Plaute : Aulularia

 

La Marmite

 

 

Texte traduit par Alfred Ernout, membre de l’Institut, Professeur à la faculté des lettes de l’Université de Paris.

Société d’édition « LES BELLES LETTRES », 1932.

 

001

 

NOTICE

L'Aulularia, ou « la Marmite », est une comédie à la fois d'intrigue et de caractères. L'intrigue même y est double : il s'agit de savoir si Euclion qui veille avec une tendresse inquiète sur le trésor que la marmite cache dans ses flancs saura le dérober aux convoitises qu'il sent rôder autour de lui, et d'autre part, si sa fille, Phédrie ou Phèdre, qui a été mise à mal par Lyconide, sera épousée par ce dernier ou par son oncle Mégadore, qui l'a demandée en mariage, sans rien connaître de son aventure passée, sans savoir non plus — tout comme Euclion du reste — qu'elle est tout près d'accoucher. Lyconide sait quelle est celle qu'il a violée, mais elle ignore l'auteur de son mal; et lui attend neuf mois pour se sentir pris d'un remords tardif et vouloir tout d'un coup réparer sa faute. N'insistons pas sur les invraisemblances de la donnée. Ces prémices admi­ses, le développement se poursuit sans trop de heurts, et les deux actions même se combinent et se complè­tent. C'est justement l'esclave de Lyconide, Strobile, qui dérobe à Euclion son trésor. Lyconide le force à rendre le produit de son vol, après avoir avoué au vieillard l'attentat qu'il a commis et obtenu de lui la main de Phédrie. Euclion à son tour, pour ne pas être en reste de générosité, donne en dot à sa fille le maudit trésor qui lui causait tant de soucis, et, comme le Volteius Mena d'Horace ou le savetier de La Fontaine, il se réjouit à la pensée que s'il a perdu son or, il va recouvrer le sommeil (1).

 

1. Cf. le fragment IV: Nec noctu nec diu quietus umquam eram; nunc dormiam. Presque tout l'acte V est perdu, mais le dénouement nous est connu, par les arguments, le prologue, et quelques fragments.

 

Ce dernier trait permet de saisir toute la différence qu'il y a entre l'Harpagon de Molière et l'Euclion de Plaute. Celui-ci est un pauvre diable à qui la possession inespérée d'un trésor a tourné la tête. Sans doute est-il dépeint comme un vieux pingre, et Strobile se plaît à énumérer des traits étonnants et pittoresques de son avarice; lui-même se décèle comme ladre, soupçonneux, dur pour les autres autant que pour lui-même. Mais il ne sacrifie pas tout à l'argent. Quand Mégadore, un beau parti pourtant, vient lui demander la main de sa fille, il commence par refuser et ne se décide qu'à contre-cœur, au lieu qu'Harpagon n'a pas de scrupule à donner Elise au seigneur Anselme. Euclion, après avoir retrouvé sa marmite, s'en débarrasse sans regrets, à tout jamais guéri de sa passion. Harpagon, après le coup de théâtre conventionnel qui assure le bonheur de ses enfants, n'a qu'une pensée, qu'un désir « voir sa chère cassette ». Tous les traits chez Molière, tous les événements tendent à nous dépeindre l'avarice et les perversions qu'elle peut engendrer. La sécheresse de cœur d'Harpagon entraîne la désaffection de ses enfants, l'hypocrisie de ses domestiques, le mensonge de tous ceux qui l'approchent. L'amour de l'argent a étouffé tout autre sentiment chez lui : amour paternel, senti­ment de l'honneur, simple respect de soi-même, tout est aboli, et les plus dures leçons et les plus directes sont incapables de le corriger. L'analyse de Molière atteint des profondeurs que Plaute était loin de soup­çonner. Ce qu'il nous conte c'est la double aventure d'un pauvre hère, devenu riche par hasard, et rendu malheureux et méchant par cette fortune dont il ne sait pas jouir, puis aux prises avec un homme qui n'est pas de son rang, Mégadore, dont il soupçonne les intentions qu'il ne s'explique pas, et qui enfin retrouve son assiette, une fois qu'il peut reprendre sa vie normale.

Autour d'Euclion, Plaute a esquissé avec une justesse et un pittoresque parfaits deux figures de bourgeois romains, sous les noms grecs qui les déguisent : le vieux Mégadore, et sa sœur Eunomie. En dehors de quelques plaisanteries traditionnelles sur les femmes qui détonnent un peu, le tour de leurs entretiens est aussi aisé que naturel; ils raisonnent et moralisent sans ennui, avec un bon sens qui devait plaire aux Romains; et l'élégance simple de leurs propos contraste avec la verve plus populaire d'Euclion. Un rôle de vieille esclave, Staphyla, est aussi esquissé avec bonheur. L'élément de gros comique est fourni par Strobile, et les cuisiniers Anthrax, Congrion, dont les plaisanteries et les mésaventures animent l'action autrement un peu languissante.

La comédie grecque a plusieurs fois mis en scène des avares. Il en paraissait notamment dans quatre ou cinq pièces de Ménandre : le AwxoXoç, T'Yôçia, les 'EjuteéjTovTEç, le ©rioaupoç, et peut-être le AaxTÛXioç (1). Déterminer exactement laquelle a fourni à Plaute son modèle est impossible. Comme Euclion l'avare du AioxoXoç « le Grincheux », 'Yôgîa « L'aiguière » ou « La cruche » enfouissaient leur argent; comme Euclion, le Grincheux déteste les sacrifices coûteux, et se contente d'offrir aux dieux un gâteau, un peu d'encens. Dans les EjuTQéjtovreç figurait un certain Smikrinès qui « craignait que la fumée de son feu ne sortît en emportant quelque chose », trait qui a peut-être inspiré à Plaute les v. 300-301 :

Quin diuom atque hominum clamat continuo fidem,

De suo tigillo fumus si qua exit foras.

Ce Smikrinès, était irritable et bourru comme Euclion; et son avarice, semble-t-il, était plus marquée; il " faisait passer l'argent avant ses plus chères affec­tions, et était plus préoccupé de sauver la dot de sa fille, Pamphilé,

 

1. Ménandre, fr. 128, 468, 175, 235, 103, éd. Kook. Cf. Ph.-E. Legrand, Daos, p. 218 et suiv.

 

que d'assurer son bonheur (1) ". Enfin la pièce de Ménandre comportait, au dire d'Athénée (2), des cuisiniers qui l'animaient de leurs brocards. Mais les fragments des 'EjuTQéjiovreç indiquent une intrigue tellement différente de l'Aulularia qu'on hésite à en faire l'original de celle-ci.

M. Max Bonnet préfère supposer que c'est l’'YSçîa qui aurait inspiré Plaute mais là encore les arguments avancés sont faibles, et n'ont pas convaincu un bon juge comme M. Ph.-E. Legrand (3). Les autres identifi­cations ne sont pas plus sûres. La distribution des per­sonnages présente des anomalies dont on n'a pu trouver d'explication satisfaisante : Strobile est l'esclave à la fois de Lyconide et de Mégadore; et il y a une appari­tion fugitive d'un certain Pythodicus (v. 363-370) qui reste énigmatique. Il semble que la pièce a été rema­niée et abrégée dans son milieu (4).

La date de la représentation est inconnue. On a mis en rapport les tirades de Mégadore contre le luxe des femmes avec l'abrogation de la loi Oppia qui fut pro­noncée en l'an 195 : ce serait donc aux alentours de cette date qu'aurait été jouée l'Aulularia ; le terminus ante quem serait fourni par l'institution du leiunium Cereris en 191. La mention des Bacchanales au v. 408 a conduit Francken a supposer la pièce contemporaine de l'abrogation du culte de Bacchus en Italie, c'est-à-dire datant de 186. Ces calculs sont fragiles.

 

1. Ph.-E. Legrand, Daos, p. 221.

2. Deipnosoph. XIV,  77, p. 659.

3. Daos, p. 218. Voir Max Bonnet, Smikrinès-Euclion-Harpagon, dans Mél. Havet, p. 17-47; Pressler, De Plauti Aulularia, Leipzig, 1908, p. 28; Ph.-E. Legrand, Pour l'histoire de la comédie nou­velle,Rev. Et. gr. XV (1902) p. 357; A. Krieger, De Âululariae Plautinae exemplari Graeco,Giessen, 1914, p. 91; celui-ci se décide en faveur du Qqa-avftôs, tandis que Wilamowitz-Moellen-dorf et J. W. Bierma penchent pour le aûo-koa.os- Cette variété d'opinions est édifiante.

4. Voir l’Aulularia de Goetz. Praefatio p. VIII. Sur les diffé­rentes tentatives faites pour expliquer le double rôle de Strobile, voir Schanz-Hosius, op. laud., I, p. 59, 3, Die Nachbildung ; Die Komposition.

 

On sait que l'Aulularia a inspiré à un auteur du Bas-Empire une comédie de même ordre, le Querolus, qui a été magistralement éditée par L. Havet (1). L'Avare de Molière est trop connu pour qu'il faille y insister. Enfin V. Jagié a signalé une imitation slave faite au XVIe siècle de la pièce latine (2).

L'Aulularia comporte quelques parties lyriques des plus remarquables par la variété, l'animation ou la fan­taisie. Citons le dialogue entre Eunomie et Mégadore (v. 120-160), le monologue de Congrion (v. 406-413) et surtout celui d'Euclion (v. 713-726), enfin la scène entre Euclion et Congrion, où l'on notera l'emploi continu des vers de Reiz (3) (415-445).

 

1. LE QUEROLUS, comédie latine anonyme (Bibl. de l'Ec. des Hautes Etudes, fasc. 41), Paris, Vieweg (aujourd'hui Champion), 1880.

2. Die Aulularia des Plautus in einer südslavischen Umarbei-tung aus der Mitte des XVI Jahrh., Festchr. fur J. Vahlen, Berlin, 1900, p. 617.

3. Le vers de Reiz est ainsi appelé du nom du philologue alle­mand qui en a découvert l'existence. Sur sa structure, v. L. Havet, Métrique grecque et latine, 3 ème éd., § 304; et Fr. Grusius, Romische Metrik, S 168.

 

 

 

002

 

PERSONNAGES

LE DIEU LARE, Prologue.

EUCLION, vieillard.

STAPHYLA, vieille esclave.

EUNOMIE, sœur de Mégadore.

MÉGADORE, vieillard.

STROBILE, esclave.

ANTHRAX, cuisinier

CONGRION, cuisinier

PHRYGIE, joueuse de flûte

ELEUSIE, joueuse de flûte

PYTHODICUS (?), esclave.

STROBILE (?), esclave de Lyconide.

LYCONIDE, jeune homme.

PHÉDRIE, jeune fille.

 

 

ARGUMENT I

Le vieil avare Euclion, qui s'en fie à peine à lui-même, a trouvé enfouie dans sa maison une marmite avec un trésor. Il l'enterre à nouveau profondément, et blême d'inquiétude, l'esprit perdu, il veille sur elle. Sa

fille a été mise à mal par Lyconide. Cependant le vieux Mégadore, à qui sa sœur a conseillé de prendre femme demande en mariage la fille de notre avare. Le vieux ladre se fait tirer l'oreille, et craignant pour sa mar­mite, il l'emporte de chez lui et la cache en différents

lieux. Il est guetté et surpris par un esclave de Lyconide, le jeune homme qui justement avait mis à mal la jeune fille; et Lyconide lui-même, à force de prières, décide son oncle Mégadore à lui céder pour femme celle qu'il aime. Peu après Euclion qui s'était vu traîtreusement dérober sa marmite, la retrouve contre tout espoir; et dans sa joie, il accorde sa fille à Lyconide.

ARGUMENT  II

(acrostiche)

Ayant trouvé une marmite pleine d'or, Euclion veille sur elle de toutes ses forces, tourmenté de mortelles inquiétudes. Lyconide met à mal sa fille. Mégadore veut l'épouser sans dot, et, pour qu'Euclion y consente, il fournit le repas et les cuisiniers. Euclion tremble pour son or, et le cache hors de chez lui. Un esclave du séducteur l'a vu faire et dérobe le magot; Lyconide le rapporte à Euclion, qui lui donne à la fois l'or, la femme, et le nouveau-né.

 

PROLOGUE

LE DIEU  LARE (1)

Ne vous demandez pas qui je suis : en deux mots, je vais vous le dire. Je suis le Lare, le dieu domestique de cette demeure d'où vous m'avez vu sortir. Cette maison, voilà bien des années que j'y ai mon établissement et ma résidence : j'y étais déjà du temps du père et du grand-père de son occupant actuel. Or le grand-père m'a confié jadis en grand secret un trésor : il l'a enfermé au milieu du foyer, me priant, m'adjurant de le lui garder. Au moment de sa mort — voyez son avarice ! — jamais il ne voulut révéler le secret à son fils, et il a préféré le laisser sans ressources plutôt que de lui indiquer l'emplacement du trésor — à son fils! Il ne lui a laissé qu'un petit bout de champ : de quoi vivre misérablement, avec bien de la peine. Une fois disparu celui qui m'avait confié son or, je voulus voir si le fils aurait pour moi plus d'égards que son père n'en avait eu. Ce fut bien pis encore; chaque jour il se souciait de moins en moins de moi, et retranchait quelque chose des honneurs qui me sont dus.

 

1. « Ici l'à-propos suffirait pour justifier le choix du person­nage. On doit nous faire connaître le grand mystère de l'action, car les Romains n'aiment pas ou ne savent pas deviner. Si ce n'est Euclion qui vient lui-même nous révéler son secret, il faut bien que ce soit le dieu Lare, car il en est l'unique dépositaire. » (Naudet).

 

J'en fis de même avec lui : il mourut gros Jean comme devant. Il laissait un fils : c'est celui qui habite aujourd'hui la maison — le portrait tout craché au moral de son père et de son grand-père. Il a une fille unique; elle au contraire, tous les jours m'apporte en offrande de l'en­cens, du vin, quelque chose; elle me donne des couron­nes. Par égard pour elle, j'ai fait découvrir le trésor par son père Euclion, pour qu'il puisse la marier plus facilement, si le cœur lui en dit. Car la pauvre a été prise de force par un jeune homme de très haut lieu. Lui, le jeune homme, il sait bien qui est celle qu'il a mise à mal. Mais elle, elle ne le connaît pas, et le père ignore son malheur. Aujourd'hui-même, je vais la faire demander en mariage par le vieillard qui demeure tout à côté; et cela, pour que le jeune homme qui l'a violée l'épouse plus facilement. Car je dois vous dire que le vieillard qui va demander sa main, c'est l'oncle du jeune homme qui l'a mise à mal, la nuit des fêtes de Cérès. Mais voilà notre vieux en train déjà de crier là dedans, selon son habitude. Il met à la porte savieille servante, de peur qu'elle n'évente son secret. Sans doute veut-il aller jeter un coup d'œil sur son or : si par malheur on le lui avait dérobé!

 

 

(ACTE I)

(SCÈNE I)

 EUCLION       STAPHYLA

euclion. — Sors, te dis-je, allons, sors ! II faudra bien, morbleu, que tu sortes d'ici, espionne, avec tes yeux qui furètent partout.

staphyla. — Mais pourquoi battre une pauvre mal­heureuse ?

euclion. — Tu l'as dit : pour que tu sois malheu­reuse, et pour que tu traînes une méchante vieillesse, digne de ta méchanceté.

staphyla. — Mais pourquoi me pousser maintenant hors de la maison ?

euclion. — Ai-je des comptes à te rendre, terre à aiguillons? Allons, éloigne-toi de la porte; plus loin s'il te plaît. Voyez-moi comme elle avance! Sait-tu ce qui t'attend ? Morbleu, si je prends en main, tout à l'heure, un bâton ou un aiguillon, je te ferai allonger ce pas de tortue.

staphyla (à part). — Puissent les dieux me déter­miner à me pendre plutôt que de servir chez toi dans pareilles conditions!

euclion. — Mais comme la coquine murmure entre ses dents! Oui, vaurienne, je t'arracherai les yeux, pour t'empêcher d'épier tout ce que je fais. Allons, écarte-toi encore, encore, encore... Holà; halte là! Morbleu, si tu bouges de là seulement d'un travers de doigt ou de la largeur de l'ongle, ou si tu regardes en arrière avant que je t'en aie donné l'ordre, je te fais, tu m'entends,

aussitôt mettre en croix, pour t'apprendre à obéir. (A part). Non certes, jamais je n'ai vu pire coquine que cette vieille, et j'ai une peur terrible que, tapie en embuscade, elle ne me joue quelque tour sans que j'y prenne garde. Si elle venait à flairer l'endroit où mon or est caché! C'est qu'elle a des yeux derrière la tête,

la gueuse. Maintenant je vais voir si mon or est bien comme je l'ai caché. Quels tourments et quelles misères il me donne, celui-là! (Il rentre dans la maison).

 

STAPHYLA

(restée seule dans la rue)

Non ma foi! je n'arrive pas à m'imaginer, je ne saurais dire quelle mauvaise affaire est arrivée à mon maître, ni quelle folie le tient : il ne fait que me mal- traiter comme vous voyez, et souvent dix fois par jour il me met à la porte de la maison I Je ne sais vraiment pas quelle rage le possède. Il passe toutes les nuits à veiller; et le jour, il reste chez lui, du matin au soir, sans plus bouger qu'un savetier boiteux. Et je ne vois pas non plus comment cacher plus longtemps la honte de sa fille, dont l'accouchement est maintenant tout proche... Le mieux pour moi, je pense, serait de me transformer en i majuscule (1), le cou serré dans un nœud coulant.

 

1. Le texte dit « en une lettre longue », c'est-à-dire , qui, en épigraphie, servait à noter un long, par opposition à I bref: ainsi dans CIVIS. La même comparaison se retrouve dans Ausone, Epigr. 128, 10.

 

(SCÈNE II ou III)

 EUCLION       8TAPHYLA

euclion(à part). — Enfin! je sors à présent l'esprit plus dégagé : j'ai constaté que tout était intact là-dedans. (A Staphyla). Rentre maintenant, et garde la maison.

staphyla (ironiquement). — Vraiment oui ! garder la maison? de peur qu'on ne l'emporte sans doute? Qu'est-ce que les voleurs pourraient y gagner d'autre? Elle n'est pleine que de vide, et de toiles d'araignées.

euclion. — C'est étonnant que, pour te faire plaisir, Jupiter ne fasse pas de moi un roi Philippe ou un Darius, vieille sorcièreI Je veux qu'on me garde ces toiles d'araignée, moi. Je suis pauvre, je l'avoue, je m'y résigne : ce que les dieux me donnent, je l'accepte. Rentre, ferme la porte : je serai ici dans un instant. Veille à ne laisser, entrer personne d'étranger. On pour­rait venir chercher du feu; je veux qu'on l'éteigne : on n'aura plus de raison pour t'en demander. Si le feu n'est pas mort, c'est toi qui mourras sur le champ. Si l'on te demande de l'eau, tu diras qu'elle est partie. Couteau, hache, pilon, mortier, bref, tous les objets de ménage que les voisins sont sans cesse à emprunter, lu diras que les voleurs sont venus et ont tout raflé. Enfin je veux que personne en mon absence ne s'intro­duise chez moi. Même si la Bonne Fortune — m'entends-tu? — même si elle venait, ne la laisse pas entrer.

staphyla. — Parbleu, elle-même n'a garde, je crois, de vouloir entrer. Jamais elle ne s'est approchée de la maison, et pourtant elle n'habite pas loin.

euclion. — Tais-toi et rentre.

staphyla. — Je me tais, et je rentre.

euclion.  — Ferme-moi,  s'il te plaît,  la porte aux deux verrous. Je serai ici dans un instant.  (Staphyla rentre dans la maison). Quels tourments que d'être obligé de sortir! Ah, vraiment, c'est bien malgré moi que je m'en vais. Mais je sais ce que j'ai à faire. Le président de notre curie (1) a fait annoncer une distribu­tion d'un denier d'argent par tête. Si je laisse ma part sans la réclamer, tout le monde aussitôt me soupçonnera d'avoir de l'or chez moi. Car il n'est pas vraisemblable qu'un pauvre homme fasse fi d'un denier, si peu que ce soit, et n'aille pas le chercher. Et déjà, malgré mes efforts pour cacher mon secret à tout le monde, on dirait que tout le monde le connaît, tout le monde me salue plus aimablement qu'autrefois. On m'accoste, on s'arrête, on me serre la main; ce sont des questions pour savoir comment, je vais, ce que je deviens, où en sont mes affaires... Mais faisons notre course; et puis je reviendrai le plus vite possible à la maison. (Il sort).

 

 

(ACTE  II)

(SCÈNE I)

EUNOMIE   MÉGADORE

eunomie. — Sois bien persuadé, mon frère, que ce que j'en dis, m'est dicté par mon affection et par ton intérêt, comme il convient à une véritable sœur.

 

1. Trait proprement romain. La cité était, à l'origine, divisé en paroisses (curiae), qui avaient chacune leur chapelle et leur culte, dont les cérémonies étaient célébrées par un prêtre par­ticulier (curio, magister curiae).

 

Sans doute je n'ignore pas que nous passons pour insuppor­tables; on nous tient toutes pour de grandes bavardes, et l'on n'a pas tort; on assure même que jamais, au grand  jamais  on n'a pu trouver une seule femme muette1. Pourtant, mon frère, considère  une  chose : nous n'avons pas de plus proches parents, toi que moi, moi que toi. Nous devons donc, nous donner, sur ce que nous croyons être notre intérêt, des conseils et des avertissements  mutuels,  ne rien nous cacher,  l'un à l'autre, et n'avoir pas peur de nous parler, mais échan­ger  nos sentiments avec une égale franchise. C'est pourquoi je t'ai prié de venir en secret jusqu'ici, afin de m'entretenir avec toi des intérêts de ta maison.      

mégadore. — L'excellente femme ! touche là.

eunomie (regardant autour d'elle). — A qui en as-tu? Quelle est cette excellente femme?

mégadore. — Mais toi-même.

eunomie. — Moi, dis-tu?

mégadore. — Si tu dis non, je dirai non.      

eunomie. — Un homme comme toi doit dire la vérité. D'excellente femme, on n'en peut faire choix nulle part, mon frère : elles sont toutes pires les unes que les autres.

mégadore. — C'est bien mon avis aussi, ma sœur; et je ne te contrarierai pas sur ce point, sois-en sûre.

eunomie. — Veux-tu être assez aimable pour m'écouter?

mégadore. — A ton service; dispose de moi, com­mande, à ton gré.

 

1. Ces plaisanteries sur les femmes ont été de tout temps classiques. La Lysistrata d'Aristophane tient des propos exacte­ment semblables à ceux de la sage Eunomie. A Rorne même, ces médisances étaient passées de la comédie dans l'éloquence offi­cielle, si l’on s'en rapporte à l'allocution prononcée par le censeur Métellus devant le peuple, sur la question du mariage: «  Si nous pouvions vivre sans femmes, tous nous éviterions un tel ennui. Mais puisque la nature a voulu qu'il soit également impossible d'être heureux avec les femmes et d'exister sans elle, il faut sacrifier le bonheur de notre vie à la conservation de l'Etat. » (Aulu-Gelle, 1, 6).

 

eunomie. — II s'agit d'une chose qui me paraît tout à fait avantageuse pour toi, et que je suis venue te conseiller.

mégadore. — Je te reconnais bien là,  chère sœur.

eunomie. — Puisses-tu dire vrai !

mégadore. — De quoi s'agit-il donc?

eunomie. — D'assurer à tout jamais ton bonheur : pour que tu aies des enfants1...

mégadore. — Plaise aux dieux!      

eunomie. — Je veux que tu te maries.

mégadore. — Aïe! me voilà mort !

eunomie. — Comment cela?

mégadore. — Pauvre de moi! tu me fais sauter la cervelle avec tes propos, ma sœur! Quel pavé!

eunomie. — Allons! suis le conseil de la sœur.

mégadore. — Si l'envie m'en prenait, je ne dis pas...

eunomie. — C'est dans ton intérêt...

mégadore. — Oui, de me pendre plutôt que de me marier... Si tu en as une en vue, je la prends, mais à cette condition : demain je l'épouse, et après-demain je l'enterre.  A cette condition,  donne-moi la femme que tu veux, prépare la noce.

eunomie. — Je pourrais t'en présenter une avec une très grosse dot. Mais c'est une femme déjà mûre, entre deux âges. Si tu m'y autorises, mon frère, je la deman­derai pour toi.

mégadore. — Me permets-tu de te poser une question?

eunomie. — Comment! tout ce que tu voudras.

 

1. Autre trait de mœurs romaines. Le mariage n'a d'autre but que d'assurer la descendance, il est fait «Liberorum quaerendorum gratis, » suivant la formule que cite Plaute lui-même, en la parodiant. Capt., v. 889. Le premier Romain qui, au dire d'Aulu-Gelle, ait divorcé, Spurius Carvilius Ruga, abandonna sa femme parce que, celle-ci étant stérile, il ne pouvait la garder sans manquer au serment qu'il avait juré devant le censeur qu'il se mariait pour avoir des enfants. Cf. May-Becker, Précit des Institutions du droit privé de Rome, p. 45.

 

mégadore. — Quand un homme sur le déclin épouse une femme entre deux âges, si le hasard veut que le vieux fasse un enfant à la vieille, ne penses-tu pas que l'enfant a un nom tout trouvé, et qu'on l'appellera Postume (1)? Mais je peux t'épargner et t'ôter tout ce soin que tu prends. Grâce aux dieux et à nos ancêtres, je me trouve assez riche. Je ne m'inquiète pas de tous ces beaux partis, avec leur orgueil, leurs riches dots, leurs criailleries, leurs manières autoritaires, leurs chars d'ivoire, leurs manteaux et leur pourpre; avec leurs dépenses, elles réduisent leurs maris à l'esclavage. 

(eunomie). — Dis moi, je te prie; quelle est la femme que tu veux épouser?

mégadore. — Volontiers. Tu connais le vieil Euclion, notre voisin, un homme assez pauvre?

eunomie. — Oui, un brave homme, ma foi.

(mégadore). — Eh bien ! c'est sa fille, une jeune fille, que je voudrais épouser... Point de discours, ma sœur. Je sais ce que tu vas me dire : qu'elle est pauvre. Pauvre elle me plaît.      

eunomie. — Que les dieux te soient propices!

mégadore. — Je l'espère comme toi.

eunomie. — Tu n'as plus besoin de moi?

mégadore. — Porte-toi bien.

eunomie. — Toi aussi, mon frère.

mégadore. — Voyons si Euclion est chez lui... Mais le voici qui rentre chez lui de je ne sais où.

 

1. Telle est la graphie correcte. Postumus est dérivé de post et désigne un enfant né après la confection du testament, et la mort de son père. C'est seulement par étymologie populaire que l'adjectif a été mis en rapport avec humus.

 

 

(SCÈNE II)

EUCLION        MÉGADORE

euclion. — J'avais le pressentiment, en sortant d'ici, que je m'en allais pour rien. Aussi m'en allais-je à contre-cœur. Et en effet, aucun des membres de la curie n'est venu, non plus que le président qui devait distribuer de l'argent. Maintenant, vite hâtons-nous de rentrer car, si mon corps est ici, mon âme est à la maison.

mégadore -(abordant Euclion). — Salut, Euclion! puisses-tu toujours avoir la santé et le bonheur!

euclion. — Les dieux t'aient en amitié, Mégadore !

mégadore. — Eh bien, et ta santé? Cela va-t-il aussi bien que tu veux?

euclionpart). — Ce n'est pas sans raison que le riche aborde le pauvre avec des flatteries. Notre homme sait que j'ai de l'or; c'est pour cela qu'il me salue si flatteusement.

mégadore. — Alors, dis-moi, tu vas bien?

euclion. — Ma foi! pas trop bien du côté de l'argent.

mégadore. — Ma foi! si tu sais te contenter, tu en as bien assez pour être heureux.

euclionpart). — Parbleu, la vieille lui a révélé l'existence de mon or : c'est visible, c'est clair. Mais, une fois chez moi, je lui couperai la langue et lui arra­cherai les yeux.

mégadore. — Qu'as-tu donc à parler tout seul?

euclion. — Je me lamente sur ma misère. J'ai une fille déjà grande, mais sans dot, et d'un placement impossible. A qui pourrais-je la caser?

mégadore. —- Ne dis pas cela : aie bon espoir, Euclion. On la dotera; je t'aiderai. As-tu besoin de quelque chose? Dis-le moi, je suis à tes ordres.

euclion (à part). — Voilà des promesses qui ressemblent fort à une demande. Il est là, bouche béante, prêt à dévorer mon or. D'une main, il tient une pierre, de l'autre il me tend un pain. Je me défie d'un riche qui prodigue tant de flatteries à un pauvre. S'il lui met gentiment la main dessus, c'est pour lui infliger quel­que dommage. Je connais ces pieuvres-là : une fois qu'elles ont touché quelque chose, elles ne le lâchent plus.

mégadore. — Ecoute-moi un moment, Euclion. Je voudrais te dire quelques mots d'une affaire qui nous intéresse tous les deux.

euclion (à part). — Misère de moi! On m'a crocheté mon or. Il vient me proposer un arrangement, c'est sûr. Mais allons toujours voir à la maison. (Il s'en va en courant).

mégadore. —Où t'en vas-tu?

euclion. — Je reviens tout de suite : j'ai quelque chose à voir chez moi.

mégadore. — Parbleu, j'en suis sûr : quand je lui parlerai de sa fille, et lui demanderai de me l'accorder, il croira que je me moque de lui. Il n'y a personne au monde que la pauvreté rende plus regardant.

euclion (à part). — Les dieux me protègent, tout est sauf. Est sauf ce qui n'est point perdu. Mais quelle peur affreuse j'ai eue! Avant d'entrer, j'étais plus mort que vif. (Haut). Je reviens à toi, Mégadore; si tu as besoin de moi...

mégadore. — Bien obligé. J'ai une prière à te faire : c'est de bien vouloir répondre à mes questions.

euclion. — Pourvu que tu ne me demandes rien qu'il ne me plaise pas de dire...

mégadore. — Dis-moi, que penses-tu de ma nais­sance?

euclion.— Bonne.

mégadore. — De mon crédit?

euclion. — Bon.

mégadore. — De ma conduite?

euclion. — Ni mauvaise, ni malhonnête.

mégadore. — Tu sais mon âge?

euclion. — Je sais qu'il est grand, comme ta fortune.

mégadore. — Moi aussi, sois en sûr, je t'ai toujours tenu pour un bon et honnête citoyen, et je te tiens toujours pour tel.

euclion (à part). — II a eu vent de mon or. (Haut). Où veux-tu en venir?

mégadore. — Puisque nous savons qui nous sommes l'un et l'autre, je te demande — puisse la chose bien tourner pour moi comme pour toi et ta fille! — je te demande de m'accorder ta fille en mariage; veux-tu me donner ta promesse?

euclion. — Ah, Mégadore! C’est une chose indigne de toi, de ton caractère que de te moquer d'un pauvre homme, qui ne t'a jamais rien fait, à toi ni aux tiens. Jamais je n'ai rien fait, rien dit pour mériter que tu agisses comme tu agis.

mégadore. — Mais non, ma foi ! je ne suis pas venu pour me moquer de toi; je ne me moque pas : cela me paraîtrait tout à fait déplacé.

euclion. — Alors, pourquoi me demander ma fille?

mégadore. — Pour faire ton bonheur, comme pour vous devoir le mien.

euclion. — Vois-tu, Mégadore, je ne puis m'empê­cher de songer que tu es un homme riche, un parti considérable, que je suis au contraire le plus pauvre d'entre les pauvres. Si je te donnais ma fille, je songe que nous jouerions, toi le rôle du bœuf et moi celui du baudet. Une fois attelé avec toi, comme je ne pour­rais porter la même charge, moi, l'âne, je m'étalerais dans la boue, et toi, le bœuf, tu ne me regarderais pas plus que si je n'avais jamais existé. Traité par toi avec hauteur, je serais en outre la risée de ceux de ma classe. D'aucun côté je n'aurais d'étable stable, s'il survient un divorce. Les ânes me déchireraient à coups de dents, les bœufs me poursuivraient à coups de cornes... Il y a trop de danger pour moi à quitter les ânes pour m'éle­ver jusqu'aux bœufs.

mégadore. — Plus on s'allie étroitement à d'honnêtes gens, mieux cela vaut. Accepte mon offre; laisse-toi convaincre, et accorde-moi ta fille.

euclion. — Mais je n'ai rien à lui donner comme dot.

mégadore. — N'en donne pas. Pourvu qu'elle soit sage et de bon caractère, elle est assez dotée.

euclion. — Je te le dis pour que tu n'ailles pas te figurer que j'ai trouvé des trésors.

mégadore. — Je sais; inutile de me l'apprendre. Accorde-la moi.

euclion. — Eh bien, soit. (Il entend des coups de pioche). Mais, ô Jupiter! serais-je un homme mort?

mégadore. — Qu'est-ce que tu as?

euclion. — N'est-ce pas comme un fer qui vient de grincer? (Il sort en courant).

mégadore. — C'est mon jardin que je fais bêcher... Mais où est-il passé? Il est parti, en me laissant dans l'incertitude. Il me traite de haut, parce qu'il voit que je recherche son amitié. Voilà bien comme sont les hommes. Qu'un riche aille de lui-même solliciter les bonnes grâces d'un plus pauvre, le pauvre n'ose pas entrer en rapports avec lui; sa timidité lui fait manquer l'affaire. Puis, quand l'occasion s'est envolée, il la regrette, mais trop tard. (Euclion reparaît).

euclion (à Staphyla). — Morbleu, si je ne te fais pas arracher la langue du fin fond du gosier, je te permets, bien mieux, je t'ordonne de me faire châtrer par qui tu voudras.

mégadore. — Parbleu, je m'aperçois, Euclion, que, sans égard pour mon âge, tu me prends pour un homme dont on peut se jouer. Tu as tort.

euclion. — Pas du tout, Mégadore; et quand je le voudrais, je n'ai pas les moyens de me payer des jeux (1).

mégadore. — Enfin, m'accordes-tu ta fille?

euclion. — Aux conditions, avec la dot que j'ai dites.

mégadore. — Alors, j'ai ta parole?

euclion. — Tu l'as.

mégadore. — Que les dieux nous soient propices !

euclion. — Ainsi le veuillent-ils ! Souviens-toi bien surtout de nos conventions : ma fille ne t'apportera rien comme dot.

mégadore. — Entendu.

euclion. — C'est que je connais les chicanes que vous avez coutume de faire, vous autres : ce qui était convenu ne l'est plus, ce qui ne l'était pas le devient, selon votre caprice.

mégadore. — II n'y aura pas de contestation entre nous. Mais vois-tu quelque inconvénient à ce que nous célébrions la noce aujourd'hui même?

euclion. — Non, ma foi; c'est parfait.

mégadore. — Je vais donc ordonner les apprêts. Tu n'as plus rien à me demander?

euclion. — Rien, que de te bien porter.

mégadore (s'éloignant). — Holà! Strobile, vite, suis-moi au marché, et rondement.

euclion (seul). — Le voilà parti. Dieux immortels! voyez-moi la puissance de l'or, je vous prie! Pour moi, il n'y a pas de doute : il a entendu dire que j'avais chez moi un trésor; il le convoite. Voilà pourquoi il tient tant à notre alliance.

 

1. Euclion équivoque sur ludos facere qui peut vouloir dire " se jouer de" (ludificare), sens où le prend Mégadore, et « donner des jeux publics ».

 

 

(SCÈNE III)

EUCLION        STAPHYLA

euclion. — Où es-tu, bavarde, qui as déjà chanté à tous les voisins que je donnerais une dot à ma fille? Hé, Staphyla, je t'appelle. Tu entends? (Staphyla sort de chez Euclion). Dépêche-toi de nettoyer proprement céans le peu que j'ai de vaisselle. J'ai promis ma fille, aujourd'hui je la donne en mariage à Mégadore, notre voisin.

staphyla. — Les dieux bénissent cette union! Mais, par Castor, aujourd'hui il n'y a pas moyen : c'est trop vite.

euclion. — Tais-toi et va-t'en; et que tout soit prêt quand je reviendrai du Forum. Et ferme bien la maison; je serai de retour dans un instant. (Il sort).

staphyla (seule). — Que faire maintenant? Encore un moment, et nous sommes perdues, ma jeune maî­tresse et moi. Sa délivrance est proche, et sa honte va devenir publique. Ce malheureux secret, jusqu'ici si bien gardé, maintenant ne peut plus l'être. Rentrons, pour que le maître trouve à son retour ses ordres exécu­tés. Mais, par Castor! je crains d'avoir à avaler aujour­d'hui une coupe mêlée de maux et d'amertume.

(Elle rentre).

 

 

 (SCÈNE IV)

STROBILE        ANTHRAX        CONGRION      PHRYGIE        ELEUS1E

strobile— Après avoir fait son marché, loué au forum les cuisiniers et les joueuses de flûte que vous voyez, mon maître m'a chargé de partager ici en deux toutes ses emplettes.

anthrax. — Quant à moi, morbleu, je le dis tout haut, tu ne me fendras pas en deux. Si tu veux m'en­voyer quelque part tout entier, je suis à ton service.

congrion. — Quelle pudeur chez ce beau mignon de trottoir ! Si l'on voulait de toi, je suis sûr que tu ne refuserais pas de te laisser fendre (1).

strobile. —Je l'entendais autrement, Anthrax; je ne l'avais pas dit dans le sens que tu me prêtes, bien à tort. Mais c'est aujourd'hui que mon maître célèbre ses noces.

anthrax. — Et qui épouse-t-il?

strobile. — La fille d'Euclion, notre voisin d'à côté. C'est pour cela qu'il m'a chargé de donner au beau-père la moitié de tout ceci, avec un des deux cuisiniers et une des deux joueuses de flûte.

anthrax. — Ainsi moitié ici (montrant la maison d'Euclion), moitié chez vous?

strobile. — Comme tu dis.

anthrax. — Alors, le vieux ne pouvait pas faire les frais du repas, pour la noce de sa fille?

strobile. — Ah, ouiche !

anthrax. — Qu'est-ce qui l'en empêche?

strobile. — Ce qui l'en empêche? Tu le demandes? Autant vaudrait vouloir tondre un œuf (2).

anthrax. — Oui dà, vraiment?

congrion. — C'est bien comme tu dis?

strobile. — Juges-en toi-même...(3) Il prétend que son bien est perdu, qu'il est ruiné jusqu'à la racine. Bien mieux! il invoque à son secours les dieux et les hommes sitôt que la moindre fumée s'échappe au dehors

 

1. Suite  d'équivoques  obscènes  sur  diuido  que  la  langue érotique emploie comme dirumpo et scindo; cf. Pétrone, Satir., 11, 4.

2. Littéralement:   La pierre ponce n'est pas si sèche que ce vieux-là.

3. Le  texte  présente  une   lacune,  selon  toute  vraisemblance.

 

du toit de sa masure (1). Mieux encore, quand il va se coucher, il s'attache une bourse de cuir devant la bouche.

Pourquoi faire?

Pour ne rien perdre de son haleine en dormant.

anthrax. ---

Est-ce qu'il se bouche aussi l'orifice du bas, pour ne rien perdre non plus par là durant son sommeil?

strobile. — Tu dois m'en croire, je crois, comme, le cas échéant, je devrais t'en croire moi-même.

anthrax. — Mais, en vérité, je t'en crois.

strobile. — Et ceci, que tu ne sais pas. Quand il se baigne, il pleure l'eau qu'il doit verser!

anthrax. — Penses-tu que, si nous demandions à ce vieux un grand talent pour nous libérer, il se laisserait attendrir?

strobile. — Quand tu lui demanderais la Famine, il ne te la prêterait pas. Bien mieux : l'autre jour le barbier lui avait coupé les ongles; il a ramassé les rognures, et les a emportées toutes (2).

anthrax. — Tu parles là, morbleu, d'un pingre dia­blement pingre.

strobile. — Vraiment tu crois qu'il est pingre, et qu'il vit comme un misérable?... L'autre jour, un milan lui enlève son fricot. Notre homme court tout en larmes trouver le préteur : et le voilà qui lui demande, à grand renfort de pleurs et de gémissements, la permission d'assigner le milan. J'en aurais mille autres à te racon­ter, si nous avions le temps. Mais voyons, dis-moi, lequel de vous va le plus vite en besogne?

 

1. Ce semble bien être le sens de tigillum, qui doit désigner toute espèce de petite construction. Festus nous apprend qu'il y avait à Rome un édifice appelé sororium tigillum, qu'Horace avait élevé en l'honneur de Junon pour racheter le meurtre de sa sœur Camille

2. Il ne faut pas trop prendre au sérieux les racontars de Strobile. Mais peut-être y a-t-il là de la part d'Euclion une précaution contre les maléfices possibles. Les ongles et les cheveux jouaient, un rôle dans la confection des sortilèges.

 

anthrax. — Moi, et je suis bien meilleur.

strobile. — Je parle d'un cuisinier, non d'un voleur.

anthrax. — C'est bien ce que j'entends.

strobile (à Congrion). — Et toi, qu'est-ce que tu dis?

congrion (d'un air avantageux). — Tel tu me vois, tel je suis.

anthrax. — C'est un cuisinier de foire : il est au fourneau tous les neuf jours (1).

congrion. — C'est bien à toi de me mépriser, toi dont le nom s'écrit en six lettres? Voleur!

anthrax. — Voleur toi-même, triple pendard !

strobileAnthrax). — Allons, tais-toi : prends moi le plus gras des deux agneaux et entre chez nous (2).

anthrax. — Entendu.

strobile. — Toi, Congrion, charge-toi de l'autre, et entre là, chez Euclion. (Faisant deux groupes des por­teurs de provisions). Vous, suivez-le. Vous autres, venez ici chez nous.

congrion. — Ah non! le partage n'est pas juste. Les tiens ont l'agneau le plus gras.

strobile. — Eh bien! on te donnera la plus grasse des joueuses de flûte. Va donc avec lui, Phrygie; et toi, Eleusie, entre ici chez nous.

 

1. Les nundinae étaient les jours des marchés qui se tenaient à Rome tous les neuf jours. Ce jour-là il y avait affluence des habitants de la banlieue et de la campagne, qui venaient à la ville vendre leurs produits ou faire leurs emplettes, et aussi plaider leurs procès, consulter les jurisconsultes, etc. Sur le forum s'installaient les cuisines en plein vent, dont les cuisi­niers ne travaillaient que ce jour là, et ne savaient faire qu'une médiocre chère, gargotiers d'occasion et sans références.

2. Les mots en italique ne sont pas dans le texte latin, qui présente ici une lacune.

 

congrion. — Ah Strobile, perfide Strobile! c'est ainsi que tu me relègues chez ce vieux pingre? Si j’ai à demander quelque chose, il me faudra m'égosiller avant qu'on me donne rien.

strobile. — Tu n'es qu'un sot, et c'est peine perdue que de t'obliger, puisque tout ce qu'on fait ne sert à rien.

congrion. — Comment cela?

strobile. —Tu le demandes? D'abord, là tu n'auras pas de bousculade. Si tu as besoin de quelque chose, tu n'as qu'à l'apporter de chez toi, sans perdre ton temps à le réclamer. Ici au contraire, chez nous, du remue-ménage, un personnel nombreux; du mobilier, des bijoux, des tapis, de l'argenterie. S'il disparaît quelque chose — et je te connais, tu es incapable de toucher à quoi que ce soit, si tu n'as rien à ta portée (1) — on dira : ce sont les cuisiniers qui l'ont emporté; em­poignez-les, garrottez-les, battez-les, enfermez-les dans le souterrain. Là-bas, rien de pareil ne peut t'arriver, puisque tu n'auras rien à chaparder. Allons, suis-moi.

congrion. — Je te suis.

 

 

(SCÈNE V)

STROBILE        STAPHYLA        CONGRION

strobile.  — Holà,  Staphyla,  viens nous ouvrir la porte!                        

staphyla. — Qui appelle?

strobile. — Strobile.

staphyla. — Que veux-tu?

 

1. « Est-ce que tu prétends trouver un cuisinier qui n'ait pas les serres d'un aigle ou d'un milan? »  dit en parlant de ses confrères le cuisinier du Pseudolus.

 

strobile. — Que tu prennes livraison de ces cuisiniers, de cette joueuse de flûte, et de ces provisions pour la noce. Mégadore m'a chargé de porter le tout à Euclion.

staphyla. — Dis donc, Strobile, ce sont les noces de Cérés qu'on va célébrer?

strobile. — Pourquoi donc?

staphyla. — Je ne vois pas une goutte de vin dans tout cela.

strobile. — On vous en apportera quand le maître sera rentré du marché.

staphyla. — Nous n'avons pas un morceau de bois.

congrion. — Vous avez des boiseries?

staphyla. — Bien sûr.

congrion. — Alors vous .avez du bois; inutile d'en emprunter.

staphyla. — Dis donc, dégoûtant personnage, tout suppôt de Vulcain que tu es, tu ne prétends pas que, pour ce dîner, pour assurer ton salaire, nous mettions le feu à notre propre maison?

congrion. — Pas le moins du monde.

(strobile) (à Staphyla). — Fais-les entrer.

staphyla. — Suivez-moi. (Ils entrent chez Euclion).

 

 

(SCÈNE VI)

PYTHODICUS

pythodicus (sortant de chez Mégadore). — Travail­lez. Moi pendant ce temps j'irai voir ce que font les cuisiniers; et morbleu ce ne m'est pas une petite affaire aujourd'hui que de les surveiller. Il n'y aurait qu'un moyen : ce serait de leur faire cuire le repas dans le souterrain. Ainsi ferai-je : nous monterons de là les plats dans des paniers. Oui, mais s'ils mangent en bas tout ce qu'ils auront fait cuire, ceux d'en haut jeûneront quand ceux d'en bas (1) auront déjeuné. Mais je bavarde ici comme si je n'avais rien à faire, avec cette race de rapaces dont la maison est pleine (2). (Il sort).

 

 

(SCÈNE VII)

EUCLION        CONGRION

euclion (seul). — Prenant cette fois mon courage à deux mains, j'ai voulu me régaler aujourd'hui pour la noce de ma fille. Je vais au marché, je marchande le poisson. On me le fait cher; l'agneau, cher; cher, le bœuf, le veau, le thon, le porc; tout était cher. Et d'autant plus cher que je n'avais pas d'argent. Je m'en vais furieux, n'ayant pas le moyen d'acheter. Ah! je les ai bien attrapés, tous ces coquins là. Et puis, chemin faisant, je me suis mis à réfléchir : « Quand on jette l'argent les jours de fête, on n'a plus qu'à se priver les autres jours, faute d'avoir épargné.» Ayant ainsi raisonné mon esprit et mon estomac, j'en suis revenu à mon premier avis, de marier ma fille au moins de  frais possible. Je viens d'acheter une pincée d'encens et ces couronnes de fleurs : on les mettra sur le foyer en l'honneur de notre dieu Lare, pour qu'il rende ma fille heureuse en ménage. Mais, que vois-je? Notre maison ouverte! Et quel vacarme à l'intérieur! Malheur à moi! est-ce qu'on me mettrait au pillage?

 

1. Jeu de mots sur superi et inferi qui peuvent désigner aussi bien les dieux du ciel (di superi) par opposition aux dieux des enfers (di inferi), les gens d'en haut et ceux d'en bas, les supé­rieurs et les inférieurs.

2. Ce monologue est inutile, et le personnage qui le prononce ne figure pas ailleurs. Est-ce une interpolation?

 

congrion(de l'intérieur de la maison). — Va demain demander une marmite plus grande, si possible, dans le voi­sinage : celle-ci est petite, elle ne tient pas assez.

euclion. — Malheur à moi, je suis mort, bel et bien. On emporte mon or, on cherche une marmite. [Je suis un homme assassiné, si je ne me hâte vivement de cou­rir là-dedans (1).] Apollon, par grâce, viens à mon secours, aide-moi! Perce de tes flèches ces voleurs de trésor, s'il est vrai que tu aies déjà secouru d'autres que moi en semblable occurrence (2). Mais je m'attarde. Courons avant qu'on m'ait tout à fait égorgé. (Il rentre dans la maison).

 

 

 (SCÈNE VIII)

ANTHRAX

(sortant de chez Mégadore)

Dromon, écaille les poissons; toi, Machérion, désosse-moi au plus vite le congre et la murène. Moi je vais emprunter à Congrion, ici à côté, un moule à cuire le pain (3). Toi, tu feras sagement, de me plumer ce poulet plus net qu'un danseur épilé. Mais qu'est-ce que ces cris qui partent de chez le voisin? Ce doit être encore un tour des cuisiniers, parbleu! Je me sauve et je ren­tre, de peur qu'il ne nous arrive aussi quelque scène du même ordre.

 

1. Ce vers, qui fait double emploi avec le v. 397, semble inter­polé.

2. Le texte et le sens de ce vers ne sont pas très sûrs. J'ai adopté la correction de Ussing Si cui au lieu du cui des manus­crits qui semble inexplicable; mais, même avec cette correction, on ne sait au juste à quelle intervention d'Apollon peut songer le vieillard. Est-ce au massacre des Grecs après l'enlèvement de Briséis ?

3. Le pain était encore cuit à la maison, comme ce fut long­temps l'usage. Cf. Pline, Hist. Nat. XVIII, 27, 28.

 

 

(ACTE  III)

(SCÈNE I)

CONGRION

(sortant de chez Euclion)

Au secours! citoyens, concitoyens, habitants de la ville ou du voisinage, étrangers, tous, tant que vous êtes, place, place, que je me sauve! Laissez-moi le champ libre! Jamais jusqu'aujourd'hui je n'ai été faire la cuisine chez des forcenés comme ceux-là. Quel Bacchanal! Pauvre Congrion! moi et mes aides, ils nous ont roués de coups de bâton. Je souffre de partout : que dis-je, je suis mort, et bien mort — tant ce maudit vieux s'est escrimé sur moi... Nulle part au monde je n'ai vu fournir le bois plus largement : eux et moi, en avons-nous reçu du bâton, avant d'être jetés dehors! Hein, quoi encore? malheureux, je suis mort! Il ouvre son bacchanal! Le voici; il est là, sur mes pas. Je sais ce que j'ai à faire; c'est lui-même qui me l'a appris.

 

 

(SCÈNE II)

EUCLION        CONGRION

euclion. — Reviens. Où t'enfuis-tu ? Arrêtez-le, arrêtez-le!

congrion. — Qu'est-ce que tu as à crier, brute?

euclion. — Je vais te dénoncer tout de suite aux triumvirs.

congrion. — Pourquoi?

euclion. — Comme il sied à un cuisinier.

euclion. — Pourquoi m'as-tu menacé?

congrion. — Je n'ai eu qu'un tort, c'est de ne pas t'en percer le flanc.

euclion.  —  Tu esbien  le  plus  grand  scélérat  du monde, et celui que j'aurais le plus de plaisir à mal­traiter délibérément.

congrion. — Parbleu, tu n'as pas besoin de le dire, cela se voit ; la chose parle d'elle-même. Ton bâton m'a fait le corps plus souple que celui d'un mignon. Mais de quel droit nous touches-tu, sale mendiant?

(euclion). — De quel droit? Tu le demandes ? Tu trouves sans doute que tu n'as pas eu ton compte?       

congrion. — Laisse faire. Mais pardieu, cela te coû­tera cher, ou cette tête aura perdu le sentiment.

euclion. — Ma foi, je ne sais pas pour l'avenir : mais pour le moment, elle ne l'a pas perdu (1). (Il le bat). Qu'est-ce que tu avais à faire chez moi, en mon absence, sans mon ordre? Je veux le savoir.

congrion. — Alors, tais-toi. Nous venions cuire le dîner de noce.

euclion. — Hé mordieu! qu'as-tu à t'inquiéter si je mange cru ou cuit? Es-tu mon tuteur?

congrion. — Nous laisseras-tu, oui ou non, cuire le dîner ici? Je veux le savoir.

euclion. — Et moi je veux savoir si tout ce que j'ai demeurera intact chez moi.

congrion. — Pourvu seulement que je remporte intact tout ce que j'y ai apporté! Je n'en demande pas plus. Ce n'est pas pour convoiter ce que tu as

euclion (ironiquement). — Je sais, je connais : inutile de me l'apprendre.

 

1. Jeu de mots sur sentit que Congrion entend par « avoir du sens », et Euclion par « se ressentir » des coups donnés.

 

congrion. — Pourquoi, pour quelle raison nous empêcher de cuire ici le dîner? Qu'avons-nous fait, qu'avons-nous dit pour te déplaire?

euclion. — Tu le demandes, scélérat, quand vous furetez dans tous les coins de ma maison, quand vous pénétrez dans toutes mes chambres? Si tu étais resté là où tu avais ton ouvrage, auprès du feu, tu ne t'en irais pas la tête fêlée : tu n'as que ce que tu mérites. Et maintenant, pour que tu ne puisses ignorer ma déci­sion : si tu fais un pas vers cette porte sans mon ordre, malheur à toi, en tends-tu, malheur à toi ! Tu connais ma décision, maintenant. (Il rentre).

(congrion). — Où t'en vas-tu? Reviens. Par Laverne ma protectrice (1), si tu ne me fais pas rendre mes usten­siles, je monte un beau charivari (2)devant ta porte. Que faire maintenant? J'ai été, ma foi, bien mal inspiré de venir ici. J'ai été engagé pour un écu : il m'en faut déjà plus pour le médecin.

 

 

(SCÈNE III)

EUCLION        CONGRION

euclion (tenant dans ses bras sa marmite). — Oui, désormais, partout où j'irai, elle sera avec moi, je l'emporterai avec moi. Je ne veux plus la laisser exposée ici à de si grands dangers. (A Congrion et aux autres). Et maintenant, entrez tous, à votre aise, et cuisiniers, et joueuses de flûte.

 

 1. C'était la déesse protectrice des voleurs. Elle avait sur la via Salaria un bois sacré et une statue que ses dévots priaient silencieusement, pour ne rien laisser transpirer de leurs projets.

2. Le pipulum, ancêtre du conuicium, désigne la réclamation bruyante faite à la porte du délinquant par celui qu'il a lésé.

 

Amène même, si bon te semble, toute une troupe de gens à vendre (1). Cuisinez, travaillez, activez désormais, tant qu'il vous plaira.

congrion. — C'est bien temps, maintenant que ton bâton m'a fendu et refendu la tète.

euclion. — Allons, entre. On vous a engagés pour travailler, non pour discourir.

congrion. — Oui, vieux! mais je me ferai payer, morbleu! pour les coups que tu m'as donnés. On m'a engagé pour faire la cuisine, pas pour être battu.

euclion. — Cite moi en justice, et ne m'assomme pas davantage. Va faire ton dîner, ou décampe et va te faire pendre.

congrion. — Vas-y toi-même.

(Les cuisiniers rentrent).

 

 

 (SCÈNE IV)

EUCLION (seul)

euclion (serrant contre lui sa marmite). — II est parti. Dieux immortels ! Quelle audacieuse entreprise pour un pauvre de traiter avec un riche quelque affaire ou quelque intérêt... Voyez Mégadore : il use de tous les moyens pour me surprendre, et me tracasse de toutes manières. Il a envoyé ici des cuisiniers, soi-disant pour me faire honneur, en réalité pour me ravir cette chère marmite. Ah, quelle misère! Et pour ne pas être en reste, dans ma propre maison, mon coq lui-même, ou plutôt le propre coq de la vieille (2), n'a-t-il pas failli, et bien failli me perdre?

 

1. Venalium, dit le texte latin. Le terme doit sans doute ici s'entendre comme synonyme d'esclave.

2. C'est ce qui constitue son peculium, comme, à l'origine, la brebis est le peculium du berger. C'est un bien qui reste toujours sous l'autorité du maître, et dont celui-ci dispose à son gré.

 

Il s'était mis à gratter le sol avec ses ongles, de ci de là, à l'endroit même où celle-ci (désignant sa marmite) était enterrée. Bref, ma bile s'en est échauffée : je prends un bâton, et j'assomme  mon voleur de coq, pris en flagrant délit. Je soupçonne fort les cuisiniers de lui avoir promis une récompense s'il leur révélait la cachette. Mais je leur ai retiré l'arme des mains. [Enfin, c'est le coq qui a fait les frais du combat (1).] Mais voici mon gendre Mégadore qui revient du forum. Je n'oserais plus maintenant passer devant lui sans m'arrêter pour causer un peu.

 

 (SCÈNE V)

MÉGADORE        EUCLION

mégadore (sans voir Euclion). — J'ai fait part à plusieurs amis de mon projet de mariage : ils disent tous du bien de la fille d'Euclion; ils trouvent mon idée bonne et que j'agis sagement. Car m'est avis que si tous les autres faisaient comme moi, si les riches épousaient sans dot les filles des citoyens pauvres, d'abord il y aurait bien plus de concorde dans la cité, et puis nous serions moins en butte à l'envie, ensuite nos femmes craindraient nos rigueurs plus qu'elles ne font et enfin nous, nous aurions moins à dépenser qu'à présent. Ce que je dis là est dans l'intérêt général. L'opposition viendrait seulement d'une minorité d'hommes cupides dont la cupidité et les appétits insatiable ne connaissent ni loi ni cordonnier capables de les mettre à la mesure. Sans doute on ne manquera pas de dire

 

1. Vers suspect à quelques éditeurs. Il y a sans doute un jeu de mots intraduisible sur le double sens de gallus « coq » et «gaulois». Naudet traduit: «Bref la guerre a fini par la mort du Gaulois emplumé»; ce qui force le sens.

 

« Avec qui se marieront les filles riches et dotées, si l'on accorde aux pauvres ce droit dont tu parles? » — Qu'elles épousent qui elles voudront, pourvu que leur dot ne les suive pas. Si les choses se passaient ainsi, elles s'efforceraient d'acquérir, en guise de dot, plus de vertus qu'elles n'en apportent aujourd'hui. Je garan­tis que les mulets, dont le prix dépasse celui des chevaux, se vendraient bien moins cher que les bidets gaulois.

euclion (à part). — Bonté du ciel! c'est plaisir de l'entendre. Il a joliment bien parlé de l'économie!

mégadore. — Une femme ne viendrait plus vous dire: « Tu sais bien que je t'ai apporté une dot bien plus grosse que tu n'avais d'argent : il n'est que juste que tu me donnes pourpre, bijoux, servantes, mules, mule­tiers, valets de pied, petits laquais, voitures pour me promener.

euclion (à part). — Comme il connaît bien les habitudes de nos grandes dames! En voilà un que je voudrais voir préfet des mœurs féminines (1)!

mégadore. — Aujourd'hui, il n'y a pas de maison en ville où l'on ne voie plus de chariots qu'il n'y en a dans un ferme à la campagne. Mais, cela, c'est encore bien beau, au prix des autres dépenses. A votre porte vous avez le dégraisseur, le brodeur, le bijoutier, le tisseur de lin, puis toute la troupe des marchands, frangiers, chemisiers, teinturiers en orange, teinturiers en violet, teinturiers en jaune, tailleurs de robes à manches, les parfumeurs de chaussures (2), les revendeurs de lingerie, les bottiers; les cordonniers en chaussures

 

1. C'étaient les censeurs qui, en qualité de gardiens des boni mores, praefecti moribus, pouvaient prononcer une sorte de peine morale, la nota censoria. A Athènes, il y avait un gynéconomos, chargé spécialement, de la surveillance des femmes.

2. La forme et le sens du mot latin sont incertains.

 

de ville qui travaillent assis; sans compter les cordon­niers en sandales, sans compter les teinturiers en mauve. Il faut donner aux dégraisseurs, il faut donner aux raccommodeurs. Puis ce sont les fabricants de soutien-gorge, ce sont avec eux les fabricants de ceintures. Vous croyez en être quitte avec tous ces gens. Mille autres arrivent avec leurs notes; et dans votre atrium montent la garde les maroquiniers, les passementiers, les layetiers. On vous les amène, vous payez; vous croyez en être quitte avec eux, quand vous voyez entrer les tein­turiers en safran... Bref, il y a toujours quelque mau­dite engeance pour vous réclamer de l'argent.

euclion (à part). — Je l'aborderais bien, si je ne craignais pas d'interrompre cette satire des mœurs féminines... Mieux vaut le laisser poursuivre.

mégadore. — Quand vous avez réglé le compte de tous ces vendeurs d'inutilités, voici pour le bouquet un soldat qui vient réclamer son argent (1). On va chez son banquier, on fait son compte avec lui. Le soldat reste planté là, le ventre creux, croyant qu'il va toucher son argent. Mais, tout compte fait, c'est vous qui vous trouvez encore débiteur du banquier. On renvoie le soldat avec des promesses pour un autre jour. Voilà — sans compter bien d'autres — les inconvénients, et les dépenses ruineuses qu'amènent les grosses dots Une femme sans dot, elle, demeure soumise à l'autorité maritale; mais les femmes à dot n'apportent à leurs maris que malheur et misère. — Tiens, voici mon beau-père devant sa porte. Comment va, Euclion?

 

1. C'est-à-dire l'argent destiné à payer la solde que le sénat avait votée eu l'an 349 de Rome en faveur des plébéiens enrôlés dans les légions.

 

euclion. — Je me régalais à savourer ta morale.

mégadore. — Tu m'as donc entendu?

euclion. — Depuis le début, sans en perdre une syllabe.

mégadore. — Tout de même, il me semble que tu ne ferais pas mal d'être un peu plus élégant pour les noces de ta fille.

euclion. — Savoir proportionner son élégance à son avoir, et son éclat à sa fortune, c'est montrer qu'on n'a pas perdu le souvenir de son origine. Chez moi, Mégadore, et chez tous les pauvres comme moi, il n'y a pas, sois-en sûr, plus d'aisance qu'on ne croit.

mégadore. — Mais si, (tu en as bien assez), et veuil­lent les dieux, en y ajoutant de plus en plus te conser­ver ce que tu possèdes.

euclionpart). — Ce que je possède! Je n'aime pas ce mot-là. Il sait ce que j'ai aussi bien que moi-même : la vieille m'a trahi.

mégadoreEuclion qui s'est détourné). — Que fais-tu là tout seul? Pourquoi me fausses-tu compagnie (1)?

euclion. — Parbleu, je m'apprêtais à te faire des reproches; tu en mérites.

mégadore. — Qu'y a-t-il?

euclion. — Ce qu'il y a? Tu me le demandes? Tu as rempli de voleurs tous les coins de ma pauvre maison. Tu as introduit chez moi cinq cents cuisiniers, munis de six mains chacun, vraie race de Géryons. Argus

 

1. Il y a dans le texte latin, quid tu te salue e senatu seuocas ?, une image que le français ne permet pas de rendre. Le mot senatus est pris figurément pour désigner une assemblée, une réunion qui doit traiter d'une affaire. Cf. Miles Gloriosus t. 592 et 594.*

 

qui était tout yeux, Argus auquel Junon confia jadis la garde d'Io, n'arriverait pas lui-même à les surveiller (1). Sans compter la joueuse de flûte, qui serait capable à elle seule de tarir la fontaine corinthienne de Pirène (2), s'il en coulai' du vin. Quant aux provisions...

mégadore. — Mais il y en a pour toute une légion. J'ai même envoyé un agneau.

euclion. — Ah oui, parlons-en! je ne connais pas de bête qui ressemble davantage à un curion que cet agneau-là.

mégadore. — Je voudrais savoir ce que tu entends par, agneau curion.

euclion. — II n'a que la peau et les os, tant sa cure l'a fait maigrir (3). On pourrait, tout vivant, lui examiner les boyaux au soleil : son corps est transparent comme une lanterne de Carthage.

mégadore. — J'ai payé pour qu'on le tue.

euclion. — Mieux vaudrait payer pour qu'on l'en­terre; car il doit être déjà crevé.

mégadore. — En tout cas, aujourd'hui, je veux boire avec toi, Euclion.

 

1. Les comparaisons d'Euclion montrent qu'il connaît sa mytho­logie. Le personnage de Géryon est lié à la légende d'Héraklès. Ce fils de Chrysaor et de la nymphe Callirhoé était un monstre à trois têtes et trois corps. Il régnait sur l'île d'Erithye, où il possédait de nombreux troupeaux que faisait paître le berger Eurytion, avec son chien Orthros, à deux têtes, et un dragon à sept têtes. La légende d'Argus n'a pas besoin d'être rappelée. On sait qu'il fut tué par Hermès, et qu'Héra orna de ses yeux la queue du paon.

2 La fontaine Peirénè avait, elle aussi, sa légende. Le cheval ailé Pégase était en train d'y boire quand Bellérophon l'enfour­cha par surprise pour aller combattre la Chimère. A l'époque historique, son eau alimentait encore la citadelle de Corinthe, ou Acrocorinthe.

3. Jeu de mots sur curia « curion, président d'une curie, divi­sion du peuple à Rorne » , et cura «  souci, maladie ».

 

euclion. — Ma foi, non; je n'ai pas envie de boire.

mégadore. — Mais je te ferai apporter de chez moi un tonneau de vieux vin.

euclion. — Non, non; merci bien : je suis résolu à ne boire que de l'eau.

mécadore. — Et moi, si je suis en vie, je t'humec­terai aujourd'hui bel et bien de bon vin, malgré ta résolution de ne boire que de l'eau.

euclion (à part). — Je vois son manège. Il s'y prend ainsi pour me faire tomber ivre-mort; et puis après, ma marmite changerait de résidence. Mais j'y veillerai : je la cacherai quelque part hors de chez moi. Il y per­dra et sa peine et son vin; j'en réponds.

mégadore. — Si tu n'as plus besoin de moi, je vais au bain, pour me préparer au sacrifice. (Il sort).

euclion (seul). — Vraiment, par Pollux ! ma pauvre marmite, tu as bien des ennemis, toi, et l'or que je t'ai confié! Le mieux pour moi, maintenant, c'est de t'em­porter, marmite bien-aimée dans le temple de la Bonne Foi : là je te cacherai comme il faut. O Bonne Foi! nous nous connaissons, toi et moi. Ne va pas, s'il te plaît, démentir le nom que tu portes, si je te confie ce dépôt. Je viens à toi, ô Bonne Foi, fort de la con­fiance que tu m'inspires. (Il entre dans l'enceinte du temple).

 

 

(ACTE  IV)

(SCÈNE I)

 STROBILE

N'est-ce pas le fait d'un bon esclave d'agir comme je fais, et d'exécuter sans retard ni mauvaise humeur les ordres de son maître? L'esclave qui veut que le maître soit content de son service doit d'abord penser à son maître, et ne songer à soi qu'après. A-t-il som­meil, il ne lui faut pas, en dormant, oublier qu'il est esclave. Quand on est au service d'un maître amoureux, comme c'est mon cas, si on le voit dominé par la pas­sion, le devoir d'un bon esclave, selon moi, c'est de le retenir pour essayer de le sauver, et non pas de le pousser sur la pente où son penchant l'entraîne. Voyez les enfants qui apprennent à nager : on leur met un radeau d'osier pour qu'ils se fatiguent moins, et pour qu'ils nagent et fassent les mouvements des bras avec plus de facilité : eh bien, je pense que l'esclave doit jouer le même rôle vis-à-vis de son maître amoureux. Il faut qu'il lui serve de radeau, qu'il le soutienne, et l'empêche de couler comme un chien de plomb (1). Qu'il apprenne à connaître les ordres de son maître; que ses yeux sachent lire sur son front ce qu'il veut. Que plus vite qu'un quadrige au galop, il se hâte d'exécuter ses commandements. Quiconque prendra ce soin n'aura pas à subir la censure des nerfs de bœuf, et ne fera jamais briller à ses dépens le fer des entraves. Mon maître est amoureux de la fille d'Euclion, le pauvre diable qui habite ici; et sa belle, lui a-t-on annoncé, va se marier

avec Mégadore, le richard d'à côté. Il m'a envoyé ici en observation, pour être instruit de ce qui se passerait. Je vais, sans que personne s'en doute, m'asseoir ici, sur cet autel sacré. De là, je pourrai épier tout ce qu'on manigance d'un côté comme de l'autre

.

1. Le texte présente en, cet endroit une lacune. Mais le sens ne fait pas de doute. L'expression « chien de plomb » correspond à peu près au supplément proposé par Lambin, catapirateria, qui désigne la sonde.

 

 

(SCÈNE II)

EUCLION        STROBILE

euclion (sortant du temple, sans voir Strobile). — Garde-toi bien d'indiquer à personne que mon or est

chez toi, ô Bonne Foi ! Je ne crains pas qu'on le trouve : il est trop bien caché. Parbleu! C'est qu'il emporterait un joli butin, celui qui la trouverait : une marmite remplie d'or! Mais veuille écarter de moi pareil malheur, ô Bonne Foi! Et maintenant, je vais me baigner pour faire le sacrifice. Ne faisons pas attendre mon gendre; il faut qu'à son premier appel ma fille puisse prendre le chemin de sa maison. Ouvre l'œil, ô Bonne Foi, ouvre-le bien, que je puisse remporter de chez toi ma marmite saine et sauve. C'est à ta loyauté que j'ai confié mon or, c'est dans ton bois, dans ton temple qu'il est déposé. (Il sort).

strobile (sortant de sa cachette). — Dieux immor­tels! qu'ai-je entendu, qu'a-t-il dit? Il a caché là-dedans, dans le temple de Bonne Foi, une marmite remplie d'or! O déesse, je t'en prie, ne va pas lui être plus fidèle qu'à moi! Eh mais! c'est bien, je pense, le père de celle qu'aimé mon maître. Entrons, et fouillons par tout le temple, tâchons de dénicher cet or, pendant que le bonhomme est occupé. Mais si je le trouve, ô Bonne Foi, je l'offrirai une pleine fiole (1)de vin miellé d'un congé entier. Oui, ma foi! je te l'offrirai; et une fois l'offrande faite, je la boirai à ma santé. (Il rentre dans le temple).

 

1. Jeu de mots sur Fides et fidelia, sorte de vase ou de pot, de forme inconnue.

 

(SCÈNE III)

EUCLION

(revenant sur ses pas)

Ce  n'est  pas  sans  raison  qu'un corbeau  vient  de chanter à ma gauche. Il grattait la terre de ses pattes, tout en croassant à pleine voix. Aussitôt mon cœur s'est mis à faire une danse dans ma poitrine! On aurait dit qu'il allait s'échapper. Mais je tarde : courons vite.

 

 

 (SCÈNE IV)

EUCLION        STROBILE

euclion (traînant Strobile par le collet). — Allons, dehors, ver de terre, qui vient de ramper hors de ton trou. On ne te voyait pas tout à l'heure; mais puisque tu t'es montré, tu es mort. Pardieu, je t'arrangerai de la belle manière, rusé coquin!

strobile. — Quelle furie te tourmente? Qu'ai-je à faire avec toi, vieillard? Pourquoi me bouscules-tu? pourquoi me tirailles-tu? pour quelle raison me frap­pes-tu?

euclion. — Rossard, tu me le demandes! Voleur, que dis-je? triple voleur!

strobile. — Qu'est-ce que je t'ai pris?

euclion. — Rends-le moi, et vite.

strobile. — Que veux-tu que je te rende?

euclion. — Tu le demandes?

strobile. — Je ne t'ai rien pris à toi.

euclion. — Mais ce que tu prenais pour toi, donne-le (1). Eh bien, tu te décides?

strobile. — A quoi?

 

1. Jeu de mots sur le double sens du datif tibi dans tibi abstuli et tibi abstuleris.

 

euclion. — Tu ne l'emporteras pas : impossible.

strobile. — Qu'est-ce que tu as donc?

euclion. — Mets-moi ça là.

strobile. —Tu m'as l'air d'être habitué à te le faire mettre, le vieux.

euclion. — .Mets-moi ça là, te dis-je; et ne fais pas le malin. Je ne plaisante pas, moi.

strobile. — Mais que dois-je mettre là? Appelle-moi la chose par son nom. Pour ma part, je n'ai rien pris, rien touché; je le jure.

euclion. — Montre-moi tes mains.

strobile. — Tiens, je te les montre : les voici.   

euclion. — Bon, je vois. Maintenant, montre-moi la troisième.

strobile. — Mauvais esprits, humeurs noires, accès de folie : tout s'en mêle pour lui troubler la tête. Est-ce justice d'agir envers moi comme tu le fais?

euclion. — Non, ma foi, non! car j'aurais dû t'en­voyer à la potence. Mais tu iras bientôt, si tu n'avoues pas.

strobile. — Avouer? mais quoi?      

euclion. — Qu'as-tu emporté d'ici?

strobile. — Les dieux m'anéantissent si je t'ai dérobé quelque chose... (à part) comme je l'aurais voulu.

euclion. — Allons vite, secoue-moi ton manteau.

strobile. — A ta guise.

euclion. — Tu n'aurais rien sous ta tunique?

strobile. — Tâte où tu veux.

euclion. — Voyez le scélérat !quelle complaisance, pour que je ne le soupçonne pas d'avoir rien dérobé. Je connais ces malices. Allons, encore une fois. Montre-moi ta main droite.

 

1. Equivoque obscène sur pone, repris par id, et entendu par Euclion comme impératif de pono et par Strobile comme adverbe « derrière ». d'où id datare « offrir son derrière ».

 

strobile. — Tiens.

euclion. — Ta gauche, maintenant.

strobile. — Tiens, les voilà toutes les deux. Es-tu content?

euclion. — C'est bon, je renonce à te fouiller. Rends-le moi.

strobile. — Te rendre quoi?

euclion.  — Pas  de  plaisanteries!  Sûrement   tu  l'as.

strobile. — Je l'ai, moi? Qu'est-ce que j'ai?

euclion. — Je ne le dirai pas : tu voudrais bien me l'entendre dire. Quoi que ce soit, rends-le moi; c'est mon bien.

strobile. — Tu es fou. Ne m'as-tu pas fouillé par­tout, à ta guise, sans rien trouver sur moi qui t'appar­tienne? (Il fait mine de s'en aller).

euclion. — Reste, reste ! Quel est l'autre? Qui est-ce qui était tout à l'heure là-dedans avec toi? Par HerculeI je suis perdu! L'autre est là dedans qui fait des siennes... Si je lâche celui-ci, il aura tôt fait de s'en aller... Après tout, je l'ai fouillé partout, il n'a rien. (A Strobile). Va, tu es libre.

strobile. — Que Jupiter et tous les dieux t'anéan­tissent !

euclion. — Pas mal, comme remercîment. Je rentre dans le temple, et quant à ton complice, je l'étrangle sur place. Allons, hors de mes yeux. T'en vas-tu, oui ou non?

strobile. — Je m'en vais.

euclion. — Et que je ne te revoie plus, tu m'entends? (Il rentre dans le temple).

 

 

(SCÈNE V)

STROBILE(seul)

J'aimerais mieux mourir de mâle mort que de ne pas jouer aujourd'hui quelque bon tour au vieux. Il n'osera plus certainement cacher son or ici. Il va l'emporter avec lui, je pense, et le changer de place. Molus ! la porte du temple a craqué... Voici le vieux qui démé­nage son or... Rangeons-nous un moment du côté de la porte de cette maison.

 

 

 

(SCÈNE VI)

EUCLION   STROBILE

euclion (serrant contre lui sa marmite). — Je pen­sais qu'on pouvait se fier aveuglément à Bonne Foi, et il s'en est fallu d'un rien qu'elle ne me barbouillât la face (1). Si le corbeau n'était pas venu à mon secours, malheur à moi, j'étais mort. Vraiment, je voudrais bien le revoir, ce brave corbeau qui m'a averti. Je lui don­nerais au moins quelques bonnes paroles : car pour de la mangeaille, non : donner ou perdre, c'est tout comme. Il s'agit à présent de trouver pour cacher ceci un endroit bien désert. Il y a, en dehors des remparts, le bois de Silvain : il est loin de la route, et tout envahi par une épaisse saussaie. C'est là que je choisirai mon endroit. C'est décidé : fions-nous plutôt à Silvain qu'à Bonne Foi. (Il sort).

strobile (seul). — Parfait, parfait. Les dieux veulent mon salut et mon bonheur. Je cours en avant là-bas. Je grimpe sur un arbre, et déjà j'observe l'endroit où il cache son or. Mon maître m'avait bien dit de l'atten­dre ici. Mais c'est décidé : je préfère tenter l'aubaine, même au prix de quelques coups de bâton. (Il sort).

 

1. Expression empruntée sans doute à un jeu enfantin, qui consistait à barbouiller à son insu la figure de quelqu'un. De là le sens de « berner, attraper ».

 

 

(SCÈNE VII)

LYCONIDE        EUNOMIE        PHÉDRIE

lyconide. — Voilà, ma mère; tu connais aussi bien que moi mon aventure avec la fille d'Euclion. Et main­tenant, je t'en prie et t'en supplie, mère, comme je t'en avais suppliée tout à l'heure, parles-en à mon oncle, mère chérie.

eunomie. — Tu sais que tes désirs sont les miens. J'ai bon espoir de réussir auprès de mon frère. D'ail­leurs ta demande est juste, s'il est vrai, comme tu l'affirmes, que tu aies, sous l'empire de l'ivresse, fait violence à la jeune fille.

lyconide. — Aurais-je le front de te mentir, chère mère?

phédrie (de l'intérieur). — Je meurs, nourrice! Je t'en supplie. Le ventre me fait mal. Junon Lucine (1), au secours I

lyconide. — Tiens, ma mère, voici qui en dit plus que toutes les paroles. Elle crie, l'enfant va naître.

eunomie. — Viens avec moi, mon enfant, rentrons chez mon frère. Je n'en veux sortir qu'après avoir obtenu ce que tu me demandes.

lyconide. — Va, je te suis, mère. (Eunomie sort. Lyconide reste seul). Je me demande où peut bien être mon esclave Strobile. Je lui avais pourtant dit de m'attendre ici. Mais, à bien y réfléchir, s'il travaille à m'aider, j'aurais tort de me fâcher contre lui. Entrons céans : il s'y tient des comices où ma tête est en jeu. (Il entre chez Mégadore).

 

1. On sait que c'est la déesse qui préside aux accouchements.

 

 

 (SCÈNE VIII)

STROBILE

(il arrive en courant et tenant la marmite)

Foin des griffons qui habitent les montagnes d’or ! à moi seul je les dépasse en richesse. Quant à vos rois, un seul excepté, je n'en parle pas : ce ne sont que des mendigots. Je suis, moi, le fameux roi Philippe. Quel beau jour ! Je suis parti d'ici bien à temps pour être là-bas bon premier, et me poster sur un arbre bien avant son arrivée. De là-haut, j'épiais l'endroit où le vieux cachait son or. Sitôt qu'il est parti, je me glisse à bas de mon arbre, je déterre la marmite pleine d'or, et détale aussitôt. Je vois le vieillard rentrer chez lui; mais lui ne me voit pas : j'avais eu le précaution de m'écarter tant soit peu de la route. Motus! le voici en personne. Allons cacher ceci à la maison. (Il sort).

 

 

(SCÈNE IX)

EUCLION        LYCONIDE

euclion. — Je suis perdu ! je suis mort! je suis assassiné! Où courir? où ne pas courir? arrêtez-le, arrêtez-le! Mais qui? Et qui l'arrêtera? Je ne sais, je ne vois rien, je vais en aveugle... Où vais-je, où suis-je, qui suis-je, je ne sais plus, j'ai la tête perdue... Par pitié vous autres, je vous en prie, je vous en supplie, venez à mon secours : indiquez moi l'homme qui me la ravie. (Au public). Que dis-tu, toi? Je veux t'en croire : tu as la, figure d'un honnête homme. Qu'y a-t-il? pourquoi riez-vous? Je vous connais tous. Je sais que les voleurs sont légion parmi vous; ils ont beau se cacher sous des vêtements blanchis à la craie (1), et demeurer sagement assis tout comme de braves gens... Hein, quoi? personne ne l'a? Tu m'assassines. Dis-moi, voyons : qui l'a? Tu ne sais pas? Ah, pauvre, pauvre malheureux! je suis mort. C'en est fait, je suis un homme perdu, au plus mal arrangé, tant cette fatale journée m'apporte de larmes, de maux, de chagrin, sans compter la faim et la pauvreté... Perdu, ah oui, je le suis bien, et plus qu'aucun homme au monde. Que me sert de vivre, à présent que j'ai perdu tout cet or que je gardais avec tant de soin? Je me privais du nécessaire, me refusant toute joie, tout plaisir (2): et maintenant d'autres en profitent, et se gaussent de mon malheur et de ma ruine... Non, je n'y résisterai pas.

lyconide— Qui est-ce qui  se plaint,  gémit et se lamente  ainsi   devant  notre  maison?   Eh !   mais  c'est

 

1. «  Les toges blanches étaient l'habillement des gens riches, des citoyens qui remplissaient la première moitié des centuries, et qui tenaient ainsi un rang dans l’Etat. C'était ce qu'au siècle de Louis XIV on appelait les honnêtes gens, et ce qu'on appela même à Rome boni hommes, bonté qui consistait dans la fortune et non dans le caractère. Il ne s'agit point, comme l'ont pensé quelques interprètes, des candidats, qui n'avaient rien à faire ici. Euclion, par une hardiesse bouffonne qu'on pardonne en riant au poète comique, désigne les spectateurs à qui leurs clients ou leurs esclaves avaient fait faire place sur les gradins rapprochés du proscenium. Le peuple en tuniques brunes, qui assiégeait les parties hautes et reculées de la cavea, ne devait pas trouver la plaisanterie mauvaise. » (Naudet).

2. Il est impossible de rendre littéralement le texte latin: defraudaui animumque meum geniumque meum. L'animus dési­gne les inclinations qu'on satisfait anima causa  « pour son plai­sir ». Le Genius est la divinité tutélaire de chaque individu, avec laquelle il s'assimile.

 

euclion. — Comment as-tu eu l'audace de toucher à ce qui ne t'appartenait pas?

lyconide. — Que veux-tu? le mal est fait. Impossible d'y rien changer. Les dieux sans doute l'ont voulu; car, sans leur volonté, la chose ne serait pas arrivée, sûrement.

euclion. — Mais les dieux ont voulu aussi, j'imagine, que je te fasse crever chez moi sous le carcan.

lyconide. — Ne dis pas cela.

euclion. — Qui t'a permis d'y toucher malgré moi? Elle était à moi.

lyconide. — C'est la faute du vin, de l'amour.

euclion. — Tu ne manques pas d'audace. Tu oses venir me tenir un pareil discours, monstre d'impu­dence? Si pareille excuse était recevable en droit, nous n'aurions qu'à aller publiquement, en plein jour, arra­cher aux dames leurs bijoux; et puis, si nous étions pris, nous en serions quittes pour dire : c'est l'ivresse, c'est l'amour. Le vin et l'amour sont à trop bon marché, si l'ivrogne et l'amant ont toute licence de se passer impunément tous leurs caprices.

lyconide. — Mais, je viens de moi-même te supplier de me pardonner ma folie.

euclion. — Je n'aime pas ces gens qui s'excusent après avoir mal fait. Tu savais bien qu'elle n'était pas à toi; il ne fallait pas y toucher.

lyconide. — Eh bien, puisque j'ai osé y porter la main, je ne chicane point et ne demande qu'à la garder, de préférence à tout autre.

euclion. — La garder, malgré moi, quand elle est à moi?

lyconide. — Je ne prétends pas l'avoir malgré toi; mais j'estime qu'elle doit me revenir. D'ailleurs toi-même, Euclion, tu reconnaîtras dans un instant qu'il faut qu'elle soit à moi.

euclion. — Et moi dans un instant, morbleu, je vais te traîner devant le préteur, et te faire un procès si tu ne me rends...(1)

lyconide. — Si je ne te rends?

euclion. — Le bien que tu m'as volé.

lyconide. — Moi, j'ai volé ton bien? où donc? Que veux-tu dire?

euclion (ironiquement). — Que Jupiter te protège, aussi vrai que tu l'ignores!

lyconide. — A moins que tu ne me dises toi-même ce que tu réclames...

euclion. — Ma marmite pleine d'or, dis-je, voilà ce que je te réclame; celle que tu m'as dérobée, de ton propre aveu.

lyconide. — Moi? je n'ai rien dit ni rien fait de semblable.

euclion. — Tu le nies?

lyconide. — Assurément, je le nie et le renie. Qu'est-ce que cet or, que cette marmite? Je n'en sais rien, mais rien de rien.

euclion. — Voyons, celle que tu as emportée du bois de Silvain. Rends-la. Allons, donne. J'en parta­gerai plutôt la moitié avec toi. Tu as beau m'avoir volé, je ne t'inquiéterai pas. Allons, rends-la, voyons.

lyconide. — Tu es fou de me traiter de voleur. Je pensais, Euclion, que c'était d'une autre affaire que tu étais  instruit, et qui me  concerne. C'est  une  chose importante, et dont je voudrais t'entretenir à loisir, si tu es de loisir.

euclion. — Dis-moi, sur ta foi : ce n'est pas loi qui m'as pris mon or?

lyconide. — Non; sur ma foi.

 

1. HARPAGON. Vous verrez que c'est par charité chrétienne qu'il veut avoir mon bien! Mais j'y donnerai bon ordre; et la justice, pendard effronté, me va faire raison de tout.

 

euclion. -- Et tu ne sais pas qui l'a pris?

lyconide. — Non, sur ma foi encore.

euclion. — Et si tu viens à savoir qui est mon voleur, tu me l'indiqueras?

lyconide. — Je n'y manquerai pas.

euclion. — Et tu n'accepteras pas de partager avec celui qui le détient, tu ne recèleras pas mon voleur?

lyconide. — Non.

euclion. — Et si tu manques à ta promesse?

lyconide. — Alors, que le grand Jupiter fasse de moi ce qu'il voudra.

euclion. — Suffit Maintenant tu peux parler à ton aise (1).

lyconide. — Au cas où tu ne me connaîtrais, ni moi, ni ma famille, ici habite mon oncle Mégadore. Mon père était Antimaque, moi je m'appelle Lyconide, et j'ai pour mère Eunomie.

euclion. — Je connais cette famille. Mais qu'est-ce que tu veux? Je voudrais le savoir...

lyconide. — Tu as une fille...

euclion. — Oui, elle est même à la maison.

lyconide. — Tu l'as, je crois, accordée à mon oncle?

euclion. — Tu sais toute l'affaire.

lyconide. — Eh bien, il m'a chargé de venir l'annon­cer qu'il renonce à elle.

 

1. Toute cette partie de la scène a été négligée par Molière, où l'entretien entre Harpagon et Valère se termine sans que l'équivoque ait été dissipée, Harpagon au contraire accusant Valère d'être à la fois le voleur de sa cassette et le séducteur de sa fille : « Rengrègement de mal ! surcroit de désespoir ! (au commissaire.) Allons, monsieur, faites le dû de votre charge; et dressez-lui sou procès comme larron et comme suborneur. » Le public reste suspendu dans l'attente jusqu'au coup de théâtre final qui fera reconnaître Valère et Marianne pour les enfants du « seigneur Anselme ». L'intrigue chez Plaute est plus simple et moins romanesque. Un interrogatoire en bonne et due forme, avec la prestation de serment obligatoire et la promesse de ne pas aider le coupable éventuel, suffit à Euclion pour admettre l'innocence de Lyconide. Le trait est purement romain.

 

euclion. — II y renonce quand les préparatifs sont faits, quand toute la noce est prête? Que tous les immor­tels, dieux, déesses, tous tant qu'ils sont, se conjurent pour sa perte ! C'est de sa faute si aujourd'hui j'ai perdu tout mon or. Ah, misère de misère 1

lyconide. — Rassure-toi, et ne prononce pas de paroles de mauvais augure. Maintenant, pour le plus grand bien et le plus grand bonheur de toi-même et de ta fille, dis avec moi : ainsi veuillent les dieux!

euclion. — Ainsi veuillent les dieux!

lyconide. — Ainsi veuillent les dieux pour moi aussi. Ecoute maintenant. Il n'est pas d'homme, si peu qu'il vaille, qui n'ait honte d'une faute qu'il a commise, et qui ne veuille se justifier. Je t'en conjure, Euclion, si sans le savoir, je me suis rendu coupable envers toi, envers ta fille, veuille me le pardonner et m'accorder Phédrie pour femme, comme la loi l'ordonne. Je l'avoue, j'ai fait violence à ta fille, la nuit des fêtes de Cérés (1). Le vin, l'emportement de la jeunesse...

euclion. — Hélas! hélas! quelle affreuse chose me dis-tu là?

lyconide. — Pourquoi ces gémissements, quand je t'ai fait grand-père pour les noces de ta fille? Car elle vient d'accoucher juste au dixième mois : fais le compte. C'est pour cela que mon oncle a renoncé à elle en ma faveur. Entre, informe-toi, tu verras si c'est bien comme je dis.

euclion. — Je suis perdu sans espoir. Tous les mal­heurs fondent sur moi l'un après l'autre. Rentrons, pour savoir ce qu'il y a de vrai dans son récit.

 

1. Ou plutôt de Déméter. Le détail doit provenir de l'original grec; car il ne semble pas crue le culte de Cérés à Rome ait comporté des fêtes nocturnes.

 

lyconide. — Je te suis à l'instant. Enfin, nous voilà presque sauvés, nous touchons au port (1) je crois. Mais où diantre peut bien être Strobile? Je ne vois pas. Je n'ai qu'à l'attendre ici un moment. Ensuite j'irai rejoindre Euclion chez lui. De cette façon, je lui lais­serai le temps de prendre ses informations auprès de la vieille nourrice qui sert de suivante à sa fille : elle est au courant de l'aventure.

 

 

 

(ACTE  V)

(SCÈNE I)

STROBILE        LYCONIDE        EUCLION

strobile. — Dieux immortels! de quelles joies,  de quel bonheur vous me comblez! J'ai dans la marmite quatre bonnes livres d'or. Y a-t-il plus riche que moi? Y a-t-il dans Athènes un mortel plus favorisé des dieux?

lyconide. — Je ne me trompe pas; il me semble que je viens d'entendre une voix de ce côté.

strobile. — Eh! n'est-ce pas mon maître que j'aperçois?

lycodine- N'est-ce pas mon esclave que je vois?

strobile-C'est lui-même.

lyconide- C'est bien lui.

strobile. — Abordons-le.

lyconide. — Allons à sa rencontre. Sans doute est-il allé, comme je le lui avais ordonné, voir la vieille nour­rice de Phédrie.

 

1. Expression proverbiale; le uadum est l'eau peu profonde, par opposition à altum, la haute mer. Cette région, voisine de la côte, pouvait être un abri ou un danger, selon les cas. On risquait de s'y échouer ou daller se briser sur les écueils; cf. Cicéron, pro Caelio 21,51. emersisse iam e uadis et scorpulis praeteruecta uidetur oratio mea. De là la précision par le com­plément salutis.

 

strobile (à part). — Pourquoi ne pas lui dire le beau butin que j'ai fait?... Je le prierai ensuite de m'af­franchir... Allons, racontons la chose. (A Lyconide). J'ai trouvé...

lyconide. — Qu'est-ce que tu as trouvé?

strobile. — Pas ce que les enfants trouvent dans les fèves, quand il crient : J'ai trouvé (1) !

lyconide. — Voilà encore que tu railles, selon ton habitude? (Il fait mine de s'en aller).

strobile. — Arrête, maître; je vais te dire, écoute.

lyconide. — Eh bien, parle, alors.

strobile. — J'ai trouvé aujourd'hui, mon maitre, des richesses immenses...

lyconide. — Où donc?

strobile. — Une marmite de quatre livres, te dis-je, toute pleine d'or.

lyconide. — Que me dis-tu là?

strobile. — Je l'ai dérobée à Euclion, le vieillard qui habite ici.

lyconide. — Où est cet or?

strobile. — Dans un coffre, chez moi. Maintenant je voudrais que tu m'affranchisses.

lyconide. — Moi t'affranchir, ramas de tous les crimes?

strobile. — Suffit, maître, je vois ce que tu veux faire. Ma foi, je t'ai joliment attrapé. Tu t'apprêtais à me l'arracher. Qu'aurais-tu fait, si je l'avais trouvé?

(lyconide). — Je ne me paie pas de tes sornettes. Allons, rends cet or.

 

1. Allusion à un jeu des enfants qui ouvraient les fèves pour y trouver sans doute le hilum ou le germe, comme aujourd'hui encore on ouvre les noix pour y trouver « le clou de la Passion de Notre Seigneur ».

 

strobile. — Moi, rendre cet or?

lyconide. — Rends-le moi, te dis-je, pour que je le lui rende.

strobile. — Et quel or?

lyconide. — Celui qui est dans ton coffre, comme tu viens de me l'avouer.

strobile. — Plaisanterie, parbleu, comme j'ai l'ha­bitude d'en faire... Ma parole...

lyconide. — Sais-tu bien que...?

strobile. — Par Hercule,  tue moi si tu veux.  Tu n'obtiendras rien de moi.

 

(La fin manque dans les manuscrits (1))

FRAGMENTS

I Pour payer ces robes safran,  ces corsets,  toutes ces dépenses des femmes.

II Comme il a enlevé le morceau!

III Je creusais dix fosses par jour.

IV Et  ne connaissais  de  repos  ni  la nuit  ni  le jour; maintenant je dormirai

V Ceux qui me servent des légumes crus feraient bien d'y ajouter un assaisonnement.

DOUTEUX

I       Voyons, Strobile, déride-moi ce front soucieux.

II       Mais voici le léno qui sort : cachons-nous, et tâchons de recueillir leur conversation.

 

1. Nous  savons  par  les  arguments  que  Strobile  finissait  par rendre la marmite,  et qu'Euclion  la donnait en  dot à sa  fille.

 

 

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