libres, et
qui, nous le montrerons plus bas, n'eurent l'anneau d'or qu'au
VIe siècle, après que Justinien, par la novelle de 539, les eut
élevés au rang des ingenui.
L'acte de Septime Sévère est un fait des plus intéressants,
en ce qu'il préparait et annonçait la dernière évolution historique
de l'anneau dans l'antiquité romaine, évolution que nous
étudierons dans le paragraphe suivant, et où tous les citoyens
libres de naissance purent faire usage de cet ornement.
II
Plébéiens, affranchis et esclaves. Chevaliers dégradés
1° Les plébéiens. — Portaient-ils des anneaux d'argent? — Non: ils continuaient de se servir de la bague en fer, comme les affranchis et les esclaves.— Les chevaliers dégradés prenaient-ils l'anneau d'argent ?
Entre les classes supérieures, pourvues de l'anneau d'or, et
les affranchis et esclaves, réduits à la bague en fer, de quel métal
se servaient les plébéiens sous le régime de la loi de l'an 23?
Sur cette intéressante question, les historiens modernes sont
muets. Un érudit du XVIIe siècle, que nous avons eu déjà l'occasion
de citer, Jean Kirchmann, a émis l'opinion que les
hommes de la plèbe se servaient d'anneaux en argent.
« Cette opinion, dit-il, m'est suggérée par un passage où
Pline fait connaître que les femmes du peuple portaient des
compedes de ce métal (c'est ainsi que l'auteur latin appelle les
anneaux) ; et puisque les personnes du sexe féminin se servaient
d'anneaux d'argent, pourquoi n'admettrions-nous pas que les
hommes s'en servaient aussi? »
Cet argument repose sur une inexactitude. Nulle part, Pline n'a employé compedes dans le sens de bijoux pour les doigts. Dans
le livre XXXIII de son ouvrage, consacré en grande partie aux
anneaux, il se sert toujours du mot anulus; et quant au passage
cité par Kirchmann, le seul où l'on rencontre compedes, ce substantif
désigne un bijou que les femmes portaient aux pieds :
un cercle ou gros anneau, ou une chaîne.
La conjecture de ce savant ne saurait donc trouver sa justification
dans le texte qu'il a cité. Mais on pourrait l'appuyer
sur d'autres raisons.
Dans un passage qui a échappé à Kirchmann, Pline rapporte
le fait suivant dont il a été témoin : un personnage nommé
Arellius Fuscus, ayant été exclu de l'ordre équestre, portait des
anneaux d'argent.
Dégradé de la qualité de chevalier, il était tombé au rang de
simple plébéien. N'est-il pas croyable que c'est en cette qualité
qu'il avait des anneaux d'argent au lieu d'anneaux d'or; que si
les plébéiens, à cette époque, avaient été réduits, comme les
esclaves, à la bague en fer, ce sont des bagues de ce métal et non des anneaux d'argent qu'Arellius Fuscus aurait portés
après sa dégradation ?
On peut dire encore, en faveur de cette manière de voir, que,
d'après Isidore de Séville, qui a résumé le dernier état de la législation
et des moeurs romaines que nous examinerons plus
bas, les hommes libres de naissance se servaient d'anneaux
d'or; les affranchis, d'anneaux d'argent, et les esclaves, de bagues
en fer.
La possession de l'anneau d'argent par les affranchis ne
permet-elle pas de supposer que les plébéiens libres de naissance
avaient du, avant d'obtenir l'anneau d'or, porter des
anneaux de ce métal.
Ce sont là assurément des arguments spécieux à l'appui de
la thèse dont il s'agit; néanmoins son exactitude me paraît très
contestable.
Une première remarque à faire c'est que, sauf le passage de
Pline précité, on ne trouve pas dans les écrivains classiques
une seule mention de l'anneau d'argent. Ce silence ne serait-il
pas incompréhensible à l'égard d'un usage qui eût été répandu
dans la plèbe romaine, et qui aurait, à un certain moment,
constitué une importante nouveauté?
Le cas d'Arellius Fuscus peut, en outre, s'expliquer autrement
que par l'emploi courant d'anneaux d'argent chez les plébéiens,
notamment par la répugnance du chevalier dégradé
à prendre la bague en fer comme les plébéiens et les esclaves,
ou par une sorte de protestation contre une mesure de sévérité
excessive, peut-être même mal justifiée, ou bien, comme la
proposé un historien, par l'usage qui se serait établi, pour les citoyens déchus du rang de chevalier, de prendre l'anneau
d'argent.
Il me semble enfin que le fait signalé par Pline est plutôt de
nature à prouver le contraire de ce qu'on y a vu. En effet, si
l'anneau d'argent avait été d'un emploi habituel chez les plébéiens,
il n'y aurait eu rien d'extraordinaire à ce que Arellius
Fuscus, descendu au rang de plébéien, en eût pris les anneaux,
et Pline n'aurait pas eu de motif de le signaler; s'il en a fait la
remarque, c'est que c'était un cas anormal.
Mais il y a une autre objection encore plus grave.
Sauf les tribuns militaires dès l'an 153 avant l'ère chrétienne, et sauf les centurions primipilaires dès l'an 48 au
plus tard, on ne portait, dans l'armée romaine, que des
bagues en fer; et il n'y a nulle trace de changement sur ce
point jusqu'au temps de Pline (t 79 après J.-C.). Or, puisque
les légionnaires et leurs officiers inférieurs n'avaient que la
bague en fer, est-il croyable que la plèbe eût des anneaux
d'argent ?
Telles sont les considérations qui me déterminent à penser
que les plébéiens continuèrent de se servir de bagues en fer
jusqu'au moment (premier tiers du IlIC siècle) où tous les hommes
libres de naissance eurent le droit de prendre l'anneau d'or.
J'estime qu'il en fut de même dans l'armée, pour les simples
légionnaires et les officiers de grade inférieur aux centurions
primipilaires, jusqu'au jour où l'anneau d'or leur fut accordé
par Septime Sévère ( 193-211 ).
J'ai mentionné, quelques lignes plus haut, une opinion
suivant laquelle les chevaliers dégradés auraient remplacé par l'anneau d'argent l'anneau d'or qu'il ne leur été plus permis
de
porter.
Cette opinion,
basée sur le texte
de Pline
ne me paraît pas suffisamment justifiée, ni même plausible.
Ce n'était pas seulement dans le cas de dégradation que les
chevaliers étaient exclus de l'ordre, mais aussi, et sans doute
plus souvent, quand, par la perte ou la diminution
de leur fortune, ils avaient cessé de posséder
le cens de
4oo,ooo sesterces
et étaient
rayés par les censeurs de la liste de
l'ordre. Il devait
donc y avoir à Rome un nombre assez grand de citoyens
dans
cette situation, raillée par les poètes;
le fait que l'un d'eux
avait un anneau d'argent, si tel
eût été l'usage, n'aurait certainement
pu, comme je l'ai déjà fait observer, attirer
l'attention
de Pline, et n'aurait pas été noté par lui; c'était
visiblement,
au contraire, un fait isolé et conséquemment
dépourvu du caractère
général qu'on lui a attribué.
§7.
SEPTIÈME ET DERNIÈRE PERIOD:E DU PREMIER TIERS DU IIIe SIECLE L'AN 312.
La distinction des classes étant effacée, c'est la naissance seule qui détermine la différence du métal des anneaux: tous les hommes nés libres ont le droit de porter l'anneau d'or. — Quid des affranchis? Examen critique d'un passage de Tertullien : les gens de cette condition n'ont point le même droit que les libres de naissance; ils se servent d'anneaux d'argent. — Les esclaves sont toujours réduits à la bague en fer.
1
Les hommes libres de naissance ont l'anneau d'or.
Les concessions individuelles de l'anneau d'or avaient souvent lieu avec une grande légèreté et une très imparfaite connaissance de la situation personnelle des impétrants, car le titre De jure aureorum anulorum au Digeste contient plusieurs lois qui prévoient le cas de l'octroi de l'anneau, beneficium anulorum, à des individus qui avaient pris indûment la qualité d'ingenuus, ou à des affranchis qui avaient sollicité cette faveur contrairement à la volonté de leur patron ou du moins à son insu, et auxquels on la retirait par un nouveau rescrit. Aussi ce genre de concessions, quand il s'adressait à des ingenui, semble avoir eu finalement le caractère d'un acte de pure forme. Il est à remarquer que les dernières mentions du droit aux anneaux d'or dans la législation du Haut-Empire datent de la première moitié du IIIe siècle (1).
(1) Des règnes de Septime Sévère, Caracalla et Alexandre Sévère.
Le code Théodosien n'en contient pas une seule, et il faut descendre à la novelle 78 de
l'empereur Justinien, édictée en 539, pour trouver une disposition
légale sur ce sujet.
Or, que porte cette novelle? Que les affranchis pourront
désormais se servir d'anneaux d'or comme les hommes libres
de naissance, auxquels Justinien les déclare assimilés de plein
droit; d'où la preuve certaine que les ingenui étaient tous et
depuis longtemps en possession de l'anneau d'or.
Nous n'avons pas le moyen de préciser l'époque où ce régime
commença à être en vigueur, et l'on ne peut qu'en indiquer approximativement la date. C'est graduellement qu'il
s'établit.
La distinction des classes s'était, nous l'avons dit, peu à peu
effacée. Dès le IIIe siècle, l'empereur concentrait en ses mains
tous les pouvoirs.
Sous Dioclétien (284-305) et même bien avant lui, le sénat
était réduit au rôle de conseil municipal de Rome et ne traitait
plus aucune affaire d'Etat. L'ordre équestre avait, depuis fort
longtemps, perdu toute influence et tout prestige. Le titre de
chevalier romain avait été si fréquemment et si scandaleusement
attribué à des gens mal famés, que nulle considération
n'y était plus attachée. Aussi la différence de traitement entre
ces deux classes et les plébéiens n'était plus ni justifiée ni acceptée.
C'est donc dans le cours et probablement dans le premier
tiers du IIIe siècle, que tous les ingenui, sans exception, durent
être admis à l'usage de l'anneau d'or. En tout cas, le fait, comme
je l'ai expliqué plus haut, ne peut être antérieur au rescrit de Septime Sévère (192-211) portant concession de ce droit à
tous les légionnaires.
Que se passa-t-il relativement aux affranchis? C'est la question
que nous allons examiner.
II
Les affranchis n'ont point l'anneau d'or. Ils se servent d'anneaux d'argent.
Les esclaves sont toujours réduits à la bague en fer.
Le traité De resurrectione carnis de Tertullien contient le passage suivant, où il parle des grands avantages que procure l'affranchissement: « Atqui et vestis albæ nitore, et aurei annuli honore, et patroni nomine, et tribu mensaque honoratus. » De cette énumération il résulterait qu'à l'époque où Tertullien écrivait le fait de l'affranchissement conférait à l'ancien esclave le droit de porter en public l'anneau d'or. Mais il n'en est rien, et nous allons montrer qu'une telle conception est en opposition manifeste avec la législation du Ille siècle, et même avec celle des deux siècles suivants. Le maître pouvait bien donner la liberté à son esclave; mais, suivant l'observation que fait à ce propos Kirchmann, il n'avait pas le pouvoir de lui conférer le droit aux anneaux; il fallait l'obtenir de l'empereur, après l'avoir sollicité avec le consentement du patron. En outre, les dispositions du Digeste, empruntées aux grands jurisconsultes de la première moitié du IIIe siècle, font connaître les conséquences de la concession des anneaux à un affranchi. « Celui, dit le jurisconsulte Paul (premier tiers du IIIe siècle), qui a obtenu le jus anulorum est regardé comme ingenuus, quoique son patron ne soit pas exclu de son hérédité. » Puis vient une loi tirée d'Ulpien († 228), qui dispose que l'affranchi auquel cette faveur a été octroyée, alors même qu'il n'a acquis les prérogatives de l'ingenuitatis que sous la réserve du droit de son patron, est cependant tenu pour ingenuus; et qu'il en a été ainsi décidé par rescrit de l'empereur Hadrien ( 117-138). D'après ces textes, au lieu de prétendre que l'affranchissement entraînait le droit aux anneaux, il faut dire que la concession des anneaux à un affranchi impliquait celle des droits de l'homme libre de naissance, jura ingenuitatis. Et d'ailleurs, il y a une preuve péremptoire que l'affranchi, au IIIe siècle et même deux siècles plus tard, n'avait pas, en cette qualité, le droit aux anneaux. En 539, par sa novelle 78 déjà citée, l'empereur Justinien édicta que, par le fait seul de l'affranchissement, l'affranchi acquérait ce droit comme tous ceux qui étaient attachés à la qualité d'ingénu. Si, dès le Ille siècle, les affranchis avaient eu le droit aux anneaux, il serait absolument inexplicable qu'il leur fût concédé solennellement en 539! Isidore de Séville, qui fait connaître, à cet égard, le dernier état de la législation romaine, s'exprime ainsi : « Chez les Romains, ni l'esclave ni l'affranchi ne portaient l'anneau d'or en public : les hommes libres se servaient de l'anneau d'or; les affranchis, de l'anneau d'argent; les esclaves, de la bague en fer, bien que beaucoup de personnes de très haute condition se servissent de l'anneau de fer. » Ces derniers mots nous montrent que, pour les esclaves et pour tous les gens de condition servile, le régime ne changea jamais; et cette persistance s'explique tout naturellement par leur dépendance absolue de maîtres qui n'auraient point toléré d'infraction à la règle. A la vérité, ils employaient déjà, au temps de Pline, des subterfuges pour se servir d'anneaux d'or, qu'ils dissimulaient sous une teinte de fer. Mais cela même atteste que la bague en fer était la seule qu'ils pussent mettre publiquement à leur doigt.
§ 8.
DES CAS DE PRIVATION ABSOLUE OU D'INTERDICTION TEMPORAIRE DES ANNEAUX
D'OR. - L'EFFIGIE DE L'EMPEREUR SUR LES ANNEAUX-. LES ANNEAUX DES
MOURANTS, ETC.
Nous allons faire connaître, dans ce paragraphe, quelques règles ou coutumes pratiquées à Rome, sous la République et le Haut-Empire, en ce qui concerne le port des anneaux. 1° Étaient dépouillés du droit de porter l'anneau d'or : ceux qui avaient été frappés d'une condamnation infamante ou même seulement, à raison d'une conduite publiquement réprouvée, déclarés indignes et exclus de l'ordre; les membres de l'ordre équestre qui avaient cessé de posséder le cens exigé par la loi pour la jouissance de cette dignité); ceux qui exerçaient un vil métier; ceux enfin qui avaient vendu ou mis en gage leur anneau. 2° On déposait l'anneau d'or dans les jours de deuil public, comme cela eut lieu après la défaite de Cannes et le jour des funérailles d'Auguste, où les Romains remplacèrent l'anneau d'or par une bague en fer. 3° Sous le règne de Claude, il fut interdit de faire graver sur les anneaux l'effigie de l'empereur. Cette prohibition fut abolie par Vespasien (69-79). A une date antérieure au règne de Claude, durant le principat de Tibère, c'était un crime capital que de garder, dans les latrines et dans les lieux de débauche, des anneaux portant l'image impériale. 4° Les accusés, quand ils se présentaient au peuple en suppliants, supplices, déposaient leur anneau ou leurs anneaux. 5° On ôtait son anneau ou ses anneaux au moment du coucher et avant d'entrer au bain. 6° C'était par la remise de son anneau au commissaire ordonnateur d'un banquet ou d'un repas à prendre en commun, que chaque convive s'engageait à payer son écot, symbolam. 7° On retirait les anneaux de la main des mourants mais on les y replaçait après la mort, et ils étaient aux doigts du défunt quand son corps était sur le bûcher. 8° Souvent les mourants donnaient leurs anneaux à celui ou à ceux de leurs parents ou de leurs amis qui leur étaient les plus chers. 9° Les Romains ou du moins beaucoup d'entre eux se servaient d'anneaux différents suivant les saisons : des plus lourds en hiver, des plus légers en été.
§ 9.
DES MODES DE DÉCORATION DES ANNEAUX À DIFFERENTES ÉPOQUS,
DU MEUBLE AFFECTÉ À LEUR CONSERVATION (DACTYLIOTHECA)
1
Des modes de décoration des anneaux.
On se borna, dans le principe, à faire graver des inscriptions sur le métal dont les anneaux étaient formés. Plus tard et par suite de l'accroissement des richesses et du luxe, la coutume s'établit d'orner ces bijoux de pierres précieuses : diamants, agates, jaspes, onyx et sardoines, émeraudes, rubis, topazes, saphirs (1), etc. ; on y fit alors graver, tantôt sa propre effigie, celles des ancêtres ou des empereurs régnants; tantôt des figures de dieux, de déesses, de héros, ou des scènes célèbres de la Fable ou de l'Histoire; tantôt la représentation d'animaux réels ou fantastiques, ou bien enfin des ornements de toutes sortes (2).
(1) On distinguait alors dans les anneaux trois parties : le circulus ou obiculus,la pala ou funda, et la gemma (Kirchmann, De annulis, p. Il). A ces trois parties correspondent, en français, le jonc ou la tige, le chaton et la gemme ou pierre précieuse, sertie dans un chaton en métal on simplement encastrée dans la masse du jonc ou de la tige. Ajoutons que parfois l'anneau était décoré de plusieurs gemmes, et qu'alors il y avait généralementune gemme principale, entourée de pierres plus petites.
(2) Le travail de gravure était fait tantôt en creux (sculptera), tantôt en relief (cælatara ).
Nous verrons plus bas, quand nous nous occuperons des anneaux sigillaires, que ces diverses figurations servirent souvent à particulariser ceux des empereurs ou des illustres personnages de la République et de l'Empire, et étaient, sans aucun doute, d'un emploi traditionnel, même dans les familles de plébéiens et d'affranchis. Dès la fin du IIe siècle et au cours du IIIe siècle de notre ère, sous l'influence déjà sensible du christianisme, il s'opéra, dans cet ordre de faits, deux réformes notables, du moins en ce qui touche les parties de la société romaine converties à la foi nouvelle. Tertullien ) faisait remarquer qu'à une époque plus reculée les femmes n'avaient d'autre anneau d'or que celui qu'elles avaient reçu à titre de fiancées, et il blâmait et raillait l'abus que ses contemporaines faisaient de ces joyaux, dont elles chargeaient tous leurs doigts, et auxquels elles consacraient des sommes exorbitantes. Avant lui, Clément d'Alexandrie ( 217) rappelait aux femmes que l'anneau d'or ne leur avait pas été donné pour servir d'ornement, mais pour imprimer le signaculum de la famille sur ce qui était à garder dans la demeure conjugale. Autre part, il interdisait de faire graver sur les anneaux, et spécialement sur les anneaux sigillaires, les figures des idoles, l'épée et l'arc («qui, dit-il, ne conviennent point à des pacifiques » ), les coupes à boire et les images licencieuses. Ces prédications dans toutes les xynodochées et dans les familles chrétiennes ne pouvaient manquer de restreindre considérablement l'usage des anneaux comme objets de luxe, et surtout de faire disparaître les représentations condamnées par l'organe le plus autorisé de l'Église chrétienne. L'illustre docteur d'Alexandrie recommandait, en même temps, d'y substituer certains emblèmes où le Sauveur était mystérieusement symbolisé, et sur lesquels nous donnerons quelques détails à propos des anneaux sigillaires.
II
La dactyliotheca.
Vers le milieu du Ier siècle avant notre ère, la coutume s'introduisit à Rome d'avoir, dans chaque demeure, une sorte de coffret, arca, destiné à recevoir les anneaux et les bijoux précieux, et auquel on donna le nom de dactyliotheca. D'après Pline, le premier qui installa un meuble de ce genre fut E. Scaurus, beau-fils de Sylla, célèbre par son opulence, son luxe et ses somptueux palais; longtemps après lui, il n'y en eut pas d'autres. Mais, au milieu du Ier siècle de notre ère, l'usage en était très répandu. Un passage de Juvénal donne à penser que les dactyliothèques étaient généralement en ivoire ; elles devinrent d'un emploi si commun, que le Digeste contient plusieurs lois qui s'y rapportent.
CHAPITRE II.
DISPOSITIONS ET COUTUMES CONCERNANT LE PORT DES ANNEAUX
EN GÉNÉRAL,SUR LE TERRITOIRE DE LA GAULE,
DANS LES PREMIERS SIÈCLES DU MOYEN ÂGE
§ 1.
DU DROIT DE PORTER DES ANNEAUX DE TEL OU TEL MÉTAL.- CONDITION DES
AFFRANCHIS CHEZ LES GALLO-ROMAINS ET CHEZ LES PEUPLES D'ORIGINE GERMANIQUE.-
ÉGALISATION RAPIDE ENTRE EUX.
Dans l'intervalle d'un siècle, qui sépare la conversion de
l'empereur Constantin au christianisme (an 312) des grandes
invasions du v" siècle, les populations indigènes de la Gaule
continuèrent naturellement de se conformer à la législation et
aux coutumes romaines du Bas-Empire. Il est donc logique
d'en induire la continuité d'application des règles et des usages
exposés dans le précédent chapitre.
Sous le règne de Constantin et de ses successeurs en Occident,
il y eut toujours une ligne de démarcation bien tranchée
entre l'affranchi et l'homme libre de naissance. Aussi, en dehors
des concessions individuelles émanées du pouvoir souverain,
les affranchis durent, comme par le passé, se servir de l'anneau
d'argent, l'anneau d'or étant, ainsi que le rapportait Isidore de Séville, réservé aux ingenui, et les esclaves étant toujours
réduits à la bague en fer.
Après l'invasion du territoire par les Germains et la fondation
d'États barbares, l'histoire se complique, pour le sujet qui nous occupe, de la juxtaposition de populations régies par des
législations et pratiquant des coutumes différentes.
Les Gallo-Romains, on le sait, continuèrent d'observer leurs
lois, au moins dans les premiers temps de la conquête.
Chez les nations de race germanique qui s'installèrent sur
notre sol : Goths, Burgundions et Francs, le port des anneaux
ne fut point expressément réglé par les codes qui y furent rédigés
et édictés. La seule disposition qui s'y rapporte est une loi
des Visigoths qui consacre le principe de l'engagement matrimonial
par le don et l'acceptation de l'anneau des fiançailles,
annulus pronubus.
Les écrivains contemporains sont également muets sur ce
sujet.
Nous pouvons toutefois tirer quelque lumière de l'étude comparative
des institutions et des moeurs des deux races qui habitaient
la Gaule.
Notons d'abord qu'en Germanie, de même qu'à Rome, la
population était divisée en trois catégories : les hommes libres
de naissance, les affranchis, les esclaves.
Voici un passage de la Germania de Tacite qui va nous fournir
un utile renseignement :
" Les plus vaillants (parmi les Cattes), dit-il, portent, comme
une chaîne, un anneau de fer, marque d'ignominie chez ces peuples,
jusqu'à ce qu'ils se dégagent par la mise à mort d'un ennemi". Pour quel motif l'anneau de fer était-il, chez les Germains,
un signe d'ignominie? Parce que, étant à l'usage des esclaves,
il était regardé comme l'emblème de la servitude, et que, au
doigt d'un homme libre, il avait une signification dégradante,
dont le guerrier ne se dégageait que par la mise à mort d'un
ennemi.
Nous sommes ainsi informés que la bague en fer était, de
même que dans l'empire romain, portée par les gens de condition
servile. Cela n'a d'ailleurs rien de surprenant, car, dans
le contact des deux peuples, les Barbares avaient bien pu emprunter
aux Romains cet usage, comme tels autres, notamment
celui de l'affranchissement.
Les hommes libres de naissance s'étaient indubitablement
réservé le métal le plus précieux : l'anneau d'or. Il reste à
savoir quel était celui dont se servaient les affranchis.
II est intéressant de rappeler, à ce propos, quelle était la
condition de l'affranchi parmi les Barbares, et celle de l'affranchi
romain.
On sait l'action puissante des affranchis dans la société romaine
: elle s'exerçait tantôt en secret, tantôt au grand jour,
chez les plus hauts personnages, à la cour, dans l'entourage de
l'empereur et souvent sur l'empereur lui-même.
L'histoire de la Rome impériale est remplie du récit des richesses,
des honneurs, des dignités dont la plupart des souverains
comblaient les affranchis, leurs favoris; ceux-ci étaient
particulièrement avides des signes extérieurs de la prééminence
des hommes libres de naissance, et leurs constants efforts tendaient à une assimilation aux ingenui. Finalement, sous l'influence
du christianisme, des philosophes et des jurisconsultes,
Justinien consacra cette assimilation, et conféra aux affranchis
le droit à l'anneau d'or. Voici une tradnction des termes de la
célèbre novelle 78, édictée en 539, et dont il a été déjà parlé
au cours du chapitre précédent
« Si un maître, affranchissant son esclave, l'a déclaré citoyen
romain (et il ne lui est pas permis de faire autrement), qu'il
sache que, d'après la présente loi, celui qui aura reçu sa liberté
aura le droit des anneaux d'or et de la régénération (1), et n'aura
plus besoin de le solliciter du prince ni de faire aucune démarche
pour l'obtenir; mais ce droit lui sera acquis comme
conséquence de son affranchissement, en vertu de la présente
loi, qui aura son effet à partir de ce jour. »
(1) Ce mot a ici la valeur des natalibus antiquis, qui, par une fiction de la loi romaine,
étaient censés restitués à l'affranchi ;
c'est-à-dire de la qualité de libre de naissance
« ingenuus », qu'un de ses ascendants
était présumé avoir injustement perdue.
Nous allons voir maintenant quel fut le sort des affranchis chez les peuples d'origine germanique, et en particulier chez les Francs. En Germanie, dit Tacite, « les affranchis ne sont guère au dessus des esclaves; ils ont rarement quelque importance dans la vie privée, ils n'en ont jamais dans la cité ». La même infériorité de condition des affranchis se retrouve écrite dans les lois barbares, et principalement dans la loi salique. Le wergeld ou composition due pour le meurtre d'un affranchi n'est que la moitié de ce qui est dû pour le meurtre d'un ingénu. L'affranchi peut, il est vrai, s'élever, et il s'élève à de hauts emplois : il y en a de nombreux exemples dans l'histoire des Mérovingiens. Mais sa condition personnelle est indélébile : elle le suit dans toute sa vie et dans toutes les situations. Le législateur le dit expressément dans le titre LIV de la loi salique, où le comte (grafio), puer regius, c'est-à-dire « affranchi du roi », est protégé par un wergeld qui n'est que la moitié de celui du grafio ingenuus. Il en était de même chez les Ripuaires, ainsi que l'atteste le titre LIII de leur code; ces dispositions sont reproduites dans les Capita extravagantia, le Résumé des compositions intitulé Sciendum quibusdam et la Lex emendata de 769. Ainsi, par la volonté du législateur germain, l'affranchi, en dépit de la promotion aux plus hautes fonctions, restait entaché du vice de son origine.D'après cela, il paraît difficile d admettre que les gens de cette condition aient été, au moins sous les premiers rois barbares, autorisés à porter l'anneau d'or. Ils durent très probablement se contenter alors, comme dans leur pays d'origine et à l'instar des affranchis gallo-romains, de l'anneau d'argent. J'inclinerais aussi à penser que, durant la même période, l'affranchi germain ne porta pas exclusivement l'anneau d'argent, mais aussi des bagues en bronze ou en cuivre. Cela expliquerait la quantité considérable de bijoux de cette sorte qu'on a trouvés et que l'on recueille journellement dans les sépultures barbares du sud-ouest, du nord et de l'est de la Gaule, c'est-à-dire des régions qui furent les premières occupées d'une manière permanente par les peuplades germaines (1).
(1) Parmi les anneaux que j'ai étudiés et décrits, il y en a 99 en bronze ou en cuivre: la plupart ont été recueillis dans les fouilles archéologiques exécutées durant les trente dernières années. Jusque-là on avait négligé ou plutôt dédaigné de s'en occuper, à cause de la vileté du métal.Aujourd'hui que l'attention est éveillée sur leur importance, on les recherche et on les conserve soigneusemen; et il y a lien de prévoir que le nombre s'en accroîtra rapidement dans les collections publiques et privées
Après un certain temps, même assez court, lorsque les rapports des nouveaux venus avec les Gallo-Romains furent plus fréquents et plus intimes, il est à présumer que les usages concernant les anneaux devinrent graduellement communs aux uns et aux autres, et que, tout au moins à partir du milieu du VIe siècle, les anneaux d'or, d'argent et de bronze furent indifféremment portés par les affranchis de toute origine. L'emploi des bagues en bronze ou en cuivre dut surtout se généraliser à cause de leur prix modique, facilement accessible à tous; ce qui n'empêchait point qu'elles eussent pour résultat de distinguer les affranchis des esclaves, qui restèrent sans doute toujours réduits à la bague en fer.
§ 2.
DES MODES DE DECORATION DES ANNEAUX DANS LES PREMIERS SIECLES DU MOYEN AGE
Nous avons vu, à la fin du précédent chapitre, que, dès le commencement du IIIe siècle, les docteurs chrétiens condamnaient la représentation, sur les anneaux, de sujets licencieux ou empruntés à la mythologie et à l'histoire profane, et recommandaient d'y substituer des figures symboliques et mystérieuses se rapportant au Christ et à sa religion. Au IVe siècle, après la conversion de l'empereur Constantin, quand le christianisme eut conquis non seulement la sécurité, mais le patronage de l'autorité suprême, et que l'Église se fut organisée officiellement au grand jour, le nombre de ses adhérents s'accrut rapidement, et les images païennes ou voluptueuses firent place aux emblèmes de la foi nouvelle. C'est pourquoi on ne les rencontre guère plus, en Gaule, durant les derniers temps de l'Empire et sous les dynasties barbares : quand on en trouve sur les bagues de ces époques, ce sont toujours des intailles d'âge antérieur, employées comme chatons sur des bijoux de fabrication plus récente.Les figurations que nous offrent alors les anneaux sont, en grande partie, celles que, longtemps auparavant, Clément d'Alexandrie avait indiquées aux fidèles. Ainsi, l'on voit fréquemment (outre la croix), les clous du crucifiement et le chrisme, la colombe, le poisson (libre ou dans la nasse), le coq, le chandelier à sept branches, symbole religieux des Israélites, des reptileset autres animaux, réels ou fantastiques; des fruits, des palmettes ou trifolia; enfin des ornements de diverses espèces, et en particulier des cercles, avec des points ou des globules au centre.
CHAPITRE III.
DISPOSITIONS ET COUTUMES SPÉCIALES
TOUCHANT LE PORT DES ANNEAUX PAR LES FEMMES,
ET EN PARTICULIER
DES ANNEAUX DE FIANÇAILLES ET DE MARIAGE.
Nous allons d'abord exposer ce qui se rapporte à l'usage quotidien, par les femmes, des anneaux ordinaires; nous parlerons ensuite des anneaux de fiançailles ou de mariage. Quant à l'anneau dont l'emploi était confié aux femmes à l'interieur de la maison conjugale, et servant à marquer les objets qui en dépendaient, nous nous en occuperons dans le chapitre relatif aux anneaux sigillaires.
§ 1.
DE L'USAGE DES ANNEAUX ORDINAIRES PAR LES FEMMES.
1
Dans l'antiquité romaine.
Dans les premiers temps, alors que l'anneau était une distinction individuelle décernée à un citoyen par les magistrats, ni son épouse ni aucun membre de sa famille n'avait naturellement le droit de le porter; il en fut de même de l'anneau d'or que le patricien ambassadeur recevait en cette qualité spéciale et temporaire. Mais, quand l'usage des anneaux se fut généralisé, que la noblesse sénatoriale, puis tous les sénateurs, les chevaliers et diverses catégories de personnes, furent en possession de l'anneau d'or pendant que le reste de la population portait la bague en fer; lorsque enfin la différence du métal dépendit uniquement de la condition originelle, deux questions intéressantes se présentent à l'égard des femmes : 1° Les femmes mariées avaient-elles seules, dans la société romaine, le droit de porter des anneaux d'or, ou même des anneaux quelconques, à l'exclusion des filles? 2° Les femmes de toutes classes et de toutes conditions pouvaient-elles ou non se servir, à leur gré, d'anneaux d'or, d'argent, de bronze ou de fer? Sur le premier point, j'estime que les jeunes filles avaient, comme les femmes mariées, le droit de mettre des anneaux à leurs doigts. Sur le deuxième point, je pense que les femmes mariées, suivant exactement le rang et l'état de leur mari, se servaient d'anneaux de même nature que ceux-ci. Pour les filles, la question est plus difficile à résoudre : d'après les principes de la législation romaine, elles ne participaient point aux prérogatives de leur père; mais pourtant, on ne saurait guère admettre que, par exemple, la fille d'un plébéien eût la faculté d'exhiber des anneaux d'or, tandis que son père et sa mère ne pouvaient avoir que des bagues en fer. Il est probable que, à défaut de règle formelle, les convenances sociales et la coutume, qui, à Rome, avait presque la force d'une loi, prévenaient de telles confusions, et que les filles, comme les matrones, se conformaient, en cela, au régime auquel le chef de la famille était soumis.
II
L'usage des anneaux ordinaires par les femmes
dans les premiers siècles du moyen âge.
La situation que nous venons de définir resta la même après
l'avènement de Constantin le Grand, jusqu'aux grandes invasions
du ve siècle et à la formation des États barbares en Occident. A la suite de ces derniers événements, il se passa, à l'égard
des femmes et des filles des Gallo-Romains et des hommes
d'origine germanique, un fait analogue à ce qui eut lieu pour
ceux-ci. Dès le milieu du VIe siècle, au plus tard, le régime
résumé par Isidore de Séville dut s'appliquer indistinctement
aux personnes des deux races : les femmes libres de naissance
portèrent l'anneau d'or; les affranchies, des anneaux d'argent
ou de bronze, et les femmes de condition servile, la bague en fer.
Le savant conservateur du Musée archéologique de Mayence,
M. Lindenschmit, pense qu'à l'époque barbare les anneaux
étaient d'un usage assez rare chez les hommes, et que presque
tous les bijoux de cette sorte recueillis dans les sépultures
gallo-franques ont dû appartenir à des femmes.
Cette manière de voir, basée sur un nombre restreint d'anneaux
parvenus à la connaissance de l'éminent archéologue,
n'est pas en rapport avec ce que nous savons aujourd'hui.
Parmi les bagues que j'ai décrites, celles qui portent des
inscriptions m'ont fourni 30 noms d'homme de lecture certaine,
contre 28 noms de femme également certains; il y a, à la vérité,
36 noms de femme discutables, contre un nombre beaucoup
moindre de vocables masculins également discutables. Mais on
voit que, dans l'état actuel de nos connaissances (que les découvertes
futures ne peuvent d'ailleurs manquer de modifier),
l'assertion de M. Lindenschmit ne saurait être admise comme
exacte.
Je passe à l'étude des anneaux de fiançailles et de mariage.
§ 2.
DES ANNEAUX DE FIANÇAILLES ET DE MARIAGE.
1
Dans l'antiquité romaine
La coutume suivant laquelle le fiancé envoyait à sa fiancée un anneau, comme gage de la promesse de mariage, remontait très haut chez les Romains : elle est mentionnée dans Plaute (1), au IIC siècle avant notre ère; mais elle était assurément pratiquée depuis une date beaucoup plus reculée. Quand l'usage des anneaux se fut répandu, la bague en fer étant encore la seule dont on se servît, l'anneau de fiançailles, anulus pronubus ou sponsalitius, était naturellement de ce métal. A une époque relativement récente, alors que les sénateurs, les chevaliers romains et diverses catégories de citoyens avaient depuis longtemps des anneaux d'or, Pline (t 79 J.-C.) nous apprend que la bague de fiançailles continuait d'être en fer et dénuée de pierres précieuses. Il faut voir là une de ces vieilles traditions qui se perpétuaient et auxquelles personne n'osait se soustraire. Mais, plus tard, elle fut fréquemment enfreinte, voire même abandonnée, et les fiancées (naturellement dans les classes élevées de la population (2) reçurent communément des bagues en or.
(1) Miles gloriosus, IV, I, 11.
(2) Celles où les chefs de famille avaient l'anneau d'or.
Tertullien, s'élevant contre l'abus que les femmes faisaient de cet ornement, rappelle que, d'après les sages règles
des ancêtres, la femme n'avait d'autre anneau d'or que celui qui
lui avait été donné par son fiancé.
Il résulte de ces rapprochements que l'usage d'envoyer à la
fiancée, non plus une bague en fer, comme au temps de Pline,
mais un anneau d'or, usage déjà ancien au temps de Tertullien,
remontait au moins alors à un demi-siècle, et dut s'établir dans
la seconde moitié du IIe siècle.
Quand tous les hommes libres de naissance furent en possession
de l'anneau d'or, que les affranchis portèrent des anneaux
d'argent, à la différence des esclaves, qui se servaient
toujours de la bague en fer, les anneaux de fiançailles durent
être respectivement du même métal pour les trois catégories
de personnes.
Souvent, après le mariage, l'époux faisait présent d'autres
anneaux à sa femme, selon sa condition et ses ressources. Il paraît
même que, parfois, il remplaçait l'anulas pronubus par une autre
bague, car le cas est prévu par le législateur romain.
II
Les anneaux de fiançailles et de mariage
dans les premiers siècles du moyen âge.
Depuis la conversion de Constantin au christianisme jusqu'aux invasions germaniques du Ve siècle, l'usage de l'anneau de fiançailles fut pratiqué en Gaule, comme il l'avait; à la fin du Haut-Empire. Mais, dans la période suivante, il faut distinguer la situation des nouveaux habitants de celle des indigènes. Pour ceux-ci, rien ne fut changé, puisqu'ils continuèrent d'être régis par les lois et les coutumes romaines. Nous avons seulement à rechercher ce qui se passa relativement aux autres, qui obéissaient à leurs lois et à leurs coutumes nationales. Après avoir constaté que, dans plusieurs récits légendaires de la vieille Allemagne, on ne voit pas figurer d'anneaux de fiançailles ou de mariage, J. Grimm fait cette réflexion que « ce n'était pas un usage proprement germanique, et qu'il ne se serait introduit qu'avec le christianisme ». Une loi des Visigoths (peuple d'origine germaine) consacra, il est vrai, l'inviolabilité de la promesse de mariage faite devant témoins et accompagnée de la remise et de l'acceptation de l'annulus pronubus. Il y a aussi une loi des Lombards conçue dans le même sens. Mais ces deux lois ont été édictées, la première par un des rois visigoths d'Espagne, Chindasswinthe, qui régna de 642 à 653; la seconde, par le roi des Lombards Luitprand, dont le règne en Italie se place en 712. Il n'y a donc rien à en induire à l'encontre de l'observation de Grimm. Mais il en résulte que les populations germaines, avant de pénétrer en Gaule, se servaient, ainsi que les Romains (peut-être à leur exemple), d'anneaux comme symbole de la promesse d'union et aussi comme anneaux de mariage. A plus forte raison, quand elles furent établies sur notre territoire, durent-elles pratiquer cette coutume de même que les Gallo-Romains. Le pape Nicolas Ier (858-867), dans ses réponses à une consultation des Bulgares, en parle comme d'un usage commun à toute la population et reconnu par l'Église. Le don et l'acceptation de l'anneau de fiançailles avaient une valeur légale incontestable; mais ils ne suffisaient pas pour constituer le contrat des sponsalia : il fallait qu'ils fussent précédés d'un engagement verbal ou écrit, exprimé devant témoins, soit par les fiancés en personne, soit par leurs parentes ou même par des proches, propinqui, suivant les termes de la loi visigothe (1).
(1) En l'absence de cet engagement exprimé devant témoins, l'anneau n'avait que la valeur d'une présomption.
Ces deux conditions remplies, le contrat de fiançailles était
formé et ne pouvait être résolu que par la volonté concordante
des deux parties; et si l'une d'elles s'y refusait, il devait néanmoins
recevoir son exécution. La loi précitée est formelle à
cet égard : « Si l'autre partie, est-il dit, ne consent pas à la
rétractation de l'engagement, la cérémonie nuptiale qui doit
les unir sera accomplie conformément aux lois, secundum legum
ordinem. »
Les anneaux des premiers siècles du moyen âge sur lesquels
on lit à la fois un nom d'homme et un nom de femme doivent
être, le plus souvent, considérés comme des anneaux de fiançailles,
ou comme ayant été donnés au moment et à l'occasion
du mariage par l'un des deux époux à son conjoint. Mais il est
presque toujours impossible de dire celle de ces deux catégories
dans laquelle il faut les ranger.
Parmi les bagues de ce genre et de cette époque que j'ai
décrites, il y en a quatre portant deux noms, et au sujet desquelles
je reste incertain; une autre qui a été donnée assurément
par le mari à son épouse Técla; une sixième, qui n'a
qu'un nom et qui est le présent de la fiancée ou de l'épouse;
enfin un anneau où sont inscrits deux noms, et qui, je crois,
représente une scène entre un guerrier et une devineresse. En tout cas, rien ne prouve que les bijoux de cette sorte,
donnés ainsi au moment ou à l'occasion du mariage, eussent le
caractère très défini, très particulier, de l'anneau nuptial proprement
dit, de celui qui, à l'heure de la célébration du mariage
suivant les rites chrétiens, était béni par le prêtre officiant,
et remis, soit par lui directement à l'épousée, soit au mari, qui
le passait au doigt de celle-ci.
Le haut moyen âge ne nous fournit point de documents de
nature à nous éclairer sur ce point. Il faut descendre, pour en
trouver, à la période féodale et aux vieux écrivains ecclésiastiques;
et bien qu'ils n'aient pas, tant s'en faut, la valeur
qu'auraient eu des monuments de l'époque même qui nous
occupe, ils présentent encore un réel intérêt si l'on considère
le caractère de persistance, presque de pérennité, des institutions
et des rites de l'Eglise.
Aussi croyons-nous utile de donner ici quelques notions essentielles
que nous leur empruntons.
En ce qui touche la signification attachée à l'anneau nuptial,
c'est, d'après Guill. Duranti (+ 1296), le signe de la mutuelle
affection des deux futurs époux, ou plutôt le gage et le symbole
de l'union de leurs coeurs.
Quant au métal de ce bijou, nous savons qu'il était généralement,
du moins au XIIIe siècle, en or et orné de pierres précieuses. Mais, un peu plus tard, le métal a varié suivant les
diocèses ; car, tandis qu'il était en or dans le diocèse de Limoges, il était en argent dans ceux d'Auxerre, de Lyon et de Paris,
ajoutons que, dans ce dernier diocèse, l'anneau devait être
simple et dépourvu de gemme et de toute inscription ou figuration
quelconque.
Relativement aux préliminaires de la bénédiction de l'anneau
et au cérémonial de cette bénédiction, nous relevons dans
Martène les faits qui suivent :
dans le diocèse d'Auxerre, les futurs époux se présentaient
aux portes de l'église; le prêtre venait vers eux, vêtu de l'aube,
de l'étole et du manipule; il bénissait l'anneau, l'aspergeait
d'eau bénite et l'encensait; les futurs étaient aussi encenses.
A Lyon, l'officiant bénissait l'anneau posé sur un bassin ou
plateau.
Dans l'abbaye de Saint-Victor, la bénédiction de l'anneau
était précédée de la lecture du dotalitium (donation propter
nuptias) ou constitution de douaire pour la future épouse, et
l'anneau, béni par l'officiant, était placé, non pas sur un plateau,
mais sur le livre (super librum), sans doute les saints Évangiles. On procédait de même à Châlons-sur-Marne.
Le rituel d'Evreux nous révèle une coutume superstitieuse
pratiquée dans ce diocèse. Au moment où le futur époux
remettait l'anneau à la future, celle-ci, pour conjurer les maléfices, le laissait tomber à terre. Le rituel condamne cet usage,
et ordonne à l'officiant de chasser de l'église ceux qui le pratiquent
.
CHAPITRE IV.
DISPOSITIONS ET COUTUMES SPÉCIALES
CONCERNANT LES ANNEAUX DE PRÊTRES PAÏENS, DES ÉVÊQUES CHRÉTIENS,
D'ABBÉS, D'ABBESSES ET DE SIMPLES RELIGIEUSES
§ 1.
LES ANNEAUX DE PRÊTRES PAÏENS
Parmi les flamines, ou prêtres des divinités particulières, institués
à Rome auprès du pontifex maximus, les flamines Diales,
spécialement consacrés au culte de Jupiter, étaient l'objet d'une
vénération toute spéciale : leur charge était regardée comme
une grande dignité et donnait droit à un siège au sénat.
Ils avaient pour marques extérieures de leur dignité un
licteur, la toge prétexte et la chaise curule.
Ainsi assimilés aux sénateurs, les flamines Diales avaient,
comme eux, l'anneau d'or, mais sous cette réserve que l'anneau devait être, non point massif, solidus mais creux, cossus, et
ajouré, pervius.
Il n'est peut-être pas sans intérêt d'établir un rapprochement
entre l'anneau d'or des prêtres de Jupiter et celui que les
évêques chrétiens recevaient au moment de leur consécration.
Ne pourrait-on pas, sans témérité, supposer qu'en cela, comme
en beaucoup d'autres choses, l'Église chrétienne aurait emprunté
et sanctifié un des rites du paganisme, auquel elle se
substituait?
Les évêques eurent, probablement de bonne heure, un anneau qui leur était remis avec le bâton pastoral au moment de leur entrée en dignité. Nous n'en connaissons pourtant pas de preuve directe et décisive avant les premières années du VIIe siècle. Presque tous les témoignages qu'on a invoqués relativement aux époques antérieures ne sont pas, à mon sens, suffisamment probants. Il en résulte seulement que les prélats auxquels ils se rapportent étaient en possession d'un anneau. Mais ils avaient cela de commun avec les laïques et principalement avec les personnes de condition élevée. Il existe toutefois un document d'où l'on pourrait induire, avec une certaine vraisemblance, que, dès le commencement du vie siècle au plus tard, il y avait un anneau épiscopal, dont le prélat aurait été muni suivant les rites de l'Eglise; c'est une lettre circulaire adressée en 511 par Clovis Ier, à la suite de la victoire de Vouglé sur les Visigoths (507), aux évêques des nombreuses cités que cette victoire avait mises en sa puissance. Le roi franc leur fait connaître qu'il remettra en liberté tous ceux, clercs ou laïques, alors retenus prisonniers, en faveur desquels ils lui enverraient des lettres d'intercession au bas desquelles serait l'empreinte de leur anneau, de annulo vestro infra signatas. Ces expressions impliquent bien que tous les évêques étaient alors en possession d'un anneau. Mais était-ce là un anneau épiscopal, conforme à une règle établie, et reçu par l'évêque au moment de sa consécration ? Il me paraît qu'une réponse affirmative ne serait pas suffisamment autorisée. Je reconnais toutefois que cette opinion, adoptée, sans hésitation , par de savants écrivains, est très plausible à certains égards, surtout si l'on considère la probabilité (que j'ai notée dans les premières lignes du présent paragraphe) de la grande ancienneté de cette partie du rite chrétien, et le rapprochement qu'on en peut faire avec le port de l'anneau d'or par des prêtres païens, les flamines Diales, prêtres de Jupiter. Néanmoins, j'estime que la circulaire de Clovis fait allusion, non pas à des anneaux épiscopaux, mais à des anneaux sigillaires tels que ceux qui sont décrits dans des lettres de saint Augustin et de l'archevêque de Vienne Avitus (1), ou celui que l'archevéque de Reims Ebbon avait reçu de l'impératrice Judith,mère de Charles le Chauve, à l'occasion de la naissance de ce prince, et qui lui servait de sauvegarde dans les circonstances critiques.
(1) Dépossédé de son siège et en butte
aux persécutions, Ebbon envoya cet anneau
à Judith, en implorant sa protection.
Il faut donc, comme je l'ai dit plus haut, descendre au comencement du VIIe siècle pour trouver la mention
formelle de
l'anneau épiscopal proprement
dit. Elle se
renconitre : 1°
dans
Isidore de Séville, qui fut archevêque de cette métropole de 601
à 636, et qui parle de l'anneau comme d'un des insignes canoniques de l'épiscopat; 2°dans un décret du pape Boniface lV
promulgué dans le troisième concile de Rome de 610, où il est fait mention de l'annulus pontificalis; 3° dans un canon du
quatrième concile de Tolède, du mois de décembre 633, poutant que, si un évêque injustement déposé est rétabli dans sa
dignité, il ne reprendra l'exercice de son ministère qu'après
avoir été de nouveau revêtu, par la main des évêques, des ornements
et des insignes épiscopaux, savoir : l'étole, l'anneau et
le bâton pastoral .
Ces documents impliquent l'existence d'une règle en vigueur
depuis un temps indéterminé et peut-être reculé.
En 867, l'archevêque de Reims, Ebbon, qui avait été dépossédé
de son siège, y ayant été rétabli, Charles le Chauve adressa
au pape Nicolas Ier une lettre insérée dans les Actes du concile
de Troyes de ladite année, et dans laquelle il expose que les
évêques suffragants de cette métropole qui avaient été ordonnés
en l'absence d'Ebbon reçurent de lui, avec des écrits de confirmation,
des anneaux et des crosses. La lettre du souverain
ajoute que les choses s'étaient ainsi passées conformément à la
coutume des églises de la Gaule.
Quant au métal et à la forme de l'anneau épiscopal, d'après
une décision synodale de Milan, il était d'or pur, massif, orné
d'une pierre précieuse, sur laquelle il ne devait y avoir aucune
gravure, c'est-à-dire ni inscription ni représentation quelconque. Isidore de Séville nous apprend qu'il était généralement de
grande dimension.
Enfin, à une époque moins reculée, le pape Innocent III
(1198), dans son livre de Sancto altaris mysterio et, après lui,
Guillaume Duranti , dans son Rationale divinorum officiorum déjà cité, disent que l'anneau pontifical était de forme
ronde.
Relativement au cérémonial de la remise de l'anneau au
moment de la consécration de l'évéque, et du retrait qu'on en
faisait en cas de déposition, voici quelques renseignements intéressants :
Le prélat consécrateur aspergeait d'abord l'anneau d'eau
bénite, et puis, assis, seul, coiffé de la mitre, il le passait au
quatrième doigt de la main droite du prélat en lui disant :
"Reçois cet anneau comme signe de foi ,accipe annulum, fidei
scilicet signaculum ".
Le concile de Nîmes de 886 nous fait connaitre qu'à la
suite et en exécution de la sentence de déposition de deux
évêques, dont l'un s'était fait consacrer sans l'assentiment de
son métropolitain, leurs vêtements sacerdotaux furent déchires, leurs crosses brisées sur leurs têtes, et leurs anneaux ignominieusement
arrachés de leurs doigts.
On a vu d'abord dans l'anneau épiscopal, en même temps
que le signe de la dignité, celui de la réserve que le prélat est
tenu d'observer touchant les mystères de la religion. Isidore de
Séville le définit: « Signum pontificalis honoris vel signaculum secretorum »; car, ajoute-t-il, il y a beaucoup de choses que les
prêtres gardent sous le sceau, sub signaculo. Et Hincmar (845) :
« L'anneau de l'évêque lui rappelle qu'il doit tenir les mystères
divins cachés pour ceux de ses auditeurs qui n'ont pas à les
connaître, et les dévoiler à ceux qui peuvent en recevoir sans
inconvénient la révélation. »
Plus tard, l'anneau épiscopal fut considéré comme un symbole
de l'union mystique du prélat avec l'église à laquelle il
était consacré, et dont il devenait le pasteur. L'auteur anonyme
du Speculum Ecclesiae exprime ainsi cette pensée : « Episcopus
debet habere annulum quia sponsus est. » L'évêque était à ce point lié à son église, et son église était à ce point assimilée
à une épouse, qu'il était tenu pour coupable d'adultère quand
il la quittait pour passer à une autre, et frappé de la même
peine que l'homme qui abandonne son épouse pour une autre
femme.
Les anneaux ordinaires étant souvent conformes à ce qui
est dit plus haut de l'anneau épiscopal, il est difficile de distinguer
celui-ci de ceux-là. La seule circonstance qui soit de
nature à procurer sinon une certitude absolue, du moins une
sérieuse présomption à cet égard, c'est la présence constatée
du bijou dans une sépulture d'évêque.
Tel est le cas pour deux anneaux recueillis, au XVIIe siècle,
l' un dans le sarcophage d'Agilbert, évêque de Paris vers 670,
l'autre dans la tombe d'Ebrégisile, évêque de Meaux au
VIle siècle. D'après les descriptions qu'on a données de ces
anneaux, depuis longtemps disparus, ils étaient en or; sur le
chaton du premier, formé d'une grosse agate, saint Jérôme
était représenté devant un crucifix, se frappant la poitrine avec
une pierre; le jonc était décoré de riches émaux. L'anneau
d'Ebrégisile était orné d'une gemme, sur laquelle était figuré
saint Paul ermite, à genoux devant un crucifix, un corbeau
perché sur sa tête. On voit que, sur deux points, ces bijoux sont conformes aux
prescriptions ci-dessus notées; mais ils avaient l'un et l'autre
une gravure, ce qui était interdit, d'après la décision synodale
de Milan citée plus haut; d'où il faut conclure que cette interdiction
était de date postérieure au VIIe siècle.
Disons, en terminant ce paragraphe, que les simples prêtres
ou clercs ayant reçu les ordres, à la différence des évêques et
des abbés mitrés, n'ont jamais eu l'anneau, parce que, suivant
les termes d'un vieil auteur ecclésiastique, ils n'étaient point,
comme les évêques, les époux de l'Eglise, mais seulement
leurs amis ou lieutenants.
§ 3.
ANNEAUX D'ABBES ET D'ABBESSES DE MONASTERES PRIVILEGIES
Les abbés qui gouvernaient de grands monastères ou qui avaient rendu à l'Eglise des services signalés furent quelquefois autorisés par le Saint-Siège à revêtir, dans les cérémonies du culte, des ornements pontificaux, et notamment à porter l'anneau épiscopal. Ce sont ceux qu'on a appelés abbés mitrés. C'était parfois le monastère lui-même qui obtenait ce privilège, dont jouissaient indéfiniment les religieux placés à leur tête. Mais c'étaient là des faveurs exceptionnelles, assez rarement concédées à l'époque qui nous occupe, et en dehors desquelles il était rigoureusement interdit aux abbés de porter l'anneau. Ces concessions paraissent même avoir été vues de mauvais oeil par l'épiscopat, et les impétrants, taxés rn certains cas d'orgueil et d'indiscipline. Elles se multiplièrent au cours du moyen âge; ce n'est toutefois qu'au XVe siècle que, pour l'anneau et la mitre, des rites analogues à ceux de la consécration épiscopale furent appliqués aux abbés. Le seul anneau qui m'ait semblé pouvoir être attribué à un abbé, est un anneau d'argent décoré de deux chatons, portant, l'un le nom de Leubacius, et l'autre l'invocation : In Dei nomine. Quand j'ai décrit cet intéressant monument, je me suis demandé s'il convenait d'identifier son propriétaire avec Leobatius (saint Leubasse), qui, d'après le témoignage de Grégoire de Tours, fut le premier abbé d'un monastère fondé, au VIe siècle, dans un endroit de la Touraine appelé Senaparia, aujourd'hui Sennevières (Indre-et-Loire ). Je suis, en général, peu disposé à admettre des rapprochements de ce genre Mais ici il y a ce fait remarquable que l'anneau a été trouvé en Touraine, et que la date approximative de la fabrication de cet objet s'accorde bien avec celle où saint Leubasse fut placé par l'évêque saint Ursin à la tête du monastère de Sennevières ; signalons aussi l'invocation religieuse In Dei nomine, qui devait être particulièrement usitée sur les bijoux des dignitaires de l'Église. Ces circonstances réunies sont de nature à faire regarder comme assez probable l'identité de saint Leubasse avec le Leubacius de notre anneau. Mais, puisque nous ne trouvons qu'au VIle siècle la preuve certaine de l'emploi de l'anneau épiscopal proprement dit, la bague dont il s'agit, fabriquée au vie siècle, n'aurait probablement pas le caractère canonique, et serait une simple bague sigillaire dudit abbé. Les abbesses, ou plutôt quelques-unes d'entre elles, recevaient aussi l'anneau abbatial au moment de leur consécration. Mais cela avait lieu sans aucun doute, comme pour les abbés, à la suite d'une concession individuelle, et plus souvent peut-être en vertu d'un privilège attribué à leur monastère.
§ 4.
ANNEAUX REMIS AUX SIMPLES RELIGIEUSES AU MOMENT DE LEUR CONSÉCRATION
D'après un pontifical romain qui règle le cérémonial de la prise de voile d'une vierge dans un monastère, l'officiant, au moment de la consécration, passait un anneau au quatrième doigt de sa main droite, et prononçait les paroles suivantes : « Je t'unis à Jésus-Christ, fils du Père tout-puissant, qui te préserve du mal! Reçois donc l'anneau de la foi, signe de l'Esprit Saint, afin que tu sois appelée épouse de Dieu », etc. La pratique attestée et réglée par ce pontifical remonte vraisemblablement aux premiers siècles de l'Église, car saint Ambroise (+397), dans son sermon sur le martyre de sainte Agnès, attribue à celle-ci des paroles d'où l'on peut inférer qu'au temps de l'illustre docteur les vierges qui se vouaient à Dieu recevaient du consécrateur un anneau symbolisant cette union mystique.
CHAPITRE V.
DES ANNEAUX SIGILLAIRES.
§ 1.
DANS L'ANTIQUITÉ ROMAINE.
Origine et importance de l'anneau sigillaire chez les Romains. — Deux espècesd'anneaux
sigillaires: les uns destinés à revêtir de leur empreinte les actes et la correspondance;
les autres, à marquer les objets de toutes sortes appartenant à la maison.
Modes de décoration de ces bijoux.
Un savant du XVIe siècle, Abraham Gorlaeus, dans une
curieuse étude sur l'origine des anneaux, a exprimé la pensée
qu'ils furent d'abord imaginés et employés comme ornements, et que c'est seulement par la suite des temps qu'ils servirent
à la signature. Mais son opinion, qui n'est appuyée d'aucune
autorité, n'a été partagée par aucun des auteurs venus après
lui, et elle est, de plus, en contradiction avec ce que nous
apprennent les Anciens.
Suivant le témoignage d'Atéius Capito, rapporté par Macrobe, et d'après la plupart des écrivains qui se sont occupés
de ce sujet, les anneaux ne furent point, dans le principe, de
simples objets de toilette; ils eurent pour première destination
l'apposition du seing, signum, sur les actes, la correspondance, etc. Cette manière de voir est d'autant plus fondée,
que les peuples de qui les Romains tenaient directement ou
indirectement la connaissance des anneaux les employaient
de cette façon.
Lorsque l'usage de ces bijoux se fut répandu, on distingua
celui qui servait à « signer » ou à « sceller », par le qualificatif
signatorills ou sigillaricius.
Cet anneau eut toujours à Rome une très grande importance,
car il imprimait le caractère d'authenticité aux actes les plus graves de la vie : aux fiançailles, aux tables de mariage,
aux testaments; et, s'il ne suffisait pas pour faire, à lui seull,
une institution d'héritier, il ajoutait une force incontestable à
un acte écrit dans ce sens. On l'imprimait, en outre, sur les
choses précieuses dont on faisait un envoi, ou que l'on voulait
cacher aux yeux des personnes étrangères à la famille. On en
marquait aussi les vivres, les boissons et les clefs elles-êmes.
L'anneau de fiançailles, suivant Clément d'Alexandrie, avait
aussi cette destination et devenait, par suite, un anneau similaire
: « Il n'était pas, dit-il, donné comme ornement, mais pour
servir à marquer ce qui était dans la demeure conjugale. »
Et cet usage domestique fait comprendre pourquoi l'anneau
sigillaire était souvent confié par les chefs de famille à la garde
de leurs épouses. Le père le léguait parfois, ou même le remettait
avant de mourir, à sa fille aînée ou bien en même temps
à sa femme et à sa fille, ainsi que le fit l'empereur Aurélien, et
l'historien ajoute « comme s'il avait été un simple particulieri,
quasi privatus d'où il appert que c'était là une pratique habituelle. Les Romains, et principalement les hauts personnages,
avaient l'habitude de porter sur eux l'anulus signatorius : « Ils
avaient même, dit Kornmann, plusieurs anneaux de cette sorte.
Les uns servaient à signer les lettres et les actes publics, et
les autres, que l'on gardait au doigt constamment, servaient
spécialement à apposer l'empreinte sur les coffres renfermant les
écrits les plus secrets, les gemmes, l'argent monnayé et les
autres objets précieux . »
Il me paraît aussi que, dans les maisons opulentes ou même
possédant seulement de l'aisance, il devait y avoir, outre les
anneaux portés par le chef de famille, un anneau sigillaire,
un signaculum, qui servait exclusivement aux usages domestiques
les plus vulgaires.
On comprendrait, en effet, difficilement que le maître du
logis se fût réservé des soins de l'ordre le plus subalterne, tels
que celui de marquer du signaculum les coffres, les denrées ou
récipients de denrées et objets de consommation journalière;
soins auxquels, le plus souvent, il aurait été dans l'impossibilité
de vaquer, à supposer qu'il le voulût.
Les empereurs adoptaient, en prenant la couronne, un
signaculum dont ils se servaient durant tout ou partie de leur
règne. Et, en cela, ils étaient imités par tous les citoyens d'un
rang élevé.
Nous avons vu plus haut, à propos de la décoration des anneaux ordinaires, que les coutumes avaient subi, à la fin
du IIe siècle et durant leIII°, une réforme considérable.
Les représentations profanes furent abandonnées par les
familles chrétiennes; quant à celles qui devaient les remplacer,
Clément d'Alexandrie recommandait aux fidèles une grande
prudence :
« S'ils adoptaient, dit-il, le signe de la croix ou la représentation
d'un des mystères du christianisme, ils risqueraient de
se trahir (on était encore en un temps de persécution). Si, au
contraire, leur signum portait des images idolâtres ou des sujets
profanes et voluptueux, ils seraient en danger de pécher contre
la religion. » C'est pourquoi il les exhortait à employer des figures
allégoriques et des emblèmes convenus de la personne
du Christ: une colombe, un poisson, un navire voguant à
pleines voiles, une lyre, une ancre de vaisseau.
A la vérité, l'illustre docteur s'adressait à d'autres populations
que celles de l'Occident, et son témoignage semblerait
ne devoir être invoqué qu'avec réserve; mais, sur le point
spécial qui nous occupe, il a d'autant plus de valeur que nous
retrouverons les emblèmes ci-dessus indiqués sur un assez
grand nombre de bagues des premiers siècles du moyen âge.
Je n'ai point parlé, dans ce paragraphe, d'une sorte d'anneau-cachet,
tel que nous en rencontrerons durant la période subséquente,
et dont se servaient notamment les médecins pharmacopoles
pour marquer de leur nom les remèdes qu'ils préparaient et
livraient à leurs clients. C'est que je n'en connais pas d'exemple
antérieur à la période barbare.
Les cachets d'oculistes romains, qu'on a recueillis en si
grande quantité, n'ont point de rapport avec les anneaux sigillaires, et je n'ai pas eu à m'en occuper dans le présent mémoire (
1).
(1) Ces cachets sont, en effet, des plaquettes en serpentine, en stralite ou en schiste ardoisier, en forme de prisme rectangulaire, sur les tranches desquelles sont gravés le nom de l'oculiste et, au-dessous, le nom du collyre et son usage.
§ 2.
LES ANNEAUX SIGILLAIRES DANS LES PREMIERS SIÈCLES DU MOYEN ÂGE
(312-752).
Les matrones ont, comme les chefs de famille, des anneaux sigillaires. — Anneaux sigillaires de rois, de reines et de différents personnages. — Deux sortes d'anneaux sigillaires: les uns destinés à sceller les actes et la correspondance ; les autres servant notamment aux médecins pharmacopoles pour signer les remèdes par eux préparés. — Signes distinctifs des anneaux sigillaires: inscriptions, emblèmes, ornements divers.
Après la conversion de l'empereur Constantin au christianisme (312), chaque progrès de la religion nouvelle marqua un progrès dans la double réforme indiquée à la fin du paragraphe précédent. Les anneaux de luxe devinrent de plus en plus rares, et, sur les bagues sigillaires, seules permises aux fidèles, les représentations païennes ou immodestes firent place aux symboles chrétiens. Mais un fait encore plus important allait se produire. Dans la société romaine, la puissance du père de famille était absolue, et l'épouse, de même que les fils, lui étaient entièrement subordonnés. Il n'y avait qu'un signaculum, celui du chef de la famille, qui le confiait à la garde de sa femme ou de sa fille aînée, ou leur en remettait un double. Le christianisme, tout en commandant à la femme l'obéissance envers son mari, releva et ennoblit sa condition : sa personnalité ne fut plus, comme par le passé, absorbée par celle du chef de la maison. Et quand survinrent les invasions germaniques et l'établissement des monarchies occidentales, le contact de ces nouveaux éléments activa encore ce travail d'affranchissement de la femme. Point n'est besoin de rappeler le respect des Germains pour les femmes, l'influence qu'elles exerçaient, le rôle plein de dignité qui leur était dévolu et les mettait sur le pied d'égalité avec leurs époux, et, suivant l'expression de Tacite, « faisait des deux êtres unis un seul être, et de leurs deux existences une seule vie». Aussi la législation des Francs protégeait-t-elle la vie des femmes libres de naissance par le triple wergeld, c'est-à- dire par le taux le plus élevé des compositions or. Chaque femme, dans toutes les classes de la population, eut alors le droit d'avoir un signaculum particulier, et cela explique la quantité assez considérable d'anneaux sigillaires recueillie dans les sépultures féminines de l'époque barbare. Le premier et le plus célèbre des anneaux sigillaires de cette époque est celui du roi des Francs Childéric Ier. Ce précieux bijou en or massif, après avoir appartenu pendant deux siècles au Cabinet du roi de France, puis au Cabinet des médailles de la Bibliothèque royale, fut dérobé en 1831 et n'a pas été retrouvé; il portait, autour de l'effigie du prince, la légende : Childericus rex Francoram . Un deuxième anneau royal ne nous est connu que par une légende du vue siècle : c'est celui que Clovis Ier aurait confié à un certain Aurélianus, chargé de le remettre en secret à Clotilde, et que celle-ci aurait en effet reçu comme gage d'alliance et à titre d'anneau de fiançailles. On rencontre d'assez fréquentes mentions de l'anneau sigillaire des princes de la dynastie mérovingienne, dont l'empreinte était apposée au bas de leurs diplômes (1).
(1) Il n'est pas sans intérêt de noter ici que les ducs souverains de Bavière avaient, comme les rois, un anneau sigillaire, dont ils apposaient l'empreinte au bas de leurs ordonnances, et sur le vu duquel leurs sujets étaient tenus d'obéir, sous peine d'une amende. Telle est la disposition du titre II, chapitreXIII, de la Lex Bajuvariorum, édictée au VIIe siècle par le roi franc Dagobert 1er.
Ces actes étaient souvent aussi souscrits par un haut fonctionnaire
chargé de la garde de l'anneau en même temps
que du sceau royal, et qui avait le titre de referendarius, ou était qualifié par les termes significatifs de gerulas annuli regalis.
Quant aux anneaux sigillaires de reines, s'il fallait en croire
la légende rédigée par Frédégaire au VIIe siecle, et reproduite
plus haut, Clotilde, la future épouse de Clovis I, lui aurait
envoyé son propre anneau (anulum meam) en échange de celui
qu'elle recevait du roi franc comme gage de fiançailles.
L'anneau-cachet de la reine Berteldis, une des femmes de
Dagobert Ier, est le seul qui soit parvenu jusqu'à nous.
Il existe, par contre, quelques diplômes où figurèrent des
reines, et où il est parlé de leurs signacula, lesquels étaient peut-être
des anneaux-cachets, mais pouvaient aussi être de simples
cachets séparés de tout anneau, que leurs possesseurs ne portaient
pas à leur doigt, et dont ils ne se servaient que d'une
façon intermittente. Une grande partie des anneaux de la fin du Bas-Empire et
de l'époque barbare que j'ai publiés sont des anneaux sigillaires,
et plusieurs d'entre eux ont certainement appartenu à
des femmes de haute condition, comme on le verra dans la
suite du présent paragraphe.
Il y avait, indépendamment des espèces d'anneaux dont nous venons de parler, ceux que je nommerai professionnels
et à l'aide desquels, notamment, les médecins pharmacopoles
signaient de leur nom les médicaments qu'ils avaient préparés et qu'ils livraient à leurs clients.
De ces derniers, qui étaient naturellement en petit nombre,
nous n'avons qu'un seul exemple certain, celui d'un certain Donobertus,
dont l'anneau d'or, décoré d'une cornaline antique,
portait le nom en légende circulaire, avec l'attestation que le
médicament était son oeuvre.
Un deuxième exemple, mais moins certain, est celui d'une
bague en argent sur laquelle sont gravés ces deux mots: Rusticus fecit; ce qui me semble être un cas analogue, sinon semblable,
à celui de Donobertus.
Les anneaux sigillaires d'usage commun affectent des formes
diverses. Il y en a (et ce sont les mieux caractérisés) où l'on voit, à la
fois, l'effigie, le nom du possesseur et les initiales de signum ou
de signaculum. J'en ai décrit deux de ce genre : celui de Técla et celui
d'Abbon.
Sur d'autres anneaux, les initiales de signaculum sont absentes,
et néanmoins ils ont le caractère sigillaire, parce qu'ils
offrent l'effigie et le nom du possesseur. Tels sont les anneaux
du roi Childéric Ier, d'Antoninus, de Hunila (tête de femme
ceinte d'un diadème), et d'un personnage dont l'effigie est entourée
de caractères représentant son nom, mais que je n'ai pu
expliquer.
Il faut aussi, je crois, d'après ce qui se passait sous le Haut-
Empire, considérer généralement comme sigillaires les bagues
ornées d'une effigie, alors même qu'elles ne sont pas accompagnées
d'un nom. Tel est le cas de trois monuments, dans l'un
desquels est représenté un personnage à cheval ; dans le deuxième, une tête casquéeet dans le troisième, une figure
sans signe particulier.
Sur un quatrième anneau, on voit l'effigie d'un personnage
à longue chevelure, avec les initiales S. R., qu'on a interprétées
par Sigebertus Rex, mais qui, à mon sens, ne sont que les initiales
de S(ignum) et d'un nom propre tel que Rotbertus ou
Raduljus.
C'est également ainsi qu'il faut entendre, je crois, les
lettres S. L. gravées sur une autre bague à effigie.
J'ai publié trois anneaux dont les chatons nous offrent, sans
effigie, un nom, avec les initiales du signaculum; ce sont ceux de
Roccola, de Benignus et de Airinsus.
Sur beaucoup de bagues par moi décrites, le nom seul est
inscrit en entier ou sous la forme de monogramme. Mais il
est, ce me semble, difficile néanmoins de douter de leur destination
et de leur caractère sigillaire. Le testament d'Erminéthrude
(vers l'an 700) contient une disposition qui vient à
l'appui de cette opinion. Elle fait divers legs en faveur d'églises
de Paris : elle donne, en particulier, à l'église de Saint-Etienne
un anneau d'or niellé, « anolo aureo nigellato », et à l'église de
Saint-Gervais un anneau d'or, sur lequel, ajoute-t-elle, son
nom est gravé, « anolo aureo, nomen meum in se habentem scribtum ». Le premier de ces anneaux était un simple objet de toilette, le second était sans doute l'anneau-cachet de la riche
et noble matrone.
Sur plusieurs autres anneaux, on ne voit figurer que le S
barré qui, on le sait, a la signification certaine de signum ou
sigillum, ou la même lettre suivie d'un ou plusieurs points,
et qui a la même valeur. Ce signaculum, qui est accompagné
presque toujours d'ornements plus ou moins rudimentaires destinés
à le particulariser, était apposé à côté du nom de l'auteur
ou du témoin souscripteur de l'acte, et lui imprimait le caractère
d'authenticité.
Quant aux bagues portant seulement des emblèmes religieux
ou autres et des marques de diverses sortes énumépées plus
haut, elles ont dû avoir souvent le caractère sigillaire. Cela
est d'autant plus probable que beaucoup de ces emblèmes sont
précisément au nombre de ceux que Clément d'Alexandrie recommandait
aux fidèles de faire graver sur leurs anneaux-cachets
(signacula )
Il est certaines bagues dont on peut dire, sans hésiter, qu'elles
n'avaient point cette destination : ce sont celles qui portent
deux noms sur le chaton ou à leur circonférence, ou qui ne sont formées que d'un cercle uni, ou bien dont le chaton ne
présente aucune inscription ni signe distinctif quelconque.
CHAPITRE VI.
A QUELLE MAIN ET À QUELS DOIGTS ON PORTAIT LES ANNEAUX.
1
A quelle main on plaçait les anneaux.
Pline dit que le premier qui se servit d'anneaux les mit à la main gauche, et il en donne l'explication très invraisemblable, que celui qui inaugurait cet usage dut le faire avec hésitation, et orna ainsi la main gauche, qu'on tient cachée, et que, s'il avait été certain de ne pas compromettre par là son honorabilité, il eût exhibé l'anneau à la main droite. D'après le témoigne d'Atéius Capito, rapporté par Macrobe, à l'origine, il se plaçait indifféremment, au gré de chacun, à l'une ou l'autre main et à un doigt quelconque. C'est probablement lorsque les anneaux, qui avaient été d'abord principalement employés comme signacula, furent devenus des objets de luxe et décorés de pierres précieuses, qu'on s'abstint d'en orner la main droite dont les mouvements fréquents et nécessaires pouvaient causer la dégradation et même la perte d'un bijou de grande valeur. On fut ainsi amené à les placer, du moins le plus souvent, a la main gauche, où ils étaient moins exposés aux accidents (1). En tout cas, c'est à cette main que les chevaliers portant leurs anneaux, ainsi que le prouvent deux vers d'Ovide où il est fait allusion à un centurion de primipile, soldat parvenu, que son grade avait élevé à la dignité de membre de l'ordre équestre, et deux passages de Silius Italicus relatifs aux nombreux anneaux de chevaliers romains qu'après la bataille de Cannes le vainqueur avait envoyés à Carthage
(1) Horat., Sat., II, VII, 8; dans la collection Teubner, p. 196. — Macrobe, Saturnal., VII, XIII, 7 et 8; abi supra, p. 456. — Dans l'ancienne Grèce, on avait coutume de mettre les anneaux au quatrième doigt de la main gauche. (Aul. Gell., Noct. Attic., X, 10; collect. Teubner, t. I, p. 10.).
Il
A quel doigt ou à quels doigts on mettait les anneaux.
A l'origine, ainsi que nous l'avons dit plus haut, on portait les anneaux à un doigt quelconque, puis on les mit au petit doigt de la main droite, et en dernier lieu au quatrième doigt de la main gauche. Suivant Pline, ce fut d'abord le quatrième doigt de l'une ou de l'autre main qui reçut l'anneau; plus tard ce fut l'index, et ensuite le petit doigt; finalement, dans la dernière moitié du Ie siècle, on le porta à tous les doigts, sauf l'exception que nous allons signaler. En Gaule et dans la Bretagne, on plaçait les anneaux au doigt du milieu (médius) ; au contraire, ce doigt était, à l'époque où Pline écrivait, le seul qui ne reçût point cet ornement(1); tous les autres en étaient chargés, voire même les articulations de chacun d'eux.
(1) Ce doigt était regardé comme impudique et infâme. Il en était de même à Athènes.
« Il y a des personnes, ajoute le naturaliste, qui
ne le portent qu'au seul petit doigt, et d'autres, enfin, qui n'en
mettent qu'au doigt servant à appliquer leur signum.
Longtemps après, au IIIe siècle, le même usage subsistait
encore. C'étaient surtout les femmes qui plaçaient leurs bagues
aux articulations, car Clément d'Alexandrie (+217) interdit
aux hommes cette pratique, qui, dit-il, ne convient qu'aux
sexe féminin. Il leur recommande de mettre leurs anneaux au
petit doigt, à sa naissance, tout près de la paume de la main,
parce que, remarque-t-il, la main est, de la sorte, plus libre
et prête à l'action, et qu'en outre le bijou, retenu par la principale articulation, est moins exposé à se délaeher et 1
perdre.
Quelques années plus tard,
Tertullien raillait
les femmes de son temps qui mettaient à tous les doigts de la main
gauche des anneaux en si grande quantité et de telle valeur
que « chacun de leurs doigts portait des sacs d'or.
A la même époque, on portait
quelquefois (les hommes du
moins) des bagues au pouce. On connaît le fait, signalé par
Capitolinus, de l'empereur Maximin
(235-238), qui avait ce
doigt d'une telle grosseur, qu'il se servait d'un bracelet de son épouse
comme d'un anneau pour l'y placer.
§ 2.
A QUELLE MAIN ET A QUELS DOIGTS ON METTAIT LES ANNEAUX
DANSLES PREMIERS SIECLE DU MOYEN AGE
Nous allons étudier successivement ce qui se passait pour les anneaux ordinaires, pour les anneaux de mariage, l'anneaux épiscopal ou abbatial et celui des simples religieuses.
I
Des anneaux ordinaires
Les documents font défaut pour ce qui touche un usage pratiqués dans la vie courante. Le seul détail qui nous soit fourni par les écrivains se trouve dans un passage de Macrobe (premier tiers du Ve siècle), d'après lequel, en dernier lieu, on mettait les anneaux au quatrième doigt de la main gauche. Nous sommes donc réduits à chercher des éléments d'information dans les résultats d'explorations des sépultures de l'époque barbare. L'auteur de l'ouvrage déjà cité concernant les antiquités mérovingiennes, M. Lindenschmit, s'exprime ainsi, en un passage que je traduis : « Partout où l'on a eu occasion d'observer d'une manière assez exacte la place primitive de ces anneaux, on a constaté qu'ils se trouvent généralement au quatrième doigt de la main gauche, que l'on appelle aujourd'hui encore l'annulaire, en signe de foi conjugale, sans doute. » Dans l'espoir d'obtenir des renseignements plus précis, je me suis adressé directement au savant archéologue, et j'ai reçu de lui une lettre dont j'extrais, en les traduisant, les termes suivants : « Pour un seul cas, je puis affirmer avec certitude à quelle main et même à quel doigt l'anneau était placé. Il m'a été possible de l'observer sur un squelette de femme, qui, par suite de circonstances favorables de sépulture, était particulièrement bien conservé; il avait un anneau de bronze à l'avant-dernier doigt de la main droite. Le tombeau avait été découvert à Obérolm, dans la Hesse rhénane. » On voit, par cette déclaration, sensiblement différente de la première, que, dans le seul exemple certain et connu de M. Lindenschmit, c'est à la main droite et au quatrième doigt que l'anneau était placé. Je suis en mesure de produire, à mon tour, plusieurs exemples semblables. Les fouilles exécutées méthodiquement en France depuis trente-cinq ans ont procuré, à cet égard, des notions nombreuses et précises, dont je vais donner un aperçu sommaire: Dans le cimetière de Brény (Aisne) M. Frédéric Moreau a recueilli un anneau de fiançailles ou de mariage portant les noms de Diana et d'Avius; il était à la main droite du squelette. Une bague trouvée dans le cimetière mérovingien d'Yeulle, canton de Marquise (Pas-de-Calais), était également à la main droite d'un squelette féminin. M. Philippe Delamain, qui a exécuté, avec une rare intèlligence et un soin minutieux, de fructueuses fouilles dans la nécropole visigothe et mérovingienne de Herpes (:Charente) a recueilli deux anneaux qui étaient aussi placés à la main droite. Il a constaté, en outre, au cours de ses explorations, que, « presque toujours les bagues se portaient à la main droite. Le contraire, ajoute-t-il, est l'exception; parfois, mais rarement, il y avait deux ou trois bagues à la main, et, de plus, au même doigt. » Mais, par contre, le savant conservateur du Musée archéologique de Namur (Belgique), M. Alfred Béquet, a rencontré, dans une des riches nécropoles de cette province, une bague à la main gauche d'un squelette de femme. De son côté, M. L. Pilloy, dans son important travail sur d'anciens lieux de sépulture du département de l'Aisne, a constaté, au cours des fouilles du cimetière d'Abbeville, la présence de bagues à la main gauche de cinq squelettes de femmes. Une bague en bronze, provenant du cimetière franc de Ciply, près Mons (Hainaut), a été trouvée au medius de la main gauche d'un squelette féminin. Enfin, je lis, dans une notice concernant le même cimetière, la description d'un anneau d'or qu'on croit provenir aussi de la tombe d'une femme, et qui était également à sa main gauche. En présence de ces témoignages contradictoires et d'après ce qui va être exposé touchant l'anneau nuptial en Gaule, on serait tenté de voir, dans les quatre premiers bijoux dont il vient d'être parlé, des anneaux de fiançailles ou de mariage, et dans les autres des bagues d'usage commun.
II
A quelle main et à quel doigt se plaçait l'annam naptial
Isidore de Séville, qui écrivait au commencement du VIIe siècle, décrivant la cérémonie nuptiale, s'exprime ainsi: « En premier lieu, l'anneau est donné par le futur à la future épouse : cela se fait ainsi comme signe de la mutuelle foi, ou plutôt afin que les deux coeurs soient unis par le même gage; et l'anneau est mis au quatrième doigt parce que, d'après ce qu'on rapporte, il y a dans ce doigt, une veine par laquelle sang va directement jusqu'au coeur. » Il est très vraisemblable que le saint archevêque a voulu désigner le quatrième doigt de la main gauche, et pourtant il y a de fortes raisons de penser que l'anneau nuptial était, du moins en Gaule, généralement placé à la main droite et au troisième doigt. Nous avons noté plus haut la bague portant les deux noms de Diana et d'Avius, et qu'il y a lieu de regarder comme étant une bague de fiançailles ou de mariage : elle était à la main droite. Or, c'est le seul exemple certain que nous possédions, et l'on n'en peut citer aucun qui le contredise. Ce n'est pas tout. D'après un certain nombre de rituels, de pontificaux et de missels, rédigés du XIe au XVe siècle, où est réglé le cérémonial du mariage, on voit 1° Que, dans tous ou presque tous les diocèses de la Gaule, l'anneau nuptial était remis par le prêtre officiant ou par le futur (qui venait de le recevoir de la main de l'officiant) à la main droite de la future épouse; 2° Que, dans les diocèses de Reims, Rouen, Lyon, Amiens, Paris, Châlons-sur-Marne et Limoges, et à Saint-Victor, on passait l'anneau au troisième doigt ou medius de la main droite (1) ; 3° Que, dans le seul diocèse de Liège, on le mettait au quatrième doigt de la même main. Deux rituels et un pontifical font placer l'anneau nuptial au quatrième doigt de la main gauche. Mais l'un des rituels est de l'Eglise de Rome, l'autre de Milan; le pontifical est de Lérins. Ils sont d'accord avec le passage d'Isidore de Séville cité plus haut, qui a dû reproduire un cérémonial pratiqué, de son temps, en Espagne. Il est à présumer que ce cérémonial n'était autre que celui qu'on observait généralement dans l'empire au moment de sa chute, tandis que la pose de l'anneau au troisième doigt de la main droite de l'épousée était une coutume proprement gauloise (2).
(1) Il faut ajouter à cette liste le diocèse d'Auxerre, où le pontifical dit que l'anneau doit être finalement placé au medius, sans parler de la main (ibid., col. 365); mais, comme la formule est semblable, pour le reste, à celles de Reims, Rouen, etc., je ne doute pas que ce ne fût aussi la main droite.
(2) Il n'est pas inutile de noter ici que, chez les Hébreux, l'anneau se portait à la main droite.
Je suis confirmé dans cette pensée par,lte pagagc de Pline où il est dit que, chez les Gaulois et les Bretons,c'est à dire chez les deux peuples occidentaux d'origine celtique, c'est au médius que se mettait l'anneau; tandis que chez les Romains, à l'époque1 de Pline ( + 79- après J- C ) , ce doigt était précisément le seul qui n'en reçut point. Cette pratique celtique devait assurément remonter très haut, et il est remarquable qu'elle se soit perpétuée ju»sque dans le moyen âge féodal.
III
A quelle main et à quel doigt se mettaient l'anneau épisccpal oa abbatial
et l'anneau des simples religieuses.
D'après un auteur du XVIIe siècle, Georges Longus , évêques portaient leur anneau au quatrième doigt de la main gauche cest-à-dire, au doigt où, comme on l'a vu plus haut, les femmes, quelquefois ou dans quelques pays, mettaient l'anneau nuptial, et il a cité, à l'appui de son dire, Isidore de Séville (De ecclesiasticis oiffciis, I, 19) Il n'y a, ni à l'endroit désigné, ni dans aucune autre partie des oeuvres du saint archevêque, rien qui justifie cette énonciation. Il faut descendre au IXe siècle pour trouver des renseignements certains sur ce sujet. Dans une lettre d'Hincmar (845- 852) décrivant le cérémonial de la consécration épiscopale, nous voyons qu'à la suite des onctions, le consécrateur passait l'anneau au quatrième doigt de la main droite du nouvean prélat. Ce rite est également attesté par un pontifical de l'an 1100, où il est dit que l'épouse est tenue de porter à la main gauche l'anneau de mariage, à la différence de l'évêque, qui doit, en il faut descendre au IXe siècle pour trouver des renseignements certains sur ce sujet. Dans une lettre d'Hincmar (845- 852) décrivant le cérémonial de la consécration épiscopale, nous voyons qu'à la suite des onctions, le consécrateur passait l'anneau au quatrième doigt de la main droite du nouvean prélat. Ce rite est également attesté par un pontifical de l'an 1100, où il est dit que l'épouse est tenue de porter à la main gauche l'anneau de mariage, à la différence de l'évêque, qui doit, en public, avoir l'anneau à la main droite, en signe d'une pleine et entière chasteté. Ce pontifical se borne à désigner la main droite, et reste muet sur le doigt de cette main qui devait recevoir l'anneau. Mais nous avons vu que l'archevêque de Reims désigne le quatrième doigt; et, en outre, un autre pontifical romain, cité par du Saussay, dispose que l'évêque n'a qu'un seul anneau, et qu'il doit le porter « au doigt appelé annulaire, voisin du dernier, et non à d'autres. Enfin Bartholomée Gavanti cite un autre document ancien, suivant lequel l'évêque, à la messe pontificale, doit avoir à et entière chasteté. Ce pontifical se borne à désigner la main droite, et reste muet sur le doigt de cette main qui devait recevoir l'anneau. Mais nous avons vu que l'archevêque de Reims désigne le quatrième doigt; et, en outre, un autre pontifical romain, cité par du Saussay, dispose que l'évêque n'a qu'un seul anneau, et qu'il doit le porter " au doigt appelé annulaire, voisin du dernier, et non à d'autres". Enfin Bartholomée Gavanti cite un autre document ancien, suivant lequel l'évêque, à la messe pontificale, doit avoir à l'annulane de la main droite l'anneau, qui, ajoute Gavanti qui a été mis au même doigt- lors de sa consécration. A la vérité, d'après le même auteur, les évêques plaçaient ordinairement leur anneau à l'index de la main droite. Georges Longus et Henri Kornmann, déjà cités, ont dit que cela était admis dans l'usage.Il ressort de là que, canoniquement et lorsqu'ils pontifiaient, les évêques devaient avoir leur anneau au quatrième doigt de la main droite, et qu'ils le mettaient communément, et par une sorte de coutume acceptée, à l'index de la même main. L'anneau abbatial devait naturellement se porter au même doigt que l'anneau épiscopal. Il en était de même sans aucun doute de l'anneau que les simples religieuses recevaient, au moment de la prise du voile de la main du consécrateur. La vierge qui se vouait au cukte du Seigneur contractait une union mystique, et l'anneau, qui en était le symbole, était placé au quatrième doigt de la main droite, « afin, est-il dit dans le pontifical qui réglait le cérémonial, qu'elle fut dès lors appelée épouse de Dieu ».
1
NOTE SUR UN CIMETIERE PARTICULIER D'ESCLAVES OU DE COLONS
M. Alfred Béquet, le savant conservateur du riche musée de Namur, vice-président de la Société archéologique de la province, poursuit depuis plusieurs années, avec un dévouement égal à son intelligence, des fouilles très fructueuses dans les anciennes nécropoles de cette région. Au mois de septembre 1891, il m'adressa une lettre dont j'extrais le passage suivant : « Nous avons exploré, cette année, un cimetière belgo-romain, probablement du IIe siècle, qui renfermait plus de quatre cents sépultures à incinération. Le cimetière est situé sur une voie romaine et à 3 kilomètres d'une grande villa. Le caractère modeste de ces tombes et leur uniformité me font croire qu'elles appartenaient à une même classe sociale, et probablement à des esclaves agricoles, chargés de cultiver la terre du propriétaire de la villa voisine. Leurs habitations, construites sans doute en bois et en torchis, n'ont pas laissé la moindre trace." Chaque tombe renfermait de deux à six vases, jamais plus; la poterie en est commune; les vases en terre sigillée, avec sigles figulins, étaient assez rares. Le grand intérêt de ce mobilier consiste dans la présence de petits bijoux, parmi lesquels les fibules, étamées et émaillées, sont remarquables par la variété des formes, le goût et la simplicité des procédés de fabrication. Parmi tous ces bijoux (et ici la communication de M. Béquet touche directement à l'objet du présent mémoire), j'ai rencontré des bagues en fer, dont quelques-unes portent, au chaton, une fausse entaille. Je n'ai pu recueillir une seule bague en bronze ou en métal précieux. Les esclaves ne pouvaient-ils porter que des anneaux en fer, et l'emploi des autres métaux pour cet usage leur était-il interdit? Telle est la question sur laquelle je viens vous prier de me faire l'honneur d'une réponse." Ma réponse ne pouvait être douteuse. Le fait remarquable qu'il n'avait été recueilli dans les sépultures à incinération que des bagues en fer, avec divers objets de fabrication très simple et sans valeur intrinsèque, ce fait était déterminant. Il l'agitait manifestement dans l'espèce, d'un cimetière exclusivement réservé à des serfs ou à des gens de condition voisine de la servitude, telle que cclle des colons. De chaque villa romaine dépandait de vastes étendues de terre sauf une partie située autour de la demeure du maître, qui prit, dans le haut Moyen âge les noms de terra indominicata, mansus dominicas, caput mansus et par contraction capmansus. Ces terres étaient divisées en manses ou maitairie de superficie variable, habitées et cultivées chacune par un ménage dee quatre à six personnes (y compris les enfants) , désignés dans les textes par le mot générique de mancipia. Il est tout naturel de penser que le lieu de sépulture de ces mancipia était distinct de celui de la famille du maître et des personnes libres de naissance qui vivaient auprès d'elle. Néanmoins, comme le cimetière découvert par le savant conservateur du musée de Namur est le premier exemple que nous en ayons, il méritait d'être signalé à l'attention des archéologues.
II
NOTE SUR DEUX QUESTIONS CONCERNANT LE PORT DES ANNEAUX PAR LES FEMMES
DANS L'ANTIQUITÉ ROMAINE
Ces questions, que les historiens modernes n'ont point traitées ni même indiquées, sont les suivantes : 1° Les femmes mariées avaient-elles, seules, le droit de porter des anneaux d'or ou même des anneaux quelconques, à l'exclusion des filles ? 2° Les femmes de toutes classes et de toutes conditions pouvaient-elles se servir, à leur gré, d'anneaux d'or, d'argent, de bronze ou de fer?
1re Question.
Un savant écrivain du XVII° siècle, Henri Kommann. a émis l'opinion
qu'aux femmes mariées seules il était permis de porter des anneaux d'or
et même des anneaux quelconques. Il a invoqué, à l'appui de cette opinion,
l'autorité de Tertullien, de Clément d'Alexandrie et d'Isidore de
Séville.
Le premier signale, en le déplorant, l'abandon de la coutume des ancêtres
suivant laquelle aucune femme ne portait d'autre anneau d'or que
celui qu'elle avait reçu de son fiancé.
Isidore de Séville, après avoir dit, comme Tertullien, que les femmes
n'employaient pas d'autres anneaux que ceux qui leur avaient été. envoyés
par leur fiancé, ajoute qu'elles avaient l'habitude de ne mettre à leurs doigts
que deux anneaux d'or.
Quant à Clément d'Alexandrie, le passage du Paedagogus (III, 11) cité
par Kornmann n'a aucun rapport avec la question. Le docteur chrétien
y fait seulement observer que l'anneau d'or donné aux femmes nétait pas
destiné à servir d'ornement, mais uniquement à marquer du signaculam de
la famille les objets à garder dans la demeure conjugale.
Examinons d'abord la partie de la thèse de Kornmann d'après laquelle
les femmes mariées pouvaient seules porter des anneaux quelconques.
Plaute met en scène une jeune fille qui parle de son
anneau, qu'elle a toujours gardé.
Dans une comédie de Térence († 59 av. J.-C.), on voit qu'un certain Pamphile a enlevé à une jeune fille, virgini, l'anneau qu'elle avait à son
doigt.
Le poète Martial raille un certain Macer, qui,
à force de donner des anneaux aux jeunes filles, puellis, a cessé d'en avoir
pour lui-même.
Vopiscus rapporte que l'empereur Aurélien († 275) légua, comme l'aurait
fait un simple particulier, « quasi privatus », son anneau sigillaire à son
épouse et à sa fille et les termes employés par l'historien annoncent qu ec'était là un fait fréquent et même habituel à Rome
Les femmes non mariées eurent donc toujours, du moins à partir du
IIe siècle avant notre ère, le droit de porter des anneaux.
Au sujet de la coutume des ancêtres dont parle Tertullien, suivant laquelle
les femmes ne portaient que l'anneau d'or qui leur avait été donné par leur
fiancé, cette coutume, abandonnée dès le Ille siècle de l'ère chrétienne, n'aurait pu exister, ni au Ier siècle, puisque nous savons par Pline que l'anneau
de fiançailles était alors en fer, ni même au IIe siècle, car il est bien
invraisemblable qu'à cette époque de luxe effréné l'usage des bijoux de cette
sorte fût restreint, ainsi que l'a énoncé Tertullien. Il est possible que l'éloquent
docteur ait invoqué un passé imaginaire pour faire ressortir l'abus
qu'il condamnait.
Quant à l'affirmation de Kornmann, que les matrones pouvaient seules
se servir de bagues en or, elle n'est pas, à mes yeux, plus exacte que la précédente.
Ce n'est point, en effet, en prodiguant aux jeunes filles des bagues en
fer que le Macer du poète Martial se serait ruiné. Il n'est pas non plus présumable que l'anneau sigillaire légué par l'empereur Aurilien à sa fille fût
d'un métal autre que l'or.
2° Question.
Les femmes, mariées ou non, pouvaient-elles porter indifféremment. et
à leur volonté, des bagues d'un métal quelconque?
En ce qui concerne l'anneau d'or, nous avons vu, pour la période où la
différence du métal dépendait de la différence des conditions d'origine et où
le droit à l'anneau d'or était attaché à la qualité de libre de naissance, ingenuus,
que les femmes comme les hommes nés libres avaient seuls ce droit:
aussi lisons-nous dans la loi 4 au Digeste, De jure aureorum analorum, extraite
d'un livre d'Ulpien († 228), qu'elles pouvaient obtenir, par rescrit impériall la concession de l'anneau d'or, en même temps que des droits Íngenuitatis.
Recherchons maintenant ce qui se passait dans les temps antérieurs, où
la différence de métal dépendait encore de la classe à laquelle la personne
appartenait.
Il était de principe, chez les Romains, que le rang et l'état des femmes
se réglaient exactement et invariablement sur ceux de leur mari.
Le titre De senatoribus, au Digeste, contient plusieurs dispositions catégoriques
à cet égard. Les épouses des personnages consulaires étaient elles-mêmes consulares; les épouses des clarissimes étaient clarissimae. Participant à la dignité de leurs maris, ces femmes avaient le droit de
porter, comme eux, l'anneau correspondant à cette dignité; et ce droit, elles
le perdaient quand leurs maris perdaient leur qualité, ou qu'elles se séparaient
d'eux, ou que, après la mort de ceux-ci, elles prenaient un époux,
d'une classe inférieure.
En était-il de même des épouses des chevaliers? Bien que nous ne connaissions
pas de texte probant, il faut, suivant nous, considérer l'affirmative
comme tout à fait vraisemblable.
Nous en dirons autant de l'anneau d'or des plébéiens libres de naissance,
quand ceux-ci furent, à leur tour, autorisés à le porter, et de l'anneau
d'argent que les affranchis avaient à la fin du Haut-Empire.
Les femmes d'esclaves et de colons furent nécessairement réduites en tout
temps à la bague en fer.
Que se passait-il pour les filles de personnages de diverses classes ou de
diverses conditions? Participaient-elles, en ce qui touche les anneaux, aux
prérogatives de leur père, comme l'épouse à celle de son mari?
La loi 8 au Digeste, De senatoribus, déjà citée, dispose que les filles de
sénateurs, à moins qu'elles n'aient épousé des clarissimes, n'ont point le
titre de clarissimae.
D'après le principe qui a inspiré cette loi, les filles n'auraient point eu de
part aux prérogatives de leur père, et il en faudrait conclure qu'elles ne
pouvaient porter, quelle que fut leur condition, que des bagues, en fer, comme
les esclaves; ce qui est, d'après ce qu'on a vu plus haut, tout à fait improblable.
Dans le sens contraire, il est également difficile d'admettre que la fille du
plébéien, quand celui-ci et son épouse n'avaient que des bagues en fer, pût
mettre à son doigt des anneaux d'or; que la fille d'un esclave pût se servir
d'anneaux d'or, tandis que son père et sa mère étaient réduits à la bague en fer.
EXEMPLES DE SIGNACULA PARTICULIER D'EMPEREURS ET DE PERSONNAGES CELEBRES DANS L'ANTIQUITE ROMAINE.
Scipion l' Africain avait fait graver, sur son anneau, l'effigie de son père, le fils adopta à son tour l'effigie de Scipion l'Africain.
Sylla fit représenter sur son anneau, en premier lieu Bacchus livrant Jugurtha
puis trois trophées, enfin l'effigie d'Alexandre le Grand.
Lucullus, l'effigie de Ptolémée, roi d'Egypte;
Pompée, un lion portant une épée, ou trois trophées;
Jules César, une Vénus armée, allusion è la prétendue origine de la gens Julia.
Auguste, en premier lieu un sphinx, allusion à son goût pour le silence
puis limage dAlexandre le Grand , et, dans les derniers temps de son règne
sa propre effigie ;
Mécène, une grenouille;
Néron, le supplice de Marsyas vaincu par Apollon
Pline le jeune, un quadrige;
Galba, premièrement un chien courbant la tête sous la proue d'un navire
puis une victoire avec un trophée, et, en dernier lieu l'effigie de ses ancêtrres;
Commode, une amazone (il aimait à voir vêtue en amazone sa concubine
Martia);
Beaucoup d'empereurs firent graver sur leurs anneaux l'effigie d'Auguste.Les patriciens, et en général les personnages de condition
élevée, portait sur leur anneau
l'image de l'empereur régnant. Sous
Claude (41-54) cela
fut défendu, mais l'interdiction fut levée par Vespasien (69-79). J'ai relevé les exemples ci-dessus dans les écrits de Gorlæus
et de Kirchmann (De annulis).
IV
NOTE SUR SEPT ANNEAUX DES PREMIERS SIECLESDU MOYENÂGE,
DONT SIX SONT DES ANNEAUX DE FIANÇAILLES OU DE MARIAGE
Je décris ici ces bijoux dans l'ordre de date où je les ai publiés : 1 ° Roccolane su[bscripsit ] — Warenbertus dedi. — Ces inscriptions indiquent que Warenbertus a donné à sa fiancée ou à son épouse l'anneau sigillaire en or qui les porte. 2° Diana — Avius. — Bague en bronze. 3° Micaël mecum vivas in Deo. — Anneau d'or — Ici, au contraire, c'est la fiancée, ou plus vraisemblablement l'épouse, dont le nom est absent, qui a fait don de cet anneau à Micaël, son mari. 4° Baubalfus - Haricufa ou llaricllba. — Anneau d'or- 5° Dromacitis Betta. — Anneau d'or. — Ce n'est, à mon sens, ni un anneau de fiançailles, ni un anneau de mariage. Il y a, sur le chaton, la représentation d'une scène, dans laquelle Dromacius est, je crois, un guerrier qui consulte une devineresse, qui est Betta. 6° Nenni — Vadinehne. — Bague en argen. 7° Tecla segella (pour sigillavit) — au pourtour : Tecla vivat Deo marito seo (pour suo) — Raté (Ratine?), nom germanique, celui du mari. — Anneau d'or. Sur ce dernier anneau, il n'y a aucun doute : c'est bien un anneau sigillaire, donné par le mari à sa femme. Mais, pour les autres, il y a incertitude sur le point de savoi rsi ce sont des anneaux de fiancés ou d'époux.
V
RELEVÉ DE MENTIONS DE L'ANNEAU SIGILLAIREl ROYAL
AU BAS DES DIPLÔMES MEROVINGIENS.
J'ai relevé, dans les diplômes des rois de la première race, les formules
suivantes : « De anulo nostro subter sigillari jussimus ou decrevimus;.ou
bien: « Anuli nostri impressione roborari (ou astipulari ou sigillari) recimus
jussimus ou decrevimus. » Ces formules continuèrent d'être employées sous les règnes des princes
carolingiens.
J'ai relevé, dans les chartes et diplômes mérovingiens, de nombreuses
mentions des signacula de princes mérovingiens. Ce mot, qui a proprement
la signification de sceau, a sans doute servi souvent à désigner un
anneau, dont le chaton formait un sceau. Mais, en l'absence de certitude à
cet égard, je crois devoir, pour rester dans les limites du sujet de ce mémoire,
m'en tenir aux mentions expresses de l'anulus, de l'anneau sigillaire.
FIN DE L'OUVRAGE